HEAL Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON HEALTH
COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 29 mai 2001
La présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs. Comme on semble avoir égaré le maillet, je vais devoir déclarer oralement que la séance est ouverte. Je vous présente nos témoins d'aujourd'hui. Il s'agit du professeur Jeffrey Nisker, professeur d'obstétrique et de gynécologie à la Faculté de médecine de l'Université de Western Ontario et de Mme Madeline Boscoe, coordonnatrice exécutive du Réseau canadien pour la santé des femmes, à Winnipeg au Manitoba.
Bienvenue à tous les deux. Puis-je demander au professeur Nisker de commencer?
Dr Jeffrey Nisker (Comité consultatif de Santé Canada sur le moratoire provisoire visant les techniques de reproduction): Merci beaucoup, madame la présidente et mesdames et messieurs du comité. C'est un grand honneur pour moi de comparaître aujourd'hui.
La problématique de l'embryon humain et celle—plus vaste—de la génésique et de la procréatique modèleront la façon dont la société canadienne évoluera au cours des 20 prochaines années, voire des prochains siècles, puisque cet enjeu dépend de la façon dont nous nous percevons comme êtres humains. Pouvons- nous être achetés et vendus? Pouvons-nous faire l'objet de mesures coercitives? La tâche qui vous incombe va au-delà de la médecine et se prolonge jusque dans la perception que nous avons de la société canadienne en général.
Le temps qui m'est imparti étant limité, j'aimerais commencer par ma participation à cette réflexion entreprise par le gouvernement en 1994. Je suis sûr que votre comité recevra sous peu Patricia Baird, qui vous expliquera la démarche de la Commission royale d'enquête de 1989 à 1993.
En 1994, Santé Canada mettait sur pied un groupe de discussion sur l'embryon humain dont les recommandations émises au cours des 18 mois qui ont suivi font l'objet des diapositives que je projetterai et dont vous avez, je crois, reçu copie. Les 20 recommandations du groupe de discussion de Santé Canada sur l'embryon humain sont au coeur même de votre réflexion, mais elles doivent être élargies.
Santé Canada nous a demandé de nous pencher sur le rapport de la Commission royale d'enquête et de nous intéresser à tout ce qui touche l'embryon humain. Le ministère se pose toujours beaucoup de questions et il nous a demandé une contre-vérification avant de lancer le processus législatif. Un groupe de neuf personnes, comme des chercheurs en science fondamentale, deux médecins—John Garrell et moi—qui faisons de la médecine génésique, des bioéthiciens, des philosophes de la science, tous réunis sous la férule du président Jean-Louis Baudoin se sont penchés là-dessus.
Le plus surprenant, dans tout cela, c'est qu'en l'espace d'un an, nous avons pu nous entendre à l'unanimité. Une théoricienne du mouvement féministe et un prêtre catholique ont pu signer le même document, dans lequel il était dit que la société canadienne peut s'entendre sur sa vision de l'embryon humain, sur le type de recherches qui devraient être permises sur l'embryon en question et sur l'importance de réglementer la technologie de la génésique et de la procréatique. Le rapport était unanime et n'était assorti d'aucune opinion minoritaire. Chacun des membres du groupe pouvait, devant les caméras, affirmer que, à son avis, les normes de travail effectuées par la Commission royale d'enquête avaient été peaufinées au point où la société canadienne d'aujourd'hui pouvait être assurée d'être protégée et que la société canadienne de demain serait une société de compassion, grâce au travail effectué au Canada au cours des sept dernières années.
J'aimerais attirer votre attention sur quelques éléments. D'abord:
-
Les recherches sur l'embryon humain ne doivent être autorisées que
si elles ont été approuvées et font l'objet d'une surveillance
continue par un organisme national de réglementation.
Cet organisme, ONR, est d'une importance fondamentale et l'une de vos tâches, c'est notamment de constituer cet organisme et de déterminer comment il peut fonctionner de façon autonome et indépendante, pour rendre des comptes directement au ministre de la Santé. Les Canadiens doivent être sûrs que cette instance est constituée de façon à ce que, au fil de l'évolution de la recherche et au fil des percées scientifiques nous permettant de pratiquer une meilleure médecine au Canada et une médecine plus approfondie, le tout se fera dans une structure qui veillera à l'intérêt suprême de la société canadienne. Je suis convaincu que nous pouvons pratiquer la meilleure médecine génésique au monde, ici même au Canada. La meilleure recherche du monde peut se faire au Canada, mais elle doit se faire de façon à ce que la société canadienne en soit constamment avantagée.
• 1115
Ce document dit clairement, à maintes reprises, que la
commercialisation et la réification de l'embryon devraient être
interdites et que les techniques devraient être accessibles à tous
les Canadiens également. Or, ce n'est pas le cas actuellement au
Canada. Si vous êtes riche, vous obtenez de bons soins de santé. Si
vous êtes démuni, vous obtenez des soins de seconde zone, voire des
soins dangereux. Actuellement, on peut parler d'une épidémie de
grossesses multiples au Canada, car nous avons sans doute le taux
le plus élevé au monde. Pourquoi? Parce que très peu de Canadiens
peuvent s'offrir les soins de santé génésiques de première classe
dispensés dans certaines des cliniques de fertilité. Très peu de
Canadiens peuvent se permettre ces soins de luxe, mais ils peuvent
se permettre des soins de moindre qualité, car leur régime
d'assurance-médicaments leur permet peut-être d'avoir accès à des
médicaments stimulateurs de la fertilité.
Par conséquent, au lieu d'être traité par une méthode de grande qualité telle que la FIV, qui pourtant s'offre partout au Canada—puisqu'il existe au Canada des médecins et des scientifiques qui peuvent faire le travail—, les femmes qui ne sont pas en moyens sont obligées de se contenter de soins médicaux de moindre qualité et de se faire traiter comme des citoyens de seconde zone, simplement parce que cette technique n'est pas subventionnée par le régime de soins de santé des provinces. Ainsi, les femmes peuvent bien acheter des médicaments stimulateurs de fertilité, mais au lieu de bénéficier d'une fertilisation in vitro qui permettrait d'implanter dans leur utérus avec grand soin 1, 2 ou 3 embryons—en fonction de leur morphologie—les ovules seront libérés dans la cavité péritonéale, en espérant qu'ils soient fertilisés par le sperme des maris, ce qui donne des naissances de triplets, quadruplets ou quintuplets. C'est ce qu'on fait un peu partout au Canada aujourd'hui, contrairement à ce qui se fait en Europe et dans les organisations de soins intégrés de santé, aux États-Unis, qui ont désormais opté pour les soins génésiques optimaux pour leur clientèle.
La vision que l'on retrouve tout au long des travaux des groupes d'études de Santé Canada et de ceux de la Commission royale d'enquête, c'est l'interdiction de la commercialisation. Les êtres humains et leurs organes ne devraient être ni achetés ni vendus, mais il est évident que si vous êtes une femme démunie, vous devrez vendre la moitié de vos ovules pour pouvoir acheter un cycle de traitement FIV.
Nos corps ne devraient faire l'objet d'aucune réification. Les Canadiennes devraient avoir un accès égal aux meilleurs soins de santé. Mais tout cela a pris fin abruptement le 1er avril 1994, lorsque le gouvernement ontarien a cessé de financer la procréation médicalement assistée. On ne devrait permettre l'accès qu'à des techniques scientifiques éprouvées et de grande qualité, évoluant avec la technologie, et cette instance nationale de réglementation doit s'assurer que la science sur laquelle ces techniques s'édifient doit être éprouvée et de la plus grande qualité, et ce afin de protéger les Canadiennes et les petits enfants qui naîtront de ces technologies de méthodes non éprouvées et risquées.
Si vous parcourez la liste que je vous ai distribuée, vous verrez que l'on mentionne abondamment l'organisme national de réglementation. Le groupe de discussion de Santé Canada sur l'embryon humain interdisait certaines techniques avec quelques réserves. Ainsi, il interdisait le clonage, mais demandait que l'on se penche sur une définition la plus vaste qui soit de ce phénomène. Ainsi, les cellules souches sont utilisées abondamment dans la recherche d'aujourd'hui. Je ne voudrais pas interdire la recherche sur les cellules souches au Canada, mais je voudrais qu'un organe national de réglementation établisse dans quels laboratoires cette recherche est permise, qui sont les meilleurs scientifiques qui soient autorisés à effectuer ces recherches, et quels aspects de cette recherche correspondent aux intérêts supérieurs de la société canadienne. Je crois fermement qu'il faut interdire le clonage, mais certains aspects de la définition élargie, telle que la recherche sur les cellules souches, que je ne considère pas comme faisant partie de ce phénomène de clonage qui inquiète à ce point la société canadienne, devrait être permise, avec l'autorisation de l'organe national de réglementation.
• 1120
Je ne voudrais pas aborder aujourd'hui un grand pan de ces
domaines de recherche scientifique, mais je répondrai volontiers à
vos questions là-dessus.
Passons maintenant au diagnostic génétique pré-implantatoire. L'unité à laquelle j'appartiens à l'Université de Western Ontario était, dès le début des années 90, le deuxième centre de médecine génésique en importance dans le monde. Nous aidions les femmes à concevoir, et nous étions devancés uniquement par Bourn Hall à Londres, en Angleterre, qui était plus avancé et plus important que nous dans ce domaine.
Nous avons donc adopté une procédure de diagnostics pré- implantatoire dans l'espoir d'éviter le traumatisme d'un avortement mi-trimestriel. Il s'agit du pire acte médical. C'est quelque chose qui m'a rendu malade lorsque j'ai vu ça comme stagiaire. De voir la souffrance qu'enduraient ces femmes m'a submergé de nausées. Souvent les bébés étaient vivants à 20 semaines. C'est clairement quelque chose d'horrible pour les femmes canadiennes et nous aurions dû faire quelque chose pour améliorer la situation.
Nous sommes donc devenus parmi les premiers au monde dans le domaine de la science et de l'exploration, en utilisant un modèle de souris comme moyen de vérifier l'embryon à l'étape des huit cellules, permettant ainsi aux femmes atteintes d'une grave maladie génétique—par exemple le syndrome Tay-Sachs, qui produit un enfant qui n'a aucune cognition et qui meurt dans l'année—de se présenter pour une amniosynthèse au mi-point de leur grossesse et de subir ce que l'on appelle un avortement génétique à mi-chemin au cours de leur grossesse. Parfois l'enfant était né vivant. C'était horrible.
Nous pensions que c'était une bonne idée. Qu'aurait-on pu trouver à redire? Après avoir fait les analyses sur le premier humain au Canada—la technique avait été employée précédemment en Angleterre sur une femme atteinte d'une grave maladie génétique—les médias en ont entendu parler et m'ont interviewé sur toutes ces questions. Des personnes partout au Canada ont commencé à réclamer cet examen. La maladie génétique la plus souvent invoquée était celle d'être femme. On voulait des enfants mâles. Donc, une technique mise au point dans le but de... J'avais les mêmes ornières que tout le monde. Nous pensions que ce serait bien. Cette innovation allait aider les femmes, mais les défenseurs des intérêts sociaux comme Abby Lippman du Council for Responsible Genetics, m'avait prévenu. Les militantes féministes au Canada m'avaient prévenu de ce qui arriverait à ma recherche. Elles avaient raison.
Le deuxième diagnostic le plus communément recherché était la fibrose kystique. Il y a des formes bénignes de la fibrose kystique et il y a des formes graves. Nous n'arrivons pas à distinguer entre les deux.
Nous avons donc mis fin à nos expériences et attendre une loi gouvernementale qui nous guiderait, qui définirait quelle maladie génétique, de l'avis de la société canadienne, mérite d'être l'objet des recherches, comme par exemple, les syndromes graves de déficience mentale. Toutefois, il nous faut obtenir une orientation à partir d'un consensus national. Nous espérions que cela se ferait avant 1994 ou 1995.
La tâche vous revient maintenant.
Je vous laisse le mémoire que j'ai écrit au début.
Quant aux questions de justice sociale, qui relèvent de la compétence provinciale, je le sais, je vous laisse un document intitulé Rachel's ladders... Rachel est la mère de l'infertilité dans la Bible. Des femmes de partout au monde se rendent sur le tombeau de Rachel pour prier afin d'avoir un enfant. Nous ne saurions ignorer la pression irrésistible d'avoir un enfant. Cela explique pourquoi seules les femmes riches vont pouvoir se prévaloir de cette technologie à moins que l'on exerce des pressions sur les provinces pour qu'elles se rappellent que la Loi canadienne sur la santé existe.
Le seul autre point que j'aimerais aborder qui ressort des travaux des groupes de discussion, c'est le concept du paiement des dépenses. En d'autres termes, nous croyons que quiconque fait un don—qu'il s'agisse d'un don de sperme ou d'ovules—doit être vraiment altruiste. On ne doit pas trouver de publicité dans les journaux universitaires de Toronto ou McGill où l'on dirait: «Nous paierons vos frais de scolarité; venez faire partie de notre écurie de donneurs d'ovules». Il ne faut pas non plus forcer les femmes qui ne peuvent pas se payer un cycle FIV à donner leurs ovules. Il doit s'agir de dons altruistes.
C'est la même chose dans le cas des dons de sperme. Il faut que ce soit vraiment altruiste.
En ce qui concerne les dons de moelle épinière et de sang, dans certaines circonstances il faudra défrayer quelqu'un de ses coûts de transport, ou peut-être payer la chambre d'hôtel. Nous pensons que ce genre de dépenses est approprié si cela facilite un don vraiment désintéressé.
• 1125
Rémunérer quelqu'un comme «Rons' angels», un site Internet...
