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Merci, monsieur le président.
Je tiens à rassurer les membres que s'ils n'ont pas suffisamment de temps pour me poser leurs questions, je serai heureux de revenir témoigner quand vous le voudrez.
Monsieur le président, honorables membres du comité, c’est un honneur pour moi de comparaître devant vous aujourd'hui pour parler du projet de loi . J’ai fourni aux membres du comité un document d’information qui décrit le contenu et la nécessité du projet de loi C-461, Loi sur la communication de renseignements et la transparence de la SRC et de la fonction publique.
Ce projet de loi poursuit deux objectifs. Il vise d’abord à corriger une lacune de l’article 68.1 de la Loi sur l’accès à l’information qui exclut de son application les renseignements qui relèvent de la Société Radio-Canada et qui se rapportent à ses activités de journalisme, de création ou de programmation. Toutefois, cette exclusion fait ensuite l’objet d’une exception pour ce qui est des renseignements ayant trait à son administration.
La confusion créée par une exclusion suivie d’une exception a donné lieu à un litige entre la commissaire à l’information et la Société Radio-Canada, tant la Cour fédérale que la Cour d’appel donnant raison à la commissaire à l’information, réaffirmant son droit d’examiner les décisions concernant l’accès. Les tribunaux ont indiqué que le libellé de l’article 68.1 n’était pas « un modèle de limpidité », voire qu’il constituait une « invitation à la controverse ».
Je partage cette opinion, et le comité aussi. En mars 2012, le comité a publié un rapport après avoir étudié l’article 68.1 de la Loi sur l’accès à l’information et accepté la recommandation de la commissaire à l’information d’abroger l’article 68.1 et de remplacer l’exclusion par une exemption discrétionnaire.
Le projet de loi reflète la recommandation du comité en prévoyant une exemption discrétionnaire fondée sur le préjudice probable. Par conséquent, tout document de la Société Radio-Canada dont la publication risquerait vraisemblablement de porter préjudice à ses activités de journalisme, de création ou de programmation devrait être exempté de communication.
À la deuxième lecture du projet de loi, les députés de l’opposition officielle ont prétendu que cette mesure législative était en quelque sorte une attaque contre la SRC.
Chers membres, je tiens à vous assurer que ce n'est pas le cas. Cette mesure législative ne vise pas la SRC, mais plutôt la transparence et la reddition de comptes.
L’exemption discrétionnaire fondée sur le préjudice probable reconnaît expressément qu’un radiodiffuseur public doit jouir d’un certain degré d’indépendance par rapport au gouvernement. La commissaire à l’information ne fait pas partie du gouvernement; elle est une agente du Parlement. Je ne vois pas en quoi l’autoriser à examiner les décisions de la SRC concernant les demandes d’accès à l'information constitue une attaque contre le radiodiffuseur. Un peu comme nous, les députés, la commissaire joue un rôle important qui consiste à obliger le gouvernement à rendre des comptes.
Le deuxième objectif de la Loi sur la communication de renseignements et la transparence de la SRC et de la fonction publique propose une modification plus profonde de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En enlevant les mots « l’éventail des » devant le mot « salaires » dans la définition des « renseignements personnels » exemptés de la loi, cette mesure permettra la divulgation du salaire des plus hauts salariés de la fonction publique fédérale.
Actuellement, seul l’éventail des salaires peut être communiqué, ce qui suffit, selon moi, dans le cas des petits et moyens salariés. Cependant, en ce qui concerne les plus hauts salariés, l’écart entre les salaires devient tellement grand que l’information n’a aucune valeur.
Par exemple, j’ai été informé que le président actuel de CBC/Radio-Canada gagne entre 363 800 $ et 428 000 $. L’écart est de 64 200 $ et supérieur au salaire du contribuable moyen; l’information communiquée est donc, à mon avis, sans valeur.
Par conséquent, si le projet de loi est adopté sans amendement, les salaires et les responsabilités des membres de la haute direction — ceux qui occupent des postes de sous-ministre de niveau DM-1 ou x supérieurs — pourraient être communiqués dans le cadre d’une demande d’accès à l’information.
