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Je vous souhaite la bienvenue à cette 71
e réunion du Comité permanent de la science et de la recherche.
Conformément au Règlement, la réunion d'aujourd'hui se tient selon le format hybride. Les membres du Comité y participent en personne dans la salle et à distance, à l'aide de l'application Zoom. Certains témoins participent également à la réunion de façon virtuelle.
J'aimerais vous faire part de quelques règles à ce sujet.
Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Les services d'interprétation sont offerts dans le cadre de la réunion. Vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le son du parquet, l'anglais et le français. Veuillez s'il vous plaît m'aviser immédiatement en cas de problème d'interprétation. Nous nous assurerons de le régler avant de reprendre les travaux.
Si vous êtes dans la salle, veuillez procéder de la même façon que lorsque tous les membres du Comité sont ici en personne. Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Je vous demande aussi de tenir votre oreillette loin du microphone afin d'éviter les rétroactions sonores, qui nuisent à nos interprètes. Nous voulons assurer leur sécurité tout au long de la réunion.
Veuillez s'il vous plaît adresser vos commentaires à la présidence.
Conformément à l'article 108(3)i) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le lundi 18 septembre 2023, le Comité reprend son étude sur l'intégration du savoir traditionnel et des connaissances scientifiques autochtones à l'élaboration des politiques gouvernementales.
Nous sommes heureux d'accueillir Erika Dyck, qui est professeure d'histoire et chaire de recherche du Canada de niveau 1 en histoire de la santé et de la justice sociale; Lindsay Heller, qui est chercheuse indigène au Centre de dialogue Morris J. Wosk de l'Université Simon Fraser et qui se joint à nous avec vidéoconférence; et Monnica Williams, qui est chaire de recherche du Canada et professeure à l'Université d'Ottawa.
Chaque témoin dispose de cinq minutes pour sa déclaration préliminaire. Nous passerons ensuite aux séries des questions. Je vous ferai signe lorsque votre temps sera presque écoulé.
Nous allons d'abord entendre Erika Dyck, qui dispose de cinq minutes.
Vous avez la parole.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, je m'appelle Erika Dyck. Je suis historienne et chaire de recherche du Canada en histoire de la santé et de la justice sociale à l'Université de la Saskatchewan. J'étudie l'histoire des drogues psychédéliques depuis plus de 20 ans. Mes recherches ont été publiées dans plusieurs ouvrages savants, articles, documentaires et balados.
Au départ, ma recherche se centrait sur les expériences médicales réalisées au Canada dans les années 1950 et 1960 avec des substances comme le diéthylamide de l’acide lysergique, ou LSD, la mescaline provenant du cactus peyotl et la psilocybine, qui se trouve dans les champignons magiques. Mes recherches portent notamment sur les études réalisées en Saskatchewan qui ont menée à la création du terme « psychédélique » en 1957.
Dans les années 1970 et 1980, les drogues psychédéliques avaient acquis la réputation d'être des substances dangereuses, associées au contrôle de l'esprit, à des comportements violents et à des effets secondaires indésirables comme des flashbacks. Le Canada, comme la plupart des pays occidentaux, a signé en 1971 une convention des Nations unies visant à interdire l'utilisation de psychédéliques dans la recherche sur les humains en raison d'inquiétudes quant à leur capacité de causer de la dépendance et à engendrer des comportements non désirés. La seule exception à cette désignation avait trait aux utilisations autochtones à des fins rituelles ou religieuses.
La question de l'utilisation autochtone des drogues psychédéliques dans l'histoire du Canada est particulièrement complexe. Bien qu'il y ait une poignée d'exemptions religieuses enregistrées qui remontent jusqu'aux années 1950, une grande partie de cette histoire n'est pas bien comprise ni bien documentée. Les traditions autochtones ont été menacées pendant une grande partie de l'histoire canadienne, et certaines étaient explicitement interdites dans la Loi sur les Indiens.
Bien que le mot « psychédélique » n'ait été inventé qu'en 1957, la notion d'altération de l'état de conscience d'une personne n'est bien sûr pas propre aux psychédéliques. Cependant, en raison des pressions coloniales pour l'adoption de la médecine occidentale et des lois interdisant les traditions spirituelles autochtones, notre compréhension documentée des coutumes autochtones et des pratiques ou principes associés aux drogues psychédéliques est très limitée.
La preuve la plus claire provient de la Native American Church, qui est enregistrée à titre d'organisation religieuse depuis la fin des années 1950. Elle compte un chapitre légal au Canada et plusieurs chapitres aux États-Unis et au Mexique. La Native American Church comprend de nombreuses caractéristiques sacrées, y compris l'utilisation du cactus peyotl, qui contient un alcaloïde psychotrope, appelé mescaline. La mescaline a été identifiée pour la première fois par des chimistes allemands en 1896, mais la pratique du peyotisme remonte à des centaines d'années.
La plupart des comptes rendus écrits du peyotisme ou du culte du peyotl viennent de l'église, qui tentait d'obtenir une reconnaissance juridique au début du XXe siècle. Cette reconnaissance officielle présentait un syncrétisme religieux qui mélangeait les pratiques chrétiennes aux pratiques autochtones, notamment par l'entremise de la médecine ou du sacrement du cactus peyotl. Ce cactus ne pousse pas naturellement au Canada. Il pousse dans certaines parties du Texas et au nord du Mexique. Les anthropologues ont suivi les pèlerinages et les liens avec cette région sur des centaines d'années, ce qui donne à penser que les pratiques existaient bien avant qu'elles ne soient documentées de façon officielle.
Plusieurs raisons historiques expliquent le manque d'information au sujet des pratiques autochtones avec les drogues psychédéliques.
Premièrement, ces pratiques — qui étaient parfois réalisées en secret — étaient interdites, stigmatisées ou explicitement illégales, ce qui signifie que, sans des témoignages de vive voix ou des renseignements directs, nous n'avons pas de détails documentés à leur sujet.
Deuxièmement, les ethnobotanistes et les anthropologues qui travaillent avec les communautés autochtones du Canada ont laissé entendre que de nombreuses cérémonies, pratiques et traditions visaient uniquement le recours à des drogues psychédéliques. Ce que j'entends par là, c'est qu'il y a une diversité de pratiques ou de traditions qui comportent de nombreux éléments, dont le jeûne, la danse, le chant et la prière. Ces caractéristiques peuvent entraîner une altération de la conscience. La fixation sur l'inclusion ou l'exclusion d'une plante ou d'un champignon psychédélique a déformé notre compréhension occidentale de la façon dont ces traditions se servent de plantes sacrées en association avec d'autres pratiques.
Enfin, même les chercheurs universitaires qui ont étudié ces traditions autochtones dans les années 1940 et jusqu'aux années 1970 ont été assujettis à la stigmatisation associée aux psychédéliques. Certains pensent maintenant qu'il y a eu un biais mycophobe dans la littérature, ce qui laisse entendre que ces études n'ont pas été prises au sérieux ou même publiées.
Sur le plan historique, les chercheurs médicaux canadiens ont joué un rôle important dans le développement des applications thérapeutiques des drogues psychédéliques. À mon avis, le meilleur exemple de traitements efficaces émanant des années 1950 et 1960 est celui de chercheurs qui ont travaillé de manière authentique avec les leaders autochtones et qui ont porté une attention particulière à la façon dont les cérémonies étaient structurées. Par exemple, la collaboration entre la Native American Church et les chercheurs de la Saskatchewan spécialisés dans les drogues psychédéliques a mené à l'élaboration de certains des premiers protocoles publiés sur l'utilisation sécuritaire des psychédéliques en thérapie de groupe. Les leaders de la Native American Church ont joué un rôle essentiel et ont expliqué aux chercheurs non autochtones comment se préparer à une expérience. En échange, ces chercheurs ont témoigné devant des comités comme le vôtre au sujet de l'importance culturelle de la cérémonie du peyotl.
Je vous remercie de m'avoir permis de vous parler de cette importante question.
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Je vous remercie, monsieur le président, de me donner l'occasion de vous faire part de certaines des observations importantes que j'ai faites au fil des années dans le cadre de mon travail visant à établir des liens entre les connaissances et les sciences autochtones et la science occidentale.
