Bienvenue à la 91e réunion du Comité permanent des sciences et de la recherche de la Chambre des communes.
Avant de commencer, j'invite tous les membres du Comité et les autres participants à consulter les fiches disposées sur la table pour prendre connaissance des lignes directrices concernant les écouteurs et les risques de rétroaction acoustique. Nous devons protéger la santé auditive des interprètes. Je vous remercie tous de votre collaboration.
La séance d’aujourd’hui se déroule en mode hybride.
Je signale quelques règles à ceux qui participent à la séance en mode virtuel. Avant de s'exprimer, ils auront l'obligeance d'attendre que je leur donne la parole en les désignant par leur nom. Pour activer le micro ou l'éteindre lorsqu'ils ne parlent pas, ils cliquent sur l'icône prévue à cette fin.
Pour le service d’interprétation sur Zoom, chacun peut choisir, au bas de l'écran, entre le parquet, l'anglais ou le français. Ceux qui sont dans la salle se servent de l'oreillette et sélectionnent le canal souhaité.
Les députés qui sont dans la salle lèvent la main s’ils veulent prendre la parole. Sur Zoom, il faut utiliser la fonction « main levée ».
Le greffier et moi-même allons gérer l’ordre des interventions de notre mieux, et nous vous remercions de votre indulgence.
Je vous rappelle que tous les propos doivent être adressés à la présidence.
Conformément à l’alinéa 108(3)i) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mardi 31 janvier 2023, le Comité reprend son étude de la science et de la recherche dans l’Arctique canadien en lien avec le changement climatique.
J’ai le plaisir d’accueillir Aldo Chircop, professeur en droit et politiques maritimes, qui comparaît à titre personnel. De plus, Mme Heather Exner-Pirot, directrice de l'énergie, des ressources naturelles et de l’environnement au Macdonald-Laurier Institute, se joint à nous par vidéoconférence.
Vous aurez un maximum de cinq minutes pour faire votre exposé liminaire, après quoi nous passerons aux questions.
Madame Exner-Pirot, je vous invite à faire un exposé liminaire d’un maximum de cinq minutes.
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Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du Comité. Merci de m’avoir invitée à comparaître.
Un mot d’abord de mon expérience et de ma participation à la recherche sur l’Arctique.
En 2003, j’ai amorcé ma carrière en travaillant pour l’Université de l’Arctique. Il s'agit d'un réseau d’universités, de collèges, d’instituts de recherche et d’autres organisations qui s’intéressent à l’éducation et à la recherche dans le Nord et sur le Nord. Plus tard, j’ai obtenu mon doctorat en sciences politiques de l’Université de Calgary, en me spécialisant en sécurité dans l’Arctique.
Par la suite, j’ai travaillé à l'International Centre for Northern Governance and Development de l’Université de la Saskatchewan. J’y ai passé deux trimestres, dont l’un à titre de présidente de la Fiduciaire canadienne d'études nordiques, qui administrait plus d’un million de dollars par année en bourses d’études.
À l’heure actuelle, je suis directrice-rédactrice en chef de l’Arctic Yearbook, une publication annuelle évaluée par les pairs qui porte sur la politique et la sécurité dans l’Arctique. Je suis membre du Polar Institute du Wilson Center et membre du North American and Arctic Defence and Security Network. Je suis membre du Conseil consultatif yukonnais sur la sécurité dans l’Arctique et je siège au conseil d’administration de la Fondation canadienne pour la revitalisation rurale. Mes travaux récents au Macdonald-Laurier Institute ont porté sur l'énergie et l'exploitation des ressources ainsi que sur les relations avec l’industrie autochtone dans l’Ouest et le Nord du Canada, mais je m'occupe toujours de recherche sur l’Arctique.
Si j'énumère tout cela, c'est que, à propos de recherche sur l'Arctique, on a tendance à penser d'abord aux changements climatiques et aux sciences naturelles, ce que montre bien le sujet de l'étude du Comité. Personne ne contestera que c’est important et prioritaire. Néanmoins, l’accent ainsi mis sur les changements climatiques joue souvent au détriment d’autres champs d’études. Dans le financement, il est bien documenté que les sciences environnementales sont privilégiées par rapport aux sciences sociales, aux affaires et au génie. L’Université de l’Arctique a réalisé l’an dernier une analyse des publications universitaires dans le monde sur la recherche dans l’Arctique. Il a été constaté que près d’un tiers des publications portait sur les sciences de l'environnement, alors que la part des sciences sociales était de seulement 9 % et celle du génie et des sciences humaines se limitait à 4 % respectivement. Un rapport publié en avril par l’Université de l’Arctique, qui a été financé par Affaires mondiales Canada, a mis en évidence un fossé encore plus important dans le financement. Ce n’est pas étonnant, car la recherche en sciences naturelles coûte structurellement plus cher que la recherche en sciences sociales et humaines. C'est tout de même révélateur de nos priorités.
J’ai participé à des conférences où j'ai évalué des propositions de recherche et pris part à l'examen d'articles soumis à des pairs. J'y ai remarqué que les études canadiennes sur l'Arctique ont leur propre parti pris et que les fonds de recherche sont consacrés à un ensemble relativement restreint de questions. Les changements climatiques, les savoirs traditionnels, les énergies renouvelables et les effets négatifs de l’exploitation des ressources figurent en tête de liste. Il n’y a là rien de mal, mais il y a des dizaines d’autres domaines d’études importants qui manquent de fonds et de chercheurs.
Voici rapidement deux exemples.
Premièrement, à ma connaissance, il n’y a pas un seul économiste canadien qui se spécialise dans la région de l’Arctique. Je ne connais qu’un ou deux économistes de l’Arctique en Alaska et en Russie. Pensez‑y. L’environnement et les premiers habitants de la région sont bien étudiés, mais il n’y a pas de groupe solide de penseurs qui contribuent à guider le développement économique.
Deuxièmement, nous appliquons une optique étroite lorsque nous cherchons à comprendre les changements climatiques. Si on s'en tient à l'évolution de la glace de mer — sujet bien étudié, avec un bon financement —, on serait porté à croire que la navigation dans l’Arctique canadien connaît une croissance spectaculaire. En fait, cette thèse est souvent tenue pour acquise et reprise dans les discours et dans les opinions des lecteurs. Or, mes propres recherches m'ont permis de comprendre que d’autres facteurs sont beaucoup plus importants que l'évolution de la glace de mer pour savoir si la navigation augmente dans l’Arctique canadien. Il s'agit de l’économie de l’exploitation des ressources. Les décisions en matière d’investissement sont liées aux cycles des produits de base et non à la fonte de la glace de mer. Je soupçonne que le manque de diversité intellectuelle et de multidisciplinarité dans les études sur l’Arctique nous amène souvent à laisser de côté des considérations importantes pour de nombreuses questions de recherche, au‑delà de mes propres intérêts étroits en matière de recherche.
Enfin, je dirai un mot des compromis que nous avons faits dans notre approche de la recherche avec les communautés autochtones et du Nord.
