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SRSR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la science et de la recherche


NUMÉRO 071 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 6 février 2024

[Enregistrement électronique]

(1100)

[Traduction]

    Je vous souhaite la bienvenue à cette 71e réunion du Comité permanent de la science et de la recherche.
    Conformément au Règlement, la réunion d'aujourd'hui se tient selon le format hybride. Les membres du Comité y participent en personne dans la salle et à distance, à l'aide de l'application Zoom. Certains témoins participent également à la réunion de façon virtuelle.
    J'aimerais vous faire part de quelques règles à ce sujet.
    Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Les services d'interprétation sont offerts dans le cadre de la réunion. Vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le son du parquet, l'anglais et le français. Veuillez s'il vous plaît m'aviser immédiatement en cas de problème d'interprétation. Nous nous assurerons de le régler avant de reprendre les travaux.
    Si vous êtes dans la salle, veuillez procéder de la même façon que lorsque tous les membres du Comité sont ici en personne. Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Je vous demande aussi de tenir votre oreillette loin du microphone afin d'éviter les rétroactions sonores, qui nuisent à nos interprètes. Nous voulons assurer leur sécurité tout au long de la réunion.
    Veuillez s'il vous plaît adresser vos commentaires à la présidence.
    Conformément à l'article 108(3)i) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le lundi 18 septembre 2023, le Comité reprend son étude sur l'intégration du savoir traditionnel et des connaissances scientifiques autochtones à l'élaboration des politiques gouvernementales.
    Nous sommes heureux d'accueillir Erika Dyck, qui est professeure d'histoire et chaire de recherche du Canada de niveau 1 en histoire de la santé et de la justice sociale; Lindsay Heller, qui est chercheuse indigène au Centre de dialogue Morris J. Wosk de l'Université Simon Fraser et qui se joint à nous avec vidéoconférence; et Monnica Williams, qui est chaire de recherche du Canada et professeure à l'Université d'Ottawa.
    Chaque témoin dispose de cinq minutes pour sa déclaration préliminaire. Nous passerons ensuite aux séries des questions. Je vous ferai signe lorsque votre temps sera presque écoulé.
    Nous allons d'abord entendre Erika Dyck, qui dispose de cinq minutes.
    Vous avez la parole.
    Mesdames et messieurs les membres du Comité, je m'appelle Erika Dyck. Je suis historienne et chaire de recherche du Canada en histoire de la santé et de la justice sociale à l'Université de la Saskatchewan. J'étudie l'histoire des drogues psychédéliques depuis plus de 20 ans. Mes recherches ont été publiées dans plusieurs ouvrages savants, articles, documentaires et balados.
    Au départ, ma recherche se centrait sur les expériences médicales réalisées au Canada dans les années 1950 et 1960 avec des substances comme le diéthylamide de l’acide lysergique, ou LSD, la mescaline provenant du cactus peyotl et la psilocybine, qui se trouve dans les champignons magiques. Mes recherches portent notamment sur les études réalisées en Saskatchewan qui ont menée à la création du terme « psychédélique » en 1957.
    Dans les années 1970 et 1980, les drogues psychédéliques avaient acquis la réputation d'être des substances dangereuses, associées au contrôle de l'esprit, à des comportements violents et à des effets secondaires indésirables comme des flashbacks. Le Canada, comme la plupart des pays occidentaux, a signé en 1971 une convention des Nations unies visant à interdire l'utilisation de psychédéliques dans la recherche sur les humains en raison d'inquiétudes quant à leur capacité de causer de la dépendance et à engendrer des comportements non désirés. La seule exception à cette désignation avait trait aux utilisations autochtones à des fins rituelles ou religieuses.
    La question de l'utilisation autochtone des drogues psychédéliques dans l'histoire du Canada est particulièrement complexe. Bien qu'il y ait une poignée d'exemptions religieuses enregistrées qui remontent jusqu'aux années 1950, une grande partie de cette histoire n'est pas bien comprise ni bien documentée. Les traditions autochtones ont été menacées pendant une grande partie de l'histoire canadienne, et certaines étaient explicitement interdites dans la Loi sur les Indiens.
    Bien que le mot « psychédélique » n'ait été inventé qu'en 1957, la notion d'altération de l'état de conscience d'une personne n'est bien sûr pas propre aux psychédéliques. Cependant, en raison des pressions coloniales pour l'adoption de la médecine occidentale et des lois interdisant les traditions spirituelles autochtones, notre compréhension documentée des coutumes autochtones et des pratiques ou principes associés aux drogues psychédéliques est très limitée.
    La preuve la plus claire provient de la Native American Church, qui est enregistrée à titre d'organisation religieuse depuis la fin des années 1950. Elle compte un chapitre légal au Canada et plusieurs chapitres aux États-Unis et au Mexique. La Native American Church comprend de nombreuses caractéristiques sacrées, y compris l'utilisation du cactus peyotl, qui contient un alcaloïde psychotrope, appelé mescaline. La mescaline a été identifiée pour la première fois par des chimistes allemands en 1896, mais la pratique du peyotisme remonte à des centaines d'années.
    La plupart des comptes rendus écrits du peyotisme ou du culte du peyotl viennent de l'église, qui tentait d'obtenir une reconnaissance juridique au début du XXe siècle. Cette reconnaissance officielle présentait un syncrétisme religieux qui mélangeait les pratiques chrétiennes aux pratiques autochtones, notamment par l'entremise de la médecine ou du sacrement du cactus peyotl. Ce cactus ne pousse pas naturellement au Canada. Il pousse dans certaines parties du Texas et au nord du Mexique. Les anthropologues ont suivi les pèlerinages et les liens avec cette région sur des centaines d'années, ce qui donne à penser que les pratiques existaient bien avant qu'elles ne soient documentées de façon officielle.
    Plusieurs raisons historiques expliquent le manque d'information au sujet des pratiques autochtones avec les drogues psychédéliques.
    Premièrement, ces pratiques — qui étaient parfois réalisées en secret — étaient interdites, stigmatisées ou explicitement illégales, ce qui signifie que, sans des témoignages de vive voix ou des renseignements directs, nous n'avons pas de détails documentés à leur sujet.
     Deuxièmement, les ethnobotanistes et les anthropologues qui travaillent avec les communautés autochtones du Canada ont laissé entendre que de nombreuses cérémonies, pratiques et traditions visaient uniquement le recours à des drogues psychédéliques. Ce que j'entends par là, c'est qu'il y a une diversité de pratiques ou de traditions qui comportent de nombreux éléments, dont le jeûne, la danse, le chant et la prière. Ces caractéristiques peuvent entraîner une altération de la conscience. La fixation sur l'inclusion ou l'exclusion d'une plante ou d'un champignon psychédélique a déformé notre compréhension occidentale de la façon dont ces traditions se servent de plantes sacrées en association avec d'autres pratiques.
    Enfin, même les chercheurs universitaires qui ont étudié ces traditions autochtones dans les années 1940 et jusqu'aux années 1970 ont été assujettis à la stigmatisation associée aux psychédéliques. Certains pensent maintenant qu'il y a eu un biais mycophobe dans la littérature, ce qui laisse entendre que ces études n'ont pas été prises au sérieux ou même publiées.
    Sur le plan historique, les chercheurs médicaux canadiens ont joué un rôle important dans le développement des applications thérapeutiques des drogues psychédéliques. À mon avis, le meilleur exemple de traitements efficaces émanant des années 1950 et 1960 est celui de chercheurs qui ont travaillé de manière authentique avec les leaders autochtones et qui ont porté une attention particulière à la façon dont les cérémonies étaient structurées. Par exemple, la collaboration entre la Native American Church et les chercheurs de la Saskatchewan spécialisés dans les drogues psychédéliques a mené à l'élaboration de certains des premiers protocoles publiés sur l'utilisation sécuritaire des psychédéliques en thérapie de groupe. Les leaders de la Native American Church ont joué un rôle essentiel et ont expliqué aux chercheurs non autochtones comment se préparer à une expérience. En échange, ces chercheurs ont témoigné devant des comités comme le vôtre au sujet de l'importance culturelle de la cérémonie du peyotl.
(1105)
    Je vous remercie de m'avoir permis de vous parler de cette importante question.
    Nous vous remercions pour votre exposé; vous êtes parfaitement dans les temps.
    Nous allons maintenant entendre Lindsay Heller, qui dispose de cinq minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président, de me donner l'occasion de vous faire part de certaines des observations importantes que j'ai faites au fil des années dans le cadre de mon travail visant à établir des liens entre les connaissances et les sciences autochtones et la science occidentale.
     Je m'appelle Lindsay Heller et mon nom cri est Nikamowin Maskiki. Je suis membre de la Première Nation de Michel, sur le territoire visé par le Traité n o 6. J'ai travaillé pendant 10 ans au Centre pour la recherche et le développement des médicaments à titre de chercheuse pharmaceutique. J'en suis maintenant à ma quatrième année comme chercheuse au Centre de dialogue de l'Université Simon Fraser, où je me concentre sur le lien entre la science autochtone et la science occidentale dans ces deux contextes éducatifs et sur l'orientation stratégique pour divers ordres de gouvernement.
     Les nombreux témoins qui ont comparu avant moi ont parlé de l'importance d'établir des relations respectueuses et réciproques avec les gardiens du savoir autochtone lorsqu'ils collaborent à des projets et à des politiques qui supposent un lien entre le savoir autochtone et la science occidentale. Je suis d'avis qu'il s'agit d'une première étape essentielle. Il faut aussi faire ses devoirs. Avant d'entrer en contact avec les gardiens du savoir autochtone, il faut apprendre ce qui a été fait, connaître les erreurs et les problèmes et savoir à quoi la communauté doit faire face, ce qui peut entrer en jeu lorsqu'on tente de collaborer et d'établir un lien entre le savoir autochtone et la science occidentale.
     Comme j'ai travaillé pendant de nombreuses années dans un laboratoire axé sur une approche scientifique occidentale, je veux prendre le peu de temps dont je dispose aujourd'hui pour m'assurer que vous compreniez que la place hiérarchique que l'on accorde à la science occidentale par rapport à la science autochtone est erronée. Cette hypothèse donne souvent lieu à des erreurs, à des risques, à la répétition de préjudices et à l'échec de projets et de politiques qui tentent de tisser les liens entre la science autochtone et la science occidentale.
     J'ai souvent entendu des scientifiques occidentaux et des représentants du gouvernement justifier leur croyance en la suprématie de la science occidentale en se fondant sur la valeur de la méthode scientifique. Ils laissent entendre que les Autochtones n'utilisent pas la méthode scientifique, qu'ils considèrent comme le summum de la pensée occidentale. La méthode scientifique suit un parcours assez linéaire: observation, formulation d'une question, hypothèse, expérimentation, analyse, conclusion, examen par les pairs et communication des résultats. Les expériences scientifiques occidentales suivent cette formule et les résultats sont publiés dans des revues scientifiques. Cette publication des résultats établit une hiérarchie où les données scientifiques publiées sont les meilleures et où tout le reste est inférieur.
     Je réfute toujours cet argument en disant que les Autochtones suivent aussi une méthode scientifique. Les conséquences d'un échec vont bien au‑delà d'une expérience ratée ou de l'exclusion d'une revue. Les expériences menées par les peuples autochtones sont fondées sur des observations et des interprétations du monde naturel, ce qui nous permet de prédire comment certaines parties du monde fonctionnent. Ces expériences peuvent être répétées et sont fiables, rigoureuses et exactes; elles font l'objet d'un processus d'examen par les pairs. Si les Autochtones n'avaient pas recours à une méthode scientifique solide et fiable, les résultats pourraient être beaucoup plus dévastateurs qu'on ne l'imagine.
     Si nos observations sur la glace de mer dans le Nord ou nos prédictions, nos expériences, notre collecte de données, l'examen par les pairs et la communication des résultats étaient erronées, alors des gens pourraient passer à travers la glace et mourir. Si nos observations et nos résultats au sujet des plantes médicinales traditionnelles étaient erronés, nos familles pourraient être empoisonnées et nous pourrions ne pas transmettre nos gènes à la prochaine génération. Si nos observations et nos résultats sur le déplacement et la distribution d'un troupeau de caribous n'étaient pas exacts, il se pourrait que notre communauté n'ait pas de viande pour l'hiver. Même si ce type d'expérimentation peut prendre plus de temps que ce qui se fait en laboratoire, la rigueur, l'exactitude et la reproductibilité sont fiables. N'est‑ce pas aussi la méthode scientifique? Si la conséquence de ne pas avoir recours à une méthode scientifique autochtone pouvait être la mort, ne vous fieriez-vous pas à ces données et ne les considéreriez-vous pas comme étant précieuses, intelligentes et fiables?
     Je vous fais part de ces observations afin que, lorsque les gouvernements établissent des programmes et des politiques pour travailler avec les gardiens du savoir autochtone afin de combiner le savoir autochtone et la science occidentale, ils le fassent dans le respect et comprennent que nos méthodes sont fiables et qu'elles méritent d'être prises en compte et incluses. Que vous examiniez la Loi sur les espèces en péril ou que vous créiez des politiques qui supposent l'élaboration de programmes qui bénéficieraient de l'inclusion du savoir autochtone, il est essentiel de procéder dans le respect, sans présumer que la méthode scientifique occidentale est plus importante ou plus digne de confiance.
     Il faut penser à la réciprocité. Qu'est‑ce que la communauté ou la personne a à gagner en collaborant avec vous? Il faut avoir une connaissance approfondie des défis auxquels la communauté doit faire face. Ses membres ont-ils accès à l'eau potable et à des logements adéquats? Si la réponse est non, leurs priorités ne sont peut-être pas les mêmes que les vôtres.
     Il faut également comprendre qu'il peut y avoir une méfiance inhérente à l'égard du gouvernement en raison de décennies de vol, de privation des droits, de violence et de promesses non tenues. Le processus de guérison et de réconciliation doit être au premier plan de ce genre de projets et de politiques. Après tout, ce n'est pas la vision autochtone qui a placé notre monde dans ce bourbier des changements climatiques, de l'extinction massive, des catastrophes liées à l'extraction des ressources et de l'insécurité alimentaire. C'est une vision occidentale du monde qui en est responsable. En travaillant ensemble et en associant nos systèmes de connaissances, nos approches et nos valeurs autochtones, je crois que nous avons une chance de nous sortir de ce pétrin.
     Merci.
(1110)
    C'est excellent. Nous vous remercions pour vos commentaires et votre exposé. J'ai hâte d'entendre les questions sur le sujet.
    Nous allons maintenant entendre Monnica Williams, de l'Université d'Ottawa, qui dispose de cinq minutes.
    Je m'appelle Monnica WIlliams. Je suis Afro-Américaine et résidente permanente du Canada. Je suis psychologue clinicienne accréditée et professeure titulaire à l'École de psychologie de l'Université d'Ottawa, où je détiens une chaire de recherche du Canada de niveau 2 sur les disparités en santé mentale. Je suis diplômée du MIT et j'ai obtenu un doctorat à l'Université de la Virginie.
    Ma recherche se centre sur la culture, le racisme et la santé mentale. J'ai fondé des cliniques de santé mentale en Virginie, en Pennsylvanie, au Connecticut et à Ottawa, de même qu'une clinique pour les réfugiés au Kentucky. J'offre des services de supervision et de formation aux cliniciens en santé mentale dans le domaine des traitements adaptés à la culture et fondés sur des données empiriques. J'offre aussi de la formation sur la diversité à l'échelle internationale, dans le cadre des programmes de psychologie clinique et des conférences scientifiques, et pour les organisations communautaires.
    Avant d'arriver au Canada en 2019, j'étais membre du corps professoral de l'école de médecine de l'Université de la Pennsylvanie, de l'Université de Louisville et de l'Université du Connecticut, où j'ai travaillé dans le domaine des sciences psychologiques et de la psychiatrie. J'ai publié plus de 200 articles scientifiques et je suis membre de la Société royale du Canada. Mes recherches actuelles se centrent sur l'élimination des obstacles à l'obtention de soins, l'évaluation des traumatismes raciaux et l'amélioration des compétences culturelles dans le cadre de la prestation des services de santé mentale et des interventions afin de réduire le racisme.
