:
Bienvenue à nos témoins. Nous sommes vraiment heureux que vous ayez tous pu être des nôtres aujourd'hui.
Je vous rappelle notre mode de fonctionnement. Chacun de vous aura droit à 10 minutes pour ses observations préliminaires. Nous passerons ensuite aux questions des membres du Comité, à raison de six minutes chacun avec alternance entre les partis.
J'utilise un système de cartons pour la gestion du temps. Lorsqu'il vous restera une minute, je vous montrerai le carton jaune. C'est simplement pour vous avertir qu'il serait temps de commencer à conclure. Je l'utiliserai tout aussi bien pour vos déclarations que pour la période des questions et réponses. Lorsque vous aurez épuisé tout le temps à votre disposition, je vous montrerai le carton rouge. Je ne vous demande pas de vous arrêter en plein milieu d'une phrase, mais le moment sera venu pour vous de conclure pour que nous puissions passer au prochain intervenant.
Nous poursuivons aujourd'hui une étude que nous avons amorcée avant Noël. Elle porte sur le leadership international. Le Comité a convenu d'accorder un certain temps, soit quatre heures, à la tarification du carbone dans le contexte de cette étude sur le leadership international. C'est donc le thème de la séance d'aujourd'hui.
Je vais vous présenter au fur et à mesure.
Monsieur Leach, voulez-vous commencer? Je crois que vous comparaissez aujourd'hui à titre personnel. Vous avez donc 10 minutes pour votre déclaration préliminaire.
:
Merci beaucoup, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du Comité.
[Français]
Je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui.
[Traduction]
Je suis très heureux d'être des vôtres aujourd'hui pour présenter mes arguments en faveur de la tarification du carbone et déboulonner certains des mythes entourant les politiques en la matière.
Je suis professeur agrégé au programme d'énergie et environnement de l'Université de l'Alberta. J'ai été auparavant chercheur invité à Environnement Canada, soit en 2012 et 2013, et président du groupe d'experts de l'Alberta sur le leadership en matière climatique en 2015. Je crois donc être la seule personne à avoir travaillé dans le dossier des politiques climatiques au sein des gouvernements de Rachel Notley et de Stephen Harper. Pour votre gouverne, j'ajoute que j'ai aussi effectué depuis 2016 certaines analyses aux fins du programme fédéral de tarification du carbone dont nous traitons notamment aujourd'hui.
Le simple fait que nous soyons réunis pour discuter de ces questions est révélateur. Malgré que la tarification du carbone s'applique déjà depuis 10 ans au Canada et depuis plus longtemps encore ailleurs dans le monde, nous sommes encore en train de débattre de la pertinence de ces politiques qui soulèvent une opposition farouche et donnent lieu à beaucoup de désinformation.
Cela n'empêche pas la quasi-totalité des économistes de convenir que la tarification du carbone permet de réduire les émissions au coût le plus bas possible pour l'économie. Je suis sans doute loin d'être le premier à vous le dire, et mes collègues ici présents auront probablement le même message à vous transmettre. Essayons de mieux comprendre pourquoi il en est ainsi. En mettant à contribution les forces du marché, on permet aux individus et aux entreprises de décider non seulement de quelle manière et à quel moment ils vont réduire leurs émissions, mais aussi de quelle façon et en quelle occasion ils vont se permettre d'en produire. Chacun étant davantage au fait de la valeur de ces émissions, il est mieux à même de décider s'il peut se permettre ou non le prix à payer. Les grands principes économiques nous ont appris qu'il fallait appliquer ces politiques de la façon la plus générale possible au sein de l'économie pour pouvoir en optimiser les bénéfices.
C'est dans ce contexte que j'aimerais traiter dans mes observations préliminaires de quelques questions et mythes qui circulent couramment au sujet de la tarification du carbone.
Il y a notamment beaucoup de gens qui se demandent pour quelle raison on devrait taxer les émissions des consommateurs ou même s'en prendre à ceux-ci de quelque manière que ce soit. Nous entendons des gens de toutes les allégeances politiques, pour dire les choses comme elles sont, faire valoir que le problème des émissions polluantes au Canada est le fait des grandes industries. On a encore pu le constater tout récemment lorsque le premier ministre Ford a réclamé que l'on pénalise les pollueurs, et non les navetteurs. Cette façon de voir les choses est toutefois fondée sur des bases erronées. Environ les deux tiers de nos émissions à l'échelle nationale proviennent de petits émetteurs — édifices, maisons, individus, ateliers, etc. — et non de grandes installations industrielles. Dans certaines provinces, cette proportion dépasse les 90 %. Si vous mettez en place des politiques exemptant ces émissions ou ne les tarifiant que partiellement, vous vous retrouvez avec des objectifs nationaux de réduction beaucoup plus coûteux à atteindre et un petit nombre d'industries qui se voient imposer une tarification punitive.
Qu'en est-il des incidences sur les Canadiens à faible revenu? L'expérience nous a certes démontré qu'il était primordial pour le gouvernement de l'Alberta de ne pas mettre en oeuvre une politique d'application régressive. La situation est tout aussi préoccupante pour les résidants des régions rurales. Les économistes reconnaissent que la tarification du carbone peut être régressive, bien que ce ne soit pas nécessairement toujours le cas, et qu'il y a vraiment lieu de s'inquiéter des répercussions pour les ménages et les résidants ruraux. Nous ne devons pas perdre de vue l'importance de la répartition de ces impacts, mais constater également que les gouvernements qui ont opté pour la tarification du carbone ont pu utiliser les revenus qu'ils en ont tirés pour atténuer en grande partie ces répercussions au moyen de remises directes, de prestations fiscales et de mesures semblables. Il faut toutefois éviter de conclure d'emblée que ces remises ou ces transferts sont suffisants pour que chacun se retrouve en meilleure posture. Ce n'est pas le cas. Dans chaque tranche de revenus, on trouvera encore des gens dont la situation s'est détériorée en raison de ces politiques.
Il faut en outre bien comprendre que l'efficacité de la tarification du carbone n'est pas minée par le versement de remises de la sorte. La tarification continue de s'appliquer aux émissions. C'est ce qui permet de modifier les comportements. Ce n'est pas le fait que le revenu disponible de chacun décroît qui importe, mais plutôt la fluctuation dans les prix relatifs. Il m'arrive de noter que ceux qui sont les plus préoccupés par les impacts régressifs de ces mesures ont souvent d'importantes réserves quant à la répartition des revenus visant à atténuer ces mêmes préoccupations.
