:
La séance est ouverte. Bonjour à tous.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos membres invités du Comité aujourd'hui. Nous avons M. Boulerice, qui remplace , ainsi que Mme Shanahan et M. Arya. C'est un plaisir de vous avoir parmi nous.
Nous sommes reconnaissants de la présence silencieuse d'Arielle aujourd'hui. Je suis désolée que vous n'alliez pas bien.
Bon retour parmi nous, monsieur Longfield. Vous nous avez manqué lors de la dernière réunion.
Bienvenue à la 86 e réunion du Comité permanent de la science et de la recherche de la Chambre des communes.
Avant de commencer, j'aimerais rappeler à tous les députés et aux autres personnes qui participent à la réunion dans la salle les mesures préventives importantes suivantes.
Afin de prévenir les retours de son perturbateurs et potentiellement dangereux qui peuvent causer des blessures, nous rappelons à tous ceux qui participent à la réunion en personne de garder leurs écouteurs éloignés des microphones en tout temps. Comme l'indique le communiqué du Président transmis à tous les députés le lundi 29 avril, les mesures suivantes ont été prises pour aider à prévenir les retours de son.
Tous les écouteurs ont été remplacés par un modèle qui réduit considérablement la probabilité de rétroaction audio. Les nouveaux écouteurs sont noirs, alors que les anciens étaient gris. Veuillez utiliser uniquement un écouteur noir approuvé. Par défaut, tous les écouteurs non utilisés sont débranchés au début de la réunion.
Lorsque vous n'utilisez pas votre écouteur, veuillez le placer au milieu de l'autocollant disposé à cette fin devant vous, comme indiqué. Veuillez consulter les cartes qui se trouvent sur la table pour connaître les mesures à prendre pour prévenir les retours de son.
L'aménagement de la salle a été modifié pour éloigner les microphones les uns des autres et réduire le risque de rétroaction acoustique liée à un écouteur ambiant. Ces mesures sont en place pour que nous puissions mener nos activités sans interruption et pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes.
Je vous remercie de votre collaboration.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride. J'aimerais énoncer quelques règles pour les personnes qui participent à distance.
Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Des services d'interprétation sont offerts pour cette réunion. Vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le parquet, l'anglais ou le français. Veuillez s'il vous plaît m'aviser immédiatement en cas de problème d'interprétation. Nous veillerons à le régler avant de reprendre les travaux.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro. Lorsque vous n'avez pas la parole, mettez votre micro en sourdine.
Je vous rappelle que tous les commentaires des députés doivent être formulés par l'intermédiaire de la présidence. En ce qui concerne la liste des intervenants, le greffier et moi ferons de notre mieux pour respecter l'ordre des interventions pour tous les députés, qu'ils participent à distance ou en personne.
Conformément à la motion de régie interne du Comité concernant les tests de connexion pour les témoins, j'informe le Comité que M. Jackie Jacobson n'a pas effectué les tests requis avant la réunion.
Conformément à l'article 108(3)i) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mardi 31 janvier 2023, le Comité entreprend son étude sur la science et la recherche dans l'Arctique canadien en lien avec les changements climatiques.
J'ai maintenant le plaisir d'accueillir M. Michel Allard, professeur émérite du Centre d'études nordiques à l'Université Laval.
Nous accueillons aussi M. Tom Henheffer, de l'Arctic Research Foundation, par vidéoconférence.
M. Jackie Jacobson est membre du conseil d'administration de l'Arctic Research Foundation. Il est présent à l'écran, mais il ne prendra pas la parole en raison de la situation liée au casque d'écoute.
Nous accueillons également, toujours de l'Arctic Research Foundation, M. Angus Cockney, spécialiste de l'engagement communautaire et du Nord.
Nous allons commencer par M. Michel Allard, qui dispose de cinq minutes pour sa déclaration préliminaire.
Je m'appelle Michel Allard, je travaille à l'Université Laval à titre de professeur émérite — cela se voit à la couleur de mes cheveux. Je suis chercheur au Centre d'études nordiques de l'Université Laval. Je suis membre de la communauté canadienne de recherche sur le pergélisol. J'ai été plusieurs années l'un des chercheurs membres du réseau ArcticNet.
Mes travaux portent sur différents sujets, notamment sur les répercussions du dégel du pergélisol sur les environnements naturels, incluant la formation et la transformation des lacs et des cours d'eau; ils portent également sur les changements de température et le dégel du pergélisol causé par la croissance des arbustes et par l'augmentation de l'enneigement, ce qu'on appelle le verdissement de l'Arctique; enfin, ils portent aussi sur la caractérisation géotechnique du pergélisol sous les infrastructures de transport, en particulier les aéroports, et dans le milieu bâti des communautés nordiques.
Grâce aux connaissances acquises, nous aidons à concevoir des solutions d'adaptation en ingénierie et en aménagement du territoire pour les personnes responsables. Nous faisons aussi le suivi ou le monitorage des températures du pergélisol dans l'Est du Canada, ce qui va du Nunavik jusqu'à dans le Haut‑Arctique, grâce à un réseau de câbles thermiques insérés dans des trous forés. Administré au Centre d'études nordiques, il s'agit du plus important réseau de monitorage universitaire au Canada.
Je vais vous parler des conséquences du dégel du pergélisol.
Le pergélisol couvre entre 40 et 50 % de la superficie du Canada. Son épaisseur varie entre quelques mètres à sa marge sud jusqu'à plusieurs centaines de mètres de profondeur dans le Haut‑Arctique. La température du pergélisol varie sur le territoire en fonction du climat, en relation directe avec les températures de l'air. Le climat se réchauffe, la température du pergélisol augmente. Lorsqu'elle atteint zéro degré, le pergélisol dégèle. La glace qu'il contient fond, ce qui provoque des affaissements de sol qui transforment radicalement les écosystèmes et provoque des dommages aux infrastructures.
Dans les milieux naturels, le dégel du pergélisol perturbe la toundra et les forêts, ce qui change les milieux de vie des animaux ainsi que la nature et la disponibilité des ressources alimentaires traditionnelles des Autochtones. Les perturbations ainsi que la formation de nouveaux lacs ou le drainage de certains autres lacs peuvent aussi rendre plus difficiles la circulation sur le territoire et l'accès aux ressources alimentaires pour les populations locales. Certains secteurs du Nord canadien sont aussi affectés par des glissements de terrain en grand nombre et assez vastes.
Nous mesurons aussi sur le terrain, en différents endroits plus sensibles, les gains et les pertes de carbone, sous forme de matière organique, de gaz carbonique et de méthane, liés au dégel du pergélisol, de façon à mieux quantifier ce qu'on appelle le recyclage du carbone du pergélisol.
Dans le milieu bâti des communautés inuites et des Premières Nations, l'instabilité du pergélisol se conjugue à la grave crise du logement, car il faut s'assurer que les bâtiments actuels et ceux qu'il faut construire à brève échéance en très grand nombre demeureront stables. La stabilité peut s'obtenir par la sélection de terrains propices, le roc, par exemple, ou par la réalisation de fondations adaptées et conçues pour résister au climat des prochaines décennies. Un immense effort de recherche doit être entrepris avec les communautés nordiques et les gouvernements territoriaux pour caractériser les sols, concevoir les fondations des maisons et des bâtiments selon leurs dimensions et planifier l'urbanisme. Il est impossible de prévoir le captage de sources d'eau, la construction de réseaux de distribution, la disposition des eaux usées et la disposition des déchets sans tenir compte du pergélisol. Les conditions de pergélisol sont particulières à chaque communauté en fonction de la géologie et du climat.
:
Merci. Nous en avons discuté; je vais commencer.
Madame la présidente, honorables membres du Comité, je vous remercie de l'occasion de vous parler de l'importante question de la science et de la recherche dans l'Arctique en lien avec les changements climatiques.
L'Arctic Research Foundation est un organisme caritatif à but non lucratif qui facilite la réalisation de projets communautaires liés à la science et aux infrastructures en servant de catalyseur. Nous travaillons avec les différentes collectivités pour établir des réseaux réunissant ONG, universités, chercheurs et gouvernements afin de financer et d'offrir des programmes en plus de donner accès à des navires, à des laboratoires mobiles fonctionnant à l'énergie propre et à d'autres infrastructures de recherche.
Les questions à examiner relativement à la science et aux changements climatiques dans l'Arctique sont nombreuses, mais il existe un facteur commun qui rend plus difficile de s'attaquer aux problèmes et de tirer parti des possibilités. Contrairement à d'autres pays de l'Arctique, le Canada n'a pas de stratégie nationale cohérente, interministérielle et holistique pour l'Arctique.