    Bien que je ne sois pas Autochtone, en tant que spécialiste du racisme, je peux vous confirmer que les personnes autochtones sont victimes d'une discrimination sociale et sociétale frappante qui a une incidence négative sur leur santé mentale et leur bien-être. Dans le cadre de mon travail, j'ai réalisé des évaluations approfondies de la santé mentale de plusieurs femmes autochtones du Canada, notamment certaines femmes qui étaient victimes de stérilisation forcée ou contrainte à la suite d'une décision de l'autorité sanitaire de Saskatoon.
    J'ai également mené une étude nationale sur les besoins en santé mentale de divers Canadiens qui a été publiée dans l'International Journal of Mental Health l'an dernier. Les conclusions concernant les Autochtones étaient importantes et concordaient avec d'autres recherches indiquant que les Autochtones reçoivent des soins de piètre qualité. Parmi les répondants, 69 % disaient avoir éprouvé des difficultés à accéder à des soins de santé mentale, ce qui est beaucoup plus que le taux de Canadiens blancs disant avoir le même problème. Les Canadiens autochtones ont signalé plus d'obstacles financiers aux soins que les autres groupes, et même plus que les autres Canadiens de couleur. Ce qui est le plus frappant, c'est que la moitié des répondants ont déclaré avoir vécu des expériences négatives avec des fournisseurs de soins de santé mentale, ce qui, nous le savons, constitue un obstacle au respect du traitement et aux soins de suivi.
    Il y a quelques messages essentiels à retenir ici. Premièrement, il faut intégrer les approches autochtones à la prestation des soins de santé afin qu'elle soit plus pertinente et acceptable pour les citoyens autochtones. Deuxièmement, il faut plus de cliniciens autochtones. Il n'y a pas suffisamment de dispensateurs de soins de santé autochtones pour offrir des soins pertinents sur le plan culturel à une population souvent très traumatisée. En 2018, la Société canadienne de psychologie a préparé une réponse au rapport de 2015 de la Commission de vérité et de réconciliation et a fait valoir qu'il y avait probablement moins de 12 psychologues autochtones actifs ou enseignants au Canada. Cela signifie que seulement 0,0006 % des 19 000 psychologues du Canada s'identifient comme Autochtones.
    Plus particulièrement, les psychologues ne sont pas seulement des fournisseurs de soins de santé mentale, mais aussi des chercheurs et des scientifiques. Les personnes les mieux placées pour intégrer les connaissances traditionnelles et scientifiques autochtones aux politiques gouvernementales sont les Autochtones eux-mêmes. Non seulement devons-nous assurer la participation active des peuples autochtones de diverses régions du Canada, mais ces efforts doivent aussi être dirigés par des universitaires autochtones et approuvés par des dirigeants autochtones.
     Nous devons d'abord nous demander pourquoi il y a si peu de scientifiques et de chercheurs autochtones au Canada. Il y a moins de deux ans, j'ai admis la première étudiante autochtone au doctorat en psychologie clinique de l'Université d'Ottawa. J'ai été à même de constater les obstacles institutionnels auxquels elle est confrontée pour obtenir l'éducation dont elle a besoin pour devenir une universitaire qui pourra mener les recherches nécessaires pour le bien de sa communauté.
     Plus tôt l'an dernier, j'ai mené, pour le compte du Bureau du vérificateur général, une étude sur les expériences vécues par les employés racisés au sein du gouvernement fédéral. L'étude visait l'Agence des services frontaliers du Canada, le Service correctionnel du Canada, le ministère de la Justice, le Service des poursuites pénales du Canada, Sécurité publique Canada et la GRC. Les employés nous ont dit à maintes reprises que les règles et les politiques étaient ignorées, car les employés de couleur subissaient un racisme non contrôlé qui les empêchait d'avancer dans leur carrière et faisaient l'objet de représailles s'ils le signalaient.
    On aura beau élaborer toutes sortes de belles politiques, mais il faut comprendre que si l'on ne s'attaque pas au racisme systémique qui infecte nos institutions à tous les niveaux, elles ne donneront rien. L'adoption du savoir autochtone nous oblige à comprendre et à éliminer la discrimination et les obstacles systémiques qui rendent ces changements si difficiles.
    Merci.
(1115)
    C'est excellent. Nous avons un groupe de témoins très intéressant. Nous vous remercions pour vos exposés.
    Nous allons maintenant passer aux questions.
    Avant de commencer, j'aimerais souhaiter la bienvenue à Brendan Hanley, qui est avec nous à titre de remplaçant. Nous accueillons également Darrell Samson, qui se joint à nous de façon virtuelle, et qui est lui aussi remplaçant. Nous sommes heureux de vous voir ce matin.
    Notre premier intervenant sera Corey Tochor, des conservateurs. Vous disposez de six minutes. Allez‑y.
    Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins.
    Ma première question s'adresse à Mme Dyck.
    Pourriez-vous nous parler de la recherche contemporaine sur les avantages médicaux des thérapies utilisant certaines drogues comme la psilocybine?
    Pour être honnête, je crois que Monnica Williams est mieux placée que moi pour répondre à cette question. Toutefois, je dirais rapidement qu'au cours des 12 dernières années, les données probantes associées à l'utilisation de la psilocybine à des fins thérapeutiques ont évolué. De plus en plus d'articles et une grande quantité de données probantes suggèrent aujourd'hui que la psilocybine s'avère efficace dans les essais cliniques. La FDA des États-Unis a désigné la psilocybine à titre de médicament révolutionnaire pour le traitement des dépressions majeures et du trouble du stress post-traumatique.
(1120)
    Madame Williams, j'aimerais vous entendre rapidement sur cette question. J'aurai ensuite une autre question pour Mme Dyck.
    Les recherches sur le sujet sont nombreuses aux États-Unis et au Canada à l'heure actuelle. En fait, le Canada assure un rôle de premier plan dans le cadre d'une partie du travail visant à démontrer les avantages de certaines substances comme la psilocybine pour traiter la détresse en fin de vie et à d'autres fins, comme le traitement de l'anxiété, du trouble de stress post-traumatique et de la dépression. Certaines substances comme la MDMA, la kétamine et de nombreuses autres font aussi leur apparition.
    Merci beaucoup.
    J'aimerais poser une autre question à Mme Dyck.
    On entend souvent parler des problèmes associés au Programme d'accès spécial. À votre avis, est‑ce qu'il fonctionne?
    C'est peut-être une question pour tout le groupe, et Mme Williams pourra aussi y répondre.
    Je suis historienne et je regarde la situation de loin; Mme Williams pourra peut-être vous donner une meilleure idée de ce qui se passe sur le terrain.
    Selon ce que je comprends, depuis quelques années, le Programme d'accès spécial est de plus en plus utilisé en vertu des exemptions du paragraphe 56(1). Ainsi, les psychiatres ont une pression supplémentaire et doivent agir à titre de gardiens de l'accès aux drogues psychédéliques. Je crois qu'il y a encore certains défis associés à l'accès à un approvisionnement sécuritaire de qualité.
    C'était déjà un problème il y a trois ans, lorsque les exemptions en vertu du paragraphe 56(1) sont apparues. Je crois que nous sommes sur la bonne voie, mais il semble encore y avoir un arriéré.
    Madame Williams, quelles sont les améliorations que nous devons apporter au Programme d'accès spécial pour qu'il fonctionne bien? J'aimerais que vous vous centriez sur l'accès à la psilocybine.
     Tout d'abord, nous avons besoin d'un plus grand nombre de cliniciens qui ont la formation et les compétences nécessaires pour offrir des thérapies psychédéliques et prescrire ces médicaments. Je pense que la nature du programme crée des obstacles pour les personnes marginalisées, qui ont moins de ressources et qui n'ont peut-être pas accès à un psychiatre. Les personnes qui ont accès à ces fournisseurs n'ont peut-être pas une relation de confiance avec eux.
     Nous devons faire un examen approfondi et étudier les données démographiques des personnes qui ont accès à ce programme, y compris les données sur la race et l'ethnie, pour nous assurer qu'il est mis en œuvre de façon équitable. À ma connaissance, ces renseignements ne sont pas vraiment recueillis de façon systémique; il serait donc très difficile de déterminer de façon concluante à qui ce programme profite et à qui il ne profite pas.
    Merci beaucoup.
    J'aimerais vous poser une autre question. Vous savez probablement que l'automne dernier, un sous-comité du Sénat a produit un rapport intitulé Le temps est venu, qui évoque le défaut du gouvernement d'aider les anciens combattants à avoir accès à la psilocybine. Pouvez-vous nous parler brièvement des avantages de ces thérapies pour les anciens combattants?
     Nous savons que bien qu'ils soient efficaces, les traitements fondés sur des données empiriques pour le trouble de stress post-traumatique ne fonctionnent pas pour tout le monde. De nombreuses personnes qui ont servi notre pays souffrent de ce trouble et n'arrivent pas à avoir une bonne qualité de vie parce qu'ils sont passés par tous les traitements, qu'ils ont essayé tous les médicaments et qu'ils souffrent encore. De nombreux anciens combattants se rendent par exemple en Jamaïque ou en Amérique du Sud, où ils peuvent obtenir des substances psychédéliques pour soulager leurs symptômes. Ils ne se rendraient pas jusque‑là si ces traitements ne fonctionnaient pas.
     Nous devons offrir ce qu'il y a de mieux à nos anciens combattants. Si les autres traitements ne fonctionnent pas, pourquoi ne pas offrir les psychédéliques? Les recherches montrent que ces drogues peuvent aider de nombreuses personnes et je pense que ce serait une option vitale pour les anciens combattants.
    Merci à vous deux. Je crois que je n'ai plus de temps.
    Il vous reste une minute.
    J'aimerais alors que Mme Dyck nous fasse part du point de vue autochtone sur cette question.
    Savez-vous si la psilocybine avait déjà causé du tort aux Autochtones qui la consommaient ou à autrui? Je ne trouve rien. Dans le cadre de vos études sur l'histoire des Autochtones, avez-vous vu de tels cas?
(1125)
    De mémoire, non. Je travaille en étroite collaboration avec d'anciens et actuels chefs de la Native American Church. Ils travaillent surtout avec le peyotl et non avec la psilocybine, mais il n'y a eu aucun abus signalé de façon particulière.
    Bien sûr, comme l'a fait valoir Mme Heller, les enjeux sont nombreux. L'accès à l'eau potable représente un enjeu imposant qui prend le dessus sur les conversations à propos de l'abus de certaines drogues, si l'on veut. On ne peut pas l'ignorer.
    Très bien. Merci.
    Madame Williams, avant de passer au prochain intervenant, pourriez-vous lever votre micro afin qu'il soit placé entre votre nez et votre bouche? C'est parfait. Merci. Nous verrons si cela aide nos interprètes.
    Nous allons maintenant entendre Ryan Turnbull, pour les libéraux, qui dispose de six minutes. Allez‑y.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins de leur présence. Ces déclarations liminaires étaient fascinantes. Je vous suis vraiment très reconnaissant des perspectives que vous apportez à cette importante étude.
     Madame Heller, j'ai beaucoup aimé votre exposé. J'ai trouvé qu'il remettait en question le paradigme dominant ou la suprématie de la science occidentale, ce que beaucoup de nous, en tant que colons, tenons probablement pour acquis.
     J'ai bien aimé ce que vous avez dit sur le fait que les connaissances traditionnelles autochtones suivent une méthode scientifique rigoureuse et qu'elles sont consciencieuses et fiables, et qu'il y aurait assurément des conséquences désastreuses si certaines de vos observations et certains de vos résultats se révélaient faux. Je pense que c'est une très bonne façon de souligner l'exactitude de ces connaissances et le caractère impératif de leur utilisation, de montrer qu'elles sont exactes et applicables. Pour toutes ces raisons, je considère que votre déclaration liminaire était excellente. Vous m'avez presque fait réfléchir à la nécessité pour nous, colons occidentaux, de « décoloniser » notre compréhension des choses. Je pense que les barrières systémiques sont vraiment ancrées dans nos modes de connaissance.
    Je voudrais vous demander si vous savez à quoi nous sommes confrontés. Je suis certain que si nous sommes alliés dans nos efforts pour éliminer ces barrières systémiques et donner aux savoirs traditionnels autochtones la légitimité qu'ils méritent à juste titre... Je voudrais reformuler cela, car nous ne devrions rien donner à qui que ce soit. En même temps, je pense que c'est probablement beaucoup à nous, colons, de changer notre mentalité.
    Pouvez-vous nous aider à cet égard? Quels conseils pourriez-vous nous donner pour nous aider dans cette voie?
    C'est une bonne question. Avons-nous une heure pour en parler?
    Oui.
    Je pense que Mme Williams a soulevé un point important, à savoir qu'il n'y a pas assez de scientifiques autochtones et de personnes comme moi qui font ce travail. Je pense qu'il faut soutenir les programmes d'études, éliminer les obstacles dans les systèmes d'éducation et permettre aux Autochtones de se voir au premier rang de la salle de classe et au sein des programmes d'études. Il faut envisager les évaluations différemment et décoloniser concrètement l'éducation afin que les peuples autochtones puissent apporter les dons qu'ils reçoivent par l'intermédiaire des connaissances de leurs ancêtres, des cérémonies et de leur langue. Il faut fusionner ces connaissances aux autres choses vraiment importantes que nous apprenons dans les établissements d'enseignement pour devenir des chimistes et des biologistes.
     Je pense aussi que le respect et la collaboration doivent être au cœur de tous ces projets. C'est pourquoi j'ai décidé de prendre le peu de temps qui m'est imparti pour affirmer que les connaissances autochtones sont robustes, réfléchies et fiables, car elles ne sont pas souvent présentées de cette façon. Je pense qu'il faut s'engager dans ces partenariats et prendre le temps d'écouter — d'écouter pour entendre plutôt que d'écouter pour répondre —, prendre le temps d'apprendre à connaître les personnes avec lesquelles vous êtes appelé à travailler. Il faut comprendre ce que la langue et les cérémonies signifient pour nous. Ensuite, sur la base de ces relations respectueuses, il faut avancer dans un esprit de collaboration et de bonne entente.
    Merci de cette réponse qui s'appuie sur le concept de respect et de réciprocité, des notions que vous avez également mentionnées dans votre exposé et qui semble être un élément fondamental de cette conversation.
    Ce qui est intéressant pour moi, c'est que lorsque j'y pense, c'est comme si je me tenais au sommet d'une montagne. Il y a la science occidentale et les personnes qui détiennent ces connaissances qui sont au sommet d'une montagne. Il y a aussi les gardiens du savoir autochtone qui se trouvent au sommet d'une autre montagne. D'une certaine manière, les uns et les autres doivent s'observer réciproquement. Pour moi, c'est un signe de respect et de réciprocité lorsque nous pouvons chacun reconnaître la valeur particulière des façons d'apprendre de l'autre.
    Parfois, dans nos conversations, j'ai l'impression que nous continuons à considérer que la science occidentale occupe le haut du pavé et que nous ne pensons pas à la manière dont les connaissances traditionnelles autochtones peuvent la compléter ou s'y ajouter. Qu'arriverait‑il si c'était l'inverse qui se produisait? Je pense que les choses seraient très différentes.
    Je me demande si l'un des intervenants ici présents pourrait parler de cela. Si nous accordions au savoir traditionnel autochtone la primauté qu'il mérite, comment la science occidentale pourrait-elle le compléter?
(1130)
    Nous avons environ 45 secondes.
    Madame Heller, si c'est possible, veuillez avancer un peu votre micro pour aider les interprètes à mieux vous entendre.
    Qui va commencer?
    Je peux prendre 30 secondes.
    Dans ma dernière déclaration, j'ai dit que ce n'est pas la vision du monde autochtone qui nous a emmenés là au départ. Je pense qu'il faut prendre le temps de vraiment comprendre ce qu'est une vision du monde autochtone et ce que cela signifie d'être en relation avec tous les êtres vivants.
    Nous ne sommes pas au sommet de la montagne. Nous nous tenons à côté de la montagne. Nous sommes avec elle. Nous sommes avec tous les êtres vivants. Nous participons à une cérémonie pour nous rappeler qui nous sommes et pour nous rappeler les responsabilités que nous avons à l'égard de tous les êtres vivants. Si les responsables gouvernementaux et les scientifiques occidentaux peuvent prendre un temps d'arrêt, modifier leur façon de voir les choses et comprendre que nous faisons tous partie d'un réseau complexe d'interconnexions, je crois que nous serons sur la bonne voie.
    Je vous remercie. C'était une excellente question et une excellente réponse.
    La parole est maintenant à Maxime Blanchette-Joncas, pour six minutes.