Nous nous inquiétons par ailleurs du sort des grandes industries, et plus particulièrement des répercussions sur la capacité concurrentielle des secteurs tributaires du commerce. Je sais que vous vous intéressez également aux aspects planétaires de la tarification du carbone. Nous devons d'abord et avant tout reconnaître que ces préoccupations sont fondées et touchent surtout nos provinces qui dépendent des ressources naturelles, comme c'est le cas chez moi en Alberta. Là également, la recherche économique pointe vers une solution évidente qui repose sur l'octroi de crédits d'émissions en fonction de la production économique. En appliquant cette solution parallèlement à la tarification du carbone, on évite de diminuer la rentabilité globale du secteur tout en continuant d'envoyer le message que les émissions seront tarifées et que les entreprises ont tout intérêt à innover. Comme on pouvait s'y attendre, ceux qui s'inquiètent au sujet de la capacité concurrentielle des entreprises ont aussi des réserves relativement à l'octroi de tels crédits. À titre d'exemple, nous avons entendu le chef de l'opposition les qualifier d'exemptions.
C'est d'ailleurs l'un de mes principaux sujets de recherche. Je m'emploie à déterminer si cela peut correspondre à une exemption. Je peux vous dire que ce n'est pas le cas. Ainsi, les entreprises du secteur des sables pétrolifères tireraient les mêmes avantages d'une technologie réduisant leurs émissions dans le cadre d'un régime de tarification du carbone assorti d'octrois de crédits fondés sur la production que si l'on se limitait à une simple tarification du carbone. Ce ne serait pas le cas avec une exemption à proprement parler.
On peut entendre toutes sortes d'affirmations concernant l'innovation. Je vais vous donner un exemple. Dans un article publié en décembre dans le New York Times, le président du comité de l'environnement du Sénat des États-Unis indiquait que l'on allait pouvoir rendre l'énergie aussi propre que possible aussi rapidement que possible sans augmenter les coûts pour les consommateurs grâce à l'investissement, l'invention et l'innovation. On entend souvent des arguments de la sorte. Nous y voyons essentiellement une dichotomie qui oppose tarification du carbone et innovation. En fait, ce n'est pas vraiment un choix que nous avons à faire. Les économistes — et David Popp en est un excellent exemple — constatent sans cesse que les politiques fondées sur la tarification du carbone offrent de meilleurs incitatifs à l'innovation que la réglementation tout en évitant le versement de subventions directes.
Faut-il en conclure pour autant que la tarification du carbone est le remède à tous les maux ou la seule option qui s'offre à nous? Absolument pas. On ne devrait jamais affirmer une chose pareille. La réglementation, les subventions et les autres mesures dans le même sens peuvent aussi avoir des répercussions importantes sur les émissions. Les faits nous démontrent toutefois que la tarification du carbone est la solution à privilégier si l'on veut réduire les émissions au coût total le plus bas possible pour l'économie et stimuler au maximum l'innovation.
Je vous remercie de m'accueillir ici aujourd'hui.
[Français]
Je suis prêt à répondre à vos questions.
Merci.
:
Merci beaucoup de m'avoir invité à prendre la parole devant vous au sujet du leadership international, notamment en matière de tarification du carbone.
Je suis économiste de l'environnement et je m'intéresse à la conception des politiques touchant le changement climatique. Mes recherches portent sur les coûts et avantages des différentes politiques ainsi que sur leurs répercussions sur les revenus des ménages et les émissions de gaz à effet de serre. Les observations que je vais vous présenter aujourd'hui s'appuient donc sur ces recherches que j'ai menées.
Je veux souligner d'entrée de jeu que la quasi-totalité des économistes s'entend pour dire que la tarification des émissions de carbone est la meilleure solution pour lutter contre les changements climatiques. Comme vous le savez sans doute, il est plutôt rare que les économistes s'entendent ainsi. La récente déclaration commune d'économistes américains en faveur de la tarification du carbone qui a été publiée dans le Wall Street Journal est donc remarquable du fait qu'elle témoigne du consensus qui se dégage en la matière. Cette déclaration en faveur de la tarification du carbone a notamment été signée par les quatre anciens présidents de la Réserve fédérale américaine qui sont toujours vivants, 27 lauréats du Prix Nobel d'économie — soit presque tous ceux qui sont encore de ce monde — et 15 anciens présidents du Conseil consultatif économique. Des affirmations semblables ont été faites par des économistes canadiens formant un échantillon très représentatif de la profession. En outre, aucun des économistes chevronnés sondés par le Chicago Booth School of Business n'a contesté la pertinence de la tarification du carbone.
La tarification du carbone est le meilleur moyen pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du fait qu'elle mise, pour ce faire, sur la main invisible du marché. En l'absence d'une tarification du carbone, les individus et les entreprises n'ont aucun incitatif à réduire leurs émissions. Ils peuvent continuer à utiliser l'atmosphère comme un dépotoir gratuit. Si l'on applique une tarification appropriée du carbone, les particuliers et les entreprises sont incités à réduire leurs émissions. En outre, une tarification du carbone encourage les entreprises à orienter leurs efforts de recherche vers les technologies à faibles émissions, ce qui réduira les coûts à venir pour la réduction de ces émissions, comme vient de le mentionner Andrew.
Il est important de noter que la tarification du carbone offre une grande flexibilité en permettant aux individus et aux entreprises d'adapter leurs interventions à leur situation particulière. C'est l'une des principales caractéristiques distinguant la tarification d'une approche réglementaire pour la réduction des émissions, et c'est pour cette raison que la tarification du carbone est considérée comme beaucoup plus efficiente du point de vue économique que l'approche réglementaire.
Je veux profiter de mon temps de parole aujourd'hui pour vous faire part de deux éléments qui ressortent de mes recherches sur la question. Premièrement, tout indique que la tarification du carbone fonctionne et permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Deuxièmement, les coûts économiques de la tarification du carbone sont faibles.