Il y a derrière nous une longue histoire d'utilisation scientifique des savoirs traditionnels sans que les scientifiques demandent la permission d'utiliser ces savoirs ou en reconnaissent la valeur. Ils entrent dans des territoires traditionnels et mènent des expériences sans aviser les autorités locales ni obtenir leur consentement. Ils obtiennent des fonds pour poursuivre leurs objectifs scientifiques et faire avancer leur carrière universitaire sans jamais faire profiter les collectivités de l'Arctique des connaissances acquises ni des résultats de recherches qui leur seraient utiles. Le fait est bien reconnu. Vous avez sûrement entendu et entendrez de nombreux chercheurs parler des efforts déployés pour corriger et changer la situation en instaurant de nombreuses nouvelles relations constructives. Il faut s'en féliciter. Toutefois, j’ai aussi constaté que le dispositif bureaucratique appliqué à la recherche sur l’Arctique s'alourdit. Cette recherche devient plus coûteuse et exclusive. Des fardeaux administratifs sont imposés aux collectivités autochtones et aux gouvernements du Nord. La difficulté et la longueur des démarches ont dissuadé ou empêché des jeunes chercheurs diplômés de s'engager, comme ils le souhaitaient, dans des études sur l’Arctique.
Il faut trouver un équilibre entre, d’une part, exploiter les collectivités du Nord sans aucun égard pour elles et, d’autre part, imposer des obstacles à la recherche qui sont si lourds que nous sommes réduits à faire des recherches moins importantes. Je ne suis pas convaincue que nous ayons trouvé le juste équilibre.
Je vous suis reconnaissante de prendre le temps d’étudier ce sujet important et de veiller à ce que les efforts que nous déployons dans la recherche sur l’Arctique procurent les meilleurs avantages possible aux Canadiens, en particulier à ceux qui vivent dans la région. Souvent, on accorde beaucoup d’attention à la méthodologie, mais trop peu à l'impact.
Je vous remercie de votre attention. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
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Merci, madame la présidente. Je remercie le Comité permanent de m’avoir invité à comparaître.
Je comparais à titre personnel, en tant que professeur de droit et de politiques maritimes, spécialisé dans la réglementation du transport maritime polaire. Je travaille à l’Université Dalhousie.
Mon exposé portera sur les besoins en matière de recherche de la gouvernance de la navigation dans l’Arctique à une époque de transition dans l’Inuit Nunangat, expression inuktitute qui désigne les eaux arctiques canadiennes.
Les eaux de l'Arctique sont de plus en plus accessibles. Les changements climatiques et la disparition progressive de la glace de mer permettent une navigation plus intense et diversifiée. L'intensification de la navigation aura des conséquences à la fois positives et négatives. Une robuste gouvernance de la navigation s'impose si nous voulons en tirer le maximum d'avantages tout en prévenant les conséquences négatives. Je soutiens que les aspects de la gouvernance internationale et nationale de la navigation polaire ne sont pas suffisants pour protéger l’environnement marin de l’Arctique, qui est unique et très fragile.
Bien qu’il existe depuis 10 ans, le Code polaire de l’Organisation maritime internationale est un texte de première génération. Il est le fruit d’un consensus, fondé sur le plus petit dénominateur commun, c’est-à-dire sur ce que les États membres de l’OMI ont pu accepter. Par conséquent, malgré des propositions visant à répondre à des préoccupations environnementales plus vastes au sujet du transport maritime, le Code ne porte que sur les déchets huileux et les substances liquides nocives dans les égouts et les déchets, mais il ne réglemente pas la pollution atmosphérique, notamment par le carbone noir, la gestion des eaux de ballast, les eaux grises, le bruit sous-marin ou d’autres risques environnementaux dans le contexte polaire. Même en matière de sécurité maritime, certaines normes du Code polaire sont insuffisantes, comme celle sur l’équipement de sécurité permettant la survie jusqu’au sauvetage.
Récemment, le Canada a réussi à persuader l’OMI de désigner les eaux arctiques canadiennes comme zone de contrôle des émissions d’oxydes de soufre, d’oxydes d’azote et de matières particulaires en vertu de la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires. La désignation sera officiellement adoptée en octobre prochain. Pour se conformer aux normes de contrôle des émissions, un navire devra soit utiliser du carburant à faible teneur en soufre, soit installer un épurateur, c’est-à-dire une machine à bord du navire qui élimine le soufre et permet ainsi de continuer à utiliser du mazout lourd. En particulier, les épurateurs à boucle ouverte produisent de l’eau de lavage très acide contenant des substances nocives qui polluent le milieu marin.
On pourrait faire valoir que l’interdiction de l’OMI portant sur l’utilisation et le transport de mazout lourd dans les eaux arctiques, qui entre en vigueur le 1er juillet prochain, atténuera peut-être les risques de pollution. Cependant, pour certains navires qui répondent à une norme de construction particulière, le règlement n’entre en vigueur que le 1er juillet 2029. De plus, les États côtiers de l’Arctique, dont le Canada, peuvent lever l’interdiction pour leurs navires jusqu’au 1er juillet 2029. L’effet est de prolonger jusqu’en 2029 le risque posé par le mazout lourd dans l’environnement marin de l’Arctique.
Il faut vraiment mener davantage de recherches pour mieux comprendre les faiblesses de la réglementation en matière de sécurité et d’environnement dans le transport maritime polaire et, par conséquent, pour aider à intégrer et à mettre à jour les normes internationales. Il y a une autre dimension à tout cela, et c’est qu’un système de gouvernance solide ne va pas sans équité en matière de réglementation. Les organisations inuites n’ont pas participé à l’élaboration du Code polaire de l’OMI. Leurs voix et leurs connaissances auraient pu grandement contribuer à l’élaboration de la réglementation, mais elles n’ont pas été prises en compte. Ce n’est que récemment que le Conseil circumpolaire inuit a obtenu un statut consultatif provisoire à l’OMI afin que les Inuits puissent se faire entendre et contribuer à l’élaboration de la réglementation.
Bien qu’il y ait de nombreuses recherches scientifiques sur la navigation dans l’Arctique en général, il y a relativement peu de recherches sur l’interface entre la réglementation maritime — comment nous réglementons les navires, en d’autres termes — et les droits des Autochtones en général, et en particulier les droits des Inuits, le savoir traditionnel inuit — ou IQ, soit Inuit Qaujimajatuqangit — et le droit inuit. Soit dit en passant, l’initiative Qanittaq pour la navigation propre dans l’Arctique, un nouveau projet de recherche récemment financé par le Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada et codirigé par l’Université Memorial de Terre-Neuve et le Conseil circumpolaire inuit, dirige un consortium d’universités, y compris mon université, pour entreprendre ce type de recherche.
Madame la présidente, je termine mon exposé sur deux points.
Premièrement, il faut chercher à voir si les normes internationales de navigation polaire et leur application au Canada et dans l’Inuit Nunangat sont suffisantes et robustes, et comment il est possible de combler les lacunes et de renforcer de manière intégrée les normes environnementales et de sécurité.
