HEAL Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON HEALTH
COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 18 octobre 2001
La présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs. La séance est ouverte. Je tiens à souhaiter la bienvenue, en votre nom, aux témoins qui sont ici aujourd'hui du Health Law Institute de l'Université de l'Alberta, de Centre Cell Advanced Technology de Boston, au Massachusetts, et du Samuel Lunenfeld Research Institute de l'Université de Toronto et de l'hôpital Mount Sinai.
Je précise à l'intention de nos témoins que l'usage ici est d'entendre tous les exposés puis de passer aux questions des membres du comité. Je crois qu'aujourd'hui nous allons entendre nos témoins dans l'ordre inverse et commencer par Janet Rossant, de l'Université de Toronto, car je crois savoir qu'elle a un exposé scientifique assez pointu à nous présenter et qu'il nous faut être frais et dispos pour pouvoir le comprendre. Vous avez la parole.
Mme Janet Rossant (chercheure principale, Université de Toronto - Hôpital Mount Sinai, Samuel Lunenfeld Research Institute): J'espère qu'il ne sera pas trop pointu. J'ai essayé de le rendre aussi compréhensible que possible et, si je vous perds à un moment donné, n'hésitez pas à m'interrompre.
Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.): Vous n'aurez qu'à surveiller notre regard.
Mme Janet Rossant: Ce sera bref et concis. Je crois par ailleurs que Jose reprendra un peu les mêmes idées, si bien que vous aurez droit, à un double exposé, et on sait que la répétition est toujours utile pour favoriser l'apprentissage.
Je veux vous parler ce matin de clonage dans une optique scientifique. Le terme «clonage» est largement utilisé dans notre culture. C'est un terme que nous connaissons tous et qui désigne tout procédé permettant d'obtenir la copie parfait d'un original. Les clones d'ordinateurs sont une réalité bien connue—il y a des entreprises qui s'emploient à en produire depuis longtemps. Le clonage devient toutefois plus controversé quand il s'agit de produire des copies parfaites d'organismes vivants. Cette technique est aussi monnaie courante dans bien des contextes. Il nous arrive souvent, par exemple, de cloner les plantes que nous avons chez nous. Quand on prend une bouture afin de produire des plantes identiques, c'est du clonage. C'est toutefois la naissance de Dolly, cette brebis qui était le résultat d'un mécanisme de clonage différent, qui a conduit à une véritable controverse entourant cette technique. Dolly a été le premier mammifère cloné, c'est-à- dire un animal qui est une réplique génétique d'un autre animal. Sa naissance a ouvert la porte à une multitude de possibilités scientifiques, mais aussi à un grand nombre de questions d'éthique.
Je veux donc vous parler des aspects techniques du clonage chez les mammifères, y compris chez l'homme, de même que des questions scientifiques et de sûreté qui se posent. Je vais aussi traiter de la convergence entre la recherche sur les cellules souches et la recherche sur le clonage, qui sont souvent assimilées l'une à l'autre dans l'esprit du public. Je vais tenter de vous expliquer en quoi elles se ressemblent et en quoi elles se distinguent.
Le terme «clonage reproductif» désigne un procédé permettant d'obtenir deux ou plusieurs individus génétiquement identiques. Les clones reproductifs naturels sont une réalité bien connue. Les jumeaux sont des clones naturels. Ils sont le fruit d'un embryon qui, au début de son développement, se scinde en deux, chaque moitié ayant le même matériel génétique, si bien que chacune donne naissance à une personne différente. Nous savons tous aussi que, même s'ils sont identiques, ces jumeaux n'ont pas nécessairement un comportement identique. Le clonage artificiel, qui consiste à produire des clones reproductifs par voie artificielle, peut se faire par deux méthodes différentes chez les mammifères, c'est-à-dire chez tous les animaux à sang chaud, comme nous.
Il y a d'abord la segmentation de l'embryon, méthode qui consiste à prendre un embryon qui est encore au stade préliminaire de son développement et qui n'est composé que de quelques cellules, qu'il s'agisse d'un embryon de souris, de lapin ou de quelque autre mammifère, et à le scinder pour ensuite former plusieurs embryons. C'est ainsi qu'on obtient des clones. Parce que les cellules deviennent de plus en plus spécialisées au fur et à mesure du développement, on ne peut pas produire beaucoup de clones par cette méthode. On peut prendre l'embryon et le scinder en deux, ou peut- être en quatre.
La technique de clonage la plus controversée est celle qu'on appelle le transfert de noyaux de cellules somatiques. C'est cette méthode qui a été utilisée dans le cas de Dolly. C'est la méthode qui consiste à prendre l'ovule, à en retirer l'ADN, c'est-à-dire le matériel génétique, pour le remplacer par le noyau. Le noyau est la partie de la cellule qui renferme tout le matériel génétique. Le noyau peut être prélevé sur n'importe laquelle autre cellule, y compris sur une cellule d'un individu adulte. Dans le cas de Dolly, il a été prélevé sur une cellule adulte de la glande mammaire et inséré dans l'ovule. L'ovule suit ensuite son développement, ce divisant et formant un embryon peu développé qu'on appelle blastocyste. Si l'ovule est ensuite transplanté dans l'utérus, il peut continuer à se développer et donner naissance à un nouvel animal qui aura les gènes de la cellule de l'organisme adulte. On obtient ainsi une copie génétique de la personne ou de l'animal qui a donné la cellule de départ.
Quand on entend cela, on réplique généralement que le clone résultant n'est pas une réplique génétique identique de la personne. C'est exact, mais cela relève d'une compréhension scientifique assez pointue, en ce sens que la cellule contient des mitochondries, qui produisent l'énergie qui l'anime, et qui contiennent aussi de l'ADN. Les mitochondries ne sont pas présentes dans le noyau, si bien que le clone aurait effectivement de l'ADN dans ses mitochondries qui serait différent de celui qu'on retrouve dans le noyau. Ainsi les deux organismes n'auraient pas exactement le même matériel génétique, mais ce sont les gènes du noyau qui font que nous sommes qui nous sommes, qui déterminent en fait nos traits génétiques. J'ai inclus dans mon mémoire un diagramme qui illustre le procédé.
• 1115
Le clonage reproductif a donc débuté par Dolly et, depuis
Dolly, on a produit des clones vivants par le transfert de noyaux
dans des ovules de différentes espèces: mouton, boeuf, chèvre,
cochon et souris. Ainsi, il est possible d'obtenir par cette
méthode des clones nés vivants qui sont des répliques de cellules
adultes.
Le taux de réussite est toutefois très faible. Il varie d'une étude à l'autre, mais la proportion d'embryons clonés par transfert qui forment des petits nés vivants oscille sans doute entre 1 p. 100 et 5 p. 100. C'est là un taux de réussite très faible. En comparaison, le taux de réussite de la fécondation in vitro chez les humains varie de nos jours de 30 p. 100 à 40 p. 100 environ. C'est donc une méthode très peu efficace. Beaucoup d'embryons sont perdus en cours de route, si bien que ce type de clonage ne donne pas de bons résultats.
Les clones qui arrivent à terme présentent tous des problèmes de placenta—c'est la structure qui renferme l'embryon dans l'utérus—et beaucoup d'entre eux ont aussi d'autres problèmes et anomalies. Les profils d'expression des gênes sont souvent anormaux. Beaucoup de travaux de recherche sont en cours pour analyser ces clones.
Il existe dans la communauté scientifique un large consensus selon lequel les techniques de clonage qui sont appliquées aux animaux ne peuvent pas être impliquées de façon sûre aux humains. On conclut à leur manque de sûreté indépendamment des questions d'éthique. Aucun des scientifiques qui oeuvrent dans le domaine à l'heure actuelle ne dirait que ces techniques peuvent être appliquées aux humains à l'heure actuelle. Je m'avance beaucoup en disant que le clonage reproductif visant à obtenir des humains vivants n'est pas sûr et ne devrait pas être pratiqué.
La recherche sur les cellules souches embryonnaires et le clonage, voilà où les gens disent qu'il faut cloner pour obtenir des cellules souches. Que se passe-t-il donc? Quel est le lien?
Il existe un lien, mais il est important de faire remarquer que la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ne dépend pas du clonage. Parce qu'il permet d'obtenir des embryons peu développés qui sont des répliques génétiques, le clonage pourrait être utilisé. Au lieu de chercher à obtenir des clones nés vivants, on pourrait interrompre le développement des embryons au stade du blastocyste et obtenir ainsi des cellules souches. C'est ce que nous désignons par le terme «clonage thérapeutique», terme qui ne convient pas vraiment à mon avis, mais qui est néanmoins celui que nous utilisons.
Alors, qu'est-ce que les cellules souches embryonnaires? Les souches embryonnaires sont tirées de l'embryon au stade de blastocyste, le stade initial du développement, et ce sont des cellules qui peuvent se diviser indéfiniment en culture dans la boîte de Petri. Elles se multiplient et produisant des répliques d'elles-mêmes, mais elles peuvent aussi produire de nombreux types de cellules spécialisées. Ce sont ces cellules souches embryonnaires qui pourraient un jour être utilisées pour le traitement cellulaire d'une multitude de maladies débilitantes, comme la maladie de Parkinson, le diabète et bien d'autres maladies.
Pour obtenir des cellules souches embryonnaires humaines, il n'est pas nécessaire de recourir au clonage par transfert de noyaux. On peut les obtenir, comme c'est généralement le cas de nos jours, des programmes de fécondation in vitro, où des embryons sont produits à des fins de reproduction mais ne sont pas utilisés. Si toutefois les cellules étaient obtenues par cette méthode et qu'elles devaient être utilisées à des fins de greffe, il y aurait des problèmes de rejet génétique ou de rejet des cellules par le système immunitaire. Si elles étaient obtenues à partir d'ovules étrangers, elles seraient incompatibles avec le matériel génétique du receveur et pourraient être rejetées. D'où l'idée du recours au clonage pour obtenir des cellules souches qui seraient compatibles avec le matériel génétique du receveur de la greffe. C'est dans ce contexte que l'on fait l'équation entre le clonage et les cellules souches.
Il y a une autre application potentielle de la technologie des cellules souches qui n'a pas encore été explorée à fond, à des fins de recherche. La technologie du transfert de noyaux pourrait servir à produire des lignées de cellules souches embryonnaires qui proviendraient de personnes atteintes de diverses maladies dont on ne connaît pas la cause, particulièrement des maladies comme le diabète, l'hypertension et certains troubles mentaux. Si nous avions des cellules souches à partir desquelles nous pourrions produire différents types de cellules, cela pourrait être un instrument de recherche très utile pour comprendre les causes de ces maladies. Le clonage et les cellules souches permettraient donc de faire ce genre de recherche.