Concernant le premier point, les faits probants s'accumulent en provenance des différentes régions du monde qui ont imposé une tarification du carbone. Ces éléments démontrent que la tarification a permis de réduire les émissions. Je me suis penché sur le cas de la Colombie-Britannique qui impose une tarification depuis 10 ans. Mes recherches révèlent qu'un prix du carbone fixé à 30 $ la tonne s'est traduit par une diminution de la consommation d'essence et des émissions dans une proportion d'environ 8 % par rapport à ce que l'on aurait pu observer en l'absence d'une tarification. Au moins trois autres études en arrivent à des conclusions très similaires en s'appuyant sur des méthodes et des bases de données différentes. D'autres études réalisées en Colombie-Britannique ont noté des répercussions semblables de la tarification du carbone sur la consommation de diesel et la consommation résidentielle de gaz naturel.
En Alberta, la tarification du carbone a déjà considérablement réduit les émissions provenant de la production d'électricité. En Europe, elle a été utilisée pour réduire les émissions du secteur des transports en Suède et celles de l'industrie en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. C'est un peu la même chose en Colombie-Britannique où les recherches indiquent que la tarification du carbone a entraîné une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs visés. C'est bien sûr un résultat qui ne devrait pas nous surprendre. Lorsque le prix d'un bien ou d'un service augmente, sa consommation par les particuliers et les entreprises diminue.
J'aimerais vous parler en second lieu des répercussions économiques de la tarification du carbone. Dans les endroits où la tarification s'applique depuis un bon moment déjà, il n'est pas possible d'observer quelque répercussion que ce soit sur le rendement de l'économie. Ou bien l'impact est nul, ou encore il est trop faible pour être mesurable. À titre d'exemple, la Colombie-Britannique impose une tarification sur le carbone depuis 10 ans, et c'est la province qui a connu la plus forte croissance économique au Canada pendant cette période.
Des économistes ont également mené des centaines d'études visant à évaluer les impacts possibles de la tarification du carbone sur l'économie à partir de modèles informatiques. Un vaste consensus se dégage de leurs travaux. L'incidence de la tarification du carbone sur l'économie sera très faible. À titre d'exemple, le forum de modélisation énergétique de l'Université Stanford a récemment regroupé une douzaine de spécialistes pour mesurer les impacts éventuels d'une tarification du carbone. Ils ont unanimement indiqué que les impacts d'une politique semblable seraient très faibles, et ce, même si le niveau de tarification devait augmenter considérablement au fil des ans. De nombreux travaux de recherche nous confirment également que la tarification du carbone sera moins coûteuse que les autres approches envisagées pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
À mon avis, l'approche de tarification du carbone adoptée par le gouvernement fédéral semble donc tout à fait justifiée, compte tenu des éléments d'information disponibles. Elle permettra de réduire les émissions à un coût global très faible pour l'économie et inférieur à celui des autres approches considérées.
L'approche adoptée par le Canada s'appuie sur 15 années d'expérience internationale en matière de tarification du carbone. Elle positionne le Canada parmi les pays à l'avant-garde des efforts déployés pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre.
Je vous offre une dernière piste de réflexion en terminant. Bien que tout indique que la tarification du carbone permet de réduire les émissions, il ressort aussi clairement que le niveau de tarification actuellement adopté n'est pas suffisant pour nous permettre d'atteindre nos objectifs environnementaux à long terme. Le gouvernement devrait, certes, s'employer en priorité à faire fond sur l'approche actuelle afin de bien cibler les politiques qui contribueront à faire chuter considérablement nos émissions d'ici le milieu du siècle et par la suite.
Merci beaucoup pour le temps que vous me consacrez.
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Merci beaucoup de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui pour traiter de tarification du carbone. Je représente la Commission de l'écofiscalité du Canada, un groupe d'économistes des différentes régions du pays. Le travail des membres de la Commission est appuyé par un conseil consultatif comptant des représentants de tous les secteurs de la sphère politique.
La Commission a produit de nombreux rapports de recherche recommandant vivement la tarification du carbone comme approche à privilégier du point de vue économique pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre au Canada. Les observations que je vais vous soumettre aujourd'hui s'articulent autour des résultats attendus avec la tarification du carbone comparativement à d'autres options stratégiques et approches possibles.
Considérons d'abord les impacts environnementaux. Comme nous le savons tous, toute politique climatique vise d'abord et avant tout la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il est essentiel d'adopter une politique pour atteindre cet objectif. Sans intervention ciblée, nos émissions vont continuer d'augmenter et nous n'atteindrons jamais nos cibles nationales. Ces émissions auront de plus contribué au réchauffement climatique à l'échelle planétaire, un phénomène dont les coûts seront sans doute faramineux. La récente évaluation climatique nationale menée aux États-Unis mettait d'ailleurs en lumière des impacts planétaires et des coûts très importants pour l'économie. Il faut s'attendre à des répercussions semblables dans les différents secteurs au Canada.
Il ressort clairement, aussi bien de la théorie économique que de l'application pratique des politiques, que la tarification du carbone permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les entreprises et les pollueurs sont ainsi encouragés à prendre les mesures nécessaires pour éviter cette tarification, que ce soit en adoptant de nouvelles technologies ou en modifiant leurs comportements. À plus long terme, cela permet aussi d'accroître la valeur des technologies émergentes permettant de réduire davantage les émissions à un coût inférieur. Comme l'indiquait M. Rivers, la tarification du carbone peut donc être un outil très puissant pour l'innovation à long terme aux fins de la réduction des émissions.
Des recherches rigoureuses menées par différents économistes nous indiquent que les émissions de gaz à effet de serre seraient plus élevées dans une proportion allant de 5 % à 15 % si la Colombie-Britannique n'avait pas mis en oeuvre cette tarification du carbone. Les émissions auraient été plus fortes en l'absence d'une telle politique. Les premières indications nous laissent également entrevoir que l'Alberta s'éloigne graduellement de la production d'électricité à partir du charbon, notamment en raison de cette tarification du carbone. Des résultats semblables ont été constatés au sein du réseau électrique au Royaume-Uni, et on signale une chute marquée de l'intensité des émissions en Suède où la tarification du carbone est appliquée depuis longtemps.
Il faut noter qu'il existe d'autres politiques pouvant mener à une réduction des émissions. La réglementation peut exiger des résultats précis, que ce soit via l'application de normes de rendement fixant le degré d'intensité des émissions au niveau des entreprises ou du secteur, ou rendant même obligatoire l'adoption d'une technologie donnée. Les subventions peuvent aussi permettre de réduire les émissions. On peut se servir des deniers publics pour offrir aux pollueurs des incitatifs visant l'adoption de technologies, de processus ou de comportements qui vont se traduire par une réduction des émissions.