Je m'appelle Lindsay Heller et mon nom cri est Nikamowin Maskiki. Je suis membre de la Première Nation de Michel, sur le territoire visé par le Traité n o 6. J'ai travaillé pendant 10 ans au Centre pour la recherche et le développement des médicaments à titre de chercheuse pharmaceutique. J'en suis maintenant à ma quatrième année comme chercheuse au Centre de dialogue de l'Université Simon Fraser, où je me concentre sur le lien entre la science autochtone et la science occidentale dans ces deux contextes éducatifs et sur l'orientation stratégique pour divers ordres de gouvernement.
Les nombreux témoins qui ont comparu avant moi ont parlé de l'importance d'établir des relations respectueuses et réciproques avec les gardiens du savoir autochtone lorsqu'ils collaborent à des projets et à des politiques qui supposent un lien entre le savoir autochtone et la science occidentale. Je suis d'avis qu'il s'agit d'une première étape essentielle. Il faut aussi faire ses devoirs. Avant d'entrer en contact avec les gardiens du savoir autochtone, il faut apprendre ce qui a été fait, connaître les erreurs et les problèmes et savoir à quoi la communauté doit faire face, ce qui peut entrer en jeu lorsqu'on tente de collaborer et d'établir un lien entre le savoir autochtone et la science occidentale.
Comme j'ai travaillé pendant de nombreuses années dans un laboratoire axé sur une approche scientifique occidentale, je veux prendre le peu de temps dont je dispose aujourd'hui pour m'assurer que vous compreniez que la place hiérarchique que l'on accorde à la science occidentale par rapport à la science autochtone est erronée. Cette hypothèse donne souvent lieu à des erreurs, à des risques, à la répétition de préjudices et à l'échec de projets et de politiques qui tentent de tisser les liens entre la science autochtone et la science occidentale.
J'ai souvent entendu des scientifiques occidentaux et des représentants du gouvernement justifier leur croyance en la suprématie de la science occidentale en se fondant sur la valeur de la méthode scientifique. Ils laissent entendre que les Autochtones n'utilisent pas la méthode scientifique, qu'ils considèrent comme le summum de la pensée occidentale. La méthode scientifique suit un parcours assez linéaire: observation, formulation d'une question, hypothèse, expérimentation, analyse, conclusion, examen par les pairs et communication des résultats. Les expériences scientifiques occidentales suivent cette formule et les résultats sont publiés dans des revues scientifiques. Cette publication des résultats établit une hiérarchie où les données scientifiques publiées sont les meilleures et où tout le reste est inférieur.
Je réfute toujours cet argument en disant que les Autochtones suivent aussi une méthode scientifique. Les conséquences d'un échec vont bien au‑delà d'une expérience ratée ou de l'exclusion d'une revue. Les expériences menées par les peuples autochtones sont fondées sur des observations et des interprétations du monde naturel, ce qui nous permet de prédire comment certaines parties du monde fonctionnent. Ces expériences peuvent être répétées et sont fiables, rigoureuses et exactes; elles font l'objet d'un processus d'examen par les pairs. Si les Autochtones n'avaient pas recours à une méthode scientifique solide et fiable, les résultats pourraient être beaucoup plus dévastateurs qu'on ne l'imagine.
Si nos observations sur la glace de mer dans le Nord ou nos prédictions, nos expériences, notre collecte de données, l'examen par les pairs et la communication des résultats étaient erronées, alors des gens pourraient passer à travers la glace et mourir. Si nos observations et nos résultats au sujet des plantes médicinales traditionnelles étaient erronés, nos familles pourraient être empoisonnées et nous pourrions ne pas transmettre nos gènes à la prochaine génération. Si nos observations et nos résultats sur le déplacement et la distribution d'un troupeau de caribous n'étaient pas exacts, il se pourrait que notre communauté n'ait pas de viande pour l'hiver. Même si ce type d'expérimentation peut prendre plus de temps que ce qui se fait en laboratoire, la rigueur, l'exactitude et la reproductibilité sont fiables. N'est‑ce pas aussi la méthode scientifique? Si la conséquence de ne pas avoir recours à une méthode scientifique autochtone pouvait être la mort, ne vous fieriez-vous pas à ces données et ne les considéreriez-vous pas comme étant précieuses, intelligentes et fiables?
Je vous fais part de ces observations afin que, lorsque les gouvernements établissent des programmes et des politiques pour travailler avec les gardiens du savoir autochtone afin de combiner le savoir autochtone et la science occidentale, ils le fassent dans le respect et comprennent que nos méthodes sont fiables et qu'elles méritent d'être prises en compte et incluses. Que vous examiniez la Loi sur les espèces en péril ou que vous créiez des politiques qui supposent l'élaboration de programmes qui bénéficieraient de l'inclusion du savoir autochtone, il est essentiel de procéder dans le respect, sans présumer que la méthode scientifique occidentale est plus importante ou plus digne de confiance.
Il faut penser à la réciprocité. Qu'est‑ce que la communauté ou la personne a à gagner en collaborant avec vous? Il faut avoir une connaissance approfondie des défis auxquels la communauté doit faire face. Ses membres ont-ils accès à l'eau potable et à des logements adéquats? Si la réponse est non, leurs priorités ne sont peut-être pas les mêmes que les vôtres.
Il faut également comprendre qu'il peut y avoir une méfiance inhérente à l'égard du gouvernement en raison de décennies de vol, de privation des droits, de violence et de promesses non tenues. Le processus de guérison et de réconciliation doit être au premier plan de ce genre de projets et de politiques. Après tout, ce n'est pas la vision autochtone qui a placé notre monde dans ce bourbier des changements climatiques, de l'extinction massive, des catastrophes liées à l'extraction des ressources et de l'insécurité alimentaire. C'est une vision occidentale du monde qui en est responsable. En travaillant ensemble et en associant nos systèmes de connaissances, nos approches et nos valeurs autochtones, je crois que nous avons une chance de nous sortir de ce pétrin.
Merci.
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Je vous remercie de me recevoir.
Je m'appelle Monnica WIlliams. Je suis Afro-Américaine et résidente permanente du Canada. Je suis psychologue clinicienne accréditée et professeure titulaire à l'École de psychologie de l'Université d'Ottawa, où je détiens une chaire de recherche du Canada de niveau 2 sur les disparités en santé mentale. Je suis diplômée du MIT et j'ai obtenu un doctorat à l'Université de la Virginie.
Ma recherche se centre sur la culture, le racisme et la santé mentale. J'ai fondé des cliniques de santé mentale en Virginie, en Pennsylvanie, au Connecticut et à Ottawa, de même qu'une clinique pour les réfugiés au Kentucky. J'offre des services de supervision et de formation aux cliniciens en santé mentale dans le domaine des traitements adaptés à la culture et fondés sur des données empiriques. J'offre aussi de la formation sur la diversité à l'échelle internationale, dans le cadre des programmes de psychologie clinique et des conférences scientifiques, et pour les organisations communautaires.
Avant d'arriver au Canada en 2019, j'étais membre du corps professoral de l'école de médecine de l'Université de la Pennsylvanie, de l'Université de Louisville et de l'Université du Connecticut, où j'ai travaillé dans le domaine des sciences psychologiques et de la psychiatrie. J'ai publié plus de 200 articles scientifiques et je suis membre de la Société royale du Canada. Mes recherches actuelles se centrent sur l'élimination des obstacles à l'obtention de soins, l'évaluation des traumatismes raciaux et l'amélioration des compétences culturelles dans le cadre de la prestation des services de santé mentale et des interventions afin de réduire le racisme.
Bien que je ne sois pas Autochtone, en tant que spécialiste du racisme, je peux vous confirmer que les personnes autochtones sont victimes d'une discrimination sociale et sociétale frappante qui a une incidence négative sur leur santé mentale et leur bien-être. Dans le cadre de mon travail, j'ai réalisé des évaluations approfondies de la santé mentale de plusieurs femmes autochtones du Canada, notamment certaines femmes qui étaient victimes de stérilisation forcée ou contrainte à la suite d'une décision de l'autorité sanitaire de Saskatoon.
J'ai également mené une étude nationale sur les besoins en santé mentale de divers Canadiens qui a été publiée dans l'International Journal of Mental Health l'an dernier. Les conclusions concernant les Autochtones étaient importantes et concordaient avec d'autres recherches indiquant que les Autochtones reçoivent des soins de piètre qualité. Parmi les répondants, 69 % disaient avoir éprouvé des difficultés à accéder à des soins de santé mentale, ce qui est beaucoup plus que le taux de Canadiens blancs disant avoir le même problème. Les Canadiens autochtones ont signalé plus d'obstacles financiers aux soins que les autres groupes, et même plus que les autres Canadiens de couleur. Ce qui est le plus frappant, c'est que la moitié des répondants ont déclaré avoir vécu des expériences négatives avec des fournisseurs de soins de santé mentale, ce qui, nous le savons, constitue un obstacle au respect du traitement et aux soins de suivi.