• 1120
Pour revenir à ce que j'ai dit, la recherche sur les cellules
souches ne dépend donc pas de la technologie du clonage pour le
moment. Les cellules souches embryonnaires utilisées pour la
recherche fondamentale sont actuellement tirées de blastocystes
produits en clinique de fertilité. Ces embryons ne sont pas
produits pour la recherche et ce ne sont pas des embryons clonés.
La recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines en est encore au stade exploratoire dans les divers pays du monde. Nous ne savons pas encore si ces cellules seront utiles sur le plan thérapeutique et il est encore beaucoup trop tôt pour se préoccuper de la question du rejet.
De plus, on s'intéresse aussi énormément à la production et à l'utilisation de cellules souches adultes, car si l'on utilise des cellules qui proviennent directement du patient greffé, le problème du rejet se trouvera évidemment résolu.
À mon avis, l'argument le plus solide en faveur de la production de lignées de cellules souches embryonnaires par transfert de noyaux est l'argument scientifique, à savoir qu'elles permettraient d'obtenir des cellules souches associées à des maladies précises. Toutefois, cela nécessiterait le don d'ovules et la création d'un embryon, blastocyste cloné, ce qui serait certainement contraire aux dispositions de cet avant-projet de loi.
Pour résumer, le clonage reproductif humain par transfert de noyaux de cellules somatiques n'est pas sûr et est problématique sur le plan éthique. La recherche sur les cellules souches ne dépend pas actuellement du clonage par transfert de noyaux. L'utilisation du clonage par transfert de noyaux pour produire des cellules souches pourrait avoir une valeur scientifique pour l'étude des maladies humaines. Comme la science évolue très rapidement, de même que la façon dont la société considère ces questions, toute législation dans ce domaine devrait être révisée régulièrement pour répondre à l'évolution de la situation.
Merci de votre attention.
La présidente: Merci, madame Rossant. C'est un mémoire très succinct et facile à suivre. Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à notre invité de Boston, au Massachusetts, Jose Cibelli.
M. Jose Cibelli (vice-président, Recherche, Advanced Cell Technology (Boston, MA)): C'est avec plaisir que je vous parlerai aujourd'hui des nouvelles possibilités et des nouveaux défis associés à la technologie des cellules souches embryonnaires et du transfert de noyaux. Au cours de mon témoignage, je vais peut-être répéter certains des concepts que Janet a déjà mentionnés, mais je crois important d'examiner cette question en détail.
Nous avons entendu dire que les cellules souches embryonnaires étaient tirées de blastocystes. Ces cellules peuvent se diviser indéfiniment et on peut les faire se développer en divers types de cellules. Elles ont été décrites pour la première fois chez la souris, en 1991. En 1998, J.A. Thomson et Joseph Itskovitz, du Wisconsin et d'Israël, ont publié le premier rapport sur les cellules souches embryonnaires humaines. Ces cellules sont dites totipotentes ou quasi totipotentes, et le débat se poursuit quant à savoir si elles peuvent se transformer en n'importe quel type de cellule du corps ou seulement certains types.
Si ces cellules étaient retransplantées dans la masse cellulaire de l'embryon au stade du blastocyste, elles devraient contribuer à produire divers types de cellules et de tissus dans l'être humain qui en résulterait, ce qui donnerait une chimère, c'est-à-dire un humain constitué de cellules de deux origines génétiques distinctes. De tels individus se forment dans des conditions naturelles lorsque deux embryons fécondés indépendamment adhèrent l'un à l'autre formant un seul embryon et un enfant chimérique. La revue Nature en a fait état il y a plusieurs décennies.
Qu'est-ce que nous considérons comme le clonage à des fins de reproduction? Il s'agit d'une méthode qui permet de recréer un individu au complet. Comme l'a dit Janet, jusqu'à présent, on a pu reproduire des individus vivants chez le boeuf, le mouton, la chèvre, le cochon et la souris. D'après les données recueillies sur les animaux, on peut raisonnablement s'attendre à ce que les tentatives de clonage humain aboutissent. Le prix à payer serait toutefois très élevé. Certains chercheurs s'opposent donc au clonage à des fins de reproduction.
Le clonage thérapeutique est la méthode au moyen de laquelle des cellules souches embryonnaires immuno-compatibles à 100 p. 100 peuvent être générées à partir d'un être humain en attente de thérapie. Le clonage thérapeutique diffère du clonage reproductif en ceci que les blastocystes produits en laboratoire ne seront jamais transférés dans l'utérus. Il s'agit là d'une distinction clé. Il s'agit donc de créer un embryon et de ne jamais le placer dans un utérus, mais de le mettre plutôt dans une boîte de Petri, et c'est ce que nous appelons le clonage thérapeutique.
En ce qui concerne l'avantage potentiel du clonage thérapeutique, nous envisageons une augmentation énorme de l'incidence des affections dégénératives, et notamment des maladies liées à l'âge. Cela mènera probablement à des conflits au plan de l'économie, de l'éthique et de l'esthétique, dans le cadre d'un acharnement à trouver des moyens humains et pratiques de traiter les malades.
• 1125
Donnons quelques exemples concrets de tissus dont nous aurons
besoin: les tissus cardiaques, pour les insuffisances cardiaques,
les arythmies et les ischémies; le cartilage pour l'arthrite; les
cellules productrices d'insuline pour le diabète; les neurones pour
la maladie de Parkinson; les cellules rénales pour les
insuffisances rénales; les cellules hépatiques pour la sclérose et
l'hépatite; la peau pour les brûlures et les ulcères; enfin, les
cellules de moelle osseuse pour les cancers. Et ce ne sont là que
quelques exemples.
Les procédés actuels réussissent partiellement à alléger la souffrance humaine, mais ces thérapies sont limitées par deux énormes difficultés. La première est la disponibilité des cellules ou des tissus requis, la deuxième est l'histocompatibilité des tissus transplantés. Par conséquent, des milliers de malades meurent tous les ans, faute de cellules et de tissus aptes à la transplantation, et le Bureau of the Census (Bureau de la statistique des États-Unis) indique, dans ses projections, que cette pénurie ira en s'aggravant avec le vieillissement de la population.
Le clonage thérapeutique combinera tous les avantages des cellules souches embryonnaires, autrement dit, la génération de tous les types de cellules existant dans le corps, avec la capacité d'égaler le système immunitaire du malade. Il y a également un autre avantage, que nous avons, en fait, prouvé dans notre laboratoire. Nos données révèlent que les cellules générées par clonage sont complètement rajeunies, ce qui nous permet d'envisager non seulement le traitement, mais également la prévention de toutes les affections liées à l'âge. Une étude récente de l'incidence de cette technologie sur la santé humaine évalue à plus de 125 millions le nombre d'Américains qui pourraient profiter de traitements au moyen de cellules souches embryonnaires. Cette étude a été publiée dans la revue Science l'année dernière.
Comme nous l'avons entendu, la procédure elle-même se fait au moyen de la super-ovulation de femmes volontaires et de la récolte des oeufs mûrs. Ces oeufs sont ensuite transportés au laboratoire où leur ADN est retiré. Le malade donne des cellules provenant de sa peau. Ces cellules sont ensuite fondues à un oeuf humain énucléé; nous retirons les chromosomes de l'oeuf et y mettons le nouvel ADN du malade. Après environ cinq ou six jours in vitro, les embryons humains atteignent l'étape dite du blastocyste. C'est à ce moment qu'un sous-ensemble de cellules est retiré et placé dans une boîte de Petri, ce qui permet aux cellules souches embryonnaires de croître indéfiniment. La modification des conditions de culture amène les cellules à se transformer en cellules de types précis, qui seront ultérieurement réintroduites dans le corps du malade.
Je dois dire ici qu'il s'agit là d'une étape clé. Nous devons nous rappeler que si nous prenons des cellules d'une personne âgée de 70 ans et que nous y apportons ces modifications en laboratoire, les cellules que nous rapportons—imaginons que nous rapportons des cellules de la moelle osseuse—seront non seulement compatibles à 100 p. 100 avec le malade, mais seront également complètement rajeunies. On peut ainsi envisager des êtres humains qui, ayant atteint un certain âge, se retrouvent avec un système immunitaire complètement ramené à zéro.
Bien qu'aucun groupe n'ait encore signalé, dans un journal de contrôle par les pairs, la génération de cellules souches embryonnaires humaines à partir d'une cellule somatique au moyen d'un clonage, des données concernant des bovins et des souris ont déjà permis de valider ce concept. Il y a trois ou quatre essais, y compris celui qu'a produit notre groupe, qui montrent que l'on peut transformer une cellule somatique en une cellule souche embryonnaire au moyen d'un clonage. Ces cellules sont totipotentes, c'est-à-dire qu'elles peuvent se transformer en n'importe quel tissu.
Chose encore plus importante, des cellules de types critiques, telles que les neurones dopaminergiques, les cellules productrices d'insuline...
La présidente: Dopa... je ne sais trop quoi.
M. Jose Cibelli: Dopaminergique, c'est-à-dire des cellules qui produisent de la dopamine pour le traitement de la maladie de Parkinson.
La présidente: Très bien. Merci.
M. Jose Cibelli: Des neurones dopaminergiques, des cellules productrices d'insuline, des muscles cardiaques, voilà autant de tissus qui ont été obtenus par une différenciation induite in vitro de cellules souches embryonnaires de souris. Récemment, on a publié, dans les actes de la National Academy of Science, un rapport montrant que l'on peut produire des cellules sanguines à partir de cellules souches embryonnaires humaines. Nous approchons donc du but visé.
Des études sur les greffes effectuées également avec ces cellules ont clairement indiqué le potentiel clinique. Dans le cas de la souris, par exemple, certaines personnes ont greffé ces cellules déjà différenciées dans le coeur. Tout indique que la greffe est parfaite.
L'une des objections actuelles à l'endroit de ces travaux, c'est qu'il ne faudrait pas créer aux fins de la recherche ou même pour sauver une vie humaine des blastocystes. Notre réaction première à cette objection c'est que, du point de vue scientifique, un blastocyste est simplement une manifestation de vie cellulaire et non une vie humaine individualisée. Les billions de cellules que contient notre corps sont toutes vraiment vivantes. En fait, la race humaine a évolué à partir d'un individu unicellulaire.
• 1130
La vie humaine, par opposition à la vie cellulaire simple,
commence au plus tôt, à environ 14 jours de développement humain,
environ au moment où le blastocyste s'attache à la paroi utérine de
la mère. Avant cela, le blastocyste n'a aucun type de cellule
somatique et, en fait, n'a même aucune cellule rattachée à la
lignée somatique. À ce moment, l'embryon ne s'est pas
individualisé. Par exemple, il peut encore se transformer en deux
jumeaux identiques si on le divise.
