Bienvenue à la réunion no 43 du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre des communes. Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude des conditions dans lesquelles se trouvent les demandeurs d'asile.
Je confirme que tous les témoins ont effectué les tests techniques exigés en prévision de la réunion.
J'aimerais souhaiter la bienvenue au premier groupe de témoins.
Nous avons M. Frantz André, porte-parole et coordonnateur du Comité d'action des personnes sans statut.
Nous accueillons également des représentants du Centre de réfugiés: le directeur général, M. Abdulla Daoud, et le chef du département juridique et avocat spécialiste des réfugiés, M. Pierre-Luc Bouchard.
Le troisième témoin est Mme Eva-Gazelle Rududura, vice-présidente de l'organisme Unis pour une intégration consciente au Canada.
Au nom de tous les membres du Comité, bienvenue à tous. Vous avez cinq minutes chacun pour votre déclaration liminaire. Nous passerons ensuite à la première série de questions.
Nous allons commencer avec M. André.
Vous avez cinq minutes pour prononcer votre déclaration liminaire. La parole est à vous.
[Français]
C'est pour moi un privilège d'avoir l'occasion de parler de la situation de crise que vivent les migrants en général lorsqu'ils arrivent au Canada. Je vais prendre à titre d'exemple la situation des migrants haïtiens, tout particulièrement, mais sachez qu'il y a des similitudes avec ce que vivent d'autres migrants de différentes origines. Il faut tout de même préciser qu'actuellement, une grande majorité des migrants qui arrivent à la frontière par le chemin Roxham sont d'origine haïtienne, comme ce fut le cas en 2017.
Leur arrivée par le chemin Roxham est qualifiée d'« irrégulière ». Ce que nous devons décrire comme non seulement irrégulier, mais également dramatique, c'est le fait que ces migrants haïtiens ont eu à traverser de nombreux pays, en passant par des forêts ou par des zones dans lesquelles ils étaient pris pour cibles par des bandits, lorsque ce n'était pas par des animaux sauvages. Pour ce qui est des femmes migrantes en particulier, plusieurs ont subi des violences sexuelles en route.
Vous comprendrez que de tels parcours migratoires laissent des séquelles et des traumatismes. Les migrants passent bien sûr par les États‑Unis avant d'arriver au Canada, mais ils décident bien souvent de ne pas y rester en raison des mauvais traitements et du racisme qu'ils subissent dans ce pays. On se rappellera les images choquantes qui ont circulé l'an dernier dans l'actualité nous montrant des agents frontaliers américains à cheval, pourchassant des migrants vers une rivière avec un lasso en main, comme s'il s'agissait d'une chasse aux esclaves.
Outre ces images, il y a aussi les faits qui sont choquants: les États‑Unis ont déporté plus de 28 000 Haïtiens sans leur donner la possibilité de faire entendre leur demande d'asile. Dans un tel contexte, les migrants haïtiens, tout comme les migrants d'autres origines, préfèrent venir faire une demande d'asile au Canada. Cependant, l'Entente sur les tiers pays sûrs exige que leur demande soit faite aux États‑Unis. Voilà, en bref, ce qui explique pourquoi les migrants en viennent à entrer au Canada de façon irrégulière.
En ce qui concerne l'accueil des migrants, il y a une inconstance dans le traitement des dossiers, occasionnée par un manque de ressources. Les autres défis concernent l'hébergement des migrants. Dans plusieurs cas, il y a encore des situations de quarantaine qui retardent le dépôt des documents. Dans d'autres cas, des migrants qui étaient hébergés au Québec se sont fait donner un préavis court pour se trouver un logement par leurs propres moyens, sinon accepter de se faire déplacer en autobus de leur site d'hébergement au Québec vers un centre d'hébergement en Ontario. J'ai entendu des témoignages selon lesquels plusieurs d'entre eux n'avaient pas compris qu'on les emmenait dans une autre province.
En ce qui concerne le document de demande d'asile, qualifié de « papier brun » et qui permet d'obtenir un permis de travail, celui-ci nécessite que d'autres documents préliminaires soient remplis et envoyés électroniquement pour analyse de la demande. Cependant, n'ayant pas les capacités techniques ou la capacité d'écrire dans l'une des deux langues officielles, plusieurs migrants envoient des documents tardivement, de sorte qu'il y a une longue période d'attente avant l'obtention du permis de travail. Ainsi, ils n'ont d'autre choix que de continuer à recevoir l'aide de dernier recours, qui est insuffisante pour répondre à leurs besoins de base et qui les maintient dans une situation de précarité.
Plusieurs font le choix de travailler au noir et sont alors à la merci d'agences de placement qui ne respectent pas les normes du travail ou d'employeurs qui les exposent à des conditions de travail abusives. Un défi majeur concerne la difficulté à se trouver un avocat en immigration, que ce soit par l'entremise de l'aide juridique ou au privé. Parallèlement à cela, le portail du gouvernement, qui devrait permettre de trouver de l'information ou d'envoyer des documents, est très difficile à utiliser.
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais cinq minutes ne suffisent pas pour vous parler de la détresse que vivent les demandeurs d'asile qui ont fait le choix de venir vivre au Canada avec l'espoir qu'ils et elles pourront travailler et s'intégrer dans une société de droit, accueillante et sécuritaire.
Depuis quelques mois, il est question d'Haïti dans l'actualité en raison de la situation d'insécurité et de la crise humanitaire qui s'est aggravée dernièrement dans ce pays, qui est mon pays d'origine. Ce qui n'est pas expliqué dans les médias, c'est le lien entre la politique étrangère du Canada en Haïti et la fuite des migrants haïtiens vers le Canada. Le Canada doit avoir une politique étrangère qui ne contribue pas à aggraver les conflits qui existent à l'étranger. Le Canada a surtout le devoir d'accueillir les migrants dans la dignité et le respect à la hauteur de leurs espoirs.