Deuxièmement, il faut appuyer le renforcement des capacités des organisations inuites afin de rendre possible pour elles un engagement significatif dans les complexités de la gouvernance de la navigation polaire.
Merci. Nakurmiik.
Il pourrait aborder la question du financement. Nous avons besoin de diplômés. Comme je l'ai dit, je ne connais aucun économiste qui s'intéresse à l'Arctique. Il y a très peu de politologues, comme moi, qui examinent l'économie politique. Nous devons renforcer une partie de cette capacité, et même l'analyse statistique, autant d'éléments qui sont laissés aux territoires eux-mêmes pour le moment.
Je songe aussi au génie. Cette discipline reçoit bien peu de fonds. Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'ingénieurs qui soient allés dans l'Arctique canadien. La capacité de mettre au point de nouvelles technologies qui répondent aux besoins très particuliers des collectivités éloignées ne sera pas développée par des gens qui ne sont jamais allés sur place. Nous devons amener les collectivités et les ingénieurs à collaborer pour trouver ce qui fonctionne réellement dans ces collectivités et cerner les défis techniques à relever. Nous utilisons encore mal les technologies du XXe siècle dans l'Arctique.
Il y a donc le développement économique et le génie. J'avais une troisième idée en tête.
Vous avez parlé de politique étrangère. Nous avons tendance à nous concentrer sur la défense. Nous mettons l'accent sur les aspects juridiques, mais notre politique étrangère s'affaiblit. Dans l'ensemble de la région de l'Arctique, on accorde moins d'attention à la politique étrangère.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Bienvenue aux deux témoins de ce matin.
Je vais adresser mes questions à M. Chircop.
C'est toujours agréable de voir un Canadien de l'Atlantique, particulièrement un Haligonien, et un professeur de droit maritime de Dalhousie.
Monsieur Chircop, j'ai deux questions à vous poser et je vais vous donner le temps de répondre.
Permettez-moi d'abord de poser mes questions.
Vous avez parlé de deux choses importantes — probablement plus, mais je m'en tiens à deux. La première, c'est qu'il faut davantage de recherche sur la sécurité et l'environnement. Vous avez également souligné qu'il était important que les Inuits aient leur mot à dire sur la réglementation et le transport maritimes.
Quant au deuxième point, comment pourrions-nous donner suite à la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones à propos de la navigation dans l'Arctique?
Je vais vous donner tout le temps dont vous avez besoin.
Le temps de parole est probablement limité aux six minutes dont vous disposez. Ce sont d'excellentes questions, et je vous en remercie.
Certes, sur le plan de la sécurité, en raison de l'éloignement de la région et du manque d'infrastructures, nous savons qu'il y a de réels défis à relever pour secourir ceux qui naviguent dans les régions éloignées. Plus on s'éloigne vers le nord, plus notre capacité d'intervention est limitée. Il y a la sécurité du point de vue de la recherche et sauvetage et aussi la sécurité pour ceux qui fournissent les services de recherche et de sauvetage. Il y a également la question de la sécurité à bord des navires.
Les propriétaires de navires de croisière et de petites embarcations de plaisance commencent à manifester de plus en plus d'intérêt. Il faut tenir compte de l'existence de normes internationales en matière d'équipement pour permettre la survie jusqu'à ce que les services de sauvetage atteignent les personnes en détresse. La recherche nous apprend que ces normes sont insuffisantes. Elles visent essentiellement à assurer la survie pendant un maximum de cinq jours pour ce qui est des vêtements, de provisions, etc. Mais à cause de l'éloignement, nous pourrions avoir besoin de plus de cinq jours pour atteindre les sinistrés. Entretemps, leur équipement et leurs vivres ne suffiraient pas pour qu'ils survivent.
Vu les normes actuelles, il y a un danger réel que nous ayons — Dieu nous en préserve — un incident où il y aurait des pertes importantes. Il pourrait y avoir des risques très graves pour la vie humaine. Il est clair que nous avons besoin de sécurité à bord des navires, de normes de sécurité pour assurer la survie, mais aussi de sécurité pour ceux qui travaillent à bord des navires.
Quant à la deuxième question — en particulier à propos de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones —, le Comité se souviendra que cette loi fédérale importante a engagé le Canada à mettre en œuvre la Déclaration et, essentiellement, à examiner la législation fédérale pour permettre sa mise en œuvre.
Essentiellement, il s'agit d'un engagement générique à l'égard de toute loi pertinente. Je dirais que cela englobe la législation maritime. En effet, il faut tenir compte des cadres juridiques que nous avons pour la réglementation du transport maritime partout au Canada, y compris, bien sûr — puisque nous nous intéressons à l'Arctique — dans le Nord.
Cela voudrait dire, par exemple, que nous devrions revoir la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques et une série d'autres lois. En effet, nous avons une longue liste de lois, notamment maritimes, qui s'appliquent dans le Nord, et nous devons voir comment la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones peut être mise en œuvre au moyen de ces lois.
Je vais vous donner un exemple de la pertinence de la Déclaration pour éclairer la législation fédérale. Elle oblige les États à protéger l'environnement de manière à permettre aux peuples autochtones d'exercer leurs droits. Nous devons être particulièrement conscients de l'éventail des risques pour l'environnement que présente l'industrialisation dans le Nord. Elle pourrait nuire aux intérêts des peuples autochtones. Plus de navires, par exemple, cela veut dire plus de bruit. L'augmentation du bruit aura des répercussions sur un éventail d'espèces et d'écosystèmes. Et s'il y a plus de navires, il faudrait peut-être un plus grand nombre de brise-glaces pour les saisons intermédiaires et ainsi de suite, ce qui signifie qu'il est possible de perturber les routes de glace des Inuits, le mouvement des animaux sur la glace, etc.
Il y a toute une gamme de répercussions environnementales possibles que nous pouvons prévoir. Par conséquent, il serait important pour nous d'avoir le cadre législatif qui prévoit ces risques.
J'espère avoir répondu à vos questions.
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Je vous remercie de cette importante question.
Bien sûr, l'Arctique est son propre contexte. C'est très différent des autres régions où l'infrastructure est beaucoup plus développée. La Méditerranée, par exemple, a une très longue histoire, avec un très vaste réseau portuaire. Essentiellement, il y a des plateformes pour offrir des services en mer dans toute la région. Ce n'est pas le cas dans l'Arctique, surtout dans notre partie de l'Arctique, où l'infrastructure laisse certainement beaucoup à désirer.
Sur le plan des normes, nous sommes comparables aux autres États de l'Arctique. Nous nous comparons à des États semblables — mettons, aux quatre autres États du centre de l'Arctique — parce que nous sommes tous parties aux conventions de l'OMI, c'est-à-dire de l'Organisation maritime internationale. Nous avons tous mis en œuvre le code polaire, qui comporte des normes de sécurité et de prévention de la pollution. Essentiellement, les lois et les règlements sont dans une large mesure théoriquement.
