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HEAL Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON HEALTH

COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 22 novembre 2001

• 1109

[Traduction]

La présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)): Bonjour mesdames et messieurs. Je déclare la séance ouverte.

Le premier point à l'ordre du jour ce matin est une motion qui a été présentée par M. Merrifield de l'Alliance. Il ne peut pas être ici ce matin. M. Manning va proposer la motion, je crois.

M. Preston Manning (Calgary-Sud-Ouest, Alliance canadienne): Oui, je vais proposer la motion. Avis en a déjà été donné.

La présidente: Elle est en trois parties, mais je pense que nous pouvons les regrouper.

M. Preston Manning: Oui.

La présidente: Voudriez-vous nous présenter la motion, monsieur Manning?

M. Preston Manning: Oui. Je pense que les députés en ont tous une copie. C'est une motion qui propose:

    que le comité tienne des réunions pour examiner le budget supplémentaire (A) pour 2001-2002 pour le ministère de la Santé;

    que le comité invite le ministre et des hauts fonctionnaires à comparaître devant lui au sujet du budget supplémentaire (A) pour 2001-2002 dans les meilleurs délais et au plus tard le 1er décembre 2001;

    que le comité examine ce budget et fasse rapport de ses recommandations à la Chambre au plus tard trois jours de séance avant le dernier jour désigné de la période en cours.

• 1110

Il y a deux choses seulement que je voudrais dire rapidement. La première, c'est qu'il est important de respecter le principe qui veut que le Parlement tienne l'exécutif responsable des dépenses publiques. Je trouve important le principe selon lesquels les ministres doivent comparaître devant les comités pour discuter des budgets des dépenses. C'est un des seuls outils dont dispose le législatif pour obliger l'exécutif à rendre des comptes, et nous devrions l'utiliser.

La deuxième chose, c'est que certains pourraient avoir des objections du fait que nous sommes tellement accaparés par le projet de loi à l'étude que la comparution du ministre au sujet du budget ne ferait qu'ajouter à notre charge de travail. Comme vous le savez, nous avons toute latitude lorsque nous discutons des budgets avec les ministres et si le ministre et ses hauts fonctionnaires venaient nous rencontrer pour parler du budget, je pense que nous pourrions surtout discuter des aspects économiques et financiers de cet avant-projet de loi.

Il s'agit là d'une question—c'est-à-dire les coûts non seulement pour le gouvernement du Canada, mais les coûts qui seront répercutés sur les utilisateurs de ces services et sur les provinces si cette mesure a des ramifications pour elles—dont nous n'avons pas encore beaucoup parlé, et nous n'avons pas obtenu grand-chose du ministère. Si le ministre venait nous rencontrer pour parler du budget, nous pourrions faire d'une pierre deux coups en faisant porter notre discussion sur certaines des conséquences économiques et financières de notre projet de loi.

Ce sont là mes deux arguments en faveur de la motion, madame la présidente.

La présidente: Merci, monsieur Manning. Y a-t-il des questions ou des commentaires?

(La motion est adoptée)

La présidente: Merci.

M. Preston Manning: Mon pouvoir de persuasion me renverse. Pourquoi est-ce que ce n'est pas comme ça tous les jours?

La présidente: Vous pourriez entamer une carrière en solo.

Une voix: Vous devriez peut-être y penser.

Des voix: Ah, ah!

M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.): Je n'ai jamais été battu de la sorte. C'est de la démocratie organisée.

La présidente: Merci, mesdames et messieurs.

Nous allons maintenant passer à la partie habituelle de notre ordre du jour. Ce matin, nous avons la chance d'avoir deux témoins qui commenteront notre avant-projet de loi. Je vous présente tout d'abord Martha Jackman, qui est professeure à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Madame Jackman, vous avez la parole.

Mme Martha Jackman (faculté de droit, Université d'Ottawa): Je tiens à remercier le comité de m'avoir invitée à lui présenter mon témoignage ce matin.

Comme la présidente vous l'a indiqué, j'enseigne le droit constitutionnel dans le cadre du programme de common law en français à l'Université d'Ottawa. J'ai également participé de très près, encore une fois en ma capacité d'avocate de droit constitutionnel, aux travaux de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction. Les commentaires que je vais vous faire aujourd'hui sont inspirés non seulement de mes vues comme avocate de droit constitutionnel, mais aussi de mon travail avec la commission royale.

J'aimerais aborder quatre points dans mes commentaires préliminaires qui seront très brefs. Tout d'abord, je vais examiner la question de la compétence fédérale dans le champ de cette législation. Deuxièmement, je vais vous parler des accords préconception ou de maternité de substitution tels qu'ils sont régis par le projet de loi. Troisièmement, je vais aborder la question générale du cadre réglementaire qui est prévu. Enfin, je vais commenter brièvement l'exception au pouvoir de réglementation du ministre qui est proposée dans ce projet de loi.

Premièrement, pour ce qui est de la compétence fédérale, à mon avis—et c'est l'opinion que j'ai exprimée dans un document de recherche pour la commission royale qui en a d'ailleurs tenu compte dans son rapport—le gouvernement fédéral jouit de toute la compétence constitutionnelle nécessaire non seulement pour interdire les pratiques jugées indésirables, mais aussi pour réglementer la prestation de services de santé de la reproduction, comme le prévoit ce projet de loi. Selon moi, la compétence du gouvernement fédéral dans ce domaine repose non seulement sur ses pouvoirs en matière de droit criminel, mais aussi sur ses pouvoirs concernant la paix et l'ordre, ainsi que le bon gouvernement.

Donc, contrairement à certains témoins, je ne vois aucune objection constitutionnelle aux aspects réglementaires de l'exercice de la compétence fédérale dans ce projet de loi. Si vous avez des questions à ce sujet ou au sujet de mes vues, je serai heureuse d'y répondre.

• 1115

Ma seule objection de fond en ce qui concerne ce projet de loi a trait aux mesures relatives aux accords de maternité de substitution ou conclus avant la conception. Le projet de loi interdit les accords à visée commerciale conclus avant la conception et quiconque contreviendrait à la loi serait passible d'une peine. La faiblesse du projet de loi réside, à mon avis, dans la façon de traiter les accords de maternité de substitution à visée non commerciale.

Dans son rapport—plus précisément dans le volume 2, chapitre 23—la commission royale s'est longuement penchée sur les aspects répréhensibles des accords de maternité de substitution non commerciaux. Elle a indiqué, comme ce projet de loi, que les accords commerciaux devraient être interdits au moyen de sanctions pénales.

La commission était cependant d'avis que les accords non commerciaux étaient tout aussi répréhensibles. Et même si la commission a dit croire qu'il était peu souhaitable que les accords non commerciaux de maternité de substitution soient criminalisés, et qu'elle était d'avis que de tels accords continueraient vraisemblablement à être conclus, elle a donné clairement à entendre qu'il était important que le Parlement n'appuie ou ne sanctionne en rien ces accords. Et, selon moi, c'est ce que fait cet avant-projet de loi.

Les accords non commerciaux de maternité de substitution comportent la plupart des mêmes caractéristiques répréhensibles que les accords commerciaux. Même s'il n'y a pas d'échange d'argent comme tel pour un enfant, toute la notion des accords non commerciaux conclus avant la conception repose sur l'idée qu'une personne peut, grâce à sa bienveillance, donner un enfant à quelqu'un d'autre. Et, à mes yeux, cela chosifie un enfant autant qu'un échange d'argent.

Les accords non commerciaux risquent autant que les accords commerciaux de miner la vulnérabilité des mères gestatrices. Des pressions sociales, économiques et familiales s'exercent sur ces femmes pour qu'elles concluent ce type d'accord qu'il faudrait à mon avis—et à celui de la commission—décourager à tout prix.