Si les faits ne nous permettent pas de dire d'un blastocyste que c'est un individu, pourquoi certaines personnes proposent-elles de le désigner comme une personne, ayant des droits plus importants que ceux que l'on accorde à un foetus, qui a tous ses organes en place et qu'une femme peut choisir d'avorter? Du point de vue moral, cela voudrait dire que quiconque croit qu'un être humain conscient mérite qu'on lui accorde une valeur morale plus importante qu'une masse non différenciée de cellules embryonnaires précoces devrait être convaincu de la validité éthique d'élaborer et d'utiliser le clonage thérapeutique pour traiter et soigner des maladies humaines.
En dernier lieu, je tiens à répéter que le clonage thérapeutique a le potentiel d'alléger ou de supprimer la souffrance humaine de millions de personnes, mais que l'on va empêcher ce progrès de se réaliser si les législateurs commencent à adopter de vastes restrictions contre le clonage humain et contre la recherche portant sur les cellules souches.
Dans un rapport récent—très récent en fait—des National Academies des États-Unis sur l'utilisation des cellules souches pour la médecine régénératrice, la dernière recommandation, le dernier paragraphe, énonce clairement la perspective actuelle de la collectivité scientifique et médicale:
-
En conjonction avec la recherche sur la biologie de la cellule
souche et le développement de thérapies potentielles ayant recours
aux cellules souches, la recherche sur les méthodes pouvant
prévenir le rejet immunitaire des cellules souches et des tissus
dérivés de cellules souches devrait être activement poursuivie. Ces
efforts scientifiques incluent l'utilisation d'un certain nombre de
techniques pour manipuler la nature génétique des cellules souches,
y compris le transfert de noyaux de cellules somatiques.
Nous croyons sincèrement que l'honorable Chambre des communes du Canada aura la sagesse et le courage nécessaires pour permettre que cette recherche se poursuive. Des millions d'êtres humains souffrant actuellement de maladies et de vieillissement, y compris nous-mêmes dans un avenir plutôt rapproché, en seront à jamais reconnaissants.
Merci.
La présidente: Merci, monsieur Cibelli.
Nous passons maintenant au professeur Timothy Caulfield, de l'Université de l'Alberta.
M. Timothy Caulfield (professeur, Université de l'Alberta, Health Law Institute): Merci beaucoup.
Tout d'abord, je tiens à remercier le comité de me donner l'occasion de parler de ce qui, selon moi, représente une initiative législative de la plus haute importance. Malgré les critiques qui seront exprimées ultérieurement, je tiens également à féliciter le gouvernement tant pour avoir fait avancer cette initiative—elle est manifestement nécessaire—que pour avoir présenté ce que je considère être une mesure législative ayant de nombreux attributs positifs.
Cependant, lors de bon bref exposé, je me servirai de l'exemple de la technologie de clonage pour faire ressortir les points qui à mon avis sont les faiblesses de la proposition présentée. Tout particulièrement, j'aborderai trois grands points: pourquoi, à mon avis, l'interdiction pénale n'est pas la façon de procéder; l'importance de justifications scientifiques fiables pour ces interdictions; et enfin, j'aimerais proposer un modèle de rechange à votre comité.
Un mécanisme de surveillance clair est incontestablement nécessaire. Il existe actuellement des techniques et des activités scientifiques qui ne devraient pas être autorisées, mais à mon avis les interdictions pénales ne sont pas nécessaires et elles ne sont pas le type de réglementation qui s'impose dans ce domaine. Les lois pénales sont des instruments brutaux et inflexibles et leur modification nécessite beaucoup de temps et d'énergie politique comme tous ceux qui sont dans cette salle le savent certainement mieux que moi. En fait, je crois que les progrès rapides dont nous sommes témoins dans ce domaine apportent davantage d'eau au moulin pour ceux qui s'opposent aux lois pénales que pour ceux qui y sont favorables; le Canada a besoin d'un cadre juridique qui puisse répondre aux changements scientifiques et sociaux.
• 1135
Permettez-moi de présenter mes arguments.
Je crois que l'absence de consensus sur bon nombre des interdictions pénales proposées ne fait que compliquer la situation. Comme l'ont signalé les auteurs de nombre de commissions sur le droit, le droit pénal doit être réservé aux questions sur lesquelles le consensus social est fort. Dans l'un des documents d'information qui accompagne les propositions présentées en mai, on précise qu'«il existe un vaste consensus voulant que les activités qu'interdirait la législation proposée sont inacceptables au Canada». Cela est tout simplement faux. En fait, de nombreuses activités prohibées, y compris la création d'embryons pour la recherche sont encore des questions controversées, par exemple, les traitements à base de cellules germinales et le clonage humain, tout particulièrement à des fins thérapeutiques et continuent de susciter de nombreux débats à l'échelle nationale et internationale. Je ne dis pas que j'appuie l'utilisation de ces technologies, ou qu'on devrait poursuivre la recherche, mais simplement qu'il n'existe pas de consensus.
Par exemple, lors d'un récent sondage on a constaté que les trois quarts des Canadiens sont favorables au clonage thérapeutique—et encore une fois ce n'est pas le terme le mieux choisi. Les recherches menées dans d'autres pays montrent également que le recours à cette technique ne soulève pas d'opposition radicale; comme vous le savez d'ailleurs, le Royaume-Uni, certains groupes américains et nombre d'intervenants du secteur scientifique s'opposent également à une interdiction générale. Il est donc clair qu'il n'existe pas de consensus sur la question.
Je ne dis pas que le gouvernement fédéral devrait légiférer en s'inspirant des résultats de sondages. En effet, les sondages sont fondés sur une méthodologie qui comporte des lacunes inhérentes. Cependant, je crois qu'il est clair que le gouvernement fédéral ne peut pas justifier nombre de ces interdictions, comme celle qui vise le clonage thérapeutique, en invoquant la présence d'un consensus social fort. Cependant, il est encore plus important de noter que le gouvernement doit reconnaître à la fois la nature dynamique de la science dans ce secteur et l'évolution rapide et inéluctable des normes sociales; ces facteurs continueront à rendre la tâche difficile aux décideurs qui devront justifier des interdictions pénales en se fondant exclusivement sur un consensus social.
J'aimerais maintenant passer à ce qui est à mon avis un autre problème posé par la mesure législature proposée, soit le fait que les justifications invoquées à l'appui d'un certain nombre d'interdictions ne sont pas particulièrement bien énoncées. Pis encore, dans la mesure où elles sont associées à l'instrument réglementaire le plus puissant que le gouvernement fédéral ait à sa disposition, à savoir le droit criminel, elles peuvent légitimer formellement et avec force des conceptions scientifiquement inadéquates et inexactes de la génétique humaine.
Par exemple, quoiqu'il existe plusieurs arguments valables contre le clonage humain, au nombre desquels figurent les préoccupations associées à la santé et à la sécurité, dont nous avons déjà entendu parler, et le fait que le clonage humain risque de faciliter l'amélioration génétique, ce qui donne lieu à des préoccupations d'ordre psychologique, les explications qu'avance le gouvernement fédéral manquent de cohérence, sont scientifiquement inexactes et s'inscrivent dans la mouvance du déterminisme génétique. À certains égards, l'argument invoqué par le gouvernement contre le clonage humain—je parle ici du clonage humain à des fins de reproduction—et la définition que le gouvernement donne d'un clone reposent explicitement ou implicitement sur la croyance voulant que notre avenir réside dans nos gènes et que le sentiment que nous avons de nous-mêmes est nécessairement lié à notre patrimoine génétique. Cette version déterministe de la génétique n'est pas fondée sur des données biologiques et présente des dangers sociaux.
L'objectif du gouvernement dans ce contexte est donc de protéger le public contre les dangers véritables qui pèsent sur sa santé et sa sécurité, lesquels sont incontestablement bien réels, et de promouvoir un débat permanent sur les dimensions scientifiques, philosophiques et sanitaires de cette technique. En effet, cet objectif est fondamental dans la lutte contre l'émergence d'un ethos déterministe. Tout compte fait, l'interdiction proposée pourrait, paradoxalement, contribuer à promouvoir et à enraciner une attitude sociale qui est plus problématique que l'utilisation de la technique du clonage.
J'aimerais profiter de l'occasion pour proposer un modèle de rechange, parce que je crois qu'il en existe un, un modèle qui permettrait au gouvernement fédéral d'atteindre les buts qu'il s'est donnés et de créer un cadre réglementaire plus souple et plus efficace.
Le gouvernement fédéral pourrait créer un organisme de réglementation qui aurait le pouvoir de délivrer des licences pour un ensemble défini d'activités, identiques à celles qui sont proposées dans la mesure législative, et de dresser une liste moratoire—peut-être qu'un meilleur terme serait une liste d'interdiction—de la modifier et de surveiller son application. Cette liste pourrait énumérer les activités qui pour l'heure ne devraient pas être autorisées.
• 1140
De plus, la loi pourrait prévoir un processus de consultation
spécifique qui faciliterait et encouragerait un dialogue
interdisciplinaire permanent sur ces questions essentielles. Ce
processus de consultation obligatoire calmera ceux qui jugeront ce
processus non démocratique; en d'autres termes, l'un des principaux
avantages de cette méthode est que la responsabilité est confiée à
un organisme de réglementation plutôt qu'au Parlement. Je crois que
cette façon de procéder permettra d'assurer que les interdictions
continuent à refléter les préoccupations générales, et publiques de
l'heure ainsi que l'état des connaissances scientifiques. De plus,
et c'est encore plus important, je crois que cette méthode
permettra de perfectionner sans cesse le régime réglementaire.
Il va de soi que la problématique des compétences fédérales-provinciales joue un rôle important dans ce contexte. Des décisions rendues récemment par la Cour suprême semblent donner au gouvernement fédéral une très grande latitude pour ce qui est de la promulgation de lois pénales. C'est là une question à laquelle j'ai consacré beaucoup de temps et j'ai eu l'occasion de discuter de la question avec nombre de mes collègues experts en droit constitutionnel. Le gouvernement fédéral demeurerait l'autorité compétente tant que le régime réglementaire comporte des interdictions pénales et vise des questions pertinentes en matière de santé publique. Avec le mécanisme que je propose, les interdictions pénales ne viseraient que le particulier qui enfreint les conditions d'un permis donné ou se livre à une activité figurant sur la liste moratoire.
Dans l'affaire Hydro-Québec étudiée par la Cour suprême, qui portait sur la constitutionnalité de règlements—je suis convaincu que nombre d'entre vous sont au courant de ce dossier—la Cour suprême a indiqué clairement qu'elle pensait qu'une certaine souplesse réglementaire était nécessaire pour pouvoir atteindre les objectifs légitimes des lois relevant du droit criminel fédéral. Cette idée est d'ailleurs joliment résumée dans la note générale concernant l'affaire:
-
La formulation large est inévitable dans une loi sur la protection
de l'environnement en raison de l'ampleur et de la complexité du
sujet. Exiger une plus grande précision aurait pour effet de faire
échouer la législature dans sa tentative de protéger le public
contre les dangers découlant de la pollution.