[Français]

    Mes premières questions s'adressent à Mme Dyck.
    Madame Dyck, vous êtes professeure d'histoire et également responsable de la chaire de recherche du Canada de niveau 1 en histoire de la santé et de la justice sociale. Si je me fie à mes quelques lectures et à des discussions que j'ai eues avec quelques professeurs, la science devrait être universelle, c'est-à-dire ne pas avoir de caractère ethnique ou national.
    Ce que j'observe aujourd'hui est un échange concernant le savoir occidental et le savoir autochtone. J'aimerais que vous nous disiez, selon vous, de quelle façon dans l'Histoire on a pu classifier la science en lui donnant un caractère ethnique ou national. Je vous donne l'exemple de l'algèbre, qui a été inventée par les Arabes. On ne dit pas aujourd'hui que c'est de la science arabe.
    J'aimerais que vous m'expliquiez comment, aujourd'hui, on peut arriver à dire qu'il y a une science correspondant à un caractère ethnique ou national.

[Traduction]

    C'est une question très difficile.
    Je pense qu'il y a deux choses. La première c'est que lorsque les organismes de financement présentent ce que devrait être la science et comment elle devrait être financée, ils donnent la priorité à des étapes particulières — étapes qu'ils créent parfois —, ce qui a une incidence sur le choix des projets qui peuvent aller de l'avant. Bien entendu, cela confère une sorte de présence nationale et crée un ensemble différent de priorités. C'est ce qui sous-tend certaines idées sur les « conteneurs » nationaux dans lesquels la science est gardée.
    Dans le contexte des connaissances autochtones, je pense comme Mme Heller qu'il faut imaginer différentes priorités et différents aspects de la science que nous ne considérons pas nécessairement dans le cadre de la conception occidentale de la science — comme la spiritualité, par exemple — et qu'il faut réorganiser ces priorités et ces aspects. Si nous revenons à ces vétérans, une partie de ce qui est traité ici est un ensemble de troubles spirituels qui, au cours des 75 dernières années, n'ont pas trouvé leur place dans nos idées biomédicales occidentales. Je dis bien occidentales et non nationales.
    En réorganisant tout cela et en repensant ces priorités, je pense que nous pouvons imaginer une manière différente d'intégrer les connaissances autochtones ou d'autres façons de voir et de définir les priorités en matière de santé. Notre rapport à la terre fait partie de cela.

[Français]

     Merci, madame Dyck.
    Si je comprends bien ce que vous dites, il faut intégrer le savoir et les connaissances autochtones dans la science occidentale.
    De quelle façon peut-on le faire? On sait que, pour qu'un énoncé soit considéré comme une connaissance, il doit avoir été vérifié. Ce n'est donc pas une opinion, une hypothèse ou encore une croyance.
     Comment fait-on pour intégrer ces connaissances et ce savoir dans la science et pour tracer la ligne entre ce qui est vrai et ce qui est faux?
(1135)

[Traduction]

    Mon travail avec les communautés autochtones — bien que limité, car je suis moi-même une colonisatrice — me porte à croire que nous devons changer les questions que nous nous posons, que nous devons laisser d'autres personnes nous guider. Nous devons concevoir nos repères d'une autre façon.
    La question des psychédéliques, par exemple, peut être instructive à cet égard. Le fait de poser des questions sur les psychédéliques ne permet pas d'aborder les enjeux prioritaires au sein des communautés autochtones dans lesquelles j'ai travaillé. Ces enjeux portent sur l'accès au logement, à l'eau, à l'alimentation et à l'éducation pour leurs enfants. Les psychédéliques ne sont pas vraiment la priorité, alors qu'ils font partie du monde dans lequel nous vivons et, parfois, des cérémonies auxquelles participent les peuples autochtones.
    Il s'agit vraiment de repenser les priorités en matière de santé qui, parfois, ne s'inscrivent pas nécessairement dans une catégorie bien définie que nous considérons comme la science en tant que telle.

[Français]

    D'accord.
    Madame Dyck, je veux juste bien comprendre votre intervention.
    Vous dites qu'il faut poser des questions et voir les choses de façon différente. Entendez-vous par là qu'il faut revoir la méthode scientifique quand on parle de savoir ou de connaissances autochtones?

[Traduction]

    Je ne sais pas si nous devons réexaminer l'ensemble du processus scientifique, mais je pense que certains aspects méritent d'être revus.
    Prenons, par exemple, les essais cliniques randomisés. Dans le contexte des psychédéliques, ces essais mesurent une action pharmacologique très précise. Ce qu'ils ne mesurent pas, ce sont tous les types d'interactions avec l'environnement et tous les types d'interactions personnelles et émotionnelles qui se produisent lorsqu'une personne consomme des psychédéliques.
    Les cérémonies autochtones ne traitent pas les psychédéliques dans l'optique d'essais cliniques randomisés. Cela entraîne une réorientation complète de l'interaction et de l'expérience. Je pense que le fait d'entendre et de comprendre pourquoi ces cérémonies existent et quelles fonctions elles remplissent pourrait être très instructif pour imaginer le sens que nous essayons de dégager de ces réactions pharmacologiques.

[Français]

    En conclusion, puisque le temps file, je vais vous poser une question que j'ai déjà posée à d'autres témoins: comment fait-on pour distinguer une croyance ou une tradition d'une connaissance?
    C'est ce que j'aimerais comprendre.

[Traduction]