Ron se qualifie de photographe alors qu'en réalité c'est un
proxénète. Il vend des mannequins de Los Angeles qui font l'objet
d'une mise aux enchères pour 50 000 $ ou 70 000 $ dont Ron garde la
moitié, pour un cycle ovulaire. Ces femmes se soumettent à une
procédure médicale, aux risques des médicaments, pour vendre leurs
ovules et elles touchent la moitié du paiement. Elles touchent donc
25 000 $. Ce n'est pas un don. C'est plutôt de la prostitution;
c'est le commerce de corps humains.
Nous croyons au don désintéressé. Nous croyons qu'un don de sperme doit être désintéressé, mais que le donneur doit être indemnisé. C'est à cet organisme national de réglementation de définir le mode d'indemnisation.
C'est la même chose dans le cas de dons d'ovules. Les femmes qui ont remis à plus tard la maternité à cause de leur carrière mais qui veulent maintenant avoir des enfants devraient avoir accès à des ovules, mais selon le modèle européen, où une femme, après avoir terminé sa période de procréation, peut traverser un autre cycle de façon vraiment désintéressée, au profit d'une autre femme qui ne peut pas avoir d'enfants. Mais il faut que ce soit tout à fait anonyme et vraiment altruiste, pas une vente.
Nous sommes passés du groupe de discussion sur les embryons humains... Un moratoire volontaire a été imposé par le gouvernement en 1995—là encore vous avez devant vous cette liste de neuf mesures que l'on espérait voir les médecins canadiens cesser: le choix du sexe en fonction de critères non médicaux; les contrats ou les accords de maternité de substitution; l'achat et la vente d'ovules, de sperme et d'embryons; le don d'ovules en échange de services de FIV; la modification génétique des cellules germinales; l'ectogénèse; le clonage d'embryons humains; la création d'hybrides animal-humain; et le prélèvement de sperme ou d'ovules sur des cadavres ou des foetus humains. La plupart des unités privées de FIV n'ont pas respecté ce moratoire volontaire. Toutes ces cliniques font au moins une des choses que nous leur avions demandé de ne pas...
Une des raisons pour lesquelles nous avions demandé par exemple de ne pas commencer à donner les embryons congelés—évidemment, il y a des embryons humains qui s'accumulent dans des congélateurs partout au Canada—c'est qu'il n'y a aucune loi... Quels sont les droits de l'enfant? Nous espérions que l'on pourrait attendre d'avoir une loi qui accordait des droits à ces enfants qui seraient le produit de techniques de reproduction et de génétique. Cela ne s'est pas encore produit. Il est très important que vous le fassiez car nous avons tous des embryons dans nos congélateurs. À mon avis, ces embryons doivent être donnés à des couples qui veulent avoir des enfants, parce que c'est la seule façon pour eux d'avoir des enfants, surtout s'ils n'ont pas des revenus très élevés.
Ensuite, il y a de nombreux embryons dans ces congélateurs qu'on pourrait donner à des fins de recherches. Le couple choisit lequel. Si on en fait don à des fins de recherche, mais il faut que ce soit pour des recherches de la plus haute qualité menées par les chercheurs les plus qualifiés.
La dernière diapositive, que vous avez, parle simplement du comité consultatif de Santé Canada sur les techniques de reproduction et de génétique, qui a été mis sur pied en 1996.
Madeline Boscoe va vous parler des nombreuses machinations qui ont entouré ce comité et mon entrée en matière pour Madeline... Quelques mois après la création de ce groupe, le sentiment était unanime, il y avait consensus: que le travail effectué par le groupe de discussion de Santé Canada sur la recherche sur l'embryon, les principes fondamentaux de la commission royale, la question du moratoire volontaire étaient autant de faits réels et immuables. Les principes, d'abord énoncés par Patricia Baird et la commission royale, voulant qu'il n'y ait aucune réification, aucune commercialisation, qu'il y ait accès égal pour tous les Canadiens et un respect énorme pour l'embryon humain, demeurent toujours.
Dès notre première réunion, dès notre deuxième réunion, nous avions encore une fois consensus, malgré le fait qu'il s'agissait d'un groupe tout à fait différent, moi excepté, de philosophes, de représentants des handicapés, des groupements féminins, des minorités visibles, tous convenant des mêmes principes généraux qui avaient d'abord énoncés par le groupe de Patricia Baird en 1989.
• 1130
Avant de céder la parole à Madeline, j'aimerais conclure en
disant que je crois qu'il existe des principes de base présentés à
maintes reprises par des groupes nationaux et Santé Canada, qui ne
changent pas. Néanmoins, avec l'évolution de la science, nous
sommes appelés à peaufiner le système pour servir les meilleurs
intérêts de la société canadienne pour s'assurer que les femmes
canadiennes aient accès aux meilleurs soins médicaux, que les
enfants canadiens naissent dans les conditions les plus
sécuritaires et que les chercheurs canadiens fassent des recherches
optimales.
C'est possible, mais pour ce faire, il faut créer un organisme national de réglementation autonome et indépendant. Cet organisme peaufinera les recommandations pour que la plupart des aspects de ce domaine fasse l'objet de règlements. Les organisations professionnelles canadiennes—la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, la Société canadienne de fertilité et d'andrologie et des organismes d'accréditation des laboratoires—mettent en vigueur les projets pilotes depuis six ou sept ans. Par conséquent, ces organisations professionnelles sont bien placées pour jouer un rôle de premier plan dans l'accréditation.
Nous pouvons nous prévaloir des connaissances scientifiques et du savoir-faire clinique de ces organisations professionnelles, mais il doit avoir un organisme national de réglementation pour colliger et synthétiser cette information, et pour décider ce qui est dans les meilleurs intérêts de l'ensemble de la société canadienne des hommes, femmes et enfants.
Merci beaucoup.
Merci, docteur Nisker.
Je cède la parole à Mme Boscoe.
Mme Madeline Boscoe (Comité consultatif de Santé Canada sur le moratoire provisoire visant les techniques de reproduction): Merci beaucoup.
Je vais tenter de complémenter l'exposé de Jeff et dans la mesure du possible, je vais essayer de ne pas répéter ce qu'il a déjà dit. Pour votre gouverne, en tant qu'infirmière et animatrice socio-éducative dans un centre de santé communautaire à Winnipeg, je travaille sur ces dossiers depuis—je n'aime pas l'admettre—avant la naissance de mes enfants. Nous avons regroupé des femmes stériles, des fournisseurs de service, des déontologistes et des médecins pour étudier cette question. L'aboutissement de notre travail a été notre demande pour la création d'une commission royale comme moyen de favoriser un débat national sur cette question.
Il est très important et stimulant pour moi de comparaître devant vous aujourd'hui. Quand j'ai dit à ma fille qui a 12 ans que je comparaissais devant le Comité de la santé de la Chambre des communes, elle ne saisissait pas très bien la différence entre le Sénat et la Chambre des communes. Je vais donc lui faire écrire une petite dissertation sur la gouvernance dès mon retour à la maison.
Le projet de loi sur lequel vous allez vous pencher est important et visionnaire. Il est tout à fait indiqué que nous entamions le nouveau siècle en discutant de cette question.
Le Comité consultatif de Santé Canada sur les techniques de reproduction et de génétique dont Jeff a parlé existe depuis 1996. Deux ou trois membres de ce comité se sont retirés, mais à part cela, ce groupe a continué à travailler malgré le va-et-vient des ministres et députés. Cette persévérance est la preuve de l'engagement de ce comité à ne pas laisser ses dossiers dans ce que j'appelle la zone grise de la réglementation, c'est-à-dire entre les mains des fournisseurs et des professions diverses, ou même, et je ne nie pas l'importance des discussions fédérales-provinciales, à la discrétion des provinces.
L'expérience m'a montré que les Canadiens veulent du leadership au plus haut niveau, parce qu'il ne s'agit pas seulement de la température du congélateur où l'on entrepose le sperme, mais plutôt de valeurs et de vision. Je vous exhorte à avoir de la vision dans vos délibérations. Je pense qu'elles seront difficiles, mais nous ouvrons un sentier pour les sept prochaines générations, comme diraient nos communautés autochtones. Je pense qu'il ne faut pas perdre de vue le but ultime.
Je m'inspire des délibérations précédentes de votre comité et de l'exposé que nous avons présenté sur le projet de loi C-47 devant ce comité en 1997. Nous devrions également réfléchir et tirer parti des constatations de la Commission Krever parce que si vous croyez que le dossier du sang contaminé a causé des problèmes, jouer avec la reproduction et la génétique risque d'avoir des répercussions beaucoup plus profondes.
• 1135
Vous verrez sans doute qu'en ce qui concerne les
communications de Santé Canada avec le public au sujet de la
législation et de la réglementation, bien des gens pensaient, étant
donné l'importance de ces idées, que nous avions déjà des lois et
des règlements et que quelqu'un s'en occupait. En réalité, ce n'est
pas le cas.
La loi que vous présentez au public canadien vise à y remédier. Les Canadiens veulent un responsable vers qui ils pourront se tourner pour voir ce que l'on va faire des questions qui les préoccupent. Ce n'est pas vrai seulement pour les professionnels de la santé, mais pour les consommateurs et le grand public.
Nous avons eu un appel conférence la semaine dernière, mais notre comité consultatif n'a pas encore eu l'occasion d'examiner en détail le libellé précis de ce projet de loi. Nous avons l'intention de demander au comité de se réunir au cours d'un ou deux week-ends marathons afin de vous fournir des observations détaillées par écrit, si cela peut vous assister dans vos délibérations. Je vous demanderais ce que vous en pensez.
Lorsque j'examine le préambule à la lumière de certaines conversations que nous avons eues par le passé, je crois important de vous préciser que nous avions exhorté le gouvernement à énoncer le principe de prudence. Nous devons nous montrer prudents dans le texte du préambule. Il s'agit de bien dire au départ «C'est interdit, mais examinons la question». Le principe de précaution dont nous parlons dans le contexte de la gestion de l'environnement est exactement le même que celui qu'il faut envisager pour gérer les techniques de reproduction et de génétique.
En ce qui concerne les mères porteuses, nous avions recommandé d'utiliser les mots «accords de maternité de substitution». Nous sommes entièrement pour un modèle non commercial, mais au cours de nos délibérations, nous avons estimé que même si ces ententes sont altruistes, elles semblent conférer le statut de marchandises aux enfants qui en résultent. Il faut davantage tenir compte de leurs intérêts. Le libellé de la loi et des règlements qui en découleront doit mentionner le principe de prudence.
Nous trouvons très intéressant de voir que cette ébauche de législation reconnaît la possibilité de mettre en place un système identifiant les donneurs. Vous entendrez sans doute des enfants nés par insémination artificielle, principalement suite à un don d'ovules ou de sperme, vous dire qu'ils ont besoin de connaître non seulement leurs antécédents génétiques, mais, tout comme les enfants adoptés, de connaître leurs parents biologiques. Nous en avons discuté au comité consultatif et nous croyons possible de mettre en place un système facultatif. Cela s'est fait ailleurs et c'est une possibilité pour le Canada. Nous nous réjouissons de voir que la loi permettrait de prendre un règlement dans ce sens.
Je tiens seulement à vous faire savoir que plusieurs groupes vous diront la même chose.
Un autre élément vraiment important de la législation est l'établissement de divers types de base de données pour surveiller les résultats, etc. afin que nous sachions vraiment quelles sont les possibilités et ce qui se passe en pratique. Avec l'orientation de la médecine vers les prises de décisions fondées sur les preuves, ces bases de données deviendront importantes.
Néanmoins, si le commissaire à la vie privée était là, il ou elle vous dirait que nous devons veiller à faire la distinction entre la collecte des données et la tenue des dossiers. Une surveillance s'impose. Comme vous le savez, le débat sur la protection des dossiers de santé n'est pas terminé, mais vos délibérations devront porter sur cette question. Nous y avons réfléchi, si vous désirez de plus amples renseignements à ce sujet.
Je voudrais vous parler un peu plus de l'organisme de réglementation, car je crois très important, à notre époque de réglementation, de déréglementation et d'entre-deux, de savoir qui assume les diverses responsabilités. La commission Krever en est un bon exemple. Le comité consultatif a envisagé un organisme de réglementation national, qui ne se substituera pas au ministre de la Santé qui assumera la responsabilité ultime au gouvernement, mais qui servira de tribune de discussion de haut niveau.
• 1140
Nous trouvons très intéressant de voir dans cette ébauche un
libellé indiquant que l'organisme de réglementation conseillerait
le ministre sur le plan politique au lieu de se contenter de dire,
comme dans mon exemple, à quelle température le sperme doit être
conservé. Cet organisme examinera les permis d'exercice et la
réglementation à partir d'un modèle qui tiendra compte des droits
de la personne et de l'équité, en faisant une analyse
sexo-spécifique.
Cela veut dire qu'un comité consultatif ne doit pas se limiter à des chercheurs ou à des médecins, mais doit intégrer des sociologues, des éthiciens, des consommateurs et des membres de la collectivité afin de pouvoir nous fournir un modèle. C'est seulement alors que nous devrons prendre certains règlements et charger des inspecteurs d'examiner certains aspects.
L'organisme de réglementation doit se livrer à une évaluation éthique et sociale très rigoureuse de ces techniques pour nous aider à comprendre ce qu'est la recherche, ce qu'est une évaluation clinique et quels sont les traitements ou les interventions qui peuvent être couverts par l'assurance-maladie et un système d'assurance publique. Ces idées doivent être précisées davantage. J'ai souvent trouvé cela très frustrant parce que les gens ont participé à des études de grande envergure sans avoir donné leur consentement éclairé. Cela demeure un problème sérieux étant donné le grand nombre d'activités de ce genre qui se déroulent dans le secteur privé à but lucratif où les systèmes d'examen par les pairs ne sont plus en place. Cela m'inquiète particulièrement.