Il en va de même de toute loi dans le domaine de la génétique et des techniques de reproduction. D'aucuns pourraient en effet prétendre que le seul moyen d'atteindre raisonnablement les objectifs des propositions et, partant, un certain degré de précision, consiste à créer un mécanisme plus souple et plus adapté. Je crois que cela serait possible si on apportait de petites modifications à la proposition présentée.
Bref, afin de créer une loi qui soit pertinente pendant une longue période et qui soit à l'avantage de tous les Canadiens, nous devons faire trois choses: nous devons nous éloigner des interdictions pénales, ou, à tout le moins, réserver les vraies interdictions pénales pour les quelques secteurs où il existe un certain consensus social. Nous devons avoir toutes les justifications nécessaires, y compris les justifications scientifiques. Cela est tout particulièrement important parce que cette loi créera un précédent important dont on s'inspirera pour les autres secteurs en pleine évolution. Enfin, je crois que nous devons faire preuve de créativité et créer un cadre réglementaire adapté qui réponde au défi unique, qui change sans cesse, de ce secteur en pleine évolution.
Merci.
La présidente: Merci, monsieur Caulfield.
Vous nous avez donné matière à réflexion et je suis persuadée que les membres du comité voudront des précisions et auront des questions pour connaître votre opinion sur certaines autres choses.
Nous allons donc commencer par M. Merrifield.
M. Rob Merrifield (Yellowhead, Alliance canadienne): Merci. Vous nous avez parlé d'une étude fascinante et c'est heureux que vous soyez ici ce matin pour nous donner vos opinions sur tout cela.
Ma première question s'adresse à M. Caulfield. En ce qui concerne le droit civil du Québec et le droit des autres provinces, pouvez-vous nous décrire la différence entre le droit criminel et le droit de la famille dans ce domaine?
M. Timothy Caulfield: Je craignais que vous alliez m'interroger au sujet du droit civil, domaine que je ne connais pas très bien.
M. Rob Merrifield: La question n'est peut-être pas très juste, mais quel régime serait préférable à votre avis?
M. Timothy Caulfield: Incontestablement, il y a des questions de compétence à régler, et j'ai l'impression que c'est ce à quoi vous voulez en venir. Il y a de nombreux aspects du sujet qui pourraient, à juste titre, relever de la compétence provinciale, la santé, le droit de la famille, etc., même le droit civil, si c'est ce que vous voulez dire. Néanmoins, je crois que les précédents existent. J'ai mentionné une affaire, celle d'Hydro-Québec, une affaire de droit environnemental. Il y a RJR-Macdonald, qui portait sur le tabac. Il y a deux causes portées devant la Cour suprême qui ont donné, je pense, beaucoup de latitude au gouvernement fédéral.
• 1145
Le modèle a été adopté tel que proposé et je ne doute pas que
le gouvernement fédéral maintienne sa compétence en la matière. Le
modèle que d'autres et moi-même avons proposé soulève toutefois
d'autres questions constitutionnelles. Néanmoins, je pense qu'à la
lumière des précédents actuels, le gouvernement fédéral
maintiendrait sa compétence.
Je ne veux pas diminuer l'importance de la question de compétence. Il est possible d'imaginer que même des entreprises privées pourraient contester la compétence du gouvernement fédéral en la matière. Toutefois, j'estime important, malgré les incertitudes constitutionnelles, de rédiger une loi qui soit pertinente à long terme.
Est-ce que cela vous est utile?
M. Rob Merrifield: Non. La question est intéressante. Vous avez fait des hypothèses sur ce qui arrivera. Je veux votre opinion sur ce qui devrait arriver.
M. Timothy Caulfield: Disons que l'on demande immédiatement à la Cour suprême du Canada de se prononcer sur la question de compétence. Je pense que le gouvernement fédéral garderait compétence en la matière. Comme je l'ai dit au cours de mon exposé, c'est au coeur même de cette question. J'ai eu l'occasion de faire un sondage officieux auprès de certains professeurs de droit constitutionnel au pays et depuis le projet de loi C-47, ils ont changé d'avis, car nombre des poursuites ont été intentées après 1997 et ils estiment donc que maintenant, c'est le gouvernement fédéral qui a la compétence. Quand il faut compter sur une décision des tribunaux pour garder sa compétence, cela crée une certaine incertitude et à mon avis, comme je l'ai dit au cours de mon exposé, et dans mon mémoire, la compétence existe.
M. Rob Merrifield: Pour parler un peu d'autres choses, je vais demander à Janet une question sur les cellules embryonnaires et leur utilisation.
Tout d'abord, c'est un peu confus dans mon esprit. Vous dites que si l'on prend un ovule dont on retire le noyau pour le remplacer par le noyau d'une autre cellule adulte, cela ne donne pas nécessairement un embryon. Ce n'est pas un ovule fécondé. Ou est-ce un ovule fécondé à ce moment-là?
Mme Janet Rossant: Je dirais que c'est un embryon, car aussitôt que vous activez le noyau et que vous permettez à l'embryon de commencer à se diviser, le noyau est maintenant reprogrammé et agit désormais comme un embryon.
M. Rob Merrifield: C'est parce que la vie existe.
Mme Janet Rossant: Il n'y a pas eu fécondation, mais le noyau provenait, à l'origine du produit de la fécondation. Le noyau provenait, à l'origine, d'un ovule au cours du processus de développement. Il y a deux parents, une mère et un père. Je pense donc qu'il n'est pas nécessairement valide de faire une distinction entre un embryon créé par le transfert de noyaux et un embryon fécondé.
M. Rob Merrifield: C'est très bien.
On semble faire beaucoup d'effort du côté embryonnaire pour obtenir des cellule souches, pour en augmenter l'élasticité, etc. Bien des témoins sont venus nous dire la même chose. On peut obtenir des cellules souches d'un organisme adulte, du cordon ombilical et du liquide amniotique, comme on l'a dit, je crois, il y a une semaine; ces cellules souches n'ont-elles pas la même élasticité?
Mme Janet Rossant: Sans doute pas, du moins à l'heure actuelle. Nous ne pouvons pas dire qu'une cellule souche adulte ait le même degré de potentiel, d'élasticité et d'aptitudes pour former tous les types de cellules que peut former la cellule souche embryonnaire. Cela étant dit, des travaux de recherche très prometteurs indiquent que des cellules souches prélevées chez l'adulte pourraient avoir un potentiel bien supérieur à ce que nous pensons.
À long terme, nous ne savons pas quel sera l'avantage thérapeutique de ces recherches, ni si nous serons en mesure de prendre des cellules souches embryonnaires et de les diriger avec une précision suffisante pour pouvoir les utiliser, ou si nous pourrons faire la même chose avec des cellules souches adultes. Au plan scientifique, nous en sommes actuellement à l'étape exploratoire et il faut poursuivre les recherches sur les deux terrains, car ils s'enrichissent mutuellement. Les connaissances sur le développement et la différenciation des cellules souches embryonnaires peuvent nous aider à modifier et à réorienter des cellules souches adultes. Si nous réussissons, à long terme, à utiliser et à réactiver nos propres cellules souches à des fins thérapeutiques, ce sera sans doute la façon idéale d'envisager l'utilisation de ces cellules souches. Mais nous n'en sommes pas encore là. Nous ne savons pas non plus utiliser les cellules souches embryonnaires à des fins de thérapie humaine. Il faut donc continuer à progresser sur les deux terrains.
• 1150
Je répète cependant que la recherche fondamentale sur les
cellules souches embryonnaires ne nécessite pas, dans l'état actuel
des choses, de transfert de noyaux ni de clonage thérapeutique.
L'utilisation de la technique de clonage pour produire des cellules
souches est une autre méthode qui permettrait de produire des
cellules souches génétiquement identiques à celles de la personne
qui a besoin d'une greffe. Actuellement, nous étudions ces cellules
en culture, et dans une étape ultérieure, nous les étudierons dans
des systèmes modèles.
C'est une question importante. Si nous voulons les utiliser, il faut éviter leur rejet. Le clonage thérapeutique constitue une possibilité pour y parvenir, mais il y en a peut-être d'autres. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'on peut faire dès maintenant de la recherche sur les cellules souches à partir des embryons et des organismes adultes sans recourir au clonage thérapeutique.
M. Rob Merrifield: Est-ce que vous dites que pour créer de la moelle osseuse, il faudrait utiliser des cellules souches embryonnaires? Ne dispose-t-on pas déjà de statistiques indiquant qu'on en obtient déjà à partir d'organismes adultes?
Je crains qu'on ne veuille aller trop vite. Des scientifiques de différents domaines viennent nous dire que la recherche sur les cellules souches embryonnaires présente un potentiel considérable, et tout le monde se précipite dans cette voie. J'ai l'impression qu'on a des connaissances scientifiques très solides du côté des cellules souches adultes, et pourtant, je n'entends jamais personne affirmer à grand cri que c'est dans ce domaine qu'il faut chercher les réponses. Vous dites qu'il y a un certain potentiel du côté embryonnaire, mais nous savons qu'il y en a également du côté de la cellule souche adulte. Je crains qu'on s'intéresse trop au domaine embryonnaire, au détriment de la recherche sur la cellule souche adulte.
Mme Janet Rossant: Je peux vous assurer que ce n'est pas le cas au Canada, et que la recherche sur les cellules souches adultes y progressent de façon étonnante. Une bonne partie des principes de base et des premières découvertes résultent des travaux réalisés au Canada par Till et McCulloch à Toronto et par C.P. Leblond à Montréal, qui ont véritablement défini les paramètres de la cellule souche à partir de cellules adultes. Si vous vous renseignez sur les subventions de recherche accordées au Canada à des travaux sur des cellules souches, vous verrez qu'elles concernent, pour la plupart, des cellules souches adultes.
Les cellules souches embryonnaires présentent, quant à elles, d'énormes possibilités. Le grand avantage des cellules souches embryonnaires par rapport aux cellules souches adultes, c'est leur pouvoir de division infinie. Il est vrai qu'on peut obtenir des cellules souches de la moelle épinière—c'est d'ailleurs de cette façon que s'effectuent les greffes de moelle épinière—mais personne n'est encore parvenu à amener ces cellules souches à se reproduire indéfiniment de sorte qu'il soit possible, au lieu que le prélèvement de cellules souches d'une personne serve à une seule greffe, de se servir de ces cellules pour faire des greffes de la moelle épinière sur toute la population du Québec, par exemple. Les cellules souches embryonnaires, elles, se divisent à l'infini.
L'un des objectifs de la recherche sur les cellules souches adultes est de comprendre pourquoi, contrairement aux cellules souches embryonnaires, elles ne se reproduisent pas à l'infini alors qu'on voudrait les amener à le faire. J'effectue des recherches sur les cellules souches embryonnaires des souris et ce domaine de recherche est pour moi fort stimulant. Beaucoup de chercheurs travaillent certainement dans ce domaine, mais nous ne savons pas pour l'instant si ces recherches seront fructueuses.