Il y a quand même des différences importantes. Pour nous, il y a quelque chose que nous avons et que les autres États de l'Arctique n'ont pas. Nous avons maintenant une zone de contrôle des émissions, qui sera officiellement adoptée plus tard cette année. Ce sera en fait un pas en avant par rapport aux autres États de l'Arctique.
Pour ce qui est des capacités de recherche et de sauvetage, par exemple, les Norvégiens sont peut-être plus avancés que nous, mais leurs zones sont beaucoup plus petites que l'Arctique canadien.
Du côté des normes environnementales, nous pourrions apporter certaines améliorations. Par exemple, nous pourrions peut-être prendre plus de précautions en ce qui concerne le bruit généré par la présence d'un plus grand nombre de navires dans la région. Nous pourrions peut-être adopter une position plus ferme sur le rejet des eaux grises par les navires, surtout les navires à passagers. Je suggérerais que nous adoptions peut-être une position plus ferme sur le sujet du mazout lourd, parce que nous nous sommes positionnés, d'une certaine façon, pour accorder certaines exemptions aux navires qui continuent d'utiliser du mazout lourd, alors que cela n'est pas sans risques.
Nous sommes en avance sur les autres à certains égards. À d'autres égards, nous ne sommes peut-être pas nécessairement en avance.
Il faut aussi tenir compte de ce qu'il y a une grande différence entre les intérêts du transport maritime et ceux des Inuits, à savoir que le transport maritime doit se faire en eau libre. Dans les régions où ils ont des routes de glace, de la chasse et des moyens de subsistance et peut-être des camps temporaires sur la glace, les Inuits ont besoin de la glace pour leur sécurité. On craint, par exemple, que la réforme de la glace après le passage des brise-glaces empêche les chasseurs de rentrer chez eux en toute sécurité.
Je dirais que nous avons probablement une plus grande responsabilité que les autres États de l'Arctique en raison de la géographie et de la démographie particulières de la région et de son importance sociale et culturelle. N'oubliez pas non plus que nous sommes dans la patrie des Inuits. Il ne s'agit pas seulement d'une autoroute prête à ouvrir à la navigation; il s'agit essentiellement d'un espace important pour la subsistance, la culture, l'identité et ainsi de suite, et je dirais que, oui, nous avons une plus grande responsabilité.
La raison pour laquelle je ne m'inquiète pas trop du transport maritime, c'est qu'il est encore très coûteux d'extraire des métaux et des minéraux de l'Arctique. Il n'y a pas de gisements découverts. Il n'y a pas de projets qui indiqueraient que nous allons voir, par exemple, une autre mine de fer de Mary River ou une autre mine Raglan dans l'Arctique canadien dans un proche avenir.
La plus grande contrainte, encore une fois, est le prix du produit et le coût de l'infrastructure. Les diamants, l'or et l'argent connaissent une croissance réelle, car on peut les expédier par avion, et ne nécessitent pas beaucoup d'infrastructure. Pour avoir plus de cuivre ou de nickel, il faudrait un chemin de fer ou une route quelconque. La seule raison pour laquelle nous avons cette excellente mine de fer au Nunavut, c'est qu'elle est toute proche de l'eau de marées, de sorte que le minerai est facile à charger dans les navires, qui vont habituellement vers l'est plutôt que vers l'ouest jusqu'au passage du Nord-Ouest. Le manque d'infrastructure constitue un énorme goulot d'étranglement pour la production de ces minéraux critiques dans l'Arctique.
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Je vous remercie pour cette question.
Un de nos collègues, M. Frédéric Lasserre, a mené une étude très intéressante pour savoir dans quelle mesure l'industrie envisage d'utiliser le passage du Nord-Ouest. En fait, s'il comparaissait ici, il serait probablement un excellent témoin pour ce comité.
Essentiellement, il a découvert que les armateurs ne se précipitent pas encore pour construire des navires de calibre mondial. Cela s'explique peut-être par un certain nombre de facteurs qui s'appliquent à l'Arctique canadien. La situation de l'Arctique russe est complètement différente. Évidemment, ce paradigme pourrait changer. Mme Dawson faisait peut-être allusion à la situation suivante: qu'arriverait‑il en cas de perturbation majeure des routes maritimes établies? Les routes du Nord subiraient-elles plus de pression? En théorie, c'est possible, mais n'oublions pas que le transport dans le Nord est saisonnier, alors que le canal de Panama est ouvert tout au long de l'année.
Les saisons dans l'Arctique — la saison de navigation, l'intersaison, etc. — sont difficiles à prévoir. Cela pourrait vraiment décourager la navigation dans les eaux du Nord.
Évidemment, il faut aussi tenir compte de l'état des infrastructures...
Je vais présenter quelques lignes directrices à l'intention des nouveaux témoins.
Je vous demanderai qu'avant de parler, vous attendiez que je vous donne la parole en vous appelant par votre nom.
Si vous participez par vidéoconférence, veuillez cliquer sur l'icône du microphone pour activer votre micro et, s'il vous plaît, éteignez‑le quand vous ne parlez pas.
Les gens qui participent sur Zoom peuvent entendre l'interprétation. Vous pouvez choisir entre l'anglais et le français au bas de votre écran. Les personnes présentes dans la salle peuvent utiliser l'oreillette et sélectionner le canal désiré.
J'ai maintenant le plaisir d'accueillir, à titre personnel, M. Nicolas Brunet, professeur associé. Nous accueillons aussi Mme Jessica Shadian, présidente et cheffe de la direction de l'organisme Arctic360.
Vous avez cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions.
Monsieur Brunet, je vous invite à faire une déclaration préliminaire d'un maximum de cinq minutes.
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Je vous remercie de m'avoir invité à vous parler de ce sujet.
Je suis professeur associé et planificateur agréé à la School of Environmental Design and Rural Development de l'Université de Guelph. Je fais de la recherche interdisciplinaire sur les dimensions humaines des changements environnementaux et sur la gouvernance de la recherche. Depuis 2006, je travaille dans les régions arctiques et subarctiques du Canada en étroite collaboration avec des consultants, des étudiants et des professeurs inuits et de Premières Nations.
Je vais surtout vous parler de nos conditions de travail au Nunavut. Je vais me concentrer sur deux questions. La première vise à déterminer si les populations de l'Arctique et du Nord disposent des infrastructures, des outils et des fonds nécessaires pour participer à la recherche.
À mon avis, certaines subventions de recherche répondent aux besoins et offrent de nouvelles possibilités qui sont plus accessibles aux populations du Nord et aux Inuits en particulier. Certaines de ces subventions sont fédérales. J'ai remarqué, en examinant les demandes de financement des partenaires du Nord, que certains portails des trois conseils et certaines exigences des demandes sont mal adaptés à la variabilité des niveaux de connaissance en informatique et de fiabilité d'accès aux services Internet dans certaines communautés. On se demande si ces possibilités atteignent tout le monde de façon équitable. Par conséquent, la plupart des possibilités offertes nécessitent encore une certaine direction du Sud. Toutefois, la création de collèges et d'universités décernant des diplômes dans l'Arctique, comme l'Université du Yukon me redonne un peu d'espoir. Elle renforce énormément les capacités du Nord pour le Nord.