Encore une fois, je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole à ce sujet.
:
Merci. Je suis accompagné de M. Pierre-Luc Bouchard.
Madame la présidente, messieurs les vice-présidents et membres du Comité, merci de m'avoir donné l'occasion de soumettre un mémoire et de comparaître aujourd'hui au nom du Centre de réfugiés.
Je suis venu ici accompagné du chef de notre clinique juridique, Me Pierre-Luc Bouchard, pour parler de problèmes urgents liés au processus de demande d'asile au Canada qui, selon nous, doivent être portés à l'attention du Comité et de l'ensemble des décideurs.
En règle générale, les personnes qui font une demande d'asile au Canada, que ce soit une demande présentée à un bureau intérieur, une demande présentée à la frontière ou une demande irrégulière, reçoivent le document du demandeur d'asile, appelé communément « papier brun ». Une fois munis de ce document, les demandeurs disposent de 45 jours pour soumettre les formulaires et lancer leur demande d'asile. Le papier brun leur confère certains droits au pays, notamment l'accès au Programme fédéral de santé intérimaire et la possibilité de faire une demande pour obtenir le permis de travail pour les demandeurs d'asile au Canada.
Le Comité sait déjà que le temps d'attente pour obtenir une audience devant la Commission d'immigration et du statut de réfugié, ou CISR, peut aller jusqu'à deux ans. Le papier brun est le seul document canadien d'identité avec photo remis aux demandeurs. Ceux-ci doivent être en possession de ce document pour pouvoir rester au Canada jusqu'à la tenue de leur audience.
Au début de janvier 2022, Me Pierre-Luc Bouchard et moi-même avons vu circuler deux nouveaux documents, l'un ou l'autre remis selon le point d'entrée aux demandeurs d'asile qui n'ont pas pu obtenir tout de suite leur papier brun. Intitulés « Accusé de réception de la demande d'asile » et « Entrée avec examen ultérieur », les deux documents sont des instruments bureaucratiques conçus pour retarder la remise du papier brun et priver par le fait même le demandeur d'asile de certains droits octroyés par ce document.
Initialement, les deux documents en question s'accompagnaient d'un rendez-vous fixé dans les trois à six semaines suivant la date d'entrée. C'est à ce rendez-vous que les demandeurs d'asile obtenaient leur papier brun et pouvaient ainsi commencer leur demande d'asile au Canada. Mais depuis, les délais se sont allongés, si bien que les demandeurs doivent attendre aujourd'hui de 12 à 24 mois. En outre, la date des rendez-vous est déterminée sans rigueur apparente. Par exemple, à la clinique juridique, nous avons vu un rendez-vous fixé un dimanche, 16 mois après la date d'entrée. Inutile de mentionner que les bureaux de la CISR sont fermés le dimanche. Cette pratique commence elle aussi à devenir la norme. Selon nos statistiques internes, du 1er septembre à aujourd'hui, plus de 90 % des 312 demandeurs d'asile avec qui nous avons travaillé ont reçu un accusé de réception assorti d'un rendez-vous pour l'obtention du papier brun.
En tenant compte du temps d'attente pour les audiences devant la CISR, auquel s'ajoutent désormais des délais créés par l'Agence canadienne des services frontaliers et par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, nous avons calculé que les demandeurs d'asile devaient patienter de deux à quatre ans avant d'avoir la possibilité de plaider leur cause afin de rester au Canada en sécurité. La plupart de ces personnes n'ont pas de document d'identité canadien avec photo. Ils ne peuvent pas non plus travailler, puisque les permis de travail sont traités séparément dans un délai supplémentaire de six à huit mois en raison d'une politique adoptée récemment.
Si la lourdeur bureaucratique continue de s'accroître, les effets socioéconomiques sur la population de demandeurs d'asile seront dévastateurs. Cette tactique de l'accumulation de délais contraint les demandeurs d'asile à se tourner vers l'aide sociale, privés qu'ils sont de la possibilité de travailler. Ils ne peuvent pas assurer leur subsistance, et ce, au détriment de l'ensemble de l'économie canadienne.
Qui plus est, comme ils n'ont pas de document d'identité canadien avec photo, les demandeurs d'asile à la recherche d'un logement n'ont pratiquement aucun droit. Les propriétaires d'immeubles prêts à traiter avec eux leur louent des logements vétustes moyennant des versements en argent comptant seulement. L'accès aux soins de santé est extrêmement difficile. Comme la majorité des cliniques qui acceptent le Programme fédéral de santé intérimaire ne connaissent pas l'accusé de réception de la demande d'asile, elles refusent un grand nombre de nos clients.
Ces vaines tracasseries administratives poussent nos clients dans un cycle de pauvreté systémique.
Malgré les idées reçues, le Canada a les moyens et les capacités de fournir à ses futurs citoyens des conditions de départ plus favorables et plus stables dans leur terre d'accueil. La réponse louable du Canada aux récentes crises mondiales prouve qu'il peut prendre en charge les personnes vulnérables. Le gouvernement a fourni des documents à des personnes vulnérables et a procédé avec fluidité et célérité lors des crises en Syrie et en Afghanistan, et plus récemment, pour les Ukrainiens.
De surcroît, avant la COVID‑19 et avant la réouverture des frontières, les papiers bruns étaient produits avec un nombre d'employés et de ressources moindres. Aujourd'hui, le nombre de demandes est similaire ou inférieur à ce qu'il était et le financement et le nombre d'employés ont augmenté. Il est impossible de voir une logique dans tout cela.
Je vous cède la parole, monsieur Bouchard.
:
Chers membres du comité parlementaire et chers invités, bonjour.