Il y a quelques messages essentiels à retenir ici. Premièrement, il faut intégrer les approches autochtones à la prestation des soins de santé afin qu'elle soit plus pertinente et acceptable pour les citoyens autochtones. Deuxièmement, il faut plus de cliniciens autochtones. Il n'y a pas suffisamment de dispensateurs de soins de santé autochtones pour offrir des soins pertinents sur le plan culturel à une population souvent très traumatisée. En 2018, la Société canadienne de psychologie a préparé une réponse au rapport de 2015 de la Commission de vérité et de réconciliation et a fait valoir qu'il y avait probablement moins de 12 psychologues autochtones actifs ou enseignants au Canada. Cela signifie que seulement 0,0006 % des 19 000 psychologues du Canada s'identifient comme Autochtones.
Plus particulièrement, les psychologues ne sont pas seulement des fournisseurs de soins de santé mentale, mais aussi des chercheurs et des scientifiques. Les personnes les mieux placées pour intégrer les connaissances traditionnelles et scientifiques autochtones aux politiques gouvernementales sont les Autochtones eux-mêmes. Non seulement devons-nous assurer la participation active des peuples autochtones de diverses régions du Canada, mais ces efforts doivent aussi être dirigés par des universitaires autochtones et approuvés par des dirigeants autochtones.
Nous devons d'abord nous demander pourquoi il y a si peu de scientifiques et de chercheurs autochtones au Canada. Il y a moins de deux ans, j'ai admis la première étudiante autochtone au doctorat en psychologie clinique de l'Université d'Ottawa. J'ai été à même de constater les obstacles institutionnels auxquels elle est confrontée pour obtenir l'éducation dont elle a besoin pour devenir une universitaire qui pourra mener les recherches nécessaires pour le bien de sa communauté.
Plus tôt l'an dernier, j'ai mené, pour le compte du Bureau du vérificateur général, une étude sur les expériences vécues par les employés racisés au sein du gouvernement fédéral. L'étude visait l'Agence des services frontaliers du Canada, le Service correctionnel du Canada, le ministère de la Justice, le Service des poursuites pénales du Canada, Sécurité publique Canada et la GRC. Les employés nous ont dit à maintes reprises que les règles et les politiques étaient ignorées, car les employés de couleur subissaient un racisme non contrôlé qui les empêchait d'avancer dans leur carrière et faisaient l'objet de représailles s'ils le signalaient.
On aura beau élaborer toutes sortes de belles politiques, mais il faut comprendre que si l'on ne s'attaque pas au racisme systémique qui infecte nos institutions à tous les niveaux, elles ne donneront rien. L'adoption du savoir autochtone nous oblige à comprendre et à éliminer la discrimination et les obstacles systémiques qui rendent ces changements si difficiles.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins de leur présence. Ces déclarations liminaires étaient fascinantes. Je vous suis vraiment très reconnaissant des perspectives que vous apportez à cette importante étude.
Madame Heller, j'ai beaucoup aimé votre exposé. J'ai trouvé qu'il remettait en question le paradigme dominant ou la suprématie de la science occidentale, ce que beaucoup de nous, en tant que colons, tenons probablement pour acquis.
J'ai bien aimé ce que vous avez dit sur le fait que les connaissances traditionnelles autochtones suivent une méthode scientifique rigoureuse et qu'elles sont consciencieuses et fiables, et qu'il y aurait assurément des conséquences désastreuses si certaines de vos observations et certains de vos résultats se révélaient faux. Je pense que c'est une très bonne façon de souligner l'exactitude de ces connaissances et le caractère impératif de leur utilisation, de montrer qu'elles sont exactes et applicables. Pour toutes ces raisons, je considère que votre déclaration liminaire était excellente. Vous m'avez presque fait réfléchir à la nécessité pour nous, colons occidentaux, de « décoloniser » notre compréhension des choses. Je pense que les barrières systémiques sont vraiment ancrées dans nos modes de connaissance.
Je voudrais vous demander si vous savez à quoi nous sommes confrontés. Je suis certain que si nous sommes alliés dans nos efforts pour éliminer ces barrières systémiques et donner aux savoirs traditionnels autochtones la légitimité qu'ils méritent à juste titre... Je voudrais reformuler cela, car nous ne devrions rien donner à qui que ce soit. En même temps, je pense que c'est probablement beaucoup à nous, colons, de changer notre mentalité.
Pouvez-vous nous aider à cet égard? Quels conseils pourriez-vous nous donner pour nous aider dans cette voie?
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Merci de cette réponse qui s'appuie sur le concept de respect et de réciprocité, des notions que vous avez également mentionnées dans votre exposé et qui semble être un élément fondamental de cette conversation.
Ce qui est intéressant pour moi, c'est que lorsque j'y pense, c'est comme si je me tenais au sommet d'une montagne. Il y a la science occidentale et les personnes qui détiennent ces connaissances qui sont au sommet d'une montagne. Il y a aussi les gardiens du savoir autochtone qui se trouvent au sommet d'une autre montagne. D'une certaine manière, les uns et les autres doivent s'observer réciproquement. Pour moi, c'est un signe de respect et de réciprocité lorsque nous pouvons chacun reconnaître la valeur particulière des façons d'apprendre de l'autre.
Parfois, dans nos conversations, j'ai l'impression que nous continuons à considérer que la science occidentale occupe le haut du pavé et que nous ne pensons pas à la manière dont les connaissances traditionnelles autochtones peuvent la compléter ou s'y ajouter. Qu'arriverait‑il si c'était l'inverse qui se produisait? Je pense que les choses seraient très différentes.
Je me demande si l'un des intervenants ici présents pourrait parler de cela. Si nous accordions au savoir traditionnel autochtone la primauté qu'il mérite, comment la science occidentale pourrait-elle le compléter?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Mes premières questions s'adressent à Mme Dyck.
Madame Dyck, vous êtes professeure d'histoire et également responsable de la chaire de recherche du Canada de niveau 1 en histoire de la santé et de la justice sociale. Si je me fie à mes quelques lectures et à des discussions que j'ai eues avec quelques professeurs, la science devrait être universelle, c'est-à-dire ne pas avoir de caractère ethnique ou national.
Ce que j'observe aujourd'hui est un échange concernant le savoir occidental et le savoir autochtone. J'aimerais que vous nous disiez, selon vous, de quelle façon dans l'Histoire on a pu classifier la science en lui donnant un caractère ethnique ou national. Je vous donne l'exemple de l'algèbre, qui a été inventée par les Arabes. On ne dit pas aujourd'hui que c'est de la science arabe.
J'aimerais que vous m'expliquiez comment, aujourd'hui, on peut arriver à dire qu'il y a une science correspondant à un caractère ethnique ou national.
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C'est une question très difficile.
Je pense qu'il y a deux choses. La première c'est que lorsque les organismes de financement présentent ce que devrait être la science et comment elle devrait être financée, ils donnent la priorité à des étapes particulières — étapes qu'ils créent parfois —, ce qui a une incidence sur le choix des projets qui peuvent aller de l'avant. Bien entendu, cela confère une sorte de présence nationale et crée un ensemble différent de priorités. C'est ce qui sous-tend certaines idées sur les « conteneurs » nationaux dans lesquels la science est gardée.
Dans le contexte des connaissances autochtones, je pense comme Mme Heller qu'il faut imaginer différentes priorités et différents aspects de la science que nous ne considérons pas nécessairement dans le cadre de la conception occidentale de la science — comme la spiritualité, par exemple — et qu'il faut réorganiser ces priorités et ces aspects. Si nous revenons à ces vétérans, une partie de ce qui est traité ici est un ensemble de troubles spirituels qui, au cours des 75 dernières années, n'ont pas trouvé leur place dans nos idées biomédicales occidentales. Je dis bien occidentales et non nationales.
En réorganisant tout cela et en repensant ces priorités, je pense que nous pouvons imaginer une manière différente d'intégrer les connaissances autochtones ou d'autres façons de voir et de définir les priorités en matière de santé. Notre rapport à la terre fait partie de cela.
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Je vais prendre un exemple plus détaillé.
