:
Merci beaucoup de m'avoir invitée à vous parler aujourd'hui.
Je vais faire mes commentaires en anglais, mais je serai heureuse de répondre aux questions en anglais ou en français.
[Traduction]
J'aimerais commencer par préciser que je pense qu'il est très important d'accorder plus d'attention à la protection des données et à la vie privée en lien avec les activités des entreprises de médias sociaux. Je trouve un peu ironique que le mandat du comité soit d'étudier les mesures et les efforts adoptés par les entreprises de médias sociaux pour protéger les renseignements personnels des Canadiens. C'est un peu comme si on étudiait les efforts déployés par les renards pour protéger les poules.
Je remarque que les efforts déployés par Google, Facebook et d'autres entreprises de médias sociaux pour tenter de protéger les renseignements personnels des Canadiens ont été orientés par les lois sur la protection des données. Il faut donc veiller à ce que ces lois soient adéquates.
Les modifications découlant du premier examen quinquennal, en 2006, n'ont pas encore été adoptées par le Parlement; de plus, le deuxième examen quinquennal accuse déjà un retard. On devrait s'en inquiéter, surtout parce que l'environnement de la protection des données a beaucoup changé depuis que la loi a été adoptée.
Il est difficile de faire respecter la loi actuelle. En effet, la commissaire n'a pas le pouvoir d'adopter des arrêtés et ne peut pas infliger des amendes ou d'autres pénalités dans le cas d'un comportement particulièrement inapproprié.
À mon avis, la discussion sur les médias sociaux et la vie privée présente deux volets. Le premier concerne la façon dont les gens utilisent ces outils pour communiquer entre eux. À ce sujet, on nous a fait part de préoccupations à l'égard des employeurs qui consultent les pages Facebook, des personnes qui affichent dans Internet les renseignements personnels d'autres personnes, des criminels qui exploitent les renseignements affichés sur Facebook, etc. Ce sont des préoccupations concernant les renseignements que les gens ont choisi de divulguer, les conséquences de cette divulgation, et les normes qui devraient régir ce nouveau mode de communication interpersonnelle.
Le deuxième volet, sur lequel je vais me concentrer, concerne le rôle de ces entreprises dans la cueillette ou dans la facilitation de la cueillette de grandes quantités de renseignements à notre sujet dans le but de suivre nos activités en ligne, nos habitudes de consommation et même nos déplacements. À cet égard, il est important de porter notre attention sur de grandes entreprises, par exemple, Facebook et Google, mais il existe aussi un grand nombre d'autres joueurs qui adoptent ces pratiques dans l'environnement numérique.
En général, les modèles opérationnels des entreprises de médias sociaux dépendent beaucoup des données personnelles de leurs utilisateurs. En fait, le réseautage social, les moteurs de recherche, les courriels et de nombreux autres services nous sont offerts gratuitement. En hébergeant nos contenus et en suivant nos activités, ces services sont en mesure d'extraire une quantité importante de données personnelles. La nature et la qualité de ces données sont constamment améliorées à l'aide d'innovations. Par exemple, les renseignements concernant l'emplacement des personnes et leurs déplacements sont très prisés. De plus en plus de gens possèdent des téléphones intelligents qui indiquent leur position; ils utilisent ces appareils à des fins de réseautage social et pour d'autres activités en ligne. Même les navigateurs d'ordinateur sont maintenant géo-dépendants, et des renseignements sur l'endroit où nous sommes sont recueillis régulièrement lorsque nous naviguons dans Internet.
Il s'ensuit que de plus en plus de données de toutes sortes sont recherchées, recueillies, utilisées et divulguées. Ces données sont compilées, comparées et étudiées afin d'établir le profil des consommateurs pour différentes raisons, y compris le marketing axé sur le comportement. Dans certains cas, ces données peuvent être communiquées à des entreprises de publicité, à des développeurs d'applications ou à d'autres entreprises connexes. Même lorsqu'on dépersonnalise les données, leur nature précise peut tout de même permettre d'identifier la personne concernée; des entreprises comme AOL et Netflix l'ont appris à leurs dépens.
Les renseignements détaillés des profils permettent aussi d'identifier les personnes. L'énorme quantité de renseignements recueillis à notre sujet nous rend très vulnérables à tous les types de manquement à la sécurité des données. Il devient très difficile de protéger nos renseignements personnels, surtout lorsque les préférences de confidentialité sont souvent établies par défaut par des services que nous utilisons quotidiennement ou même plusieurs fois par jour, par exemple, Facebook ou un moteur de recherche.
Il est souvent difficile de déterminer quels renseignements sont recueillis, et comment et à qui ils sont communiqués. Les politiques de protection de la vie privée sont souvent trop longues, pas assez claires et trop éloignées des gens pour qu'ils puissent les lire et les comprendre. De nos jours, nous effectuons quotidiennement une série de transactions et nous n'avons tout simplement pas le temps ou l'énergie de gérer nos données de façon appropriée. C'est un peu comme marcher dans un marais et se retrouver dans un nuage de moustiques. Pour les empêcher de nous piquer, nous pouvons agiter les bras; nous pouvons même utiliser des insecticides ou d'autres dispositifs, mais au bout du compte, ils vont nous piquer — souvent à plusieurs reprises.
Il est aussi de plus en plus difficile d'éviter d'entrer dans ce marais. En effet, les gens utilisent les médias sociaux afin de resserrer les liens avec leur famille et leurs amis, peu importe à quelle distance ils vivent, ou parce que les médias sociaux font partie intégrante de la façon dont leur groupe communique et interagit. Les entreprises, les écoles et même les gouvernements sont de plus en plus présents dans les médias sociaux, ce qui pousse encore plus les gens à s'aventurer dans ces environnements. Les fournisseurs de contenu traditionnel exercent maintenant leurs activités sur Internet, Facebook et Twitter, et encouragent leurs lecteurs, et ceux qui les écoutent et qui les regardent à obtenir leurs nouvelles et d'autres renseignements en ligne et dans des formats interactifs. Ces outils remplacent rapidement les moyens de communication traditionnels.
À ce jour, notre protection principale contre l'exploitation de nos renseignements personnels dans ces contextes a été fournie par les lois sur la protection des données. Ces lois sont fondées sur la nécessité de trouver un équilibre entre la vie privée des consommateurs et le besoin des entreprises de recueillir et d'utiliser des données personnelles; toutefois, depuis que la LPRPDE a été adoptée, les entreprises sont devenues insatiables en ce qui concerne ces données, et elles les conservent pendant plus longtemps. Autrefois, on avait besoin de ces renseignements pour compléter des transactions ou pour maintenir la relation avec le client, mais aujourd'hui, on les considère comme une ressource à exploiter. Ce changement risque d'éviscérer le modèle de consentement sur lequel la loi est fondée. Ce nouveau paradigme mérite une attention particulière et pourrait nécessiter des normes et des approches juridiques différentes.