Ce qu'il y a de plus répréhensible dans ce projet de loi, selon moi, c'est l'exception qui est prévue au paragraphe 4(4) à l'égard du rôle d'intermédiaire, de la publicité et de toute autre forme de participation à des accords de maternité de substitution, pour ceux qui offrent des services d'ordre juridique, médical ou psychologique. La commission royale a en fait recommandé que les professions de la santé et du droit autoréglementées à l'échelle provinciale adoptent des mesures réglementaires punitives claires à l'égard de toute participation de professionnels de la santé et du droit à la conclusion d'accords de maternité de substitution.

La commission n'a pas fait de distinction entre les accords commerciaux et les accords non commerciaux. En fait, elle a recommandé que les barreaux et les sociétés qui régissent les médecins envisagent de retirer leurs licences à ceux qui étaient impliqués dans des accords de maternité de substitution, à visée commerciale ou non. Donc, comme je l'ai dit, la commission ne considérait pas que l'aspect commercial de la transaction était le pire aspect de ces accords.

Je crois que le projet de loi approuve tacitement les accords non commerciaux conclus avant la conception en faisant cette distinction. Ce qui est pire, à mon avis, c'est qu'il prévoit une très vaste exception pour la prestation de services liés à la maternité de substitution par les avocats, les médecins et les psychologues. Vous légalisez essentiellement certaines catégories de fournisseurs de services, qu'il y aille d'accords de maternité de substitution à des fins commerciales ou non.

Je sais qu'il y a tout un débat autour de la question de savoir, lorsque les médecins fournissent des services médicaux, s'il s'agit d'une activité à but lucratif ou à but non lucratif. D'une manière ou d'une autre, la prestation de services est un gagne-pain pour les avocats et les médecins. Comment faire la distinction entre un accord commercial et un accord professionnel pour lequel de l'argent est versé?

Je suis tout à fait opposée à cet aspect du projet de loi et j'exhorte votre comité à indiquer dans son rapport au ministre que ces dispositions du projet de loi devraient être amendées, non seulement pour éliminer la distinction entre accords commerciaux et accords non commerciaux, mais surtout pour supprimer l'exception prévue au paragraphe 4(4) à l'égard de la prestation de services d'ordre juridique, médical ou psychologique dans le cadre d'accords de maternité de substitution.

• 1120

Pour ce qui est du cadre réglementaire prévu par le projet de loi, comme je l'ai indiqué au début, je crois que le Parlement a compétence pour réglementer les nouvelles technologies de reproduction et de manipulation génétique, y compris la prestation de services de santé dans ce secteur, en vertu non seulement de son pouvoir relié au droit criminel, mais aussi en vertu de son pouvoir concernant la paix et l'ordre, ainsi que le bon gouvernement, car, à mon avis, les NTR sont une question d'importance nationale.

C'est pourquoi j'ai de la difficulté à accepter l'idée que ce soit le ministre de la Santé et le ministère de la Santé qui disposent des ressources humaines, financières et autres voulues pour adopter les règlements qui s'imposent. J'appuierais les conclusions auxquelles la commission royale en est arrivée après de nombreux mois de consultation et de recherche: l'organisme le plus compétent pour réglementer la prestation des services, ainsi que la recherche, etc., dans ce domaine serait un organisme administratif indépendant—une commission administrative indépendante. C'était là la recommandation de la commission royale.

Elle a recommandé la création d'une commission des techniques de reproduction qui serait composée de 12 membres permanents, surtout de femmes, qui serait représentative des groupes les plus touchés par ces services, y compris les femmes éprouvant des problèmes d'infertilité, les personnes handicapées, les membres de groupes défavorisés sur le plan social et économique—et le lien ici avec la maternité de substitution ou les mères porteuses est clair—et qui serait multidisciplinaire, c'est-à-dire composée non seulement de médecins, mais aussi de spécialistes du droit, de l'éthique et des sciences sociales en général.

La commission d'enquête a recommandé l'attribution d'une vaste gamme de fonctions à la commission des techniques de reproduction, y compris la délivrance des autorisations et la réglementation, la recherche, la coordination de l'information dans ce domaine, etc. Elle a recommandé que la commission indépendante établie pour réglementer les nouvelles techniques de reproduction relève directement du Parlement plutôt que du ministre de la Santé. C'était une fois de plus pour souligner l'envergure nationale et l'importance de cette question et la nécessité d'une surveillance indépendante des pratiques dans ce domaine.

Le comité m'a demandé, dans les questions que le greffier m'a envoyées, quelle incidence cela aurait sur les articles 33 et 41 du projet de loi proposé. L'article 33 traite de l'application de la loi, principalement de la conclusion d'accords en vue de son application. Je ne crois pas que cet article convienne comme disposition distincte et il serait en fait incompatible avec le modèle d'un organisme réglementaire autonome que je propose. De toute évidence, il faudrait que cet organisme ait des pouvoirs correspondants d'application de la loi.

Cependant, je crois que cette recommandation est compatible avec l'article 41 de la loi proposée en ce qui concerne les dispositions équivalentes. Si une province était en mesure d'établir un cadre réglementaire équivalent à tous les égards, sur le plan du fond et de la procédure, à celui que le gouvernement fédéral mettrait en place, et si elle était prête à le faire, je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas se retirer du régime réglementaire fédéral.

Il se pourrait fort bien que certaines provinces, surtout le Québec, souhaitent se prévaloir de ces dispositions équivalentes; de nombreuses autres provinces ne le feront tout simplement pas. C'est un domaine complexe qui nécessite une grande expertise. Je suis d'accord avec la commission pour dire qu'il serait beaucoup plus efficace que cela se fasse au niveau national plutôt qu'au niveau provincial.

Mon dernier commentaire au sujet de l'avant-projet de loi a trait au pouvoir ministériel d'exemption réglementaire en vertu de l'alinéa 40(1)m) et, si vous me le permettez, je vais vous lire la disposition en question. Il y est dit que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d'application de la loi, notamment en vertu de l'alinéa m):

    exemptant, généralement ou dans les circonstances précisées, toute catégorie d'activités réglementées de l'application de toute disposition de la présente loi ou de ses règlements, sous réserve des conditions fixées.

L'alinéa m) autorise essentiellement le ministre à soustraire unilatéralement, en passant par le gouverneur en conseil, une activité déjà réglementée à l'application de la loi au moyen d'un règlement. Je crois qu'il s'agit là d'un usage incorrect du pouvoir de réglementation. On trouve malheureusement trop souvent ce genre de disposition dans les lois fédérales—c'est-à-dire la capacité de recourir au pouvoir réglementaire pour remplacer la loi et contourner le Parlement.

• 1125

Je pense que M. Manning serait probablement d'accord avec moi à ce sujet. Je crois que cette disposition est inadéquate et devrait être supprimée. S'il s'avérait nécessaire d'exempter une catégorie d'activités réglementées de l'application de la loi ou de ses règlements, cela devrait être fait par le Parlement et non par voie de règlement.

C'étaient là mes commentaires sur l'avant-projet de loi.

La présidente: Merci beaucoup, madame Jackman. Votre témoignage nous sera très utile.

Nous allons passer à Gerald Chipeur, un avocat qui témoignera à titre individuel.

Monsieur Chipeur.

M. Gerald Chipeur (à titre individuel): Je vous remercie de m'avoir présenté et de me donner la chance de m'adresser à vous ce matin.

J'ai été invité par le comité pour donner mon avis sur un certain nombre de questions. L'objet de mes commentaires sera la compétence du gouvernement à légiférer sur la procréation assistée, en vertu de la Constitution. Je donnerai au comité mon avis sur le sujet, puis je répondrai à quelques questions que le greffier m'a posées au nom du comité.

À mon avis, en vertu du paragraphe 91.27 de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement du Canada a le pouvoir de légiférer en matière criminelle. Je suis d'accord avec ma collègue, Mme Jackman, pour dire qu'en fait cette mesure législative trouve son fondement dans la Constitution.