M. Rob Merrifield: Nous ne sommes pas encore au bord du gouffre, mais nous en voyons les contours d'où nous nous trouvons. Nous voyons se profiler devant nous ce qu'on appelle souvent la pente éthique dangereuse. Il y a une génération dans notre société, celle des baby-boomers—et je me considère dans cette catégorie—qui est quelque peu gâtée. Nous avons plié les choses à notre bon plaisir toute notre vie. Nous ne renoncerons à rien pour demeurer en vie et pour continuer à plier les choses à notre bon plaisir jusqu'à la fin. Je dois dire que cela m'effraie un peu lorsque je vois jusqu'où nous sommes prêts à aller de ce point de vue en ce qui touche l'aspect éthique des recherches scientifiques.
• 1155
Au cours des seules cinq dernières années, les progrès
scientifiques ont été phénoménaux. Je me demande vraiment s'il est
sage de s'engager dans ces voies aussi rapidement et de façon aussi
soutenue que nous le faisons.
La présidente: Je vous remercie, monsieur Merrifield.
Madame Beaumier, vous avez la parole.
Mme Colleen Beaumier: Quel exposé fascinant qui m'a tenue vraiment éveillée.
Vous avez parlé de la formation des cellules et des questions morales. Je donne l'impression d'être une idiote, je le sais, et je ne connais pas la terminologie juste, mais, d'après vous, à quel stade peut-on considérer que ces cellules constituent un être humain?
M. Jose Cibelli: C'est la loi qui le détermine. Certains pensent qu'on devrait considérer qu'un foetus est un être humain à partir du 14e jour de conception. C'est une limite qu'on fixe, mais le problème est qu'il n'y a pas de limite. Il est très difficile aux scientifiques de dire quand la vie humaine commence et quand des cellules peuvent être considérées comme un être humain. C'est pourquoi on parle de la différenciation des cellules qui commencent à peu près au 14e jour.
Mme Colleen Beaumier: Avant le 14e jour, si l'on vous donne ce noyau indéterminé, pouvez-vous déterminer de façon scientifique si ces cellules produiront un être humain ou une chèvre, par exemple?
M. Jose Cibelli: Il ne fait aucun doute que si l'on transplante l'embryon dans l'utérus...
Mme Colleen Beaumier: Non, je ne parle pas de ce qui se passe avant la transplantation. Je me demande ce qui se produirait s'il n'y avait pas de transplantation.
M. Jose Cibelli: S'il n'y avait pas de transplantation, on n'obtiendrait jamais un être humain. On aurait toujours une masse de cellules. Un embryon ne survit pas très longtemps in vitro. Nous ne comprenons pas très bien pourquoi nous ne pouvons pas reproduire l'utérus et créer un utérus in vitro. Les cellules peuvent survivre in vitro pendant un certain temps, mais elles mourront ensuite à moins qu'on puisse les amener à se reproduire. C'est ce qui s'est produit pour la première fois en 1998. Quelqu'un est parvenu à maintenir ces cellules vivantes dans des êtres humains.
Mme Colleen Beaumier: Un noyau humain qui aurait été produit pourrait-il survivre dans une brebis ou dans un autre animal?
Je dois admettre que tout ce dont vous nous parlez est un peu effrayant pour bon nombre d'entre nous. J'ai lu une bonne partie des publications de M. Caulfield, et il est question de ne pas demander au Parlement de se prononcer sur toutes ces questions. Pour bon nombre d'entre nous il est beaucoup plus facile de dire que le clonage est vraiment assez effrayant et inquiétant, mais que ça va si quelqu'un d'autre veut se donner à ce genre d'activité. Il faut cependant que quelqu'un accepte la responsabilité de décider si le clonage sera permis ou non.
Vous me dites qu'au cours des 14 premiers jours, rien ne distingue les cellules humaines des cellules animales?
M. Jose Cibelli: Non. Je dis simplement qu'il s'agit d'un groupe de cellules qui cherchent à se différencier pour devenir un être humain. On peut les maintenir dans un état de suspension, si je puis dire, et les maintenir dans cet état indéfiniment. Par la suite, on peut les amener en laboratoire à devenir certains types de tissus.
Mme Colleen Beaumier: Si vous ne mettiez pas vous-même fin à l'existence de ces cellules, elles mourraient naturellement, n'est- ce pas? Si elles ne sont pas implantées dans un utérus, elles mourraient naturellement, n'est-ce pas?
M. Jose Cibelli: Revenons aux procédures. On prélève un embryon humain cinq jours après la fécondation et on amène les cellules à se reproduire in vitro. On a alors une boule de cellules dont la taille est d'environ un dixième d'un millimètre. C'est très petit. Nous maintenons cette boule de cellules dans cet état, elles ne deviendront jamais un foetus; elles mourront parce que nous ne savons pas comment les amener à se transformer en foetus en laboratoire. Si vous enlevez les couches extérieures de cette boule de cellules, vous obtiendrez un petit groupe de 30 à 40 cellules qu'on appelle la masse cellulaire interne parce qu'elle est à l'intérieur. Nous prenons ces cellules et nous en faisons la culture dans une boîte de Pétri. Elles vont croître indéfiniment. Si l'on prenait certaines de ces cellules et qu'on les implante dans un utérus, obtiendrait-on un être humain? Non, parce qu'il n'y aura pas de placentation normale. Ces cellules ne deviendront jamais un être humain, mais elles peuvent devenir différents types de tissus.
Mme Colleen Beaumier: Je crains que j'ai encore beaucoup de questions stupides à poser avant que nous n'ayons terminé cette étude.
La présidente: L'explication que vous a donnée M. Cibelli a précisé des choses pour moi.
Mme Colleen Beaumier: Oui. Vos trois exposés ont vraiment fait une grande impression sur moi.
Que quelqu'un d'autre poursuive pendant que j'essaie de m'y retrouver.
La présidente: Très bien. Vous avez en fait épuisé le temps qui vous était imparti.
Mme Colleen Beaumier: D'accord. Je ne sais plus ce que je dis.
La présidente: Je pourrai vous redonner la parole plus tard parce que nous ne sommes pas très nombreux aujourd'hui, mais voyez-vous des objections à ce que je donne maintenant la parole à M. Ménard?
Mme Colleen Beaumier: Je vous prie.
La présidente: Très bien.
Monsieur Ménard, vous avez la parole.
[Français]
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Merci, madame la présidente.
Je voudrais poser ma question à M. Caulfield, qui m'a beaucoup surpris lors de son témoignage. Quand je dis que je suis surpris, je veux dire qu'il nous a amenés réfléchir ou à aborder les choses un petit peu différemment. Est-ce que vous avez l'avant-projet de loi par-devers vous?
[Traduction]
M. Timothy Caulfield: Non, je regrette. Je ne l'ai pas.
[Français]
M. Réal Ménard: J'aimerais qu'on fasse l'exercice suivant. Vous avez dit qu'il serait possible pour le gouvernement fédéral, afin d'atteindre les mêmes objectifs, de maintenir certaines prohibitions qui sont de nature collective pour protéger les citoyens en recourant au Code criminel. J'aimerais que vous m'indiquiez d'abord, à partir des huit interdictions qui sont clairement explicitées à l'article 3 de l'avant-projet de loi, s'il vous apparaît qu'il y a un assez bon consensus autour de ces interdictions-là.
Deuxièmement, quelles dispositions analogues retrouve-t-on dans le Code criminel?
Par exemple, si on prend le clonage humain, je crois que vous êtes d'accord avec moi pour dire que sur ce plan, on ratisse assez large dans l'opinion publique quand on veut maintenir une interdiction. Est-ce que vous êtes d'accord pour dire qu'il n'y a rien dans le Code criminel?
[Traduction]
M. Timothy Caulfield: Oui.
[Français]
M. Réal Ménard: Pour la première, on s'entend.
En ce qui concerne la deuxième modification, finalement, il s'agit de choisir le type d'hérédité que l'on veut.
[Traduction]
M. Timothy Caulfield: Je conviens qu'il y a un consensus social en ce qui concerne le clonage à des fins de reproduction. Était-ce votre question?
[Français]
M. Réal Ménard: Oui.
[Traduction]
M. Timothy Caulfield: La portée de ce consensus est même suspecte. Cela étant dit, je ne m'oppose à une interdiction dans le Code criminel du clonage humain pourvu que cette interdiction se fonde sur des motifs scientifiques et philosophiques valables.
[Français]
M. Réal Ménard: Mais quand la ministre de la Justice a comparu devant ce comité et qu'elle a expliqué pourquoi, socialement, on veut interdire le clonage humain, c'est au nom de la singularité de chaque individu. On croit que chaque individu de la société est spécifique, et personne ne souhaiterait qu'il y ait deux Réal Ménard, personne ne souhaiterait qu'il y ait deux Bonnie Brown—please control yourself, gang—personne ne souhaiterait qu'il y ait deux Yolande Thibeault. Alors, la raison pour laquelle on veut interdire le clonage humain, c'est au nom d'une valeur canadienne qui reconnaît la singularité de chaque individu. Est-ce que vous êtes d'accord là-dessus?
M. Timothy Caulfield: Non. Il s'agit d'un point excellent et je suis heureux que vous l'ayez soulevé. Si nous pouvions vous cloner, ce clone serait une personne tout à fait unique. Cette personne aurait grandi dans un nouvel utérus, et aurait eu une tout autre alimentation. Ce que le Projet du génome humain nous a appris c'est qu'il existe une interaction gène-gène et gène-environnement extrêmement complexe. Le clone aurait-il le même génome que vous? Oui. Le clone aurait-il des traits semblables à vous? Oui. Il est cependant dangereux de présumer que votre individualité et votre autonomie sont menacées du fait que quelqu'un d'autre a le même génome que vous. Certaines questions se posent certainement...
[Français]
M. Réal Ménard: Attendez.
[Traduction]
M. Timothy Caulfield: Permettez-moi de terminer, car j'estime...
[Français]
M. Réal Ménard: Mais on ne comprend pas.
[Traduction]
M. Timothy Caulfield: ...qu'il s'agit d'un argument très important. Il y a des problèmes qui s'y rattachent. Je ne suis pas en train de dire que j'appuie le clonage humain. Le clonage humain facilite sans aucun doute l'amélioration génétique, mais il comporte également des problèmes en matière de santé et de sécurité. Pour ces seules raisons, il devrait être interdit.
[Français]
M. Réal Ménard: Pour ma part, par exemple, j'ai un frère jumeau identique. On a le même bagage génétique. Évidemment, on n'a pas la même personnalité. Mais ce que vous dites, c'est qu'il ne faudrait pas qu'on interprète, en tant que législateurs, que le fait que l'on clone quelqu'un fait en sorte qu'on va avoir le même bagage génétique, que ça ne va pas être le même individu. Comme valeur canadienne, puisque nous protégeons des valeurs dans une loi, vous dites que le fait de cloner quelqu'un ne doit pas être considéré comme une menace à la singularité des individus. C'est ce que vous dites.