D'autre part, cet organisme national de réglementation devrait entamer un dialogue permanent avec le public canadien et pas seulement avec les fournisseurs de services. Les gens devraient pouvoir lui adresser leurs lettres, leurs préoccupations, leurs plaintes et leurs demandes d'informations. C'est une instance où ils devraient participer à l'élaboration de la politique et à la planification.
C'est cet organisme qui établirait un code national de pratique et des normes de counselling. C'est lui qui se prononcerait sur les dons d'embryons, l'adoption d'embryons et la façon dont le mécanisme dont Jeff a parlé avec tant de passion, serait mis en place.
Je tiens également à dire qu'à notre avis, la législation n'est qu'un des éléments d'un programme complet de gestion de la sexualité et de la santé génétique qui nous semble indispensable. Nous avons besoin d'un programme en plusieurs phases qui abordera les questions de prévention. Quand je parle de prévention, je ne parle pas seulement des MTS et du désastre que la chlamydia cause sur le plan de l'infertilité. Je veux également parler des contaminants environnementaux et de leurs effets sur les spermatozoïdes.
Nous assistons à un nouveau phénomène à savoir que le taux de reproduction des femmes diffère nettement selon leur classe sociale. Nous voyons les jeunes femmes qui veulent faire des études et entreprendre une carrière avant d'avoir des enfants, retarder nettement leurs grossesses tandis qu'il y a un taux extrêmement élevé de grossesses non désirées ou à l'adolescence chez les familles à faible revenu et ouvrières.
Nous avons besoin d'un programme pour remédier à cette situation. Ce n'est pas une question qui relève d'une loi ou d'un règlement. Cela exige un programme. Santé Canada a essayé d'établir une stratégie à cet égard, mais nous avons besoin d'argent et de programmes communautaires pour offrir aux adolescentes des services auxquels elles n'auront pas peur de s'adresser et qui respecteront leur droit à la vie privée. Les autres aspects de la prévention sont très importants pour gérer cette initiative.
J'ajouterais que notre comité consultatif porte le nom de Comité sur les techniques de reproduction et de génétique. Ce projet de loi ne dit rien au sujet de la réglementation du dépistage génétique et des techniques génétiques et je crois nécessaire qu'il soit adopté, mais je vous avertis que notre comité consultatif est au courant de la prolifération des tests et des tris génétiques que permettent les techniques de reproduction, y compris l'implantation et le diagnostique prénatal. Nos amis et collègues de la communauté des personnes handicapées craignent que nous ne renforcions, ipso facto, des préjugés à l'endroit des handicaps. Il va falloir y remédier à un moment ou à l'autre. Notre comité consultatif explore des façons de le faire. Nous reviendrons sans doute vous présenter quelques idées à ce sujet.
• 1145
D'autre part, pour aborder la question dont Jeff vous a parlé
avec tant d'éloquence—et il s'agit encore une fois d'adopter une
approche programmatique—une bonne partie de cette technologie se
trouve dans le secteur privé à but lucratif. L'égalité d'accès au
traitement de la stérilité n'est donc pas examinée.
En tant que professionnels de la santé, je trouve décourageant que nous n'ayons pas pu trouver, tant au niveau fédéral que provincial, un moyen d'intégrer dans l'assurance-maladie les interventions efficaces, sûres et équitables. J'espère que vous réfléchirez à la question et que vous ferez part aux ministres—si je puis me permettre de vous le demander—de vos réflexions sur la place de ces techniques dans l'assurance-santé.
Je m'arrêterai là, mais je suis prête à répondre à vos questions. Merci de votre attention.
La présidente: Merci beaucoup, madame Boscoe.
Je crois pouvoir dire au nom du comité que si votre groupe examinait l'avant-projet de loi et nous faisait parvenir ses observations, cela nous serait très utile. Vos propos de ce matin montrent que vous avez beaucoup réfléchi et que vous aborderez cette ébauche de législation avec beaucoup plus de compétence que nous n'en avons. Par conséquent, nous acceptons volontiers ce que vous aurez à offrir pour nous aider.
Mme Madeline Boscoe: Très bien, avec plaisir.
La présidente: Merci.
Nous allons maintenant passer aux questions du comité.
Monsieur Manning.
M. Preston Manning (Calgary-Sud-Ouest, AC): Merci, madame la présidente.
Je voudrais joindre nos remerciements à ceux de la présidente, non seulement pour votre comparution d'aujourd'hui et pour votre déclaration, mais aussi parce que vous avez, de toute évidence, consacré beaucoup de temps à cette question. Nous nous réjouissons que vous acceptiez d'en partager le fruit avec nous.
Vous comprendrez sans doute que notre comité doit commencer par établir quatre choses. Nous devons premièrement décider quelles techniques de procréation médicalement assistée doivent être interdites et de la recherche qu'il faudrait également interdire dans ce domaine. Nous devons ensuite préciser quelles sont les techniques de procréation assistées et les recherches qu'ils faudraient réglementer. Voilà notre mission.
En fait, puis-je communiquer le fruit de mes réflexions à nos témoins?
Ma première question concerne les interdictions, car en tant que membres du comité consultatif mis sur pied dans le cadre d'un moratoire... Vous savez qu'en fait, il s'agit d'une interdiction. Je voudrais savoir comment votre comité consultatif a supervisé les neuf techniques qui faisaient l'objet d'un moratoire volontaire, si j'ai bien compris. Si vous avez constaté que ces neuf interdictions n'étaient pas respectées, avez-vous pu mettre un terme à ce genre d'activités? Autrement dit, quelles sont les leçons que cette expérience vous permet de tirer en ce qui concerne l'établissement et l'application d'interdictions?
Mme Madeline Boscoe: Je dirais que nous nous sommes servis d'un modèle éducatif qui se communique davantage dans les couloirs que dans des réunions de comité. Nous avons envoyé des lettres aux fournisseurs de services pour avoir une idée de leurs activités. Nous nous sommes servis des médias. Nous avons reçu des lettres de consommateurs qui avaient réclamé une intervention et qui s'étaient rendu compte qu'elle était visée par le moratoire.
Personnellement—car le comité ne s'est jamais prononcé sur cette question—j'ai trouvé ce processus très frustrant. Et c'est en partie pourquoi vous avez cette ébauche de législation sous les yeux. Si nous avions trouvé un modèle cohérent permettant de s'entendre sur une réglementation, il aurait été mis en place, mais comme ces activités se déroulent dans le secteur privé et à but lucratif, nous ne pouvons pas exercer de contrôle et il n'est pas possible d'appliquer ce genre de mesures. Il faudrait quelque chose de plus strict.
• 1150
Jeff a beaucoup travaillé à l'élaboration de la politique au
sein de la profession et peut-être a-t-il quelque chose à ajouter.
Dr Jeffrey Nisker: Encore une fois, nous avons surtout à éduquer les gens et à leur expliquer pourquoi ce sont là, à notre avis, des pratiques dangereuses. Je pourrais vous citer deux exemples.
Nous avons examiné la maternité de substitution. La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada a un comité de déontologie. J'en étais alors le président, mais nous avons invité Sanda Rodgers, qui était alors la doyenne de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, à mettre sur pied un groupe de travail formé de membres de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada pour examiner la maternité de substitution étant donné qu'elle avait été interdite. Ce groupe a proposé une vision encore plus stricte de la question en disant que les conventions de mère porteuse étaient impossibles à faire respecter, impossibles à conclure et qu'elles ne protégeaient pas les enfants nés de cette façon. Le président de la Société des obstétriciens et gynécologues a écrit à des personnes qui prenaient part à de tels accords en leur disant que leur association professionnelle les jugeait inacceptables.
Il n'y avait aucune loi, mais les organismes professionnels ont énormément d'influence. Si vous agissez contre leur volonté, ils peuvent vous radier de leurs effectifs. Et si vous avez des problèmes juridiques, la première chose que le procureur vous reprochera, c'est d'avoir été radié de votre association professionnelle.
La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada ainsi que la Société canadienne de fertilité et d'andrologie peuvent jouer le rôle d'éducateurs et de superviseurs de ce genre de lois...
Nous voyons toutefois le côté négatif—ou du moins le revers de la médaille. Prenons le don d'ovules. J'utilise le mot «don» entre guillemets. Prenons la vente d'ovules, pour appeler les choses par leur nom.
Lorsque notre comité consultatif... Le moratoire a été imposé en 1995 et notre comité a vu le jour un an après. À l'époque, la vente d'ovules étaient un phénomène récent car jusque là, tout se faisait dans le cadre du financement de la santé, surtout en Ontario où se trouve la plupart des cliniques. La vente d'ovules n'existait donc pas en Ontario étant donné que tout le monde obtenait gratuitement la fécondation in vitro. Une femme n'avait pas besoin de vendre la moitié de ses ovules pour obtenir la fécondation in vitro.
Depuis, le phénomène a pris énormément d'ampleur. Depuis que le comité consultatif sur les techniques de reproduction et de génétique existe, il y a sans doute cent fois sinon mille fois plus de ventes d'ovules en Ontario que ce n'était le cas avant.
Par conséquent, avons-nous été en mesure de faire respecter le moratoire volontaire? Absolument pas.
Mme Madeline Boscoe: C'est comme vouloir boucher une digue avec un doigt.
M. Preston Manning: Si j'ai bien compris, vous dites que, même s'il est utile, le modèle éducatif n'est pas tout à fait à la hauteur de la tâche.
Permettez-moi de prendre un exemple précis qui entre dans votre domaine, je suppose, docteur Nisker. Où le diagnostic génétique pré-implantatoire et les thérapies s'intègrent-ils dans cette mesure? Cela sera-t-il réglementé? Vous avez dit que ces techniques pouvaient servir à faire le bien ou à faire le mal. Faut-il en conclure que certaines activités devraient être interdites ou réglementées? Comment la réglementation s'y appliquera-t-elle, sur le plan des interventions et de la recherche? À quoi sert-il d'établir un diagnostic si les thérapies génétiques sont interdites?
Dr Jeffrey Nisker: Je crois nécessaire d'interdire très peu de choses. Par contre, il y a beaucoup d'activités qu'il faut réglementer. Le diagnostic génétique pré-implantatoire en est un excellent exemple.
Si nous savons qu'une condition représente un fardeau terrible pour un enfant et ses parents... Je prends l'exemple du syndrome de Tay-Sachs car il s'agit d'enfants qui naissent sans cognition et qui meurent dans leur première année d'existence. Cela pourrait être évité grâce à un diagnostic génétique pré-implantatoire au lieu du modèle actuel qui consiste à induire un avortement au milieu de la grossesse.
• 1155
C'est grâce aux progrès de la science que nous pouvons
utiliser des techniques de reproduction et génétiques, mais il faut
que cette utilisation soit réglementée par un organisme national de
réglementation, afin qu'on ne s'en serve pas parce qu'on veut
simplement choisir le sexe de son enfant ou parce qu'on ne veut pas
qu'il soit obligé de porter des lunettes ou qu'il souffre d'asthme.
M. Preston Manning: Comment peut-on empêcher cela si les parents reçoivent les renseignements provenant du diagnostic et que c'est à eux essentiellement de prendre la décision? Dans la pratique, comment peut-on faciliter une bonne utilisation des techniques et en empêcher une mauvaise utilisation comme celle dont vous avez parlé?
Dr Jeffrey Nisker: Je crois qu'un organisme national de réglementation pourrait obtenir des informations de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, de la Société canadienne de fertilité et d'andrologie, du Collège canadien de généticiens médicaux, et dire que 10 troubles qu'on peut déceler au moyen d'un diagnostic génétique représentent un tel fardeau qu'en tant que société canadienne compatissante, nous offrons ce service de dépistage alors que d'autres troubles ne le justifient pas.
Si un professionnel de la santé leur offrait d'intervenir dans ces cas-là, l'une de ces sociétés vous dirait: «Vous ne respectez pas les règles et nous devons vous retirer votre permis». Les collèges des médecins et chirurgiens des provinces pourraient révoquer le permis d'exercer de quiconque agirait ainsi. Cela représenterait un élément fort dissuasif pour les professionnels de la santé, pour les médecins.
Je crois qu'un tel élément de dissuasion pourrait permettre, si un organisme national de réglementation établit les règles et que les organismes professionnels fournissent les informations nécessaires en plus de révoquer ensuite le permis des personnes qui ne se conforment pas... Nous pourrions ainsi avoir des règlements très puissants, sans pour autant insérer dans des lois des interdictions qui seraient coulées dans le béton et qui empêcheraient les gens, dans trois ans peut-être, d'agir dans le meilleur intérêt de la société canadienne en fonction de nouvelles découvertes scientifiques.
M. Preston Manning: Puis-je poser une dernière question? La présidente me regarde en fronçant les sourcils.
En fin de compte, il nous faut un organisme de réglementation, et vous approuvez manifestement tous les deux la création d'un organisme national de réglementation. Si cet organisme devait avoir une caractéristique distinctive, en particulier de votre point de vue, quelle serait-elle? Serait-ce l'autonomie, l'indépendance par rapport au gouvernement et à n'importe qui d'autre? Serait-ce la transparence? Serait-ce la compétence en matière scientifique? Serait-ce la possibilité que des gens ordinaires puissent s'y faire entendre? Si vous deviez nous donner une caractéristique qui vous semblerait absolument essentielle à cet organisme, quelle serait votre toute première priorité?
Mme Madeline Boscoe: D'après les conversations que j'ai eues au sein du comité consultatif et des entretiens publics auxquels j'ai participé, je pense que l'idée de faire relever cet organisme directement du ministre de la Santé, afin qu'il ne soit pas éliminé de la scène... Ce n'est probablement pas la bonne métaphore. Je veux dire qu'un représentant élu par la population devrait assumer la responsabilité ultime, et l'organisme devrait être transparent et voir les choses dans une perspective de science sociale, et non dans une perspective strictement biomédicale.