Je m'appelle Eva‑Gazelle Rududura, et je suis vice-présidente d'Unis pour une intégration consciente au Canada, UNICC, une organisation à but non lucratif qui a pour objectif de promouvoir l'intégration socioprofessionnelle harmonieuse des nouveaux arrivants de la diaspora burundaise et de leur permettre de contribuer au développement socioculturel de leur nouveau pays, le Canada.
Dans le cadre de l'invitation que l'organisation a reçue pour témoigner des conditions auxquelles font face les demandeurs d'asile de la communauté burundaise qui empruntent le chemin Roxham, un travail de collecte d'information a été effectué afin de recueillir leurs témoignages. En plus des informations que nous recevons régulièrement des membres de la communauté que nous accueillons et aidons à s'intégrer, nous avons discuté individuellement avec plus d'une dizaine de personnes qui sont passées par le chemin Roxham. Ayant reçu l'assurance que leur anonymat serait maintenu, elles se sont exprimées à cœur ouvert. Nous vous livrons ici un condensé de leurs témoignages.
Tous les témoignages obtenus au sujet de l'entrée au Canada par le chemin Roxham ont fait état d'un accueil chaleureux, humain et très respectueux de la part des agents des services frontaliers et des policiers. En général, les personnes qui se sont exprimées ont indiqué avoir bénéficié d'une bonne orientation relativement au déroulement des formalités administratives ainsi qu'une aide à la navigation pour obtenir les services de soutien dont elles avaient besoin.
Une femme qui est passée par le chemin Roxham alors qu'elle était enceinte nous a dit que, à son arrivée, elle a reçu des salutations en français et qu'elle s'est sentie rassurée, non seulement par la langue, mais aussi par la chaleur humaine des agents canadiens. Après l'avoir aidée dans ses démarches administratives, ils lui ont montré un endroit où elle pouvait acheter quelque chose à manger et l'ont guidé vers la station où elle a pu prendre l'autobus pour se rendre au YMCA du centre-ville de Montréal, où elle a passé la nuit. Au YMCA, elle a fait la rencontre d'une autre femme qui l'a orientée vers le bureau de l'immigration, afin qu'elle puisse signaler qu'elle préférait rejoindre son oncle qui résidait à Ottawa. Son dossier a alors été transféré à Ottawa, où elle réside aujourd'hui avec son mari et ses deux fils. Cette femme est l'épouse de l'actuel président de l'UNICC, M. Corneille Nibaruta, qui l'a rejointe quelques années plus tard. Aujourd'hui, tous les deux travaillent à la Gendarmerie royale du Canada.
Lors de nos entretiens, qui sont assez similaires sur le plan de la positivité, nous avons également recueilli le témoignage d'un jeune homme qui est arrivé il y a quelques mois par le chemin Roxham et qui ne connaissait personne au Canada. Il nous a confié que tout ce qu'il savait de ce pays, c'est qu'il pouvait y bâtir une vie qui valait la peine d'être vécue. Aujourd'hui, il a réussi à trouver un logement en colocation et attend avec impatience un permis de travail pour pouvoir intégrer la vie active.
Cet engouement pour la vie active est une marque de fabrique de la communauté burundaise vivant au Canada. Cette communauté est majoritairement composée de personnes qui ont d'abord bénéficié du statut de personne protégée. Aujourd'hui, elles se sont intégrées à la société et sont devenues des résidents permanents ou des citoyens canadiens qui contribuent à la richesse du Canada. D'ailleurs, elles en sont fières.
Parmi les membres de la communauté burundaise du Canada se trouvent des fonctionnaires des gouvernements fédéral et provinciaux, des travailleurs de la santé qui sauvent des vies et contribuent à assurer la vitalité des systèmes de santé canadiens d'un océan à l'autre, des entrepreneurs à succès qui créent des emplois et participent au renforcement de l'économie canadienne, ou encore des ingénieurs chevronnés comme cette dame canado-burundaise qui travaille sur des projets comme le bras spatial canadien ou l'arrivée de l'Internet au pôle Nord.
Une autre caractéristique non négligeable de la communauté burundaise est sa contribution considérable à la francophonie canadienne, comme le démontrent les chiffres suivants: entre 2016 et 2020, 5 % de la population immigrante francophone au Canada hors Québec était originaire du Burundi. Entre 2006 et 2016, le Burundi occupait la deuxième place après la France dans le classement des pays d’origine des nouveaux arrivants francophones en Ontario.
Finalement, les demandeurs d'asile d'aujourd’hui sont aussi les potentiels résidents et citoyens canadiens de demain, sur qui le Canada peut compter. En donnant à des milliers de demandeurs d'asile un souffle nouveau, le Canada reçoit en retour tout ce que ceux-ci ont à offrir de plus beau, que ce soit leur savoir, leurs compétences, leur force de travail ou, dans bien des cas, leur jeunesse.
Vous trouverez, en annexe de mon allocution, un article que le président de l’UNICC, M. Corneille Nibaruta, a écrit en célébration de cette terre d'accueil qu'est le Canada. Cet article a été publié dans le journal Le Droit le 28 juin 2019 et s'intitule « La reconnaissance d’un citoyen envers le Canada ». L'histoire de M. Nibaruta, qui est aujourd'hui un citoyen canadien fier et engagé, ressemble à beaucoup d'autres que nous retrouvons au sein de notre communauté. C'est une histoire qui, comme tant d'autres, a vu le jour grâce à une entrée par le chemin Roxham et qui continue aujourd’hui avec la reconnaissance d'un citoyen fier et engagé.
Je vous remercie.
:
Merci, madame la présidente.
J'aimerais tout d'abord remercier nos invités d'être ici aujourd'hui et d'avoir cette discussion sur ce sujet qui est très important.
Monsieur André, je veux vous dire que nous comprenons bien que la discrimination n'est pas quelque chose qui peut être quantifié dans des recherches. Il faut vraiment vivre la discrimination pour comprendre ce que c'est et ce qu'elle fait aux gens.