Cela dit, la recherche physique communautaire n'est que trop rare. Nous avons tendance à oublier qu'une grande partie de la recherche pratique n'a rien à voir avec la collecte d'information sur le terrain ou sur les terres. La majeure partie du travail se fait devant un écran pour demander des fonds, analyser et interpréter des échantillons et des données et rédiger une description du travail. Une étude que mène l'une de mes étudiantes diplômées, Sarah‑Anne Thompson, avec le groupe inuit Ikaarvik à Pond Inlet, au Nunavut, suggère que la majeure partie de la recherche communautaire se fait encore au domicile des gens. Les gens du Sud trouvent peut-être cela acceptable, mais cela ne tient pas compte de la crise du logement qui sévit au Nunavut et dans d'autres régions. Les gens manquent d'espace intérieur pour vivre et se réunir dans un milieu sain et en toute sécurité.
L'utilisation des stations de recherche pour la recherche communautaire est une zone grise au sujet de laquelle je réfléchis aussi depuis quelques années. On trouve dans l'Arctique un bon nombre de stations de recherche fédérales, territoriales et universitaires qui servent les communautés de diverses manières. Je travaille en étroite collaboration avec Environnement et Changement climatique Canada à Pond Inlet, au Nunavut, et j'utilise la station de recherche qui s'y trouve depuis des années. Mes collègues de ce ministère désirent fortement soutenir la science communautaire, mais ils semblent se heurter à un certain nombre d'obstacles qui les empêchent d'accorder l'utilisation de ces installations. Toutefois, cela dépasse la portée de cette présentation.
À mon avis, ce n'est pas une solution, cependant. Si les peuples de l'Arctique veulent participer activement aux activités scientifiques entreprises sur leurs territoires traditionnels, ils ont besoin d'espaces physiques, et nous devons leur permettre de diriger la création de ces espaces.
Ma deuxième question vise à déterminer si la collaboration en science et en recherche dans l'Arctique se fait de façon significative avec les populations locales autochtones. Depuis près de 100 ans, les chercheurs et la science menée dans la région se fondent sur le savoir inuit, ou Inuit Qauijimajatuqangit, et notamment les compétences liées à la terre. Cette relation a beaucoup évolué grâce aux progrès technologiques et au transport, mais elle demeure importante.
Je vais me pencher un peu sur l'adjectif « significative » qui, à mon avis, mérite beaucoup plus de réflexion. La signification de la collaboration ou du partenariat est directement liée au niveau d'influence de la communauté inuite et, en fin de compte, à son contrôle des programmes de recherche menés sur son territoire. Les communautés ne seront probablement jamais en mesure de diriger la grande majorité de la recherche qui se fait sur leur territoire parce que la recherche dans l'Arctique est vaste, diversifiée et nécessite d'énormes ressources. Néanmoins, je pense que l'autodétermination devrait être au cœur de la négociation des politiques de recherche sur l'Arctique.
En effectuant récemment des examens quantitatifs systématiques de la documentation sur l'évolution, le degré et la nature de l'engagement communautaire en recherche sur l'Arctique, j'ai relevé quelques faits saillants.
L'engagement local dans la recherche sur l'Arctique n'a que légèrement augmenté depuis 1965, avec quelques nuances importantes que je n'ai pas le temps de présenter maintenant.
Les études sur l'Arctique dirigées par des auteurs sont négligeables. Entre 1965 et 2020, elles représentaient moins de 1 % de l'ensemble de la recherche. Nous avons constaté que 10 % des études menées au cours de ces 10 dernières années ont été réalisées par des auteurs locaux ou communautaires, ce qui est très prometteur.
Enfin, l'accent mis de nos jours sur les changements climatiques et planétaires s'avère extrêmement utile pour promouvoir l'engagement communautaire en science de l'Arctique. Il indique un désir réel et sincère de soutenir ce domaine scientifique.
Merci beaucoup.
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Merci beaucoup de m'avoir invitée.
Mes observations découlent de plus de vingt ans d'expérience de résidente et de chercheure universitaire dans le domaine de la recherche sur l'Arctique. Je détiens un doctorat en relations internationales. J'ai vécu et travaillé en Islande, en Norvège du Nord, en Laponie, en Finlande, en Suède, au Danemark, au Royaume‑Uni et aux États‑Unis avant de m'installer au Canada et de devenir PDG d'Arctic360.
Parmi ses activités, Arctic360 se concentre sur la recherche dans l'Arctique visant à traduire la recherche primaire en savoir pour le grand public. Cette activité s'insère dans deux projets de recherche internationaux menés à cet égard. Aujourd'hui, je vais me concentrer sur la politique et la stratégie scientifiques liées à l'innovation dans l'Arctique.
Les changements climatiques sont réels. Leurs impacts touchent toute la région de l'Arctique. Au Canada, ils influent sur la sécurité et le bien-être des peuples autochtones et de tous les habitants du Nord ainsi que sur la sécurité et la prospérité nationales du pays.
La recherche du Canada sur les changements climatiques vise à comprendre à la fois les changements climatiques et leurs impacts, notamment sur les communautés du Nord, ainsi que l'adaptation à ces impacts. Toutefois, à mon avis, notre approche face à cette adaptation est limitée, parce que nous sous-estimons le potentiel du milieu universitaire et parce que nous n'avons pas de stratégie pour l'Arctique.
Je vais vous expliquer d'où vient cette conclusion. Nos voisins de l'Arctique utilisent les défis que posent les changements climatiques pour innover, prospérer, sécuriser et renforcer leurs propres communautés de l'Arctique et leur pays.
La stratégie de la Suède sur l'Arctique, par exemple, met l'accent sur les possibilités que le climat de l'Arctique crée, ce qui lui permet d'exporter dans le monde entier les produits de son innovation. Le gouvernement suédois explique que les grappes d'innovation de calibre mondial qu'il maintient dans l'Arctique transforment les connaissances en nouveaux produits et services. Cette réussite est due à la collaboration entre les entreprises, le milieu universitaire et le secteur public ainsi qu'à celle des petites entreprises dans les chaînes de sous-approvisionnement. Il ajoute que le climat froid et les régions peu peuplées de l'Arctique offrent des espaces d'essai et de démonstration aux industries de l'aviation, de l'automobile et de l'espace.
Dans sa propre stratégie sur l'Arctique, la Norvège affirme que de développer le Nord pour en faire une région forte, dynamique et hautement compétente est le meilleur moyen de protéger les intérêts norvégiens dans l'Arctique. Le gouvernement appuiera l'innovation, l'entrepreneuriat et les entreprises en démarrage dans le Nord. Il soutiendra plus particulièrement les industries océaniques du Nord ainsi que le secteur maritime, le pétrole, la fabrication à forte intensité d'énergie verte, l'extraction minière, l'agriculture, le tourisme et l'infrastructure spatiale. Par exemple, la mission des grappes norvégiennes situées dans l'Arctique consiste à acquérir de l'expertise, à développer l'innovation et à contribuer à la commercialisation et à la mise à l'échelle de solutions pour les nouvelles chaînes de valeur vertes ainsi qu'à la transformation numérique et à la construction d'infrastructures pour le développement novateur.