Les articles 3 à 11 de l'avant-projet de loi interdisent certaines activités. Dans les faits, celles-ci sont criminelles. Je pense que le Parlement a compétence pour réaliser les objectifs définis aux articles 3 à 11. Cependant, les rédacteurs de l'avant-projet de loi ont empiété sur le champ des compétences provinciales pour ce qui est de la réglementation et des autorisations.

Autrement dit, en créant des exemptions et des exceptions dans la loi et en créant un organisme de réglementation fédéral pour autoriser certaines activités en vertu de la loi, le Parlement du Canada a créé un organisme—même si dans ce cas-ci c'est le ministre—qui agit en dehors des pouvoirs constitutionnels conférés au Parlement par le paragraphe 91.27 ou par la disposition de la Constitution relative à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement.

Permettez-moi de passer en revue avec vous l'affaire la plus importante dans ce domaine, l'affaire Jamieson and Co. versus Canada et de vous expliquer pourquoi j'en suis arrivé à cette conclusion. Il s'agit d'une décision rendue en 1987 par le juge Muldoon de la Section de première instance de la Cour fédérale, publiée dans 46 D.L.R. (4e), 582.

Il a examiné la question de très près dans sa décision et j'encouragerais tous ceux que la chose intéresse à lire sa décision, parce qu'elle est très instructive. Elle a été rendue au niveau de la première instance seulement, mais c'est la seule décision qui examine à fond ce genre de question. Elle renferme aussi des renvois à toute la jurisprudence de la Cour suprême du Canada en la matière.

À la page 601 de sa décision, le juge Muldoon jette un coup d'oeil sur la Loi sur les aliments et drogues. Voici ce qu'il en dit:

    Elle n'est pas fondée sur le pouvoir du Parlement de légiférer à l'égard de la réglementation des échanges et du commerce conformément au paragraphe 2 de l'article 91 [...]

Cela veut donc dire que le pouvoir de réglementation des échanges et du commerce prévu au paragraphe 91.2 ne peut pas servir de fondement à la mesure législative que vous envisagez.

Personne ne semble dire le contraire, mais certains ont soutenu par le passé que parce que les transactions de ce genre comportaient certains aspects de nature commerciale, nous pourrions peut-être adopter une loi en se fondant sur le pouvoir de réglementation des échanges et du commerce.

À la page 615 de sa décision, le juge examine la question du droit criminel. Voici ce qu'il avait à dire à propos de l'exercice du pouvoir relié au droit criminel:

    En vertu de la Loi sur les aliments et drogues, les demandes d'identification numérique de la drogue provenant de toutes les régions du Canada peuvent être vérifiées ou rejetées selon les critères établis. Il ne s'agit pas de droit criminel.

Bien qu'il ait indiqué qu'il est évident que vous ne pouvez pas interdire des activités dans le domaine de la santé—ou dans n'importe quel autre domaine—en invoquant votre pouvoir relié au droit criminel, lorsqu'il est question d'autorisation et de tout autre sujet complexe dont vous devez traiter par rapport à ces questions de soins de santé personnelles, privées et très complexes qui posent des problèmes éthiques différents tous les jours, vous n'agissez plus en vertu du pouvoir relié au droit criminel.

• 1130

Nous savons donc que la prohibition est acceptable en droit criminel, mais qu'il ne peut pas y avoir réglementation en vertu du pouvoir relié au droit criminel, ni en vertu du pouvoir concernant les échanges et le commerce.

Passons maintenant à la page 616 où il dit, en ce qui concerne la Loi sur les aliments et drogues, qu'il y a deux objectifs fédéraux qui ont nécessairement un rapport entre eux dans cette loi. Il poursuit en disant que les règlements adoptés conformément à la Loi sur les aliments et drogues ne sont pas uniquement une question de nature locale et privée, mais qu'il s'agit plutôt d'une question d'intérêt national. Puis, il pose la question suivante: À quel moment l'objet de tels règlements devient-il d'intérêt national? Il y répond—et c'est important parce que c'est le seul genre de règlement que le Parlement peut adopter dans ce domaine—en disant, à la page 615:

    Un critère approprié de l'intérêt national, auquel a souscrit le professeur Hogg [...] énoncé par le professeur R. Dale Gibson [...] cité [...] dans les travaux du professeur Hogg [...] le critère de «l'incompétence réglementaire des provinces» selon lequel si un problème d'envergure au Canada ne peut pas d'un point de vue réaliste être réglé au moyen de la coopération provinciale, parce qu'il dépasse la compétence des provinces, l'objet devient alors «d'intérêt national» en raison du pouvoir lié à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement.

Le Parlement doit donc s'interroger sur l'incapacité ou l'incompétence des provinces. Il s'est posé la question au sujet de la législation relative à la tempérance au début du siècle dernier et s'est dit que non, les provinces ne pouvaient pas adopter de règlements. Il s'est posé la même question au sujet de la Loi sur les aliments et drogues et de la réglementation des produits pharmaceutiques. Il s'est posé la question en ce qui concerne le tabac, puis en ce qui concerne l'alcool. La Cour fédérale a dit: «Non, vous avez pris la mauvaise décision en ce qui concerne l'alcool.» L'alcool n'est pas une des choses que les provinces ne peuvent réglementer.

Et le Parlement, ou à tout le moins le ministre, donne à entendre dans cet avant-projet de loi qu'il est possible pour les provinces d'adopter des règlements.

Il y a dans l'avant-projet de loi une disposition selon laquelle si les provinces ont en place un régime réglementaire pour s'occuper de ces questions, alors la responsabilité devrait leur en revenir. Eh bien, si c'est possible, à mon avis, c'est nécessaire. Autrement dit, le Parlement ne peut pas conclure que c'est une question d'intérêt national à laquelle les provinces ne peuvent rien pour ensuite invoquer son pouvoir de réglementation et créer un organisme tout en admettant que les provinces peuvent agir. Si vous en arrivez à la conclusion que les provinces peuvent agir et, de toute évidence, le ministre est de cet avis aujourd'hui, alors vous devez jeter un coup d'oeil sur les articles 206 et 207 du Code criminel où vous trouverez une réponse.

Cela ne veut pas dire que la plus grande partie de l'avant-projet de loi ne peut pas être mise en oeuvre. C'est une bonne mesure législative. Il faudrait y apporter un seul amendement, pour suivre le modèle des articles 206 et 207 du Code criminel où il est dit que les loteries sont illégales, interdites. Mais si une province a un organisme de réglementation des loteries et autorise une loterie, alors il n'y a aucune infraction criminelle; la loterie n'est pas illégale.

Dans ce cas-ci, cela a du sens, parce que vous avez des universités, des collèges, des associations médicales et des ministères provinciaux de la Santé partout au Canada qui ont établi des commissions d'éthique et qui sont habitués de se pencher sur le type de questions d'éthique qui se poseront lorsque seront autorisées les activités réglementées dans le cadre de cette législation. Donc, vous avez déjà en place tout un système de réglementation. Il n'est pas opérationnel dans ce secteur sur le plan législatif, mais il est opérationnel aujourd'hui pour ce qui est de toute activité éthique. Donc, aucune activité de ce genre ne peut être entreprise dans une université aujourd'hui à moins d'avoir été approuvée par un comité de révision déontologique.

Il doit y avoir examen pour ce qui est de la recherche. Toute activité réalisée dans un hôpital ou une clinique doit être approuvée par les associations médicales d'une province. Et il y a un nombre important de professionnels et d'organismes de réglementation qui sont prêts à assumer ce genre de responsabilité dans une province si on leur dit qu'ils ont tout intérêt à ce qu'il y ait des lois en place et qu'ils doivent être prêts à mettre ces lois en application, parce qu'une fois qu'elles auront été proclamées, il sera illégal partout au Canada d'exercer ces activités à moins que les provinces se soient penchées sur la question et aient créé un cadre réglementaire qui satisfait aux critères énoncés dans la loi.