    Vous avez 30 secondes.
    Je pense que c'est aussi très difficile. Actuellement, pour moi, en tant que chercheuse, la connaissance compte lorsque je publie des articles qui seront examinés par des pairs. Les croyances ne viennent pas nécessairement enrichir mon CV.
    Je pense que parfois, les moyens convenus pour accorder du crédit ou une valeur culturelle à la connaissance et à la croyance... Je suis désolée, mais nos croyances ne suscitent pas le même type de respect culturel, et je pense que c'est quelque chose que nos systèmes de financement renforcent.
    C'était une excellente discussion. Je vous remercie.
    Nous allons passer à M. Cannings, pour six minutes.
    Je remercie tous les témoins de leur présence.
    Je vais commencer par Mme Heller.
    Nous sommes en train d'étudier la possibilité de réunir la science — telle que nous la concevons normalement dans les sociétés coloniales occidentales — et le savoir autochtone. Nous avons entendu un certain nombre de témoins utiliser des mots comme « tisser » ou « tresser ». Je crois que vous avez mentionné le mot « tisser ».
    Pourriez-vous nous expliquer comment vous voyez ces deux façons de voir le monde et comment nous pouvons les utiliser pour éclairer les politiques gouvernementales?
    Je pense que c'est important de parler de cela. Je ne suis pas à l'aise avec le mot « intégration ». C'est une notion qui peut souvent être perçue comme la consommation de l'un par l'autre. Tisser ou tresser, c'est prendre les forces de chaque système de connaissance et les fusionner pour créer quelque chose d'encore plus fort.
    Pour en revenir à ce que j'ai évoqué dans plusieurs de mes observations, il s'agit d'une vision autochtone du monde. Nous considérons la forêt comme un « eux » et non comme un « ça ». Il est beaucoup moins probable que vous rasiez cette forêt si vous la considérez comme un parent plutôt que comme quelque chose que vous pouvez consommer et dont vous pouvez profiter.
    Je vais m'arrêter là.
(1140)
    Je vais prendre un exemple plus détaillé.
    Madame Heller, vous avez cité la Loi sur les espèces en péril comme un exemple de ce processus. Dans ma vie antérieure, je faisais partie du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. C'était, je pense, l'un des premiers organismes gouvernementaux ou organismes adjacents au gouvernement à avoir fait une place au savoir autochtone et aux gardiens du savoir autochtone en leur sein. Il est certain qu'à l'époque, il était difficile de trouver qui devait siéger pour représenter le savoir autochtone. Il était difficile de tenir compte de toutes les choses dont le gouvernement devait se préoccuper.
     En utilisant cet exemple, je me demande comment les connaissances autochtones ont été utilisées dans la Loi sur les espèces en péril — si vous la connaissez, bien entendu — et, peut-être, comment ces connaissances devraient être utilisées si vous pensez qu'il y a de meilleures façons de faire.
    Je pense que lorsqu'on parle d'espèces particulières et de la protection des terres qui vont accompagner la Loi sur les espèces en péril, il faut comprendre comment se comportaient les populations de cet animal avant le contact. Il s'agit de prendre en considération les utilisations culturelles de cet animal, de réfléchir aux différentes utilisations des terres qui entrent en jeu pour cet animal particulier et d'avoir quelqu'un, une communauté, qui a une connaissance approfondie de ces terres. Il est essentiel d'avoir une perspective qui se fonde sur le territoire, contrairement aux fonctionnaires ou aux scientifiques qui peuvent faire intervenir et utiliser des données probantes. Il faut combiner ces deux approches de la collecte de données pour prendre des décisions concernant cet animal.
     Je pense qu'il est également essentiel de tenir compte de ce que cette communauté devra affronter à la suite de l'intervention et de la mise en place des protections foncières, car il n'est pas rare que des communautés autochtones soient blâmées pour des restrictions concernant l'utilisation des terres. Les préjudices que ces communautés peuvent subir lorsque cela se produit ne sont souvent pas pris en compte, alors qu'ils doivent l'être.
    Je vais continuer à parler de certains des problèmes que j'ai constatés à ce propos.
    Pour certains gardiens du savoir autochtone — peut-être que vous l'avez mentionné —, il arrive dans certains cas, ou dans de nombreux cas, que le savoir est considéré comme étant la propriété d'une personne ou d'une famille, et que cette personne ou cette famille n'est pas disposée à partager ce savoir avec les décideurs du gouvernement. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est et ce que nous pouvons faire dans ces cas‑là?
    J'en ai effectivement parlé. Il y a une méfiance inhérente quant au vol de connaissances. C'est pourquoi il faut prendre le temps de nouer des liens avec ces personnes afin d'instaurer la confiance qui... Pourquoi ces gens voudraient-ils partager leurs connaissances avec vous s'ils ont l'impression qu'elles ne seront pas utilisées à bon escient, dans leur intérêt, mais aussi dans celui de leur communauté et de tous les êtres vivants environnants?
    Prenez le temps d'apprendre à connaître ces personnes, renseignez-vous sur les aspects historiques de ce à quoi cette communauté a été confrontée et est confrontée. Établissez une relation de confiance et une base pour travailler ensemble. S'il y a une volonté d'apprendre, une volonté d'entendre la réponse « non, ce n'est pas notre priorité », je pense que cela positionne ce type de travail d'une manière différente. Les communautés autochtones et les gardiens du savoir sont beaucoup plus enclins à vouloir y mettre du leur lorsque les choses sont faites un peu différemment.
(1145)
    Je vous remercie. Je m'excuse d'avoir à chronométrer cette discussion.
    Pour ce prochain tour, nous allons faire quelques coupes pour finir à temps. Les séries de questions seront réduites à trois minutes et demie, trois minutes et demie, une minute et demie et une minute et demie.
    La première intervenant à trois minutes et demie est Michelle Rempel Garner.
    Merci, monsieur le président.
    Mes questions s'adresseront à Mme Dyck et à Mme Heller.
    Michael Pollan est un auteur et journaliste américain qui enseigne la pratique de la non-fiction à l'Université Harvard. En 2020, il a cofondé le UC Berkeley Center for the Science of Psychedelics.
    Les critiques de son très célèbre livre, How to Change your Mind, qui traite de l'utilisation des psychédéliques, sont élogieuses: « Saisissant et surprenant... Perdre la tête semble être la chose la plus saine que l'on puisse faire », a déclaré la chronique Book Review du New York Times . Le New York Magazine l'a qualifié de « stupéfiant ».
    Cela m'a amusée... Ce n'est peut-être pas le bon mot. Après la publication de ce livre, il a été à la fois drôle et décevant de voir les gens se mettre à dire que les psychédéliques peuvent être utilisés pour la santé mentale. Je pense que c'est un exemple parfait de certaines des choses dont vous parliez, madame Williams.
    Y a‑t‑il quelque chose de fondamentalement transformateur dans le livre de Michael Pollan ou s'agit‑il simplement d'un recueil de connaissances autochtones? Pourquoi faut‑il encore l'intervention d'un Michael Pollan pour que les connaissances traditionnelles autochtones soient acceptées comme pratique courante?
    C'est vrai et c'est regrettable. Presque tout ce que nous savons sur la thérapie à base de substances psychédéliques provient de pratiques autochtones qui ont été occidentalisées et exploitées sans que le mérite, la reconnaissance, la gloire ou l'argent reviennent aux sources initiales de ces connaissances et de ces techniques.
    Si vous lisez le livre, ce que j'ai fait, vous avez l'impression qu'il s'agit d'un panthéon d'hommes blancs qui s'attribuent le mérite de toutes les recherches sur les psychédéliques effectuées au cours du siècle passé. Malheureusement, c'est souvent ainsi que nous déterminons ce qui est important: Les hommes blancs ont‑ils fait cette découverte? En parlent‑ils et la diffusent‑ils? C'est exactement ce que l'on constate dans le livre de Michael Pollan.
    Pour répondre à votre question, il n'est pas un expert en psychédéliques. Il n'est pas clinicien. Il n'a pas de diplôme de maîtrise ou de doctorat en médecine, mais il reçoit beaucoup d'attention parce qu'il a écrit un livre à succès.
    Allez‑y, madame Dyck.
    Je pense que Michael Pollan a synthétisé une grande partie de ce qui se dit depuis un certain nombre d'années et qu'il y a donné un aspect grand public, ce qui a encore plus endommagé ou atténué les contributions faites par les peuples autochtones depuis des siècles. Il a apposé à ces connaissances un vernis qui les a fait entrer dans le courant dominant, mais il ne rend pas service aux personnes qui, dans le monde entier, travaillent dans ce domaine depuis longtemps, dans un large éventail de cultures et de milieux.
    Je terminerai en disant ce qui suit, monsieur le président. Avant et pendant ma carrière politique, j'ai toujours pensé que le moyen le plus rapide de faire avancer quelque chose était de trouver comment faire croire à un homme que c'était son idée. J'espère que ce comité pourra formuler une meilleure recommandation sur la manière d'intégrer le savoir autochtone dans le courant dominant.
    Merci pour ces observations très perspicaces.
    Nous allons maintenant passer à Mme Jaczek, qui aura trois minutes et demie.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Nous avons aujourd'hui un groupe de témoins fascinant.
    À l'instar de mon collègue M. Turnbull, je tiens à féliciter Mme Heller d'avoir clairement indiqué que c'est une division très artificielle qui semble exister entre ce que nous appelons la science occidentale et le savoir autochtone, qui, bien entendu, se fonde également sur des méthodes scientifiques observationnelles.
    Il est parfois utile de raconter des histoires pour contrer la discrimination qui est clairement présente dans ce qui est actuellement considéré comme le savoir autochtone. Nous avons aujourd'hui entendu parler des psychédéliques, mais y a‑t‑il d'autres exemples?
     Madame Heller, pourriez-vous nous donner d'autres exemples dans lesquels l'entrecroisement de la science observationnelle autochtone a été intégré à des recherches qui ont eu un effet durable et ont abouti à des résultats positifs que tout le monde peut constater. Existe‑t‑il un exemple concret de ce type de recherche qui aurait été publié et qui soit largement reconnu comme ayant fait progresser la science dans son sens le plus large?
(1150)
    Mon Dieu! Un certain nombre des agents thérapeutiques et des médicaments anticancéreux activement utilisés ont été « découverts » par des scientifiques occidentaux, mais ont été transmis à ces chercheurs par les populations autochtones sous la forme de plantes qui étaient utilisées depuis des temps immémoriaux pour traiter un certain nombre de maladies. On peut citer l'exemple de l'if de l'Ouest. Il s'agit là de certains des médicaments les plus lucratifs utilisés par les grandes sociétés pharmaceutiques. Il y a donc un certain nombre d'exemples rien que dans le domaine de la découverte de médicaments.
    Les médicaments anticancéreux font partie de ceux que je citerais.
    Je pense que c'est très utile.
    Très honnêtement, les personnes — les communautés autochtones — qui ont fourni ces médicaments n'ont pas été indemnisées pour ce partage de connaissances. C'est ce qui a suscité la méfiance et l'hésitation à partager certaines de ces connaissances aujourd'hui.
    Madame Williams, alors que nous entrecroisons le savoir autochtone et la science occidentale, quels sont les résultats en matière de santé? Pour ce qui est de l'intégration, avez-vous observé ou documenté des résultats positifs dans les mesures habituelles de réussite, comme la diminution de la mortalité périnatale au sein des populations autochtones et l'augmentation de la longévité, de l'espérance de vie et de la qualité de vie? Pouvez-vous citer un exemple de réussite de l'intégration ou de l'entrecroisement?
    Je suis désolé, mais votre temps de parole est écoulé. Peut-être pourrions-nous obtenir une réponse par écrit. Si vous êtes en mesure de le faire, ces renseignements nous seraient utiles dans le cadre de notre étude.
    Nous passons maintenant à Maxime Blanchette-Joncas, qui dispose d'une minute et demie.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Ma question s'adresse à Mme Williams.
    Madame Williams, vous êtes titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les disparités en santé mentale. L'objectif de cette chaire est d'offrir de meilleurs soins en santé mentale pour les peuples autochtones afin d'avoir une meilleure équité. Je veux que vous nous aidiez à déterminer où tracer la ligne entre l'utilisation de la science et de la médecine traditionnelle.
    Votre chaire de recherche dit qu'il ne s'agit pas seulement d'utiliser la science, mais d'utiliser des pratiques inclusives, sensibles à la culture et centrées sur le patient. Je donne l'exemple du savoir traditionnel. J'aimerais vous amener vers un exemple concret qui est tragique, mais réel. En novembre 2014, un juge autochtone de la Cour de justice de l'Ontario a reconnu à des parents de la communauté autochtone de New Credit le droit de refuser les traitements de chimiothérapie pour traiter la leucémie de leur fille de 11 ans. Elle s'en est remise à une médecine fondée sur le savoir traditionnel pour respecter les droits ancestraux. Je vous laisse imaginer la suite. La jeune fille à qui la médecine donnait 75 % de chance de guérison avec la chimiothérapie est décédée deux mois après le jugement.
    Selon vous, et d'après votre expérience, comment fait-on pour décider si on respecte le savoir traditionnel ou si on met en application la science?

[Traduction]

    Merci pour votre question.
    Au bout du compte, je suis une scientifique et j'utilise la méthode scientifique. J'aborderais donc la question en examinant les résultats et en proposant aux patients ce que nous savons de cette approche et ce que nous savons de l'approche autochtone. Il se peut que nous ne sachions rien d'une approche autochtone et que nous l'expliquions à l'aide de nos propres méthodes scientifiques. Cela ne signifie toutefois pas qu'elle soit sans valeur.
    Au bout du compte, il revient au patient de choisir l'approche à adopter pour qu'elle soit conforme à son système de croyances, que nous puissions ou non l'étayer au moyen de notre version occidentale de la science.
(1155)
    Merci.
    Pour conclure, nous allons donner la parole à M. Cannings pour une minute et demie.
    Merci.
    Je vais continuer avec Mme Heller.
    Madame Heller, vous figurez sur la liste des boursiers autochtones de l'Université Simon Fraser. Pourriez-vous nous dire rapidement comment, selon vous, le système d'éducation canadien, en particulier le système d'enseignement postsecondaire, s'adapte à cette situation en créant de nouveaux postes, notamment des chaires liées aux connaissances autochtones? Nous avons entendu mon amie et collègue, Jeannette Armstrong, de l'Université de la Colombie-Britannique. Pourriez-vous nous parler de l'évolution de cette tendance et nous dire si elle pourrait s'accélérer?
    Je pense tout d'abord qu'il est important d'offrir des opportunités et des bourses aux étudiants pour éliminer certains des obstacles financiers auxquels ils sont confrontés.
    Il ne suffit pas d'embaucher un grand nombre d'enseignants autochtones. Il faut aussi recruter des leaders autochtones et leur offrir des postes de direction et les rémunérer de manière adéquate. Nous devons avoir des aînés en résidence, leur donner la même valeur qu'aux professeurs titulaires et les rémunérer de manière appropriée.
    Je pense qu'il est difficile pour les Autochtones d'entrer dans un établissement lorsque celui‑ci n'est pas prêt à recevoir leurs dons ou à reconnaître la valeur du travail communautaire que les universitaires autochtones doivent accomplir pour cette raison, et n'est pas prêt à reconnaître la valeur de notre contribution à notre communauté et à rendre le chemin un peu plus facile pour nos enfants.
    Je pense que nous devons embaucher plus de personnes, mais aussi d'apporter des changements aux politiques, à la gouvernance et aux programmes d'études afin que tous les niveaux des établissements passent par un processus de décolonisation et que nous puissions apporter nos valeurs à ces établissements.
    Formidable. Merci.
    J'aimerais que cette discussion puisse durer plus longtemps. Nous avons eu des réunions formidables, et celle‑ci compte certainement parmi les meilleures de cette étude.
    Merci, chers témoins, pour vos points de vue, votre contribution et vos réponses réfléchies.
    Si vous souhaitez nous communiquer d'autres renseignements, veuillez nous les envoyer par écrit afin que nous puissions les inclure dans notre étude.
    Merci à Lindsay Heller, à Erika Dyck et à Monnica Williams pour tout ce qu'elles ont fait pour notre étude afin que nous puissions mieux connaître le savoir traditionnel et la science autochtones dans le cadre de l'élaboration des politiques gouvernementales.
    Nous allons maintenant suspendre la séance pendant quelques minutes, le temps d'appeler notre prochain témoin. Nous n'avons qu'un seul témoin sur Zoom pour cette prochaine séance. Nous serons de retour dans quelques minutes, dès que nous aurons effectué les vérifications du son nécessaires. J'ai hâte de commencer la prochaine partie de notre réunion.
(1155)