La Finlande — où se trouve l'Arctic VTT Technical Research Centre — a transformé un tronçon de l'autoroute arctique E8 entre la Norvège et la Finlande en une piste d'essai pour les véhicules électriques, précisément parce que les conditions météorologiques extrêmes rendent cette route enneigée, glacée, sombre et venteuse. On y a intégré des capteurs pour mesurer les vibrations, le poids, la pression, l'accélération, la glissance de la surface, etc.
À Longyearbyen, dans l'archipel du Svalbard, le gouvernement a mené un projet pilote d'habitation en construisant trois nouveaux immeubles d'appartements, car le Nord a bien besoin de logements. Il a installé des capteurs dans le sol pour mesurer les impacts de la construction d'acier sur l'état changeant du pergélisol. Ces données éclaireront la construction d'infrastructures plus résilientes aux changements climatiques.
Au Canada, par contre, les 94 chambres d'hôtel et le centre de conférence d'Iqaluit, qui datent de 2019, ne sont que des chambres d'hôtel modulaires fabriquées et importées de Chine. Le territoire du Nunavut n'a pas d'université.
Les projets, comme le Programme de l'initiative d'adaptation des transports dans le Nord que d'autres témoins vous ont mentionné, sont très importants. Ce programme collabore avec l'industrie. Il met l'accent sur l'adaptation, mais pas sur l'innovation. Par exemple, on y utilise des systèmes de fondation à siphon thermique pour contrer la fonte du pergélisol. Cependant, cette technologie est brevetée et importée des États‑Unis.
Cela nous amène aux grandes lacunes stratégiques en matière de recherche dans l'Arctique canadien. Innovation, Sciences et Développement économique Canada, par exemple, ne travaille pas dans le Nord. Bien que ce ministère tienne un bureau à Terre‑Neuve‑et‑Labrador, il confie la responsabilité de l'ensemble des Territoires du Nord-Ouest à la Saskatchewan, l'ensemble du Nunavut à Montréal et le Yukon à la Colombie‑Britannique. Bien que 75 % des côtes canadiennes se trouvent dans l'Arctique, il n'y a pas de projet de supergrappe dans l'Arctique.
Ces lacunes s'articulent cependant dans le cadre d'une vaste conversation sur la valeur globale, le potentiel et le rôle du Nord dans la conscience du Canada. Nous y voyons des défis, des crises et de l'impossibilité, alors que nos voisins y voient des possibilités de recherche et d'innovation. Ils savent que la force des régions nordiques complète la force des nations de l'Arctique, et ils font les investissements stratégiques nécessaires.
Les nombreuses conversations du Canada sur la R‑D, l'innovation, les entreprises en démarrage, le capital de risque et les investissements dans les fonds de pension ont-elles déjà porté sur l'innovation dans le Nord? Il faut pour cela établir une vision, un leadership et une réflexion stratégique à l'échelle nationale qui se concrétise dans une stratégie pour l'Arctique. Nous devons établir des liens entre la science — avec le savoir autochtone —, l'innovation, la défense, les investissements en capital et le renforcement des capacités et des infrastructures dans le Nord. Nous réussirons ainsi à répondre aux besoins des habitants du Nord, à enrichir nos connaissances et à favoriser un écosystème d'innovation dans le Nord. Cela nous permettra d'assurer la viabilité, la sécurité et la prospérité du Nord et de placer le Canada en tête de file des pays de l'Arctique.
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Merci, professeur Brunet.
Je reviens sur l'essentiel de votre étude. Vous avez parlé de codéveloppement. Les gens du Centre d'études nordiques qui sont à l'Université Laval, à Québec, ont quand même 60 ans d'expertise, ce qui n'est pas rien. Ils ont parlé de la nécessité de ce codéveloppement.
J'aimerais poser une question beaucoup plus pragmatique. Vous avez parlé des expériences et du savoir autochtone que ces gens ont sur leur propre territoire. Si, en regardant la science et les expériences autochtones, on n'observe pas les mêmes choses, à quoi devons-nous accorder la priorité? Nous élaborons des politiques publiques, ici. Or, nous avons besoin de savoir qui dit les vraies choses et qui peut dire autre chose. De votre point de vue d'expert, quand on arrive devant ce fait, que devons-nous faire?
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Je dirais qu'il est très rare que ça arrive, parce que, souvent, on regarde le même problème sous un angle complètement différent. Souvent, même quand on semble dire des choses différentes, il y a une complémentarité, à mon avis.
Il faut comprendre que les connaissances autochtones ne sont pas juste des données ou de l'information, mais une façon de procéder. Il faut développer des connaissances ensemble, avoir des relations professionnelles, et déterminer comment faire notre travail de scientifiques. Ne l'oublions pas. Ça nous donne un genre de guide pour travailler ensemble.
Cependant, quand il y a des problèmes, je dirais qu'il faut revenir à la gouvernance et à la raison première du projet, et déterminer ce qui est important. Si on se pose cette question dans une équipe regroupant des gens locaux, des Autochtones et autres autour d'une table, on est capable de trouver des solutions, de décortiquer un peu les différences et, souvent, de se rendre compte que ce n'est pas si différent qu'on le pensait. Je n'ai pas d'exemple précis à vous donner à cet instant, mais je dirais qu'il n'arrive pas souvent que ça crée vraiment un conflit.
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Merci aux deux témoins.
Je vais poursuivre avec M. Brunet.
Vous avez parlé de la capacité dans le Nord et d'une situation que nous observons dans une grande partie du Canada rural — pas seulement dans le Nord, mais c'est particulièrement vrai dans le Nord — en ce qui concerne la capacité de travailler, en particulier s'agissant de la science et de la recherche.
Il y a quelques mois, le Comité a réalisé une étude sur la science citoyenne, qui fait appel aux talents, à l'enthousiasme et, dans certains cas, à l'encadrement de personnes de la région qui ne sont pas des scientifiques formés, mais qui réalisent des projets conçus scientifiquement par des scientifiques formés. Les données ont été recueillies de façon appropriée et analysées.
Je me demande si ce modèle pourrait être utilisé, et combiné à la présence de petits instituts dans l'ensemble de l'Arctique qui pourraient servir de centres de service à cet effet, ce qui nous aiderait à contourner ce problème de capacité.
Qu'en pensez-vous?
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Le concept de science citoyenne n'est certainement pas facile à appliquer dans l'Arctique. Même le mot « citoyen » est un peu délicat à employer dans ces contextes.