Je regrette de ne pas avoir pu me limiter à une seule caractéristique.
M. Preston Manning: Bien.
Jeffrey.
Dr Jeffrey Nisker: Je crois que l'organisme national de réglementation devrait avoir recours à l'expertise des organismes professionnels nationaux, mais les membres de l'organisme national de réglementation devraient être représentatifs du plus grand nombre possible de secteurs de la société canadienne, et devraient compter peut-être une ou deux personnes du milieu médical ou du milieu scientifique pour aider les autres membres à traduire les informations provenant des organismes professionnels, car ce sont eux qui devraient fournir les données scientifiques nécessaires et veiller à la mise en oeuvre des règles établies.
La présidente: Merci, monsieur Manning.
Monsieur Charbonneau.
[Français]
M. Yvon Charbonneau (Anjou—Rivière-des-Prairies, Lib.): Madame la présidente, je voudrais poser une question qui porte sur l'interdiction, proposée par l'avant-projet de loi, de l'altération génétique de la lignée germinale, germ-line genetic alteration. Cela serait interdit.
• 1200
J'aimerais entendre
vos commentaires à ce sujet et que vous nous éclairiez
sur ce qui se fait au niveau
international. Comment cette
question est-elle traitée dans d'autres pays?
Si l'altération est bénéfique, si par une
altération génétique on prévient une maladie
dégénérative chez l'enfant et que cet avantage est
transmis de génération en génération, où est le
problème? Pourquoi interdire cette altération? Je
voudrais savoir quelle est la justification de cette
interdiction. Ne serait-il pas mieux de réglementer
cette altération plutôt que de l'interdire?
[Traduction]
Dr Jeffrey Nisker: Je suis désolé, mais je n'ai pas entendu l'interprétation. Je pense comprendre ce que vous avez dit en français, mais je préférerais en avoir un petit résumé. Je n'ai pas pu entendre l'interprétation en anglais. Je pense cependant avoir compris ce que vous avez dit.
M. Yvon Charbonneau: Si l'altération est dans l'intérêt de la personne et si cette amélioration peut être transmise à ses descendants, quel est le problème? Pourquoi devrions-nous interdire une telle altération?
Dr Jeffrey Nisker: Vous avez absolument raison. Si c'était le seul résultat possible de l'altération génétique de la ligne germinale, une telle activité ne susciterait pas alors cette immense terreur chez nous tous. Ce qui nous préoccupe davantage, ce sont toutes les choses que nous ne comprenons pas encore, c'est-à-dire des choses que nous introduirions dans la ligne germinale, et qui seront transmises d'une génération à l'autre, mais qui risquent de ne pas apparaître avant deux ou trois générations.
La thérapie par modification génique de cellules germinales est l'une des techniques qui m'effraie le plus et c'est le cas de la plupart des gens, par opposition à l'intervention sur les cellules souches, que nous jugeons très excitantes parce qu'elle peut aider des gens qui vivent aujourd'hui avec ces problèmes.
Nous ne sommes pas encore prêts pour la thérapie par modification des cellules germinales. Pour que nous y soyons prêts un jour, il faut d'abord l'étudier sur des primates pendant plusieurs générations, avant même de pouvoir l'envisager. Étant donné nos connaissances dans ce domaine de la science, je crois qu'il faudra encore des générations avant que nous soyons en mesure d'assurer à la population canadienne que la thérapie par intervention sur les cellules germinales est sûre.
[Français]
M. Yvon Charbonneau: En ce cas, ne faudrait-il pas réglementer cette pratique plutôt que de l'interdire?
[Traduction]
Ne serait-il pas préférable de réglementer cette activité plutôt que de l'interdire?
Dr Jeffrey Nisker: La thérapie par modification des cellules germinales est l'une des activités qui me préoccupe vraiment. Tout dépendrait de la façon dont serait structuré l'organisme national de réglementation. Dans les groupes de travail, au sein du groupe de discussion de Santé Canada et dans tout autre groupe dont j'ai fait partie, on s'est toujours entendu pour dire qu'il fallait interdire la thérapie par modification des cellules germinales en raison de la crainte qu'elle suscite.
Il me faudrait de véritables garanties et des assurances quant à la composition de l'organisme national de réglementation, et quant aux pouvoirs que cet organisme aurait d'empêcher cette activité dans toutes les installations privées, de quelque façon que ce soit, pour accepter qu'on remplace une interdiction à cet égard par un règlement. C'est l'une des activités qui me fait vraiment peur.
Mme Madeline Boscoe: Puis-je ajouter quelque chose?
La présidente: Je vous en prie.
Mme Madeline Boscoe: Je suis du même avis que Jeff. Je pense que nous en avons discuté en long et en large. Je travaille avec un grand nombre de groupes qui cherchent des remèdes et des solutions rapides. Mais quand on entame ce dialogue, les gens disent inévitablement: «Nous ne sommes pas encore prêts». Je pense qu'on a trop souvent adopté des politiques gouvernementales, particulièrement en médecine, en nous fondant sur ce que j'appelle des fausses promesses plutôt que sur la réalité. Par exemple, quelqu'un pourrait penser que c'est une merveilleuse idée que d'amener des lapins en Australie, et quelqu'un d'autre pourrait penser que c'est une merveilleuse idée de surveiller le foetus pendant la grossesse, parce que cela peut améliorer les résultats pour les femmes, mais la seule conséquence a été de faire grimper le taux de césariennes à 25 p. 100 et même 40 p. 100...
Nous ne savons pas ce que nous faisons une grande partie du temps. Et contrairement aux césariennes inutiles, après lesquelles la femme est assez vite sur pied—elle a peut-être du tissu cicatriciel, mais elle peut marcher—il s'agit ici de modifier les éléments constitutifs de l'organisme. Quiconque possède un chien qui est le résultat d'un croisement d'animaux de même souche sait ce qui se passe quand on commence à jongler avec la génétique. J'aimerais bien pouvoir dire que j'ai confiance en l'être humain, que nous oserons toujours faire germer des idées merveilleuses sans jamais commettre d'erreur, mais nous en commettons. Ce sont des erreurs que nous pouvons peut-être nous permettre, mais il n'en sera peut-être pas ainsi des enfants qui naîtront dans deux ou trois générations. Je pense que nous avons besoin de leur consentement avant de pouvoir agir.
M. Yvon Charbonneau: Merci. Je voudrais poser une deuxième question.
Il y a quelques semaines, nous avons pris connaissance, par les journaux, du rapport d'une recherche où des embryons avaient été constitués à partir du patrimoine génétique de deux mères et d'un père. On avait transféré les mitochondries d'une mère dans l'oeuf de l'autre mère. On peut donc dire qu'il y a le patrimoine génétique de deux mères et d'un père. S'agit-il d'une transformation ou d'une altération du patrimoine génétique qui serait prohibée ou s'il s'agit d'une activité qui devrait être réglementée?
[Traduction]
Mme Madeline Boscoe: Oui.
M. Yvon Charbonneau: Oui quoi?
Mme Madeline Boscoe: Oui, je pense que vous parlez du transfert d'ADN mitochondrial. En effet, nous n'en avons pas discuté au comité consultatif, mais cette activité répond à la norme fixée pour ce qui est des interdictions.
M. Yvon Charbonneau: Est-ce un règlement ou une interdiction?
Mme Madeline Boscoe: C'est une interdiction, si je comprends bien.
Je tiens à ajouter que le comité consultatif est très en faveur de ces interdictions. Nous avons eu de très longues discussions pour déterminer si tout devrait être réglementé. Nous avons pensé finalement que ces interdictions avaient une telle importance qu'il fallait leur donner force de loi. On a également fourni des conseils à long terme et des tests pour les technologies et les nouvelles idées qui surviennent.
J'ai lu le compte rendu des délibérations de votre comité le jour où comparaissait le ministre, et il a parlé de tracer une ligne dans le sable. Quand nous essayons d'élaborer une politique, il arrive souvent que tout semble être un véritable chaos, mais les premiers énoncés, les premières idées deviennent une sorte de point de référence pour ceux qui viennent après nous et qui pourront dire que c'est à cela que nous réfléchissions, que nous parlions de la dignité humaine. Bien. Ils sauront que nous pensions qu'il ne faut pas faire le commerce d'organes humains. Ils comprendront. Cela deviendra un point de référence.
Je pense donc que de telles interdictions ont aussi une fonction d'information et nous fournissent, faute d'un meilleur mot, un moule pour les questions qui surviendront plus tard.
Dr Jeffrey Nisker: Nous avons là un bon exemple du fait que la science évolue et que nous devons être prêts à repenser certaines questions, et c'est pourquoi nous devons réglementer les choses autant que possible, car il y a six mois, j'aurais été en accord complet avec Madeline, mais je penche plutôt maintenant vers la réglementation en ce qui concerne l'exemple que vous avez donné. Nous devons trouver la bonne façon d'exprimer cela afin d'être bien clairs. Je crois qu'il faut réglementer plusieurs de ces choses, comme par exemple, la dystrophie musculaire, mais pas la thérapie par modification des cellules germinales, car les modifications seront transmises d'une génération à l'autre. Il est possible même de pouvoir utiliser, en théorie, un chromosome artificiel qui n'est pas capable de se reproduire, qui ne peut pas être transmis, mais qui pourrait en théorie guérir la dystrophie musculaire. C'est la même chose pour le transfert de mitochondrie et de certaines autres activités.
Si nous pouvions trouver une façon de...et nous devons être très prudents, il faut effectuer les expériences d'une manière strictement scientifique et sur plusieurs générations. Cela ne peut pas se faire dans des cliniques privées. On ne peut pas appliquer les simples normes habituelles. Nous parlons de recherches, mais il se peut que des enfants souffrant de dystrophie musculaire puissent un jour marcher grâce à ce type de technologie. Il se peut qu'on puisse offrir aux femmes d'autres choix que l'interruption de grossesse dans le cas de certains troubles génétiques détectés. Il peut y avoir toutes ces possibilités. Le transfert de mitochondrie et même le concept d'un chromosome artificiel, à condition qu'il ne soit pas transmis, sont des activités qui peuvent avoir un merveilleux potentiel scientifique. C'est là qu'il faut ajouter «non...mais».
• 1210
J'aimerais bien qu'on interdise tous ces types d'activités au
Canada, que ce soit en clinique ou même dans un établissement de
recherches. Un organisme national de réglementation pourrait-il le
faire, en évaluant chaque situation particulière, ou faudrait-il
des interdictions? Je n'en suis pas certain.
La présidente: Merci, monsieur Charbonneau.
Monsieur Ménard.
[Français]
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Je vais profiter de la présence de deux personnalités très connaissantes en la matière pour poser des questions vraiment de base. Étant célibataire et pas très connaissant de ces questions-là, je vais parler de réalités de base.
Au sujet de l'utilisation des gamètes, voulez-vous nous expliquer la différence entre l'insémination artificielle et la fécondation in vitro? Ce sont des termes que nous serons appelés à utiliser tout au long de nos travaux et je ne voudrais pas qu'il y ait de confusion.
Également, au sujet de vos préoccupations, quelle est la différence entre le clonage à des fins de reproduction et le clonage à des fins thérapeutiques? J'aimerais avoir une bonne différence une fois pour toutes afin que ce soit clair pour la suite de nos travaux.
Finalement, vous avez commencé votre introduction en disant qu'il fallait faire la différence entre l'interdiction de recourir à l'utilisation des cellules souches et le clonage. Démêlez-nous tout ça, et je reviendrai avec des questions plus particulières sur les organismes de réglementation. Vous, madame la présidente, vous êtes mariée, heureuse en ménage, monogame, etc., mais moi, je ne connais rien à toutes ces réalités. Alors, ce sera, une fois pour toutes, clair dans mon esprit.
[Traduction]
Dr Jeffrey Nisker: Je vais répondre aux questions de nature scientifique et je laisserai Madeline parler de l'organisme de réglementation. La fécondation in vitro est une technique très simple, si l'on peut dire cela d'une intervention chirurgicale, qui a été mise au point il y a maintenant presque 30 ans, et utilisée dans les cas où les trompes de Fallope sont obstruées.
Les femmes dont les trompes de Fallope étaient obstruées devaient subir des interventions terribles de trois ou quatre heures, et la possibilité qu'elles aient un enfant était de 5 p. 100 ou 6 p. 100. Bien souvent, au lieu d'avoir un enfant, elles souffraient d'une grossesse extra-utérine, qui nécessitait une intervention chirurgicale d'urgence, et elles devaient donc subir une autre intervention. Elles devaient donc subir intervention après intervention. Certaines femmes doivent encore subir ce genre de traitement parce qu'elles ne peuvent pas payer la fécondation in vitro. C'est une autre histoire.
Au début, la fécondation in vitro est peut-être arrivée trop rapidement et nous avons peut-être été chanceux. Je ne dis pas que l'utilisation rapide de la fécondation in vitro était nécessairement la meilleure façon de procéder, mais nous avons été chanceux. Une procédure très humaine, moins dangereuse a permis à des femmes qui ne pouvaient pas avoir d'enfants de devenir mères d'une manière sûre.
Nous avons besoin d'un registre au Canada pour suivre tous les enfants nés grâce à une technique de reproduction assistée, et nous n'en avons pas. Il y en a un en Europe et il y en a aussi un en Australie maintenant. On y fait un suivi assez poussé et tout semble aller merveilleusement bien.
La FIV proprement dite semble donc être une technique de reproduction et de génétique utile. Selon la Commission royale, la FIV ne devrait se faire qu'en cas d'obstruction des trompes de Fallope, mais cette recommandation se fondait sur les données de 1989.