Il faut toutefois souligner que ces différentes options stratégiques pour la réduction des émissions ne produisent pas des résultats comparables lorsque d'autres facteurs sont pris en compte. C'est le cas par exemple lorsqu'on considère les impacts globaux sur l'économie. La tarification du carbone permet d'obtenir un certain niveau de réduction des émissions au coût le plus faible possible, comparativement aux autres solutions envisageables. Cela s'explique par la marge de manoeuvre qui est ainsi offerte aux pollueurs. Pour éviter de payer une taxe sur le carbone, les particuliers et les entreprises peuvent choisir eux-mêmes la manière dont ils vont s'y prendre pour réduire leurs émissions et le moment où ils vont le faire. C'est ce qui explique le résultat des analyses économiques révélant que l'impact sur l'économie sera sans doute très faible, et ce, même si le prix du carbone devient très élevé. Nos propres exercices de modélisation prévoient une forte croissance économique au Canada avec une tarification du carbone qui atteindra 100 $ la tonne en 2027. Peu importe la manière dont les revenus tirés de cette tarification seront recyclés dans l'économie, la croissance demeurera forte. Les répercussions sur la croissance seront très faibles dans le pire des cas, et négligeables suivant plusieurs de ces scénarios.
La tarification du carbone est en vigueur depuis 2008 en Colombie-Britannique, et cette province est l'une de celles qui connaît la plus forte croissance au pays. Cette performance ne s'explique pas par la tarification du carbone, mais l'expérience de la Colombie-Britannique a démontré que cette politique n'empêche pas une forte croissance de l'économie.
Qu'en est-il des autres politiques? Les subventions sont plus coûteuses que la tarification du carbone pour trois raisons. Elles exigent des gouvernements qu'ils choisissent des gagnants en déterminant quelles technologies ou quelles activités seront subventionnées. Les gouvernements ne font pas toujours des choix éclairés en la matière, et il serait préférable qu’on laisse le marché en décider. Comme de telles subventions exigent de puiser à même les deniers publics, il faut augmenter les impôts ou réduire les autres services gouvernementaux. Enfin, ces subventions sont souvent versées à des pollueurs qui auraient pris la mesure visée de toute manière. À titre d'exemple, l'analyse de notre commission a démontré que les subventions versées pour l'achat de voitures électriques coûtent environ 400 $ la tonne de réduction d'émissions. Cela s'explique notamment du fait que la subvention est versée à quelqu'un qui aurait acheté un véhicule électrique de toute manière, c'est-à-dire même en l'absence de subvention ou avec une subvention beaucoup moins élevée.
La réglementation est généralement plus coûteuse que la tarification du carbone parce qu'elle s'appuie sur le gouvernement, plutôt que sur le marché, pour la détermination des moyens utilisés, des secteurs visés ou du moment choisi pour la réduction des émissions. Une réglementation flexible mise en oeuvre de façon optimale et conçue pour tabler sur les mécanismes du marché comme le fait la tarification du carbone pourrait produire des résultats presque aussi intéressants que la tarification elle-même.
Voici un autre exemple. Selon l'analyse de la Commission de l'écofiscalité du Canada, la combinaison de règlements et de subventions à l'éthanol coûte environ 180 $ par tonne d'émissions réduites. Là encore, les règlements et subventions favorisent certaines technologies plutôt que de rester neutres quant à l'endroit et au moment où les émissions seront réduites.
Pour ce qui est des effets sur l'entreprise, une tarification du carbone bien conçue peut faire diminuer les émissions tout en protégeant la compétitivité des entreprises canadiennes, même si certains de nos partenaires commerciaux n'imposent pas de tarification du carbone. Selon l'analyse de la Commission, une tarification du carbone axée sur les résultats inciterait les entreprises à améliorer leur rendement pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, plutôt qu'à diminuer leur production ou à choisir d'investir ailleurs. C'est l'approche privilégiée par l'Alberta dans son règlement sur les émetteurs de gaz désignés, qui a ensuite été amélioré grâce à son règlement sur l'encouragement à la compétitivité en matière de carbone. C'est également la solution proposée dans le modèle fédéral.
La tarification du carbone procure plus d'avantages aux entreprises que d'autres formules, comme la réglementation, parce qu'elle est simple et transparente, souple et non prescriptive et qu'elle permet de réduire les coûts. C'est peut-être pour ces raisons que la Chambre de commerce du Canada a indiqué récemment appuyer la tarification du carbone plutôt que la réglementation pour susciter une transition vers une économie à faibles émissions de carbone au Canada.
Pour ce qui est de l'incidence sur les ménages, quand on évalue l'effet net de la tarification du carbone sur les ménages, individuellement, il faut tenir compte à la fois du prix du carbone et de l'utilisation des revenus générés. Une analyse crédible réalisée par le gouvernement fédéral conclut que, pour 80 % des ménages, les économies dépasseront les coûts associés au carbone selon la politique fédérale de tarification du carbone. Il faut souligner que ces économies n'affaibliront en rien l'incitatif à la réduction des émissions. Elles seront indépendantes du prix du carbone lui-même. Les émetteurs peuvent en effet réduire leurs émissions et générer une réduction de taxes. Enfin, la tarification du carbone peut également être très équitable. Les économies consenties aux ménages peuvent nous garantir que cette politique n'ait pas de conséquences démesurées sur les ménages à faible revenu.
Qu'en est-il des autres politiques? Il faut souligner que les autres politiques engendrent aussi des coûts pour les ménages, alors qu'elles ne présentent pas l'avantage du recyclage des recettes. La réglementation impose des coûts directs aux ménages, puisque les entreprises refileront aux consommateurs les coûts qu'ils devront absorber pour s'y conformer. Comme nous l'avons déjà dit, pour réduire les émissions de tant, un règlement exige des coûts plus élevés que la tarification du carbone.
De même, il faut des revenus pour pouvoir accorder des subventions. Cela signifie qu'il faut, soit réduire d'autres dépenses gouvernementales, soit générer de nouveaux revenus au moyen de taxes, ce qui représente des coûts pour l'économie et pour les ménages.
Permettez-moi de résumer brièvement ces arguments.
La tarification du carbone fonctionne. C'est l'option stratégique la plus rentable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Elle peut et doit être conçue pour protéger la compétitivité des entreprises, tout en assurant un régime équitable pour les ménages à faible revenu.