Le problème avec le modèle de la science citoyenne... La science citoyenne rassemble des gens comme moi, qui peuvent observer les geais bleus dans leur jardin et qui ne connaissent rien à l'ornithologie, et des gens qui peuvent être des experts dans ce domaine.
Dans le contexte autochtone, cela dévalue en quelque sorte l'idée du savoir autochtone et de cette expertise, qui est multigénérationnelle. Je suis certain que vous avez entendu parler des connaissances autochtones au cours des dernières semaines. Il semble y avoir une certaine forme de résistance.
Je dirais qu'au sein des collectivités autochtones, il y a des gens qui sont des experts reconnus et qui ont les connaissances, qui peuvent contribuer à ce genre de projet et qui sont déjà extrêmement engagés dans la science. À vrai dire ils font partie des gens qui sont en train de s'épuiser à cause de nos exigences — nos exigences croissantes qui leur prennent de plus en plus de temps —, parce que désormais nous parlons de ces sujets importants, alors nous faisons appel à ces experts.
Je travaille beaucoup avec les jeunes — les jeunes Inuits — et nous essayons d'élaborer ce genre de programmes. Nous essayons de valoriser leurs connaissances, notamment parce qu'ils ont un pied dans une perspective plus occidentale. Ils utilisent des téléphones cellulaires et sont très à l'aise avec la technologie.
Nous essayons de trouver des façons d'appliquer ce genre de modèle. Nous parlons généralement de programmes communautaires de surveillance. Je travaille beaucoup avec le MPO et ECCC pour établir cette capacité à partir de la base, surtout auprès des jeunes.
Oui, c'est un bon modèle, mais il pourrait peut-être porter un nom différent dans ce contexte.
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Je pense que cela nous renvoie à ce que l'autre témoin a dit, à savoir que les collectivités sont hétérogènes. Il est difficile de comprendre les désirs des collectivités. J'ai l'habitude de travailler avec certains groupes de dirigeants pour comprendre cela. Je discute avec les gens. C'est un peu ce que je fais, n'est‑ce pas? Je discute avec les gens de ce qu'ils attendent de la recherche. C'est exactement le genre de choses que je fais.
Une fois que vous avez établi cela, pour faire de la bonne recherche en ville, vous avez besoin de toute une série de choses et c'est ce sur quoi je travaille en ce moment. Je mène actuellement un projet de recherche sur l'infrastructure de recherche dans les collectivités et sur ce que cela signifie. L'un des enjeux, comme je l'ai dit, est l'espace communautaire. Il n'y a pas d'espaces disponibles. Je travaille à Pond Inlet, par exemple, qui est un hameau relativement grand au Nunavut. Il y a une station de recherche d'Environnement Canada qui est assez petite, et il n'y a pas vraiment de place disponible pour la recherche communautaire.
C'est ce que j'essayais de faire valoir tout à l'heure. Nous avons tendance à penser que la recherche dans l'Arctique se fait à l'extérieur, sur le terrain, mais qu'en est‑il des demandes de subventions? Qu'en est‑il de l'analyse des données? Qu'en est‑il de l'espace de laboratoire pour les collectivités?
Certains le font. Ils ont des partenariats avec l'Université Laval, par exemple, et on a parlé tout à l'heure du Centre d'études nordiques. Ce sont des endroits qui construisent activement des stations de recherche et qui essaient d'établir de bons partenariats pour les concevoir. Je pense que ce sera vraiment utile.
Je le répète, je pense que l'idée serait d'avoir quelque chose de plus que le Collège de l'Arctique. C'est merveilleux, mais il n'y a pas grand monde à Iqaluit. Il serait formidable d'avoir une université décernant des diplômes au Nunavut, parce que les gens pourraient s'y former au lieu de venir dans le Sud. Quelques étudiants et collègues du Nunavut ont essayé de venir dans le Sud pour obtenir un diplôme, mais cela n'a souvent pas donné de bons résultats pour eux.
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Permettez-moi de clarifier. Je fais de la recherche dans l'Arctique et comme chercheuse spécialiste de l'Arctique depuis 20 ans, j'ai vécu dans l'Arctique pendant environ 6 ans. Je voulais que ce soit clair, parce que je ne vis pas dans le Nord en ce moment.
Je pense qu'il est absolument nécessaire de passer du temps dans le Nord pour s'en faire une idée et le comprendre, pour connaître le contexte et l'analyser. S'ils veulent faire de la recherche là‑bas ou se concentrer là‑dessus, les Canadiens devraient se rendre dans le nord de leur pays. Pour ma part, cependant, le fait de vivre dans le Nord de la Norvège m'a montré en quoi la vie par 72° de latitude nord était différente et j'ai pu découvrir les caractéristiques de cette partie septentrionale de mon pays sur le plan de la prospérité, du développement économique et de la qualité de vie des gens. Cela m'a beaucoup éclairé. Pourquoi pensons-nous que tout y est impossible, qu'il fait trop froid et qu'on ne peut rien faire? Je pense qu'il y a un problème de volonté nationale vis‑à‑vis du Nord. Lorsque je vivais là‑bas, j'avais une connexion Internet extraordinaire que je me trouve dans un tunnel ou sur un pont, cela n'avait pas d'importance, je pouvais continuer à téléphoner.
Si vous voulez faire de la recherche dans le Nord, il est évident que vous devez y passer du temps, et pas seulement deux semaines en faisant l'aller-retour en avion, ce genre de choses. Il faut se rendre sur le terrain.
Je pense aussi que nous avons besoin de plus de possibilités. Cela nous ramène au fait d'avoir des établissements, des établissements universitaires à part entière, dans le Nord. Nous avons besoin de plus de possibilités pour les gens qui font de la recherche, ou qui veulent en faire, d'aller travailler dans le Nord, d'y rester et d'y vivre.
J'ai été approchée par un professeur de génie mécanique à l'Université de Toronto, qui voulait participer au dernier appel dans le cadre de cette initiative conjointe internationale de développement durable de l'Arctique dirigée par NordForsk. Il fait partie d'un centre de technologie avancée des revêtements. Il m'a dit qu'il savait que nous faisions de l'innovation dans l'Arctique et en dehors de l'Arctique et que notre équipe de direction était composée à 54 % d'Autochtones. Il voulait savoir si cela nous intéresserait. J'ai répondu: « Oui. » Il disposait d'une technologie dont il pensait qu'elle pourrait fonctionner pour le Nord, même si ses partenaires sont en Norvège et en Finlande. J'ai répondu: « Eh bien, je ne sais pas. Nous ne savons pas. Faisons un projet de recherche sur les besoins dans le Nord. » Il s'agit de l'infrastructure et de cette technologie adaptée aux climats froids qui pourrait être appliquée à l'infrastructure.
J'ai pensé que nous pourrions nous associer à un groupe autochtone du Nord, le Secrétariat du Sahtu, parce qu'il essaie de construire une route. J'ai pensé que ce serait une belle collaboration entre les deux, parce qu'ils pourraient échanger concernant les besoins en matière de technologies et d'infrastructures routières d'une part, et concernant les possibilités qu'offre cette technologie d'autre part. Qui sait quel serait le résultat de cette collaboration? Pour une raison ou une autre, le Secrétariat du Sahtu n'était pas admissible au titre de co‑chercheur principal dans le cadre de ce partenariat, alors nous ne l'avons pas fait. Aucune demande n'a été présentée.