Permettez-moi de revenir en arrière et d'aborder certaines de ces questions. Fait stupéfiant, l'océan Arctique pourrait être libre de glace d'ici une décennie. La région se réchauffe au moins quatre fois plus vite que le reste du monde. Beaucoup d'habitants du Nord vivent dans la dévastation. Dans certaines collectivités, jusqu'à 90 % des bâtiments ont été perdus en raison d'incendies et d'inondations — parfois les deux dans une même année —, et d'autres s'effondrent en raison de l'érosion causée par le dégel du pergélisol.
Cependant, les changements climatiques sont loin d'être le seul problème. La Chine accroît ses avoirs dans le Nord, notamment par l'achat d'une participation dans une mine de minéraux des terres rares dans les Territoires du Nord-Ouest. Elle a ajouté l'Arctique à son initiative « Une ceinture, une route ». Elle crée une nouvelle forme de colonialisme capitaliste qui progresse rapidement en territoire canadien. En même temps, les États-Unis rejettent la revendication du Canada concernant sa souveraineté sur le Passage du Nord-Ouest. Même en pleine guerre contre l'Ukraine, des sous-marins russes testent les frontières des eaux canadiennes, et nous ignorons totalement ce que d'autres pays pourraient être en train de faire sous la surface.
Je souligne les questions de souveraineté et de sécurité, en plus des questions liées à la science, car on ne saurait trop insister sur le fait que ces questions sont étroitement liées et qu'il faut en tenir compte. D'autres pays sont conscients de l'importance de s'attaquer à l'ensemble de ces problèmes simultanément et agissent concrètement en ce sens. En 2022, les États-Unis ont adopté une stratégie nationale pour la région de l'Arctique. Selon cette stratégie, l'ensemble de l'appareil gouvernemental est tenu de travailler de manière intégrée pour traiter des enjeux liés à l'Arctique. Le Canada n'a pas de stratégie semblable. Trop souvent, les ministères travaillent en vase clos, ce qui se traduit par une duplication des efforts, une perte de temps et un gaspillage de l'argent des contribuables.
Devant l'absence de vision nationale du gouvernement fédéral pour l'Arctique canadien, l'Arctic Research Foundation a décidé d'intervenir dans la sphère des politiques en préparant l'ébauche d'un plan de mise en œuvre du Cadre stratégique pour l'Arctique et le Nord du Canada, dans un document intitulé « Arctic National Strategy », que nous présentons aux parlementaires comme fondement pour l'élaboration d'une stratégie holistique pour le Nord. La stratégie repose sur quatre piliers: la réconciliation et la coproduction du savoir; la protection de l'environnement jumelée à une compréhension des changements climatiques et l'adaptation en conséquence; le renforcement des capacités et le développement économique; la gouvernance et la gestion des données sur l'Arctique. Elle a été rédigée en collaboration avec les sénateurs, les dirigeants et les collectivités du Nord et s’appuie sur des recommandations à incidence élevée, des changements de politiques sensés et des projets prêts à démarrer pouvant avoir une incidence considérable sur les principaux problèmes auxquels l'Arctique est confronté. Nous vous ferons parvenir cette politique aux fins d'examen par le Comité.
Ces recommandations vont de l'essai de nouvelles méthodes d'évaluation des stocks de poissons à la modification des structures de financement fédérales, en passant par les investissements dans les systèmes agricoles conteneurisés alimentés à l'énergie verte pour atténuer les pénuries alimentaires. Voici un exemple de la stratégie qui est pertinent pour l'étude du Comité.
Même si la recherche se fait désormais en consultation et collaboration accrues avec les collectivités que par le passé, l'administration des subventions fédérales se fait toujours dans le cadre d'un système fondé sur la perspective du Sud. Le fardeau administratif est énorme. On applique aux subventions pour la recherche dans l'Arctique les mêmes règles d'approvisionnement que les subventions pour étudier le lac Winnipeg ou les forêts du Nouveau-Brunswick. Par conséquent, bien que les collectivités aient théoriquement plus de financement, il peut être très difficile, en pratique, de débloquer ces fonds.
En outre, ces subventions comprennent rarement des fonds supplémentaires pour tenir compte de l'augmentation spectaculaire des coûts d'exploitation, des marchandises et du transport dans l'Arctique. Les universités ont des chercheurs chevronnés et du personnel administratif dévoué, au sein des facultés, qui connaissent bien les procédures de demande de subventions gouvernementales, comme il se doit. Toutefois, il est injuste d'imposer le même fardeau administratif aux collectivités qui, bien souvent, ont très peu de personnel administratif permanent à temps plein, lorsqu'elles en ont.
Le gouvernement canadien doit modifier les mécanismes de demande de financement et de subvention pour les rendre plus équitables pour les gens du Nord. On constate, à bien des égards, que les structures gouvernementales sont tout simplement trop rigides pour bien fonctionner dans le Nord. Permettez-moi de vous donner un très bon exemple. Je comprends bien la nécessité d'offrir l'interprétation, mais malheureusement, M. Jacobson, qui est dans le Nord, a voyagé et n'a pas pu se procurer un casque d'écoute. Par conséquent, il ne peut pas témoigner devant le Comité. Je pense que cela illustre admirablement bien le fonctionnement de ces structures.
J'ai déjà transmis mes observations; je vais m'arrêter ici pour donner à M. Cockney l'occasion de prendre la parole.
:
Je vous remercie, madame la présidente, et merci aux membres du Comité.
Récemment, , la députée du Nunavut, a partagé notre document de l'Arctic Research Foundation intitulé « Arctic National Strategy ». Savez-vous comment elle a qualifié ce document? Elle a dit que c'est un travail impressionnant. Je ne pense pas qu'elle soit partiale, puisqu'elle vient du Nord, mais je pense qu'elle constate ce dont nous parlons ici, à savoir les troublantes répercussions qui se produisent dans l'Arctique.
J'aimerais ramener cela à un niveau plus personnel. Les membres de la communauté sont inquiets et préoccupés par ce qui se passe, en particulier l'érosion côtière. Un éminent politicien de Tuk a dit un jour qu'il voulait être enterré à Tuk, mais je n'en suis même pas certain maintenant. C'est dire à quel point la situation devient personnelle.
Ma cousine, Noella Cockney, est agente de la GRC à la retraite. Les fondations de sa maison ont été frappées par les vagues l'été dernier. On pourrait penser qu'elle voudrait déménager dans le Sud ou dans un endroit plus sûr, mais elle a dit: « C'est chez moi, je ne bougerai pas d'ici. ».
Je pense que nous devrions tous tenir compte de l'appel de , qui encourage tous les ordres de gouvernement à utiliser le document de l'Arctic Research Foundation intitulé « Arctic National Strategy ».
Merci.
:
Merci, madame la présidente.
Monsieur Henheffer, je vous remercie d'être en ligne aujourd'hui et d'avoir décrit certaines différences de la vie.
J'ai eu l'honneur de me rendre dans les trois territoires à quelques occasions. Il est très préoccupant de constater la fonte ou le dégel du pergélisol et les conséquences qui en découlent. Cela vient confirmer notre conviction que le principal programme environnemental du gouvernement est la taxe sur le carbone qui, comme nous le savons, ne réduit pas les émissions, selon les mesures prises au cours des neuf dernières années.
Le lien avec les territoires est le suivant: il y a une exemption pour l'Arctique, comme l'exemption pour le Canada atlantique, qui était injuste pour tous les autres Canadiens qui utilisaient du mazout domestique. J'aimerais en savoir plus sur le fonctionnement de la remise dans cette région.
:
La façon dont le gouvernement fixe la tarification du carbone par voie législative ne relève pas de notre mandat. Nous sommes un organisme apolitique, mais nous encourageons toute mesure qui peut réduire les émissions de carbone tant maintenant qu'à l'avenir. Beaucoup de données ont démontré que la tarification du carbone fonctionne.
Je viens des provinces de l'Atlantique — du Nouveau-Brunswick — et je sais que le coût du carburant là‑bas rendait les choses difficiles pour les gens, mais c'est beaucoup plus difficile dans le Nord. Une exception pour le carburant dans l'Arctique est absolument nécessaire. Presque toutes les collectivités nordiques dépendent du diesel pour l'alimentation de leurs centrales électriques. C'est compliqué et inefficace, mais c'est l'infrastructure qui existe actuellement.
Le coût de la vie est déjà tellement élevé. Dans certaines de ces communautés, une tête de laitue peut coûter 14 $, s'il y en a. Le coût de la tarification du carbone ne devrait pas être imposé aux gens du Nord qui sont déjà les plus frappés par les changements climatiques de toute façon.
Quant à la tarification du carbone en général, c'est probablement une initiative positive, car il y a du travail à faire pour atténuer les changements climatiques, mais oui, il est absolument essentiel d'avoir une exception. M. Cockney est originaire de Tuktoyaktuk; il est donc mieux placé pour parler des réalités sur le terrain.
:
Merci, madame la présidente, et merci aux témoins.