(1200)
    Je vous souhaite à nouveau la bienvenue.
    Nous allons entamer la deuxième partie de notre réunion. Nous avons terminé les vérifications du son. Merci à notre équipe technique.
    Conformément à l'article 108(3)i) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le lundi 18 septembre 2023, le Comité reprend son étude de l'intégration du savoir traditionnel et des connaissances scientifiques autochtones dans l’élaboration des politiques gouvernementales.
    J'ai maintenant le plaisir d'accueillir, par vidéoconférence, Kori Czuy, consultante en sciences autochtones. En personne, nous accueillons Yves Gingras, professeur d'histoire et de sociologie des sciences à l'Université du Québec à Montréal.
    Vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire vos observations liminaires, puis nous passerons à la série de questions.
    Si vous participez par vidéoconférence, vous pouvez choisir la langue de votre choix au bas de l'écran. Il y a l'anglais, le français ou l'espagnol.
    Nous allons commencer par Mme Czuy qui dispose de cinq minutes.
    Tansi. Mihkopihêsiw nitisiyihkâson.
    Je suis métisse de la famille Jobin. Comme je l'ai dit, je suis titulaire d'un doctorat en mathématiques et sciences autochtones.
    Je vais entrer directement dans le vif du sujet. J'aimerais commencer par parler de ce qu'est la science.
    Il s'agit de la manière dont nous comprenons le monde en constante évolution qui nous entoure, en tirons des enseignements et entrons en contact avec lui, afin de survivre, de prospérer et d'interpréter les enseignements ancestraux fondés sur la terre et de les transmettre à la génération suivante pour qu'elle puisse survivre.
    Les définitions relationnelles qui constituent la science sont déconnectées de la terre, des arbres, des saules et des castors. Elles sont déconnectées de l'humain, de nous-mêmes — de notre corps, de nos sens, de notre mémoire et de notre esprit — et de la communauté. Cette déconnexion est due à la doctrine de la découverte.
    Il y a une rupture entre l'esprit et le corps, qui a été causée par Descartes, la Loi sur les Indiens, le capitalisme et de l'influence de la méthode scientifique. Il en résulte une définition une définition réductionniste, objective, universelle et normalisée de la science. De nombreuses personnes l'utilisent aujourd'hui, ce qui est très bien, mais elle est comprise, transmise et utilisée pour la recherche scientifique. Si ces connaissances sont le seul moyen de connaître la science et le monde qui nous entoure aujourd'hui, qu'est‑ce qui nous échappe?
    Avec mes étudiants, j'aime utiliser un cadre: Comment peut‑on ouvrir les esprits et les cœurs à la science relationnelle, ancestrale ou autochtone? Il y a trois façons de le faire: par les origines, les méthodes et la langue.
    En ce qui concerne les origines, quelle est l'origine de la « découverte » ou de la connaissance scientifique? Si nous regardons au‑delà de ce qui nous est enseigné à l'école à travers le prisme mondial ou scientifique, nous constatons que ces connaissances sont profondément liées aux peuples autochtones. Si nous adoptons un point de vue scientifique, nous pouvons affirmer que Niels Bohr est le père fondateur de la théorie quantique, ou qu'un scientifique français a découvert l'aspirine. En réalité, il s'agit de la connaissance des liens spirituels et énergétiques avec la terre. Depuis des milliers d'années, tout le monde a compris les causes et effets des fréquences d'énergie que l'on appelait « l'esprit ». Aujourd'hui, beaucoup l'appellent « quantique ». Les femmes de l'Île de la Tortue établissent des liens cérémoniels et spirituels avec des remèdes curatifs à base de saule. On les connaît aujourd'hui sous le nom d'aspirine.
    La deuxième chose dont j'aimerais parler est la méthode. La façon dont nous connaissons la science. J'aimerais parler un peu de la quantique. Ils ont de la difficulté à comprendre la quantique en utilisant la méthode scientifique occidentale parce qu'elle est trop universelle, normalisée et objective. L'optique scientifique autochtone est subjective et relationnelle, et inclut l'observation, l'expérience et l'esprit. Elle part du principe que nous n'apprenons pas seulement par le biais des connaissances objectives ou de l'écrit, mais aussi par l'apprentissage, l'histoire, les cérémonies et l'esprit.
    Par exemple, les connaissances célestes transmises depuis des milliers d'années sont liées à des lieux et à des phénomènes stellaires précis, comme les yeux de loup ou les œufs d'oiseau-tonnerre. Récemment, les scientifiques occidentaux ont déclaré avoir découvert ces connaissances, comme Sagittarius A* ou le trou noir supermassif situé au milieu de l'univers. Depuis des milliers d'années, ces savoirs sont connus et transmis au moyen des relations et des cérémonies des peuples autochtones.
    Le troisième point que j'aimerais mentionner est la langue. Comment parlons-nous de la science? En utilisant les langues autochtones qui sont relationnelles, reliées à l'esprit et au locuteur, et basées sur le verbe. Elles sont vivantes. Elles ont un passé, un présent et un avenir. La relationnalité se trouve ainsi au premier plan.
    Les langues autochtones sont riches en sciences. Je vais vous donner un exemple. Naamóó signifie « abeille ». C'est Reg Crowshoe, de la Nation Piikani, qui m'a enseigné ce mot pied-noir. Il désigne les changements de fréquence des sons des abeilles qui s'approchent et s'éloigne de vous. Il s'agit là de l'effet Doppler relationnel. Il dénote une compréhension profonde des connaissances scientifiques liées au mouvement, à la relationnalité, aux fréquences et à la quantique, le tout dans un seul petit mot pied-noir.
    Je ne dis pas que l'une ou l'autre façon de savoir, d'être ou de faire de la science est bonne ou mauvaise, mais le problème est que certaines connaissances scientifiques importantes sont discréditées et que seules les méthodes, méthodologies et politiques occidentales, mondiales ou scientifiques sont comprises, validées et transmises.
    J'ai trois recommandations à vous faire.
    Premièrement, faites d'abord votre travail. Aidez-nous et travaillez avec nous sur ce chemin parallèle. La réconciliation est l'œuvre de personnes non autochtones. C'est ce que m'a dit Casey Eaglespeaker de Kainai. Lisez le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Lisez l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Lisez la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Comprenez ces témoignages. Comprenez ce qu'est le consentement libre éclairé préalable. Lisez les livres de Cajete, Kimmerer, Yellow Bird et Vine Deloria. Écoutez des balados comme Ancestral Science et Native Stories. Et surtout, prenez du tabac, offrez‑le à un aîné et écoutez.
(1205)
    Ma deuxième recommandation est que la souveraineté de ce processus doit commencer avec les communautés autochtones et rester entre leurs mains. Nous devons confier le pouvoir décisionnel aux communautés. Nous pourrons ainsi faire les choses correctement, appliquer des protocoles, avec cette voie parallèle et dans le respect, et nous atténuerons l'appropriation culturelle, qui a déjà été évoquée à plusieurs reprises auparavant.
    Enfin, nous devons absolument...
    Je suis désolé. Votre temps est malheureusement écoulé.
    Nous pourrons peut-être entendre le troisième point dans une réponse ou vous pourrez nous le fournir par écrit.
    C'était mon dernier point: Prenez du temps pour ces choses.
    Des députés: Ha, ha!
    Très bien. Veuillez donc m'excuser. Merci beaucoup.
    Le temps est la seule chose dont nous manquons toujours au sein de ce comité.
    Nous passons à Yves Gingras qui dispose de cinq minutes.

[Français]