Oui, il faut être dans le Nord, il faut aller dans le Nord et il faut y passer du temps, mais ce ne devrait pas être comme aller sur la Lune. Nous devrions être en mesure d'aller dans le Nord, de faire de la recherche et d'y faire une carrière universitaire.
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C'est une excellente question.
En fait, j'ai reçu une subvention il y a deux ans pour étudier les conséquences de la pandémie sur la recherche et sur l'innovation en matière de recherche dans le Nord, parce que nous ne pouvions plus y aller. C'est une aventure vraiment intéressante, je dirais, dans la recherche, avec cette étrange expérience grandeur nature qui s'est produite soudainement... Mes collègues qui travaillent à l'échelon fédéral, par exemple, n'ont pas pu se rendre sur place pendant près d'un an et demi. À un moment donné, j'avais un collègue à Environnement Canada. Je me suis rendu à la station de recherche parce qu'il n'y était pas allé depuis très longtemps — et c'est lui qui s'en occupait — et j'avais un peu plus de latitude pour m'y rendre.
J'ai constaté que, malheureusement, un grand nombre de ces programmes de recherche pluriannuels n'ont pas pu continuer de fonctionner normalement quand les gens du Sud n'étaient pas présents. Je crois toutefois — et cela nous ramène au leadership dans le Nord — que certains programmes ont pu se poursuivre. Je pense que cela revient à ce que Mme Shadian a dit au sujet de l'équipement de télédétection. Une partie de cet équipement a continué de fonctionner et les données ont pu être recueillies. Ceux qui ont le mieux réussi avaient des collaborateurs sur place qui recueillaient et examinaient les données à l'échelle locale également. Ils étaient formés et avaient cette capacité dans les villes.
Je vais évoquer une initiative dont vous avez peut-être entendu parler, qui s'appelle SmartICE. SmartICE est devenue une sorte d'entreprise sociale. Elle a des opérateurs dans une foule de... Je ne connais pas les chiffres, mais je dirais que dans l'ensemble de l'Inuit Nunangat et, je crois, au moins au Nunatsiavut et au Nunavut, dans l'Est de l'Arctique canadien et dans l'Ouest, ces programmes se sont bien déroulés. Ils n'avaient plus besoin que nous venions dans le Nord.
C'est peut-être le but que je vise: véritablement travailler à me rendre inutile. Il a fallu de nombreuses années pour établir ces partenariats et intégrer cet élément de formation pour avoir ce niveau d'indépendance.
Il y a des exemples éclairants que nous pouvons étudier pour trouver des solutions.
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En résumé, je ne sais pas encore quelles ont été les conséquences précises de la pandémie.
Le travail que j'ai fait a consisté à utiliser les résultats publiés, ce qui peut sembler étrange; de toute évidence, c'est un outil imparfait, mais c'est un outil qui permet d'essayer de mesurer le niveau de participation et son importance. Le but était d'examiner différents facteurs dans les articles de recherche pour comprendre comment la participation a changé depuis les années 1960. Je pourrais vous l'envoyer au lieu d'en parler, mais... Ce travail, qui s'étendait jusqu'en 2020, a pris fin. Je n'ai pas vraiment examiné les répercussions au cours des quatre ou cinq dernières années, depuis le début de la pandémie, sur ces tendances.
La hausse considérable de la participation à laquelle nous pensons assister reflète le fait que la science dans l'Arctique est très vaste. Énormément de travaux sont accomplis. Nous entendons généralement beaucoup parler du travail extraordinaire qui est dirigé par la communauté, auquel participe la communauté — peu importe — et nous autres universitaires aimons en parler, mais nous oublions parfois qu'environ 99 % de la recherche ne fonctionne pas ainsi, et c'est principalement ce que ce travail a tenté de mettre en lumière.
Je vais m'arrêter là.
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Absolument. Tous les chercheurs universitaires qui travaillent dans l'Arctique font de l'élaboration conjointe. C'est ainsi que cela fonctionne, vous n'avez pas le choix. C'est de là que viennent les données scientifiques de qualité et la production de connaissances. Il y a énormément de collaboration.
Monsieur Brunet, vous avez parlé du savoir autochtone et de la science occidentale. Vous savez en matière de recherche, lorsque les bonnes questions sont posées ensemble, elles se complètent. Je pense que nous nous débrouillons très bien à cet égard. Nous avons de nouvelles connaissances, mais l'approche doit être stratégique. Ces nouvelles connaissances produisent de l'information pour les sciences appliquées. Ces sciences appliquées sont — devraient être, doivent absolument être et seront — coproduites avec... Il s'agit des technologies du logement, des technologies de l'infrastructure et des technologies énergétiques. Ce sont des domaines dans lesquels nous pourrions être des chefs de file mondiaux, et les habitants du Nord ont des attentes et des besoins à cet égard.
Il y a tout lieu de collaborer. Par conséquent, nous avons besoin de plus de partenariats dans les domaines de l'ingénierie, de l'architecture, de l'économie et des finances d'entreprise — tout ce dont il a été question plus tôt. Je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas plus d'Autochtones dans le Nord qui ont des diplômes en finance ou qui créent des entreprises. Est‑ce parce que nous n'avons pas les universités?
Il y a des échanges. Les efforts sont dispersés.
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Là encore, il faut une vue d'ensemble.
Eh bien, tout d'abord, peu de gens vivent dans le Nord, parce que nous ne pouvons même pas loger les gens qui y vivent actuellement. Nous avons besoin de nouvelles technologies pour le logement, et cela nous ramène à la nécessité de réunir les gens les meilleurs et les plus brillants — ce qui inclut les habitants du Nord, bien sûr — et de déterminer ce qu'est un logement approprié, comment il devrait être construit pour garantir qu'il résiste au pergélisol et au climat froid. Ces technologies devraient ensuite être déployées, parce que les changements climatiques se produisent partout et que les climats froids existent ailleurs qu'en Arctique.
Je dois cependant vous poser une question: puisque le Nord canadien est si grand, pourquoi n'est‑ce pas aussi une occasion à saisir? Notre littoral est immense. Nous avons des occasions de tirer le meilleur parti du Nord canadien. Les habitants du Nord veulent vivre dans la sécurité, la joie et la réussite.
Plus de 40 % de notre territoire se trouve dans le Nord. J'ai donc du mal à dire que c'est différent, et que les conditions y sont très difficiles. Je pense qu'il y a beaucoup de possibilités, et les gens du Nord veulent avoir accès à ces possibilités. Nous avons simplement besoin d'une sorte de volonté nationale, et nous devons commencer quelque part. Nous avons besoin de logements, mais comment pourrons-nous en avoir plus si nous n'avons pas d'énergie ou d'eau? Donc...