Madame Rududura, je veux vous remercier de votre beau témoignage. Vous avez bien parlé de la communauté burundaise canadienne, dont je fais moi-même partie, et vous avez grandement mentionné comment les Burundais contribuent à ce pays.
Pourquoi pensez-vous que les gens de la communauté burundaise, ou d'autres personnes, choisissent de passer par le chemin Roxham au lieu des frontières qui sont déjà là? Croyez-vous que le danger auquel ils font face les pousse à passer par le chemin Roxham, risquant ainsi beaucoup de choses pour pouvoir être au Canada?
Que pensez-vous du fait que le chemin Roxham est directement lié aux États‑Unis? Est-ce que les Burundais trouvent que les États‑Unis sont un pays sûr pour eux? Pourquoi ne restent-ils pas aux États‑Unis?
:
Merci de vos questions, madame Kayabaga.
Selon les discussions que nous avons eues avec les personnes de la communauté, j'ai cru comprendre que les personnes passant par le chemin Roxham ont parfois peur de ne pas pouvoir être acceptées parce qu'elles n'ont pas d'attache ni de famille directe dans le pays. En même temps, il y a aussi ce besoin de se retrouver dans un endroit où on se reconnaît un peu.
Au Burundi, nous sommes francophones pour la plupart. Je sais que lorsque je suis venue au Canada, d'entendre parler le français m'a rassurée. Il était déjà assez pénible d'être loin de chez moi, alors de pouvoir me retrouver dans un endroit où je pouvais me reconnaître était aussi important. Après, chacun a une histoire particulière. Il y a des personnes qui poursuivent ce rêve de se trouver au Canada.
Quand on quitte son chez-soi, autant pouvoir être dans un endroit où on peut enfin être tranquille. Il y a aussi cette impression qu'aux États‑Unis, ce ne sera pas le même climat d'accueil. Par conséquent, lorsqu'on voit un endroit pas très loin où on peut se reconnaître, on y va.
:
Je vous remercie de cette question.
Les États‑Unis utilisent justement l'Entente sur les tiers pays sûrs pour nous envoyer des gens qu'ils devraient accueillir avec respect. Il leur est plus facile de démontrer une attitude très austère, ce qui amène des gens à ne pas forcément entrer par des postes frontaliers réguliers.
Par exemple, une dame est arrivée au Canada avec son mari et leurs enfants la semaine dernière. Plutôt que de devoir attendre des mois pour un permis de travail, ils ont décidé de passer par le bois. [Difficultés techniques] pour se faire prendre par les autorités américaines.
Quand je parle de dignité, ce sont des situations comme celle-là auxquelles je pense. Il faut que le Canada démontre qu'il agit beaucoup plus correctement que cela et qu'il ouvre ses frontières régulières en éliminant l'Entente sur les tiers pays sûrs.
:
Nous ne l'avons pas recommandée, mais nous appuierions sans problème cette idée. Comme l'a dit M. André, les gens ont peur des autorités américaines.
Pour ma part, j'ai rencontré tout juste ce matin une personne de la communauté LGBTQ+ qui provenait de la Sierra Leone. Comme le font probablement plusieurs migrants, cette personne est descendue jusqu'en Équateur, car c'était le seul endroit où elle pouvait aller, et est remontée ensuite jusqu'au Canada.
En arrivant aux États‑Unis, cette personne a été détenue pendant des mois. Pour qu'elle soit libérée, un organisme communautaire de la Floride, le LGBTQ Freedom Fund, a dû fournir 5 000 $ pour payer sa caution. Une fois cette personne libérée, on lui a fixé un bracelet électronique à la cheville. Quand ses chaînes lui ont été retirées, elle s'est présentée au Canada en empruntant le chemin Roxham, et le processus de demande d'asile a alors commencé.
Il y a plusieurs cas de ce genre, et je vous épargne les détails sur la façon dont vivent les familles...
Le gouvernement canadien dit « moderniser » l'Entente sur les tiers pays sûrs. C'est le terme qu'il a utilisé. Il ne nous dit pas ce que cela signifie et ce qu'il prévoit faire dans le cadre des négociations avec les États-Unis.
Ce qu'on a vu, c'est que le gouvernement a, de façon cachée, élargi le recours à l'Entente sur les tiers pays sûrs. Dans le projet de loi omnibus d'exécution du budget , un document de 790 pages, le gouvernement a inséré l'application de l'Entente sur les tiers pays sûrs aux pays du Groupe des cinq. Ainsi, les personnes qui tentent d'obtenir l'asile au Canada sont automatiquement rejetées.
Croyez-vous que c'est la bonne chose à faire?
Ma question s'adresse aux représentants du Centre de réfugiés. Je ne sais pas qui veut y répondre.
:
Je tiens à remercier le Canada d'avoir accueilli mes parents ici. Je suis un fier Canadien d'origine haïtienne, mais je suis avant tout d'origine haïtienne. Je comprends donc les problèmes et les douleurs que vivent les gens.
J'ai reçu dans mon bureau une femme qui s'est fait violer par 15 personnes et qui a vu son mari se faire tuer. Elle est venue au Canada alors qu'elle était enceinte et elle est laissée à elle-même. Je crois que nous avons un devoir de démontrer que nous sommes réellement une société et un pays qui a des valeurs.
Je suggère définitivement qu'un permis de travail soit accordé le plus rapidement possible et qu'un numéro d'assurance sociale soit automatiquement attribué en même temps. Cela permettrait aux gens de commencer tout de suite à travailler.
Je suggère de trouver une manière d'amener les gens dans les régions en leur accordant des incitatifs pour les encourager à ne pas tous rester au même endroit et ainsi éviter une possible pénurie de logements, entre autres. Je suis très en faveur de cette idée.
