:
Merci, madame la présidente.
Mon propos de ce matin sera bref, d'autant plus que je suis un peu essoufflée.
Je traiterai de trois points. En premier lieu, je reviendrai sur l'origine et l'état actuel de l'affaire judiciaire opposant la SRC et la commissaire à l'information. Deuxièmement, je parlerai de la performance de la société pour ce qui est de la Loi sur l'accès à l'information. Et en troisième lieu, j'exposerai la situation des radiodiffuseurs publics dans d'autres secteurs de compétence et je proposerai certains changements possibles à notre loi pour le cas où le comité souhaiterait revoir le texte législatif actuel dans le cadre de ses délibérations.
[Français]
Premièrement, permettez-moi de vous présenter Me McCarthy, nouvelle avocate générale du commissariat et présentement commissaire adjointe intérimaire aux enquêtes.
[Traduction]
Le différend entre le commissariat et la société remonte à 2009. Le commissariat faisait enquête sur des plaintes contre la SRC, qui refusait de communiquer des documents en invoquant l'article 68.1 de la loi. Cet article soustrait à l'application de la loi les renseignements qui se rapportent aux activités de création, de programmation ou de journalisme de la SRC, à l'exception des renseignements qui ont trait à son administration.
Dans le cadre de nos enquêtes, nous avons demandé à la SRC de nous fournir des renseignements qu'elle avait refusé de communiquer afin de nous permettre de voir si sa décision sur la communication se justifiait ou si les renseignements refusés étaient couverts par l'exception à l'exclusion. La SRC a refusé de nous fournir les renseignements en question, si bien que le commissariat a émis une ordonnance de communication à la SRC relativement à certaines plaintes. Le même jour, la société a demandé un contrôle judiciaire en vertu de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales pour contester le pouvoir du commissariat d'obtenir des documents qu'elle disait exclus en vertu de l'article 68.1.
La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la SRC, qui en a appelé de cette décision. La Cour d'appel fédérale a entendu l'appel le 18 octobre 2011 et a mis l'affaire en délibéré, ce qui limite ma capacité de la commenter.
[Français]
Étant donné le processus judiciaire en cours, le commissariat a jusqu'ici suspendu l'enquête relativement à 196 plaintes de refus où la SRC a invoqué l'article 68.1.
Certaines de ces plaintes remontent à l'année 2007. Étant donné le délai qui s'était écoulé depuis leur dépôt, j'avais fait part à ce comité, en mars 2009, de ma crainte que l'incapacité de récupérer les documents pertinents puisse avoir des répercussions négatives sur le droit d'accès à l'information des Canadiens.
[Traduction]
Je peux vous informer du fait que, depuis notre dernière comparution sur la question, la SRC a assuré le commissariat qu'elle a commencé à récupérer les documents pertinents pour répondre aux plaintes qui ont été mises en suspens, mais il n'est toujours pas confirmé que la SRC a localisé et récupéré les documents pertinents dans tous les cas.
[Français]
Madame la présidente, j'ai déposé auprès du comité, ce matin, un bref aperçu statistique de la performance de la Société Radio-Canada depuis qu'elle est assujettie à la loi.
En somme, il est clair que la performance de la société s'est améliorée depuis son assujettissement à la loi, en 2007. Par contre, je conserve certaines sérieuses inquiétudes. Je m'explique.
[Traduction]
Depuis qu'elle est assujettie à la loi, la SRC a reçu environ 1 400 demandes d'information. Près de 1 100 de ces demandes ont donné lieu à des plaintes au commissariat. Cependant, comme vous pouvez le voir dans le document que j'ai remis au comité, le nombre de plaintes par rapport au nombre de demandes n'a pas cessé de diminuer d'année en année. L'an dernier, un rapport spécial a mis en lumière que la SRC a mis, en moyenne, 158 jours pour traiter les demandes d'accès à l'information et avait un taux de présomption de refus de près de 60 p. 100.
Nous n'avons pas encore vérifié cette information, mais la SRC fait état d'importantes améliorations de ces chiffres dans son dernier rapport annuel au Parlement, où elle parle d'une moyenne de 57 jours et d'un taux de présomption de refus de 22 p. 100 pour le dernier exercice. Dans son site Web, elle fait par ailleurs état d'importantes améliorations pour le présent exercice, qui n'est pas encore terminé.