Peut-être qu'on peut demander, madame la présidente, aux autres collègues s'ils partagent ce point de vue là. Peut-être que c'est une mauvaise valeur pour les législateurs et qu'on devrait permettre le clonage. Est-ce que vous partagez ce point de vue là? Non? Je m'adresse à...
[Traduction]
Mme Janet Rossant: Je suis d'accord avec vous que le clonage proprement dit ne produit pas des individus identiques, donc il n'influe pas sur la singularité ni ne la menace. Ce n'est pas un bon argument pour interdire le clonage. Il s'agit d'individus identiques sur le plan génétique, mais comme vous l'avez dit vous-même, des jumeaux identiques sont identiques sur le plan génétique mais il s'agit d'individus distincts. On me demande souvent si des clones partageraient la même âme. Je considère que de toute évidence ce n'est pas le cas, l'âme, l'identité telle que les êtres humains la conçoivent, n'est pas entièrement inscrite dans les gènes. Je crois que ce que Tim veut dire, ce n'est pas que nous ne devrions pas interdire le clonage, mais que cette menace à la singularité n'est tout simplement pas un argument qui le justifie.
[Français]
M. Réal Ménard: Pourquoi? Pourquoi faudrait-il interdire le clonage humain, à ce moment-là, si ce n'est pas en vertu de la singularité de l'individu?
[Traduction]
M. Timothy Caulfield: Je suis vraiment content que vous ayez posé cette question car il s'agit d'un dilemme persistant qui entoure le débat sur le clonage. Le National Bioethics Advisory Council aux États-Unis s'est également débattu avec cette question. Dans le rapport sur le clonage qu'ils ont publié peu de temps après que la brebis Dolly ait été clonée, ils ont expressément reconnu l'existence de ce paradoxe du déterminisme génétique et ont indiqué qu'il ne s'agit pas d'un argument justifiant l'interdiction du clonage. Cependant, ils ont ajouté que dans un monde où le déterminisme génétique existe, un individu créé par la technologie du clonage peut croire que son autonomie et sa singularité sont compromises. Ici encore, je n'accepte pas cet argument, car si c'est le cas, alors l'objectif du gouvernement devrait être de dissiper le mythe déterministique.
Quelles sont les raisons pour interdire le clonage? Tout d'abord, les préoccupations en matière de santé et de sécurité sont extrêmement importantes. Il sera difficile de contourner ces préoccupations car il est difficile d'imaginer un protocole de recherche éthique qui nous permettrait de les surmonter. La deuxième raison pour laquelle je crois que le clonage pose problème, c'est que même si un individu est cloné pour devenir un individu tout à fait unique, ils partagent le même génome. Par conséquent, cela faciliterait l'amélioration génétique. En d'autres mots, il serait plus facile de choisir des caractéristiques qui sont extrêmement génétiques, comme la taille—cela ne fait aucun doute—au moyen de la technologie du clonage. Je pense que la société canadienne a décidé que la technologie génétique ne devrait pas être utilisée pour sélectionner ce type de caractéristiques superficielles.
Je pourrais continuer, car il y a d'autres arguments qui militent contre le clonage, mais je crois que ce sont là des arguments solides. L'important à mon avis est d'avoir une loi fondée sur des raisons cohérentes sur le plan philosophique et exactes sur le plan scientifique. Est-ce que ces explications vous sont utiles?
[Français]
M. Réal Ménard: Oui. En tout cas, ça nous amène à voir les choses d'un façon très différente de ce qui a été exprimé jusqu'à maintenant. En ce sens-là, votre témoignage est très précieux pour les membres du comité.
• 1210
Quand on veut maintenir l'interdiction, par exemple,
de choisir certaines caractéristiques héréditaires... On
dit, entre autres choses, qu'il ne faut pas que les parents
viennent à dire qu'ils veulent modifier la lignée
germinale pour avoir une fille qui sera grande,
qui aura les yeux bleus
et les cheveux blonds. On dit dans l'avant-projet de loi
qu'on ne peut pas
modifier la lignée germinale pour décider
d'avoir une fille ou un garçon parce qu'on respecte
une valeur qui est inscrite dans la Charte, et qui
est l'égalité des individus.
Croyez-vous, par exemple, que l'interdiction qui est maintenue à l'alinéa 3(1)b) repose sur de fausses représentations ou est-ce que la rationalité qui nous est présentée est la bonne? Croyez-vous qu'on devrait pouvoir choisir le sexe de son enfant?
M. Timothy Caulfield: Non.
M. Réal Ménard: Pourquoi?
M. Timothy Caulfield: Pourquoi?
[Traduction]
Je ne crois pas forcément qu'il faudrait que cela soit interdit par la loi. Je ne veux pas dire par là que nous devrions avoir des lois moins rigoureuses. Au contraire, je crois que le régime réglementaire que je propose permettrait d'établir des règlements plus précis. Il deviendra plus facile de cibler les activités qui correspondent à l'objet de la loi.
L'un des problèmes des lois pénales, et c'est une opinion qui est partagée j'en suis persuadé par d'autres chercheurs ou avocats, c'est qu'il s'agit d'instruments grossiers. Il serait peut-être préférable d'interdire par exemple le choix du sexe dans le cadre d'un régime réglementaire, à titre d'interdiction prévue par voie de règlement. Ce choix n'est donc pas autorisé, il demeure interdit, mais cette interdiction peut être interprétée et modifiée par l'instance de réglementation. Un certain nombre de mes collègues en droit familial ont signalé des incohérences dans cette définition de choix du sexe. Je m'en excuse et je me ferais un plaisir de vous apporter plus d'éclaircissements à cet égard. Ici encore, cela souligne l'importance de prévoir une interdiction nette et précise.
La présidente: Votre temps est écoulé. Nous pourrons peut-être revenir à vous, mais j'aimerais pouvoir passer à l'intervenant suivant.
Madame Sgro, je vous prie.
Mme Judy Sgro (York-Ouest, Lib.): Dans le droit fil de ce que disait mon collègue au sujet du recours au droit pénal, il faut un message, professeur. Il faut faire parfaitement comprendre que certaines choses ne vont pas être permises. Pour être franche avec vous, je pensais—ou je me plaisais à penser—que si nous introduisions cela dans le Code criminel, ce serait de façon comminatoire. Cela aussi ferait partie du message que nous voudrions faire passer, en l'occurrence qu'il y a certaines choses qui ne vont être ni admises, ni encouragées au Canada.
M. Timothy Caulfield: C'est tout à fait pertinent.
Peut-être y en a-t-il d'autres, mais il y a au moins trois arguments qui militent vigoureusement contre ma proposition. Tout d'abord, vous avez parfaitement raison, le droit pénal a un impact symbolique très fort. Lorsqu'on parle d'un régime réglementaire, cela a une connotation bureaucratique qui fait penser à un contrôle exercé par Santé Canada. Le deuxième argument est la question constitutionnelle dont j'ai déjà parlé. Le troisième est le problème de la démocratie, c'est-à-dire que nous nous en remettons au Parlement. Je pense avoir les répliques aux trois arguments.
S'agissant de la symbolique, je pense que cet argument est important mais, dès lors qu'on légifère—et souvenez-vous bien que je ne prétends pas que cela va se transformer forcément en un régime réglementaire—il faut que la loi crée en parallèle un organe de réglementation doté d'un mandat très clair. Il faut que le préambule de la loi soit rigoureux, et je pense que c'est déjà le cas. Il y a également des interdictions comminatoires. Dès lors que la liste des interdictions n'est pas respectée, il y a des conséquences pénales, de sorte que le message reste très fort.
Par ailleurs, il y a un organisme de réglementation, comme dans le cas de la Grande-Bretagne, qui a un rôle de vulgarisation et qui peut faire en sorte que le message continue à être entendu, et qui mobilise sans cesse la population. Je pense que si vous structurez bien les choses, cela devient en fait beaucoup plus symbolique encore étant donné que le droit pénal a souvent tendance, nous l'avons vu ailleurs, à polariser le débat. Dès lors que cela devient une loi pénale, le ton du débat change. J'aimerais que ce débat soit constructif et durable étant donné que ce sont là des problématiques qui ne vont pas disparaître du jour au lendemain. La science va sans cesse nous apporter de nouvelles technologies et nous poser de nouveaux défis. Créons donc un organisme qui nous permette d'en prendre acte promptement et de façon constructive.
Mme Judy Sgro: Nous parlons dans la loi d'une interdiction du clonage à des fins thérapeutiques. Porterions-nous ici préjudice au milieu scientifique, et donc à nous-mêmes, en limitant les utilisations futures à des fins médicales?
Mme Janet Rossant: C'est probablement la question à laquelle il est le plus difficile de répondre à l'heure actuelle. Nous avons tous les deux dit, vous nous avez entendus, que le clonage par transfert de noyaux pour créer des cellules souches présente des potentialités thérapeutiques et peut également être un outil expérimental. Mais en règle générale, je dirais encore une fois qu'un scientifique répugnerait à ce que le droit pénal lui interdise de faire quelque chose qui pourrait un jour avoir une utilité thérapeutique. Je pense que cela revient à ce que disait Tim, c'est-à-dire qu'il y a des domaines—ce qui n'est pas le cas de celui-ci—dans lesquels ni le grand public, ni les milieux scientifiques s'entendent sur les débouchés possibles. Mais si vous interdisez la chose, à ce moment-là il devient extrêmement difficile de contourner cette interdiction dès lors qu'elle est comminatoire. Par contre, un organisme de réglementation bien armé pourrait, à mesure que la situation évoluerait, réagir avec beaucoup plus de souplesse que ce ne serait le cas sous un régime d'interdiction légale.
Mme Judy Sgro: Vous faites probablement plus confiance que moi à un système de réglementation.
Mme Janet Rossant: Je sais que, pour ce qui est de ce projet de loi, il s'agit d'un élément extrêmement important et il l'est pour nous aussi qui sommes un peu en dehors. Certes, il y a déjà des exemples. Le modèle britannique, la HFEA, est à mon avis un exemple dont on peut s'inspirer. Cette loi a produit de bons résultats. La recherche est réglementée, la population a confiance et les scientifiques ont également confiance.
Mme Judy Sgro: Mais il nous sera quand même possible d'examiner notre loi dans trois ou cinq ans. Au lieu de cinq, nous pourrions envisager d'effectuer cet examen au bout de trois ans, si nous estimons que la science évolue à un rythme si rapide qu'il nous faut rester à jour et à même de tenir compte de l'opinion publique, et d'agir dans l'intérêt supérieur des Canadiens.