Madame Heller, vous avez cité la Loi sur les espèces en péril comme un exemple de ce processus. Dans ma vie antérieure, je faisais partie du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. C'était, je pense, l'un des premiers organismes gouvernementaux ou organismes adjacents au gouvernement à avoir fait une place au savoir autochtone et aux gardiens du savoir autochtone en leur sein. Il est certain qu'à l'époque, il était difficile de trouver qui devait siéger pour représenter le savoir autochtone. Il était difficile de tenir compte de toutes les choses dont le gouvernement devait se préoccuper.
En utilisant cet exemple, je me demande comment les connaissances autochtones ont été utilisées dans la Loi sur les espèces en péril — si vous la connaissez, bien entendu — et, peut-être, comment ces connaissances devraient être utilisées si vous pensez qu'il y a de meilleures façons de faire.
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Merci, monsieur le président.
Mes questions s'adresseront à Mme Dyck et à Mme Heller.
Michael Pollan est un auteur et journaliste américain qui enseigne la pratique de la non-fiction à l'Université Harvard. En 2020, il a cofondé le UC Berkeley Center for the Science of Psychedelics.
Les critiques de son très célèbre livre, How to Change your Mind, qui traite de l'utilisation des psychédéliques, sont élogieuses: « Saisissant et surprenant... Perdre la tête semble être la chose la plus saine que l'on puisse faire », a déclaré la chronique Book Review du New York Times . Le New York Magazine l'a qualifié de « stupéfiant ».
Cela m'a amusée... Ce n'est peut-être pas le bon mot. Après la publication de ce livre, il a été à la fois drôle et décevant de voir les gens se mettre à dire que les psychédéliques peuvent être utilisés pour la santé mentale. Je pense que c'est un exemple parfait de certaines des choses dont vous parliez, madame Williams.
Y a‑t‑il quelque chose de fondamentalement transformateur dans le livre de Michael Pollan ou s'agit‑il simplement d'un recueil de connaissances autochtones? Pourquoi faut‑il encore l'intervention d'un Michael Pollan pour que les connaissances traditionnelles autochtones soient acceptées comme pratique courante?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Nous avons aujourd'hui un groupe de témoins fascinant.
À l'instar de mon collègue M. Turnbull, je tiens à féliciter Mme Heller d'avoir clairement indiqué que c'est une division très artificielle qui semble exister entre ce que nous appelons la science occidentale et le savoir autochtone, qui, bien entendu, se fonde également sur des méthodes scientifiques observationnelles.
Il est parfois utile de raconter des histoires pour contrer la discrimination qui est clairement présente dans ce qui est actuellement considéré comme le savoir autochtone. Nous avons aujourd'hui entendu parler des psychédéliques, mais y a‑t‑il d'autres exemples?
Madame Heller, pourriez-vous nous donner d'autres exemples dans lesquels l'entrecroisement de la science observationnelle autochtone a été intégré à des recherches qui ont eu un effet durable et ont abouti à des résultats positifs que tout le monde peut constater. Existe‑t‑il un exemple concret de ce type de recherche qui aurait été publié et qui soit largement reconnu comme ayant fait progresser la science dans son sens le plus large?
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Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse à Mme Williams.
Madame Williams, vous êtes titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les disparités en santé mentale. L'objectif de cette chaire est d'offrir de meilleurs soins en santé mentale pour les peuples autochtones afin d'avoir une meilleure équité. Je veux que vous nous aidiez à déterminer où tracer la ligne entre l'utilisation de la science et de la médecine traditionnelle.
Votre chaire de recherche dit qu'il ne s'agit pas seulement d'utiliser la science, mais d'utiliser des pratiques inclusives, sensibles à la culture et centrées sur le patient. Je donne l'exemple du savoir traditionnel. J'aimerais vous amener vers un exemple concret qui est tragique, mais réel. En novembre 2014, un juge autochtone de la Cour de justice de l'Ontario a reconnu à des parents de la communauté autochtone de New Credit le droit de refuser les traitements de chimiothérapie pour traiter la leucémie de leur fille de 11 ans. Elle s'en est remise à une médecine fondée sur le savoir traditionnel pour respecter les droits ancestraux. Je vous laisse imaginer la suite. La jeune fille à qui la médecine donnait 75 % de chance de guérison avec la chimiothérapie est décédée deux mois après le jugement.
Selon vous, et d'après votre expérience, comment fait-on pour décider si on respecte le savoir traditionnel ou si on met en application la science?
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Je pense tout d'abord qu'il est important d'offrir des opportunités et des bourses aux étudiants pour éliminer certains des obstacles financiers auxquels ils sont confrontés.
Il ne suffit pas d'embaucher un grand nombre d'enseignants autochtones. Il faut aussi recruter des leaders autochtones et leur offrir des postes de direction et les rémunérer de manière adéquate. Nous devons avoir des aînés en résidence, leur donner la même valeur qu'aux professeurs titulaires et les rémunérer de manière appropriée.
Je pense qu'il est difficile pour les Autochtones d'entrer dans un établissement lorsque celui‑ci n'est pas prêt à recevoir leurs dons ou à reconnaître la valeur du travail communautaire que les universitaires autochtones doivent accomplir pour cette raison, et n'est pas prêt à reconnaître la valeur de notre contribution à notre communauté et à rendre le chemin un peu plus facile pour nos enfants.
Je pense que nous devons embaucher plus de personnes, mais aussi d'apporter des changements aux politiques, à la gouvernance et aux programmes d'études afin que tous les niveaux des établissements passent par un processus de décolonisation et que nous puissions apporter nos valeurs à ces établissements.
J'aimerais que cette discussion puisse durer plus longtemps. Nous avons eu des réunions formidables, et celle‑ci compte certainement parmi les meilleures de cette étude.
Merci, chers témoins, pour vos points de vue, votre contribution et vos réponses réfléchies.
Si vous souhaitez nous communiquer d'autres renseignements, veuillez nous les envoyer par écrit afin que nous puissions les inclure dans notre étude.
Merci à Lindsay Heller, à Erika Dyck et à Monnica Williams pour tout ce qu'elles ont fait pour notre étude afin que nous puissions mieux connaître le savoir traditionnel et la science autochtones dans le cadre de l'élaboration des politiques gouvernementales.
Nous allons maintenant suspendre la séance pendant quelques minutes, le temps d'appeler notre prochain témoin. Nous n'avons qu'un seul témoin sur Zoom pour cette prochaine séance. Nous serons de retour dans quelques minutes, dès que nous aurons effectué les vérifications du son nécessaires. J'ai hâte de commencer la prochaine partie de notre réunion.
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Je vous souhaite à nouveau la bienvenue.
Nous allons entamer la deuxième partie de notre réunion. Nous avons terminé les vérifications du son. Merci à notre équipe technique.
Conformément à l'article 108(3)i) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le lundi 18 septembre 2023, le Comité reprend son étude de l'intégration du savoir traditionnel et des connaissances scientifiques autochtones dans l’élaboration des politiques gouvernementales.
J'ai maintenant le plaisir d'accueillir, par vidéoconférence, Kori Czuy, consultante en sciences autochtones. En personne, nous accueillons Yves Gingras, professeur d'histoire et de sociologie des sciences à l'Université du Québec à Montréal.
Vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire vos observations liminaires, puis nous passerons à la série de questions.
Si vous participez par vidéoconférence, vous pouvez choisir la langue de votre choix au bas de l'écran. Il y a l'anglais, le français ou l'espagnol.
Nous allons commencer par Mme Czuy qui dispose de cinq minutes.
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Tansi.
Mihkopihêsiw nitisiyihkâson.
Je suis métisse de la famille Jobin. Comme je l'ai dit, je suis titulaire d'un doctorat en mathématiques et sciences autochtones.
Je vais entrer directement dans le vif du sujet. J'aimerais commencer par parler de ce qu'est la science.
Il s'agit de la manière dont nous comprenons le monde en constante évolution qui nous entoure, en tirons des enseignements et entrons en contact avec lui, afin de survivre, de prospérer et d'interpréter les enseignements ancestraux fondés sur la terre et de les transmettre à la génération suivante pour qu'elle puisse survivre.
Les définitions relationnelles qui constituent la science sont déconnectées de la terre, des arbres, des saules et des castors. Elles sont déconnectées de l'humain, de nous-mêmes — de notre corps, de nos sens, de notre mémoire et de notre esprit — et de la communauté. Cette déconnexion est due à la doctrine de la découverte.