Je vous remercie infiniment de nous avoir invités à témoigner aujourd'hui. J'ai hâte de répondre à vos questions.
Je souhaite remercier le Comité de m'avoir invité à comparaître cet après-midi en compagnie de ce groupe particulièrement relevé de témoins. Je suis la seule personne ici aujourd'hui à ne pas être économiste. Cependant, j'ai passé beaucoup de temps dans des salles de comité comme celle-ci dans ma vie, à titre de membre du personnel de députés et de ministres, donc je suppose que je suis ici pour proposer une interprétation simultanée de l'« économien » au français.
Canadians for Clean Prosperity est une organisation à but non lucratif réclamant des solutions axées sur le marché pour relever les défis environnementaux. Depuis notre création, il y a cinq ans, nous militons surtout pour une taxe sur le carbone sans incidence sur les revenus, que nous considérons comme la meilleure solution aux défis que présentent les changements climatiques pour les raisons que mes collègues témoins ont déjà évoquées. Nous participons également à divers débats sur la tarification du carbone au Canada, sur les régimes fédéral et provinciaux.
Aujourd'hui, je souhaite vous expliquer pourquoi la tarification du carbone et l'approche fédérale actuelle consistant à adopter une loi qui sera le filet de sécurité sur la tarification du carbone sont si importantes et en quoi elles peuvent contribuer à la quête internationale de solutions aux changements climatiques.
Je remarque que le Comité étudie le volet leadership international du cadre pancanadien. Je suis d'avis que l'exemple que présente le Canada avec son cadre de tarification du carbone et la loi fédérale destinée à en assurer la cohérence partout au pays établit un précédent très important à l'échelle internationale.
Si le Canada réussit, au cours des prochaines années, à mettre en place un cadre national de tarification du carbone qui s'appuie sur ce filet de sécurité, nous nous positionnerons comme un chef de file mondial, et il y a de bonnes raisons de croire que d'autres pays, particulièrement les États-Unis, le remarqueront. Si par contre nos efforts visant à établir un cadre national de tarification du carbone échouent pour des raisons politiques, l'exemple canadien servira d'avertissement sur la difficulté de créer un régime de tarification du carbone, ce qui pourrait dissuader d'autres pays d'agir.
Comme vous le savez, il y a différentes formes de tarification du carbone, et le Canada les a presque toutes déjà essayées.
Il y a d'abord la taxe sur le carbone pure et simple, qui s'applique généralement à toute combustion de combustibles fossiles, une solution pour laquelle la Colombie-Britannique a été une pionnière. À bien des égards, la taxe sur le carbone mise en place en Colombie-Britannique à l'initiative de l'ancien premier ministre Gordon Campbell est le modèle type de la façon dont une taxe sur le carbone sans incidence sur les revenus doit s'appliquer. Il a été abondamment étudié, notamment par M. Rivers.
Il y a ensuite le modèle de plafonnement et d'échange, selon lequel une administration fixe un plafond d'émissions, et les entreprises doivent acheter des crédits d'émissions, le plus souvent au moyen d'une vente aux enchères. Le système d'échange européen et l'Initiative de l'Ouest sur le climat, en Californie, en sont les deux exemples les plus connus. D'ailleurs, le Québec — et jusqu'à tout récemment, l'Ontario — est un partenaire de l'IOC, et c'est lui qui a instauré le modèle du plafonnement et de l'échange au Canada.
Il y a une autre variante qu'on appelle parfois le modèle de la base et des crédits, selon lequel les entreprises ont droit à des crédits d'émissions de base, qui se fondent souvent sur l'intensité des émissions dans leur secteur industriel. Si leur niveau d'émissions se situe en deçà ou au-dessus de la base, elles devront acheter des crédits ou pourront en gagner.
Le règlement de l'Alberta sur les émetteurs de gaz désignés, adopté par le gouvernement provincial conservateur au pouvoir en 2007, en est un exemple. L'actuel règlement sur l'encouragement à la compétitivité en matière de carbone, conçu avec l'aide d'Andrew Leach, qui comparaît aujourd'hui à mes côtés, ainsi que le modèle fédéral de tarification fondé sur le rendement des grandes entreprises sont inspirés de ce modèle. J'ajouterais que la Saskatchewan et l'Ontario ont également fait des propositions très similaires pour la tarification du carbone émis par leurs entreprises. À l'heure actuelle, le modèle de tarification du carbone fondé sur le rendement en vigueur en Saskatchewan propose un tarif de 20 $ la tonne aux secteurs industriels.
Il y a une autre variante qu'on appelle parfois le modèle des frais et des dividendes sur le carbone. Selon ce modèle, qui est en fait une variante de la taxe sur le carbone, des frais sont imposés pour toutes les émissions dues à la combustion. Le gouvernement redonne ensuite les revenus qui en découlent à tous ses citoyens sous forme de dividendes par habitant.
Ce modèle est très populaire auprès de la population et reçoit un certain appui politique aux États-Unis. Deux organisations en particulier, le Citizens' Climate Lobby et le Climate Leadership Council, font la promotion active du modèle des frais et des dividendes. Plusieurs projets de loi ayant reçu un appui bipartisan ont été déposés au Congrès des États-Unis pour mettre ce type de modèle en place, mais aucun n'a encore été soumis au vote de la Chambre des représentants ni du Sénat.
Au début de 2018, un certain nombre de leaders américains très en vue et de grandes entreprises ont exprimé leur appui à un plan de dividendes sur le carbone présenté par deux anciens secrétaires d'État et secrétaires au trésor républicains, James Baker et George Shultz. S'il y a une forme de tarification du carbone qui a une chance de succès politique aux États-Unis et qui pourrait recevoir un appui bipartisan, ce serait probablement une quelconque version du modèle des frais et des dividendes sur le carbone. La chose qui ressemble le plus à ce modèle qui existe actuellement dans le monde, c'est le filet de sécurité fédéral sur la tarification du carbone. Des frais directs sont imposés, la redevance sur les combustibles, pour toutes les émissions dues aux combustibles fossiles dans les provinces ou territoires assujettis au régime, et la loi prescrit que le gouvernement fédéral retourne à la province ou au territoire tous les revenus qu'il y a perçus.