• 1135

Les critères que prévoit actuellement l'avant-projet de loi sont parfaits. La seule question à se poser est la suivante: faut-il confier tout cela au ministre de la Santé ou à un organisme indépendant ou dire que c'est aux provinces qu'il revient de s'en occuper puisque c'est une question qui relève de leur compétence en vertu de la Constitution? Le Parlement ne peut rien faire. Pour que ça fonctionne dans votre province, vous devez vous assurer d'avoir en place un cadre réglementaire.

C'étaient là mes commentaires au sujet de la question constitutionnelle qui se pose pour vous.

Voici ce que j'ai à dire à propos des autres questions que le greffier m'a posées.

Premièrement, l'interdiction fédérale des activités énumérées aux articles 3 à 11 est acceptable, car les provinces n'ont pas le pouvoir constitutionnel d'adopter des lois de nature criminelle et prohibitive. Elles peuvent réglementer uniquement.

Deuxièmement, pour les raisons énumérées ci-dessus, ni le ministre de la Santé, ni un organisme indépendant ne devrait administrer la loi. Ce sont plutôt les provinces qui devraient établir leurs propres organismes de réglementation ou de contrôle—qui sont déjà pour la plupart en place de toute façon. Il n'y aurait plus qu'à élargir leur champ de responsabilité.

Troisièmement, pour les raisons énumérées ci-dessus, une approche légèrement différente sera nécessaire pour l'application de la loi. La loi peut être appliquée par les ministères provinciaux de la Justice de la même manière que les autres lois criminelles.

Quatrièmement, vous avez demandé si ma province, l'Alberta, dispose actuellement d'une loi semblable à l'avant-projet de loi fédéral pour autoriser les cliniques de FIV, les banques de sperme et les instituts de recherche. À l'heure actuelle, l'Alberta ne dispose pas d'une loi semblable à l'avant-projet de loi pour l'octroi de permis à ces cliniques, banques ou instituts. En Alberta, les cliniques qui appliquent les techniques de reproduction et de manipulation génétique sont logées dans les hôpitaux, qui relèvent de la province et sont exploités par des administrations régionales de la santé. Pour le moment, la loi qui régit ces administrations est différente de l'avant-projet de loi sur l'assistance à la procréation.

Cinquièmement, vous avez demandé si ma province disposait de bases de données recueillant de l'information sur la santé semblable à celle dont il est question aux articles 18 à 22 de l'avant-projet de loi. Je peux vous dire que l'Alberta ne dispose pas à l'heure actuelle de base de données recueillant cette information.

Enfin, je tiens à dire en terminant que cet avant-projet de loi est sensé pour ce qui est de la protection de l'information en matière de santé. Je constate que le paragraphe 21(3) protège la vie privée du patient et interdit la divulgation de renseignements sur sa santé sans son consentement.

Ce qui est plus important encore, le paragraphe 21(5) ne permet pas la divulgation de renseignements particuliers sur la santé aux fins de recherche ou de gestion sans le consentement du patient. Je tenais à le mentionner parce que certaines provinces canadiennes, dont la mienne, autorisent actuellement la divulgation de renseignements confidentiels en matière de santé aux fins de recherche ou de gestion générale sans le consentement du patient. À mon avis, cela va à l'encontre de l'éthique et de l'article 7 de la Charte et j'applaudis aux efforts des rédacteurs du texte législatif pour respecter le droit du citoyen à la protection du caractère privé des soins de santé.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Chipeur.

Nous allons passer aux questions. Nous allons commencer par M. Manning.

M. Preston Manning: J'ai plusieurs questions.

Vous pouvez peut-être commenter ceci, monsieur Chipeur. La question des compétences me préoccupe depuis le tout début. J'ai bien peur qu'il faille dans ce cas-ci les pouvoirs fédéraux et provinciaux pour faire tout ce que nous essayons de faire ici. Je crains, si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, que nous finissions par nous retrouver avec toutes sortes de litiges au sujet de la réglementation de l'assistance à la procréation, quant à savoir s'il s'agit d'une question de compétence fédérale ou provinciale—la sempiternelle question au Canada.

Mais laissez-moi d'abord vous demander ceci. Le problème, c'est qu'à l'heure actuelle le Canada accuse du retard. Nous n'avons pas de cadre législatif ou réglementaire comme tel, non pas tant pour l'assistance à la procréation que pour la science qui s'y rattache. À mon avis, ce projet de loi va devenir une pierre angulaire de la réglementation de la révolution génétique.

Donc, nous sommes en retard sur notre temps. Les provinces n'ont pris aucune initiative dans ce secteur. Elles ne semblent pas désireuses de le faire, surtout pour des raisons politiques. Il y a toute une série de questions morales et éthiques auxquelles le gouvernement de votre province—le gouvernement de l'Ontario, pour prendre un exemple—ne veut pas du tout toucher. Les provinces seront presque contentes de laisser le Parlement fédéral approfondir la question et la plupart des politiciens sont prêts à laisser les tribunaux l'approfondir, par défaut surtout.

• 1140

De plus, à l'échelle provinciale, il y a un intérêt concurrentiel dans tout cela. Le Québec tient à conserver le pouvoir dans ce domaine en partie parce qu'il veut obtenir un avantage concurrentiel dans l'industrie de la biotechnologie, et il est préférable que la réglementation relève de sa compétence, si c'est ce qu'il veut, que de celle du fédéral.

J'en viens à ma question. Donc, même si votre théorie a du vrai, le retard, le manque d'enthousiasme et certaines des raisons que les provinces peuvent avoir sur le plan de la concurrence pour agir dans ce domaine ne représentent-il pas de lourds obstacle qui vont empêcher les provinces de faire ce que vous avez dit qu'elles devraient faire?

M. Gerald Chipeur: Vous posez là des questions de politique intéressantes, et je ne peux vraiment pas vous répondre du point de vue de la politique, parce que, comme je l'ai dit, constitutionnellement, c'est impossible. Je peux vous assurer que vous avez raison; il y aura des litiges. Nous avons vu ce qui s'est passé la dernière fois qu'il y a eu de tels litiges. Le Dr Morgantaler a contesté chaque loi et utilisé les mêmes arguments en disant au gouvernement fédéral que s'il outrepassait ses pouvoirs et essayait de réglementer, il allait contester sa capacité de le faire, et aux provinces que si elles allaient trop loin et essayaient de réglementer en se fondant sur le pouvoir relié au droit criminel, il allait tout contester.

Par conséquent, vous savez que les cliniques qui sont réglementées ici vont exiger que vous agissiez tout de suite de sorte que vous seriez aussi bien de le faire même s'il pouvait être difficile pour les provinces d'accepter de faire le travail qu'elles sont sensées faire en vertu de notre Constitution. À mon avis, il serait préférable d'établir des règles dès le départ au lieu d'attendre que les choses se gâtent et qu'il faille légiférer.

Je ne suis pas si certain que nous avons tant de retard sur le reste du monde; le reste du monde éprouve les mêmes problèmes que nous. Je pense que si le gouvernement fédéral disait aux provinces que ce sera illégal après telle date si elles n'ont pas de loi en place, elles vont hâter le pas, tout comme elles l'ont fait dans le cas des loteries et dans d'autres circonstances. Par exemple, lorsqu'il y avait une loi sur l'avortement au Canada, c'est le modèle qui a été suivi. Il était illégal de procurer un avortement ou d'y participer à moins qu'il ait été approuvé par le comité de l'hôpital local. Cette législation a été jugée constitutionnelle, parce que les questions qui ont été soulevées étaient des questions auxquelles il fallait répondre localement, sur une base individuelle.

Je sais que les provinces ne veulent pas faire ça aujourd'hui en ce qui concerne l'avortement et elles ne veulent pas le faire non plus en ce qui concerne toutes les autres questions très importantes auxquelles nous faisons face, mais c'est leur devoir. C'est la seule façon de s'y prendre selon notre Constitution, à mon point de vue.