Il y a une rupture entre l'esprit et le corps, qui a été causée par Descartes, la Loi sur les Indiens, le capitalisme et de l'influence de la méthode scientifique. Il en résulte une définition une définition réductionniste, objective, universelle et normalisée de la science. De nombreuses personnes l'utilisent aujourd'hui, ce qui est très bien, mais elle est comprise, transmise et utilisée pour la recherche scientifique. Si ces connaissances sont le seul moyen de connaître la science et le monde qui nous entoure aujourd'hui, qu'est‑ce qui nous échappe?
Avec mes étudiants, j'aime utiliser un cadre: Comment peut‑on ouvrir les esprits et les cœurs à la science relationnelle, ancestrale ou autochtone? Il y a trois façons de le faire: par les origines, les méthodes et la langue.
En ce qui concerne les origines, quelle est l'origine de la « découverte » ou de la connaissance scientifique? Si nous regardons au‑delà de ce qui nous est enseigné à l'école à travers le prisme mondial ou scientifique, nous constatons que ces connaissances sont profondément liées aux peuples autochtones. Si nous adoptons un point de vue scientifique, nous pouvons affirmer que Niels Bohr est le père fondateur de la théorie quantique, ou qu'un scientifique français a découvert l'aspirine. En réalité, il s'agit de la connaissance des liens spirituels et énergétiques avec la terre. Depuis des milliers d'années, tout le monde a compris les causes et effets des fréquences d'énergie que l'on appelait « l'esprit ». Aujourd'hui, beaucoup l'appellent « quantique ». Les femmes de l'Île de la Tortue établissent des liens cérémoniels et spirituels avec des remèdes curatifs à base de saule. On les connaît aujourd'hui sous le nom d'aspirine.
La deuxième chose dont j'aimerais parler est la méthode. La façon dont nous connaissons la science. J'aimerais parler un peu de la quantique. Ils ont de la difficulté à comprendre la quantique en utilisant la méthode scientifique occidentale parce qu'elle est trop universelle, normalisée et objective. L'optique scientifique autochtone est subjective et relationnelle, et inclut l'observation, l'expérience et l'esprit. Elle part du principe que nous n'apprenons pas seulement par le biais des connaissances objectives ou de l'écrit, mais aussi par l'apprentissage, l'histoire, les cérémonies et l'esprit.
Par exemple, les connaissances célestes transmises depuis des milliers d'années sont liées à des lieux et à des phénomènes stellaires précis, comme les yeux de loup ou les œufs d'oiseau-tonnerre. Récemment, les scientifiques occidentaux ont déclaré avoir découvert ces connaissances, comme Sagittarius A* ou le trou noir supermassif situé au milieu de l'univers. Depuis des milliers d'années, ces savoirs sont connus et transmis au moyen des relations et des cérémonies des peuples autochtones.
Le troisième point que j'aimerais mentionner est la langue. Comment parlons-nous de la science? En utilisant les langues autochtones qui sont relationnelles, reliées à l'esprit et au locuteur, et basées sur le verbe. Elles sont vivantes. Elles ont un passé, un présent et un avenir. La relationnalité se trouve ainsi au premier plan.
Les langues autochtones sont riches en sciences. Je vais vous donner un exemple. Naamóó signifie « abeille ». C'est Reg Crowshoe, de la Nation Piikani, qui m'a enseigné ce mot pied-noir. Il désigne les changements de fréquence des sons des abeilles qui s'approchent et s'éloigne de vous. Il s'agit là de l'effet Doppler relationnel. Il dénote une compréhension profonde des connaissances scientifiques liées au mouvement, à la relationnalité, aux fréquences et à la quantique, le tout dans un seul petit mot pied-noir.
Je ne dis pas que l'une ou l'autre façon de savoir, d'être ou de faire de la science est bonne ou mauvaise, mais le problème est que certaines connaissances scientifiques importantes sont discréditées et que seules les méthodes, méthodologies et politiques occidentales, mondiales ou scientifiques sont comprises, validées et transmises.
J'ai trois recommandations à vous faire.
Premièrement, faites d'abord votre travail. Aidez-nous et travaillez avec nous sur ce chemin parallèle. La réconciliation est l'œuvre de personnes non autochtones. C'est ce que m'a dit Casey Eaglespeaker de Kainai. Lisez le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Lisez l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Lisez la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Comprenez ces témoignages. Comprenez ce qu'est le consentement libre éclairé préalable. Lisez les livres de Cajete, Kimmerer, Yellow Bird et Vine Deloria. Écoutez des balados comme Ancestral Science et Native Stories. Et surtout, prenez du tabac, offrez‑le à un aîné et écoutez.
Ma deuxième recommandation est que la souveraineté de ce processus doit commencer avec les communautés autochtones et rester entre leurs mains. Nous devons confier le pouvoir décisionnel aux communautés. Nous pourrons ainsi faire les choses correctement, appliquer des protocoles, avec cette voie parallèle et dans le respect, et nous atténuerons l'appropriation culturelle, qui a déjà été évoquée à plusieurs reprises auparavant.
Enfin, nous devons absolument...
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Je vous remercie de votre invitation.
C'est probablement la première fois qu'un comité comme le vôtre se penche sur la science et la recherche. Les conséquences de la question de l'intégration des connaissances traditionnelles aux politiques gouvernementales fondées sur la science reposent sur une bonne compréhension de ce qui relève, en fin de compte, de la philosophie des sciences et de l'épistémologie. Il ne faut pas penser, comme on le pense trop souvent, que l'épistémologie est de la philosophie déconnectée de la politique.
Je vais essayer de vous démontrer que le problème que vous avez est mal conçu et mal nommé. Comme le disait l'écrivain Albert Camus, mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur du monde. Le but est que toutes les politiques gouvernementales fondées sur la science soient fondées sur le maximum d'ouverture et de consultation. Cependant, « consulter », ce n'est pas la même chose qu'« accepter ».
La raison pour laquelle ce qu'on entend actuellement est confus, c'est qu'on passe d'un mot à l'autre sans définir les termes et sans distinguer les choses. Si on parle d'une chaise, il ne faut pas appeler cela « une table ». C'est important de distinguer les mots.
Dans mon bref discours, je vais donc vous rappeler les mots fondamentaux dans toute notre discussion.
D'abord, il y a le mot « croyance ». On peut avoir des croyances, mais une croyance, c'est ce qui relève d'un individu qui croit à quelque chose. On peut avoir une opinion, qui est une hypothèse, mais on peut aussi avoir une connaissance.
Or, qu'est-ce qu'une connaissance? C'est un énoncé sur le monde qui a été validé, théoriquement, par des méthodes accessibles à toute personne raisonnable ayant la formation adéquate. Ainsi, si j'émets l'hypothèse qu'il y a des ours dans un endroit donné, je dois le vérifier pour que cela devienne une connaissance. Une fois qu'on a vérifié qu'il y a bien des ours dans l'endroit donné, cette connaissance devient universelle.
Ensuite, il y a le mot « science ». La connaissance n'est pas la même chose que la science. Je peux savoir que 2 + 2 = 4, ou que a2 + b2 = c2. C'est une connaissance, mais cela ne veut pas dire que je suis capable de démontrer ce que c'est. La science, en épistémologie, se définit simplement par le fait de rendre raison de phénomènes par des causes naturelles. Depuis le XVIIe siècle, c'est cela, la science.
On a beaucoup de connaissances, et d'autres ont aussi la science de cette connaissance. On peut savoir, par exemple, que le Thuja occidentalis, que les Iroquois appellent l'annedda, est un arbre dont les feuilles guérissent le scorbut. C'est une découverte qui a été faite par les Iroquois ici, au XVIe siècle, et qu'on a attribuée, au XVIIe siècle, à Jacques Cartier. Toutefois, ce n'est qu'une connaissance. C'est seulement au XIXe siècle, ou plus tard, que c'est devenu une science. On découvrira qu'il guérit le scorbut parce qu'il contient de la vitamine C. Ainsi, maintenant, nous n'avons plus besoin d'arracher des feuilles de Thuja occidentalis, parce que nous produisons de la vitamine C. Cela, c'est la science qui explique pourquoi cet arbre a de telles propriétés, mais on avait des connaissances.