Malgré ces progrès, je garde de sérieuses réserves. En plus des cas actuellement en attente de règlement du litige, le commissariat a encore près de 180 enquêtes en cours à la SRC. Je suis d'avis, à ce stade-ci, que le niveau actuel de ressources au bureau d'accès à l'information de la SRC n'est pas suffisant pour gérer les enquêtes sur ces plaintes avec mon personnel. À moins d'un changement des niveaux actuels de ressources, la situation risque de s'aggraver lorsque débuteront les enquêtes sur les 196 « plaintes en suspens ».
Je suis aussi très préoccupée par les lignes directrices pour l'interprétation de l'article 68.1, que la SRC a publiées récemment. Les lignes directrices précisent qu'une demande d'accès peut être d'emblée refusée par la personne qui détient le pouvoir délégué, si cette personne conclut, à la seule lecture de la demande d'accès à l'information, qu'un renseignement est manifestement exclu de l'application de la loi en vertu de l'article 68.1. À mon avis, les personnes qui ont le pouvoir délégué de décider si l'information est ou n'est pas couverte par l'exclusion prévue à l'article 68.1 doivent examiner personnellement les documents pertinents pour prendre une décision valide selon la loi, y compris sur les prélèvements à faire, s'il y a lieu, pour maximiser la communication.
[Français]
Il est donc encourageant de voir que les dernières statistiques révèlent une amélioration graduelle de la performance de la part de la société. Cependant, si la raison des améliorations des délais de réponse aux demandes est que la SRC ne récupère pas et ne traite pas les documents conformément à la loi, comme permettent de le croire les lignes directrices récemment publiées, alors l'abrégement des délais de réponse ne reflète peut-être pas une amélioration de la performance.
Cela étant dit, le commissariat n'a pas encore eu l'occasion de discuter de ces lignes directrices avec les responsables de la SRC. Je compte le faire sous peu. En fait, c'est en préparant ma présentation destinée au comité que j'ai pris connaissance de ces lignes directrices, qui me causent évidemment de sérieuses inquiétudes. Nous ferons également un suivi de la performance de la SRC au cours du prochain exercice, dans le cadre de nos fiches de rendement.
[Traduction]
J'ai aussi déposé auprès du comité une revue de la législation sur l'accès à l'information en Australie, en Irlande et au Royaume-Uni en ce qui a trait à l'assujettissement des radiodiffuseurs publics. J'ai aussi mis dans ce document certaines suggestions de changement pour le cas où le Comité souhaiterait se pencher sur notre loi.
En un mot, la situation dans les pays observés est que les radiodiffuseurs publics sont assujettis à la législation sur l'accès à l'information, que les activités de programmation et de journalisme sont couvertes par voie d'exclusions dans leurs lois respectives, que les organismes de surveillance ont le pouvoir d'examiner les documents pour vérifier l'application de l'exclusion, et qu'ils peuvent en ordonner la communication. Au Royaume-Uni, la capacité du commissaire à l'information d'examiner les documents découlait également d'une décision des tribunaux.
J'ai aussi inclus certains changements possibles à notre loi parce que, à titre de commissaire à l'information et comme mes prédécesseurs l'ont aussi préconisé, je crois que les exceptions à l'application de la loi doivent être limitées et spécifiques et qu'elles doivent reposer sur le préjudice probable. Le libellé des exceptions devrait être clair et objectif, ce qui est compatible avec les dispositions existantes de la loi.
Les exceptions fondées sur le préjudice probable exigent que l'institution publique établisse une attente raisonnable de préjudice, en s'appuyant sur des données précises. Une exemption discrétionnaire fait en sorte que le responsable de l'institution publique tiendra compte de l'intérêt public pour la communication de l'accès à l'information demandée, même là où l'information est par ailleurs admissible à l'exemption.
[Français]
Madame la présidente, je suis convaincue que les changements que je suggère seraient compatibles avec les objectifs qui sous-tendent la Loi sur l'accès à l'information et protégeraient l'indépendance de la SRC en matière de journalisme et de programmation.
Je vous remercie de m'avoir donné le privilège d'être ici ce matin. Je suis prête à répondre à vos questions.
:
Comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, j'ai regardé cela sur le site Web de la SRC pendant que je ne me préparais à comparaître devant le présent comité. J'ai regardé ces lignes directrices, qui ont été publiées très récemment. J'ignorais leur existence et je vais faire un suivi sur cette question.
Le comité pourrait également faire un suivi de cette question lorsque la SRC comparaîtra devant lui. Je vais certainement en faire un.