L'automne dernier, le gouvernement fédéral a annoncé que 90 % des revenus tirés de la redevance sur les combustibles seraient retournés directement aux ménages sous forme de remises directes par habitant accordées au premier déclarant d'un ménage, puis de remises proportionnelles accordées également au conjoint, ou au deuxième déclarant, ainsi qu'aux enfants à charge. Les 10 % qui restent seraient redistribués aux petites entreprises, aux écoles, aux hôpitaux et aux autres organisations devant absorber le prix du carbone.
Selon l'analyse réalisée par le témoin ici présent Dave Sawyer, qui représente les Canadians for Clean Prosperity, le modèle de frais et de dividendes sur le carbone serait celui qui profiterait le plus aux ménages. En fait, le gouvernement fédéral estime qu'en Ontario, 8 ménages sur 10 bénéficieraient de ces incitatifs fédéraux à l'action climatique.
Ce qui se joue actuellement dans les quatre provinces canadiennes où vit environ 50 % de la population et qui génèrent environ 50 % du PIB, c'est le premier test à grande échelle d'application concrète du modèle des frais et des dividendes. Si ses résultats sont concluants, et que l'on considère qu'il permet de réduire les émissions tout en préservant la plupart des consommateurs et des ménages d'une augmentation de prix, ce sera un exemple important qui sera cité partout dans le monde et qui sera analysé attentivement aux États-Unis et ailleurs.
S'il échoue et que le Canada recule en matière de tarification du carbone, alors nous rendrons la tarification du carbone beaucoup plus difficile pour les autres pays, qui ne voudront pas répéter l'expérience négative vécue ici. C'est ce qui est arrivé en Australie et en France, où il y a eu récemment des manifestations importantes. Quand la tarification du carbone suscite de la résistance quelque part, le progrès peut en souffrir ailleurs. Par contre, les exemples positifs comme ceux du Royaume-Uni ou de la Colombie-Britannique peuvent devenir des modèles favorisant l'action ailleurs.
Il est donc essentiel pour le leadership international du Canada en matière de tarification du carbone que son filet de sécurité fédéral sur la tarification du carbone soit un succès au cours des prochaines années, et j'espère que ce sera mentionné dans le rapport du Comité.
Merci beaucoup.
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Bonjour. Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui.
Je m'appelle Dave Sawyer. Je suis agrégé supérieur à l'Institut pour l'IntelliProspérité de l'Université d'Ottawa. Je suis également économiste spécialisé en réglementation. J'ai travaillé au cours de la dernière année pour des gouvernements libéraux, néo-démocrates et conservateurs sur la politique climatique, si bien que j'ai une assez bonne idée des différents points de vue des gouvernements et de la façon dont ils mettent en oeuvre la politique sur le carbone au sein de la fédération. Je vous décrirai un peu la situation actuelle, vous présenterai un genre d'état de la situation, après quoi je vous ferai part de mes conclusions.
Il y a à peine trois ans, il semblait inconcevable que le Canada, collectivement, se dote d'une véritable politique sur le carbone susceptible de nous permettre d'atteindre un sommet d'émissions en 2020. Notre analyse de l'écart nous porte désormais à croire qu'ensemble, les politiques fédérales et provinciales sur le carbone pourraient, grâce à quelques ajustements, nous permettre d'atteindre notre cible d'émissions pour 2030 en limitant les conséquences économiques à une petite fraction de la croissance annuelle du PIB. Il semble même que le nouveau cadre stratégique qui émerge au Canada, qui comprend un régime de tarification du carbone, des règlements et des mesures d'innovation — ainsi qu'un recyclage des revenus pour parer les problèmes de répartition mentionnés par Mark et les autres —, soit suffisamment robuste pour pousser notre ambition encore plus loin, à coût raisonnable, pour intensifier notre décarbonisation d'ici la moitié du siècle, ce qui signifie que nous avons l'architecture, les boutons et les commandes nécessaires pour adapter l'architecture actuelle afin d'aller encore plus loin si nous le choisissons.
Or, la théorie et la modélisation diffèrent de la pratique. Dans les faits, le cloisonnement et la divergence des politiques provinciales et des préférences stratégiques continuent de miner l'aptitude du Canada, collectivement, à stimuler une action économiquement avantageuse. Il faut blâmer pour cela les gouvernements fédéraux successifs qui ont laissé le champ libre aux dirigeants des provinces, au sein de la fédération — évidemment de leur province —, pour imposer ou non leur propre vision des choses. Les diverses mesures prises dans les provinces qui se sont dotées de leur propre politique adaptée sur le carbone ont donné lieu au fouillis qui caractérise aujourd'hui l'effort climatique pancanadien. Il faut également jeter le blâme sur la politique partisane qui continue de peser plus lourd que les risques économiques à long terme.
La vérité simple, c'est que nos ambitions climatiques nationales sont étroitement liées aux attentes géopolitiques de nos partenaires commerciaux et par conséquent, à nos propres aspirations géopolitiques. Comme le monde continue d'exiger des politiques de plus en plus ambitieuses — et il faut admettre que l'ambition du Canada est principalement motivée par des facteurs externes, selon moi, ou à tout le moins était-ce le cas jusqu'à tout récemment —, le Canada, s'il veut contenir ses coûts, devra trouver une solution à la fragmentation actuelle de ses politiques.
Jusqu'à maintenant, le gouvernement fédéral a bien réussi à manoeuvrer parmi les politiques fragmentées de la fédération. Il a établi une pierre angulaire de sa politique sur le carbone grâce au cadre pancanadien élaboré en collaboration avec les provinces, en permettant aux divers régimes fiscaux et commerciaux du Canada de demeurer dans la mesure où ils respectent les prix minimaux imposés pour la taxation ou prévoient une réduction des émissions conformes à la cible de 2030 s'ils choisissent un régime d'échange. Il y a de la souplesse. Ainsi, les provinces n'ont pas à s'en remettre au gouvernement fédéral pour établir leur politique climatique.
Pour remédier à la névrose omniprésente dans la politique climatique, sur le plan de la compétitivité, les provinces et le gouvernement fédéral semblent sur la bonne voie. Le modèle de référence fédéral pour la tarification du carbone se veut un modèle hybride pour les grands émetteurs industriels ou les secteurs touchés par les échanges et rejetant de grandes quantités d'émissions. Le régime fédéral s'inspire beaucoup de ceux du Québec et de l'Alberta, qui se fondent sur des indicateurs de rendement pour établir les coûts d'une fraction seulement des émissions de GES, mais comme M. Leach le disait, « on continue d'envoyer le message que les émissions seront tarifées » dans un but de réduction.