Le modèle traditionnel de protection des données visait à permettre aux consommateurs d'effectuer des choix éclairés au sujet de leurs renseignements personnels. Dans le contexte général des données, il est très difficile de faire des choix éclairés. De plus, il y a un élément de servitude qui est très perturbant. Nancy Obermeyer utilise l'expression « géo-esclavage volontaire » pour décrire un contexte dans lequel les dispositifs géo-dépendants communiquent constamment nos déplacements à de nombreuses entreprises sans que nous en soyons nécessairement conscients. À son avis, équiper les personnes avec des capteurs qui envoient des renseignements sur leurs activités les rend vulnérables à la dominance et à l'exploitation — pourtant, c'est de plus en plus une réalité dans nos vies quotidiennes. Au-delà de la simple cueillette de données, les services de réseautage social encouragent leurs utilisateurs à faire de ces sites le centre de leurs activités et de leurs communications quotidiennes.
Nos données personnelles sont une ressource que les entreprises, peu importe leur taille, exploitent régulièrement. Ces renseignements sont utilisés pour établir notre profil, afin de définir nos habitudes de consommation, de déterminer si nous nous qualifions pour des assurances ou d'autres services, ou d'exercer une discrimination fondée sur le prix lors de la livraison de marchandises ou de services. Nous devenons des personnes concernées dans tous les sens du terme. Il existe peu de transactions ou d'activités qui ne laissent pas de traces sous forme de données.
Comme on l'a souligné plus tôt, un grand nombre de services dits gratuits, par exemple, les sites de réseautage social, les sites d'échange de documents, les applications et même les moteurs de recherche Internet, sont en fait fondés sur la capacité d'extraire les renseignements personnels de l'utilisateur. En 2011, dans l'affaire St. Arnaud c. Facebook, un juge de la Cour supérieure du Québec a refusé d'autoriser un recours collectif contre Facebook, car il aurait fallu établir que les conditions d'utilisation du site constituaient un contrat de consommation, de façon à ce que les lois du Québec puissent déroger à la clause selon laquelle tous les conflits seraient réglés en vertu des lois de la Californie et devant les tribunaux californiens. La Cour du Québec a décidé qu'il ne s'agissait pas d'un contrat de consommation, car les services de Facebook sont gratuits, alors qu'un contrat de consommation est fondé sur le principe qu'il y a un paiement et une contrepartie. Le juge a décidé que les utilisateurs n'avaient pas d'obligations qui pourraient représenter une forme de contrepartie.
L'affaire démontre à quel point la divulgation de renseignements personnels est négligée dans un contrat entre une entreprise et une personne. On suppose qu'il s'agit seulement d'un élément régi par les politiques tangentielles sur la protection de la vie privée. Ce manque de transparence à l'égard de la contrepartie fait en sorte que les consommateurs assument l'entière responsabilité de la gestion de leurs renseignements personnels.
On peut donc réfuter les préoccupations concernant le fait que des quantités excessives de renseignements personnels sont recueillies en affirmant que les gens ne se préoccupent tout simplement pas de leur vie privée. Par contre, lorsqu'on considère que l'échange de renseignements personnels constitue un élément d'un contrat de consommation visant des services, on ne peut plus écarter les lois sur la concurrence et les préoccupations concernant la protection des consommateurs. À mon avis, il est temps de s'occuper concrètement de ces préoccupations.
Les grandes bases de données peuvent occasionner un autre dommage social; il s'agit bien sûr de la discrimination. D'ailleurs, Oscar Gandy en parle dans son plus récent ouvrage. Nous comprenons comment le profilage fondé sur la race mène à des injustices lors de l'application des lois criminelles. Qu'il soit fondé sur la race, le sexe, l'orientation sexuelle, la religion, l'ethnicité, le statut socioéconomique ou d'autres éléments, le profilage engendre de plus en plus de préoccupations concernant la façon dont on nous offre des biens ou des services. Grâce aux renseignements personnels, les entreprises établissent le profil de nos goûts et de nos habitudes de consommation. Ils nous les renvoient par le biais d'annonces publicitaires taillées sur mesure, de recommandations et de promotions. Lorsque nous cherchons des biens et des services, on nous présente d'abord les choses qu'on croit que nous voulons.
On nous dit que le profilage est une bonne chose, car cela signifie que nous ne serons pas bombardés d'annonces publicitaires faisant la promotion de produits ou de services qui nous laissent indifférents. Pourtant, l'autre côté de la médaille, c'est que le profilage peut être utilisé pour déterminer que des personnes ne sont pas admissibles à des rabais ou à des prix promotionnels, qu'elles ne se qualifient pas pour du crédit ou des assurances, ou qu'il est sans intérêt de les viser par le marketing d'un type particulier de produits et de services. Le profilage peut exclure certaines personnes et en privilégier d'autres, et c'est ce qui va se produire.
J'ai fait valoir que les grandes bases de données modifiaient le paradigme de protection des données et que les services de réseautage social, ainsi qu'un grand nombre d'autres services Internet gratuits, jouaient un rôle de premier plan à cet égard. Pour terminer, j'aimerais me concentrer sur les points suivants.
Tout d'abord, la cueillette, l'utilisation et la divulgation de renseignements personnels ne concernent plus seulement la protection de la vie privée, mais ces activités soulèvent aussi, entre autres, des questions relatives à la protection du consommateur, aux lois sur la concurrence et aux droits de la personne.
Deuxièmement, la nature et la quantité de renseignements personnels recueillis par les sites de médias sociaux et d'autres services gratuits sur Internet vont au-delà des renseignements nécessaires aux transactions et concernent plutôt les activités, les relations, les préférences, les intérêts des personnes et l'endroit où elles se trouvent.
Troisièmement, la réforme de la Loi sur la protection des données n'a que trop tardé, et elle pourrait maintenant nécessiter une reconsidération ou une modification de l'approche fondée sur le consentement, surtout dans les contextes où les données personnelles sont traitées comme une ressource et que la cueillette de ces renseignements s'étend aux déplacements, aux activités et aux intérêts.
Quatrièmement, les modifications à la LPRPDE devraient inclure de plus grands pouvoirs de mise en oeuvre en ce qui concerne les normes de protection des données, ce qui pourrait signifier le pouvoir de prendre des ordonnances et d'infliger des amendes ou des pénalités aux cas d'infractions graves ou de récidives.
Ceci termine mon exposé. Merci beaucoup.
Bonjour, je m'appelle Michael Geist. Je suis professeur de droit à l'Université d'Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique. J'ai été membre du groupe de travail national sur le pourriel créé par le ministre de l'Industrie en 2004, et je siège actuellement au conseil consultatif d'experts du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Toutefois, je comparais aujourd'hui devant votre comité à titre personnel et je ne représente que ma propre opinion.