Je suis extrêmement préoccupée. Si c'est exactement de cette façon que je les ai lues et comprises, je vais très certainement devoir m'entretenir de cette question avec la direction de la SRC et faire une recommandation, à sa face même, que l'on mette immédiatement fin à cette pratique.
L'autre chose qui me préoccupe, si c'est là la pratique, c'est que s'il y a une plainte consécutive à celle-là, il y a un délai de 60 jours pour présenter une plainte à mon bureau. Si les documents n'ont pas été récupérés en premier lieu, cela crée encore plus de délais une fois que la plainte arrive à mon bureau.
De même, j'ignore quelles sont les dispositions législatives qui régissent la conservation et la disposition des documents à la SRC. Qu'en est-il des documents électroniques? Si une demande arrive le premier jour du mois et, essentiellement, aucun document n'est récupéré, et qu'on dit au demandeur que tout est exclu en vertu de l'article 68.1, et que je reçois une plainte à mon bureau 60 jours plus tard, combien de documents…? Des documents électroniques, des messages de BlackBerry — il peut s'agir de documents passagers, mais au moment de la demande, il y a une obligation de conserver ces documents.
Alors, je suis vraiment préoccupée par cette pratique. Je vais certainement faire un suivi avec la direction de la SRC. Je pense que si on fait cela, c'est une pratique erronée et douteuse.
:
Je ne vais rien dire à propos de ce que la SRC cache ou non.
Comme je l’ai dit, nous traitons en ce moment 375 cas. Cent quatre-vingt-seize sont en attente, et je dois encore enquêter sur 179 d’entre eux. Sur un total d’environ 2 000 cas, voilà comment les choses se présentent. Deux mille est un chiffre approximatif; je ne connais pas le dernier compte. Cela vous donne une idée de l’importance du volume de cas, tant à mon bureau qu’au leur, car ces cas doivent être traités.
En ce qui concerne les frais juridiques, je suis toujours très fière de dire qu’à mon avis, le CIC est une organisation très frugale mais, pendant les deux premières années, nous avons fait appel à des services de gestion des litiges externes. Donc, la première année, ces services nous ont coûté 19 000 $, et 12 000 $ la deuxième année. Nous avons de la chance que, dans le secteur privé, de nombreux avocats de très haut niveau soient prêts à travailler pour notre bureau pour des honoraires très faibles. Maintenant, nous avons des conseillers juridiques internes. J’ai augmenté le nombre d’avocats de mon bureau, et je modifie légèrement la façon dont nous exerçons nos activités. Cette année, si l’on fait abstraction du salaire de l’avocat qui, de toute manière, travaille sur d’autres cas au bureau, nous avons engagé jusqu’à maintenant des frais de 628 $ pour gérer les litiges. Voilà mes frais. Je ne connais pas ceux de la SRC.
:
Je vous remercie. Bonjour à tous.
[Traduction]
Bonjour à tous. Merci de m'accueillir aujourd'hui. Comme je suis professeur à la chaire de recherche sur la francophonie canadienne en communication, je suis persuadé que vous comprendrez que c'est en français que je ferai ma déclaration et que je répondrai à vos questions.
[Français]
Je ferai quelques remarques introductives. Je ne lirai pas tout mon mémoire en comité. Je vais vous en faire le résumé.
Comme je l'ai mentionné dans le mémoire, je ne suis ici ni comme ami ni comme adversaire de Radio-Canada. Je suis ici en tant que chercheur qui mène des recherches empiriques depuis de nombreuses années, en tant qu'observateur des médias depuis 30 ans et en tant que personne ayant exercé la profession de journaliste pendant 20 ans, dont 14 années passées au service de Quebecor Media au Journal de Québec.
J'ai publié des articles scientifiques et des livres, des ouvrages qui adoptaient une position assez critique face à CBC/Radio-Canada, notamment dans l'étude que j'ai réalisée sur les décisions de l'ombudsman de Radio-Canada. De plus, j'ai participé à quelques reprises à des causes qui se sont rendues jusqu'en Cour suprême, en tant qu'expert s'opposant à certaines prétentions de Radio-Canada.
Je ne suis donc pas venu en comité pour défendre Radio-Canada. Je n'ai aucun lien de consultant ou de chercheur avec elle. Néanmoins, je crois qu'il y a des choses importantes à dire.