M. Preston Manning: Donc, votre argument est fondé sur la loi et non la politique.

M. Gerald Chipeur: Ce n'est pas une question de politique. C'est une question de droit constitutionnel. Juste parce que c'est une bonne idée... C'était une bonne idée d'avoir l'assurance-chômage et l'homologation des produits agricoles naturels—il y a bien des choses que le gouvernement fédéral voulait faire il y a 100 ans et qu'il ne pouvait pas faire. Ce n'est pas parce que c'était une mauvaise idée; c'est parce qu'il n'avait pas le pouvoir qu'il fallait.

M. Preston Manning: Avez-vous des commentaires à faire, madame Jackman?

Mme Martha Jackman: Je tiens absolument à faire des commentaires.

M. Preston Manning: Nous avons un bon panel ici, parce que nous avons les deux côtés...

Mme Martha Jackman: Je sais, deux avocats. Que voulez-vous?

M. Preston Manning: Nous allons vous laisser débattre la question.

Mme Martha Jackman: Peut-être me permettrez-vous de faire un commentaire, parce que je ne suis pas du tout d'accord avec le point de vue de mon collègue.

Tout d'abord, l'affaire qu'il a citée, une cause de la fin des années 80 de la Section de première instance de la Cour fédérale, a été supplantée assez bruyamment par la jurisprudence subséquente de la Cour suprême du Canada en ce qui concerne le pouvoir lié à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement dans l'affaire qui a opposé la Couronne à Zellerbach, mais récemment et ce qui est plus important encore, l'affaire RJR Macdonald et l'affaire Hydro-Québec ont donné clairement à entendre qu'en se fondant exclusivement sur le pouvoir relié au droit criminel conféré par le paragraphe 91.27 au Parlement, le gouvernement fédéral peut non seulement interdire une activité qui est considérée comme nuisible pour la santé, mais aussi la réglementer.

Par exemple, tout le régime réglementaire fédéral qui entoure l'environnement a été jugé légitime selon le droit criminel fédéral et il est de toute évidence défendu de polluer. Si vous polluez, nous allons vous mettre en prison. C'est un système de réglementation complet et la Cour a statué majoritairement dans cette affaire, tout comme dans l'affaire RJR Macdonald se rapportant à la réglementation des produits du tabac, que c'était une loi criminelle fédérale valide. Donc, le gouvernement pourrait adopter cette loi, y compris les aspects réglementaires du projet de loi, en se fiant uniquement au paragraphe 91.27.

• 1145

Pour ce qui est des pouvoirs liés à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement, j'ai dit tout à l'heure, et mon collègue vous l'a souligné, qu'il y a certaines exigences que le Parlement doit respecter dans l'exercice de ce pouvoir. Tout d'abord, il doit démontrer que la question réglementée est d'importance nationale. Je pense que personne ne doute que les nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique soient une question d'intérêt national.

La deuxième chose que le Parlement doit démontrer, c'est que la reconnaissance de la compétence fédérale dans ce domaine ne minerait pas le partage existant des pouvoirs. Pour arriver à se prononcer, la cour se penchera entre autres sur l'incapacité des provinces de réglementer efficacement la question, y compris les répercussions sur les résidents d'une autre province si une province ne fait rien.

Il est clair qu'en ne faisant rien pour réglementer efficacement ces activités, pour ce qui est tant de l'autorisation de la prestation de services que des aspects essentiels du projet de loi concernant l'information, les provinces, individuellement et collectivement, ont montré qu'elles ne pouvaient pas réglementer efficacement ce domaine. Que ce soit parce qu'elles ne le veulent pas ou parce qu'elles en sont incapables, le résultat est le même: si elles n'agissent pas—et aucune d'elles ne l'a fait—il est difficile de dire qu'elles sont capables d'agir.

De plus, la principale considération ici, parce que c'est une question d'intérêt national, c'est l'incidence négative sur d'autres Canadiens de la réticence ou de l'incapacité d'une province à réglementer dans ce secteur. Je pourrais peut-être vous donner deux exemples. Le premier nous a été fourni par M. Manning: la question de la biotechnologie. Si une province décidait qu'il est extrêmement avantageux pour elle sur le plan économique de devenir un paradis pour ce type de recherche contraire à l'éthique, cela aurait évidemment des conséquences négatives pour les résidents d'autres provinces. Cela constituerait une fois de plus un fondement constitutionnel à l'intervention fédérale.

Reprenons le cas des accords conclus avant la conception. Si une province, pour quelque raison que ce soit, décidait qu'il n'y a rien de mal à conclure des accords préconception commerciaux ou non commerciaux et créait en fait un régime législatif qui les favorisait, cela aussi aurait des conséquences extrêmement négatives pour les femmes d'autres provinces, parce que la reconnaissance et la légitimation des accords de maternité de substitution sont extrêmement dommageables pour les droits fondamentaux des femmes à l'égalité. Le fait que je ne vive pas dans la province où cela serait permis n'enlèverait rien au fait que la légitimation et la réglementation de la pratique auraient des conséquences néfastes pour moi.

Bref, je maintiens qu'en vertu du paragraphe 91.27, étant donné l'effet cumulatif des affaires RJR Macdonald et Hydro-Québec, il ne fait absolument aucun doute que cette mesure législative est admissible. Oui, il y aura des litiges. La législation sur les armes à feu est un exemple des litiges qui se sont rendus jusqu'à la Cour suprême du Canada, parce que le projet de loi ne plaisait pas à tout le monde. Cela ne veut pas dire que les arguments invoqués étaient constitutionnellement valables. Comme je l'ai dit, mis à part la compétence en matière de droit criminel, qui est évidente dans ce cas-ci, je maintiens que le pouvoir concernant la paix, l'ordre et le bon gouvernement constitue un fondement solide pour ce projet de loi dont témoigne l'inaction de toutes les provinces dans ce domaine jusqu'à maintenant.

La commission royale a constaté—même dans le cas de certaines des pratiques qui sont considérées comme les moins nocives, par exemple, celle de la fécondation in vitro—au terme d'une étude approfondie qu'on faisait en fait des expériences sur les femmes. Il y avait des cliniques de fécondation in vitro titulaires d'un permis provincial qui annonçaient des taux de réussite de 10 ou 20 p. 100 de sorte que les femmes qui allaient dans ces cliniques pensaient que si elles subissaient les traitements qui y étaient offerts, elles auraient entre 10 et 20 p. 100 de chances de rentrer chez elle avec un beau bébé en santé.

Quand on a examiné la question, on s'est aperçu qu'il y avait en réalité après le traitement de 10 à 20 p. 100 de chances de grossesse chimique sans qu'il n'y ait aucune naissance vivante. C'est là le genre de pratique réglementée dans les provinces pour le moment et, à mon avis, il est tout à fait essentiel que le gouvernement fédéral intervienne et fasse preuve d'un certain leadership.

Cela se fait dans d'autres pays, et je sais que le modèle le plus souvent cité est celui de la Grande-Bretagne. Comme je l'ai dit, je pense que la commission royale a dépensé entre 20 et 25 millions de dollars provenant des contribuables canadiens. Elle a consacré de nombreuses années à l'étude de cette question il n'y pas tellement longtemps et il est du devoir du comité d'examiner ses recommandations.

M. Preston Manning: Est-ce que je pourrais poser une autre question?

La présidente: Il vous reste moins d'une minute. Pouvons-nous continuer?

M. Preston Manning: Oui, bien sûr, d'accord.

La présidente: Monsieur Dromisky.

M. Stan Dromisky (Thunder Bay—Atikokan, Lib.): Merci beaucoup.

• 1150

J'aimerais m'adresser à Mme Jackman. Pour ce qui est de la question des accords de maternité de substitution commerciaux ou non commerciaux, j'ai l'impression qu'il y a, comme vous l'avez signalé, des aspects négatifs dans chaque formule. Étant donné que la maternité de substitution sera une réalité, quel est, de votre perspective d'avocate, le modèle qui vous paraît acceptable? Autrement dit, je vous demande d'éclairer notre comité.