Selon des données récentes publiées dans le Journal SOGC—Société des obstétriciens et gynécologues—en février dernier, un service de Montréal vient de confirmer les données provenant d'Europe, d'Australie et des États-Unis, selon lesquelles la FIV est extrêmement utile. Cette méthode permet de donner des taux de grossesse allant de 20 à 30 p. 100. Certaines cliniques parlent même de 40 p. 100 de réussites chez les femmes souffrant d'une obstruction des trompes de Fallope, de trompes endommagées, d'endométriose, de stérilité inexpliquée...et grâce à l'avènement de l'IICS, où l'on injecte un spermatozoïde dans l'oeuf, en cas de problème chez l'homme. Le suivi à long terme n'a pas dépassé huit ans pour ce genre d'IICS.
Il y a donc toutes sorte de bonnes choses qui découlent de ces techniques.
Si l'on commence à se tourner vers certaines technologies corollaires comme le clonage, nous n'avons pas de données à long terme. Nous n'avons même pas de données scientifiques assez bonnes pour nous permettre de nous demander si un jour on en arrivait là. Le comité consultatif a écrit à tous les scientifiques du Canada, toutes les universités. Nous avons même diffusé ce document sur une grande échelle à toutes les cliniques privées susceptibles d'être intéressées en leur demandant si quelqu'un envisageait le clonage ou si quelqu'un le pratiquait. Nous avons demandé si quelqu'un prévoyait faire du clonage humain au cours des cinq prochaines années. Toutes les réponses ont été négatives.
• 1215
Nous avons demandé si quelqu'un pouvait imaginer une question
scientifique susceptible de rendre le clonage important pour la
société canadienne. Toutes les réponses ont été négatives. Si l'on
considère le clonage qui consiste à reproduire des êtres humains
identiques, la réponse est très claire.
La société canadienne considère le clonage sous un certain angle. Si l'on tient compte de la définition très stricte de «clonage», de la reproduction de cellules, il est possible que certaines personnes englobent dans le clonage la recherche sur les cellules souches, et il faut prendre garde à ne pas le faire. Étant donné que la recherche sur les cellules souches, à condition d'exercer des contrôles pertinents et de faire les recherches qui s'imposent, en se livrant à une surveillance étroite et à un bon suivi, peut à mon avis déboucher un jour sur la création d'organes humains. Cette recherche peut un jour permettre d'éviter la xénotransplantation, mais c'est différent.
[Français]
M. Réal Ménard: Je comprends, mais je veux savoir ce que vous voulez dire quand vous parlez de cellules souches en matière de clonage. La cellule souche est-elle la première cellule qui mène à une gestation? Quelle est la différence entre le clonage thérapeutique et le clonage à des fins de reproduction? Je pense qu'on comprend spontanément ce qu'est le clonage à des fins de reproduction, mais le clonage à des fins thérapeutiques se ferait-il, par exemple, dans le cas de quelqu'un qui a un problème de pancréas et qui prend une cellule de son pancréas pour guérir sa maladie? Expliquez-nous clairement la différence entre ces deux concepts.
[Traduction]
Dr Jeffrey Nisker: La différence existe au niveau de l'application. Il s'agit de voir «pourquoi» nous faisons cela. Si l'on dit que nous allons utiliser les cellules souches pour permettre aux gens qui meurent parce qu'ils ne peuvent pas recevoir une greffe du rein...pour qu'ils puissent avoir un rein, ou pour des gens qui sont atteints de la maladie de Parkinson et passent 30 ans de leur vie complètement enfermés... C'est par compassion pour la société canadienne que nous explorons des façons de libérer des personnes de 40 ans qui vivent atteintes de la maladie de Parkinson.
Il y a des raisons à créer des cellules souches. Vous avez raison. En effet, c'est une cellule qui pourrait devenir un être humain si nous poussions les choses plus avant, mais ce n'est pas ce que va devenir cette cellule. Elle va servir à des recherches pour produire une cellule d'hypophyse ou un rein. On ne va pas s'en servir pour créer un autre être humain. On ne va pas pousser les choses au point où l'on aura deux mignons petits embryons de 14 jours. On n'ira pas aussi loin; au tout début du processus, on va modifier cette cellule pour une raison scientifique.
Voilà donc pour l'application. Vous avez raison de dire qu'une technologie précise n'est souvent ni bonne ni mauvaise ni positive ni négative. C'est l'application qui peut être morale ou immorale. Nous voulons faire en sorte d'appliquer à l'avenir cette technologie de reproduction et de génétique uniquement de façon morale. Le clonage est, à mon avis, tout à fait immoral. Les cellules souches, que je ne considère pas vraiment comme du clonage au sens où cela inquiète la société canadienne, pourront se révéler très utiles à notre société si cette technique est assujettie à des limites et des directives bien précises.
[Français]
M. Réal Ménard: D'accord. J'ai une dernière question.
Je pense que vous connaissez un peu la fonction publique fédérale et les différents organismes de réglementation. Je sais bien que c'est le travail du comité que d'amasser de l'information et de présenter au ministre un cadre beaucoup plus achevé que vous ne pouvez le faire aujourd'hui, mais l'organisme de réglementation idéal, celui que vous appelez tous vos voeux, pourrait-il se rapprocher, par exemple, du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés?
Vous savez que c'est un organisme qui applique une certaine réglementation, qui dépose un rapport à chaque année et qui suit la tendance des prix des médicaments brevetés. À partir d'un cadre existant, donnez-nous une référence dont on pourrait s'inspirer par rapport aux objectifs qu'on vise.
[Traduction]
Mme Madeline Boscoe: Vous allez devoir m'excuser car je ne connais pas le jargon technique qu'utilise le gouvernement fédéral. Effectivement, nous avons de la même façon envisagé les organismes de service spécial totalement indépendants du gouvernement. Nous avons trouvé trop onéreux d'utiliser un organisme de réglementation semblable au CRTC, par exemple.
Je ne l'ai pas dit dans le cadre de notre exposé, mais, à notre avis, la composition de ce comité était très importante, car il fallait indiquer de façon très claire qu'aucun des membres n'était en conflit d'intérêts, sur le plan commercial et personnel. Certains modèles qui existent au sein des professions ou du secteur des entreprises ne pouvaient pas être appliqués à ce milieu, car les intérêts en jeu sont différents. C'est pourquoi nous avons décidé de créer un organisme, au sein du gouvernement, qui relève du ministre, pour pouvoir régler sur-le-champ les importants problèmes de procédure, de politique et de réglementation, tout en conservant une vaste représentation au sein du comité pour pouvoir résoudre certains des problèmes dont j'ai parlé. J'espère que cela répond à votre question.
La présidente: Merci, monsieur Ménard.
Madame Boscoe, vous avez dit que vous aviez examiné certains modèles. Existe-t-il un rapport sur cet examen et vos conclusions?
Mme Madeline Boscoe: Seulement dans nos procès-verbaux, et en fait, nous avons cessé de le faire. L'orientation de la législation n'était pas claire. Nous avons décidé d'attendre de voir comment les choses évoluaient avant de rédiger des rapports sur des initiatives qui seront peut-être inutiles.
La présidente: Merci. Je pensais simplement que si vous aviez une pile de documents, vous pourriez nous les transmettre.
Mme Madeline Boscoe: Je pourrais rassembler tout cela, je pense, et si cela vous intéresse, nous pourrions peut-être y consacrer un peu plus d'énergie.
La présidente: Merci.
Dr Jeffrey Nisker: Madame la présidente, si vous le permettez, nous avons néanmoins respecté les principes que nous nous étions donnés, à savoir que l'organisme devait être indépendant du gouvernement et relever directement du ministre. Nous avons constaté que nous n'avons pas les connaissances voulues pour utiliser le jargon. Nous allons essayer, si vous le souhaitez, d'approfondir les choses et de réfléchir à ce que pourrait être l'organisme de réglementation national.
La présidente: Très bien. Merci.
Madame Sgro.
Mme Judy Sgro (York-Ouest, Lib.): Merci beaucoup. Merci de cet excellent travail que vous avez déjà fait dans ce dossier très complexe.
Docteur Nisker, vous parlez de motifs de compassion. Comment pourrait-on définir cela? Vous et moi comprenons ce que cela signifie, mais la compassion peut avoir un sens différent pour une autre personne. Ne faudrait-il pas définir en termes très précis ce que l'on entend par compassion?
Dr Jeffrey Nisker: C'est une excellente question, qui est à la base d'une bonne partie de mes recherches.
Compassion, cela signifie «partager les sentiments», et il serait arrogant de notre part de supposer que nous pouvons vraiment partager les sentiments d'une femme, par exemple, qui a des difficultés pour avoir un enfant, qui est peut-être stérile, à moins de nous trouver dans la même situation. En tant que médecin qui a exercé dans ce domaine, qui a tenu la main de nombreuses femmes qui ont vécu cette expérience, je peux plus ou moins compatir avec elles, mais il serait arrogant de penser que je peux vraiment comprendre. Je pourrais toutefois m'efforcer d'avoir de la compassion. Nous pouvons essayer de «partager les sentiments».
Pour trouver une solution à ce problème, j'ai écrit des pièces, et j'ai des enregistrements, que je pourrais vous laisser, d'une pièce qui porte sur le diagnostic pré-implantatoire, pièce qui est actuellement en tournée dans tout le Canada avec une troupe professionnelle, et qui se penche sur les nombreux problèmes de la technologie de reproduction et de génétique, depuis la convention de mère porteuse jusqu'au don d'ovocyte. Grâce à des personnages—et j'ai eu la chance d'avoir des acteurs qui ont tourné dans Due South, Degrassi High, et autres séries semblables—je crois que nous pouvons vraiment commencer à éprouver une certaine compassion. Vous ne ressentez peut-être pas les choses exactement comme moi, mais vous pouvez voir un acteur professionnel interpréter ce que l'on peut ressentir dans cette situation.
Si nous décidons de fonder la législation et la réglementation sur la compassion, comme nous devrions le faire, à mon avis, il faut procéder comme cela se fait depuis 1989, en écoutant les récits des nombreux groupes de femmes, des couples, qui ont vécu cette expérience. Malheureusement, il n'y a pas encore assez d'enfants, et nous n'avons pas fait d'études sur ces enfants. Elles ne se feront pas au Canada, car nous n'avons pas les moyens de le faire, mais on commence à voir en Europe des études sur les enfants nés de la procréation assistée.
• 1225
Nous lisons ces récits, nous ressentons des choses et nous les
interprétons du mieux possible.
À mon avis, les meilleures sociétés sont celles qui ont le plus de compassion, et il faut prendre le temps de réfléchir au genre de société que nous voulons devenir, si nous décidons de faire preuve de compassion. L'égalité d'accès aux services de santé, cela va de soi. Comment une société pourrait-elle faire preuve de compassion si l'on décidait qu'une personne riche pourra avoir un enfant mais qu'une pauvre ne pourra pas. C'est facile. Certains autres facteurs sont plus complexes. Si l'on considère le DPI, ce n'est pas faire preuve de compassion que de dire, si vous êtes riche, vous pourrez avoir un enfant qui n'a pas besoin de lunettes. Que vont penser les personnes qui portent des lunettes? Si on commence à envisager les améliorations, les enfants sur mesure, que vont voir les personnes handicapées dans le miroir de la technologie? Et surtout, comment les personnes qui sont «normales» vont-elles voir celles qui ont des handicaps dans le miroir de la technologie génétique?
Barbara Catz Rothman a écrit un ouvrage intitulé A Tentative Pregnancy, Prenatal Diagnosis and the Future of Motherhood, où elle soutient qu'avec l'avènement de chaque nouvelle technologie génétique, les femmes sont de plus en plus poussées à demander une amniocentèse, pour ne pas être considérées comme de mauvaises mères si elles mettent au monde un enfant handicapé.
De toute façon, j'ai écrit ces pièces pour essayer de sensibiliser les gens, mais cela ne répond jamais aux questions; cela les pose pour vous, tout simplement.
Mme Judy Sgro: Merci.
Mme Madeline Boscoe: Puis-je ajouter quelque chose? Cela va tout à fait dans le sens de notre réflexion au comité, à savoir qu'il faut prendre des mesures d'ordre législatif mais également en adoptant des programmes. Une partie des programmes de sensibilisation et de promotion de la santé qu'offre souvent Santé Canada ont contribué au bien collectif, en favorisant un dialogue, une compréhension, une empathie et un certain consensus.
Je cite l'exemple de l'initiative sida, qui a vraiment permis de nous mettre à l'abri de réactions négatives importantes à l'égard des malades atteints du sida, grâce au programme de sensibilisation publique qui a été mis sur pied. Ces programmes appliqués parallèlement représentent un moyen vraiment important de répondre à certaines questions sous-jacentes à celles que vous posez, à mon avis. Cet élément est des plus importants. La loi est très importante, c'est un processus enseignable, mais nous devons redonner à nos enfants et aux adultes une certaine compassion et leur faire bien comprendre ce que signifie ces technologies, de façon à avoir les choses bien en main lorsque apparaîtront les prochaines technologies.
Mme Judy Sgro: Merci.
La présidente: La parole est à Judy Wasylycia-Leis.
Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Nord-Centre, NPD): Merci, madame la présidente. Je tiens également à remercier Jeffrey et Madeline de leurs témoignages.