Dans mon exposé, je définirai plusieurs avenues quant aux mesures que le gouvernement pourrait prendre, mais je souhaite fournir un bref contexte et trois mises en garde.
Premièrement, il s'agit peut-être d'une lapalissade, mais je préciserai que les médias sociaux représentent une innovation hautement importante aux retombées positives. Le nombre d'utilisateurs est en forte croissance; l'importance de cette technologie comme principale source pour les activités de communication, les activités communautaires et les activités politiques s'accroît de jour en jour. À mon avis, il faudrait profiter des occasions qu'offrent les médias sociaux, plutôt que les démoniser. De plus, le gouvernement devrait travailler activement à intégrer les médias sociaux dans ses processus de consultation en matière de politiques.
Deuxièmement, dans une certaine mesure, le Canada a été un chef de file dans l'utilisation et la réglementation des médias sociaux. La commissaire à la protection de la vie privée du Canada a été la première à mener une importante enquête sur la protection de la vie privée par Facebook. Ses travaux ont mené à l'examen d'autres questions touchant les médias sociaux et les fournisseurs de services Internet.
Troisièmement, nous avons exercé une certaine influence dans le cadre de ces enquêtes, mais le Canada n'a pas joué un rôle de premier plan dans la création des services de médias sociaux utilisés par des millions de personnes à l'échelle mondiale. Je crois que le fait de ne pas avoir énoncé et mis en oeuvre une stratégie nationale en matière d'économie numérique revient nous hanter; notre capacité d'apposer un sceau résolument canadien sur les médias sociaux est minée par nos manquements politiques. En effet, le Canada a déployé très peu d'efforts pour encourager la création de sites de commerce et de médias sociaux canadiens.
Dans ce contexte, que pouvons-nous faire? J'aimerais vous exposer quatre avenues.
Tout d'abord, je pense que nous devons terminer ce que nous avons entrepris.
Le gouvernement a proposé et adopté des dispositions législatives qui pourraient être utiles pour traiter certains enjeux découlant de l'utilisation des médias sociaux. Pourtant, ces initiatives n'ont pas atteint leurs objectifs. Par exemple, le projet de loi anti-pourriel, qui avait reçu la sanction royale en 2010, n'est toujours pas entré en vigueur, car la version définitive du règlement n'a pas été approuvée. En fait, selon les représentants d'Industrie Canada, le règlement n'entrera probablement en vigueur que plusieurs mois après le début de 2013. Étant donné la somme de travail investie dans ce projet, je trouve qu'il est scandaleux que la loi ait été laissée en suspens.
De plus, le projet de loi , projet de réforme de la LPRPDE qui visait à apporter des modifications découlant de l'examen sur la protection de la vie privée de 2006, traîne à la Chambre des communes, car il ne semble y avoir aucun intérêt pour le faire avancer. En fait, je dirais qu'il est maintenant désuet et qu'un examen complet de la LPRPDE sur de nouveaux enjeux, par exemple, le pouvoir de prendre des ordonnances — comme vous venez de l'entendre —, les dommages-intérêts et le resserrement des exigences d'établissement des rapports sur les manquements à la sécurité en fonction des exigences définies dans le projet de loi, est devenu nécessaire. En fait, les règles du projet de loi sur l'établissement de rapports en matière de manquement à la sécurité n'ont pas assez de mordant en raison de l'absence de pénalités pour défaut de s'y conformer.
Depuis des années, les différents gouvernements promettent une stratégie en matière d'économie numérique, et ils n'ont pas respecté leur engagement. La stratégie est maintenant connue sous l'appellation « le dossier Penske », nom qui fait référence à l'épisode de l'émissionSeinfeld où l'on travaillait à un dossier imaginaire. Tandis que d'autres pays s'attachent depuis plusieurs années à la mise en oeuvre de leur stratégie, le Canada est toujours en retard sur ce plan.
À mon avis, il faudrait aussi souligner que ces questions doivent de plus en plus être traitées de concert avec les provinces. La frontière entre les compétences fédérales et provinciales n'est pas claire dans bon nombre de cas et les contestations juridiques de la loi fédérale constituent un risque réel. Des efforts devront être déployés pour commencer à élaborer des normes minimales pouvant être mises en application au niveau provincial, au cas où le leadership fédéral ferait l'objet de contestations devant les tribunaux par des sociétés cherchant à contourner leurs obligations en matière de protection de la vie privée.
Deuxièmement, le diable est dans les détails. À de nombreux égards, les médias sociaux et les fournisseurs de services Internet sont les plus puissants décideurs quand il est question de choix en matière de protection de la vie privée. Comme le dit mon collègue Ian Kerr, le diable est dans les détails. En d'autres mots, les choix faits par les plus grandes sociétés de médias sociaux quant aux paramètres par défaut en matière de protection de la vie privée sont les choix par défaut pour des millions d'utilisateurs. Étant donné la pression grandissante en vue de la création de revenus, nous pouvons nous attendre à ce que ces choix par défaut subissent des modifications considérables visant à permettre une utilisation optimale des données d'utilisateur.
Certaines sociétés effectuent pourtant de l'excellent travail dans ce domaine. Ainsi,Twitter a mis en place dernièrement des options de non-suivi qui ont été louées par la Commission fédérale du commerce aux États-Unis. De même, Google offre à ses utilisateurs des outils de transparence grâce auxquels ils peuvent obtenir des renseignements détaillés sur la nature et l'utilisation des données recueillies et sur la façon dont ils peuvent modifier certains de leurs choix en matière de protection de la vie privée. La société a également fait preuve de transparence quant aux demandes d'exécution de la loi pour des demandes de renseignements et de retrait de droit d'auteur.
Il faut déployer des efforts soutenus à l'égard des paramètres par défaut, élaborer des initiatives visant à fournir aux utilisateurs davantage d'information et de transparence et prendre des mesures pour faire en sorte que les sociétés respectent leurs engagements en matière de protection de la vie privée.
Troisièmement, il y a la question de l'accès légal. Le dépôt du projet de loi sur la surveillance d'Internet a déclenché une avalanche de préoccupations et une forte indignation dans la population. Le projet de loi s'attache en grande partie à la divulgation obligatoire sans mandat de renseignements sur les abonnés par les fournisseurs de services de télécommunications, mais il ne faut pas négliger la possibilité que les médias sociaux et les sites Internet affichant de grandes quantités de données servent à peu près le même objectif.
Une enquête menée dernièrement par le Commissariat à la protection de la vie privée au sujet du réseau social canadien Nexopia a révélé l'existence de centaines de demandes d'exécution de la loi pour des noms et adresses de clients, souvent liées à des comptes qui auraient dû être supprimés plusieurs mois auparavant. Les médias sociaux, comme nous l'avons entendu, créent une mine de renseignements personnels qui doivent être entièrement protégés et faire l'objet d'une surveillance par les tribunaux avant leur divulgation. En effet, selon des documents obtenus dernièrement en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, Sécurité publique étudie la façon dont les règles s'appliquent aux sites et aux services des médias sociaux. À mon avis, le projet de loi C-30 devrait être retravaillé de sorte à tenir compte efficacement de ces enjeux.