Mme Martha Jackman: Merci. Je peux vous dire que la législation proposée criminalise les accords de maternité de substitution et j'estime que cela est tout à fait justifié. Je pense par ailleurs que la législation proposée irait à l'encontre du but visé en criminalisant le comportement des mères porteuses. Ce ne serait pas approprié et j'appuie l'avant-projet de loi à ce sujet.

Par contre, je souhaiterais que la législation ne fasse pas d'exception pour les avocats, les médecins et les psychologues qui servent d'intermédiaires pour de tels accords. Dans un sens, en participant à de tels accords, ils seraient réputés prendre part à une activité interdite. Ce serait un bon moyen de réduire la fréquence des maternités de substitution, étant donné que lorsqu'il est impossible d'obtenir l'aide d'un médecin ou d'un avocat pour rédiger un contrat, on réduit considérablement l'incitation à se livrer à une telle activité.

Évidemment, cela va au-delà des compétences fédérales. Mais, là encore, je crois que le gouvernement fédéral peut recommander aux provinces et votre comité devrait le faire, qu'elles modifient leur législation de manière à indiquer clairement qu'en vertu du droit de la famille, la mère biologique de l'enfant est considérée comme la mère juridique. Cela éliminerait la possibilité de contourner les régimes de droit de la famille en concluant un contrat stipulant que le bébé n'appartient pas à la mère biologique—la mère de substitution—et que le jour après la naissance, la personne qui a passé commande peut, en vertu du contrat, considérer le bébé comme sien.

Il faut modifier le droit provincial de la famille afin de mentionner spécifiquement que la mère naturelle demeure la mère juridique de l'enfant. Par ailleurs, le droit provincial de la famille devrait établir clairement que les accords de maternité de substitution ou les accords conclus avant la conception n'ont aucune force exécutoire. Bien entendu, cela n'empêchera pas la conclusion de tels accords dans la pratique, mais l'effet de dissuasion est énorme. En effet, de telles conditions dissuaderont nettement les familles qui rédigent un contrat sans l'aide d'un avocat ou d'un médecin, sachant qu'il est inapplicable et que la mère biologique est considérée comme la mère de l'enfant à moins qu'elle ne cède volontairement l'enfant selon les modalités provinciales d'adoption, avec la période d'attente normale qui s'applique dans tous les cas d'adoption. Voilà ce que je recommanderais au comité.

À ce sujet, je vous ramène encore aux recommandations de la commission royale qui contiennent toutes sortes de détails sur la façon de décourager cette pratique sans criminaliser les mères biologiques. L'avant-projet de loi à l'étude est loin d'un tel modèle, puisqu'il prévoit des exceptions pour les médecins, les avocats et les psychologues.

M. Stan Dromisky: Selon le modèle que vous avez présenté, supposons que deux soeurs concluent une entente et que l'une d'entre elles s'engage à être la mère biologique. Elle devra subir des tests sanguins et d'autres examens médicaux pour s'assurer qu'elle est en bonne santé. Selon votre modèle, est-ce que cela signifie que le médecin qui effectue les tests sanguins et qui procure les autres soins commet une infraction?

Mme Martha Jackman: Selon moi, le médecin qui fournit les soins de santé à la femme enceinte ne fait absolument rien de répréhensible. Par contre, s'il encourage sciemment un accord avant la conception, son intervention tombe sous le coup des dispositions de la loi, dans la mesure où l'on peut démontrer qu'il en retire un certain avantage commercial. Évidemment, on peut alors se demander si les honoraires des médecins pour services médicaux fournis en vertu des régimes d'assurance santé provinciaux constituent des avantages commerciaux. Probablement pas. En revanche, cette disposition dissuaderait les médecins de servir d'intermédiaires dans des accords de maternité de substitution. Je dois dire que...

• 1155

M. Stan Dromisky: Je ne prétends pas qu'il agit à titre d'intermédiaire. Je dis, en d'autres termes, qu'il fait un bilan médical qui permet de savoir si la personne concernée peut devenir la future mère porteuse. Il est évident que les deux femmes doivent procéder à des examens médicaux avant de conclure ce genre d'accord.

Mme Martha Jackman: Pour le moment, c'est un domaine qui n'est pas réglementé, si bien que les conditions sont plus ou moins complexes selon la volonté des parties. Je sais que dans certains États des États-Unis, les contrats sont très explicites. Les personnes qui souhaitent devenir mères de substitution avec rémunération appropriée doivent subir toute une batterie de tests pour s'assurer que toutes les conditions sont respectées et se soumettre également à toutes sortes de diagnostics prénatals. Il est arrivé que le nouveau-né soit handicapé; dans ce cas-là, les parents demandeurs ne veulent pas de l'enfant, ce qui donne lieu à un litige.

Je comprends que la criminalisation des services d'un médecin relativement à la reproduction présente certains risques. Je ne veux pas dissuader les médecins d'offrir les soins habituels aux femmes enceintes. Mais je pense qu'il y a une marge entre la criminalisation et le fait de donner carte blanche aux médecins, avocats et psychologues et leur permettre d'empocher des honoraires grâce à une telle formule commerciale. Je pense qu'en éliminant l'exemption dont bénéficient ces trois groupes, on les place essentiellement dans la situation...

M. Stan Dromisky: Vous parlez d'une situation... Si je comprends bien, l'exemple que vous prenez concerne en fait les grandes villes. Mais prenons le cas maintenant d'une petite ville et d'une entente mettant en jeu un médecin, un médecin de famille et deux soeurs. Ces deux femmes vont consulter leur médecin pour lui demander si l'une des deux soeurs peut devenir la mère porteuse. D'après vous, le médecin serait-il en infraction s'il acceptait de poser certains actes médicaux?

Mme Martha Jackman: Voici comment j'entrevois la situation. Prenons le paragraphe 4(2) de l'avant-projet de loi. Dans la mesure où l'on peut démontrer que le médecin—si l'exemption est éliminée, comme je le propose—a accepté une rémunération en vue de retenir les services d'une femme comme mère de substitution, a offert d'organiser ces services, ou en a fait de la publicité, alors, le médecin serait considéré en infraction comme n'importe quel autre intermédiaire. Par conséquent, même dans le cas le plus bénin de deux soeurs consultant un médecin au sujet de leur projet de maternité de substitution, le médecin aurait l'obligation professionnelle—et la commission a recommandé que les organismes d'autoréglementation des médecins informent leurs membres à ce sujet—d'expliquer aux deux femmes qu'elles se livrent à une activité non appropriée.

Si les deux femmes décident d'aller de l'avant, le médecin peut continuer à offrir les soins médicaux qui s'imposent à la femme enceinte. Cependant, d'après le libellé de la législation, si cette disposition est éliminée, un médecin ne pourra, pas plus que quiconque servir d'intermédiaire, pour la bonne raison que la maternité de substitution n'est pas appropriée. C'est contraire à l'éthique et c'est en fait une entorse au droit à l'égalité des femmes.

M. Stan Dromisky: Oui, c'est un véritable dilemme.

Merci.

La présidente: Madame Sgro.

Mme Judy Sgro (York-Ouest, Lib.): Madame Jackman, si je comprends bien, vous n'êtes absolument pas favorable à la maternité de substitution, un point c'est tout.

Mme Martha Jackman: C'est exact.

Mme Judy Sgro: Vos suggestions nous sont très utiles au moment où nous tentons de comprendre tous les défis qui se présentent. Le problème avec l'interdiction complète...je ne pense pas que nous soyons particulièrement favorables à de telles pratiques, mais ne pensez-vous pas que le problème sera refoulé dans la clandestinité si nous ne le réglons pas d'une façon ou d'une autre?