Je veux également mentionner qu'en ce qui concerne mes travaux, l'étendue de mon expertise se limite aux pratiques journalistiques. Elle n'a rien à voir avec le bilan culturel de Quebecor Media, qui est un acteur important dont la participation en matière culturelle au Québec est très positive. Mon propos se limite surtout à la dimension journalistique.
Au fond, je veux vous exposer ici le contexte général afin d'expliquer pourquoi nous nous retrouvons tous réunis en comité aujourd'hui.
Depuis quelques années, on constate que Quebecor Media mène ce que j'appelle une croisade contre Radio-Canada, une croisade qui, à mon avis, est à la fois commerciale et idéologique. C'est dans ce contexte qu'il faut analyser le litige qui oppose Radio-Canada à la commissaire à l'information.
Selon mon opinion, la stratégie de Quebecor face à Radio-Canada vise avant tout à servir des intérêts particuliers, propres à l'entreprise — qui sont légitimes, soit dit en passant —, et très peu à servir l'intérêt public.
Je crois que cet objectif comprend notamment une campagne de presse — j'allais parler, comme certains, d'une campagne d'abus de presse — qui cherche à mobiliser une certaine opinion et, indirectement, des parlementaires comme vous. Je crois que l'un des buts est d'affaiblir Radio-Canada, dont le service de télévision est un concurrent important, surtout dans le marché québécois. Dans cette optique, Quebecor vise à accroître ses revenus et ses profits, qui sont déjà très élevés, compte tenu du haut taux de concentration et de convergence qui existe au Canada et qui est l'un des plus élevés en Occident. C'est le contexte dans lequel il faut étudier cet enjeu.
La stratégie de Quebecor se déploie sur deux fronts. L'un m'intéresse beaucoup plus que l'autre: c'est le front journalistique. Je considère qu'il s'agit d'une sorte de détournement de la mission journalistique des journalistes d'opinion et d'information qui sont à l'emploi de Quebecor. L'autre front, c'est le grand nombre de demandes d'accès à l'information, et c'est sans doute ce qui intéresse plus particulièrement le comité. À mon avis, cette stratégie journalistique soulève des questions très importantes sur le plan de l'éthique, de la déontologie et de l'intégrité journalistique.
Pour arriver à ses fins, Quebecor avait parmi ses stratégies celle de mettre plusieurs journalistes dans le coup, c'est-à-dire de les embrigader — j'utilise des termes plus imagés. Dans certains cas, cette forme d'embrigadement n'a pas touché que Radio-Canada; on l'a vue dans d'autres cas. J'ai moi-même entendu des témoignages de journalistes à cet effet. Ceux qui ont été un peu attentifs se souviendront qu'il y a un an, certains journalistes ont publiquement dénoncé qu'on les ait obligés ou incités à faire des articles et des reportages très négatifs à l'égard des concurrents. Je n'entrerai pas dans les détails, mais des courriels ont circulé à ce sujet.
Au cours des derniers mois, des journalistes de Quebecor Media m'ont demandé de commenter, en tant qu'expert, des situations touchant Radio-Canada. Comme mes commentaires n'entraient visiblement pas dans la ligne escomptée, ils n'ont jamais été publiés. Je conviens qu'il s'agisse d'une sorte de liberté éditoriale, mais ça s'ajoute au contexte général.
On pourrait croire que ce sont des faits anecdotiques. Or, en 2007, j'ai mené une enquête statistique sur une grande cohorte de journalistes québécois. Cette enquête nous révélait que les journalistes qui se sentaient les plus mal en point, ceux qui déploraient le plus l'autocensure et le manque de liberté, c'étaient les journalistes de Quebecor. On a comparé cette cohorte de journalistes avec celle de Power Corporation ou de Gesca, au Québec, et celle de Radio-Canada. Il y avait chez ces journalistes ce que je considérais être une détresse professionnelle. Les journalistes eux-mêmes, et en grand nombre, avaient l'impression que leur travail consistait assez souvent ou très souvent à servir les intérêts de l'entreprise plutôt que l'intérêt public.
Je crois que c'est dans ce contexte général qu'il faut étudier le litige qui vous intéresse particulièrement.
Ce détournement de la mission journalistique prend notamment appui sur la Loi sur l'accès à l'information. Des centaines de demandes d'accès à l'information, ce n'est pas à discréditer. Je me souviens avoir demandé publiquement, en 2002, par l'entremise d'une analyse publiée dans un journal, que Radio-Canada ait une plus grande obligation de rendre des comptes.