J'aimerais revenir à notre étude sur la recherche et les défis auxquels nous faisons face. Je m'intéresse vraiment au rapport qui est produit. Je pense qu'il contient les renseignements de base dont nous avons besoin pour cette étude, et plus tôt nous pourrons mettre la main sur le rapport afin de pouvoir l'examiner, mieux ce sera.
Ma question, qui s'adresse d'abord à M. Henheffer, puis à M. Cockney, porte sur la façon différente d'aborder la recherche dans l'Arctique. Dans le Sud du Canada, les universités sont habituellement rattachées à une région géographique. Le financement et la recherche se font en fonction de la région géographique et les universités collaborent entre elles. Dans l'Arctique, nous n'avons pas de réseau universitaire, et les universités doivent souvent demander du financement au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, et bricoler des subventions pour réaliser la recherche. Je pense à la station de recherche PEARL située sur l'île d'Ellesmere, à Eureka, où l'Université de Toronto assure la principale présence, mais tente de rassembler suffisamment de recherches pour étudier les changements climatiques et le pergélisol avec d'autres universités dans le monde.
Pourriez-vous nous parler des autres façons de réunir les fonds de recherche et de créer un réseau géré par une université du Sud ou par les gens de l'Arctique?
:
Tout à fait. Ces détails se retrouvent dans le rapport. Vous les verrez dans notre stratégie, mais c'est beaucoup de points à aborder dans une réponse de trois minutes.
Vous avez évoqué un élément clé, et je tiens à le souligner: comme nous sommes un organisme sans but lucratif, nous perdons de l'argent chaque année dans la prestation de nos programmes. Nous facturons le moins de frais possible, mais c'est encore trop cher pour la plupart des scientifiques. Il n'y a tout simplement pas de subventions pour le temps de navigation dans l'Arctique, ni même pour l'utilisation de nos laboratoires mobiles pour le développement de l'infrastructure. Il y a des subventions de recherche et des subventions pour payer les universités afin qu'elles paient les chercheurs, mais il y a rarement assez d'argent pour le temps de navigation, et le financement se fonde sur les coûts dans le Sud, et non dans le Nord.
Ainsi, nous réunissons les programmes. Si elles travaillent dans la même région géographique, nous réunirons l'Université du Manitoba et l'Université de Toronto, par exemple, et nous travaillerons tous ensemble. Cela rend notre travail plus abordable. Il est important de réunir les programmes, mais la coordination et la collaboration en général sont essentielles.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Je salue les témoins qui sont avec nous aujourd'hui pour le début de cette importante étude.
Ma première question s'adressera à M. Allard.
Monsieur Allard, tout d'abord, je tiens à vous féliciter pour l'ensemble de votre carrière. Vous êtes professeur émérite. C'est donc un honneur de vous accueillir aujourd'hui. J'ai eu le privilège de visiter le Centre d'études nordiques, dont vous êtes membre depuis de nombreuses années. J'ai pu comprendre que vous en étiez même membre lorsque vous étiez au baccalauréat. Maintenant, on reconnaît votre œuvre et votre engagement au cours des dernières années.
Je vais passer tout de suite aux questions, qui sont très importantes aujourd'hui. Vous avez parlé notamment de la fonte du pergélisol et de ses conséquences. Comment peut-on se préparer et trouver des solutions d'adaptation en ce qui concerne le pergélisol? Cela touche aussi d'autres pays, car les changements climatiques n'ont pas de frontières.
Comment pouvons-nous travailler avec nos voisins et alliés les plus proches, notamment les États‑Unis et le Groenland, pour en faire davantage au sujet de la fonte du pergélisol?
:
Il existe une intense collaboration entre les réseaux de recherche, en particulier entre l'Alaska et le Canada. De plus, nos méthodes de travail sont en train de devenir communes. Par exemple, nous partageons la cartographie des conditions de pergélisol avec les communautés inuites et sur le territoire des communautés, afin de pouvoir les aider à s'adapter.
Il est actuellement question, dans ce comité, d'instaurer des programmes ou de faire les meilleurs programmes scientifiques possible pour les communautés, programmes inspirés par les communautés, de façon à travailler en collaboration avec elles. Les gens des communautés — nous en avons un exemple à côté de moi — connaissent très bien leurs problèmes.
Beaucoup d'universitaires ont déjà commencé cela, par exemple dans notre réseau, à l'Université Laval, mais aussi dans le réseau ArcticNet. Les gens de ce réseau viendront faire une présentation, tout à l'heure. Les liens avec les communautés inuites et les communautés autochtones du Nord‑Ouest du Canada sont établis. Ils sont très forts.
Tous les chercheurs canadiens ont beaucoup d'expérience, mais nous avons des problèmes de financement. De plus, il est maintenant temps que les besoins de recherche et le partenariat de recherche soient instaurés à l'intérieur des communautés, par les communautés elles-mêmes.
Je veux brièvement mentionner que plusieurs universitaires, en particulier chez nous, sont tout à fait prêts à travailler de façon conjointe.
:
À mon avis, oui. Je pense particulièrement à la cartographie des conditions de pergélisol dans les communautés et au travail pour l'adaptation sur le territoire.
Par exemple, au Nunavik, la grande préoccupation des Inuits est l'accès aux ressources pour la chasse et la pêche. Cet accès est devenu de moins en moins sécuritaire à cause des changements climatiques. Il y a aussi des problèmes de construction et de fondation des maisons et d'entretien des pistes d'atterrissage.
Comme le Nunavik fait partie du Québec, le gouvernement du Québec a financé beaucoup d'études. Quand je travaille au Nunavik, 80 % de mon financement proviennent du Québec et 20 % proviennent d'autres sources, notamment fédérales.
Quand je travaille au Nunavut, presque 100 % du financement provient du fédéral. Une petite partie provient du gouvernement du Nunavut. C'est un peu plus difficile parce que c'est moins continu. Les programmes fédéraux sont discontinus dans le temps.
:
... je vous remercie de me le confirmer.
Monsieur Allard, je reviens aux défis de l'accessibilité.
Vous avez notamment parlé des glissements de terrain qui sont prononcés dans certains territoires. J'aimerais que vous me donniez des exemples concrets. Comme on le sait, on n'arrive pas dans le Nord en pédalo. Il faut nécessairement des avions, des pistes d'atterrissage.
J'aimerais que vous nous expliquiez quels sont les défis, les coûts et les différences de conception entre les pistes d'atterrissage en gravier et les pistes pavées dans l'Arctique. Je sais qu'on utilise le Boeing 737‑200, le seul jet capable d'atterrir sur des pistes en gravier. Toutefois, ce jet est en voie de disparition.
On demande que le trafic augmente, mais cela complique aussi l'accès des chercheurs au terrain.
:
Pas plus tard qu'hier, nous avons rencontré le président d'Air Inuit. Il y a un problème de piste en gravier pour lequel il doit adapter son nouveau Boeing. En collaboration avec le ministère des Transports du Québec, il est en train de chercher des solutions pour rendre les pistes plus solides. Je crois qu'ils vont devoir finir par les asphalter.
Lorsqu'on asphalte une piste sur pergélisol, il faut prévoir l'effet de l'asphalte sur la température du sol en dessous. Il faut aussi prévoir tout un entretien lié à la fissuration. Il faut prévoir la correction des défauts qui vont se produire dans le temps, de même que toute la machinerie d'entretien, qui est complètement différente. C'est une tout autre affaire.
Il y a des besoins propres au Nord. La circulation y augmente. J'imagine qu'un jour, au Canada, on va devoir asphalter des pistes à Resolute Bay ou dans d'autres villes et villages pour répondre à une augmentation de la circulation, mais aussi probablement pour accommoder les intérêts stratégiques du pays.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Je veux faire une parenthèse avant de commencer. Dans environ 20 minutes, sur la Colline du Parlement, il y aura une contre-manifestation de gens qui sont là pour défendre les droits des femmes, leurs droits reproductifs ainsi que le fait que les femmes peuvent contrôler leur corps et faire leurs propres choix. Je suis de tout cœur avec eux et elles. J'aurais bien aimé être là, mais je suis aussi extrêmement heureux de participer à cette importante étude. Je veux simplement rappeler que ces droits sont toujours menacés. On le constate déjà aux États‑Unis, en ce moment.
Cela dit, je remercie les témoins d'être avec nous, aujourd'hui.
Monsieur Allard, dans votre présentation, vous avez utilisé un terme qui peut sembler très beau, le « verdissement de l'Arctique », mais qui, en fait, est très effrayant. Pour les profanes du Sud comme moi, qui viens de Montréal, je voudrais que vous expliquiez ce que signifie vraiment le verdissement de l'Arctique.
:
Je dois dire que le gouvernement fédéral a eu, pendant quelques années, à l'initiative de Transports Canada, un excellent programme, le Programme de l'initiative d'adaptation des transports dans le Nord.