Je crois également qu'il faut apporter des changements au processus d'immigration. Je remercie les avocats de tout le travail qu'ils font pour les demandeurs d'asile. Je sais que la pandémie de COVID-19 leur a imposé l'utilisation d'un nouveau portail. À mon avis, les entrevues ou les audiences virtuelles sont complètement dépourvues d'humanité, surtout lorsqu'un demandeur d'asile n'est pas aux côtés de son avocat ou qu'il se retrouve avec une connexion Wifi qui ne fonctionne pas.
Nous avons donc beaucoup de travail à faire pour trouver un moyen qui permettra aux gens d'être rassurés afin qu'ils puissent faire entendre leur voix et qu'ils se sentent acceptés ici.
:
Nous reprenons les travaux.
Au nom des membres du Comité, je souhaite la bienvenue à notre groupe de témoins.
Pour cette partie de la réunion, nous recevons l'avocate et ancienne présidente de l'Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, Maureen Silcoff. Nous recevons également les représentants de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration: Me Perla Abou-Jaoudé, avocate et Me Vincent Desbiens, avocat. Enfin, nous recevons le directeur général de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, Stephan Reichhold.
Vous disposez de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire.
Madame Silcoff, vous avez la parole.
:
Je vous remercie de l'invitation à venir témoigner.
L'Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés est une organisation nationale qui s'occupe de plaidoyer, de litige et d'éducation pour défendre les droits des réfugiés et des migrants.
Comme le l'a mentionné la semaine dernière, personne ne choisit d'être un réfugié, et les gens qui traversent la frontière entre les postes frontaliers au Canada cherchent désespérément un lieu sûr. J'ai un cas qui me hante encore. Une femme traumatisée par la violence sexiste dans son pays d'origine, à qui on a refusé le droit d'asile aux États-Unis, et désespérée à l'idée d'être déportée là où elle subirait d'autres violences, s'est rendue au Canada avec ses deux enfants mineurs en s'accrochant à l'arrière d'un train de marchandises. Sa demande d'asile a plus tard été acceptée.
Lors de son examen de l'entente en 2002, le Comité avait prévu que si les entrées irrégulières devenaient un problème et que le nombre ne diminuait pas, il faudrait suspendre l'entente ou y mettre fin.
Je vais vous expliquer pourquoi il est temps de réexaminer cette entente en vous parlant de cinq leçons apprises, et je vais ensuite vous soumettre une recommandation.
Première leçon: la façon d'entrer au pays ne nous dit rien sur le bien-fondé d'une demande d'asile. Les taux d'acceptation sont très semblables, peu importe le mode d'arrivée. Dans le cas des demandes d'asile tranchées sur le fond, le taux d'acceptation est de 66 %, et dans le cas des entrées irrégulières, il est de 61 %.
Deuxième leçon: l'Entente sur les tiers pays sûrs est la source du problème au chemin Roxham; en y mettant fin ou en créant plus d'exceptions, cela aura pour effet de répartir les entrées le long de la frontière d'un océan à l'autre et de mettre fin à la canalisation au Québec. Les villes et les provinces dans tout le Canada pourraient alors offrir des services d'établissement.
Troisième leçon: il se pourrait que les entrées à la frontière n'augmentent pas, car les gens entreraient tout simplement ailleurs. En fait, Althia Raj rapportait récemment les propos d'un haut dirigeant d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, selon qui, mettre fin à l'entente pourrait ne pas entraîner vraiment de changements, car il n'y aurait pas de chemin Roxham dans ce cas, étant donné que les gens pourraient traverser aux postes frontaliers.
La Cour fédérale a dit la même chose. Dans sa décision rendue en 2020, elle a déclaré qu'il n'y avait, en fait, aucune preuve que le nombre d'arrivées augmenterait si on mettait fin à l'entente et, de plus, que les ministères ont toujours géré les fluctuations. Il faut se rappeler que notre situation géographique fait en sorte que le Canada accueillera toujours un très petit pourcentage du nombre total de réfugiés dans le monde.
Quatrième leçon: même si on parle de modernisation, l'élargissement poussera plus de gens à entrer de façon irrégulière, sans être repérés et sans qu'il y ait de contrôle, ce qui, bien sûr, mettra plus de vies en danger.
Cinquième leçon: les gens qui arrivent par le chemin Roxham apportent une contribution importante au Canada. Beaucoup d'entre eux, par exemple, ont été des anges gardiens pendant le pic de la pandémie et ont risqué leur vie en travaillant notamment dans des établissements de soins de longue durée.
Nous pouvons donc en conclure que les effets délétères de l'entente, en ce moment, dépassent, de toute évidence, ses avantages.
Une solution est, bien entendu, de mettre fin à l'entente ou de la suspendre, mais il y a aussi une autre option. L'article 6 de l'entente permet au Canada d'exempter des catégories de personnes ou des personnes pour des motifs d'intérêt public. L'article prévoit: « Par dérogation à toute autre disposition du présent accord, l’une des parties, ou l’autre, peut, à son gré, décider d’examiner toute demande du statut de réfugié qui lui a été faite si elle juge qu’il est dans l’intérêt public de le faire. » Cet article nous donne donc toute la souplesse nécessaire pour remédier aux problèmes actuels.
Le Canada n'utilise actuellement qu'une seule exception liée à l'intérêt public, soit pour les gens qui font face à la peine de mort. Il y en a déjà eu une deuxième, comme il a été mentionné, qui s'appliquait aux ressortissants des pays vers lesquels le Canada n'expulse pas de gens. Cette exception a pris fin en 2009.
Les options qui s'offrent à nous à l'heure actuelle pourraient être notamment d'accorder plus d'exceptions, d'autoriser les revendications fondées sur le sexe qui, malgré l'annulation de la décision « Affaire A‑B‑ », demeurent assujetties à beaucoup de restrictions. En fait, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a recommandé d'utiliser des exceptions pour des motifs d'intérêt public dans ses commentaires sur le projet de réglementation du Canada en 2002, ce qui inclut les revendications fondées sur le sexe.