Quatrièmement, il y a la question des nouveaux enjeux juridiques, dont certains ont été soulevés par Mme Scassa. Je pense que de nombreuses mesures peuvent être prises pour utiliser ou renforcer les règles existantes, mais les médias sociaux et Internet soulèvent certaines questions toutes particulières qui pourraient exiger des réponses ciblées. Faute de temps, je vais vous en présenter seulement deux.
Tout d'abord, il y a l'option de non-suivi. Comme vous le savez peut-être, il est possible d'utiliser des témoins pour suivre les habitudes de navigation sur le Web des utilisateurs, y compris lorsqu'ils visitent les sites de tiers. Par exemple, Facebook place un témoin dans les navigateurs des utilisateurs qui font le suivi des activités de navigation sur Internet. Dans le cas de tous les sites qui comportent un bouton de type Facebook, comme les sites des conservateurs, des néo-démocrates et des libéraux, Facebook enregistre chaque visite sur le site et conserve l'information pendant des mois. Un nombre croissant de sites, dont Yahoo, AOL et Twitter, respectent la fonction du navigateur Firefox qui permet à l'utilisateur de choisir de ne pas être suivi. Google a déclaré qu'elle mettrait en place une technologie semblable dans son navigateur Chrome.
Toutefois, de nombreux sites ont été lents à adopter la fonction de non-suivi et Facebook a jusqu'ici refusé de le faire. Étant donné que l'industrie n'a pas réussi à s'autoréglementer, il est justifié que le gouvernement intervienne en adoptant des mesures rigoureuses pour garantir le respect du choix de l'utilisateur.
Deuxièmement, il existe un problème de plus en plus grave de mauvaise utilisation des médias sociaux. Ainsi, au cours des derniers mois, on a recensé un nombre grandissant de cas d'employeurs qui avaient demandé aux candidats à un poste de leur fournir leur code d'identification et mot de passe Facebook s'ils voulaient obtenir une entrevue d'emploi. Il aurait été habituellement interdit par la loi de demander les mêmes renseignements au moyen de questions directes; cette pratique est donc utilisée comme moyen pour contourner les normes et principes de longue date du droit du travail. En réponse à cette pratique, l'État du Maryland a adopté une loi qui interdit aux employeurs d'exiger de leurs employés ou des candidats à un poste de donner l'accès à leur compte personnel de médias numériques ou sociaux. Plusieurs autres États travaillent à l'élaboration d'une loi semblable, et je pense que le Canada devrait leur emboîter le pas.
Merci beaucoup de votre attention.
Je suis l'enquêteure principale du projet de recherche de MediaSmarts intitulé Les jeunes Canadiens dans un monde branché. Depuis 12 ans, nous recueillons des données sur les expériences des jeunes concernant la vie privée en ligne, ce qui signifie que nous avons recueilli des données pendant toute la durée de vie de la LPRPDE. Pendant ce temps, nous avons répertorié des changements importants qui, à mon avis, fournissent un contexte important au travail que votre comité s'est engagé à accomplir. J'aimerais donc commencer mon exposé en parlant brièvement de ces changements et je vous présenterai ensuite quatre recommandations concrètes.
En 2000, lorsqu'on a adopté la LPRPDE, on pensait qu'elle mettrait en place des mécanismes d'infrastructure qui encourageraient les gens à faire confiance au commerce électronique, afin qu'ils participent à cette nouvelle façon de créer de la richesse. Lorsqu'elle a été adoptée, nous avons parlé aux parents et à leurs enfants. Les parents à qui nous avons parlé étaient très enthousiastes au sujet de ce projet. Ils étaient convaincus qu'Internet allait être bénéfique à leurs enfants, et que les entreprises qui mettaient au point ces technologies leur donnaient les outils nécessaires pour approfondir leur expérience éducative et les préparer au marché du travail de l'avenir.
Ils nous ont aussi confié qu'ils faisaient confiance au bon jugement de leurs enfants lorsque ces derniers naviguaient sur Internet, et qu'ils n'allaient pas les surveiller continuellement. Ils allaient plutôt rester en retrait. Ils se disaient que leurs enfants feraient quelques erreurs, mais que lorsqu'ils auraient des problèmes, ils demanderaient de l'aide. Lorsque nous leur avons demandé s'ils envisageaient de surveiller leurs enfants lorsqu'ils navigueraient sur Internet, ils nous ont dit que cela minerait la relation de confiance qu'ils entretenaient avec eux. Ils pensaient que s'ils agissaient ainsi, ils ne respecteraient pas la vie privée de leurs enfants, et qu'ils ne le feraient donc pas.
De leur côté, les jeunes à qui nous avons parlé en 2000 jugeaient qu'Internet était un espace complètement privé. Les adultes ne pouvaient même pas le trouver, et encore moins le contrôler. À cette époque, ils ne se préoccupaient pas de la protection de la vie privée en ligne, car ils étaient convaincus que l'anonymat était garanti sur Internet. Ce qui est intéressant, c'est que lorsque venait le temps de décider où aller lorsqu'ils naviguaient sur Internet, ils cherchaient des marques de commerce, car ils pensaient que les entreprises qui possédaient ces marques étaient dignes de confiance. Elles étaient perçues comme des amies et ils pouvaient leur faire confiance.
En 2004, les parents s'étaient certainement rendu compte qu'Internet n'était plus une panacée, mais une source de conflits familiaux. Ils savaient que leurs enfants pouvaient divulguer des renseignements personnels en ligne, et que cela représentait un problème. Ils avaient établi des règles sévères dans la maison et dit à leurs enfants de ne pas le faire, mais ils passaient beaucoup de temps à limiter et à gérer les activités de leurs enfants sur Internet, et à se disputer à ce sujet.
Les enfants à qui nous avons parlé en 2004 avaient tout à fait intégré les technologies en ligne dans leur vie personnelle, ce qui, à mon avis, nous ramène aux commentaires de M. Geist au sujet des avantages des médias sociaux. Les jeunes utilisent ces médias et continuent de s'en servir pour essayer différentes identités, pour approfondir leurs rapports avec leurs amis du monde réel, et pour rechercher leurs propres intérêts. En 2004, ils le faisaient parfois de façon anonyme, mais la plupart du temps, ils souhaitaient divulguer leur identité, car contrairement à la croyance populaire, ils ne parlaient pas à des étrangers. Ils parlaient aux autres jeunes qui fréquentaient leur école et ils devaient s'identifier, afin de trouver leurs amis lorsqu'ils étaient en ligne.