La question de la reddition de comptes de CBC/Radio-Canada n'est pas quelque chose de nouveau. Cependant, elle a pris une tournure différente. Il faut définir le contexte dans lequel elle s'inscrit. Il en a découlé ce litige juridique dont a parlé tout à l'heure la commissaire à l'information.
Comme professeur de journalisme, comme politologue et comme ancien journaliste, voire comme citoyen, je m'inquiète un peu de voir qu'on discute en comité parlementaire de litiges qui sont devant les tribunaux. Je suis toujours inquiet devant cette menace à l'indépendance juridique. Je me sens un peu comme mon collègue Sébastien Grammond, doyen de la Section de droit civil de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, qui y voyait une attaque sans précédent contre la magistrature et l'indépendance judiciaire.
Je crois donc qu'il faut faire attention à ça, bien sûr, tout en comprenant le contexte dans lequel ces choses s'inscrivent.
Je crois également que Radio-Canada doit avoir une obligation accrue de rendre des comptes. Je crois que tout le monde le souhaite. Il faut voir maintenant dans quelle mesure cela se fait.
Nonobstant le litige sur les 500 millions de dollars évoqué au cours de la dernière semaine, il y a des lieux de reddition de comptes en journalisme, et cela s'applique à tout le monde. Or j'ai observé au cours des deux dernières années que Quebecor Media s'était retirée de tous les lieux de reddition de comptes journalistique, soit le Conseil de presse du Québec et le Conseil de presse de l'Ontario. Quebecor Media va même, dans certains cas, jusqu'à mettre en demeure ou menacer de poursuivre, en quelque sorte, les membres du Conseil de presse du Québec si leurs décisions peuvent porter ombrage ou nuire à Quebecor.
De mon point de vue, il faut aborder cette question dans ce contexte général que je vous énonce ce matin. Bien sûr, je ne suis pas juriste, je n'ai pas cette prétention, mais je crois qu'il y a une autre dimension importante. De fait, le nom de votre comité comprend aussi la notion d'éthique, et je crois que cette dimension doit vous préoccuper aussi.
L'éthique est affaire de jugement moral, mais elle met en cause des valeurs comme la dignité, l'équité et l'intégrité. D'une certaine façon, personne ne devrait s'élever au-dessus de ces valeurs. Je crois aussi que ces valeurs sont bafouées par des hommes et des femmes qui prennent des décisions tant dans les entreprises privées que dans les grandes administrations publiques.
Ce sont les raisons pour lesquelles je suis un peu inquiet de voir qu'on discute de ces choses en public alors que des procédures juridiques sont en cours.
:
Merci, madame la présidente. Je vais lire mon texte pour respecter le temps accordé.
Merci de m'avoir invité et de m'accueillir.
Je suis ici à titre de professeur de droit qui étudie depuis plus de 30 ans le droit de la radiodiffusion au Canada et à l'étranger, et aussi le droit de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels.
Au cours des années, j'ai réalisé des mandats de recherche pour un très grand nombre d'entités gouvernementales et d'entreprises de médias, y compris Radio-Canada, Quebecor, TQS, Télé-Québec et plusieurs autres. Récemment, j'ai préparé une opinion juridique sur la portée des lignes directrices de Radio-Canada en matière d'accès aux documents, opinion qui est publiée sur le site de la Société Radio-Canada.
Cependant, c'est à titre purement personnel que j'interviens ici aujourd'hui. Mon seul but est de fournir des informations sur la façon dont je comprends le cadre juridique qui préside au fonctionnement des entreprises de radiodiffusion au Canada.
Pour cerner le sens et la portée de cette exclusion prévue à l'article 68.1, il faut en effet situer cette exclusion dans le contexte du régime juridique qui encadre les activités de radiodiffusion, puisque la Société Radio-Canada est a priori un radiodiffuseur et, à ce titre, elle est protégée, comme tous les autres médias canadiens, par la liberté constitutionnelle d'expression, qui n'est pas que journalistique, mais qui s'étend à l'ensemble des activités expressives auxquelles se livre la Société Radio-Canada.
Par ailleurs, la Société Radio-Canada est aussi un radiodiffuseur chargé d'assurer le service public national de radiodiffusion qui est prévu par la Loi sur la radiodiffusion, et, à ce titre, elle est tenue à une obligation de rendre compte des ressources publiques qu'elle utilise. C'est ce double aspect de la Société Radio-Canada que concilie l'exclusion prévue à l'article 68.1 de la Loi sur l'accès à l'information. Qu'on le veuille ou non, que l'on aime cela ou non, concilier des droits contradictoires, c'est toujours difficile, c'est toujours coûteux. C'est un exercice difficile, mais c'est le prix de la démocratie.