On s'est réuni. On a visité plusieurs communautés du Nord. On a travaillé à des projets majeurs, comme la route d'Inuvik à Tuktoyaktuk, la route de Dempster, la route de l'Alaska, avec les gens de l'Alaska, et l'aéroport d'Iqaluit. C'était ce genre de travail. Cela a été un modèle.
Dans ma présentation, ma recommandation finale était de recréer un genre d'organisation comme celle-là. Il s'agirait de créer un programme d'initiative d'adaptation des communautés dans le Nord, pour que les communautés et les chercheurs travaillent ensemble à la recherche d'adaptation.
:
Cet outil est très technique et il fonctionne bien.
Ce sont des systèmes de conduits qui circulent sous les fondations des bâtiments et qui extraient la chaleur que le bâtiment transmet au sol. Les thermosiphons contiennent du CO2 qui remonte dans les tubes sur le côté de la bâtisse. Cela fonctionne en hiver. En hiver, le gaz refroidit, il se condense, c'est-à-dire qu'il se transforme en liquide, et il coule dans le tube sous de la bâtisse, ce qui sert à garder le sol gelé sous les bâtiments pour éviter les affaissements liés à la dégradation du pergélisol. Quand les bâtiments sont en contact avec le sol, leur chaleur se transmet en dessous. Cette technique est faite pour les gros bâtiments: les garages, les entrepôts, les installations sur dalles de béton.
Pour les maisons, c'est trop cher et ce n'est pas la meilleure solution. Dans ce cas, les pieux sont une meilleure solution.
:
Je ne suis pas un expert en matière de défense, mais je pense que la surveillance scientifique et environnementale doit être associée à la surveillance de la sécurité. Il y a d'énormes portions de l'Arctique qui ne sont pas surveillées, et nous sommes l'une des seules organisations ayant des bateaux près des côtes qui naviguent en eaux inconnues, ce qui signifie que nous ne savons pas ce qui se passe sous ces eaux, à l'exception de quelques navires exploités par une fondation privée, en plus des navires gouvernementaux et des navires locaux qui se trouvent là‑bas.
Pour revenir à l'une de vos questions précédentes, il y a une question essentielle que je n'ai pas abordée dans ma déclaration préliminaire, et c'est qu'il faut absolument plus de financement pour les sciences de l'Arctique. Cela ne fait aucun doute. Comme l'a dit M. Cockney, nous n'en arriverons jamais à un point où tout sera fait, mais ce qu'il faut vraiment, c'est du financement pour accroître la capacité des collectivités, surtout en ce qui concerne l'administration. Bon nombre de ces collectivités n'ont qu'un ou deux employés administratifs, voire aucun, et elles sont chargées de faire un travail énorme pour obtenir des subventions. Ce n'est tout simplement pas suffisant.
Lorsque le gouvernement annonce 200 millions ou 250 millions de dollars en vue de grands projets de recherche pour la surveillance et la mise en œuvre de programmes sur les lacs, comme le fait la Première Nation de Łutsel K'e, qui est responsable d'un parc dans le bras est du Grand lac des Esclaves, cet argent est consacré à la science. Très peu de fonds sont consacrés à la formation et au renforcement des capacités au sein des collectivités. Cela doit changer. Il faut miser là‑dessus, pour faire croître l'économie dans ces collectivités. Les gens pourront avoir des emplois intéressants et travailler à la mise en place de leurs propres initiatives scientifiques.
:
Merci, madame la présidente, et merci à nos témoins pour leurs exposés et leurs témoignages.
[Français]
Ma première question s'adresse au professeur Allard.
[Traduction]
Monsieur Allard, vous avez entendu M. Henheffer, de l'Arctic Research Foundation, parler du projet auquel son organisation travaille... Autrement dit, une stratégie nationale pour l'Arctique. En examinant la documentation préparée à notre intention par nos merveilleux analystes, j'ai été très frappée par le nombre d'institutions, de collèges, d'universités et d'organismes sans but lucratif qui participent à la recherche dans l'Arctique, et je suis certaine qu'ils le font avec les meilleures intentions du monde, car nous sommes tous conscients des énormes répercussions que les changements climatiques ont sur l'Arctique. Cependant, voyez-vous un besoin de collaboration accrue? Quelle expérience avez-vous acquise pour ce qui est d'éviter le dédoublement de la recherche et de veiller à ce que nous obtenions de bonnes données scientifiques, et à ce que ces connaissances soient diffusées parmi les divers groupes et utilisées de façon appropriée?
:
Il y a assurément plusieurs institutions. Je pense, par exemple, au Collège de l'Arctique du Nunavut, à l'Institut de recherche du Nunavut, à l'Institut de recherche du Collège Aurora, situé à Inuvik, et à l'Université du Yukon, située à Whitehorse. Ces organisations sont en croissance sur le plan intellectuel et sur le plan de la capacité scientifique. Il est essentiel de travailler avec elles sur le plan de la logistique — elles sont sur le territoire —, mais aussi pour accéder à une constellation de communautés. Elles en sont les représentantes et elles forment des gens des communautés. Leur collaboration est donc essentielle.
Il faut également inclure chaque communauté. Je suis d'accord avec les autres témoins: il faut que chaque communauté ait la possibilité d'avoir un forum ou une rencontre pour exprimer ses préoccupations.
J'ai travaillé à Kugluktuk, une communauté située dans l'Ouest de l'Arctique, où les préoccupations étaient en lien avec l'accès au territoire, pour l'accès à un parc. Les Inuits avaient leur propre solution pour empêcher la détérioration de la toundra par les véhicules tout-terrain, un mode de transport qu'ils ont adopté. Nous avons travaillé avec eux pour nous assurer que leur concept était solide sur le plan technique. Cette expérience a été très intéressante.
Des gens du Centre d'études nordiques travaillent à l'île Bylot, qui est tout près de Mittimatalik ou Pond Inlet. Ils travaillent très étroitement avec les communautés, en particulier à la biologie animale. Les membres des communautés et les organisations régionales, comme la Qikiqtani Inuit Association, participent aux recherches.
Notre plus grand souhait est de former des gens; c'est ce qui nous intéresse. Le niveau d'éducation n'est pas très élevé. Actuellement, très peu de jeunes Autochtones terminent le niveau secondaire ou le niveau collégial. Ce serait intéressant d'avoir les institutions dans le Nord pour former des gens et d'intégrer ces jeunes dans les équipes de recherche, pour pousser davantage leur formation.
:
Je peux accepter d'avoir plus de temps, madame la présidente. Cela me fera plaisir.
Vous savez que j'ai des questions. Je suis prêt.
Monsieur Allard, j'aimerais que vous nous parliez davantage de l'importance de faire des études et de la recherche scientifique sur la fonte du pergélisol. Cela se passe dans le Nord, mais, vous l'avez mentionné, cela entraîne le relâchement de gaz à effet de serre qui vont avoir une incidence directe sur le climat. Le pergélisol bloque l'activité microbienne et renferme des virus. J'aimerais que vous nous expliquiez cela davantage.
Cela se passe dans le Nord, mais cela a des effets partout sur la planète, et on a besoin de ces écosystèmes importants.
Je reviens à la question de M. Boulerice, tout à l'heure, sur la rétroaction du carbone du pergélisol. Je crois qu'au Canada, on doit mesurer cela. Nos connaissances là-dessus proviennent de la documentation internationale, qui est basée surtout sur des modèles mathématiques et des analyses de télédétection à l'échelle de l'Arctique, mais il y a très peu d'études sur le terrain pour mesurer les émissions de gaz qui viennent naturellement du pergélisol, en premier lieu, et du pergélisol en dégradation. L'accumulation de matières organiques, la croissance végétale, tout cela change le bilan de carbone du Nord du Canada.
J'émettrais même l'hypothèse scientifique que nous avons peut-être, dans le Nord du Canada, un puits de carbone très intéressant qu'on devrait protéger pour qu'il puisse être comptabilisé un jour dans les émissions de carbone du pays.
Il me reste peu de temps, mais je vais quand même me permettre de poser une question à M. Henheffer.
Monsieur Henheffer, tantôt, vous avez utilisé un terme qui est quand même assez chargé, assez fort. Vous avez parlé d'une nouvelle forme de colonialisme dans le Nord, en provenance de la Chine.
En une minute, pouvez-vous nous expliquer ce que vous vouliez dire à ce sujet? Je vous pose la question parce que c'est quand même assez inquiétant.
:
Il est effectivement assez inquiétant de voir qu'ils utilisent la diplomatie douce pour faire de gros investissements dans des sociétés de ressources actives dans le Nord. C'est un bon moyen légal pour eux de s'implanter.
Je crois savoir qu'ils ont également visité certaines collectivités du Nord et que, de façon générale, ils ont été éconduits. S'ils viennent et offrent beaucoup plus de ressources et de fonds que ne le fait le gouvernement canadien, on peut se demander pourquoi les collectivités ne prendraient pas leur argent. Pourquoi s'abstiendraient-elles de vendre au plus offrant?