Même s'ils savaient qu'on pouvait les épier et qu'ils utilisaient des soi-disant médias publics, ces jeunes trouvaient tout de même que la protection de la vie privée en ligne était extrêmement importante. Je dirais qu'il faut être prudent lorsqu'on affirme que les jeunes ne se soucient pas de la protection de la vie privée parce qu'ils affichent les détails de leur vie sur Facebook. Ceux qui disent cela n'ont tout simplement pas pris le temps de parler aux jeunes; ils se préoccupent énormément de la protection de la vie privée en ligne. Ils commençaient à s'inquiéter de plus en plus en 2004, et dans un sondage de suivi effectué auprès de 5 500 écoliers canadiens, environ la moitié des jeunes commençaient à remarquer que des publicités s'affichaient sur Internet et qu'elles étaient intégrées aux sites sur lesquels ils naviguaient.
Revenons à 2011. Aujourd'hui, les parents nous disent que parce que les jeunes ont accès à Internet par l'entremise de plusieurs points d'entrée ou de dispositifs — les ordinateurs portatifs, les ordinateurs des laboratoires d'informatique, les réseaux de bibliothèques, les iPod, les téléphones intelligents, les iPad, les consoles de jeux vidéo —, il devient de plus en plus difficile de surveiller leurs activités en ligne. Ils nous ont aussi dit que c'était un très gros problème et qu'ils devaient exercer une plus grande supervision, car la divulgation de renseignements personnels est maintenant inévitable; vous allez en ligne parce que c'est ce qu'on attend de vous. Ils étaient fâchés contre les entreprises en ligne, car à leur avis, elles encourageaient leurs enfants à tout divulguer, dans le but de réaliser un profit. Ce ressentiment et ce manque de confiance sont des changements importants comparativement à 2000, lorsqu'on croyait que les entreprises de haute technologie bâtissaient un avenir dans lequel les jeunes pourraient tirer profit de la technologie.
Pendant cette même période, les sites d'entreprises, surtout ceux qui ciblent les enfants, ont cessé de parler de vie privée pour parler de sécurité. C'est logique du point de vue des entreprises, car lorsqu'elles parlent de la vie privée, elles représentent le risque, étant donné qu'elles recueillent vos renseignements. Par contre, si elles parlent de sécurité, elles peuvent dire aux enfants et à leurs parents de ne pas s'inquiéter, car elles surveillent les enfants et vont veiller à leur sécurité.
Il est intéressant de remarquer que presque tous les parents à qui nous avons parlé en 2011 étaient obnubilés par ces discussions sur les dangers en ligne. En fait, ils avaient tellement peur, qu'ils ont affirmé que de bons parents ne pouvaient plus faire confiance à leurs enfants et ne pouvaient plus se permettre de leur accorder une certaine liberté comme c'était le cas en 2000. Et encore une fois, ils étaient nombreux à jeter le blâme sur les entreprises en ligne. Comme l'un des parents de Toronto l'a dit: « Je suis très contrarié par la peur que ces entreprises ont provoquée chez les gens. » Tous les parents ont dit qu'ils n'étaient même pas certains de la nature de ces dangers. Tout ce qu'ils savaient, c'est qu'ils avaient très peur. Ils ne veulent pas épier leurs enfants, car cela nuirait à leur relation avec eux, mais s'ils doivent le faire pour assurer leur sécurité, ils le feront.
Les jeunes, quant à eux, étaient déjà au courant. Ils nous ont dit que l'espace privé non réglementé dont ils profitaient tellement en 2000 et en 2004 était maintenant complètement surveillé, et qu'ils savaient qu'il était surveillé par les parents, par les écoles, par leurs pairs et par les entreprises qui possèdent les sites qu'ils visitent.
Cela met les jeunes en mauvaise position, précisément parce que les technologies de réseau sont tellement intégrées à leurs interactions sociales. Il est intéressant aussi de souligner que les jeunes ont dit que tout ce dont ils avaient besoin, c'était d'un espace pour parler avec leurs amis. Ils veulent que les parents et les adultes soient à l'arrière-plan, mais ils ont besoin d'intimité pour pouvoir profiter des avantages que procurent les interactions sociales.
Plusieurs d'entre eux ont commencé à parler de délaisser Facebook et d'utiliser leur téléphone cellulaire, car ils se sentaient trop surveillés. Ils ont tous dit que la surveillance dont ils faisaient l'objet par toutes ces personnes différentes minait les liens de confiance qui étaient essentiels pour obtenir l'aide dont ils avaient besoin lorsqu'ils en avaient besoin.
Ils commencent aussi à se demander ce qui va arriver maintenant que les employeurs et la police peuvent avoir accès à leur profil Facebook. Ils commencent aussi à s'inquiéter au sujet des gens sournois à la solde des entreprises qui les surveillent. Lorsque vous entendez des jeunes parler de gens sournois, prêtez l'oreille. Cela signifie que quelqu'un n'a pas respecté les normes et a envahi leur vie privée.
La situation devient compliquée lorsqu'une entreprise agit ainsi, car si un individu louche âgé de 40 ans vous envoie un message sur Facebook, vous le bloquez simplement ou vous l'éliminez de votre liste d'amis. Toutefois, les jeunes nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas faire cela avec les entreprises, car ces dernières possèdent les sites qu'ils visitent. Ils pensaient aussi que les politiques en matière de vie privée étaient délibérément rédigées dans un langage tout à fait incompréhensible, afin que les entreprises n'aient pas à révéler comment elles allaient utiliser les renseignements personnels obtenus.
Même si les jeunes ont toujours tendance à se rassembler sur ces sites d'entreprises, par exemple, Facebook et YouTube, ils ne considèrent plus que les entreprises sont amicales ou dignes de confiance. Je pense qu'il est important de ne pas l'oublier, car la LPRPDE a été conçue pour créer ce niveau de confiance.
Que pouvons-nous faire? Comment pouvons-nous améliorer les choses? J'ai quatre solutions à vous proposer.
Tout d'abord, nous devons accroître la transparence des plans d'affaires de ces sites. En 1999, lorsque plusieurs d'entre nous ont comparu devant les membres précédents de votre comité, le gouvernement a dit que la LPRPDE était un seuil minimum, et non un plafond. Aussitôt qu'elle a été adoptée, la loi est rapidement devenue un plafond.
J'aimerais préciser qu'il existe de nombreuses preuves qui démontrent que les mécanismes de consentement sur lesquels nous nous fondons, ainsi que les conditions d'utilisation et les politiques en matière de vie privée, ne sont pas rédigés dans le but de permettre aux gens d'effectuer des choix éclairés sur les renseignements qu'ils divulguent; ils sont rédigés pour protéger des poursuites judiciaires l'entité qui recueille ces renseignements.
De plus, il devient de plus en plus difficile de savoir comment ces renseignements sont utilisés. J'aimerais vous donner deux brefs exemples à ce sujet.
En 2000, j'ai fait beaucoup de recherches sur un site appelé Neopets, qui permet aux jeunes de créer un animal de compagnie en ligne. Les jeunes doivent gagner des points sur ce site pour pouvoir acheter des produits associés à leur animal, et ils gagnent ces points en répondant à un sondage commercial.