Comme énoncé à l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, la liberté d'expression, y compris la liberté de la presse et les autres moyens de communication, est comprise au Canada, pour l'ensemble des citoyens et des médias publics et privés, comme emportant la liberté éditoriale, soit celle de déterminer ce qui est approprié de diffuser. La liberté éditoriale est donc protégée par l'alinéa 2b) de la Charte. Elle ne peut être écartée que par une règle de droit et dans la mesure où cela est raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique.
Depuis longtemps, les tribunaux canadiens ont reconnu que tous les radiodiffuseurs, qu'ils soient privés ou publics, ont la liberté éditoriale. Cette liberté suppose une autonomie de principe dans les décisions relatives au choix, au traitement et à la diffusion des informations. Elle a pour contrepartie la responsabilité: les détenteurs de la liberté éditoriale répondent, devant les tiers, des informations diffusées, à l'exclusion...
Merci, madame la présidente.
[Français]
S'il est loisible aux autorités publiques de réglementer l'usage des ondes et des autres ressources publiques utilisées en radiodiffusion, celles-ci ne peuvent se substituer aux détenteurs de licence lorsque vient le temps de décider ce qui sera diffusé. Tout comme aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les tribunaux canadiens ont refusé de considérer que les radiodiffuseurs, y compris Radio-Canada, accomplissent une activité gouvernementale. En somme, Radio-Canada a un degré de liberté éditoriale analogue à celui qui prévaut à l'égard des autres entreprises de radiodiffusion.
La Loi sur la radiodiffusion énonce à quatre endroits le principe de la liberté éditoriale et de l'indépendance en matière de journalisme, de création et de programmation dont jouissent les entreprises de radiodiffusion. Ces dispositions de la Loi sur la radiodiffusion imposent une cloison étanche entre les instances gouvernementales et la Société Radio-Canada. Par exemple, le paragraphe 46(5) interdit au ministre d'exiger de la Société Radio-Canada qu'elle livre des renseignements dont la remise est susceptible de porter atteinte à son indépendance en matière de journalisme, de programmation et de création.
Ainsi, pour ses activités de programmation, la Société Radio-Canada est tenue de rendre des comptes au CRTC et non aux décideurs politiques. Si la Loi sur la radiodiffusion a pris soin de prévoir que même les ministres n'ont pas le droit d'obtenir certains renseignements dont la divulgation serait susceptible de porter atteinte à l'indépendance de Radio-Canada, il faut postuler que, à plus forte raison, toutes les personnes pouvant se prévaloir de la Loi sur l'accès à l'information ne peuvent se trouver dans une position plus favorable que les ministres au regard de ces renseignements.
En somme, l'intention qui ressort de l'ensemble de ces dispositions est de garantir un espace d'indépendance aux radiodiffuseurs en général et au radiodiffuseur public en particulier. Il s'agit d'assurer que les radiodiffuseurs disposent effectivement des conditions adéquates pour l'accomplissement de leurs obligations en vertu de la Loi sur la radiodiffusion.
La portée de l’exclusion prévue à l’article 68.1 doit se comprendre dans le contexte général du droit relatif aux entreprises de radiodiffusion, lequel veut que toutes ces entreprises bénéficient de l’indépendance inhérente en matière de journalisme, de création et de programmation. Mais dans le cas de la Société Radio-Canada, il faut aussi assurer la transparence de sa gestion pour le public canadien qui, par ses ressources, finance ses activités. L'option qui a été retenue est une exclusion, à l'instar de ce qui se fait à l'échelle internationale dans ce domaine. Ainsi, dès lors qu’un renseignement est sous le contrôle de la Société Radio-Canada et qu’il se rapporte à ses activités de journalisme, de création et de programmation, il n’est pas visé par la Loi sur l’accès à l'information et cette dernière ne s’y applique pas.
Pour ce qui est de savoir qui devrait avoir l'autorité de déterminer en appel ou en second lieu si un document tombe ou non sous le coup de la Loi sur l'accès à l'information, la question est entre les mains de la Cour d'appel fédérale. Je vais me limiter ici à lancer quelques idées sur les options en matière de politiques publiques qui, je pense, sont du ressort du pouvoir législatif. L'interprétation de la loi étant du ressort du domaine judiciaire, je ne souhaite pas me prononcer sur cet aspect.