De plus, on pourrait aussi créer des exceptions pour les personnes vulnérables qui sont refoulées à la frontière et envoyées dans des prisons aux États-Unis. Voir des enfants dans des cages nous montre un aspect épouvantable d'un système dans lequel on emprisonne des personnes vulnérables qui sont simplement en quête de sécurité.
Les exceptions pour des motifs d'intérêt public sont un pilier de notre système d'immigration. Il serait tout à fait logique de s'en servir actuellement.
:
Bonjour à tous et merci de votre invitation.
L'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration, l'AQAADI, a été fondée il y a plus de 30 ans et regroupe plus de 460 avocats et avocates travaillant dans le domaine particulier du droit de l'immigration et de la protection des réfugiés.
L'AQAADI soutient que la seule solution pour protéger la santé, la sécurité et l'intégrité des demandeurs d'asile est d'abolir l'Entente sur les tiers pays sûrs. Effectivement, en l'absence de cette entente, il y aurait une meilleure répartition du nombre de demandeurs d'asile au Canada. De plus, cela permettrait à ceux-ci d'avoir un meilleur accès aux services sociaux et juridiques dont ils ont besoin, sans pour autant entraîner une augmentation des demandes d'asile.
Toutefois, en raison de cette entente, la majorité des demandeurs d'asile entrent au Québec en faisant une demande dès leur entrée, ce qui entraîne des répercussions considérables pour ces personnes qui ont déjà trop souffert. Les demandeurs d'asile arrivent au Québec, mais le système est déjà surchargé. Il faut garder à l'esprit que ces êtres humains qui se présentent à nos frontières le font dans l'espoir d'obtenir la protection du Canada, puisque leur vie est en danger. Leur quête ne peut être couronnée de succès que si nous leur offrons les outils nécessaires pour faire valoir convenablement leurs revendications, et cela passe bien évidemment par l'accès à la justice.
Plusieurs ne sont pas en mesure de trouver un avocat, ce qui nuit à la présentation de leurs revendications et, de ce fait, les empêche d'obtenir à long terme la sécurité convoitée. Il va de soi que cette incapacité à avoir accès à la justice engendre chez ces nouveaux arrivants une grande détresse psychologique et émotionnelle, à court et à moyen termes. Nous, les avocats sur le terrain, le constatons quotidiennement. Non seulement les demandeurs d'asile ont de la difficulté à trouver un avocat, mais ils ont aussi de la difficulté à trouver de l'aide auprès des organismes voués à l'aide au logement, entre autres.
Certains diront que, bien que l'arrivée des demandeurs d'asile ait lieu au Québec, ceux-ci peuvent se déplacer rapidement ailleurs au Canada. À vrai dire, la réalité est tout autre.
Premièrement, leur mobilité est restreinte, car ils doivent attendre la réception de leur permis de travail par la poste pour subvenir aussitôt que possible à leurs besoins. Ils vivent dans la précarité financière, alors que l'accès au logement est déjà difficile et que le prix de la nourriture ne fait que grimper. Durant ce temps, l'ensemble des services sociaux disponibles en vue de leur intégration débute au Québec, sur les plans tant juridique que social. Une fois que les demandeurs ont trouvé un avocat, loué un logement et inscrit leurs enfants à l'école, il devient beaucoup plus difficile pour eux d'aller vivre ailleurs. Il va de soi qu'un système plus rapide de délivrance des permis de travail doit être envisagé.
Parallèlement à cela, nous ne pouvons passer sous silence le fait que, dès leur arrivée au Canada, ces personnes migrantes ne peuvent être encadrées de manière humaine et sereine, comme elles le méritent, par le personnel à la frontière. En effet, en raison de l'important volume de demandes, le personnel à la frontière ne dispose pas du temps nécessaire pour s'assurer que les demandeurs comprennent bien les informations essentielles à leur dossier, ce qui cause une anxiété importante. Leur intégrité psychologique et émotionnelle en pâtit grandement, particulièrement dans un système où le processus est de plus en plus complexe et requiert un accès à la technologie, ce dont ces nouveaux arrivants ne bénéficient que très rarement. Le tout se passe dans des délais règlementaires très courts.
Dans certains cas, les familles sont séparées et les membres ont difficilement accès aux informations relatives à leurs proches, par exemple si l'un des membres de la famille est détenu ou hospitalisé. Cela cause stress et panique à chacun des membres de la famille qui ignore le sort de l'autre. Trop souvent, ceux-ci arrivent à nos bureaux déboussolés et dans un état de très grande précarité. L'avocat doit alors pallier les acteurs étatiques pour informer convenablement ces gens du processus de leurs revendications.
Pour finir, certains moyens ont été mis en place afin de tenter de répartir plus équitablement les demandeurs partout au Canada, ce qu'empêche l'Entente sur les tiers pays sûrs. À cet égard, plusieurs personnes ont été transférées du Québec à l'Ontario. Malheureusement, plusieurs d'entre elles ne comprenaient pas ce qui se produisait ou ne souhaitaient pas changer de province. Elles n'avaient pas réellement le désir d'aller vivre sur le territoire ontarien et de subir un autre parcours migratoire, ayant déjà suffisamment souffert pour parvenir jusqu'au Canada.
Plusieurs personnes détenues au Québec ont été transférées dans un centre de détention de l'Ontario, alors que toute leur famille était en liberté au Québec. Une fois remises en liberté, elles ont dû revenir par elles-mêmes en sol québécois. Nous ne pouvons qu'imaginer l'angoisse des familles à l'idée d'une telle séparation. Nous soutenons respectueusement que ces tentatives de pallier les situations qu'entraîne cette entente ne font qu'aggraver la situation, en plus d'être infructueuses et contre-productives.