En 2000, le site demandait aux jeunes de répondre à un sondage sur la nourriture qu'ils consommaient au déjeuner, par exemple, et dans ce contexte, on leur a posé des questions supplémentaires, par exemple, combien d'argent font vos parents? Avez-vous une grande maison? Combien d'automobiles votre famille possède-t-elle? Quel type d'automobile vos parents conduisent-ils? On leur a aussi demandé de choisir, parmi 60 intérêts, des choses qui les intéressaient. La liste comprenait des choses comme la bière, l'alcool, les cigares, la cigarette et le jeu. Ces renseignements étaient ensuite utilisés pour intégrer des publicités dans le site, afin d'encourager certains types de consommation
J'ai une idée du plan d'affaires de ce site. Depuis ce temps, en raison des préoccupations qui ont été soulevées au Canada et aux États-Unis, ces pratiques sont devenues beaucoup moins transparentes. Aujourd'hui, je peux seulement avoir accès à ce genre de renseignements par le courrier ordinaire et si je prétends être une entreprise. En ma qualité de chercheuse, de parent et de citoyenne préoccupée, je ne sais plus où m'adresser. Je ne peux pas vous dire ce que les entreprises font avec les renseignements qu'elles obtiennent.
Il est aussi devenu beaucoup plus difficile de savoir comment ces renseignements sont utilisés. La cueillette ne se produit plus sous nos yeux; elle se produit en arrière-plan. J'ai reçu une demande d'amitié de Facebook, même si je n'ai jamais eu de compte Facebook. Je n'ai aucun lien avec cette entreprise. Dans la demande, on précisait qu'il s'agissait de quelqu'un qui s'appelait Melissa et que je voudrais peut-être être amie avec elle, et que je devrais donc joindre leur réseau. Je n'ai jamais eu de liens avec cette entreprise, mais elle a réussi à me retrouver par ma fille, même si nous n'avons pas le même nom de famille, et même si elle n'a jamais eu un compte Facebook. Je n'ai pas divulgué ces renseignements. Je n'ai aucun lien avec cette entreprise, et pourtant, elle est en mesure de tenter de manipuler mon comportement par l'entremise d'une utilisation commerciale qui n'est pas transparente.
Deuxièmement, je vous conseille vivement de ne pas examiner seulement l'utilisation des renseignements personnels...
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Volontiers. Voilà qui touche à un enjeu que, à mon avis, la plupart des pays aussi avancés que nous, la plus grande partie des pays développés, ont reconnu comme absolument essentiel à la prospérité économique et à l'innovation à long terme, comme un attribut faisant partie intégrante de notre système d'éducation, de nos modes de divertissement et de notre culture. Il joue tant de rôles différents.
Je pense, comme les derniers mois l'ont révélé, à la faveur du projet de loi C-30, du projet de loi SOPA, aux États-Unis, de l'Accord commercial relatif à la contrefaçon (ACRC), en Europe, qu'il se double également d'une dimension politique et participative très importante.
À cet égard, il ne s'est pratiquement rien fait au Canada, contrairement à la plupart des autres pays, qui ont élaboré des stratégies pour l'économie numérique, en se concentrant sur tous les moyens d'assurer un accès général pour franchir la démarcation, dans le domaine du numérique entre, d'une part, le simple accès aux ordinateurs et, d'autre part, la culture numérique et les aptitudes dont Mme Steeves a parlé et la politique visant à baliser convenablement l'éclosion d'entreprises et leur croissance.
En fait, il y a quelques années, sous la houlette du ministre de l'Industrie — le ministre Clement —, il s'est tenu d'excellentes consultations. Elles ont suscité beaucoup de réactions. Beaucoup de pays pouvaient nous inspirer. Pourtant, on n'a proposé aucune stratégie pour l'économie numérique. On a bien proposé quelques projets de loi, un, notamment, que j'ai mentionné, contre les pourriels, mais dont les règlements sous son régime, 18 mois après la sanction royale, se font encore attendre.
Le dernier budget a notamment vu la suppression de mécanismes comme le programme d'accès communautaire, le PAC, alors que se présentait au moins une occasion de chercher à obtenir une impulsion du secteur privé. Aux États-Unis, le gouvernement et d'importants fournisseurs de services Internet se sont efforcés de fournir des ordinateurs et une connectivité à large bande à bon marché pour procurer un accès aux éléments les plus pauvres de la société. Rien de tel au Canada.
Le comité se demande avec quels grands enjeux stratégiques se colleter. Une partie du problème vient du fait que presque aucune société canadienne marquante n'intègre dans ses activités le genre de valeurs canadiennes dont nous parlons.
Vous avez peu de moyens pour assurer le respect des lois, parce que toutes ces compagnies sont étrangères. Cela ne veut pas dire que vous êtes réduits à l'impuissance totale — nous avons vu qu'on pouvait prendre des mesures — mais nous nous placerions sur un terrain vraiment plus solide si nous nous attelions tout simplement à la tâche d'établir un cadre pour l'avenir.
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Je crois que je suis un peu déchiré par ce que je vois. Il est indéniable qu'il faut s'assurer que les choix et les politiques proposés sont mieux compris.
Tout d'abord, je ne pense pas, tout à fait franchement, que ces textes sont conçus pour être lus. Même s'ils étaient mieux rédigés, il n'est pas réaliste de croire que les gens s'arrêteront chaque fois pour lire une politique de confidentialité avant de s'inscrire dans un site Web, vu le nombre de sites qu'une personne peut visiter et avec lesquels elle peut réagir et vu la tendance vers les environnements mobiles et sans fil.
Il serait plus réaliste de prévoir des mécanismes comme l'interdiction de suivi pour que, ses choix faits, la personne raisonnable soit susceptible de se trouver bien à l'aise de fournir une certaine quantité de renseignements. Il se peut même qu'elle ne soit pas consciente des conséquences, mais convenons que si elle télécharge une photo ou une liste de ses préférences, elle n'est pas sans savoir que cette information circulera dans le milieu qu'elle aura indiqué. Nous craignons une mauvaise utilisation, l'agrégation, etc., mais la personne possède des connaissances et une liberté de choix.
Ensuite, il y a le suivi de son activité en ligne. Comme j'ai mentionné, presque tous les partis politiques ont mis sur leurs sites des boutons de préférences. Ils mettent à la disposition des visiteurs des boutons de « tweet » pour faciliter le « retweet ». Nous aimons tous ces gadgets, parce qu'ils facilitent nos relations avec notre réseau. En réalité, tous ceux qui se trouvent sur un site Web renvoient en fait uniquement un message qui, tant qu'on se trouve dans Facebook ou Twitter — peu importe le site —, signale à Facebook que telle personne vient de visiter tel site Web.