Ceci est important: l’ensemble de la fonction publique fédérale serait touché par cette modification, soit toutes les institutions gouvernementales assujetties à la Loi sur l'accès à l'information. CBC/Radio-Canada ne serait pas un cas unique.
Le projet de loi propose également que les dépenses remboursées de tous les fonctionnaires soient communiquées.
Monsieur le président, le gouvernement a signifié son intention d’amender le projet de loi et, avec votre consentement, j’aimerais aborder les deux amendements proposés, tout en sachant qu’ils n’ont pas encore été déposés.
Le premier concerne la protection des sources journalistiques. Certains ont fait valoir que la protection des sources journalistiques est tellement sacro-sainte qu’il faut maintenir l’exclusion absolue.
Je conviens qu’il est important qu’un radiodiffuseur public puisse assurer à ses sources journalistiques confidentielles que leur identité ne sera pas divulguée, mais, à mon avis, une exclusion absolue n’est ni appropriée, ni applicable.
Tout d’abord, le paragraphe 36(1) de la Loi sur l’accès à l’information confère à la commissaire à l’information le pouvoir absolu de contraindre la production des pièces qu’elle juge indispensables pour instruire et examiner à fond les plaintes dont elle est saisie. De plus, le paragraphe 36(2) de la Loi sur l’accès à l’information stipule qu’aucun document ne peut lui être refusé, pour quelque motif que ce soit
Par conséquent, je doute que l’on puisse prévoir une exclusion qui serait compatible avec le pouvoir absolu de contraindre la production de documents dont jouit la commissaire à l’information. Les députés se souviendront que l’actuelle tentative d’exclusion, à l’article 68.1, était à l’origine du très long litige entre la commissaire et CBC/Radio-Canada.
En outre, comme la commissaire à l’information l’a elle-même indiqué lors de sa comparution devant le comité le 8 mars à propos du budget des dépenses, le privilège du secret des sources journalistiques n’est pas absolu. C’est ce que la Cour suprême du Canada a dit récemment, en 2010, dans l’arrêt R. c. National Post. La Cour a statué qu’il ne s’agit pas d’un privilège générique: le privilège doit être établi selon les faits de chaque affaire; l’examen se fait donc au cas par cas.
Qui peut déterminer si le critère à quatre volets du professeur Wigmore, et soutenu par la Cour suprême, est respecté, si l’on accorde une exclusion absolue à CBC/Radio-Canada? La réponse est évidente: personne. Doit-on accorder le statut de juge et de partie à CBC/Radio-Canada? Certainement pas!
Comme la commissaire à l’information l’a indiqué ici, il y a deux semaines, les décisions des agents d’information doivent faire l’objet d’un examen et, comme la Cour fédérale l’a indiqué dans le litige opposant Radio-Canada à la commissaire à l’information, « la communication de documents à la commissaire n’équivaut pas à leur divulgation ». Ceci est important. Les députés ne devraient pas être amenés à croire que l’examen de documents par la commissaire à l’information entraînera leur divulgation. La commissaire à l’information se prononcera contre leur divulgation lorsque CBC/Radio-Canada sera en mesure de démontrer que celle-ci lui porterait préjudice.
La deuxième modification que le gouvernement veut apporter, selon le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, concerne le seuil à partir duquel il devrait y avoir communication des salaires des fonctionnaires fédéraux. Le secrétaire parlementaire a indiqué que le gouvernement croit que l’échelon le plus élevé du DM-4 serait un seuil plus approprié que l’échelon le plus bas du DM-1. En dollars réels, il est étonnant de constater que le seuil de divulgation passerait ainsi de 188 600 $ à 319 900 $.