Comme nous l'avons vu, ils ont déjà acheté une énorme participation dans une importante mine de minéraux de terres rares dans les Territoires du Nord-Ouest. Plus cela se produit, plus notre souveraineté est menacée, surtout si l'on considère qu'il s'agit de terres inuites et de terres autochtones du Nord. Ces peuples ont des revendications territoriales et ils ont des terres sur lesquelles ils sont souverains. Le Canada doit être un bon partenaire et investir dans les ressources et les infrastructures, car si nous ne le faisons pas, d'autres le feront, comme nous pouvons déjà le voir avec la Chine.
:
Nous sommes de retour. Nous avons hâte de commencer le deuxième segment de cette séance.
J'aimerais formuler quelques observations à l'intention des nouveaux témoins.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous désigne par votre nom. Pour ceux qui participent par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone lorsque vous prenez la parole et mettez-vous en sourdine lorsque vous ne parlez pas.
En ce qui concerne l'interprétation, pour ceux qui sont sur Zoom, vous avez le choix au bas de votre écran entre le français, l'anglais et l'espagnol. Pour ceux qui sont dans la salle, servez-vous de l'oreillette et sélectionnez le canal désiré.
J'ai maintenant le plaisir d'accueillir, par vidéoconférence, Christine Barnard, directrice générale d'ArcticNet. À titre personnel, nous accueillons Jackie Dawson, qui est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les dimensions humaines et politiques des changements climatiques à l'Université d'Ottawa et directrice scientifique d'ArcticNet. Enfin, nous entendrons Normand Voyer, qui est professeur au Centre d'études nordiques.
Chacun d'entre vous dispose d'un maximum de cinq minutes pour nous livrer sa déclaration liminaire. Nous passerons ensuite aux questions de nos membres. Je vous ferai signe lorsqu'il ne vous restera plus qu'une minute.
Nous allons commencer par la déclaration liminaire de Mme Barnard.
Madame Barnard, nous vous écoutons.
:
Je vous remercie de me donner cette occasion de témoigner.
Comme nous le constatons aujourd'hui, les changements climatiques se produisent dans le Nord à un rythme sans précédent, soit plus de deux à trois fois plus rapidement que dans le reste du monde. Les conséquences sont dramatiques pour les collectivités du Nord et pour nous tous dans le Sud. La fonte des glaciers et la montée des océans ont une incidence sur les collectivités côtières; des maisons menacent de s'effondrer dans la mer. L'accès aux terrains de chasse est entravé par des conditions météorologiques imprévisibles. Les incendies de forêt dévastent les collectivités et les écosystèmes tout en agissant comme des vecteurs de transformation à long terme et d'accumulation de contaminants. Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses conséquences dramatiques qui font en sorte qu'il devient impératif d'investir dans la science afin de mieux comprendre les changements en cours et de s'y préparer. Nous devons en outre surveiller l'évolution des systèmes et les interactions que ces derniers ont entre eux, depuis la glace de mer jusqu'à la santé humaine.
Or, dans le contexte postpandémique actuel et à un moment où les tensions géopolitiques sont particulièrement intenses, nous devrions garder à l'esprit quelques leçons.
Les décisions doivent se prendre en s'appuyant sur des preuves émanant de la science et des connaissances autochtones. Qu'il s'agisse d'une pandémie ou des effets cumulés des changements climatiques, la science peut être la stratégie de sortie de crise de l'humanité.
Les collaborations interculturelles, nationales et internationales sont essentielles à l'élaboration et au déploiement de solutions.
Le besoin de science pour comprendre et atténuer les effets des changements climatiques et du déclin de la biodiversité est, à mon avis, l'enjeu le plus urgent de notre époque. Il est également essentiel de reconnaître et de respecter les connaissances autochtones pour comprendre le Nord et le globe d'une manière plus holistique.
L'une des leçons les plus importantes que nous avons apprises à ArcticNet, c'est que la recherche dans le Nord est complètement différente de la recherche dans le Sud. Il faut plus de temps pour établir et entretenir des relations, pour développer des projets en collaboration et pour échanger tout au long de la durée de vie d'un projet. La recherche nécessite plus de déplacements et donc plus de fonds. En outre, le travail dans le Nord est très coûteux et il peut être dangereux: les personnes qui s'y adonnent ont besoin d'une formation adéquate en matière de sécurité et de culture pour travailler de manière éthique avec les collectivités.
Les populations autochtones du Nord ont actuellement accès à plusieurs sources de financement, mais elles n'ont pas encore nécessairement la capacité ni le bassin de chercheurs pour s'acquitter de ce que l'on attend d'elles. Les partenariats avec les établissements universitaires restent essentiels pour respecter nos engagements à l'égard de l'avancement des connaissances dans le Nord. Compte tenu des réalités évoquées plus tôt concernant la recherche dans le Nord, la nécessité d'un engagement en la matière et la difficulté d'établir les relations nécessaires, il ne fait aucun doute qu'il n'y a pas suffisamment de fonds pour les chercheurs des établissements postsecondaires.
Le manque d'infrastructures idoines entrave les progrès de la recherche dans l'Arctique. Quelques grands centres de recherche sont opérationnels sur le vaste territoire du Nord, comme le Centre de recherche du Nunavut, l'Institut de recherches du Nunavut et le Collège Aurora, mais sur plus de 60 stations de recherche, une seule, exploitée par Savoir polaire Canada, bénéficie d'un financement adéquat. Les autres stations — une soixantaine — réparties dans toutes les régions géographiques et tous les écosystèmes du Nord ont un besoin urgent de fonds pour leur fonctionnement et leur entretien. Il est urgent de veiller à ce que des stations sécuritaires et bien équipées soient accessibles aux habitants et aux chercheurs.
ArcticNet, le Programme du plateau continental polaire, le Centre for Northern Studies, Amundsen Science et bien d'autres offrent un soutien logistique pour accéder aux stations, navires et sites éloignés, mais là encore, le financement n'est pas à la hauteur de la demande. Investir dans la recherche menée par les populations autochtones et nordiques est devenu le mantra du Nord, mais nous devons reconnaître que cela prendra du temps et des investissements considérables. Des fonds doivent être investis dans la formation et le renforcement des capacités dans le Nord, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la recherche universitaire en partenariat avec les collectivités. Il s'agit de s'assurer que nous examinons les enjeux émergents et qu'il n'y a pas de lacunes dans les initiatives de surveillance à long terme.
Il convient de noter que les capacités et l'état de préparation ne sont pas homogènes dans les collectivités nordiques. Certaines sont extrêmement efficaces en matière de recherche alors que d'autres ne sont pas encore rendues là. Chaque nation et territoire a ses propres problèmes et aspirations, et les décisions doivent être prises en fonction des particularités locales, régionales et culturelles.
La recherche dans le Nord est loin d'être parfaite, mais des pas de géant ont été faits pour s'engager de façon plus sérieuse auprès des partenaires autochtones et pour soutenir la réconciliation par le truchement d'une recherche définie par les populations. La manière dont nous menons la recherche dans le Nord est tout aussi importante que le type de recherche que nous menons. Une approche qu'ArcticNet a jugée efficace consiste à appliquer les principes de la stratégie nationale inuite en matière de recherche dans nos projets. ArcticNet a également créé le premier programme de recherche au monde dirigé par des Inuits, une initiative qui mérite d'être prise en exemple.
L'investissement dans la recherche nordique contribuera à la souveraineté et à la sécurité nationale, accroîtra la résilience face aux changements climatiques et favorisera la réconciliation tout en assurant le maintien du Canada dans sa position de chef de file en ce qui a trait à la recherche dans l'Arctique et aux partenariats autochtones.
Je vous remercie de votre attention.
Je tiens tout d'abord à vous exprimer mon immense gratitude pour avoir abordé ce sujet très important. Je suis absolument ravie d'être ici aujourd'hui en tant que professeure titulaire et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les dimensions humaines et politiques des changements climatiques, en tant qu'auteure principale du dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat et en tant qu'actuelle directrice scientifique d'ArcticNet.
L'étude de votre comité est particulièrement importante à l'heure actuelle, car l'invasion de l'Ukraine par la Russie fait en sorte que de grands pans de l'Arctique mondial sont désormais exclus des activités de recherche, ce qui incite de nombreux chercheurs européens à déplacer leurs programmes de recherche vers l'Arctique canadien. Cette situation oblige le Canada à s'assurer que des mesures appropriées sont en place pour soutenir ce changement, certes, mais elle signifie également que nous avons perdu une quantité substantielle de données provenant de la portion russe de l'Arctique, ce qui diminue notre capacité à modéliser avec précision l'avenir du climat et l'évolution des écosystèmes arctiques.