Je voudrais tout d'abord poser une question de pure forme, à laquelle vous répondrez si vous le souhaitez. N'éprouvez-vous pas un sentiment de frustration depuis le temps que vous vous penchez sur la question, après avoir établi un consensus qui a découlé de la commission Baird de 1993, qui a été confirmé lors du processus entourant le projet de loi C-47 qui se reflète dans votre comité constitué en 1996 et qui vaut toujours aujourd'hui, selon vous, et pourtant vous êtes ici aujourd'hui en train de témoigner devant un comité de la santé qui examine un avant-projet de loi et qui ne présentera pas son rapport avant janvier 2002, selon les paramètres les plus larges, ce qui signifie que la Chambre ne sera saisie d'un projet de loi que dans le courant de 2003? En d'autres termes, toute une décennie ou plus sera écoulée depuis que vous avez fait tout ce travail—et il avait été précisé à l'époque qu'il fallait agir d'urgence. C'est la question de pure forme, mais j'ai d'autres questions connexes à poser.
Étant donné ce qui s'est passé au cours des 10 dernières années, que nous avons aujourd'hui une industrie des NTR de plusieurs milliards de dollars, que nous sommes moins enclins à adopter des règlements très stricts, que vous continuez de recommander et que bien des gens appuient, et que notre système universel de soins de santé s'est terriblement détérioré et que les provinces ont cessé d'offrir les services importants, comment pourrons-nous, lorsque nous aurons adopté ce projet de loi, faire vraiment quelque chose d'utile qui puisse contrecarrer ces forces du marché et nous assurer que nous prévoyons des interdictions claires et qu'il existe un organisme de réglementation sévère pour prendre les mesures qui s'imposent si nous voulons vraiment adopter une politique gouvernementale sérieuse dans ce domaine?
Mme Madeline Boscoe: Je vais en fait citer un article de M. Dalton Camp paru dans The Hill Times hier—quelqu'un me l'a fait parvenir par courriel. Il parlait de la santé des femmes, pierre angulaire d'une politique gouvernementale dans ce domaine. C'était un peu bébête, mais cela m'a convaincue.
• 1230
Cela a été frustrant, cela a été effrayant, car on entend
toutes sortes de choses sur le nombre croissant de grossesses
multiples, de naissances prématurées et d'enfants qui sont aux
soins intensifs à cause de ces techniques. Tout cela est
extrêmement frustrant pour moi.
En tant que militante au sein de notre démocratie, je dois avouer que cela m'exaspère. Nos comités se sont réunis selon le bon vouloir et l'emploi du temps de la Chambre et des ministres qui ont participé au processus, et nous avons dû faire preuve de patience. Le fait que ce comité ait été maintenu et ait continué à offrir une orientation témoigne non seulement de la ténacité mais aussi de la préoccupation de ces membres.
Sur une note personnelle, j'ai créé un groupe d'action communautaire sur l'exercice des sages-femmes au Manitoba, la même année où nous avons établi notre groupe de travail sur les technologies de reproduction. Les sages-femmes sont enfin recrutées au centre de santé communautaire, auquel je travaille, et elles offrent leurs services à des femmes originaires de Bosnie, grâce à une sage-femme bosniaque.
Par conséquent, cela prend du temps mais les choses vraiment importantes finissent par se faire jour, et cela s'est à nouveau reproduit. J'espère simplement que cette fois-ci cela débouchera sur du concret.
Dr Jeffrey Nisker: C'est plus que de la frustration. J'éprouve un sentiment de perte pour les femmes depuis 1993 qui ont été obligées de vendre leurs ovocytes, et qui s'occupent aujourd'hui de quintuplés parce qu'on leur a interdit le recours à la FIV, ce qui aurait empêché ce genre de choses; je pense aussi aux enfants aveugles ou atteints de paralysie cérébrale parce que leurs mères n'ont pas eu accès à la FIV, aux femmes qui ont dû subir une procédure dont personne ne parle, la réduction d'embryons, en vertu de laquelle celles qui n'ont pas les moyens de recourir à la FIV se contentent de faire éparpiller leurs ovocytes grâce aux médicaments...où alors lorsqu'elles ont des quintuplés, elles décident souvent de tuer trois de leurs foetus avec de l'hydroxyde de potassium pour donner aux deux autres une chance de vie normale. Ces femmes doivent vivre avec ce sentiment de culpabilité, ce traumatisme. Et pourtant, au cours de cette période, le diagnostic pré-implantatoire existait déjà et aurait pu aider un grand nombre de femmes, disons, qui sont aujourd'hui atteintes de la maladie de Tay-Sachs...elles continuent de subir ces avortements pour des raisons génétiques aux deux tiers de leur grossesse. Au cours des huit dernières années, nous aurions pu aider un très grand nombre de femmes et nous ne l'avons pas fait.
En revanche, vous parlez du projet de loi C-47 qui ne prévoyait pas la création d'un organisme de réglementation national. Cela aurait posé un problème. Cet organisme de réglementation national doit être en place pour que l'on prenne des mesures concrètes et pour que nous respections dans la mesure du possible le cadre réglementaire, qui nous permet de donner suite aux nouvelles technologies qui apparaissent, au lieu de tout compartimenter dans des interdictions, qui sont très difficiles à modifier par la suite.
Mme Judy Wasylycia-Leis: Je sais que vous souhaitez tous deux discuter avec l'ensemble du comité consultatif de cet avant-projet de loi. Pourriez-vous toutefois nous donner tous deux votre avis professionnel sur l'avant-projet de loi à l'étude? Sommes-nous sur la bonne voie et, dans l'affirmative, qu'est-ce qui nous empêche de progresser plus rapidement dans ce domaine et de faire adopter le projet de loi directement au Parlement, ce qui nous permettrait de résoudre certains problèmes dont vous parlez tous deux?
Mme Madeline Boscoe: D'après les discussions que nous avons eues, j'ai l'impression que la plupart des éléments sont réunis, et que le projet de loi reprend un grand nombre de dispositions du projet de loi initial que nous approuvions sans réserve.
Il y a peut-être un petit problème terminologique. Comme je vous l'ai dit, il nous paraît souhaitable d'énoncer un principe de prudence dans le préambule, et quelques autres petits détails. C'est toutefois une question utile, en fait, et pour le comité, qu'il puisse ou non en revenir à...
Dr Jeffrey Nisker: Tout à fait. Ce projet de loi est un pas dans la bonne direction. Ce qui m'inquiète, c'est qu'il ne précise pas que l'organisme de réglementation national sera autonome et relèvera directement du ministre. Il est important de le savoir dès le départ avant qu'on nous donne l'assurance que toutes ces activités seront réglementées plutôt qu'interdites. Je pense toutefois que c'est un texte de loi dont nous avons besoin.
Le libellé de certaines dispositions concernant le clonage doit être mieux précisé. Dans l'ensemble, c'est formidable et nous avons attendu très longtemps une telle mesure. Plus vite elle sera adoptée, mieux ce sera à nos yeux.
Mme Judy Wasylycia-Leis: Dans quel délai le comité consultatif peut-il nous donner son avis officiel au sujet de ce projet de loi et nous suggérer des amendements, pour que nous puissions les parrainer de notre côté?
Mme Madeline Boscoe: J'examine le calendrier. J'avais parlé avec les membres du comité pour qu'ils se réunissent à nouveau au début de septembre, sachant le temps qu'il faut pour organiser les emplois du temps de tout le monde l'été au Canada—ce qui prouve en fait que nous sommes en bonne santé. Si nous disions à la fin de septembre?
Veut-elle vraiment une date, messieurs?
Mme Judy Wasylycia-Leis: Ne leur posez pas la question.
Mme Madeline Boscoe: Eh bien, j'ai déjà été à des réunions de comité avec vous auparavant.
Mme Judy Wasylycia-Leis: Oui, je sais. C'est pour cela que je vous dis de ne pas leur poser la question.
Mme Madeline Boscoe: Très bien, qu'en pensez-vous?
La présidente: Merci, madame Wasylycia-Leis.
Monsieur Dromisky, vous avez la parole.
M. Stan Dromisky (Thunder Bay—Atikokan, Lib.): Merci beaucoup.
J'ai été très impressionné par l'information qui nous a été fournie de façon claire et concise. J'ai beaucoup appris ce matin. Toutefois, je ne vais pas vraiment poser une question en rapport avec vos observations.
Tout d'abord, je dirais que vous êtes tous deux d'excellents enseignants. J'espère que le professeur a eu autant d'heures à consacrer à ses étudiants et beaucoup moins à ses éprouvettes, parce que vous êtes un professeur vraiment dynamique.
En ce qui concerne certaines expressions que vous avez utilisées pendant votre exposé, vous avez parlé de ce qui est bon. Nous sommes ici pour faire de bonnes choses. Nous allons rencontrer des éthiciens. Nous allons nous pencher sur les questions morales, etc., et elles resteront toujours au coeur de nos préoccupations, quels que soient les témoins qui comparaissent devant le comité et l'objet de leurs propos. C'est ce que je me dis continuellement au fil de nos délibérations.
Je vais parler du processus. Vous avez continuellement fait allusion aux comités—les décisions rapides et la conformité. Docteur Nisker, vous avez dit que tout le monde était du même avis lors de la deuxième réunion, et vous avez fait ce genre de remarques.
Cela fait plus de 50 ans que je siège à des comités. Je sais que si j'étais président et que je souhaitais obtenir des résultats rapides, je ferais tout mon possible pour m'entourer de personnes qui vont m'aider à prendre cette décision et à en arriver aux conclusions souhaitées. En d'autres termes, je choisirais minutieusement les membres de ces comités. Cela se fait au niveau politique et dans tous les domaines d'entreprise humaine.
Je me pose des questions, et je ne sais pas ce qu'il en est parce que je ne connais pas les personnes qui siègent aux comités dont vous parlez. Est-il possible que bon nombre des choix aient été faits parce qu'on savait que certaines personnes de notre société seraient très faciles à convaincre en raison des déclarations publiques qu'elles avaient déjà faites? Nous connaissons leur position, nous savons ce qu'elles veulent et aussi ce qu'elles ne veulent pas. On pourrait donc choisir les membres du comité de façon à en obtenir neuf sur cette liste, pour le moratoire facultatif.
Est-il possible que l'on mette une centaine de noms dans un bol et que l'on en tire au hasard neuf à onze—ce qui, selon la dynamique humaine, est censé correspondre à la meilleure structure pour la prise de décision par un comité, et non 15, ou 99, ou autre—et que l'on puisse en arriver à une liste différente? Je me demande simplement si toute cette initiative n'est pas en fait organisée par des personnes qui ont la haute main sur ce processus décisionnel et sur le choix des participants.
Dr Jeffrey Nisker: C'est excellent. Je n'y avais jamais pensé.
Il va sans dire que ce n'est pas le président du comité qui choisit les membres, mais plutôt les responsables de Santé Canada. Si nous vérifiions qui faisait partie du groupe de travail de Santé Canada sur l'embryon humain, dès 1994—je regrette, je n'ai pas de transparent sur la composition du groupe, mais vous avez certainement accès à ce renseignement... Vous l'avez—c'est Jean- Louis Baudoin, juge en chef du Québec, qui présidait le comité. Il n'a jamais rien dit. Il était président. C'était l'un des présidents les plus brillants avec lesquels j'ai travaillé. Il n'a jamais rien dit jusqu'à la dernière réunion où il a déclaré: allons-y, arrivons-en à un consensus.
M. Stan Dromisky: Vous entendez cela, Bonnie?
Dr Jeffrey Nisker: D'accord, mais n'oublions pas qu'il est juge et que nous parlons de médecine reproductive et génétique.
• 1240
Le comité se composait de deux spécialistes de la stérilité,
qui participaient tous deux aux discussions depuis le début.
Autrement dit, nous sommes sans doute deux des plus vieux du pays.
Nous étions sans doute membres du groupe parce que nous menions
parallèlement de nombreuses autres activités. Je m'occupe de
bioéthique et John était responsable de la santé des femmes à
l'administration de l'Alberta du sud. Il s'occupe d'administration,
de politique, etc.
Nous n'avons pas gagné un demi-million de dollars par an en faisant de la médecine reproductive. Nous n'avons pas gagné 250 000 $ par an en pratiquant cette médecine. Nos revenus étaient minimes. Nous étions très peu intéressés. Il est très difficile de trouver des personnes qui sont très peu intéressées.
En revanche, on peut avoir les opinions des sociétés qui représentent les personnes concernées. On peut vous donner une opinion collective. Il était très difficile de trouver des personnes directement concernées qui gagnaient leur vie.
Je suppose que Santé Canada nous a choisis tous les deux en raison de la longueur de notre curriculum vitae. Nous menons énormément d'activités différentes et nous pouvons donner notre avis à l'égard de nombreuses activités—même si, à l'époque, une seule personne au Canada avait pratiqué plus de FIV que moi, à savoir Albert Yuzpe.
Il ne fait aucun doute que les 30 médecins qui pratiquent ce genre de choses au Canada auront une opinion différente de celle des milliers d'autres qui ne le font pas. J'ai toujours eu un problème à essayer de faire comprendre aux autres médecins canadiens pourquoi nous pratiquons la médecine reproductive. Ils nous demandent pourquoi nous le faisons. Il y a tellement d'autres choses que l'on peut faire. Ils n'ont pas serré la main d'une femme qui souhaite désespérément avoir un enfant.
À mon avis, on essaie de nommer à ces comités des gens qui ne sont pas personnellement concernés et des personnes qui ont une grande ouverture d'esprit. Mon opinion a changé de fond en comble depuis la première réunion du comité. J'ai changé d'avis l'an dernier au sujet des cellules souches. Je suis plus en faveur de la réglementation et moins des interdictions, même depuis le début de la recherche sur les cellules souches. Il faut voir les possibilités que cela nous offre. On aurait pu interdire cette recherche. Il nous aurait fallu des années pour nous sortir de cette interdiction. C'est extraordinaire.
Il me plaît de croire que l'on est choisi pour son ouverture d'esprit. Il y a de nombreux médecins qui y perdront sur le plan financier si le projet de loi est adopté. Les personnes qui participent à la vente des ovocytes, ou celles qui s'occupent des conventions de mères porteuses, ont beaucoup à perdre. Pas moi. C'est peut-être parce que je n'ai rien à perdre que je ne suis pas vraiment à ma place.