Je pense que cet espionnage ne correspond pas aux attentes raisonnables de l'utilisateur. Je me méfierais vraiment d'un message suffisamment clair pour amener la personne à se dire d'accord pour qu'on suive à la trace tous les sites Web qu'elle se trouvera à visiter pendant les deux prochains mois, tant que, sur la page, on trouvera une sorte de widget de Facebook.
Nous avons besoin de mécanismes qui offrent des options d'abstention plus faciles. Il en existe, nous en avons vu, mais trop de gros joueurs répugnent à utiliser ces pratiques contraires à certains de leurs modèles d'affaires. Et c'est là que le gouvernement peut intervenir. Si ces joueurs ne veulent pas s'auto-réglementer convenablement, il les y obligera.
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On se pose souvent la question suivante: « Qui s'en sort mieux que nous ou qui est le meilleur, et pouvons-nous l'imiter? »
Lorsque la LPRPDE est entrée en vigueur pour la première fois, je pense que beaucoup de gens croyaient que c'était la meilleure pratique. La loi ressemblait beaucoup à ce qu'on trouvait en Europe et aux États-Unis. À bien des égards, elle essayait d'intégrer les deux approches différentes. Il y a peut-être des divergences de vue sur la question de savoir si des rajustements auraient pu être apportés ici et là, mais la loi visait vraiment cet objectif.
Plusieurs pays considéraient le Canada comme un modèle à suivre; on respectait certains des points de vue européens sur la protection des renseignements personnels, tout en tenant compte des considérations commerciales et des éléments liés à l'application de la loi aux États-Unis.
Toutefois, je dirais qu'au cours des 10 dernières années, nous avons vraiment pris du retard. L'Europe a adopté, à certains égards, des mesures plus rigoureuses relativement à certaines de ces questions, mais nous ne lui avons pas emboîté le pas. Quant aux États-Unis, bien franchement, ils s'en sortent beaucoup mieux que nous dans le domaine de l'application de la loi. On impose là-bas des sanctions réelles. Si quelqu'un commet une infraction du point de vue de la protection des renseignements personnels aux États-Unis, il ne s'en tirera pas en toute impunité. On trouve aussi, au niveau des États, des exigences liées à la divulgation obligatoire des atteintes à la sécurité. Comme je l'ai dit, on a également entamé une transition vers l'interdiction de suivi. Le mauvais usage des médias sociaux, dont j'ai déjà parlé, est également visé.
À mon avis, il s'agit de choisir certaines des meilleures dispositions qui existent, sur le plan de l'application de la loi aux États-Unis et des valeurs ailleurs dans le monde, afin de créer un environnement tel que d'autres pays se mettent à imiter le Canada, plutôt que l'inverse. Au cours de la dernière décennie, nous n'avons pas réussi à définir une loi en matière de protection des renseignements personnels qui suit le rythme de ce monde en pleine mutation.
Dans le cadre du premier examen de la LPRPDE, on avait recommandé d'établir un mécanisme de consentement à plusieurs niveaux qui reconnaîtrait les différences d'âge. L'idée était d'interdire aux entreprises de recueillir des renseignements auprès des enfants en bas d'un certain âge. Puis, à mesure que les enfants grandiraient, ils pourraient adhérer à des programmes permettant aux entreprises d'avoir accès à ces renseignements et à leur envoyer des publicités. Toutefois, cette approche imposait des contraintes réelles quant à ce qu'on serait en mesure de faire. La recommandation peut-être la plus importante était celle d'établir une sorte de bouton « effacer » pour que tous ces renseignements soient oubliés dès que le jeune atteint l'âge de 18 ans.
Si on regarde la façon dont les enfants utilisent la technologie, on constate qu'ils s'en servent pour répondre à leurs besoins de développement. Quand je parle à des enfants de 11 ans, je me sens très soulagée. Ce sont eux qui paraissent les plus matures. Ils disent qu'ils ne participent pas aux réseaux sociaux, certainement pas de façon générale, parce que c'est pour les jeunes plus âgés. Ils sont très conscients des risques, et ils se débrouillent très bien pour les éviter.
Quand ils atteignent l'âge de 13 ou 14 ans, ils passent par une autre étape de développement. En pleine quête d'identité, ils se définissent par les rôles qu'ils jouent. Voilà pourquoi ils ont tendance à faire les quatre cents coups pendant quelques années.
Puis, une fois rendus à l'âge de 15 à 17 ans, jusqu'à la vingtaine, ils explorent leur identité au moyen des réseaux sociaux. Selon leur point de vue, ces technologies sont formidables parce qu'elles leur permettent de répondre à leurs besoins, pendant qu'ils forgent leur individualité et passent à l'âge adulte.
Je ne voudrais certainement pas que les textes que j'ai écrits quand j'avais 14 ans paraissent dans un environnement public. Alors oui, pour les enfants, on a certes besoin d'un bouton « effacer ». Le contexte est certainement différent quand on est mineur.
Une des conclusions intéressantes de la recherche, c'est la croyance que les enfants de l'ère numérique soient différents de nous. Ironiquement, quand ils atteignent l'âge de 29 ans, ils commencent à agir comme vous et moi, et ils utilisent la technologie de la même manière que nous. Ils grandissent, en d'autres mots.
Alors oui, ils sont différents. Je partage les mêmes préoccupations quant à l'utilisation du consentement comme mécanisme pour assurer cette protection parce que nous devons établir un âge pour que ce système fonctionne.
J'ai lancé hier une recherche auprès d'un groupe de jeunes, et un jeune de 11 ans a expliqué au réseau CBC comment tous ses amis du même âge, en sixième année, avaient des comptes Facebook. Ils savent qu'il faut avoir au moins 13 ans, mais il suffit de cliquer sur le bon bouton. À mon avis, on ne rend pas service aux enfants si on leur dit qu'on va les surveiller pour s'assurer qu'ils ont l'âge minimal requis. Cela n'aidera pas. En tout cas, on peut imposer des restrictions d'ordre général qui reconnaissent que les enfants sont des enfants et qui interdisent de recueillir leurs renseignements pour ensuite les utiliser à des fins particulières une fois qu'ils seront grands...
Pensons, par exemple, à la plainte déposée contre le site Nexopia. Il s'agit du réseau social le plus populaire chez les enfants. Une des recommandations de la commissaire était que le site ne conserve pas des renseignements pendant une certaine période. Nexopia s'est contenté de dire:« Désolés, nous les gardons. Il y a beaucoup d'argent dans cette affaire. » On parle de jeunes de 12, 13 et 14 ans.
L'autre facteur est l'utilisation des renseignements. Je n'ai pas le temps d'entrer dans les détails, mais je peux parler de certaines études que nous menons auprès de jeunes filles. Le site est rempli de publicités qui utilisent des images très stéréotypées, particulièrement sur le plan des rôles sexuels. Je viens de faire une recherche qualitative vraiment fascinante auprès de jeunes femmes. Elles parlent de la façon dont ces images viennent limiter leur potentiel, chose qu'elles essaient constamment de refuser. Ces images rétrécissent leur champ de possibilités, au lieu d'élargir leurs horizons.