De plus, la simple fermeture du chemin Roxham serait encore plus dévastatrice que le statu quo si nous conservions l'Entente sur les tiers pays sûrs. Gardons en mémoire les nombreux migrants qui ont mis leur vie et leur intégrité en danger en tentant de traverser nos frontières en plein hiver ou en passant par des zones dangereuses. Fermer le chemin Roxham n'empêcherait pas les demandeurs d'asile de venir au Canada, mais, s'ils traversaient la frontière n'importe où, cela réduirait lacapacité du gouvernement à les identifier rapidement, comme il le fait actuellement au moyen de leurs empreintes digitales et de leurs papiers d'identité.
En définitive, nous soumettons respectueusement que, en raison de l'Entente sur les tiers pays sûrs, la sécurité, l'intégrité et la santé des personnes et des familles migrantes sont en péril, non seulement à court terme, mais aussi à long terme.
Les répercussions s'échelonnent sur plusieurs années et elles peuvent même aller jusqu'à priver de son sens notre système de demande d'asile, à savoir que ceux qui méritent la sécurité obtiennent la protection du Canada.
Merci.
:
Merci, madame la présidente.
Bonsoir, tout le monde.
Je suis le directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, qui regroupe 160 organismes d'accueil et de soutien à l'établissement se consacrant à accueillir les nouveaux arrivants, que ce soit des personnes réfugiées, immigrantes ou sans statut.
Mes considérations viseront plutôt des aspects sociosanitaires, vu que les aspects juridiques sont bien couverts par tous les avocats qui sont présents aujourd'hui. Je vais parler davantage de la perspective actuelle des organismes. Comme on l'a mentionné tout à l'heure, il y a une urgence humanitaire sanitaire au Québec actuellement. Tout le monde en est conscient, mais il reste qu'il faut prendre des mesures.
Je ne sais pas si le dispositif d'accompagnement du Québec, qui existe depuis plusieurs décennies et qui est unique au Canada, vous est familier. Si un demandeur d'asile, qu'il soit régulier ou irrégulier, arrive au pays et qu'il a besoin d'être pris en charge sur le plan de l'hébergement, il le sera par les services sociaux du Québec, plus précisément par le PRAIDA, le Programme régional d'accueil et d'intégration des demandeurs d'asile. Ce dernier leur fournit un hébergement temporaire pendant trois ou quatre semaines en moyenne, jusqu'à ce qu'ils obtiennent leur premier chèque d'aide sociale. Après, on leur demande gentiment de quitter le site d'hébergement temporaire et de se débrouiller tout seuls.
Cela a bien fonctionné au cours des dernières années, mais, en raison du volume actuel de demandes d'asile, le système ne fonctionne plus. D'ailleurs, le gouvernement du Québec a annoncé au fédéral qu'il fixait un plafond quant à ses capacités d'hébergement. Je pense qu'il est de 1 200 lits, à peu près. Le fédéral prend lui aussi en charge des personnes dans des hôtels, 14 en ce moment, dans la région de Montréal. Cet hébergement est temporaire, mais il n'inclut aucun service, les services médicaux et sociaux étant assurés par les services sociaux du Québec.
Cela crée énormément de pression sur les organismes qui essaient habituellement d'aider les demandeurs d'asile, comme mon collègue M. Frantz André l'a expliqué en parlant de son travail. Comme c'est le cas dans le reste du Canada, ces organismes, surtout caritatifs, ne reçoivent pas d'argent et doivent donc se financer au moyen de fondations ou de collectes de fonds.
Il faut dire aussi que les services sont très limités. Au Québec comme ailleurs au Canada, les demandeurs d'asile ont droit à très peu, ce qui se résume vraiment aux services essentiels, notamment à une couverture médicale de base. On estime que, depuis janvier, le Québec a accueilli à peu près 45 000 personnes sur les 72 000 demandeurs d'asile qui sont arrivés au Canada, qu'ils soient réguliers ou irréguliers, une distinction que personne ne fait en matière de services ou d'hébergement, d'ailleurs.
Les organismes d'aide à l'établissement sont saturés et ils n'ont plus de capacité. De plus, comme on l'a mentionné tout à l'heure, la lourdeur des cas est de plus en plus inquiétante, ce qui cause un débordement sur les réseaux communautaires responsables des non-immigrants, comme les organismes œuvrant pour la famille, les jeunes, les itinérants et les femmes. Ces organismes mettent la main à la pâte pour dépanner ces individus et les aider à survivre.
Alors que l'hiver arrive actuellement, nous sommes très inquiets. Nous en sommes vraiment à un point de rupture dans la région de Montréal, en raison du volume de demandes d'asile. Bien que ce volume ne se compare pas à ce qui se passe en Europe ou à la frontière mexicaine, il met tout de même beaucoup de pression sur les organismes bénévoles.
Nous proposons et nous demandons au gouvernement fédéral de mettre en place, peut-être avec le ministère québécois de la Sécurité publique et la Croix-Rouge, un système d'hébergement à plus long terme, au moins pendant l'hiver et surtout pour les familles plus vulnérables. Vu la crise du logement, il est quasiment impossible de trouver un endroit où se loger. Le taux de fréquentation des centres d'hébergement pour les itinérants est donc à la hausse, ce qu'on veut absolument éviter. C'est l'une de nos recommandations pour le gouvernement fédéral.
La situation qui prévaut entre le Canada et le Québec rappelle un couple divorcé qui ne veut pas s'entendre sur la prise en charge des enfants. Chacun renvoie la balle à l'autre et les deux se chicanent tout le temps, de sorte que les enfants sont laissés à eux-mêmes. C'est un peu ce à quoi ressemble la situation actuelle des demandeurs d'asile.