Vous allez entendre le témoignage des représentants de la Société canadienne de fertilité et d'andrologie. Des groupes qui représentent ces personnes vont témoigner devant le comité. Ce sont des personnes qui savent de quoi elles parlent et qui font autorité.
Est-ce que des personnes intéressées devraient siéger au comité? Je n'en sais rien.
M. Stan Dromisky: Merci. J'accepte votre façon de voir les choses.
La présidente: Monsieur Merrifield.
M. Rob Merrifield (Yellowhead, AC): Cette discussion est fort intéressante. Vous avez beaucoup parlé de sable ce matin, et des lignes qu'on y trace. C'est très intéressant parce que je crois que ce sable commence à se tasser.
Vous avez décrit certaines des choses qui étaient peut-être visées par des moratoires auparavant, et vous dites maintenant qu'on devrait en faire mention dans les règlements. Dans un monde parfait, si les responsables de la réglementation étaient également parfaits, je crois que ce serait possible.
Je trouve la situation un peu inquiétante, et je crois qu'il en va de même pour le public canadien, quand nous constatons la nature humaine qui est la nôtre. Nous étudions une question où les lignes tracées dans le sable peuvent facilement devenir des sables mouvants.
Vous avez dit quelque chose un peu plus tôt qui m'a frappé. Vous avez dit que la majorité des cliniques qui offrent des services de fertilisation in vitro ne respectent pas les moratoires volontaires, mais enfreignent tout au moins certaines des interdictions. De quelles interdictions s'agit-il?
Dr Jeffrey Nisker: Je crois que l'infraction la plus courante, c'est la vente d'ovules. Je crois que la plupart des cliniques participent à ce genre d'activités. Je ne crois pas que les médecins le fassent pour de mauvaises raisons. Je crois qu'ils le font pour de bonnes raisons. Je crois que les médecins comprennent le principe éthique de la bienfaisance.
Une femme vient les voir et leur dit qu'elle a 40 ans, qu'elle a attendu longtemps parce qu'elle voulait devenir présidente de la compagnie. Elle est aujourd'hui présidente. Elle veut avoir un enfant mais n'a plus d'ovules. Le médecin peut en fait obtenir des ovules pour cette femme en participant à un des programmes de partage d'ovules.
• 1245
Puis, une autre de ses patientes traitées pour infertilité lui
dit qu'elle a besoin de FIV. Elle veut vraiment avoir un enfant et
ne peut se le permettre. Il peut lui dire que si elle est prête à
donner la moitié de ses ovules, il connaît une femme en santé qui
les achètera. Puis elle pourra avoir accès gratuitement à un cycle
de FIV. Évidemment, vos chances d'avoir un enfant sont deux fois
moins grandes que si vous aviez eu un accès égal à la FIV, mais
tout de même, vous avez une chance.
Les médecins qui se livrent à ces activités ne sont pas des personnes odieuses. Ils ont un engagement moral envers leurs deux patientes pour les aider à avoir un enfant. C'est une façon d'aider les deux.
Je crois que dans un système de soins de santé canadien moral, tout le monde devrait avoir un accès égal. Nous n'aurions pas besoin d'avoir recours à des arrangements commerciaux peu réguliers qui ne sont pas nécessaires si la FIV était offerte à tous.
Je crois que pratiquement toutes les cliniques au Canada paient des étudiantes au niveau universitaire ou des jeunes filles pour donner leurs ovules qui peuvent être utilisées pour aider leurs patientes infertiles plus âgées, ou participent à un programme de partage des ovules pour aider leurs jeunes patientes plus démunies à avoir accès au traitement de FIV.
M. Rob Merrifield: Très bien.
Cela m'amène à ma deuxième question. C'est une question qui m'inquiète tout particulièrement. Il est intéressant de noter que c'est là où les infractions ont lieu. Le projet de loi, à mon avis, aborde clairement les questions déontologiques associées au clonage, à savoir si nous devrions procéder à la modification génique de cellules germinales ou des choses du genre. Est-ce que nous devrions envisager cette possibilité?
L'autre aspect du problème est la question de la maternité par substitution, ce qui est une forme de commercialisation, une question de sous, et les vrais motifs qui sous-tendent certaines des choses que nous proposons de faire. Vous avez parlé de la vente et de l'achat d'ovules, de sperme et d'embryons. En 1994, on a dit qu'on payait 1 000 $ pour le don d'ovules. Nous avons entendu parler de dons de sperme en échange de 50 $ ou 75 $. Pour 100 $ par mois, je ne sais pas quelle sorte d'emploi cela représenterait.
De toute façon, vous dites que cela se produit aujourd'hui. Est-ce que la vente d'ovules se pratique davantage que les le grenouillage et le troc? Dans quelle mesure?
Dr Jeffrey Nisker: C'est devenu monnaie courante. Je m'excuse, mais je ne comprends pas vraiment votre question.
M. Rob Merrifield: Qu'est-ce qui se fait le plus, la vente d'ovules ou l'échange d'ovules pour des services de FIV?
Dr Jeffrey Nisker: Vous parlez du programme d'échange ou de la vente. Certaines cliniques participent au programme d'échange, d'autres font la vente. Je n'ai pas de statistiques. Ce ne sont pas des données auxquelles on peut avoir accès.
Aux États-Unis, on est passé d'un programme de partage à une situation où 80 p. 100 des intervenants procèdent à la vente. J'ai participé à une conférence sur les aspects déontologiques de la question.
Certaines personnes qui représentaient le secteur scientifique disaient qu'il y avait eu une grosse réorientation des services. La majorité des unités de FIV disposent de groupes de femmes, habituellement démunies, souvent des femmes de couleur, qui viendront trois fois par année vendre leurs ovules. Il y a tellement de femmes plus âgées qui ont besoin d'avoir accès aux ovules. Il est plus difficile de passer par le programme de partage parce que vous n'avez pas autant d'ovules à ce moment-là.
Encore une fois, c'est le concept commercial avec lequel, nous, les médecins, avons de la difficulté à composer. Une femme plus jeune produit plus d'ovules. Je parle des Américains. Plutôt que de mettre sur pied un programme de partage, où vous pouvez au moins donner accès à une femme qui ne peut financièrement se le permettre, on recourt maintenant à de jeunes femmes. Elles peuvent maintenant produire plus d'ovules, les vendre à des femmes encore plus âgées, et faire plus de sous. Une femme doit maintenant payer 10 000 $ pour avoir quatre ovules aux États-Unis.
M. Rob Merrifield: Vous avez dit que vous ne saviez pas exactement quelles étaient les données sur ces choses. Donnez-moi un aperçu. Dans quelle mesure cette pratique a-t-elle augmenté au cours des cinq dernières années?
Dr Jeffrey Nisker: Peut-être qu'il y a 1 000 fois plus de médecins qui le font, encore une fois pour la raison que je vous ai donnée; ils cherchent à aider ces femmes. Ils cherchent à aider les femmes plus âgées et les femmes plus jeunes, mais démunies.
Il y a de plus en plus de cliniques, et les nouvelles cliniques sont toutes privées. Il y avait à l'origine cinq cliniques financées à même les deniers publics au Canada. Toutes ces cliniques privées, à l'exception de trois, ont un service privé de l'autre côté de la rue qui s'occupe de l'aspect commercial.
• 1250
Il y a donc maintenant trois cliniques publiques au Canada sur
30 cliniques, ou peu importe. Cela vous donne une idée de l'ampleur
de la situation.
M. Rob Merrifield: Une dernière petite question, si vous voulez bien. Nous avons parlé un peu plus tôt du clonage. Est-ce que cela se fait au Canada? Un groupe propose-t-il de faire ce genre de chose au Canada?
Dr Jeffrey Nisker: Je ne crois pas qu'il y ait de clonage d'être humain au Canada. Nous avons effectué un sondage il y a environ un an et personne n'avoue procéder à ce genre d'activité.
Je crois que les médecins sont des gens qui ont un sens moral, et aucun d'entre eux n'acceptera de faire quelque chose qui pourrait entraîner la perte de son permis. Pour procéder au clonage d'un être humain, vous devez vous procurer un embryon. Pour ce faire, une femme doit subir une intervention médicale. Ce n'est pas une bonne idée de faire tout cela simplement pour produire des ovules pour le clonage. Aucun médecin ne ferait cela.
Je ne crois pas qu'un médecin demanderait à une patiente de fournir un embryon pour une expérience de recherche médicale si cette recherche n'avait pas été approuvée, n'avait pas été acceptée par une commission déontologique. Aucune commission déontologique canadienne n'a accepté de projet de clonage.
Quelques commissions déontologiques de recherche privées ont été constituées au Canada. J'espère et je le sais, parce qu'elles ont été consultées, qu'elles n'ont pas approuvé de projet de recherche sur le clonage.
J'aime bien penser que cela ne s'est pas produit au Canada, même les expériences de clonage sur la séparation blastomère qui avait été faite aux États-Unis en 1995.
Donc, j'aime bien croire que cela ne s'est pas produit, mais je suis peut-être optimiste, alors...
La présidente: Merci, monsieur Merrifield.
Monsieur Castonguay.
[Français]
M. Jeannot Castonguay (Madawaska—Restigouche, Lib.): Merci, madame la présidente.
Si je comprends bien, après l'amniocentèse, certains diagnostics sont posés qui permettent de prendre la décision de continuer ou non une grossesse, et cette décision-là est prise par la patiente et son médecin, et ses consultants autour d'elle.
Dans le cas du diagnostic génétique préalable à l'implantation, qui devrait prendre la décision d'implanter ou non? Si je comprends bien, on aurait beaucoup, beaucoup d'information avec cette technique. Qui devrait prendre la décision d'implanter ou non, et sur la base de quel diagnostic? Qui devrait établir cela?
[Traduction]
Dr Jeffrey Nisker: La décision est habituellement prise bien longtemps avant que ces tests ne se fassent. Pour procéder à des tests génétiques en 2001, vous devez savoir exactement ce que vous cherchez. Vous ne pouvez pas tester les embryons pour toutes sortes de choses. Vous devez savoir exactement ce que vous cherchez. Par exemple, si vous cherchez le gène particulier associé à la fibrose kystique et que la femme dit, écoutez, je ne veux pas que mon enfant ait la fibrose kystique, ou si le couple dit cela, les médecins testeraient à ce moment-là l'embryon pour savoir s'il est porteur du gène de la fibrose kystique.
Quant au travail de counselling...il en faut beaucoup, dans une perspective génétique, avant qu'on en arrive là. La décision doit donc être prise longtemps avant la FIV qui doit être suivie d'un diagnostic génétique pré-implantatoire.
Si l'on a affaire à un couple qui effectivement ne désire pas que l'embryon soit porteur du gène de la fibrose kystique—ni que l'enfant souffre ensuite de la fibrose kystique elle-même, car il ne s'agit pas alors simplement d'être porteur du gène, il y a une question de marqueurs—le laboratoire fera des analyses pour chaque embryon, et réservera à cette femme des embryons sans marqueurs. Mais la décision doit être prise par le couple, et cela après des heures de counselling génétique, longtemps avant l'intervention.
Cela fait partie du problème, car il ne s'agit pas simplement de financer la technologie et les équipements médicaux, car en effet dans les cliniques privées vous n'obtiendrez jamais que l'on offre toutes les heures de counselling nécessaire. La femme pourra alors toujours décider de se faire conseiller ailleurs, et de payer en plus pour cela, mais précisément cette question du counselling doit être prise en charge à l'intérieur du système de soins de santé, avant que la femme ne prenne sa décision relative à la FIV.
Évidemment le médecin, et le généticien, peuvent offrir des séances de counselling fondé sur le plan scientifique, mais les conseillers en génétique et les spécialistes de la stérilité, qui viennent d'horizons différents, doivent être associés à tout ce cheminement, et très souvent dans les cliniques privées ça n'est pas fait.
M. Jeannot Castonguay: J'apprécie énormément cet aspect-là du counselling, parce que finalement, c'est là qu'on prend conscience que l'être humain est plus qu'une poignée de cellules. Comment peut-on s'assurer par le biais d'un projet de loi comme celui-là que ce counselling va se faire? Est-ce qu'il y a des suggestions que vous pouvez nous faire pour qu'on puisse s'assurer que cela se fasse? Je crois que c'est extrêmement important. Cela fait partie d'un ensemble. Encore une fois, on n'est pas juste une poignée de cellules; on est tout un ensemble.
[Traduction]
Dr Jeffrey Nisker: Absolument.
L'étape du counselling est quelque chose d'énorme, et les médecins y tiennent. C'est-à-dire qu'ils désirent que leurs patientes soient informées aussitôt que possible. Étant donné que nous n'avons au Canada qu'à peu près la moitié des médecins dont nous aurions besoin, ceux-ci très souvent n'ont pas le temps de faire du counselling. Mais si un médecin a un conseiller à sa disposition...chez nous, par exemple, nous en avons trois, payés par l'hôpital. Avant même que l'on ne passe à la FIV, tout le monde participe à des heures et des heures de counselling. C'est indispensable. Il y a d'abord une consultation normale de médecins, d'une demi-heure peut-être. Ensuite un psychologue et un travailleur social sont appelés. Voilà donc pour l'orientation, étant donné que nous sommes subventionnés par l'État, mais plus pour les FIV, et cela depuis 1994. Mais d'une certaine manière nous avons réussi à maintenir ces services de counselling.