En ce qui concerne les options en matière de politiques publiques, il faut rappeler que le paragraphe 3(2) de la Loi sur la radiodiffusion précise:
[...] que le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique et que la meilleure façon d’atteindre les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion consiste à confier la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion à un seul organisme public autonome.
Il s'agit en l'occurence du CRTC. Il importe en effet de prendre en considération la nécessité d'assurer une réglementation qui soit simple et facile à appliquer, et ce, à l'égard de l'ensemble des entreprises de radiodiffusion. La multiplication des instances auxquelles la Société Radio-Canada est appelée à rendre des comptes contribue à compliquer les normes de reddition de comptes du radiodiffuseur public.
Dans cette perspective, il n'est pas évident que le commissaire à l'information soit l'instance la mieux placée pour contrôler les décisions de Radio-Canada quant à la question de savoir si un document relève ou non de l'exclusion de la Loi sur l'accès à l'information.
Le CRTC est l'instance spécialisée en matière de radiodiffusion, et possède assurément une expertise plus susceptible d'évaluer, en conformité avec les exigences de la liberté éditoriale de l'ensemble des radiodiffuseurs, la mesure dans laquelle un document dont l'accès est demandé relève ou non des activités de journalisme, de programmation et de création.
Le CRTC est en effet en position d'avoir une vision d'ensemble du système canadien de radiodiffusion au sein duquel s'inscrit la Société Radio-Canada. Par exemple, il est assurément doté de l'expertise nécessaire pour déterminer si la divulgation d'un document appartenant à une entreprise de radiodiffusion est de nature à compromettre les activités de programmation, de création et de journalisme de cette entreprise, compte tenu du contexte concurrentiel dans lequel celle-ci peut évoluer.
En conclusion, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, l'article 68.1 de la Loi sur l'accès à l'information exclut du régime de l'accès aux documents publics, a priori, les renseignements qui se rapportent aux activités de journalisme, de création et de programmation de la Société Radio-Canada. Il vise à assurer que la Société Radio-Canada se trouve dans une position analogue à celle des autres entreprises de radiodiffusion, tout en garantissant que celle-ci rend compte de l'usage qu'elle fait des ressources publiques mises à sa disposition. Il en découle donc que sont accessibles seuls les documents qui ont trait à l'administration de la Société Radio-Canada et qui ne révèlent pas les renseignements qui ont trait au journalisme, à la programmation et à la création.
En fait, la question à se poser...
:
Je pense que c'est très important. Lorsqu'on permet à une seule personne de contrôler une telle proportion de l'espace médiatique canadien, elle ne peut pas s'intéresser uniquement au profit de son entreprise, elle doit rendre des comptes.
J'ai demandé à M. Péladeau s'il y avait des commandes qui étaient passées par la direction. Il m'a répondu: « Quelle est votre question? » Je lui ai demandé si des journalistes étaient forcés d'écrire des articles visant un objectif précis. Il a dit: « Je ne sais pas d'où [on] tire une telle information. »
Je lui ai demandé: « Quel est le niveau d'ingérence dans les salles de presse...? Qui décide d'imposer une ligne directrice? Il a répondu: « Nous ne sommes pas un parti, mais une entreprise... »
Je lui ai alors posé la question suivante: « Parlez-vous de gérer la salle de presse? Les journalistes nous disent qu'ils sont forcés de rédiger... » Il a déclaré: « Nous sommes responsables envers les actionnaires et nous leur rendons des comptes... »
Ma cinquième question était: « Est-ce que vos journalistes reçoivent l'ordre de se conformer à la politique de l'organisation? » Il a rétorqué: « Je n'ai rien à répondre. » J'ai insisté: « Faudrait-il séparer la salle de rédaction de vos autres entreprises verticalement intégrées? » Il a de nouveau répondu: « Nous ne sommes pas un parti, mais une entreprise... »
En septième lieu, je lui ai demandé s'il y avait une cloison étanche pour protéger ses journaliste des intérêts organisationnels de Quebecor et il a répondu: « Nos journalistes... ont un travail à faire et personne ne leur dira quoi écrire. »
Est-ce que M. Péladeau a raison de prétendre que ses journalistes sont protégés par une cloison étanche ou bien, comme il l'avait indiqué précédemment, il gère l'organisation comme une entreprise et les journalistes n'ont pas leur mot à dire?