Il est important que le fédéral et le Québec s'entendent pour mettre en place des mesures d'urgence...
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Je remercie tous les témoins d'être avec nous aujourd'hui. Vos témoignages nous sont utiles.
Madame Silcoff, je voulais vous poser la question suivante. Nous avons entendu un point de vue différent, à savoir que si on supprime l'Entente sur les tiers pays sûrs, il y aurait probablement une augmentation du nombre de migrants arrivant au Canada. Vous avez mentionné dans votre troisième point, je pense, que ce nombre pourrait ne pas augmenter, puis vous avez parlé d'une journaliste qui a écrit un article.
Avez-vous des preuves concrètes, outre cela, qui expliqueraient pourquoi ce serait le cas?
:
Merci, madame la présidente.
Je remercie tous les témoins qui sont ici présents dans le cadre de cette importante étude.
Monsieur Reichhold, je pense qu'il est assez évident qu'il faut distinguer entre fermer le chemin Roxham et suspendre l'Entente sur les tiers pays sûrs. Ce sont deux choses complètement différentes. Je suis sincèrement d'accord avec vous que, si on essaie de monter un grillage, il y a de bonnes chances que les gens essaieront de le contourner.
Je veux m'adresser aux représentants de l'AQAADI et je crois que c'est vous, maître Abou‑Jaoudé, qui allez répondre aux questions.
J'ai entendu Me Desbiens souligner dans son allocution qu'il y avait des lacunes sur le plan de l'accès, non seulement à certains outils nécessaires, dont les services d'un avocat, par exemple, mais aussi à certains autres services de base. Pouvez-vous nous en parler plus en profondeur?
:
Je pense que mon collègue Frantz André a bien décrit la situation qu'il vit en tant qu'aidant.
Au moment où nous nous parlons, des gens sont dehors sans manteau, sans vêtements, et ils n'ont pas mangé depuis trois jours. Ce phénomène est très concentré autour des hôtels loués par le gouvernement fédéral dans Saint‑Laurent, Ahuntsic ou Bordeaux‑Cartierville, et cela déborde maintenant dans La Petite‑Patrie et Villeray. On parle de milliers de personnes.
La semaine dernière, il y avait à peu près 5 000 personnes en hébergement temporaire, fédéral et québécois. Ils y restent pendant environ trois à quatre semaines. Ensuite, une fois qu'ils quittent les hébergements temporaires, ils sont laissés à eux-mêmes. Ils vont donc frapper à toutes les portes. Or, il y a de moins en moins de portes où frapper.
Avec un chèque de 750 $ par adulte, on ne peut pas trouver de logement ni nourrir une famille. Il y a beaucoup d'enfants dans le lot. On voit aussi une augmentation importante de femmes enceintes, qui sont incapables de voir un médecin.
J'appelle cela une urgence humanitaire. Les gouvernements devraient se responsabiliser et, comme dans les cas de catastrophes naturelles, mettre en place des ressources.
:
Encore une fois ici, je pense qu'il est vraiment utile de se pencher sur les catégories ou les classes précises de personnes qui se heurtent à un système qui ne les protège pas et qui comporte de graves lacunes. Si le système ne fonctionne pas adéquatement, les personnes risquent d'être refoulées à la frontière, ce qui veut dire qu'elles seront déportées dans leur pays d'origine où elles seront à nouveau persécutées.
Je tentais un peu plus tôt de parler de l'interdiction d'un an. Les personnes qui ne demandent pas tout de suite l'asile ne peuvent être admises dans le système. Il existe beaucoup de raisons qui font en sorte qu'une personne n'agit pas tout de suite — parce qu'elle est traumatisée, parce qu'elle a honte, pour des raisons culturelles —, alors cela touche principalement les revendications fondées sur le sexe.
Nous savons que des personnes peuvent ne pas présenter de demande, et si ensuite elles arrivent à la frontière et sont refusées en raison de l'Entente sur les tiers pays sûrs, elles sont alors vraiment en difficulté aux États-Unis, car elles ne sont pas admises dans le système d'asile. C'est une autre catégorie de personnes qui sont touchées.
De plus, certaines personnes risquent d'être emprisonnées. Nous savons que le Canada traite la détention d'une façon très différente des États-Unis. Au Canada, la détention est considérée, tant du point de vue de la jurisprudence que des politiques, comme un dernier recours. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés précise que les personnes en quête de protection ne devraient être détenues qu'en dernier recours. Les États-Unis voient la détention d'une façon très différente. Ils la voient comme un outil de gestion de l'immigration. La situation s'est aggravée sous l'administration Trump, mais elle existait avant et elle existe encore aujourd'hui. Lorsqu'une personne est en prison aux États-Unis, elle se trouve en graves difficultés, ce qui est très différent du Canada, alors nous avons là une autre catégorie de personnes qui sont vulnérables.
:
Je suis désolée de vous interrompre. Le temps dont disposait Mme Kwan est écoulé.
Le segment réservé à ce groupe d'experts est donc terminé.
Je tiens à remercier tous les témoins d'avoir comparu devant le Comité aujourd'hui. Merci beaucoup de vos importants témoignages. S'il y a quelque chose que vous souhaitez porter à l'attention du Comité, vous pouvez toujours faire parvenir des observations écrites à notre greffière. Elles seront distribuées à tous les membres et nous en tiendrons compte lors de la rédaction de notre rapport.
Sur ce, nous allons suspendre la séance. Tous les députés qui participent virtuellement devront se débrancher, puis se rebrancher à la réunion à huis clos, où il sera question des travaux du Comité.
Tous les témoins peuvent maintenant quitter la réunion.
Les députés sont priés de se débrancher, puis de se rebrancher pour la portion à huis clos de la réunion. Nous aurons quelques minutes pour discuter des travaux du Comité.
[La séance se poursuit à huis clos.]