    C'est probablement la première fois qu'un comité comme le vôtre se penche sur la science et la recherche. Les conséquences de la question de l'intégration des connaissances traditionnelles aux politiques gouvernementales fondées sur la science reposent sur une bonne compréhension de ce qui relève, en fin de compte, de la philosophie des sciences et de l'épistémologie. Il ne faut pas penser, comme on le pense trop souvent, que l'épistémologie est de la philosophie déconnectée de la politique.
    Je vais essayer de vous démontrer que le problème que vous avez est mal conçu et mal nommé. Comme le disait l'écrivain Albert Camus, mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur du monde. Le but est que toutes les politiques gouvernementales fondées sur la science soient fondées sur le maximum d'ouverture et de consultation. Cependant, « consulter », ce n'est pas la même chose qu'« accepter ».
    La raison pour laquelle ce qu'on entend actuellement est confus, c'est qu'on passe d'un mot à l'autre sans définir les termes et sans distinguer les choses. Si on parle d'une chaise, il ne faut pas appeler cela « une table ». C'est important de distinguer les mots.
    Dans mon bref discours, je vais donc vous rappeler les mots fondamentaux dans toute notre discussion.
    D'abord, il y a le mot « croyance ». On peut avoir des croyances, mais une croyance, c'est ce qui relève d'un individu qui croit à quelque chose. On peut avoir une opinion, qui est une hypothèse, mais on peut aussi avoir une connaissance.
    Or, qu'est-ce qu'une connaissance? C'est un énoncé sur le monde qui a été validé, théoriquement, par des méthodes accessibles à toute personne raisonnable ayant la formation adéquate. Ainsi, si j'émets l'hypothèse qu'il y a des ours dans un endroit donné, je dois le vérifier pour que cela devienne une connaissance. Une fois qu'on a vérifié qu'il y a bien des ours dans l'endroit donné, cette connaissance devient universelle.
    Ensuite, il y a le mot « science ». La connaissance n'est pas la même chose que la science. Je peux savoir que 2 + 2 = 4, ou que a2 + b2 = c2. C'est une connaissance, mais cela ne veut pas dire que je suis capable de démontrer ce que c'est. La science, en épistémologie, se définit simplement par le fait de rendre raison de phénomènes par des causes naturelles. Depuis le XVIIe siècle, c'est cela, la science.
    On a beaucoup de connaissances, et d'autres ont aussi la science de cette connaissance. On peut savoir, par exemple, que le Thuja occidentalis, que les Iroquois appellent l'annedda, est un arbre dont les feuilles guérissent le scorbut. C'est une découverte qui a été faite par les Iroquois ici, au XVIe siècle, et qu'on a attribuée, au XVIIe siècle, à Jacques Cartier. Toutefois, ce n'est qu'une connaissance. C'est seulement au XIXe siècle, ou plus tard, que c'est devenu une science. On découvrira qu'il guérit le scorbut parce qu'il contient de la vitamine C. Ainsi, maintenant, nous n'avons plus besoin d'arracher des feuilles de Thuja occidentalis, parce que nous produisons de la vitamine C. Cela, c'est la science qui explique pourquoi cet arbre a de telles propriétés, mais on avait des connaissances.
    Alors, il faut distinguer « croyance », « connaissance » et « science ». Je ne donnerai pas un cours d'histoire ici, mais vous savez tous que la science est potentiellement universelle. Il n'y a pas de science occidentale, de science orientale ou de science autochtone. Cela n'existe pas. Il y a des individus qui ont fait des découvertes. Les Iroquois ont su comment guérir le scorbut. Les Chinois vont sur la Lune non pas grâce au yin et au yang, mais grâce à la connaissance universelle des lois de Newton. Même si Newton était un Britannique, ce n'est pas une science britannique. Les ondes électromagnétiques qu'on entend ont été découvertes grâce à James Clerk Maxwell, qui était un Écossais, mais ce n'est pas une science écossaise. C'est un Allemand du nom de Hertz qui a utilisé les équations de Maxwell et qui a découvert les ondes électromagnétiques.
    Une connaissance est donc potentiellement universelle. Sinon, c'est une croyance. Si je vous dis que j'ai la connaissance de Dieu, vous allez me dire que c'est plutôt une croyance, parce qu'il n'y a pas de mesure ou de méthode acceptée par tout le monde pour démontrer l'existence de Dieu. Toutefois, on peut croire que Dieu existe; c'est personnel.
    Bref, je vous le dis d'avance: il y a une confusion. Si vous mêlez tous les mots, vous n'arriverez à rien.
(1210)
     Avant de qualifier quelque chose de « connaissance », il faut pouvoir dire que, effectivement, cette information a été vérifiée par des gens indépendants d'un peu partout.
    Le monde arabe, au Moyen‑Âge, a contribué à la science. Ce n'est pas une science arabe, c'est l'algèbre, que tout le monde utilise. Pourtant, « algebra » est un mot arabe.
    Des scientifiques, dans tous les pays, font une science potentiellement universelle. Il ne faut pas mêler les termes.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci. Je suis désolé de vous interrompre.
    C'est un très bon début de discussion. J'ai hâte d'entendre les questions sur ces deux exposés.
    Nous allons commencer par M. Soroka, qui dispose de six minutes.
    Merci, monsieur le président.
     Je remercie les témoins d'être présents aujourd'hui.
    Je vais commencer par Mme Czuy.
    Vous avez déjà fait allusion à la façon dont les histoires autochtones ont contribué à la compréhension. Pouvez-vous approfondir notre compréhension de ces histoires dans le cadre des concepts mathématiques et scientifiques, en particulier dans le contexte de votre travail sur les enfants et les traités?
     Les histoires sont source de connaissances. Lorsque nous racontons une histoire, nous enseignons — peu importe de quoi il s'agit.
    Si je me fie à mon expérience personnelle et à mon domaine de recherche, je n'ai jamais eu un faible pour les mathématiques quand j'allais à l'école. Cette matière était déconnectée de mon corps, de ma culture, de mon esprit ou de la terre jusqu'à ce que je me rende compte, pendant ma maîtrise, que les mathématiques reposent sur des façons de faire, d'être et de savoir qui sont très normalisées. Il n'y a rien de mal à cela. Le hic, c'est que cela crée un décalage entre, d'une part, les humains et les cultures et, d'autre part, la démarche mathématique utilisée depuis de nombreuses années.
    Pensez à l'importance de la trigonométrie et à la façon dont les navigateurs parvenaient jadis à s'orienter sur les océans en fonction du zénith, de la ligne d'horizon, etc. C'est important. Le corps et les sens sont mis à contribution. Or, lorsque ces façons de comprendre, d'apprendre, d'appliquer et de faire les mathématiques sont remplacées par un mode d'apprentissage axé sur la mémorisation, au moyen d'une approche très normalisée et d'exercices faits en classe sur un bout de papier, ces liens disparaissent.
    Quand je me suis rendu compte qu'il était possible de comprendre les mathématiques en établissant des liens, j'ai commencé à m'y intéresser davantage. C'est ce que j'enseigne aux enfants. Comment voyez-vous les mathématiques autour de vous? Comment faites-vous pour comprendre que les différents angles peuvent créer différentes saisons? Comment pouvez-vous mesurer des choses en utilisant votre corps, plutôt qu'une règle normalisée? Nous sommes notre propre instrument de mesure.
    Pendant ma maîtrise, j'ai travaillé en Papouasie-Nouvelle-Guinée où l'on utilise d'autres systèmes de numérotation. Chaque communauté dispose d'un système différent, qui varie de la base 32 à la base 27. Tous ces différents systèmes sont importants. J'ai constaté à quel point cela aiderait à comprendre les mathématiques parce que ces communautés, qui font des échanges en utilisant ces différents systèmes de numérotation, doivent interpréter le tout et passer d'un système à l'autre. C'est ce que nous faisons tous les jours. Cela nous aide au quotidien, que ce soit pour indiquer l'heure ou pour faire du codage informatique. Tout cela est interrelié, selon notre conception du corps et du monde. Lorsque nous apprenons les mathématiques à l'école selon une approche très normalisée et déconnectée de notre corps, de notre culture et de nos expériences, nous ne pouvons pas faire ce genre de lien.
    Est‑ce que cela répond à votre question?
(1215)
    Oui. C'est très bien. Merci, madame Czuy.
    Ma prochaine question s'adresse également à vous.
    Dans le cadre de vos fonctions au centre de sciences Spark, comment facilitez-vous l'intégration des divers modes de connaissances scientifiques?
    Il y a plusieurs façons de s'y prendre. Il s'agit, premièrement, de nouer des liens avec les communautés, en commençant par les aînés, les gardiens du savoir et les scientifiques autochtones et en tenant compte de leurs connaissances et de ce qu'ils aimeraient apporter. Deuxièmement, il faut passer par l'éducation. Comment pouvons-nous créer des activités qui sont liées aux connaissances scientifiques autochtones afin que tout le monde puisse les comprendre et établir des liens? Par exemple, on peut chercher à comprendre les fréquences vibratoires des tambours et leur pouvoir de guérison en fonction de différentes cartes célestes.
    Nous travaillons aussi beaucoup auprès des écoles et des communautés pour leur faire découvrir nos expériences. Ce travail se fait à la fois dans les écoles et sur le terrain, c'est‑à‑dire dans les communautés des réserves. Cela leur permet de voir l'ampleur de leurs connaissances scientifiques. À cette fin, nous organisons un atelier d'apprentissage par l'expérience qui met en lumière la profondeur des connaissances dans les récits des Pieds-Noirs sur le Makoiyohsokoyi, ou la Voie lactée. On y trouve de nombreux enseignements scientifiques, et cela nous ramène à la question de départ: en effet, les histoires sont source de connaissances.
    L'histoire du sentier des loups renferme d'importantes connaissances scientifiques — les relations prédateur-proie et le fait de vivre en équilibre —, et il y est précisément question d'un point céleste découvert il y a quelques années à peine, si vous vous souvenez de la photo du trou noir hypermassif. Nous nous sommes dit: « Nous savons cela depuis des milliers d'années. C'est l'oeil du loup ou l'œuf de l'oiseau-tonnerre. » Il y a une foule de récits.
    Ces connaissances revêtent une grande dimension scientifique. Au centre des sciences, nous essayons de les réunir et de faire en sorte que tout le monde puisse s'y reconnaître — pas seulement les communautés autochtones, et cela comprend aussi bien les enfants que les adultes — afin de leur permettre d'apprivoiser les sciences. N'ayant moi-même jamais pu apprivoiser les sciences ou les mathématiques dans ma jeunesse, j'estime que de telles expériences auraient changé la donne pour moi. C'est ce que nous essayons de faire, mais dans l'intérêt de tous, afin que tout le monde puisse découvrir et comprendre la profondeur des connaissances scientifiques qui se trouvent dans ces histoires. Par « histoires », j'entends le lien entre la science et la terre.
    Merci, madame Czuy.
    J'ai une dernière question à poser. Je sais que mon temps de parole tire à sa fin, alors vous devrez peut-être nous envoyer une réponse par écrit.
    D'après vos recherches et votre expérience professionnelle, quels sont certains des défis et des possibilités que présente l'intégration du savoir traditionnel autochtone à la recherche scientifique et à l'élaboration de politiques?
(1220)
    Je vous remercie, et on dirait une question de dissertation. C'est une très bonne question, en effet.
     Mme Kori Czuy: Il y a beaucoup de choses à démêler.
     Le président: Nous devons passer à notre prochaine intervenante, Valerie Bradford. Vous avez six minutes.
    Je vais vous donner l'occasion de répondre à la question de M. Soroka.
    Pouvez-vous répéter la question? Elle était assez longue.
    Oui.
    Monsieur Soroka, allez‑y.
    Oui, volontiers.
    D'après vos recherches et votre expérience professionnelle, quels sont certains des défis et des possibilités que présente l'intégration du savoir traditionnel autochtone à la recherche scientifique et à l'élaboration de politiques?
    C'est essentiellement l'objet de ce rapport, alors si vous pouviez rédiger un rapport pour nous...
     Des députés: Ha, ha!
    Oui, je vais simplement vous remettre ce rapport — c'est parfait.
    Je pense que les défis sont nombreux parce que, comme je l'ai expliqué, du point de vue autochtone, il y a une définition apparemment étroite du mot « sciences » et de la façon d'appliquer, d'incarner et d'apprendre les sciences et les mathématiques. Pour moi, les sciences et les mathématiques relèvent du même objectif: nous permettre de nous épanouir et de comprendre le monde qui nous entoure. Tant que nous ne pourrons pas en élargir la conception, je ne vois pas comment il sera possible d'aller de l'avant.
    Si nous disons sans cesse que nous ne pouvons utiliser que cette méthode scientifique normalisée et objective — une façon d'être, de faire et de savoir en sciences, qui consiste non seulement à comprendre des notions, mais aussi à les mettre en œuvre en publiant des articles ou en tenant deux ou trois consultations, sans toutefois passer par la cérémonie —, alors nous ferons fausse route. Le défi est de savoir comment appliquer, comme on l'a dit à maintes reprises, cette idée de rapprochement, de tissage et de tressage. Il s'agit de fusionner ces modes de connaissances. Ils ont tous des points forts, mais souvent, on ne nous enseigne qu'une façon occidentale ou mondiale de savoir, d'être et de faire en sciences en alléguant que c'est la seule voie à suivre. Comment pouvons-nous élargir cette conception et tresser ensemble ces connaissances?
    Le défi, c'est vraiment de comprendre ce que cela signifie, et je crois qu'il s'agit aussi d'une possibilité. Qu'est‑ce qui nous échappe lorsque nous ne concevons pas les sciences de cette manière? Il y a tellement d'exemples que je peux donner. Songeons à un simple mot pied-noir, « naamóó », qui revêt une dimension scientifique, et à la façon dont les langues autochtones disparaissent, faute d'être transmises d'une génération à l'autre pendant...
    Je voudrais poser mes questions. Je vous remercie tout de même de cette réponse très complète. C'était excellent.
    Je tiens à remercier nos deux témoins de la passion et de l'enthousiasme dont ils ont fait preuve dans leurs déclarations préliminaires, qui étaient tout à fait remarquables.
    Madame Czuy, j'aimerais revenir à vous. Vous nous avez fait trois recommandations, même si le président a essayé de vous interrompre. La première, c'est que nous devons d'abord faire notre travail, et la réconciliation est l'œuvre de personnes non autochtones.
    Pouvez-vous nous en dire davantage sur l'importance d'établir des partenariats avec le gouvernement fédéral, les provinces, les municipalités, les établissements d'enseignement postsecondaire et l'industrie pour soutenir la gouvernance autochtone et la réconciliation? Quelles sont vos suggestions à cet égard?
    Les suggestions ne manquent pas. Il y a la Commission de vérité et réconciliation. Il y a la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Tout est déjà là. Vous devez simplement les mettre en œuvre. Il s'agit de faire le travail nécessaire pour comprendre ce que cela signifie.
    Nous avons fait notre travail. J'ai mentionné qu'il y a une tonne de ressources. Beaucoup de travail a été effectué sur la façon de bien faire les choses, en collaboration avec nous et avec la communauté.
    Je dois suivre cette voie parallèle tous les jours. Je dois faire le double de mon travail, et cela ne me dérange pas. Il faut que les autres en fassent autant pour comprendre. Ils doivent faire ce travail — lire sur le sujet et découvrir une façon plus subjective de connaître la science. Une fois que vous en aurez fait l'expérience, il n'y aura plus aucun doute sur ce qu'est une croyance, ce qu'est une connaissance, et nous serons alors sur la même voie.
    Je me demande si vous pourriez nous en dire un peu plus sur votre rôle de gestionnaire de la mobilisation autochtones au centre des sciences Spark de Telus. Ceux d'entre nous qui viennent de l'Ontario ne connaissent même pas ce centre. Nous savons qu'il y en a deux en Ontario.
    Pouvez-vous nous en dire plus sur vos fonctions là‑bas et nous expliquer comment vous utilisez le savoir traditionnel dans les politiques actuelles et comment vous l'intégrez dans votre travail quotidien?
(1225)
    Tout d'abord, il s'agit de collaborer avec la communauté, les gardiens du savoir et les aînés. Ils seront toujours au cœur de mon travail. Il s'agit de bâtir une confiance entre eux et moi pour qu'ils puissent présenter leurs idées sur les mesures qui devraient s'imposer.
    Rien ne se fait sans la communauté. Rien ne se passe sans qu'on travaille avec eux et sans qu'on noue ces relations. C'est ce qu'il faut retenir. Cela ne se limite pas nécessairement au centre des sciences. Tout travail qui se fait avec les Autochtones devrait s'effectuer en collaboration avec les communautés, et il faut commencer par les écouter.
    Je trouve formidable que le centre des sciences Spark de Telus ait une gestionnaire de la mobilisation autochtone. Je ne sais pas si c'est le cas dans d'autres centres des sciences. Bref, c'est merveilleux.
    Science Nord fait également des choses extraordinaires.
    C'est formidable. Ce serait logique, vu son emplacement au coeur d'une communauté autochtone. Je vous remercie de cette observation. Je suis contente d'entendre cela.
    Je vous remercie.

[Français]