Le changement climatique dans l'Arctique canadien a et continuera d'avoir des conséquences importantes à l'échelle locale, régionale, nationale et mondiale. Il n'est pas exagéré de dire que ces changements ont le potentiel de remodeler et de changer complètement le monde tel que nous le connaissons. Cela n'est pas dû seulement à, par exemple, la fonte des calottes glaciaires et des glaciers et à la modification de la glace de mer. Il s'agit également des effets en cascade que ces changements biophysiques auront sur la société. Ainsi, la modification des flux d'eau douce dans l'océan Arctique causée par la fonte des glaces se traduira par des variations du Gulf Stream qui, selon nous, entraîneront des changements climatiques, non seulement à l'échelle locale, mais aussi jusqu'aux latitudes moyennes.
À l'inverse, la sécheresse qui sévit près du canal de Panama et les terribles attaques de navires qui ont lieu près du canal de Suez, combinées aux réductions de la glace de mer qui se produisent actuellement dans l'Arctique canadien, signifient que nous assisterons probablement à un déplacement de l'activité commerciale maritime mondiale vers les nouvelles routes maritimes de l'Arctique, y compris, potentiellement, vers notre passage du Nord-Ouest. Le transport maritime est une industrie de mille milliards de dollars qui est responsable de 90 % de tout ce qui est transporté dans le monde. Or, un changement de cette nature, bien que potentiellement fructueux d'un point de vue économique à certains égards, créera également une série de risques en cascade en ce qui a trait à la géopolitique, à l'environnement et à la culture autochtone.
Ce ne sont là que quelques exemples des effets en cascade du changement climatique. Bien entendu, la question est de savoir ce que nous allons faire à ce sujet.
Au cours des cinq dernières années, le statut du Canada en tant que chef de file dans le domaine des sciences arctiques s'est renforcé sur le plan international, notamment en ce qui concerne les populations autochtones. Les pays du monde entier, arctiques ou non, se tournent régulièrement vers le Canada pour obtenir des conseils non seulement sur les besoins scientifiques les plus pressants, mais aussi sur la manière dont la science doit être menée. En tant que nation, nous avons réalisé d'importantes améliorations dans ce domaine grâce, par exemple, au programme north2north de l'Arctique et aux Programmes Défi du Conseil national de recherches Canada, pour ne nommer que ceux-là, mais il reste encore beaucoup à faire.
À l'heure actuelle, plusieurs programmes de financement concurrentiels sont disponibles pour soutenir l'engagement et le leadership des autochtones dans le domaine scientifique, mais les collectivités locales manquent encore de formation et de capacités pour s'engager de manière soutenue dans ces projets. Il est important de souligner que le Canada est le seul pays à ne pas avoir de stratégie scientifique pour l'Arctique, alors que de nombreux pays non arctiques, comme l'Italie, l'Inde, la France et la Chine, en ont une. Bien que des discussions soient en cours sur la possibilité d'établir une stratégie scientifique pour l'Arctique — ce qui est différent d'une stratégie pour l'Arctique —, il est important de comprendre que nous avons besoin d'une telle stratégie le plus tôt possible. Le manque de leadership dans ce domaine a donné lieu à des problèmes géopolitiques et diplomatiques au cours de la dernière année, et il faut s'attendre à ce que cela se poursuive.
L'une des façons dont le Canada commence à affirmer son leadership dans ce domaine est l'initiative émergente Arctic Pulse, une mission scientifique internationale dirigée par le Canada prévue entre 2024 et 2030, qui comprendra une grande campagne sur le terrain en 2027. Cette initiative reliera les projets existants et cherchera à mobiliser des ressources supplémentaires pour que le Canada puisse jouer un rôle de premier plan dans ce domaine.
En conclusion, à mesure que nous avancerons, il sera crucial d'assurer le soutien d'un écosystème scientifique arctique coordonné au Canada, et de pouvoir compter à cette fin sur un appui gouvernemental fort, y compris sur une stratégie scientifique nationale pour l'Arctique qui nous guidera, fixera des priorités et assurera la liaison entre les divers établissements. Cela nous aidera à assurer la cristallisation de découvertes pertinentes de portée mondiale, d'innovations vitales sur le plan économique, d'approches fondées sur l'autodétermination en matière de développement durable et de relations internationales solides entre nations partageant les mêmes idées. Cela nous permettra aussi de soutenir la réconciliation avec les peuples autochtones et de trouver les solutions dont nous avons un urgent besoin pour atténuer le changement climatique et s'y adapter, au Canada comme dans le monde entier.
:
Madame la présidente, membres du Comité, bonjour. Je vous remercie de m'accorder quelques minutes pour vous parler des difficultés des populations du Nord canadien en matière de sciences et de recherche.
Je m'appelle Normand Voyer. Je suis chimiste et professeur titulaire à l'Université Laval. Ma spécialité est la chimie des produits naturels du Grand Nord canadien. Je représente aujourd'hui le Centre d'études nordiques, le CEN, fondé en 1961, basé à l'Université Laval et constitué en réseau de recherche stratégique avec les autres universités québécoises.
Le Centre d'études nordiques est un regroupement interdisciplinaire de 61 équipes de recherche. Il compte plus de 500 chercheurs et chercheuses. Nous disposons d'un réseau de sept stations de recherche au Nunavik, en plus de deux autres stations de recherche au Nunavut. Nous opérons un réseau de stations de mesures environnementales unique qui s'étend de la baie James jusqu'à l'île d'Ellesmere.
Les membres des communautés nordiques et nous sommes donc des témoins privilégiés des répercussions substantielles des changements climatiques. Comme cela a été dit plusieurs fois, le Grand Nord est l'endroit de la planète qui se réchauffe le plus vite et où le réchauffement est le plus important. Cela est dû à un phénomène appelé l'amplification arctique. Je ne passerai pas en revue les effets des changements climatiques, mais je vous recommande, pour une vision globale de ces changements dans l'Arctique, l'excellent article de synthèse de mon collègue, le professeur Warwick Vincent, que j'ai déposé auprès du Comité.
Les populations de l'Arctique et du Nord disposent-elles des infrastructures de recherche, des outils et des fonds nécessaires pour participer à la recherche? La réponse simple est non. Nos travaux et nos interactions nous montrent clairement que les communautés elles-mêmes manquent gravement de ressources financières et humaines et d'instrumentation. Elles ne sont donc pas en mesure de créer et de réaliser des projets de recherche répondant de façon immédiate à leurs préoccupations et leur permettant de former leurs générations montantes pour participer activement à ces recherches.
Par exemple, aucun laboratoire n'est équipé des instruments nécessaires pour valider la salubrité de l'eau et l'innocuité des plantes médicinales. Il en va de même pour les espaces de laboratoire et les instruments pour mesurer des polluants émergents, comme les composés perfluorés, ou PFAS, et les microplastiques dans l'Arctique.
Par ailleurs, de nombreux projets intéressants pour les communautés requièrent des données environnementales très fines, à l'échelle locale. Ces données stratégiques sont vitales pour assurer un suivi des changements environnementaux et pour la prise de décision. Ces données existent un peu partout, mais le fait que les stations de recherche et de mesures environnementales sont vieillissantes et nécessitent des investissements importants pour leur maintien et leur mise aux normes constitue un des problèmes. Malheureusement, il n'existe aucun programme au Canada visant précisément ce genre de besoin.
De plus, les sources de financement très limitées ne permettent pas une collaboration étroite entre les chercheurs autochtones et non autochtones pour analyser ces données et les mettre en perspective.
Pour ce qui est de la collaboration avec les communautés locales et autochtones en matière de science et de recherche dans l'Arctique, elle n'est pas suffisante.
Il existe de beaux exemples, comme le projet Imalirijit des Inuits de Kangiqsualujjuaq, au Nunavik, réalisé de concert avec des scientifiques venus dans des communautés pour étudier la pollution de la rivière George, rivière essentielle aux activités traditionnelles. Il y a aussi notre projet commun sur la caractérisation des substances naturelles des tisanes du petit thé du Labrador, une plante médicinale très utilisée par ces communautés du Nord, que nous avons réalisé avec les communautés crie et inuite de Whapmagoustui-Kuujjuarapik.
Cependant, les exemples demeurent très limités parce que les défis de projets communs avec les gens du Nord sont énormes à cause de la distance, des coûts de transport, de l'accès limité à Internet, du manque de ressources humaines et d'endroits de coconstruction. Nous, les scientifiques, manquons de ressources pour faire de la coconstruction sur le terrain en partenariat avec les communautés, en raison du sous-financement de la logistique nordique, par exemple, le Programme du plateau continental polaire, et des fonds limités du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le CRSNG.
La mise en œuvre de projets de coconstruction en recherche avec les communautés est le seul moyen de développer des projets pertinents qui répondent vraiment à leurs besoins. Il faut leur en donner les moyens. Il faut s'en donner les moyens.
Merci.
:
Merci, madame la présidente.
Il y a tellement de choses à dire. Par où commencer?