Mais si le counselling est inscrit comme étape essentielle de la médecine reproductive et génétique, et si on exige que chaque clinique ait ses équipes de counselling, et si c'est effectivement pris en charge par les budgets d'assurance-maladie des provinces, toutes les cliniques privées qui, alors, deviendront publiques, s'y soumettront, car c'est ce que les médecins veulent pour leurs patientes. Les médecins ne veulent pas des patientes malheureuses. Ils ne veulent pas non plus intervenir sur des patientes qui n'ont pas toutes les connaissances nécessaires. Les médecins aiment donc travailler avec ces orienteurs, qui auront alors tout le temps voulu pour éduquer les clients. En réalité, les médecins sont d'abord des éducateurs. Ils sont ensuite des chirurgiens, etc. Mais la partie information-éducation est l'étape la plus importante de tout cela. Si donc vous pouvez payer des spécialistes pour faire ce travail, nous en serons tous ravis.
La présidente: Monsieur Owen.
M. Stephen Owen (Vancouver Quadra, Lib.): Merci à tous les deux pour cet exposé fascinant et riche en information.
Afin d'apporter la dernière touche de perfection à ce texte, pour ensuite passer à la mise en oeuvre, et pour que le comité n'ait pas à se déplacer dans le monde entier, pouvez-vous nous dire où l'on dispose des meilleures mesures législatives, des meilleurs organismes réglementaires et des meilleures pratiques en clinique?
Dr Jeffrey Nisker: Nous ne serons peut-être pas du même avis là-dessus. Est-ce que vous voulez y aller d'abord?
Mme Madeline Boscoe: Non, allez-y.
Dr Jeffrey Nisker: Je pense qu'il faut prendre ce qu'il y a de mieux, et nous arriverons à faire mieux.
Si vous vous reportez à ce qu'a fait le groupe de travail de Santé Canada sur l'embryon humain, les recommandations que nous avons formulées étaient une véritable première dans le monde. Depuis plusieurs pays européens les ont même reprises. L'État de Victoria, en Australie, a également adopté certaines de ces recommandations. La Grande-Bretagne a ouvert la voie en imposant—ce fut le premier pays—sa propre réglementation. Mais je pense que nous pourrions avoir notre propre dispositif canadien, qui serait meilleur que ce qui peut se faire n'importe où ailleurs au monde. Nous avons des médecins et des scientifiques tout aussi bons qu'ailleurs. Nous avons également des spécialistes en éthique qui ont consacré leur vie entière à la question. Je pense que vous allez certainement à un moment ou à un autre bénéficier des avis de Françoise Baylis et Laura Shanner, et de certains de ceux qui se sont consacrés à cette réflexion. Nous avons au Canada beaucoup de chance d'avoir des sommités de cet ordre.
Je pense que nous pouvons avoir ce qu'il y a de mieux. Mais les Européens ont effectivement également une législation excellente, de même que l'État de Victoria et l'Australie.
M. Stephen Owen: Je pense que nous avons beaucoup de chance de vous avoir tous les deux également.
La présidente: Merci, monsieur Owen.
Mme Judy Wasylycia-Leis. Ce sera la dernière question.
Mme Judy Wasylycia-Leis: J'ai deux petites questions à poser.
Pour bien comprendre ce à quoi nous nous engageons alors que nous nous apprêtons à légiférer en la matière, j'aimerais savoir ce qui s'opposait depuis une dizaine d'années à l'adoption d'une législation adéquate? Étaient-ce les intérêts commerciaux, qui veulent disposer du marché sans entrave, ou au contraire la communauté des scientifiques qui voulait de son côté pouvoir faire des recherches sans contrainte, sans condition? Voilà la première question.
• 1300
Ensuite, j'aimerais parler de l'autorité réglementaire, et je
vois qu'il y a une différence essentielle par rapport au projet de
loi C-47. J'aimerais comprendre pourquoi vous ressentez le besoin
d'avoir un organisme réglementaire autonome, relevant directement
du ministre. Est-ce que cela répond à un impératif de politique en
matière de santé publique, ou est-ce que cela découle de la perte
de pouvoir réglementaire de Santé Canada?
Mme Madeline Boscoe: Je vais me faire un plaisir d'y répondre. À mon avis, il y a eu un certain nombre d'obstacles. D'abord tout cela ne relevait pas de l'action de l'État. Tout se passait dans le secteur privé, c'est-à-dire le secteur à but lucratif. De ce fait, ceux qui se retrouvent dans les zones normales d'activités intermédiaires, comme les organismes d'accréditation des services de santé, les comités hospitaliers d'analyse de tissus, et les groupes de travailleurs sociaux dans les hôpitaux, n'étaient pas appelés à discuter de bon nombre de ces questions.
La recherche dans ce domaine a stagné parce qu'elle échappait au domaine public. C'est-à-dire qu'il s'agissait d'une activité échappant à nos mécanismes habituels. Il y a donc une leçon à en tirer, alors que nous nous apprêtons à discuter au sein de la Commission Romanow, à savoir qu'il y a un certain nombre de conséquences au fait de laisser le secteur privé seul maître. Moi qui travaille avec des femmes porteuses d'implants mammaires, je vois que c'est la même chose, soyons honnêtes. Voilà donc les faits.
Je pense par ailleurs que les scientifiques ont certaines appréhensions, mais peut-être à un moindre degré. Je pense notamment au document de travail publié récemment par les instituts canadiens de recherche en santé, sur cette question, et qui montre que l'on attend une orientation des dirigeants politiques, que l'on veut se doter d'un cadre politique, avec notamment toute une procédure d'accréditation pour les scientifiques qui voudraient avoir accès à la recherche sur les gamètes. C'est ce que ce projet de loi apportera. C'est très bien de vouloir faire de la recherche, mais il faut également être dûment accrédité pour pouvoir le faire. Voilà donc un point de vue radical mais tout à fait accepté de façon générale. Je parle en qualité de membre du conseil consultatif de l'Institut sur la santé au masculin et au féminin, aux IRSC, et il y a effectivement un besoin en ce sens.
Une autre chose qui a fait obstacle, et cela ressort de la discussion, c'est que ces techniques nous dépassent, pour ainsi dire. Nous avons tous lu Le meilleur des mondes en 1984, mais jamais nous n'avons pensé que nous verrions cela de notre vivant. J'ai trouvé en 1984 difficile de croire que je pourrais un jour en être témoin. Cela dépasse même notre imagination. Nous ne voulons pas non plus avoir l'air d'interdire des possibilités peut-être merveilleuses, comme il en a été question tout à l'heure. Mais cela a été un frein, car c'est parfois difficile à concevoir. Et cela dépasse l'imagination.
Vous avez la chance d'être au poste de commande. Nous avons donc besoin d'une politique définie. Voilà pourquoi nous disons également qu'il faut faire de l'information, de l'éducation, pour tenir à jour nos collectivités et notre société civile. Des tas de gens qui terminent leurs études ne comprennent toujours pas, de façon concrète, ce que cela signifie. La Société des obstétriciens et gynécologues a publié un article, dans une revue que l'on trouve dans leurs salles d'attente, rappelant aux jeunes filles qu'il n'est pas aussi facile d'être enceinte à 35 qu'à 20 ans.
Nous avons également besoin d'appuis, dans la société civile, pour savoir comment progresser dans notre façon de faire. Toutes ces questions sont légitimes, et nous avons besoin d'un programme politique pour y répondre. Je pense que cela aidera.
Pour ce qui est de l'instance réglementaire, le comité consultatif, avec tout le respect que nous devons à nos collègues de l'alimentation et des drogues—je ne sais pas quelle est la nouvelle version de la Direction générale de la protection de la santé—a estimé que ceux-ci se relevaient à peine du rapport de la Commission Krever, c'est un peu comme cela qu'on peut le dire, et étaient toujours en train de chercher à lui donner un contenu concret, et qu'en même temps les conditions dans lesquelles on octroyait les licences ne semblaient pas leur donner les moyens d'affronter toutes ces questions sociales et éthiques que pose le dossier. Nous avons estimé que celui-ci demandait une intervention du plus haut niveau, et une réponse impliquant toutes les directions du ministère de la Santé, qu'il n'était pas simplement question ici d'approuver un médicament ou un traitement, mais qu'il fallait associer toutes les parties du ministère, informer le ministre et nous-mêmes, pour que celui-ci, lorsqu'il siège au sein des comités interministériels où l'on discute de santé et de politique publique, puisse être au courant des questions sur lesquelles nous travaillons...
La raison essentielle pour laquelle les femmes reculent le moment d'avoir des enfants est qu'elles ne bénéficient d'aucune clause d'ancienneté au travail. On peut effectivement prédire quel sera leur revenu, et aussi leur niveau de formation, si elles quittent leur travail, c'est un véritable désastre. Il faut donc que Ressources humaines Canada nous aide là-dessus. Ce n'est pas simplement une question médicale. Voilà pourquoi nous estimons qu'il faut poser la question à un très haut niveau.
• 1305
Nous avons même envisagé de saisir le Bureau du premier
ministre, pour être honnêtes. Nous ne sommes pas encore allés
jusque-là.
La présidente: Merci.
Madame Wasylycia-Leis.
Dr Jeffrey Nisker: J'aimerais ajouter quelque chose sur les appréhensions, et certaines... Excusez-moi. Est-ce que je peux intervenir?
La présidente: Rapidement.
Dr Jeffrey Nisker: Je pense que les deux volets de votre question sont étroitement reliés. Les praticiens de la médecine reproductive, et les scientifiques qui veulent progresser dans le domaine de la médecine reproductive qui sera à la disposition des femmes dans les 10 années à venir, ont besoin être régis par un organe réglementaire autonome et transparent, où ils ont le sentiment que leurs 30 années de formation sont reconnues, que leurs représentants y trouvent un interlocuteur, tout en sachant qu'il n'y aura pas de possibilité de se défiler, qu'il n'y aura aucune tractation en coulisses, et où ils pourront présenter les avancées de la science du moment, à des gens à l'esprit ouvert et prêts à écouter, et non pas à freiner le progrès scientifique.
Je pense que c'est très raisonnable. Je pense également qu'il faut mettre à contribution les organismes professionnels. Cela permettra de limiter les dépenses et le budget de cet organe réglementaire; pour cela il faut mettre à contribution les connaissances de ces organismes professionnels, qui peuvent éclairer les dossiers scientifiques, et faire un rapport à l'instance réglementaire. Ils auront à voir comment celle-ci fonctionne. Mais je pense que les appréhensions se dissiperont, que tout le monde appuiera la démarche, car nous voulons tous la même chose: une médecine reproductive optimale pour tous les Canadiens, des conditions optimales pour les scientifiques pour que ce soit encore amélioré dans dix ans. Voilà pourquoi nous avons besoin d'une instance autonome et qui travaille dans la transparence.
La présidente: Merci, madame Wasylycia-Leis.
Je rappelle aux membres du comité, avant que je ne remercie nos témoins, que vous avez dans les documents qui vous ont été distribués aujourd'hui, un résumé des témoignages concernant les politiques d'exclusion des donneurs et la sécurité de l'approvisionnement sanguin. Vous vous souviendrez que nous avons eu deux réunions là-dessus. Nos attachés de recherche ont préparé un petit résumé des témoignages. Reportez-vous-y de façon sérieuse car mardi prochain nous recevrons un autre témoin, et j'espère que nous pourrons réserver 20 ou 30 minutes à la fin de la séance pour rediscuter de tout cela, et aviser. J'ai dit à M. Ménard que nous pourrions peut-être déposer un court rapport à la Chambre avant l'ajournement de l'été, mais nous devons justement alors décider de ce que nous tenons à y consigner. Lisez donc cela soigneusement, préparez-vous à une discussion, pour que nous puissions guider nos attachés de recherche pour la rédaction de ce rapport, pour la dernière réunion par exemple, et pour transmission ensuite à la Chambre. Ce sera donc mardi.
Jeudi, nous allons discuter de questions éthiques générales. Vous avez soulevé certaines questions aujourd'hui, et je pense que vous voudrez peut-être les soulever de nouveau auprès de nos témoins jeudi.
En votre nom, je voudrais remercier le Dr Nisker et Mme Boscoe de nous avoir fait part leurs idées qui se fondent sur des années de travail. Pour nous, c'était extrêmement précieux. J'ai remarqué une chose que vous avez dite, à savoir que nous devrions distinguer entre la vraie recherche et l'évaluation clinique appliquée. Je pense que si l'on pouvait, d'une manière ou d'une autre, inclure ce concept dans cette loi, il pourrait s'appliquer aussi à d'autres secteurs du système des soins de santé, où l'on se sert du mot «recherche» d'une manière assez vague. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir indiqué ce concept.
M. Stan Dromisky: Madame la présidente, j'ai un rappel au Règlement. Nous avons tous beaucoup entendu parler aujourd'hui d'une possible augmentation du salaire des députés du Parlement. Sur une ligne ouverte locale, on entend dire, entre autres, que les députés du Parlement n'ont rien à faire pendant trois mois durant l'été. Dans ce contexte, je vous serais reconnaissant si tous les deux, vous pouviez me proposer peut-être un, deux ou trois titres de votre bibliographie qui pourraient, d'après vous, nous être utiles—nous sommes des profanes—et qui pourraient influer sur les débats que nous tiendrons ici à l'automne et l'hiver prochain.
Dr Jeffrey Nisker: Je les ai apportés. Je vous encourage, si un soir, vous n'avez rien d'autre à faire, à regarder les vidéos de deux des pièces. Mais je dois faire une mise en garde. Les acteurs sont des acteurs professionnels qui appartiennent au Syndicat des artistes de la scène. On n'a pas le droit de les reproduire, sinon, ils auront ma peau. Mais ils m'ont accordé la permission d'apporter leur travail à ce comité.
Merci.
La présidente: Merci, monsieur Dromisky. Merci, docteur Nisker et merci à vous, madame Boscoe.
La séance est levée.