     Monsieur Blanchette‑Joncas, vous avez la parole pour six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Mes questions s'adresseront à M. Gingras.
    Lors de votre allocution, vous avez bien démontré comment démêler croyance, science et connaissance.
    J'aimerais vous entendre sur une question à la fois simple et très complexe: existe-t-il une définition universelle du savoir autochtone?
     Non, il n'en existe pas.
    Quand on parle de savoir, il faut d'abord établir que c'est une connaissance. Par exemple, on utilise l'expression « connaissance traditionnelle ». Il est important de bien comprendre que, sur le plan épistémologique, ce n'est pas parce c'est traditionnel que c'est nécessairement vrai. Je vais donner un exemple simple: en Europe, pendant plus de 1500 ans, la médecine traditionnelle faisait la saignée. La saignée était une panacée aux yeux de tous les médecins. À l'époque, il s'agissait donc d'une connaissance traditionnelle. Quand les médecins se sont demandé si cela fonctionnait vraiment, ils se sont aperçus que la saignée ne fonctionnait pas, sauf dans des cas d'hématologie très particuliers. Les médecins ont donc cessé de pratiquer la saignée, parce que la connaissance évolue au fil du temps. Il ne suffit pas de dire qu'on a un savoir traditionnel.
    L'homéopathie a été testée scientifiquement, et on a prouvé que cela ne fonctionnait pas. Prendre des granules homéopathiques, ça peut faire du bien, mais ce n'est pas de la science. Ce qu'il faut simplement dire, c'est que la science évolue. Nous ne sommes plus au XVIIe siècle, nous sommes au XXIe siècle. Tout ce qu'il y a autour de nous, comme la, télévision, est le fruit des connaissances scientifiques nouvelles qui nous font comprendre le monde. La science regarde vers l'avant et non vers l'arrière.
    Au cours de la discussion précédente, on a parlé de pédagogie, mais ce n'est pas la même chose que de former des chercheurs. Il y a toutes sortes de façons d'apprendre les mathématiques, mais, si le Canada veut envoyer un astronaute sur la Lune, cela se fera au moyen du calcul différentiel et intégral. Cela ne se fait pas au moyen de connaissances traditionnelles.
     Le mot « traditionnel » est à la mode, mais, si on parle des façons d'intégrer les connaissances traditionnelles, je vous dirai humblement que, vous procédez ainsi, vous n'irez nulle part. Il faut consulter les gens à propos de leur environnement et vérifier les affirmations. Si les affirmations sont vraies, elles deviennent des connaissances.
    On parle toujours de la tradition. Je n'ai rien contre les traditions, mais toute l'histoire des sciences montre que les traditions évoluent. Einstein a découvert la théorie de la relativité. Est-ce pour autant une science juive? Non, ce ne l'est pas. Einstein était juif, mais il n'y a pas de science juive. Les nazis voulaient une science juive et les communistes voulaient une science prolétarienne; cela n'existe pas. Il existe une science universelle, faite par des Russes, par des Allemands, par des Chinois et par des Israéliens. Il ne faut pas oublier cela, sinon on emprunte une direction dangereuse, comme l'histoire l'a démontré. Il ne faut pas affilier un individu à la communauté en disant, par exemple, qu'il y a une science québécoise. Il n'y a pas de science québécoise. Il n'y a pas de science canadienne, mais il y a des Canadiens qui font de la science.
    Ce n'est pas un jeu de mots. Si vous croyez qu'il y a une science canadienne, vous êtes donc en train de dire qu'il y a une science juive et une science russe. Ce n'est pas vrai. Il y a des scientifiques russes, il y a des scientifiques québécois et il y a des scientifiques chinois, par exemple.
    Il est crucial, si vous voulez atteindre votre but, d'intégrer les connaissances. Les connaissances qui vous allez intégrer dans les politiques scientifiques ne sont pas des connaissances traditionnelles, ce sont des connaissances simpliciter, comme le disent les philosophes. Ce sont des connaissances validées. Comment arrive-t-on à les valider? C'est en utilisant les méthodes qu'on connaît. On fait des vérifications et des calculs. On se sert des ordinateurs. On a des méthodes, depuis l'époque de Galilée, et ces méthodes sont utilisées partout au monde.
(1230)
    J'aimerais que vous me parliez du processus de vérification scientifique. Certains chercheurs mentionnent qu'il y a une hiérarchie entre les savoirs et qu'on ne devrait pas comparer les savoirs traditionnels et les données scientifiques actuelles.
    À mon avis, c'est aussi fondé sur une confusion. Il n'y a pas de hiérarchie des savoirs. Une connaissance est valide ou invalide. Au XVIIIe siècle, les physiciens britanniques et français s'obstinaient pour savoir si la Terre était parfaitement sphérique ou si elle était écrasée aux pôles ou à l'équateur. Il y avait deux théories. Il y avait donc un conflit. Qu'a-t-on fait? On n'a pas dit que, selon la connaissance britannique, elle était écrasée et que, selon la connaissance française, elle était aplatie aux pôles. On a donc envoyé une équipe de chercheurs aux pôles pour mesurer les méridiens. Ils ont réalisé que les Anglais avaient effectivement raison: la Terre est un peu écrasée parce qu'elle tourne sur elle-même et qu'il y a une force centrifuge.
    J'ai déjà été professeur de physique, au cégep. J'expliquais à mes étudiants que la Terre tourne et qu'il y a donc une force centrifuge. Il s'agit d'une connaissance universelle. Cela a été découvert par Newton, mais le fait qu'il soit britannique n'a pas d'importance. Cela aurait pu être découvert par un Chinois. Il faut arrêter de mélanger la hiérarchie. Une connaissance est vraie ou fausse, mais elle n'est pas chinoise. Autrement, on tombe dans des choses très graves.
     Monsieur Gingras, si des traditions et des croyances sont intégrées aux politiques publiques sans qu'il y ait un processus de validation, de vérification, quelles conséquences cela peut-il avoir sur notre politique gouvernementale?

[Traduction]

    Veuillez répondre très brièvement, s'il vous plaît.

[Français]

     « Données probantes » est un terme qu'on entend énormément. C'est à la mode. Il faut des données probantes. Or ces mots veulent dire qu'il faut vérifier l'exactitude de l'information. Si on ne le fait pas, on va gaspiller de l'argent et cela ne fonctionnera pas. Si cela fonctionne — tant mieux si c'est le cas —, il reste qu'on aura fait la vérification après coup.
     Par exemple, il ne faut pas croire que ce que je dis sur la chute Montmorency est vrai simplement parce que j'habite dans Montmorency. Si vous voulez vérifier l'information, vous allez sur place. Il ne faut pas considérer que je suis une sommité en la matière et que je connais cette chute mieux que quiconque. Absolument pas. Il faut que la collectivité scientifique se charge de vérifier les faits.

[Traduction]