Bien sûr, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, l'Ontario, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve-et-Labrador et le Manitoba ont maintenant tous proposé ou sont en train de mettre en place des modèles de tarification du carbone similaires pour leurs grands émetteurs. Nous nous attendons à ce que l'Ontario présente très bientôt son nouveau régime de tarification du carbone. Il est vrai que la « Résistance » a proposé ses propres modèles. Pourquoi? C'est simple: parce que l'industrie l'exige.
Les dirigeants d'entreprises s'inquiètent de leur compétitivité. Nous avons travaillé avec 300 grandes entreprises industrielles de l'Alberta et de l'Ontario, et la compétitivité est une priorité pour leurs dirigeants. Par ricochet, c'est évidemment une priorité pour les gouvernements.
La plupart des économistes et des mordus de politique vous diront à leur tour qu'ils aiment le modèle fédéral de tarification du carbone. Celui-ci impose une tarification applicable à toute l'économie tout en établissant des normes de prix ou de quantité qui permettront de mieux harmoniser l'ensemble hétéroclite de régimes sous-nationaux. Cette harmonisation est nécessaire pour contenir les coûts, mais en acceptant les disparités d'une province à l'autre, le cadre pancanadien repousse peut-être le moment de s'attaquer véritablement à la question, et on peut le comprendre. Il se trouve pratiquement à institutionnaliser le cloisonnement provincial, ce qui nous expose au risque d'être pris avec des mesures d'atténuation coûteuses, parce que chacun ferait sa propre petite affaire. C'est ce qui empêche les mordus de politique de dormir la nuit: l'idée que cette fragmentation coûteuse demeure et que les coûts restent inégaux d'une politique et d'un endroit à l'autre, puis qu'il coûte très cher de se conformer aux diverses politiques et d'assurer une certaine harmonisation.
Bien sûr, la politique sur le carbone ne se limite pas à la tarification du carbone. Les gouvernements de toutes allégeances le comprennent, puisque le cadre pancanadien tient compte des diverses politiques provinciales sur le carbone, qui comprennent des règlements, des régimes de tarification du carbone, des fonds d'innovation et des structures de gouvernance coopératives. À l'heure actuelle, le plan prospectif de la réglementation prévoit environ 14 règlements ou modifications en vue de la réalisation du plan de tarification du carbone. Parmi les règlements proposés, notons un règlement sur les émissions de méthane dans le secteur pétrolier et gazier de l'Alberta, un autre établissant une norme de carburant propre en Colombie-Britannique, des règlements sur les véhicules et des mesures de contrôle des HFC.
La plupart des spécialistes de la politique sur le carbone seront d'accord pour dire que ce programme réglementaire est logique. Nous pouvons adapter nos règlements actuels sur l'équipement, les bâtiments et les véhicules pour combler les lacunes des politiques et surtout, les pousser plus loin pour atteindre des objectifs plus ambitieux. Le plus souvent, ce genre de stratégie peut nous faire économiser des coûts de fonctionnement et d'équipement à long terme. Les économistes appuieront assez souvent les règlements axés sur le rendement, puisqu'ils offrent de la souplesse sur le plan de la conformité, beaucoup comme la tarification du carbone. On trouve justement une forme de tarification carbone dans les normes fédérales sur les véhicules que le premier ministre Harper a mises en place. Nous voyons de plus en plus de nouveaux règlements de ce genre, et dans l'ensemble, les économies estiment que c'est une bonne avenue.
Les avis restent tout de même polarisés sur l'idée d'un recours accru à la voie réglementaire: soit l'on croit que la réglementation permet de corriger les failles du marché et de réduire davantage les émissions, soit l'on croit que les règlements coûtent plus cher qu'une tarification du carbone. Pour ce qui est de la tarification du carbone elle-même, il y a de nombreuses discussions sur la meilleure façon de faire. Comme il est facile de cacher les coûts des règlements dans les méandres de l'étude d'impact, les politiciens ont tendance à aimer les règlements, puisqu'ils sont associés à un faible coût politique par tonne. Si l'on veut faire quelque chose sans faire trop de bruit, on réglemente et on en cache les coûts.
Je mentionnerai pour terminer qu'il faut se rappeler que la politique sur le carbone, au sein de la fédération, va bien au-delà de la tarification du carbone. Le grand défi, au Canada, ne consiste pas à déterminer s'il faut imposer une tarification du carbone. Nous le faisons déjà beaucoup. C'est littéralement la loi qui prévaut depuis le 1er janvier de cette année. Devant cette mégatendance à la décarbonisation, nous devons réfléchir au-delà de la dimension politique pour maintenir des coûts bas et stimuler l'innovation de manière à pouvoir vendre notre modèle dans le monde. Ensuite, bien sûr, nous devrons probablement accorder un peu plus d'attention à la façon dont nous pouvons accroître notre résilience économique aux phénomènes météorologiques de plus en plus dangereux qu'on connaît.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui.
Je pense que ce qui est important, comme plusieurs l'ont mentionné tout à l'heure, c'est le résultat. Nous sommes conscients qu'il y a des changements climatiques, et nous nous devons de trouver des solutions pour avoir une meilleure qualité de vie et un meilleur environnement.
Ma question s'adresse à l'ensemble des témoins.
Avez-vous évalué la situation canadienne? La situation canadienne est la suivante. En ce qui concerne la taxe sur le carbone, on ne peut pas faire référence à d'autres pays, et je vais vous dire pourquoi.
Le Canada est le deuxième plus grand pays au monde. On s'entend que la Russie n'a pas mis en place une taxe sur le carbone. Pour nous assurer que la taxe sur le carbone est la seule solution pour atteindre nos objectifs, pouvez-vous me confirmer que vos recherches ont pris en considération ce que font en la matière les autres pays de grande densité et ayant un grand territoire?
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C'est très important de le préciser.
Nous ne sommes pas anti-taxe sur le carbone. Nous sommes en désaccord sur le fait que le gouvernement fédéral impose des choses. Il y a un coût à cela.
Il a été démontré que trois provinces ont obtenu de bons résultats. La Colombie-Britannique a pris l'initiative, et vous avez tous plaidé en faveur de la Colombie-Britannique. L'Alberta a de bons résultats. Le Québec a décidé, lui, pour toutes sortes de bonnes raisons, de ne pas appliquer une taxe sur le carbone, mais de créer un marché du carbone.