Alors, il faut distinguer « croyance », « connaissance » et « science ». Je ne donnerai pas un cours d'histoire ici, mais vous savez tous que la science est potentiellement universelle. Il n'y a pas de science occidentale, de science orientale ou de science autochtone. Cela n'existe pas. Il y a des individus qui ont fait des découvertes. Les Iroquois ont su comment guérir le scorbut. Les Chinois vont sur la Lune non pas grâce au yin et au yang, mais grâce à la connaissance universelle des lois de Newton. Même si Newton était un Britannique, ce n'est pas une science britannique. Les ondes électromagnétiques qu'on entend ont été découvertes grâce à James Clerk Maxwell, qui était un Écossais, mais ce n'est pas une science écossaise. C'est un Allemand du nom de Hertz qui a utilisé les équations de Maxwell et qui a découvert les ondes électromagnétiques.
Une connaissance est donc potentiellement universelle. Sinon, c'est une croyance. Si je vous dis que j'ai la connaissance de Dieu, vous allez me dire que c'est plutôt une croyance, parce qu'il n'y a pas de mesure ou de méthode acceptée par tout le monde pour démontrer l'existence de Dieu. Toutefois, on peut croire que Dieu existe; c'est personnel.
Bref, je vous le dis d'avance: il y a une confusion. Si vous mêlez tous les mots, vous n'arriverez à rien.
Avant de qualifier quelque chose de « connaissance », il faut pouvoir dire que, effectivement, cette information a été vérifiée par des gens indépendants d'un peu partout.
Le monde arabe, au Moyen‑Âge, a contribué à la science. Ce n'est pas une science arabe, c'est l'algèbre, que tout le monde utilise. Pourtant, « algebra » est un mot arabe.
Des scientifiques, dans tous les pays, font une science potentiellement universelle. Il ne faut pas mêler les termes.
Je vous remercie.
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Les histoires sont source de connaissances. Lorsque nous racontons une histoire, nous enseignons — peu importe de quoi il s'agit.
Si je me fie à mon expérience personnelle et à mon domaine de recherche, je n'ai jamais eu un faible pour les mathématiques quand j'allais à l'école. Cette matière était déconnectée de mon corps, de ma culture, de mon esprit ou de la terre jusqu'à ce que je me rende compte, pendant ma maîtrise, que les mathématiques reposent sur des façons de faire, d'être et de savoir qui sont très normalisées. Il n'y a rien de mal à cela. Le hic, c'est que cela crée un décalage entre, d'une part, les humains et les cultures et, d'autre part, la démarche mathématique utilisée depuis de nombreuses années.
Pensez à l'importance de la trigonométrie et à la façon dont les navigateurs parvenaient jadis à s'orienter sur les océans en fonction du zénith, de la ligne d'horizon, etc. C'est important. Le corps et les sens sont mis à contribution. Or, lorsque ces façons de comprendre, d'apprendre, d'appliquer et de faire les mathématiques sont remplacées par un mode d'apprentissage axé sur la mémorisation, au moyen d'une approche très normalisée et d'exercices faits en classe sur un bout de papier, ces liens disparaissent.
Quand je me suis rendu compte qu'il était possible de comprendre les mathématiques en établissant des liens, j'ai commencé à m'y intéresser davantage. C'est ce que j'enseigne aux enfants. Comment voyez-vous les mathématiques autour de vous? Comment faites-vous pour comprendre que les différents angles peuvent créer différentes saisons? Comment pouvez-vous mesurer des choses en utilisant votre corps, plutôt qu'une règle normalisée? Nous sommes notre propre instrument de mesure.
Pendant ma maîtrise, j'ai travaillé en Papouasie-Nouvelle-Guinée où l'on utilise d'autres systèmes de numérotation. Chaque communauté dispose d'un système différent, qui varie de la base 32 à la base 27. Tous ces différents systèmes sont importants. J'ai constaté à quel point cela aiderait à comprendre les mathématiques parce que ces communautés, qui font des échanges en utilisant ces différents systèmes de numérotation, doivent interpréter le tout et passer d'un système à l'autre. C'est ce que nous faisons tous les jours. Cela nous aide au quotidien, que ce soit pour indiquer l'heure ou pour faire du codage informatique. Tout cela est interrelié, selon notre conception du corps et du monde. Lorsque nous apprenons les mathématiques à l'école selon une approche très normalisée et déconnectée de notre corps, de notre culture et de nos expériences, nous ne pouvons pas faire ce genre de lien.
Est‑ce que cela répond à votre question?
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Il y a plusieurs façons de s'y prendre. Il s'agit, premièrement, de nouer des liens avec les communautés, en commençant par les aînés, les gardiens du savoir et les scientifiques autochtones et en tenant compte de leurs connaissances et de ce qu'ils aimeraient apporter. Deuxièmement, il faut passer par l'éducation. Comment pouvons-nous créer des activités qui sont liées aux connaissances scientifiques autochtones afin que tout le monde puisse les comprendre et établir des liens? Par exemple, on peut chercher à comprendre les fréquences vibratoires des tambours et leur pouvoir de guérison en fonction de différentes cartes célestes.
Nous travaillons aussi beaucoup auprès des écoles et des communautés pour leur faire découvrir nos expériences. Ce travail se fait à la fois dans les écoles et sur le terrain, c'est‑à‑dire dans les communautés des réserves. Cela leur permet de voir l'ampleur de leurs connaissances scientifiques. À cette fin, nous organisons un atelier d'apprentissage par l'expérience qui met en lumière la profondeur des connaissances dans les récits des Pieds-Noirs sur le Makoiyohsokoyi, ou la Voie lactée. On y trouve de nombreux enseignements scientifiques, et cela nous ramène à la question de départ: en effet, les histoires sont source de connaissances.
L'histoire du sentier des loups renferme d'importantes connaissances scientifiques — les relations prédateur-proie et le fait de vivre en équilibre —, et il y est précisément question d'un point céleste découvert il y a quelques années à peine, si vous vous souvenez de la photo du trou noir hypermassif. Nous nous sommes dit: « Nous savons cela depuis des milliers d'années. C'est l'oeil du loup ou l'œuf de l'oiseau-tonnerre. » Il y a une foule de récits.
Ces connaissances revêtent une grande dimension scientifique. Au centre des sciences, nous essayons de les réunir et de faire en sorte que tout le monde puisse s'y reconnaître — pas seulement les communautés autochtones, et cela comprend aussi bien les enfants que les adultes — afin de leur permettre d'apprivoiser les sciences. N'ayant moi-même jamais pu apprivoiser les sciences ou les mathématiques dans ma jeunesse, j'estime que de telles expériences auraient changé la donne pour moi. C'est ce que nous essayons de faire, mais dans l'intérêt de tous, afin que tout le monde puisse découvrir et comprendre la profondeur des connaissances scientifiques qui se trouvent dans ces histoires. Par « histoires », j'entends le lien entre la science et la terre.
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Oui, je vais simplement vous remettre ce rapport — c'est parfait.
Je pense que les défis sont nombreux parce que, comme je l'ai expliqué, du point de vue autochtone, il y a une définition apparemment étroite du mot « sciences » et de la façon d'appliquer, d'incarner et d'apprendre les sciences et les mathématiques. Pour moi, les sciences et les mathématiques relèvent du même objectif: nous permettre de nous épanouir et de comprendre le monde qui nous entoure. Tant que nous ne pourrons pas en élargir la conception, je ne vois pas comment il sera possible d'aller de l'avant.
Si nous disons sans cesse que nous ne pouvons utiliser que cette méthode scientifique normalisée et objective — une façon d'être, de faire et de savoir en sciences, qui consiste non seulement à comprendre des notions, mais aussi à les mettre en œuvre en publiant des articles ou en tenant deux ou trois consultations, sans toutefois passer par la cérémonie —, alors nous ferons fausse route. Le défi est de savoir comment appliquer, comme on l'a dit à maintes reprises, cette idée de rapprochement, de tissage et de tressage. Il s'agit de fusionner ces modes de connaissances. Ils ont tous des points forts, mais souvent, on ne nous enseigne qu'une façon occidentale ou mondiale de savoir, d'être et de faire en sciences en alléguant que c'est la seule voie à suivre. Comment pouvons-nous élargir cette conception et tresser ensemble ces connaissances?
Le défi, c'est vraiment de comprendre ce que cela signifie, et je crois qu'il s'agit aussi d'une possibilité. Qu'est‑ce qui nous échappe lorsque nous ne concevons pas les sciences de cette manière? Il y a tellement d'exemples que je peux donner. Songeons à un simple mot pied-noir, « naamóó », qui revêt une dimension scientifique, et à la façon dont les langues autochtones disparaissent, faute d'être transmises d'une génération à l'autre pendant...