M. Jose Cibelli: Puis-je répondre à cela?
Il conviendrait peut-être d'examiner continuellement la loi. À mon avis, un délai de trois ans est trop long, car les choses évoluent très rapidement. Il y a tant de bons scientifiques au Canada que l'on va immanquablement leur faire du tort si on interdit le clonage thérapeutique. On peut interdire l'utilisation des cellules qui sont retransplantées dans un patient parce que c'est peut-être encore un peu tôt, mais nous disposons de données, d'après les essais faits sur les animaux, qui prouvent que cela va fonctionner. Je ne connais pas les chiffres exacts pour le Canada, mais je sais qu'aux États-Unis, il y a près de 120 ou 130 millions de personnes qui pourront profiter de cette thérapie. On ne peut pas y renoncer.
Mme Janet Rossant: En ma qualité de scientifique, je me dois de vous rappeler que le clonage thérapeutique n'est pas le seul moyen d'offrir une telle thérapie. Je suis donc loin d'être convaincue qu'il faut procéder au clonage thérapeutique pour faire avancer la médecine régénératrice. J'envisage les choses sous un angle scientifique général, je suppose, en disant que nous devons garder toutes nos options à l'heure actuelle.
Mme Judy Sgro: Très bien. Je vous remercie.
La présidente: C'est bien.
Mes collègues me permettent-ils de poser une question? Je crains que le timbre ne sonne sous peu.
Je dois vous dire que, depuis le début de nos audiences, ce qui me préoccupe le plus, c'est ce qui se passe dans le domaine de la fécondation in vitro à des fins de reproduction, et tous les adultes qui sont concernés par cette procédure, notamment les parents demandeurs, les donneurs, la mère de substitution, etc. Vous êtes en train de me dire ce matin que, grâce au clonage thérapeutique, nous pourrions obtenir des embryons auprès d'un seul donneur, le donneur de gamètes. Est-ce bien cela? Ensuite, vous dites que ce même donneur de gamètes pourrait se faire prélever une cellule d'une autre partie du corps pour l'injecter dans l'ovocyte, de sorte que nous avons maintenant un seul adulte qui a créé cet embryon. Est-ce bien cela?
Mme Janet Rossant: Oui.
La présidente: Auquel cas, nous nous débarrasserions de toutes les autres personnes qui participent apparemment à la création de l'embryon, lequel débouche sur la création d'un enfant.
Du coup, j'en arrive à me demander pourquoi nous voulons interdire le clonage à des fins thérapeutiques. Cela semble beaucoup plus facile.
Mme Colleen Beaumier: Non, vous vous trompez.
La présidente: Non?
Mme Janet Rossant: C'est le clonage à des fins de reproduction.
M. Timothy Caulfield: Vous parlez de clonage aux fins de reproduction. C'est ce que vous nous avez décrit.
La présidente: Ah bon.
M. Timothy Caulfield: Vous avez raison jusqu'au moment de la création de l'embryon à des fins de recherche, mais la technologie que vous décrivez est bien celle du clonage reproductif.
La présidente: Très bien. Et c'est ce qui est trop dangereux, de l'avis unanime. Même si on utilise l'embryon uniquement aux fins de recherche?
Mme Janet Rossant: C'est ce que nous proposons, il y a donc cette distinction à faire.
La présidente: Vous avez tout à fait raison.
Mme Janet Rossant: Le clonage aux fins de reproduction consisterait à prélever l'embryon et à le remettre, pour en arriver à la naissance d'un bébé.
La présidente: Ce n'est pas ce que je veux faire.
Comprenez, on nous a décrit tant d'abus liés à l'utilisation des embryons supplémentaires qui ont été créés essentiellement pour la reproduction, bien qu'on ne veuille en implanter que trois dans la future mère. Il peut donc en rester six autres. Il est possible que certaines personnes essaient de produire de 15 à 20 embryons, en stimulant de façon excessive les ovaires pour qu'ils produisent plus d'ovules, et en fait, les deux ou trois qui seront fécondés et implantés constituent la minorité du grand nombre d'ovules qui sont produits dans le but d'obtenir plus d'embryons pour la recherche. Cela se fait, à mon avis, au détriment de la femme dont les ovocytes sont utilisés.
M. Timothy Caulfield: Puis-je répondre à cela?
La présidente: Oui.
M. Timothy Caulfield: Votre remarque est à mon avis très pertinente. On a eu un peu tendance à l'oublier dans le remue-méninges provoqué par ces discussions. À bien des égards, vous parlez de la réification du processus de reproduction.
La présidente: Parfaitement. C'est ce que nous voulons éviter.
M. Timothy Caulfield: Le risque est bien réel. Ce qu'il faut faire, c'est s'attaquer à ce problème, pas nécessairement à la technologie, en d'autres termes trouver un système qui empêche ce genre de chose de se produire, plutôt qu'interdire la technologie qui pourrait profiter de la réification. Si vous décidez de réglementer ce domaine pour ces raisons, il vous faudra être très explicites lorsque vous justifierez l'interdiction, ce qui ne semble pas avoir été le cas jusqu'ici—et je comprends pourquoi. À mon avis, il faut s'attaquer aux problèmes liés à la réification mais pas nécessairement à la technologie.
La présidente: C'est ce que nous essayons de faire, mais d'après nos lectures et les témoignages que nous avons reçus, la réification existe déjà dans ce domaine de diverses façons, et notamment lorsqu'on envisage de faire relever du droit contractuel les ententes l'assistance à la procréation, ce que nous voulons éviter.
Mais d'après vous, même si l'on crée des cellules souches embryonnaires selon le modèle de clonage thérapeutique, nous risquons de nous heurter à tout ce problème de la réification?
Mme Janet Rossant: Sans aucun doute, car il ne faut pas oublier que pour produire ces embryons, il faut trouver des donneuses d'ovules, lesquelles ne produiraient pas des ovules, en fait, précisément en vue de créer des cellules souches. Ce serait une autre façon de créer des embryons pour la recherche. C'est une autre forme de réification.
Je préside le groupe de travail des IRSC qui étudie la recherche sur les cellules souches, et la semaine dernière, nous avons tenu une téléconférence où certaines de ces questions ont été abordées. J'ai en fait posé exactement la même question que vous, pour savoir comment faire pour interdire la création d'embryons uniquement aux fins de recherche, et pour empêcher en même temps les chercheurs ou les médecins d'en créer quelques-uns de plus sous le couvert de l'assistance à la procréation.
Nous avons en fait prévu des lignes directrices très précises qui stipulent qu'un traitement contre la stérilité doit avoir pour principal objet de représenter le meilleur traitement possible pour la femme désireuse d'avoir des enfants, et qu'on ne peut pas modifier ce traitement dans le simple but de produire des embryons supplémentaires.
La présidente: Il s'agit là d'un objectif très vaste et général. Allez-vous aller plus loin en stipulant, par conséquent, que l'on ne doit pas prélever plus de sept ovules, ou quelque chose comme cela? Allez-vous fixer un chiffre précis?
Mme Janet Rossant: Non. C'est impossible, car il faut s'en remettre au jugement du médecin. C'est lui qui s'occupe du traitement. Il faut faire une distinction entre les chercheurs et les médecins, ce sont des personnes différentes et il faut donc faire une distinction entre les objectifs du traitement à visée reproductive et ceux de la recherche.
La présidente: C'est peut-être faire beaucoup trop confiance.
Mme Janet Rossant: C'est là qu'est le vrai problème pour vous.
La présidente: C'est pourquoi, quand nous examinons ce genre de chose, nous pensons que le droit pénal est un moyen de bien faire comprendre aux gens qu'ils doivent prendre au sérieux une directive comme celle que propose Mme Rossant et s'assurer que toutes leurs activités sont bien documentées et conformes à cette directive générale. Je sais que certaines personnes feront exactement ce que j'ai décrit, à savoir produire des ovules supplémentaires et d'autres choses du même genre.
Monsieur Caulfield, allez-y.
M. Timothy Caulfield: Il ne faut pas oublier que cette question de la réification—on pourrait presque parler de commercialisation de la médecine—existe partout, et pas seulement dans le cadre de la médecine génésique. Cela existe dans le cadre des essais cliniques pour la recherche, où l'on remet parfois en cause l'intérêt supérieur du patient à cause de conflits d'intérêts impliquant tous les intervenants, depuis le généraliste jusqu'à l'interne. Ce problème est omniprésent. Faut-il donc mettre à part la médecine reproductive dans ce projet de loi? Je n'en sais rien.
Le cadre réglementaire que je propose permet une intervention plus précise que la simple criminalisation, parce qu'il est possible d'y étoffer certaines des pratiques dont parle Janet. On ne peut inclure ce type de procédés dans une loi pénale, mais il est possible de les étoffer dans le cadre d'un organisme de réglementation. En fait, il est possible, au moyen d'un tel organisme, de préciser les exigences en la matière. De plus, l'organisme peut jouer un rôle de surveillance.
Encore une fois, il y a de nombreux points intéressants dans la proposition, dont la tenue de registres et la supervision accrue que vous proposez.
La présidente: Une dernière mise au point. Si ma mémoire est bonne, M. Cibelli s'oppose à l'interdiction du clonage thérapeutique. Est-ce exact?
M. Jose Cibelli: C'est exact.
La présidente: Mme Rossant n'est pas aussi ravie à l'idée du clonage thérapeutique à l'heure actuelle, mais elle revendique pour les chercheurs canadiens le droit de travailler simultanément avec des cellules souches embryonnaires et des cellules souches adultes, probablement dans l'espoir d'arriver à conditionner, peu importe le terme, les cellules souches adultes à se comporter de manière pluripotente comme les cellules souches embryonnaires.
M. Jose Cibelli: Puis-je intervenir? Je partage cet avis. Je crois qu'il faut poursuivre les recherches sur les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes. Le potentiel que renferme le clonage thérapeutique est inouï et nous devrions aller de l'avant.
La présidente: Monsieur Caulfield, je crois que vous souhaitez aussi voir éliminer les restrictions à la recherche, mais je ne crois pas vous avoir entendu dire clairement que vous étiez contre l'interdiction du clonage thérapeutique.
M. Timothy Caulfield: Je ne crois pas qu'on puisse dire que je m'oppose à cette interdiction. On me décrit souvent comme quelqu'un qui souhaite voir lever les restrictions imposées aux savants. Ce n'est pas nécessairement le cas. Je souhaite voir un organisme de réglementation qui soit plus réactif. Il pourrait, en fait, créer davantage de restrictions à la recherche, si c'est ce que souhaite le public canadien et ce qui se dégage des consultations. J'aimerais que nous ayons un cadre souple qui, à tout le moins, permet d'aller dans une direction ou dans l'autre.
La présidente: Merci.
Je remercie mes collègues de m'avoir accordée un peu de temps, parce que nous avons entendu ce matin de nombreux concepts. Le sujet est difficile.