Mme Martha Jackman: Si l'on veut tenir compte des préoccupations entourant les services médicaux, je crois que vous pourriez créer une exception précisant explicitement qu'un médecin fournissant des soins de santé à une femme enceinte ne serait pas considéré comme s'étant livré à une activité interdite en vertu du projet de loi. De cette manière, on serait certains que les médecins n'hésiteraient pas à offrir les soins de santé dont les femmes enceintes ont besoin. Il serait peut-être utile de le mentionner de manière explicite, étant donné que le projet de loi criminalise les activités liées à la maternité de substitution.

• 1200

Si vous le permettez, j'aimerais revenir à la position de la commission sur les ententes non commerciales. Les conclusions de la commission au sujet des ententes non commerciales sont essentiellement les mêmes que pour les ententes commerciales. Nous ne pensons pas que de telles ententes devraient être entreprises, autorisées ni encouragées. Les motivations ont beau être sincères et généreuses, l'entente aboutit toujours à la réification d'un enfant et de la procréation. Les ententes non commerciales présentent un risque de coercition sous la forme de pressions familiales et d'incitations à participer. Elles peuvent également présenter le risque d'endommager les relations familiales. De plus, dans le cadre d'une entente non commerciale, une femme en bonne santé court un risque médical au profit de quelqu'un d'autre.

La commission avait recommandé la criminalisation des ententes commerciales, comme c'est le cas dans le présent projet de loi, et demandait également aux provinces de modifier le droit de la famille de manière à protéger explicitement les mères biologiques qui prennent part à de tels accords. Là encore, la volonté est de ne pas pénaliser les mères biologiques, de faire en sorte qu'elles demeurent les mères juridiques des enfants qu'elles ont portés, que ceux-ci soient nés à la suite d'accords préconception ou d'autres arrangements. La commission avait également recommandé qu'en cas de transfert d'un enfant à un parent social, que l'on suive la même procédure que pour l'adoption, avec une période d'attente similaire à celle qui s'applique aux mères biologiques et aux parents adoptifs.

Par conséquent, je ne pense pas que de telles mesures contribueraient à précipiter ce genre d'accords dans la clandestinité. Il s'agit pour le Parlement d'affirmer clairement qu'il n'appuie pas ce type d'accords et qu'il considère qu'ils sont préjudiciables pour les femmes, les enfants et la société. En outre, lorsque de tels accords interviennent, les intérêts de la mère biologique devraient être placés au-dessus des intérêts des professionnels qui sont rémunérés pour leurs services, et de ceux de la famille bénéficiaire, afin que la mère biologique soit protégée par le contrat et par la loi. De cette manière, les personnes qui prendraient des risques avec la loi seraient les familles qui bénéficient de la maternité de substitution. Cela créerait un effet dissuasif qui me paraît nécessaire.

Mme Judy Sgro: Avez-vous déjà communiqué avec des familles qui ont bénéficié de la maternité de substitution?

Mme Martha Jackman: Absolument pas. Je m'appuie sur les recherches, des recherches poussées. J'ai participé aux travaux de la commission et je fais mes propres recherches en tant que spécialiste féministe du droit constitutionnel. Évidemment, on connaît tous d'émouvantes histoires empreintes d'une grande générosité. Si seulement nous n'étions pas si préoccupés par les liens génétiques avec nos enfants... Je comprends que les familles qui ne peuvent avoir d'enfants se trouvent dans une position réellement difficile dans notre société où les enfants sont rares et précieux, mais je pense que les raisons de ne pas encourager les accords préconception l'emportent de loin sur les préjudices que vivent les familles qui ne peuvent avoir d'enfants.

Mme Judy Sgro: Merci.

La présidente: Monsieur Manning.

M. Preston Manning: J'aimerais revenir à la question de la compétence. J'ai un commentaire et une question à formuler. Dans le cas du régime de réglementation approprié, je ne pense pas que l'on puisse dire que le fédéral est meilleur que les provinces ou que celles-ci offrent une meilleure réglementation que le fédéral. Tout dépend des caractéristiques du régime de réglementation lui-même et des personnes qui l'appliquent. Nous savons tous, quand il s'agit de déterminer quel est le meilleur système de santé, en dépit des lacunes de la réglementation provinciale pointées par Mme Jackman, que certaines histoires d'horreur ont révélé l'incompétence de la réglementation fédérale dans le domaine du sang, des semences et, dans un domaine que je connais bien—celui de l'énergie. Le gouvernement fédéral n'a pas un dossier exemplaire.

Passons maintenant à la question. Il me semble que le cadre réglementaire et législatif approprié fera appel aux deux compétences. Il ne s'agit pas de privilégier l'une plutôt que l'autre. Ma question vise essentiellement à savoir comment harmoniser les deux. Gerry a proposé de laisser au fédéral le soin d'interdire et aux provinces celui de réglementer. Martha s'appuie plus sur le fédéral, mais vous avez reconnu, lorsque vous avez parlé de maternité de substitution, que la collaboration avec les provinces est indispensable.

• 1205

Aussi, ma question consiste à savoir s'il y a un moyen d'harmoniser les deux régimes, plutôt que de choisir l'un par rapport à l'autre.

Mais avant de vous laisser répondre, permettez-moi de citer trois points qui me sont venus à l'esprit et auxquels d'autres ont également pensé et que nous avons présentés au comité. Le premier est qu'il aurait fallu conclure une entente fédérale-provinciale sur la loi et le règlement dans ce domaine avant de rédiger le projet de loi. Les ministres auraient dû se réunir afin d'agir de concert et de s'entendre sur la façon de procéder.

Deuxièmement, il devrait être possible, si les provinces et le gouvernement fédéral collaborent, de créer un tribunal national de réglementation auquel les deux paliers de gouvernement délégueraient les pouvoirs respectifs indispensables pour que l'organisme ainsi créé dispose de toutes les compétences nécessaires.

Et le troisième point qui m'est apparu en examinant cet avant-projet de loi, c'est qu'il faudrait ajouter à la fin un article portant sur les mesures de coordination et de coopération avec les provinces et les autres parties intéressées. Cet article regrouperait les accords d'équivalence, l'intégration des règlements par renvoi et les aspects de mise en oeuvre de la coopération et de la coordination entre les gouvernements fédéral et provinciaux.

Voilà les trois points qui nous ont été suggérés ou que nous avons imaginés comme moyens d'harmoniser les compétences fédérales et provinciales de sorte que le régime de réglementation final dispose de tous les pouvoirs nécessaires pour accomplir sa mission.

Par conséquent, ma longue question porte sur la façon d'harmoniser les compétences fédérales et provinciales. Nous avons tous conscience de la situation et nous savons que nous sommes tous parties prenantes. Ce n'est pas une question de choix.

Mme Martha Jackman: En tant que constitutionnaliste, je suis une ardente adepte du fédéralisme coopératif. Dans l'idéal, c'est ce qui devrait se passer. Lorsque la commission royale a présenté son rapport, j'étais enceinte. Aujourd'hui, ma fille a plus de huit ans et depuis le dépôt du rapport, les choses ne se sont pas améliorées, bien au contraire. La commission a présenté son rapport, a fait des recommandations très claires au Parlement et aux provinces et il ne s'est rien passé, pas plus au niveau provincial qu'au niveau fédéral. Vous me demandez si je suis prête à attendre que tous les ministres provinciaux de la Santé, y compris ceux de l'Alberta et du Québec s'entendent avec leur homologue fédéral sur la délégation des pouvoirs à une commission fédérale-provinciale chargée de la reproduction. La réponse est non.