    J'aurais voulu que nous ayons un tableau noir à notre disposition.
    Merci beaucoup. Je suis désolé de devoir vous interrompre.
    Monsieur Cannings, vous avez six minutes.
    Merci aux deux témoins d'être des nôtres aujourd'hui.
    Je vais commencer par Mme Czuy.
    Vous avez beaucoup parlé d'histoires. Cela m'a fait penser à une citation de Thomas King: « La vérité à propos des histoires, c'est qu'elles sont tout ce que nous sommes. » J'ai une formation scientifique. Je me souviens qu'à l'université, je n'apprenais réellement que lorsque mes professeurs racontaient des histoires qui me permettaient de déceler des tendances et ce genre de choses.
    Je me souviens que c'est seulement après avoir étudié l'astronomie que j'ai pu comprendre le calcul différentiel et intégral. J'ai toujours été contre l'idée d'enseigner la biologie à partir... À l'université, on commence par la chimie cellulaire, ce qui est la façon la plus abstraite d'amener des jeunes à étudier une matière. Si vous tenez bon pendant quatre ans, vous aurez peut-être enfin l'occasion de sortir dans les bois et de voir le monde réel.
    Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet dans le cadre de votre travail sur la science autochtone?
    Absolument.
    Comme je l'ai mentionné, lorsque je travaille avec des enfants — ou n'importe qui d'autre —, la première chose que je fais, c'est de les emmener dehors. D'ailleurs, dans le cadre du cours que je donne actuellement à l'université, une des tâches consiste à sortir dans la nature et à apprendre quelque chose. La terre vous le dira. Elle vous apprendra quelque chose. Ce sont vraiment des méthodes relationnelles. C'est le début d'une histoire.
    Lorsque vous êtes dans la nature et que vous écoutez le bruissement des feuilles, vous constaterez que leur bruit change quelques mois plus tard, car les feuilles se déshydratent et se préparent au cycle de l'hiver; ces fréquences sonores peuvent vous apprendre quelque chose. Il y a des leçons à tirer de la façon dont les écureuils préservent leur nourriture. Ils utilisent des plantes précises pour conserver certains aliments. Ces méthodes chimiques et biologiques sont des connaissances que nous devons aux écureuils.
    Ce sont là des histoires. Ne serait‑il pas génial si vous pouviez commencer votre cours de chimie en suivant les traces d'un écureuil pour apprendre comment il préserve des aliments? Nous pouvons nous identifier à ces histoires. Nous pouvons en être témoins, ce qui est vraiment fantastique. Nous pouvons en faire l'expérience, ce qui éveille en nous une émotion. Cela crée un lien, une relation et, comme vous l'avez mentionné, une histoire.
    Ces méthodes — qui ne reposent pas sur l'écrit — et ces histoires constituent le moyen par lequel ces connaissances ont été transmises. Je le répète, ces histoires scientifiques ne sont pas écrites dans des livres. Les peuples autochtones de ces terres n'ont rien écrit sur des tablettes d'argile il y a des milliers d'années. Le tout s'est fait grâce à la transmission d'histoires.
    Oui, ces récits changent au fur et à mesure que les générations les transmettent, mais l'essence reste la même. Ce sont, si vous voulez, des histoires « évaluées par les pairs ». Je dis toujours que la personne ou la communauté qui m'a transmis une histoire et un savoir contribue à l'examen par les pairs. Vous pouvez retourner voir ces aînés et les membres de la communauté pour valider les connaissances dont j'ai parlé. Je peux les exprimer de façon plus relationnelle, ce qui nous permet d'établir des liens. Voilà en quoi consiste la méthode narrative. C'est ainsi que les liens et les savoirs sont transmis. C'est différent de la simple lecture.
    Il peut s'agir de connaissances très semblables, mais ce qui compte, c'est la façon dont elles créent des liens et des relations qui sont vraiment mis en évidence dans les histoires.
(1235)
    Je vous remercie.
    Vous avez aussi parlé d'une voie parallèle. Je me demande si vous pourriez nous en dire plus à ce sujet. Faut‑il comprendre par là que les connaissances autochtones et les « connaissances scientifiques » existent de façon parallèle, puisque les voies parallèles ont tendance à ne pas converger? Je me demande s'il y a une façon de réunir les deux lorsque nous élaborons des politiques gouvernementales, par exemple. C'est de cela que nous parlons aujourd'hui.
    Absolument. En l'occurrence, une voie parallèle consiste davantage à marcher côte à côte et à s'épauler mutuellement. Cela rejoint les enseignements des ceintures wampum, que je n'ai pas le droit de transmettre ou que je ne me sens pas à l'aise de transmettre, mais faites une recherche là‑dessus. Vous pouvez offrir du tabac et poser des questions sur les enseignements des ceintures wampum. En tout cas, il s'agit de savoir comment nous pouvons marcher ensemble sur cette voie, côte à côte. C'est par le tissage que nous pouvons, là encore, soutenir la voie à suivre afin d'en conserver l'intégrité. Les deux voies sont semblables, mais un peu différentes.
    Nous devons absolument nous entraider, et la voie parallèle de... J'ai évolué dans les deux mondes. Je comprends comment je peux faire de la science et comment je peux m'exprimer dans les deux mondes. Pour la question de savoir si nous pouvons suivre cette voie parallèle, il faut aussi demander aux autres personnes concernées d'emboîter le pas — c'est‑à‑dire de faire ce travail et de nous aider à être sur la même longueur d'onde, à cheminer ensemble sur cette voie, afin que nous puissions mieux nous comprendre et nous entraider.
    J'ai l'impression que mon temps est écoulé. Merci beaucoup.
    C'est moi qui vous remercie. Cette discussion est fort intéressante.
    Je cède maintenant la parole à M. Lobb pour les cinq prochaines minutes.
    Merci beaucoup.
    J'aimerais bien que durant notre dernière réunion du Comité avant qu'il ne prenne sa retraite, M. Cannings nous raconte toutes ses histoires. Je pense qu'on peut s'attendre à un moment agréable.
    J'ai bien aimé qu'il cite Thomas King, qui habite à Guelph.
    Quoi qu'il en soit, je vous cède la parole à nouveau, monsieur Lobb.
    Madame Czuy, vous avez conclu votre présentation en parlant de consentement préalable, libre et éclairé. Je sais que vous possédez de grandes connaissances en mathématiques, et que vous avez par ailleurs beaucoup travaillé avec différentes communautés autochtones. Je suis donc curieux de savoir si dans le contexte de la construction d'une mine ou d'un autre projet similaire, l'entreprise doit prendre en compte certains facteurs culturels locaux. Existe-t‑il une grille d'analyse, un moyen de vérifier si la communauté en question a été consultée et informée de manière adéquate à propos du projet sur son territoire? Existe-t‑il un processus général, ou est‑ce que chaque communauté possède ses propres spécificités?
(1240)
    La réponse courte est probablement non. Chaque communauté est différente, et chacune possède un degré de confiance différent envers ses partenaires économiques.
    Il faut commencer par le début. Tout projet d'exploitation économique, qu'il s'agisse d'une mine ou d'un autre type d'infrastructure, doit commencer par un dialogue honnête entre l'entreprise et la communauté. Il s'agit de l'importance de la voie parallèle et de la collaboration dont j'ai parlé. L'entreprise ne doit surtout pas mettre la communauté devant le fait accompli en lui expliquant que les investissements ont déjà été effectués, que les plans sont terminés et qu'il ne reste qu'à se mettre au travail. Voilà pour le volet « préalable » du consentement. Ensuite, en ce qui a trait au volet « libre et éclairé » du consentement, les membres de la communauté doivent être en mesure d'obtenir tous les renseignements disponibles qui les concernent. Toute relation d'affaires doit donc se faire sur des bases saines axées sur la notion de consentement.
    En ce qui concerne les échéanciers à respecter, je rappelle que le temps est lui-même un concept d'origine colonial. Ainsi, la conception du temps de la communauté autochtone est avant tout axée sur les changements saisonniers, et ne va donc pas nécessairement concorder avec les échéanciers stricts de l'entreprise. Par conséquent, il est possible que les membres de la communauté ne puissent pas participer à une réunion d'affaires qui se tiendrait en même temps qu'une cérémonie. Là encore, il s'agit de respecter les priorités de chacun, et cela nous ramène à la notion de voie parallèle dont j'ai déjà parlé.
    J'imagine que ce n'est pas la réponse que vous souhaitiez entendre, et je m'en excuse, mais telle est la réalité. Je comprends que ce n'est pas...
    Non, en fait je ne m'attendais pas à une réponse en particulier, je souhaitais simplement connaître votre opinion.
    Il suffit d'écouter les nouvelles au quotidien pour prendre conscience de tous les problèmes qui agitent non seulement le monde, mais également les villes et les petites collectivités au Canada. Selon vous, quels enseignements pouvons-nous tirer des communautés autochtones pour améliorer le sort de notre société?
    Pour répondre à votre question, je citerai Robin Wall Kimmerer, membre de la Nation Potéouatamie. Je vous recommande la lecture de son livre Tresser les herbes sacrées, qui contient le magnifique passage suivant: « Quand la Terre mère sera-t-elle remerciée par les humains pour leur présence ici? Tout ce que nous avons provient de la terre. Nous prenons tout, mais que rendons-nous en échange? ».
    Nous devons réaliser que tout provient d'un ancêtre, tout est vivant, et tout possède le potentiel de nous donner quelque chose. Au lieu de nous contenter d'acheter de la nourriture à l'épicerie sans réfléchir, de quelle manière pouvons-nous prendre conscience de l'aspect cyclique et relationnel de tout ce qui nous entoure? Il s'agit de prendre un moment pour apprécier et respecter la terre nourricière, et de prendre acte de la responsabilité que nous avons envers notre environnement. Il faut faire preuve de gratitude et donner au suivant.
    Nous avons une responsabilité en tant qu'habitants de cette planète, mais nous avons tendance à l'oublier. En réfléchissant à l'impact de notre présence sur cette Terre, nous pourrons peut-être faire évoluer les mentalités.
    Excellent. Je vous remercie. J'ai d'ailleurs ajouté Tresser les herbes sacrées à ma liste de lecture pour le mois des livres autochtones, qui arrive à grands pas.
    Je vous remercie pour vos excellentes questions, monsieur Lobb.
    Je cède maintenant la parole à Mme Jaczek pour les cinq prochaines minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Pendant la pause, j'ai lu Tresser les herbes sacrées, le livre de Robin Kimmerer. J'ai trouvé son contenu pertinent en regard des travaux que mène le Comité.
    Justement, pour en revenir aux travaux du Comité, nous sommes chargés d'entreprendre une étude et de formuler des recommandations sur « les meilleures façons d'intégrer le savoir traditionnel et les connaissances scientifiques autochtones à l'élaboration des politiques gouvernementales », ainsi que sur « les façons de résoudre les conflits entre les deux systèmes de connaissances ». Nous avons d'abord indiqué qu'il existe clairement deux systèmes de connaissances.
    Madame Czuy, sur le plan pratique, pourriez-vous nous fournir quelques pistes de solution? Que peut faire concrètement le gouvernement du Canada?
(1245)
    Je crois avoir déjà répondu à cette question. Nous devons avant tout travailler ensemble. Combien de personnes autochtones se trouvent dans cette salle en ce moment? Quelle est votre stratégie pour collaborer avec différentes communautés autochtones tout au long de ce processus, au‑delà de la réunion aujourd'hui et des prochaines réunions du Comité? Selon moi, les communautés autochtones doivent participer à chaque étape du processus. Le genre de discussions que nous avons en ce moment constitue certes un excellent point de départ, mais il s'agit d'un travail de longue haleine, et les Autochtones doivent avoir leur voix au chapitre à chaque étape.
    J'apprécie le fait que vous avez lu Tresser les herbes sacrées. Je pense qu'il y est beaucoup question de se rendre au sein d'une communauté autochtone pour observer et expérimenter ce que sont réellement les sciences autochtones. Peut-être que la question de l'opposition entre les sciences occidentales et les sciences autochtones n'aura plus lieu d'être. Comment réunir ces deux systèmes de connaissances pour dépasser la conflictualité et laisser place à la compréhension?
    Nous comprenons tous en quoi consiste le modèle scientifique occidental. Néanmoins, tout le monde aurait avantage à mieux comprendre la valeur des sciences et des méthodes autochtones. Apprendre à nous connecter avec ce système de connaissances, voilà qui pourrait représenter une forme de progrès.
    Pouvez-vous nous fournir des exemples d'établissements d'enseignement qui fonctionnent de cette manière? Peut‑on observer des exemples du côté des gouvernements provinciaux? Existe‑t‑il des exemples ailleurs dans le monde où la façon de faire que vous proposez s'est avérée efficace?
     Il existe effectivement de nombreux exemples. Je peux éventuellement vous faire parvenir la documentation à ce sujet.
    À mon avis, nous pouvons observer des exemples concrets de succès dans les pays où les populations autochtones jouent un rôle de premier plan à cet égard. En Nouvelle-Zélande par exemple, les universités maories se trouvent au cœur des processus décisionnels relatifs aux enjeux scientifiques. La Nouvelle-Zélande a opté pour une approche qui place les peuples autochtones au centre du jeu, et cela donne des résultats.
    Je vais vous dire quelque chose qui pourrait vous paraître surprenant. Oui, j'ai un doctorat et je travaille pour des universités, mais le savoir le plus important que j'ai acquis m'a été transmis par mes aînés autochtones. Nous pouvons apprendre beaucoup de choses grâce au système de connaissances occidental, mais ces aînés autochtones possèdent une sorte de « doctorat de la terre » et peuvent nous aider à réconcilier les deux systèmes. Nous devrions donc inviter les aînés autochtones à faire entendre leur voix au plus haut niveau décisionnel.
    Monsieur Gingras, je vous invite à aborder l'objectif de notre étude et à nous faire part de vos observations.
     Je pense que nous devons mettre en place des mécanismes concrets au lieu de nous contenter de vagues métaphores sur les bienfaits de la collaboration. Je vais vous donner un exemple très simple.
    La méthodologie scientifique exige que l'évaluation par les pairs se fasse à double insu. Autrement dit, un article scientifique doit être jugé selon sa pertinence, et il est important pour les pairs de se débarrasser de tout biais cognitif susceptible d'influencer leur jugement. Au moment d'évaluer un document scientifique, les pairs ne doivent pas connaître le nom de l'auteur ni le nom de son institution. Si ce n'était pas le cas, un évaluateur pourrait par exemple être inconsciemment porté à croire en la qualité d'un article scientifique rédigé à l'Université Harvard. La logique de l'évaluation par les pairs à double insu devrait également s'appliquer au processus de consultation en matière de politiques. Avant de prendre une décision, il est important de consulter tous les experts sur le sujet en question, et ce, peu importe leur identité. Il n'y a pas d'autre solution.
    Depuis le XVIIe siècle, les Chinois ne débattent pas dans le cadre du yin et du yang pour améliorer leurs capacités scientifiques et technologiques. Ils affirment eux-mêmes avoir appris de Newton, d'Einstein, et de tous les autres grands scientifiques, peu importe leurs origines. Dans un contexte scientifique, je ne m'intéresse pas à la couleur de la peau de mes partenaires ni de leurs communautés d'origine. Suis‑je moi-même un représentant du peuple québécois? Bien sûr que non. Je prends des décisions en utilisant la méthodologie scientifique, point.
    En ce qui concerne l'objet d'étude du Comité, à savoir l'intégration du savoir traditionnel et des connaissances scientifiques autochtones aux politiques gouvernementales, je pense que la solution est plus simple que l'on s'imagine. Si un comité parlementaire doit aborder une politique environnementale pour un lieu précis, il doit inviter tous les témoins qui souhaitent donner leur avis. Ce processus peut mener à des opinions contradictoires, mais c'est normal. Par ailleurs, c'est également ce que préconise la Cour suprême. Le juge Binnie a en effet indiqué que tout expert qui souhaite s'exprimer devant la Cour suprême doit respecter la méthodologie en vigueur au sein de la communauté scientifique. Pourquoi? Car c'est la seule façon de pouvoir valider la véracité et la reproductibilité de toute expertise.
    Je vous remercie.
(1250)
    Je pense qu'il existe des mécanismes et qu'ils ne sont pas compliqués.
    Nous avons bien compris. Merci beaucoup pour votre intervention.
    Je cède maintenant la parole à M. Blanchette-Joncas pour deux minutes et demie.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je poursuis avec vous, monsieur Gingras. Vous avez donné des exemples, d'un point de vue historique même, sur le géocentrisme, l'héliocentrisme et Galilée. Ce n'est pas d'hier que l'être humain est confronté à deux croyances, peu importe ses croyances religieuses ou sa communauté ethnique. Une méthode scientifique a d'ailleurs été mise au point à cet égard.
    J'aimerais vous entendre sur le fait qu'on tente d'opposer les Autochtones et les non-Autochtones, c'est-à-dire comme deux groupes homogènes, alors que ce sont deux groupes hétérogènes avec des divergences internes. Il peut donc y avoir des divergences de connaissances et de savoirs, également, au sein de chacun des groupes.
     Oui, c'est vrai de toutes les communautés. Tout le monde sait que, sociologiquement, il n'y a pas de communauté homogène. Cela n'existe pas. Prenons pour preuve l'exemple des Canadiens. Certains Canadiens votent pour les libéraux, d'autres pour les conservateurs, et d'autres ne votent pas. Il y a toutes sortes de gens. Il faut faire attention de ne pas tomber dans une forme de « néoracisme ». Il faut bien l'appeler par son nom, bien que le mot fasse peur. C'est dangereux sociologiquement. À vouloir être gentil, on peut recréer des formes de néoracisme. Le développement des sociétés démocratiques s'est fait sur la prémisse que les individus sont égaux et ont accès à l'éducation — on l'espère, mais ce n'est pas le cas. Si nous voulons aider les gens qui sont opprimés, il faut leur donner des bourses, les amener à l'école. Toutefois, ce qu'ils vont apprendre, c'est l'arithmétique, l'algèbre développée par les Arabes. Cela dit, que les Arabes ne viennent pas dire que c'est leur algèbre et que les Canadiens n'y ont pas accès. En voulant tout particulariser, on crée des choses potentiellement dangereuses. L'histoire l'a démontré.
     Il faut se rappeler que la science est universelle et que tous peuvent y contribuer si on leur donne les ressources nécessaires. Il faut des écoles, de l'eau propre, des cégeps, des universités et des bourses. Alors, nous formerons des gens qui appliqueront les techniques d'aujourd'hui pour améliorer la vie, l'environnement. La lutte contre le réchauffement climatique ne se fera pas avec des prières. Elle va se faire au moyen des meilleures technologies; tout le monde peut y contribuer. Or, aujourd'hui, certains y contribuent moins parce qu'ils sont pauvres et résident dans des endroits mal desservis par des écoles. On vit dans ce monde concret, et non dans un monde de pensées abstraites souvent cryptoreligieuses. Si la religion est importante et personnelle, la science l'a transcendée depuis le XXVIIe siècle. Comme je l'ai dit, nous vivons dans un monde technoscientifique, alors nous ne pouvons retourner dans le passé au nom d'un discours communautariste.

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Nous allons conclure avec M. Cannings, qui dispose de deux minutes et demie.
    Merci, monsieur le président.
    Je voudrais revenir à Mme Czuy.
    Par curiosité, vous avez mentionné certains des systèmes de numération utilisés par différentes communautés autochtones. Je me rappelle avoir étudié les systèmes astronomiques autochtones d'Amérique centrale lorsque j'étais à l'université. Je me souviens par exemple du système vicésimal utilisé dans la numérotation maya.
    Pourriez-vous donner quelques exemples de ce type de connaissances autochtones utilisées à travers le monde? Que nous disent ces connaissances sur la manière dont les peuples autochtones appréhendent l'univers?
    Bien sûr.
    Bien que les langues et les connaissances autochtones ne soient pas universelles, il existe un rapport universel avec la terre. Les peuples autochtones entretiennent un lien spirituel et affectif à la terre, qui est également une source d'enseignements. De ce lien particulier sont nées les mathématiques, la chimie et les sciences partout dans le monde, ainsi que les systèmes de numération qui leur sont liés. Nous utilisons le système décimal basé sur les dix doigts, mais de nombreux peuples autochtones ont développé des systèmes de numération différents. Vous avez mentionné le système vicésimal maya, qui s'inspire des dix doigts et des dix orteils de l'être humain. Là où je veux en venir, c'est que tous ces systèmes ont des origines culturelles.
    Si vous voulez un autre exemple exotique, je peux vous parler d'un système de numération qui m'a été enseigné à l'époque où je menais des travaux à Hawaï. Il s'agit du système quaternaire, qui tire son origine de l'importance des fermes piscicoles dans cette région du monde. La pisciculture et l'utilisation de pièges à poissons ont constitué des sources alimentaires essentielles pour ces populations pendant des millénaires. Les pêcheurs hawaïens pouvaient tenir un poisson entre chacun de leurs doigts, et transporter ainsi quatre poissons par main.
    Ces pratiques de pêche, fondamentales au sein de la culture hawaïenne, ont mené à la création du système quaternaire. Aujourd'hui, on tend malheureusement à réduire l'importance et la validité de ce système de numération. Pourtant, le système quaternaire revêt une énorme importance chez plusieurs peuples, et il s'agit d'un mode de connaissances intimement lié aux mathématiques et à la biologie. Je pense qu'il est tout à fait pertinent de s'ouvrir à la diversité des connaissances, et que nous avons beaucoup à apprendre des autres cultures.
(1255)
    C'est formidable. Il est bien intéressant de conclure notre séance par cette discussion sur les systèmes de numération. Étant moi-même titulaire d'un diplôme en anglais et d'une mineure en mathématiques, votre exposé m'a amené à réfléchir à la manière de concevoir un théorème au sein de ces deux disciplines.
    Je tiens à remercier nos invités, Mme Czuy et M. Gingras, pour leurs témoignages et leur participation. Vous nous avez aidés à penser autrement l'intégration du savoir traditionnel et des connaissances scientifiques autochtones à l'élaboration des politiques gouvernementales.
    Si vous avez des renseignements supplémentaires à nous fournir ou des éléments à ajouter aux réponses que vous avez données, n'hésitez surtout pas à nous les transmettre.
    Chers collègues, avant de lever la séance, j'aimerais simplement vous rappeler que la réunion suivante aura lieu le jeudi 8 février. Nous aurons alors l'occasion d'entendre d'autres témoignages qui viendront enrichir notre étude. Une autre réunion centrée sur des témoignages aura ensuite lieu mardi de la semaine prochaine.
    Plaît‑il au Comité de lever la séance?
    Des députés: D'accord.
    Le président: Très bien, je vous remercie.
    Je remercie encore nos témoins.
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