D'après ma liste, les prochains intervenants sont M. Merrifield et Mme Beaumier à nouveau, alors, puisque nous en avons le temps, poursuivons.
M. Rob Merrifield: Je n'ai qu'une brève question.
Monsieur Caulfield, je crois que ma question est plutôt pour vous, puisque nous avons beaucoup parlé du statut de l'embryon. J'ai déjà une idée de la réponse, mais je voudrais vraiment savoir si vous considérez que cet être, à l'âge de 14 jours, jouit de certains droits en vertu du régime pénal. L'embryon a-t-il des droits en vertu de la justice pénale avant d'atteindre 14 jours, ou encore plus tard? Où est la ligne de démarcation, et pourquoi est-elle ainsi fixée?
M. Timothy Caulfield: Comme les membres du comité le savent probablement—vous l'avez sans doute entendu à maintes reprises—la définition de la vie en droit, non seulement dans le droit pénal mais dans le droit canadien en général, demeure incertaine. Parmi les causes où l'on s'est penché sur le statut juridique du foetus, beaucoup sont des cas d'avortement, et dans ces affaires les enjeux sont influencés, on peut le comprendre, par le fait que les droits d'une autre personne sont en cause, à savoir, la mère.
• 1230
Dans la communauté internationale, ce qui se dégage—et
certains disent que c'est arbitraire—c'est la règle des
14 jours. Cela découle en bonne partie du rapport Warnock en
Grande-Bretagne, comme vous le savez sans doute, mais cela se
présente vraiment comme une norme internationale quelque peu
arbitraire pour fixer le moment où les recherches embryonnaires
devraient cesser.
Le droit pénal ne précise pas à quel moment la vie commence. Toutefois, il prévoit que des sanctions pénales peuvent s'appliquer après une naissance vivante, et il y a eu des cas saisissants, au Canada, d'une telle application de la loi. Ce n'est pas très utile dans le contexte qui vous intéresse.
Ai-je répondu à votre question? Probablement que non. Je ne semble pas très doué pour répondre à vos questions.
M. Rob Merrifield: Vous dites que la norme de 14 jours est internationale.
M. Timothy Caulfield: En deux mots, il n'y a rien dans les lois canadiennes stipulant que la vie commence après 14 jours.
M. Rob Marrifield: D'accord.
M. Timothy Caulfield: Il y a des documents comme l'énoncé de politique des trois Conseils qui fait mention de la norme des 14 jours. Il y a des documents internationaux qui parlent de la même norme. Mais il n'y a pas de loi pénale, ou de loi quelconque, qui mentionne la limite des 14 jours.
M. Rob Merrifield: Ou encore la logique de cette limite.
M. Timothy Caulfield: Bon, je vois où vous voulez en venir. Comme vous le dites, il n'est pas non plus question du principe qui sous-tend la norme.
La présidente: Vous avez proposé votre propre justification. Peut-être que Mme Rossant pourrait nous expliquer le principe.
Mme Janet Rossant: Jose l'a avancé vaguement. Le principe est celui-ci: Après le 14e jour de développement, plusieurs choses se produisent. Premièrement, le système nerveux de l'embryon commence à apparaître, et c'est l'un des premiers éléments qui définit l'être élément. Deuxièmement, c'est à ce stade que vous obtiendriez encore deux individus si vous divisiez l'embryon en deux, d'où l'idée que ce stade est associé à l'individualité. Mais il est également vrai que, jusqu'à un certain point, le critère est arbitraire, parce que la vie est un continuum. Il est très difficile de déterminer avec précision le moment où la vie commence.
M. Rob Merrifield: Ce que j'essaie de dire, c'est que le critère des 14 jours est très large. Le 13e jour et le 15e jour ne constituent pas des instants fatidiques, voilà où je veux en venir. En termes de droit pénal, c'est vague. Vous parliez de droit international, d'accord. Je m'intéresse plutôt à votre opinion à ce sujet.
M. Timothy Caulfield: Relativement aux 14 jours?
M. Rob Merrifield: Oui, ou en tout cas à propos du moment à partir duquel la vie devrait être protégée par le droit pénal.
M. Timothy Caulfield: Encore une fois, je vais tenter de contourner la question. Ce point est extrêmement controversé et je sais qu'il en a été question. En fait, j'en ai discuté avec Preston Manning dans un autre contexte.
Étant donné tous les défis qui se posent à ce comité, je crois qu'il serait risqué pour vous de tenter de déterminer le moment où la vie commence. Cela entraîne des conséquences profondes qui vont au-delà des techniques de reproductions, et s'étendent jusqu'aux questions des droits de la mère par opposition aux droits du foetus et aux questions de traitement forcé. Les conséquences en sont nombreuses, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de s'attaquer à cette question pour l'instant parce que je ne crois pas qu'il y a ait beaucoup de chercheurs qui se proposent de travailler avec des embryons âgés de plus de 14 jours. Cela dit, il serait utile que le Canada et d'autres pays se penchent sur cette question de façon plus approfondie dans un autre contexte.
M. Rob Merrifield: D'accord.
La présidente: Merci.
Le timbre de la demi-heure vient de sonner, m'informe le greffier, nous avons donc le temps d'écouter Mme Beaumier.
Mme Colleen Beaumier: Si mes renseignements sont exacts, à l'heure actuelle, le procédé de fécondation in vitro implique la production de plusieurs embryons, et une fois que l'un d'eux s'avère viable, on laisse mourir les autres—je crois bien que mourir est le mot juste.
Ma question est celle-ci: si, à l'heure actuelle, des savants font des recherches sur un embryon, d'où vient-il? L'embryon vient-il des cliniques où l'on traite l'infertilité? Y a-t-il des cliniques spéciales où l'on fait don des ovules et du sperme pour des fins de recherche scientifique? D'où viennent les embryons qui sont utilisés aujourd'hui dans les laboratoires de recherche?
M. Jose Cibelli: Il y a une imprécision dans ce que vous venez de dire. Dans le processus de transfert de l'embryon, le médecin choisit un embryon en raison de certaines caractéristiques. Les autres sont congelés. Ils peuvent être stockés pendant de nombreuses années.
Aujourd'hui, les cliniques ont accumulé un tel nombre d'embryons qu'elles doivent vider leurs contenants, si vous voulez. On appelle donc les parents pour les informer qu'ils doivent continuer à payer des factures de conservation, à moins qu'ils ne préfèrent s'en occuper eux-mêmes. Les parents vont à la clinique, reprennent leurs embryons et les mettre aux rebuts, ils les jettent tout simplement aux ordures. C'est comme cela que les embryons meurent. Ça peut survenir trois ou quatre ans après l'intervention. Beaucoup de parents demandent s'ils peuvent en faire un certain usage. Peuvent-ils être légués à la science? Sont-ils utiles en laboratoire? À l'heure actuelle, cette occasion n'est pas offerte à tous les clients, et les embryons se retrouvent à la poubelle. Mais c'est à ce moment-là que beaucoup de parents se disent disposer à contribuer à la science.
Mme Colleen Beaumier: C'est donc de là que viennent les embryons.
M. Jose Cibelli: Il y a une différence. Un article a été publié dernièrement aux États-Unis à propos d'un centre en Caroline du Nord ou d'un autre État dans ce coin-là où des embryons étaient produits pour des fins de recherche. C'est la porte ouverte à une question morale totalement différente.
Mme Colleen Beaumier: Oui, cela pose une question morale différente. Pour le moment, de mon point de vue, la question qui se pose à nous c'est le choix entre la suppression active et la suppression passive de ces embryons. Cependant, si en fait ce sont les parents qui ont la responsabilité de décider de la suppression de ces embryons, ils sont tous deux responsables d'une suppression active.
M. Jose Cibelli: Cela nous ramène à nous demander la raison pour laquelle, pour commencer, il y a autant d'embryons, mais c'est une autre histoire.
Mme Colleen Beaumier: Non, cela ne pose pas de problème. Comme je l'ai dit tout à l'heure, si c'est la majorité des embryons qui sont actuellement le produit de cliniques de fertilité, nous pouvons nous demander si leur suppression est active ou passive.
La présidente: Madame Beaumier, c'est la grande question que nous nous posons du point de vue de la morale.
Mme Colleen Beaumier: Oui, du point de vue de la morale. Je ne ferai pas de commentaire. Je garderai mes commentaires pour la fin. Pour le moment, je ne considère pas que cela soit un gros problème. Mais on ne peut jamais savoir de quoi demain sera fait.
Mme Janet Rossant: À propos des questions soulevées par la prétendue production excessive d'embryons, je me suis laissée dire que dans la majorité des cliniques associées aux centres de soins tertiaires de notre pays, le nombre d'embryons en excédent n'est pas énorme. Il y en a. On donne aux gens plusieurs choix. Ils peuvent être congelés pendant plusieurs années mais au bout d'un certain temps ils doivent être jetés car en vertu de certaines règles si on les garde trop longtemps il n'est plus possible de garantir qu'ils soient toujours en bon état. Ils peuvent être donnés à d'autres mères porteuses ou ils peuvent être utilisés pour la recherche et c'est le choix qui est offert aux gens. Autrement, ces embryons sont jetés.
La présidente: Au nom du comité, je tiens à vous remercier infiniment d'être venus et de nous avoir donné une autre perspective sur cette question. J'aimerais également vous demander votre coopération au cas où nos attachés de recherche voudraient vous téléphoner et vous demander votre opinion sur certaines choses. Ce sont eux qui seront responsables de la rédaction de notre rapport et si vous aviez la gentillesse de répondre à leurs appels, je vous en serais très reconnaissante.
Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir nous voir et je vous remercie de la clarté de vos explications.
Chers collègues, le greffier m'informe qu'il a trouvé une salle pour la réunion de lundi à 19 heures. Elle aura lieu dans cette salle, la 269, de 19 heures à 21 heures. Nous recevrons le ministre et des fonctionnaires de la Santé.
• 1240
À propos d'un tout autre sujet, vous devez savoir que le
projet de loi d'initiative parlementaire sur les organismes
génétiquement modifiés n'a pas été adopté hier soir, ce qui met en
branle le processus contenu dans la lettre qui vous a été
distribuée mardi. Nous ne sommes pas en nombres suffisants pour
mettre aux voix ce projet, si bien que je préférerais attendre
jusqu'à lundi soir ou mardi matin, en fonction du nombre de
participants, pour nous mettre d'accord sur la réponse à donner à
cette lettre. Vous avez tous connaissance de cette lettre, elle a
été distribuée. Le greffier apportera des exemplaires
supplémentaires pour les prochaines réunions, donc n'essayez pas à
tout prix de la retrouver si vous l'avez égarée et nous étudierons
son cas lors d'une de ces réunions à condition d'avoir le quorum.
M. Rob Merrifield: Madame la présidente, aurons-nous à examiner également d'autres choses?
La présidente: Pas vraiment. Je veux simplement un oui ou un non de votre part.
La séance est levée.