Je commencerai par vous, madame Dawson. Vous avez soulevé un point très important au sujet de l'absence d'une stratégie de recherche dans l'Arctique. J'ai jeté un coup d'œil à la stratégie de défense qui a récemment été publiée. On y affirme qu'elle va faire progresser les objectifs du cadre stratégique pour l'Arctique et le Nord. Lorsque j'examine ces deux documents, je constate que le concept de données et d'analyse des données, la recherche et la place que doit prendre cette dernière, ainsi que ce qu'a dit Mme Barnard au sujet de l'entretien des installations de recherche et de leur présence, bref, que toutes ces composantes ne sont absolument pas harmonisées.
Recommanderiez-vous que la stratégie de défense et le Cadre stratégique pour l'Arctique et le Nord soient liés à une éventuelle stratégie de recherche officielle?
:
Merci, madame la présidente.
Merci, madame Dawson.
L'Arctique n'est pas totalement nouveau pour moi. Il y a une douzaine d'années, lorsque j'étais dans le secteur privé, j'ai formé un consortium réunissant Recherche et développement pour la défense Canada, le Collège militaire royal du Canada et des entreprises comme Raytheon et General Dynamics, ainsi que 10 ou 12 petites industries différentes. L'objectif était de constituer un centre d'excellence axé sur l'intégration des technologies utilisées dans le Nord.
Il y avait toute une mosaïque de technologies, et je pense que c'est toujours le cas. J'étais d'avis que cette intégration allait nous aider à améliorer le contrôle et la surveillance dans l'Arctique. Quoi qu'il en soit, le projet n'a pas été approuvé par le gouvernement, et je ne sais pas ce qui se passe sur ce front.
Madame Dawson, vous et un autre témoin avez tous deux mentionné que la navigation commerciale dans l'Arctique va bon train. Sachez qu'il faudra encore 25 à 30 ans pour que cela se produise. Cela va se produire, mais pas avant 25 à 30 ans.
Par coïncidence, j'ai rencontré la semaine dernière l'ambassadeur de Singapour au Canada, qui est également l'ambassadeur de Singapour pour les questions arctiques. J'ai été très surpris. La première chose qui m'est venue à l'esprit, c'est que Singapour est un grand centre de transport maritime. Il a parlé de la commercialisation, mais il a reconnu que cela prendrait 25 à 30 ans. Il a insisté sur le fait qu'ils considéraient l'Arctique à travers la lorgnette des changements climatiques.
De toute évidence, nous sommes tous conscients des problèmes créés par les changements climatiques dans l'Arctique et ailleurs. Les problèmes et les conséquences de ce phénomène sont soulignés sans arrêt. Je ne suis pas certain que nous pourrons contenir le réchauffement climatique dans les limites convenues alors que l'Amérique du Nord — dont quatre provinces de notre propre pays — compte encore des centrales électriques au charbon. Nous voyons un autre pays riche et développé, l'Allemagne, redémarrer un grand nombre de ses centrales au charbon. Si nous, pays riches et développés, prenons des mesures pour maintenir et redémarrer les centrales au charbon, je ne sais ce que nous pouvons dire aux pays du Sud pour les inciter ou les encourager à contribuer à la lutte contre les changements climatiques. Nous pourrions discuter de cela encore longtemps.
Ma question s'adresse à ArcticNet. Vous avez mentionné l'étendue de votre collaboration avec un grand nombre d'universités, d'organismes et de pays. Sommes-nous en train de disperser nos ressources? Y a‑t‑il trop d'acteurs impliqués dans les différents aspects de la recherche? Y a‑t‑il des chevauchements? Quel est votre point de vue à cet égard?
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Je trouve intéressant qu'on parle des usines de charbon en Allemagne. Je pense que ce serait intéressant qu'on parle aussi d'un pipeline qui s'appelle Trans Mountain, qui va permettre d'extraire 890 000 barils de pétrole chaque jour des sables bitumineux. Cela aussi a un effet sur la fonte du pergélisol. Il faut parfois se regarder dans le miroir pour voir si on a des boutons. J'invite le gouvernement à vérifier s'il a des boutons avant de se comparer à d'autres pays qui, effectivement, n'ont pas toujours les meilleures pratiques de lutte contre les changements climatiques.
Monsieur Voyer, vous avez mentionné, dans votre introduction, que l'Arctique était la région de la planète où le réchauffement était le plus important. Selon vous, comment l'augmentation du financement de la recherche en Arctique pourrait-elle améliorer notre capacité à lutter contre le réchauffement climatique?
:
C'est une excellente question. Y répondre pourrait demander deux heures, mais je vais tenter de le faire rapidement.
On a déjà beaucoup parlé de coordination et de financement, entre autres. Ce dont nous avons besoin et que nous n'avons pas, au Canada, c'est une stratégie claire à long terme. Le mot important est « continuité ». Il y a souvent des activités ponctuelles dans lesquelles on investit de l'argent. Par exemple, la Fondation canadienne pour l'innovation fait un concours. Cette façon de faire n'est pas bonne pour faire de la recherche dans l'Arctique. Elle n'est pas bonne pour le Canada et sa stratégie pour l'Arctique.
L'Arctique est en train de changer, et la seule façon de comprendre ces changements et de s'y adapter est d'avoir des données fines environnementales sur le terrain. Cela demande un réseau de stations de recherche, de stations environnementales, de chercheurs et de chercheuses qui vont travailler ensemble sur une longue période. En ce moment, le problème est qu'on a des initiatives ponctuelles qui se font sur une période assez courte. On est toujours en train de changer, de s'adapter et de tout refaire.
Nous avons besoin d'une stratégie à long terme. Les Européens, par exemple, ont des programmes-cadres de 15 ans. Ce serait beaucoup mieux adapté et cela permettrait la continuité de la recherche. On ne peut pas faire de la recherche sur les changements climatiques et leur impact dans le Grand Nord canadien en faisant un programme de trois ans et en le remplaçant par un autre programme par la suite de façon à ce qu'on doive tout changer et soumettre des demandes de nouveau. On a donc besoin de continuité dans la recherche.
Bien sûr, on a besoin de plus de sous, parce que c'est extrêmement important pour le Canada et parce que c'est extrêmement important pour les communautés. On n'a pas beaucoup parlé de l'impact des changements climatiques sur les communautés. Quand on va dans le Nord, on le constate tous les jours. Les changements relatifs au verdissement du Nord ont des répercussions sur la nourriture, la sécurité alimentaire et le mode de vie, notamment le parcours migratoire des animaux, qui sont traditionnellement la nourriture, et aussi sur les plantes médicinales.
Que faudrait-il, alors? Il faut une stratégie à long terme fondée sur la concertation et la coordination. Une telle stratégie doit comprendre une stratégie de recherche pour l'Arctique qui donnera les grandes lignes directrices à ArcticNet, à tous les organismes et à tous les regroupements de recherche qui œuvrent pour la recherche nordique, en incluant, évidemment, les savoirs traditionnels.
:
Vous répondre là-dessus demanderait aussi deux heures.
On connaît très bien les changements climatiques.
Si vous avez lu l'article de M. Warwick Vincent, vous comprenez que ces changements ne se passent pas seulement dans l'Arctique. Les changements actuels qui s'y passent ont des conséquences dans le Sud, et beaucoup plus qu'on le pense. L'été dernier, on a beaucoup parlé des immenses feux de forêt, dont la fumée s'est retrouvée jusqu'à New York. Cela nous a fait une bonne presse sur le plan international.
Les conséquences vont continuer à s'amplifier puisque l'Arctique change très rapidement. On dit qu'il se réchauffe de deux à trois fois plus vite que le reste du globe, ce qui a des conséquences ici. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Le niveau des océans va augmenter, tout comme l'érosion côtière. Ce ne sera pas seulement dans le Nord, ce sera planétaire.
Vous savez, la planète est toute petite.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie nos experts d'être parmi nous aujourd'hui.
Professeure Dawson, j'aimerais commencer par vous.
Vous avez parlé de l'ouverture de voies maritimes dans l'Arctique, avec la fonte des glaces, les changements climatiques, mais aussi des conséquences géopolitiques. On peut leur accoler un nom, soit celui de la Russie, qui a d'ailleurs planté son drapeau en 2007 dans le fond de l'océan, au pôle Nord.
Comment percevez-vous ce geste posé par le régime de Vladimir Poutine, celui de réclamer, de manière unilatérale, une espèce de souveraineté sur un pan entier de notre planète qui est tout de même considérable?
:
C'était l'un des nombreux gestes — le plus manifeste, absolument.
Je suis une spécialiste des changements climatiques qui s'intéresse à la géopolitique parce que ces choses sont étroitement liées. Je ne suis pas une spécialiste de la sécurité ou une politologue, mais je pense qu'il est évident que l'Arctique suscite de l'intérêt.