Mais là ne s’arrête pas l’histoire. Étant donné que les hauts fonctionnaires ont droit à des primes de rendement maximales, il est concevable que le titulaire d’un poste de DM-4 puisse toucher une prime de rendement maximale, discrétionnaire certes, pouvant aller jusqu’à 39 p. 100. Donc, selon mes calculs, si un DM-4 gagnant 319 900 $ touche sa prime maximale de 39 p. 100, soit 124 761 $, sa rémunération globale sera de 444 661 $. Toutefois, si le gouvernement réussit à amender cette mesure législative, les contribuables seront uniquement conscients qu’un DM-4 gagne entre 272 000 $ et 319 900 $.
Je demande aux membres du comité de se poser la question: cette information a-t-elle de la valeur? Pas à mon avis, et je recommande fortement aux députés de bloquer la tentative du gouvernement de torpiller ce projet de loi.
En terminant, monsieur le président, au Canada, la Loi sur l’accès à l’information est en vigueur depuis 1983. Jadis une figure de proue en matière d’accès aux renseignements et documents issus du gouvernement, le Canada accuse maintenant du retard et se classe au 55e rang parmi 93 pays aux plans de l’accès à l’information et de l’ouverture. Par ailleurs, Droits et Démocratie affirme que le Canada prend du retard par rapport aux provinces et se classe derrière elles sur le plan de l’ouverture. L’Ontario, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Manitoba et la Nouvelle-Écosse ont tous des lois sur la divulgation des salaires plus transparentes que celle proposée dans le projet de loi C-461, même si le gouvernement n’arrive pas à l’amender.
Monsieur le président, en mars 2004, le gouvernement de l'époque annonçait de nouvelles politiques sur la divulgation obligatoire de tous les contrats avec le gouvernement fédéral de plus de 10 000 $. Je trouve contradictoire que le nom et le montant du contrat des propriétaires et entreprises ayant obtenu du gouvernement du Canada un contrat d’aussi peu que 10 000 $ doivent être publiés sur un site Web public, alors qu’un haut fonctionnaire fédéral gagnant plus de 440 000 $ est protégé par la législation canadienne sur la protection des renseignements personnels.
J’invite de nouveau les députés à bloquer la tentative du gouvernement de vider de sa substance ce projet de loi d’initiative parlementaire.
La transparence et la divulgation permettent aux contribuables de considérer le salaire des dirigeants des organisations en fonction du rendement de celles-ci. Elles leur permettent de savoir comment les deniers publics sont dépensés. En permettant la divulgation, on permet à la population d’assurer un contrôle important pour ce qui est des dépenses publiques et on dissuade les fonctionnaires tentés de manquer de respect envers les contribuables. J’admets que la transparence est rarement dans l’intérêt du gouvernement. Toutefois, elle est toujours dans l’intérêt des contribuables que nous, députés, représentons.
Le projet de loi C-461, Loi sur la communication de renseignements et la transparence de la SRC et de la fonction publique, vise à promouvoir un gouvernement ouvert et transparent qui rend des comptes. C’est aussi un petit pas — quoiqu'un très petit pas — vers l’amélioration de la réputation d’opacité grandissante du gouvernement fédéral.
L’exclusion des renseignements gouvernementaux empêche les Canadiens de demander des comptes au gouvernement, ce qui est essentiel à la démocratie. La connaissance est synonyme de pouvoir et, pour avoir le pouvoir de demander des comptes au gouvernement, les Canadiens doivent avoir accès aux connaissances et aux renseignements nécessaires. La reddition de comptes permet d’établir un climat de confiance en ce qui a trait à la bonne gestion des ressources publiques. Par contre, l’opacité engendre la méfiance ou à tout le moins le doute quant à une bonne gestion des ressources publiques. Par conséquent, toute tentative visant à affaiblir ce projet de loi qui propose d'accroître l’accès à l’information et la transparence sera considérée avec méfiance et doute.
Comme l’a affirmé le juge Louis Brandeis de la Cour suprême des États-Unis: « le soleil est le meilleur désinfectant. »
Monsieur le président, les Canadiens méritent d’avoir accès aux renseignements gouvernementaux. J’encourage donc tous les députés à adopter le projet de loi C-461 sans amendement.
Merci, monsieur le président. Je serai heureux de répondre aux questions des membres.