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Un grand merci également aux témoins qui comparaissent devant nous ce matin. Vous nous avez certes apporté un point de vue différent de ce que nous avons pu entendre auparavant, ce qui nous permet de voir les deux côtés de la médaille. Comme on l'a déjà indiqué, vous devez comprendre que nous procédons à cette étude parce qu'on a refusé de s'en remettre au pouvoir décisionnel de la commissaire.
J'ai seulement quelques observations.
Monsieur Trudel, je crois que vous avez déclaré que la commissaire n'était pas nécessairement la personne la mieux qualifiée pour s'occuper de l'application de l'article 68.1, et qu'il serait peut-être préférable de confier ce mandat au CRTC. Des témoins que nous avons reçus au cours des dernières semaines nous ont affirmé catégoriquement qu'ils estimaient que la commissaire à l'information était tout à fait qualifiée et assurément apte à rendre ces décisions. Nous avons aussi bien sûr reçu ce matin la commissaire elle-même qui a suggéré de possibles changements à la Loi sur l'accès à l'information. Je ne sais pas si vous étiez des nôtres et si vous avez pu entendre ces suggestions.
Je vais vous résumer les propositions de la commissaire.
Les exceptions à l'application du droit d'accès doivent être limitées et bien précises. Elles doivent être discrétionnaires et reposer sur le préjudice probable. Le libellé des exceptions devrait être clair et objectif. Les exceptions fondées sur le préjudice probable exigent que l'institution publique démontre qu'il existe un risque vraisemblable de préjudice, et présente une preuve précise à l'appui de cette démonstration. Une exemption discrétionnaire fait en sorte que le responsable de l'institution fédérale tiendra compte de l'intérêt du public à obtenir l'accès aux renseignements demandés, même lorsque ceux-ci seraient par ailleurs visés par une exception.
Elle ajoute qu'en lieu et place d'une exclusion, le Commissariat à l'information devrait proposer une exception discrétionnaire comportant un critère de préjudice selon les modalités suivantes: le responsable de la Société Radio-Canada peut refuser la communication des documents contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à l'indépendance en matière de journalisme, de création ou de programmation dont jouit la société.
Pourriez-vous tous les deux nous dire ce que vous pensez des changements suggérés ce matin par la commissaire? Pourriez-vous également nous indiquer si vous croyez que Radio-Canada devrait être assujettie à la loi?
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En fait, à partir du moment où l'on choisit de dire que Radio-Canada fait partie du système de radiodiffusion, il faut se demander si on est prêt à forcer l'ensemble des entreprises de radiodiffusion à se soumettre à la Loi sur l'accès à l'information. À partir du moment où on ne le fait pas, on va devoir revenir à l'exclusion.
C'est pour cette raison que l'on a choisi une exclusion. C'est parce qu'il s'agit ici de protéger la liberté de presse, la liberté journalistique. Imposer à un organisme de presse l'obligation, chaque fois qu'on lui demande un document, de démontrer un tort particulier que pourrait causer la divulgation d'un document, c'est affecter très lourdement son indépendance et sa marge de manoeuvre pour faire du journalisme d'enquête, développer des émissions, être actif sur le marché d'achat des droits des émissions et sur le marché publicitaire. C'est pour cela qu'il y a une exclusion.
C'est pour cette raison que, selon moi, une exception, une injury-based exception, comme on le mentionnait, ne me semble pas être une façon adéquate d'assurer que le radiodiffuseur public fonctionne de façon à ce que l'on respecte la liberté constitutionnelle d'expression, qui protège aussi bien les radiodiffuseurs privés que le radiodiffuseur public. J'ai même beaucoup de doutes sur la validité constitutionnelle d'une disposition qui forcerait Radio-Canada à démontrer, chaque fois qu'on lui demande un document, que cela va lui causer un dommage. Cela équivaudrait à demander à un journal ou à une station de télévision de démontrer de façon continue que sa liberté éditoriale peut être compromise.
Or, ici on parle d'un environnement pour produire de l'activité créatrice, des émissions et des nouvelles. Si une organisation de radiodiffusion comme Radio-Canada est obligée de se mobiliser pour être continuellement en train de se défendre contre des demandes d'accès à l'information, je ne suis pas du tout certain que l'on pourra considérer qu'elle possède encore la liberté éditoriale qui est reconnue à l'ensemble des radiodiffuseurs.