Chaque province du Canada connaît ses réalités. Comme je vous l'ai dit d'entrée de jeu, nous avons pour objectif d'améliorer l'environnement. Ne serait-il pas mieux d'outiller et d'accompagner les différentes provinces et les territoires pour arriver aux résultats souhaités?
Comme plusieurs personnes, vous avez dit que la taxe sur le carbone n'est pas la solution ou qu'elle n'est pas la seule solution. Pourquoi une fédération comme le Canada, qui a la particularité d'être un très grand pays et où la population est concentrée dans les régions du Sud, veut-elle que la taxe sur le carbone s'applique uniformément à toutes les provinces alors qu'elles n'ont pas la même réalité?
C'est la même chose en ce qui concerne le développement économique. Sous le gouvernement conservateur précédent, il y avait six ministres du développement économique. Pourquoi? C'est parce qu'il y a six régions différentes. On pourrait extrapoler avec plus, mais à un moment donné, on doit regrouper les choses.
J'aimerais entendre ce que vous avez à dire là-dessus.
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J'ai mené certaines des études sur la Colombie-Britannique. De nombreuses autres personnes mènent des études semblables, et elles tentent d'aborder les enjeux dont vous avez parlé. Elles tentent de faire valoir que toutes sortes de choses peuvent avoir un effet sur les émissions de gaz à effet de serre ou sur les décisions prises par les habitants de la Colombie-Britannique, et qu'il faut donc se demander comment nous pouvons attribuer tous les changements liés aux émissions de gaz à effet de serre à une seule politique lorsque nous savons qu'il y existe toutes sortes d'autres facteurs qui pourraient également être responsables.
Essentiellement, dans le cadre de ces études, on peut soit utiliser des données sur chaque ménage — par exemple, la quantité de gaz utilisée par un ménage ou la distance parcourue en automobile par ce ménage —, soit utiliser des données sur l'essence vendue chaque mois dans une province, et comparer ensuite ces données à celles des autres provinces. La récession de 2009, par exemple, s'est également produite dans les autres provinces. On tente donc de tenir compte d'autres facteurs qui pourraient être responsables de ces tendances, en plus de la tarification du carbone, par exemple des changements liés à la population ou aux prix ou d'autres facteurs. On tente donc d'établir une comparaison avec les autres provinces et de tenir compte d'autres facteurs, afin de parvenir à ces conclusions.
Je dirais qu'il est impossible de déterminer avec une certitude absolue les effets d'une tarification du carbone ou d'une politique dans un endroit, car nous ne vivons pas dans deux mondes différents. En effet, nous n'avons pas un monde dans lequel cette tarification du carbone a été imposée et un monde exactement semblable dans lequel cette tarification n'a pas été imposée. Nous tentons donc, à l'aide de statistiques, de créer ces deux mondes différents et de déduire l'effet de la tarification du carbone à partir de ces différentes données.
Je vous suis très reconnaissante, Wayne. Merci.
Premièrement, je vous remercie. Vous êtes de remarquables leaders d'opinion au Canada et chercheurs sur la tarification du carbone. Je suis très heureuse que vous soyez ici, car même si vous n'êtes pas des spécialistes du climat, vous avez su répondre à certaines des questions qui ne concernaient pas votre domaine.
Les échanges qui ont eu lieu m'ont rappelé les propos d'une climatologue, Mme Katharine Hayhoe, qui a affirmé récemment — je vais paraphraser — qu'il est étrange que certaines personnes semblent avoir davantage peur d'agir face au changement climatique et d'assumer le coût que cela entraînera que de la fin de l'humanité causée par l'inaction. Les risques sont plutôt grands, et nous ne nous en occupons pas comme il se doit.
Soit dit en passant, je ne suis pas membre du Comité, mais je proposerais aux membres de s'entretenir à huis clos par vidéoconférence avec la personne que je considère être en ce moment la leader à l'échelle mondiale de l'appel à l'action, l'adolescente suédoise de 16 ans Greta Thunberg. Vous pourriez peut-être discuter avec elle par vidéoconférence.
Je voudrais profiter de mon temps de parole, qui s'écoule rapidement, pour mettre l'accent sur les solutions que nous pouvons mettre en place, outre la tarification du carbone. Je vais être très claire. Sachez tous que, parmi les députés de l'opposition, je suis la seule qui a voté en faveur de l'ensemble du budget afin que la tarification du carbone soit mise en place. C'est donc important à ce point-là pour moi. Toutefois, cette mesure n'est pas du tout suffisante, car nous savons que l'objectif de l'Accord de Paris est de réduire de 30 % nos émissions d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005, mais c'est carrément insuffisant pour maintenir le réchauffement à 1,5 degré Celsius, ce que nous devons faire.
Je vais m'adresser à vous, David Sawyer, car je sais que vous avez dirigé le volet canadien d'un très gros projet qui s'appelle Deep Decarbonization Pathways. Pourriez-vous nous parler de vos principales conclusions quant aux mesures que le Canada doit prendre pour procéder à la décarbonisation en profondeur?
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Merci, monsieur le président.
Je vais m'adresser à M. Cameron.
Dans votre introduction, vous avez mentionné d'entrée de jeu que le leadership est à venir. C'est vrai, effectivement. Il faut mettre en place des mécanismes qui, s'ils fonctionnent bien, nous permettront de devenir des leaders. Je suis entièrement d'accord avec vous. On ne peut pas se déclarer leader, parce qu'on en est aux balbutiements.
La majorité des témoins ont beaucoup parlé du succès de la Colombie-Britannique sur le plan de la taxe sur le carbone en lien avec l'émission des gaz à effet de serre. Je ne sais pas si je comprends bien — je ne suis pas un expert —, mais j'ai lu sur le site Web de l'Office national de l'énergie une analyse, datée du 27 décembre 2017, dans laquelle on mentionne que les émissions de gaz à effet de serre de la Colombie-Britannique étaient à leur plus bas en 2009. Il y a eu des augmentations jusqu'en 2014, une réduction en 2015 et de nouveau une augmentation en 2016. Pourtant, les émissions n'ont jamais été aussi basses qu'en 2009.
On s'inspire d'un modèle, et vous encensez la taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique. En revanche, la documentation que j'ai consultée laisse entendre que ce n'est pas totalement vrai que les émissions des gaz à effet de serre ont diminué en Colombie-Britannique.
Pouvez-vous me parler de cela?