L'Arctique a des ressources dont nous ne connaissons même pas encore l'existence. Historiquement, nous avons cherché de l'uranium, des diamants, du pétrole et du gaz. Avec l'essor des véhicules électriques et d'autres technologies, nous allons nous mettre à chercher du nickel, du cobalt et d'autres ressources, et nous n'en avons même pas encore... Nous en connaissons probablement une partie.
Cela ne me surprend pas du tout et je pense que c'est quelque chose qui va continuer. Ce qui me préoccupe le plus, c'est la subsurface. Nous avons des satellites. Nous avons une certaine capacité à comprendre et à surveiller la surface, mais je ne suis pas certaine de ce qui se passe en dessous.
:
Il y a effectivement des besoins dans la marine qui n'ont pas été comblés au cours des 15 dernières années. Cela fait 13 ans que je suis ici, et ce sujet revient continuellement.
Professeur Voyer, vous avez parlé de l'impact de la fonte des glaces sur la hausse des océans. Ce phénomène va toucher tout le monde parce que les océans font le tour de la planète, qui est toute petite, comme vous l'avez dit. Cela peut poser des problèmes notamment pour la Hollande ou le Bangladesh, mais beaucoup de villes au monde ont été construites à côté des océans. Pour New York, pour Londres et pour beaucoup d'endroits dans le monde, cela peut devenir un petit problème.
Je veux revenir au début de votre présentation. Vous l'avez dit, vous êtes un chimiste et vous êtes spécialiste des produits naturels dans le Nord. Les changements climatiques ont des répercussions sur la faune et la flore. Les produits naturels viennent bien de quelque part. Certains produits naturels du Nord sont-ils menacés? Quels sont les changements dans la végétation qui ont un impact que vous observez?
:
C'est une excellente question.
L'érosion des berges a aussi des répercussions sur des villes aussi petites que Tuktoyaktuk. C'est critique pour les populations qui y vivent.
Lorsqu'on parle de changements climatiques, on parle souvent du réchauffement, mais aussi de la perte de biodiversité. Or, chaque fois qu'on perd de la biodiversité, on perd de la chimiodiversité. Il y a des substances naturelles dans les plantes qui ont des propriétés extraordinaires.
En effet, 40 % des médicaments de toute notre pharmacie proviennent de plantes. Avec le réchauffement climatique, les plantes adaptent leur métabolisme. Certaines vont disparaître. Par exemple, on risque de perdre le premier médicament pour traiter la maladie d'Alzheimer.
Nous avons démontré dans nos recherches qu'un petit microchampignon de la baie d'Iqaluit, ou la baie de Frobisher, si vous préférez, a la possibilité de neutraliser la malaria dans le Sud.
Ce qui nous a surtout interpellés, ce sont les communautés de Whapmagoostui et de Kuujjuarapik, qui utilisent une plante qui s'appelle le petit thé du Labrador pour leurs besoins traditionnels de médecine. Cette plante est utilisée en abondance. Le problème, c'est que, depuis quelques années, les membres de ces communautés ont noté des effets secondaires à cette tisane traditionnelle. Alors, ils nous ont demandé si nous pouvions les aider à comprendre cela. Le réchauffement fait que la plante a un cycle d'été dans son métabolisme, qui produit différentes substances à différents moments. Parmi ces substances, il y en a une qui est toxique. Alors, l'objectif, c'est de déterminer quel est le meilleur moment pour cueillir la plante afin que les effets thérapeutiques soient les meilleurs et que les effets secondaires soient minimisés. C'est un élément extrêmement concret qui découle du réchauffement climatique et qu'on oublie.
La biodiversité, quand on en parle…
:
Je vous remercie de votre question.
ArcticNet est l'un des principaux rassembleurs de la recherche sur l'Arctique au Canada, et je dirais même dans le monde entier, car nous pouvons réunir des chercheurs multidisciplinaires au moyen de groupes de travail, de comités et de réunions scientifiques. L'un des critères fondamentaux financés par ArcticNet, c'est le fait de disposer d'équipes composées de chercheurs de différentes institutions pour former du personnel hautement qualifié, ou PHQ, provenant de différentes institutions. Cela permet de réunir automatiquement des personnes appartenant à des disciplines ou des institutions différentes, et d'accroître ainsi les aspects de la collaboration et de la contribution.
Dans nos groupes de travail et nos comités, nous veillons à réunir des personnes provenant de toutes les régions nordiques et de nos comités de gestion de la recherche pour nous assurer qu'il y a un échange d'informations entre les différentes régions qui sont représentées au sein de ces comités. Je crois qu'il est absolument essentiel que nous reconnaissions l'hétérogénéité de nos paysages et de nos populations nordiques et que nous entendions leurs voix au sein de nos comités et de nos groupes de travail.
Nous avons ce pouvoir de rassemblement parce que nous ne sommes pas coincés dans un ministère ou un organisme fédéral ou dans le secteur privé. Lorsque nous avons élaboré notre demande liée au fonds stratégique des sciences, nous voulions entendre tout le monde parler des priorités scientifiques au Canada et à l'étranger. Nous avons réuni plus de 300 personnes pour discuter des priorités de la science sur l'Arctique. Des fonctionnaires nous ont dit que c'était la première fois qu'ils s'attaquaient à cette question avec d'autres fonctionnaires. Ce sont des chercheurs de l'Arctique, mais ils n'ont pas d'endroit où se réunir.
Je pense qu'ArcticNet a vraiment un pouvoir de rassemblement, si vous voulez, qui nous permet de réunir des membres de tous les secteurs, parce que nous finançons des chercheurs provenant des universités, d'organisations autochtones, d'organisations inuites et du secteur privé. Je crois qu'il s'agit là d'un des grands points forts d'ArcticNet.
:
Merci, madame la présidente.
Ma prochaine question s'adresse à M. Voyer.
Monsieur Voyer, je veux revenir sur ce que vous avez mentionné un peu plus tôt concernant l'importance d'avoir une coconstruction des projets de recherche scientifique avec les communautés autochtones.
La dernière étude du Comité portait sur la concentration du financement de la recherche. Certaines universités se partagent la plus grande partie du financement. Pour être plus précis, 15 universités reçoivent 80 % du financement de la recherche dans l'ensemble du Canada.
Selon vous, serait-il profitable pour tout le monde si plus d'argent allait à des universités ou des centres d'études ou d'enseignement qui font de la recherche scientifique et qui sont à proximité de ces activités de recherche scientifique? Par exemple, je pense à l'Université du Yukon et au Collège Aurora, qui sont directement sur place.
Actuellement, la distribution du financement fait qu'elles ne réussissent pas nécessairement à mener des travaux de recherche scientifique sur des questions qui touchent pourtant leur territoire de près.
:
C'est une excellente question. Il faut beaucoup de temps pour établir une tradition de recherche. La formation ne se fait pas du jour au lendemain. Beaucoup d'efforts ont été investis dans la création du Centre de recherche du Nunavik et d'autres centres comme l'Institut de recherche Aurora et le Yukon Research Centre. Il va falloir du temps. Toutefois, ces centres de formation en milieu universitaire sont déjà engagés dans des activités de recherche et reçoivent déjà du financement.
Pour ce qui est de savoir s'ils en reçoivent suffisamment pour combler tous leurs besoins, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Est-il normal que 85 % du financement destiné à la recherche soit concentré dans 15 établissements? Si on faisait une vérification, on découvrirait probablement qu'il en va de même aux États‑Unis et dans les autres pays du G7. Il faut cependant que des fonds de recherche soient attribués à des projets de coconstruction qui toucheront directement les communautés.
Je parle ici de réaliser des projets qui sont pertinents pour les Inuits, pour les communautés nordiques, ce qui nécessiterait des programmes spécifiques. En ce moment, on essaie d'exporter des programmes existants du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, ou CRSNG, des Instituts de recherche en santé du Canada, ou IRSC, du Conseil de recherches en sciences humaines, ou CRSH, et de la Fondation canadienne pour l'innovation. On tente de greffer ces programmes à la réalité des communautés nordiques, ce qui est tout à fait inapproprié. Il y a lieu de revoir la façon dont se fait le financement...
:
Je vous remercie, et je vous suis vraiment reconnaissante de votre promptitude.
Je remercie également Mme Barnard, Mme Jackie Dawson et M. Normand Voyer de leurs témoignages et de leur participation à notre étude sur la science et la recherche dans l'Arctique canadien en lien avec le changement climatique. La séance a été des plus fascinantes. Vous pouvez présenter des renseignements supplémentaires par l'intermédiaire du greffier et vous adresser à lui pour toute question.
Étant donné que nous avons légèrement dépassé le temps qui nous était imparti, nous enverrons un courriel pour exposer les questions que j'allais aborder brièvement. Le courriel aura simplement pour but de vous donner un aperçu des questions auxquelles les membres du Comité doivent réfléchir à l'avenir.
Les membres du Comité consentent-ils à mettre fin à la séance?
Des députés: Oui.
La présidente: Je vous remercie de votre participation.