Oui, nous devons aborder la question différemment quand il s'agit des enfants. Je crois que, pour ce faire, il faut examiner les fins auxquelles l'information est utilisée et déclarer qu'il n'est pas raisonnable de recueillir des renseignements auprès d'enfants de huit ans et d'utiliser ensuite ces données pour essayer de leur vendre quelque chose.
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L'un des problèmes qui se posent pour répondre à cette question, c'est le manque de transparence. J'aimerais avoir beaucoup plus d'information sur le plan d'affaires de ces sites, certainement en ce qui concerne le fonctionnement du moteur arrière. Je serais ensuite mieux en mesure de répondre.
Je peux toutefois vous dire ce que je sais sur le moteur avant. On réalise beaucoup de recherches sur la manière dont les gens réagissent aux images que montrent les médias par rapport au sexe, par exemple. Peut-être pourrais-je mieux vous expliquer ce qu'il en est en vous donnant l'exemple de l'initiative eGirls, un autre projet de recherche auquel j'ai participé. Les jeunes femmes nous disent que quand elles vont sur ces sites, elles sont bombardées d'images de filles très minces, hypersexualisées, dont l'identité semble principalement axée sur leur relation avec un homme. Pour jeter les bases de nos travaux, nous avons entrepris une analyse environnementale, examinant 1 500 profils publics que des filles vivant visiblement dans la région d'Ottawa avaient publiés sur Facebook. Il s'agissait de profils publics; nous n'avons pas examiné de profils privés.
Sachez que tous ces profils, à l'exception d'un seul, reprenaient l'image stéréotypée de la femme: de jeunes femmes hypersexualisées, faisant la moue en bikini et ne parlant que de leur copain.
Aucune étude quantitative n'établit de relation de cause à effet entre le marketing et de tels comportements. On présume, comme le font certainement les entreprises de marketing, que ces images sont utilisées parce qu'elles influencent le comportement, ce qu'elles semblent faire fort efficacement. Nous savons cependant, d'après nos échanges avec les jeunes qui vivent dans ces environnements, que ces images très stéréotypées sont de véritables nuisances. Les jeunes femmes qui adhérent à ces images et qui cherchent à s'y conformer se désolent de ne pas pouvoir y parvenir et de ne pas réussir à être aussi mince malgré tous les régimes qu'elles s'imposent. Celles qui aspirent à être quelqu'un d'autre affirment qu'elles sont constamment confrontées à ces images et qu'elles doivent s'en prémunir. Tout cela vient du message de marketing qu'on leur envoie.
Ce qui est intéressant quand on observe l'évolution de la situation au Canada — et Michael a raison de dire que nous avons été des chefs de file dans toutes sortes de domaines —, c'est le grand succès qu'a remporté le programme Rescol. Nous avons offert aux jeunes des endroits publics où ils pouvaient échanger, des lieux neutres qui n'avaient rien de commercial. Le gouvernement fédéral a abandonné le programme peu après l'adoption de la LPRPDE. À défaut d'avoir ce programme, un grand nombre d'organisations soucieuses de protéger les intérêts des jeunes se servent de sites officiels pour intervenir.
Par exemple, nous avons beaucoup travaillé avec des enseignants récemment, et un grand nombre d'écoles disent qu'elles utilisent Google Documents. Rien ne semble indiquer que l'information soit recueillie, utilisée et modifiée pour manipuler les jeunes qui se servent de cette plateforme. Sincèrement, je ne crois pas que mes enfants devraient faire leurs devoirs dans un magasin, vous savez?
Selon moi, le marketing et la publicité comportementaux sont conçus pour ne pas avoir l'air de publicité. Ainsi, si on demande aux jeunes de nous dire ce qu'est Facebook, ils répondent que c'est un réseau social. Ce n'est pas un réseau social: c'est un laboratoire de recherche, mis en place pour recueillir de l'information sur les gens et s'en servir pour leur proposer quelque chose.
Cet outil est d'une efficacité redoutable. Nous avons observé, dans ma recherche notamment, une évolution de la réaction des jeunes à ces images. Je vous référerai à toutes les recherches publiées sur les problèmes relatifs à l'image corporelle et le recours accru à la modification de photos. Les conséquences sont nombreuses. À cet égard, j'ai assisté récemment à une réunion à Edmonton, où se sont réunis des médecins et des universitaires qui considèrent qu'il s'agit d'un problème de santé.
C'est une discussion fascinante. Je pense certainement que nous devons toujours garder le potentiel à l'esprit. Effectivement, la participation démocratique dans les nouveaux médias a une grande valeur de transformation.
Ma préoccupation est la question du détournement d'usage, cette notion que nous entendons autour de la table qui veut que si vous signez une entente, vous donnez votre consentement. Mais vous donnez votre consentement à un élément d'information précis que vous partagez et pourtant, cette information est ensuite partagée encore et encore dans cette vaste mine de données. C'est une question de droit à la vie privée qui doit être précisée lorsque vous vous inscrivez dans quelque chose.
Ma fille, qui est en 9e année, m'a envoyé un courriel l'autre jour pour me dire qu'on ne lui permettait pas d'accéder à son compte Gmail à moins qu'elle donne son numéro de téléphone cellulaire à Google. J'ai trouvé cela très étrange. Je l'ai appelée pour lui demander ce qui était arrivé. Elle m'a répondu qu'elle ne pouvait pas accéder à son compte Gmail à moins de donner son numéro de téléphone cellulaire à Google.
Le jour suivant, mon compte Gmail est apparu à l'écran et on me demandait d'inscrire, s'il vous plaît, mon numéro de téléphone cellulaire pour une plus grande sécurité. Je ne voulais pas donner mon numéro à ces gens. Ma fille de 9e année est plus futée que moi et ne leur a pas donné le sien. Vous deviez regarder tout en bas de la page pour trouver une ligne en tous petits caractères qui disait: « Cliquez ici si vous ne voulez pas le faire ».
Lorsque vous regardez cela, ces gens demandaient à ma fille de 14 ans de leur donner son numéro de téléphone cellulaire. Maintenant, Google est une entreprise citoyenne exemplaire, mais ma fille ne s'est pas inscrite à Gmail pour lui donner de l'information sur son cellulaire.
Je suppose que dans cette question de détournement d'usage, je me demande quel est notre rôle pour dire, très bien, un instant; cela dépasse les bornes. Allez-vous utiliser ce numéro de cellulaire d'une adolescente strictement pour sa sécurité personnelle ou est-ce que ce numéro sera ajouté à cette vaste mine de données à laquelle quelqu'un d'autre aura accès.
Je pense que ce sont là les questions que nous devons poser à titre de législateurs.