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Je voudrais poser mes questions. Je vous remercie tout de même de cette réponse très complète. C'était excellent.
Je tiens à remercier nos deux témoins de la passion et de l'enthousiasme dont ils ont fait preuve dans leurs déclarations préliminaires, qui étaient tout à fait remarquables.
Madame Czuy, j'aimerais revenir à vous. Vous nous avez fait trois recommandations, même si le président a essayé de vous interrompre. La première, c'est que nous devons d'abord faire notre travail, et la réconciliation est l'œuvre de personnes non autochtones.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur l'importance d'établir des partenariats avec le gouvernement fédéral, les provinces, les municipalités, les établissements d'enseignement postsecondaire et l'industrie pour soutenir la gouvernance autochtone et la réconciliation? Quelles sont vos suggestions à cet égard?
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Non, il n'en existe pas.
Quand on parle de savoir, il faut d'abord établir que c'est une connaissance. Par exemple, on utilise l'expression « connaissance traditionnelle ». Il est important de bien comprendre que, sur le plan épistémologique, ce n'est pas parce c'est traditionnel que c'est nécessairement vrai. Je vais donner un exemple simple: en Europe, pendant plus de 1500 ans, la médecine traditionnelle faisait la saignée. La saignée était une panacée aux yeux de tous les médecins. À l'époque, il s'agissait donc d'une connaissance traditionnelle. Quand les médecins se sont demandé si cela fonctionnait vraiment, ils se sont aperçus que la saignée ne fonctionnait pas, sauf dans des cas d'hématologie très particuliers. Les médecins ont donc cessé de pratiquer la saignée, parce que la connaissance évolue au fil du temps. Il ne suffit pas de dire qu'on a un savoir traditionnel.
L'homéopathie a été testée scientifiquement, et on a prouvé que cela ne fonctionnait pas. Prendre des granules homéopathiques, ça peut faire du bien, mais ce n'est pas de la science. Ce qu'il faut simplement dire, c'est que la science évolue. Nous ne sommes plus au XVIIe siècle, nous sommes au XXIe siècle. Tout ce qu'il y a autour de nous, comme la, télévision, est le fruit des connaissances scientifiques nouvelles qui nous font comprendre le monde. La science regarde vers l'avant et non vers l'arrière.
Au cours de la discussion précédente, on a parlé de pédagogie, mais ce n'est pas la même chose que de former des chercheurs. Il y a toutes sortes de façons d'apprendre les mathématiques, mais, si le Canada veut envoyer un astronaute sur la Lune, cela se fera au moyen du calcul différentiel et intégral. Cela ne se fait pas au moyen de connaissances traditionnelles.
Le mot « traditionnel » est à la mode, mais, si on parle des façons d'intégrer les connaissances traditionnelles, je vous dirai humblement que, vous procédez ainsi, vous n'irez nulle part. Il faut consulter les gens à propos de leur environnement et vérifier les affirmations. Si les affirmations sont vraies, elles deviennent des connaissances.
On parle toujours de la tradition. Je n'ai rien contre les traditions, mais toute l'histoire des sciences montre que les traditions évoluent. Einstein a découvert la théorie de la relativité. Est-ce pour autant une science juive? Non, ce ne l'est pas. Einstein était juif, mais il n'y a pas de science juive. Les nazis voulaient une science juive et les communistes voulaient une science prolétarienne; cela n'existe pas. Il existe une science universelle, faite par des Russes, par des Allemands, par des Chinois et par des Israéliens. Il ne faut pas oublier cela, sinon on emprunte une direction dangereuse, comme l'histoire l'a démontré. Il ne faut pas affilier un individu à la communauté en disant, par exemple, qu'il y a une science québécoise. Il n'y a pas de science québécoise. Il n'y a pas de science canadienne, mais il y a des Canadiens qui font de la science.
Ce n'est pas un jeu de mots. Si vous croyez qu'il y a une science canadienne, vous êtes donc en train de dire qu'il y a une science juive et une science russe. Ce n'est pas vrai. Il y a des scientifiques russes, il y a des scientifiques québécois et il y a des scientifiques chinois, par exemple.
Il est crucial, si vous voulez atteindre votre but, d'intégrer les connaissances. Les connaissances qui vous allez intégrer dans les politiques scientifiques ne sont pas des connaissances traditionnelles, ce sont des connaissances simpliciter, comme le disent les philosophes. Ce sont des connaissances validées. Comment arrive-t-on à les valider? C'est en utilisant les méthodes qu'on connaît. On fait des vérifications et des calculs. On se sert des ordinateurs. On a des méthodes, depuis l'époque de Galilée, et ces méthodes sont utilisées partout au monde.
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Merci aux deux témoins d'être des nôtres aujourd'hui.
Je vais commencer par Mme Czuy.
Vous avez beaucoup parlé d'histoires. Cela m'a fait penser à une citation de Thomas King: « La vérité à propos des histoires, c'est qu'elles sont tout ce que nous sommes. » J'ai une formation scientifique. Je me souviens qu'à l'université, je n'apprenais réellement que lorsque mes professeurs racontaient des histoires qui me permettaient de déceler des tendances et ce genre de choses.
Je me souviens que c'est seulement après avoir étudié l'astronomie que j'ai pu comprendre le calcul différentiel et intégral. J'ai toujours été contre l'idée d'enseigner la biologie à partir... À l'université, on commence par la chimie cellulaire, ce qui est la façon la plus abstraite d'amener des jeunes à étudier une matière. Si vous tenez bon pendant quatre ans, vous aurez peut-être enfin l'occasion de sortir dans les bois et de voir le monde réel.
Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet dans le cadre de votre travail sur la science autochtone?
Comme je l'ai mentionné, lorsque je travaille avec des enfants — ou n'importe qui d'autre —, la première chose que je fais, c'est de les emmener dehors. D'ailleurs, dans le cadre du cours que je donne actuellement à l'université, une des tâches consiste à sortir dans la nature et à apprendre quelque chose. La terre vous le dira. Elle vous apprendra quelque chose. Ce sont vraiment des méthodes relationnelles. C'est le début d'une histoire.
Lorsque vous êtes dans la nature et que vous écoutez le bruissement des feuilles, vous constaterez que leur bruit change quelques mois plus tard, car les feuilles se déshydratent et se préparent au cycle de l'hiver; ces fréquences sonores peuvent vous apprendre quelque chose. Il y a des leçons à tirer de la façon dont les écureuils préservent leur nourriture. Ils utilisent des plantes précises pour conserver certains aliments. Ces méthodes chimiques et biologiques sont des connaissances que nous devons aux écureuils.
Ce sont là des histoires. Ne serait‑il pas génial si vous pouviez commencer votre cours de chimie en suivant les traces d'un écureuil pour apprendre comment il préserve des aliments? Nous pouvons nous identifier à ces histoires. Nous pouvons en être témoins, ce qui est vraiment fantastique. Nous pouvons en faire l'expérience, ce qui éveille en nous une émotion. Cela crée un lien, une relation et, comme vous l'avez mentionné, une histoire.
Ces méthodes — qui ne reposent pas sur l'écrit — et ces histoires constituent le moyen par lequel ces connaissances ont été transmises. Je le répète, ces histoires scientifiques ne sont pas écrites dans des livres. Les peuples autochtones de ces terres n'ont rien écrit sur des tablettes d'argile il y a des milliers d'années. Le tout s'est fait grâce à la transmission d'histoires.
Oui, ces récits changent au fur et à mesure que les générations les transmettent, mais l'essence reste la même. Ce sont, si vous voulez, des histoires « évaluées par les pairs ». Je dis toujours que la personne ou la communauté qui m'a transmis une histoire et un savoir contribue à l'examen par les pairs. Vous pouvez retourner voir ces aînés et les membres de la communauté pour valider les connaissances dont j'ai parlé. Je peux les exprimer de façon plus relationnelle, ce qui nous permet d'établir des liens. Voilà en quoi consiste la méthode narrative. C'est ainsi que les liens et les savoirs sont transmis. C'est différent de la simple lecture.
Il peut s'agir de connaissances très semblables, mais ce qui compte, c'est la façon dont elles créent des liens et des relations qui sont vraiment mis en évidence dans les histoires.
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La réponse courte est probablement non. Chaque communauté est différente, et chacune possède un degré de confiance différent envers ses partenaires économiques.
Il faut commencer par le début. Tout projet d'exploitation économique, qu'il s'agisse d'une mine ou d'un autre type d'infrastructure, doit commencer par un dialogue honnête entre l'entreprise et la communauté. Il s'agit de l'importance de la voie parallèle et de la collaboration dont j'ai parlé. L'entreprise ne doit surtout pas mettre la communauté devant le fait accompli en lui expliquant que les investissements ont déjà été effectués, que les plans sont terminés et qu'il ne reste qu'à se mettre au travail. Voilà pour le volet « préalable » du consentement. Ensuite, en ce qui a trait au volet « libre et éclairé » du consentement, les membres de la communauté doivent être en mesure d'obtenir tous les renseignements disponibles qui les concernent. Toute relation d'affaires doit donc se faire sur des bases saines axées sur la notion de consentement.
En ce qui concerne les échéanciers à respecter, je rappelle que le temps est lui-même un concept d'origine colonial. Ainsi, la conception du temps de la communauté autochtone est avant tout axée sur les changements saisonniers, et ne va donc pas nécessairement concorder avec les échéanciers stricts de l'entreprise. Par conséquent, il est possible que les membres de la communauté ne puissent pas participer à une réunion d'affaires qui se tiendrait en même temps qu'une cérémonie. Là encore, il s'agit de respecter les priorités de chacun, et cela nous ramène à la notion de voie parallèle dont j'ai déjà parlé.
J'imagine que ce n'est pas la réponse que vous souhaitiez entendre, et je m'en excuse, mais telle est la réalité. Je comprends que ce n'est pas...
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Merci, monsieur le président.
Pendant la pause, j'ai lu Tresser les herbes sacrées, le livre de Robin Kimmerer. J'ai trouvé son contenu pertinent en regard des travaux que mène le Comité.
Justement, pour en revenir aux travaux du Comité, nous sommes chargés d'entreprendre une étude et de formuler des recommandations sur « les meilleures façons d'intégrer le savoir traditionnel et les connaissances scientifiques autochtones à l'élaboration des politiques gouvernementales », ainsi que sur « les façons de résoudre les conflits entre les deux systèmes de connaissances ». Nous avons d'abord indiqué qu'il existe clairement deux systèmes de connaissances.
Madame Czuy, sur le plan pratique, pourriez-vous nous fournir quelques pistes de solution? Que peut faire concrètement le gouvernement du Canada?
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Je pense que nous devons mettre en place des mécanismes concrets au lieu de nous contenter de vagues métaphores sur les bienfaits de la collaboration. Je vais vous donner un exemple très simple.
La méthodologie scientifique exige que l'évaluation par les pairs se fasse à double insu. Autrement dit, un article scientifique doit être jugé selon sa pertinence, et il est important pour les pairs de se débarrasser de tout biais cognitif susceptible d'influencer leur jugement. Au moment d'évaluer un document scientifique, les pairs ne doivent pas connaître le nom de l'auteur ni le nom de son institution. Si ce n'était pas le cas, un évaluateur pourrait par exemple être inconsciemment porté à croire en la qualité d'un article scientifique rédigé à l'Université Harvard. La logique de l'évaluation par les pairs à double insu devrait également s'appliquer au processus de consultation en matière de politiques. Avant de prendre une décision, il est important de consulter tous les experts sur le sujet en question, et ce, peu importe leur identité. Il n'y a pas d'autre solution.
Depuis le XVIIe siècle, les Chinois ne débattent pas dans le cadre du yin et du yang pour améliorer leurs capacités scientifiques et technologiques. Ils affirment eux-mêmes avoir appris de Newton, d'Einstein, et de tous les autres grands scientifiques, peu importe leurs origines. Dans un contexte scientifique, je ne m'intéresse pas à la couleur de la peau de mes partenaires ni de leurs communautés d'origine. Suis‑je moi-même un représentant du peuple québécois? Bien sûr que non. Je prends des décisions en utilisant la méthodologie scientifique, point.
En ce qui concerne l'objet d'étude du Comité, à savoir l'intégration du savoir traditionnel et des connaissances scientifiques autochtones aux politiques gouvernementales, je pense que la solution est plus simple que l'on s'imagine. Si un comité parlementaire doit aborder une politique environnementale pour un lieu précis, il doit inviter tous les témoins qui souhaitent donner leur avis. Ce processus peut mener à des opinions contradictoires, mais c'est normal. Par ailleurs, c'est également ce que préconise la Cour suprême. Le juge Binnie a en effet indiqué que tout expert qui souhaite s'exprimer devant la Cour suprême doit respecter la méthodologie en vigueur au sein de la communauté scientifique. Pourquoi? Car c'est la seule façon de pouvoir valider la véracité et la reproductibilité de toute expertise.
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Merci, monsieur le président.
Je poursuis avec vous, monsieur Gingras. Vous avez donné des exemples, d'un point de vue historique même, sur le géocentrisme, l'héliocentrisme et Galilée. Ce n'est pas d'hier que l'être humain est confronté à deux croyances, peu importe ses croyances religieuses ou sa communauté ethnique. Une méthode scientifique a d'ailleurs été mise au point à cet égard.
J'aimerais vous entendre sur le fait qu'on tente d'opposer les Autochtones et les non-Autochtones, c'est-à-dire comme deux groupes homogènes, alors que ce sont deux groupes hétérogènes avec des divergences internes. Il peut donc y avoir des divergences de connaissances et de savoirs, également, au sein de chacun des groupes.
Bien que les langues et les connaissances autochtones ne soient pas universelles, il existe un rapport universel avec la terre. Les peuples autochtones entretiennent un lien spirituel et affectif à la terre, qui est également une source d'enseignements. De ce lien particulier sont nées les mathématiques, la chimie et les sciences partout dans le monde, ainsi que les systèmes de numération qui leur sont liés. Nous utilisons le système décimal basé sur les dix doigts, mais de nombreux peuples autochtones ont développé des systèmes de numération différents. Vous avez mentionné le système vicésimal maya, qui s'inspire des dix doigts et des dix orteils de l'être humain. Là où je veux en venir, c'est que tous ces systèmes ont des origines culturelles.
Si vous voulez un autre exemple exotique, je peux vous parler d'un système de numération qui m'a été enseigné à l'époque où je menais des travaux à Hawaï. Il s'agit du système quaternaire, qui tire son origine de l'importance des fermes piscicoles dans cette région du monde. La pisciculture et l'utilisation de pièges à poissons ont constitué des sources alimentaires essentielles pour ces populations pendant des millénaires. Les pêcheurs hawaïens pouvaient tenir un poisson entre chacun de leurs doigts, et transporter ainsi quatre poissons par main.
Ces pratiques de pêche, fondamentales au sein de la culture hawaïenne, ont mené à la création du système quaternaire. Aujourd'hui, on tend malheureusement à réduire l'importance et la validité de ce système de numération. Pourtant, le système quaternaire revêt une énorme importance chez plusieurs peuples, et il s'agit d'un mode de connaissances intimement lié aux mathématiques et à la biologie. Je pense qu'il est tout à fait pertinent de s'ouvrir à la diversité des connaissances, et que nous avons beaucoup à apprendre des autres cultures.
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C'est formidable. Il est bien intéressant de conclure notre séance par cette discussion sur les systèmes de numération. Étant moi-même titulaire d'un diplôme en anglais et d'une mineure en mathématiques, votre exposé m'a amené à réfléchir à la manière de concevoir un théorème au sein de ces deux disciplines.
Je tiens à remercier nos invités, Mme Czuy et M. Gingras, pour leurs témoignages et leur participation. Vous nous avez aidés à penser autrement l'intégration du savoir traditionnel et des connaissances scientifiques autochtones à l'élaboration des politiques gouvernementales.
Si vous avez des renseignements supplémentaires à nous fournir ou des éléments à ajouter aux réponses que vous avez données, n'hésitez surtout pas à nous les transmettre.
Chers collègues, avant de lever la séance, j'aimerais simplement vous rappeler que la réunion suivante aura lieu le jeudi 8 février. Nous aurons alors l'occasion d'entendre d'autres témoignages qui viendront enrichir notre étude. Une autre réunion centrée sur des témoignages aura ensuite lieu mardi de la semaine prochaine.
Plaît‑il au Comité de lever la séance?
Des députés: D'accord.
Le président: Très bien, je vous remercie.
Je remercie encore nos témoins.