M. Preston Manning: Permettez-moi d'insister. Pensez-vous qu'ils devraient essayer? Politiquement, vous êtes...

Mme Martha Jackman: Non, je ne le crois pas. Je pense que les provinces et le gouvernement fédéral auraient déjà pris des mesures s'ils étaient suffisamment convaincus de l'importance d'une intervention dans ce domaine. Il est plus que temps que le gouvernement fédéral exerce sa compétence et respecte son obligation d'intervenir. Je pense que la concession qui est faite ici et qui concerne le potentiel de réglementation responsable de la province, relève de l'article 41 du projet de loi. Ce projet de législation permet donc à une province d'agir si elle est convaincue d'être capable de réglementer le secteur de manière aussi efficace ou même plus que l'organisme fédéral. Ce n'est pas exclu ici, mais je pense que c'est une concession au fédéralisme. Je me dissocie de mon collègue, car je ne pense pas que cette concession mine la prétention du gouvernement fédéral à la compétence.

M. Preston Manning: Par conséquent, vous vous appuieriez sur l'équivalence pour obtenir la coopération...

Mme Martha Jackman: Une province qui souhaiterait réglementer le secteur et qui ne l'aurait pas fait jusqu'à présent pourrait mettre en place un régime de réglementation parallèle, même s'il est convenu que le Parlement a décidé d'intervenir. Dans la mesure où elles respectent les exigences de la loi fédérale, toutes les provinces ont le droit de le faire. Je n'ai aucune objection à une législation locale dans ce domaine. Je m'objecte uniquement à l'absence absolue d'une réglementation gouvernementale dans un secteur où les femmes sont des cobayes et où les femmes et les enfants sont maltraités.

M. Preston Manning: Gerry, quel est votre point de vue? Comment envisagez-vous la coordination et la coopération?

M. Gerald Chipeur: Je vais répondre brièvement aux trois questions.

Premièrement, il existe déjà un processus régulier de rencontre des sous-ministres et des ministres de la Santé. Ils sont constamment en contact les uns avec les autres. Ils ont décidé de ne pas aborder cette question parce que le Parlement ne les y a pas contraints. Je pense que si le Parlement l'exige, ils le feront. Ils disposent des fonctionnaires, des avocats et du mécanisme de coopération qui leur permettent d'aborder cette question et d'obtenir une réponse coordonnée de la part du mécanisme actuel. Il n'est pas utile de mettre en place un nouvel organe de consultation.

Deuxièmement, pour les raisons que j'ai déjà mentionnées, je ne crois pas qu'un organe national donnerait de bons résultats, quelle que soit l'autorité qui le nomme. Ce n'est tout simplement pas une bonne solution, parce qu'il s'agit d'un problème personnel et local. C'est une question individuelle, éthique que chaque famille et chaque professionnel doit régler à l'échelon local. Si les réglementations provinciales autorisent des activités que le gouvernement juge criminelles et qui devraient être interdites, le Parlement peut serrer la vis, si l'on veut, et dire: «Non, ce n'est pas ce que nous avions prévu; ce type d'activité est criminel.»

• 1210

Le Parlement est tout à fait habilité à créer une aire de responsabilité réglementaire dans les provinces, mais une fois que le cercle est tracé, les autorités qui s'y trouvent doivent prendre les décisions à l'échelon local—il ne s'agit pas d'un organe national qui ne connaîtrait absolument pas les détails des cas particuliers dans un hôpital donné.

Enfin, d'un point de vue constitutionnel, je n'aime pas l'idée de créer un organe national puis de déclarer qu'il ne régit pas le Québec ou bien l'Alberta, qui possèdent déjà un organisme analogue. Premièrement, constitutionnellement, je pense que c'est malsain. D'après les principes de notre fédération, ce n'est pas de cette manière que les choses devraient se passer. La compétence est censée être attribuée aux provinces ou au fédéral qui, les uns comme les autres, sont censés s'acquitter efficacement de leur mission. Je ne pense pas que l'on ait envisagé de demander aux deux instances de faire un travail efficace et je ne pense pas que cela soit d'une utilité quelconque.

Cela ne fait que céder à une conception régionale du pays; alors que si l'on accepte que les provinces exercent certaines responsabilités, ce n'est pas de la régionalisation, cela consiste tout simplement à reconnaître que les individus doivent tous prendre les décisions qui les concernent chaque fois qu'ils le peuvent. Les seules décisions qui leur sont interdites sont celles qui sont de nature criminelle.

Mme Martha Jackman: Je regrette d'insister, mais j'aimerais expliquer de manière très pratique pourquoi cela ne fonctionne pas—l'idée que le gouvernement fédéral criminalise jusqu'à ce que les provinces réglementent le secteur et, puisqu'elles réglementent déjà, où est le problème?

La commission avait découvert que partout au Canada, on utilisait la fécondation in vitro pour remédier à l'infertilité d'origine inconnue comme pratiquement un traitement de premier recours pour les couples dont le problème d'infertilité n'a absolument pas été défini et lorsque, pour certaines raisons, le couple ne souhaite pas procéder à une insémination assistée à l'aide du sperme d'un donneur plutôt qu'à partir du sperme du père social.

La commission a découvert que la fécondation in vitro ne donne pas vraiment de bons résultats, sauf dans les cas d'obstruction des trompes de Fallope. Le seul mérite de la fécondation in vitro est de régler le problème des spermatozoïdes qui ne peuvent pas se rendre jusqu'aux trompes de Fallope. Dans un modèle où chaque province applique sa propre réglementation, quel est l'incitatif pour arrêter une telle pratique? Les médecins le font, les cliniques le font, c'est une réalité. Ce n'est un problème pour personne si ce n'est pour la femme qui doit subir tout un traitement pour neutraliser son système immunitaire afin qu'elle puisse être fécondée par le sperme de son mari. C'est elle qui écope du problème.

S'il n'y avait qu'un seul organisme national qui serait habilité à déterminer, en se fondant sur l'expérience, ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, il y a toutes sortes de pratiques actuellement en cours qui ne seraient peut-être plus autorisées. Par contre, une réglementation variant d'une province à l'autre n'inciterait absolument pas—en fait il y aurait toutes sortes de facteurs économiques et humains qui encourageraient le contraire—à se pencher sur les différentes pratiques et à se demander si elles donnent des résultats ou pas; si elles sont éthiques ou pas; si elles posent problème ou pas.

Actuellement, les comités d'éthique ne se posent pas de questions sur les pratiques systémiques qui pénalisent un sexe plutôt que l'autre. Ils s'intéressent aux préoccupations très individualistes et cherchent à savoir s'il y a eu consentement ou non. Cela ne répond pas, d'après moi, aux problèmes que soulèvent les nouvelles techniques de reproduction et de génétique.

La présidente: M'autorisez-vous à poser quelques questions?

M. Chipeur a affirmé qu'il existait déjà des organes de réglementation—les associations professionnelles, les comités d'éthique dans les hôpitaux, etc. J'aimerais lui demander s'il est satisfait du degré d'inspection et/ou de certaines décisions qui émanent de ces organes. Est-ce qu'il accepte de leur donner la responsabilité des pratiques qui pourraient avoir un effet sur la protection du génome humain?

• 1215

M. Gerald Chipeur: L'avant-projet de loi actuel, tel que libellé, me convient, à un changement près. Plutôt que de créer un organe national dont les provinces pourraient se désolidariser, à condition de disposer du régime de réglementation prévu par la loi, je propose de maintenir tous les critères de réglementation contenus dans la loi et de dire aux provinces: «Si vous voulez autoriser ce type d'activités dans votre province, vous devez mettre en place un organe de réglementation qui respecte tous les objectifs définis dans la loi telle qu'établie aujourd'hui».

Ce serait la même chose que dans l'application des articles 206 et 207 du Code criminel qui contiennent des critères relatifs aux commissions de loteries. Ces commissions existent parce que nous ne voulons pas voir se développer au Canada les aspects négatifs découlant du jeu. C'est pourquoi nous disons: «Appliquez une réglementation sévère. N'autorisez ces activités qu'en application stricte de la réglementation, en fonction des critères approuvés dans le Code criminel.» Pour moi, c'est la même chose ici.

Je n'approuve aucune activité coercitive de la part des cliniques ou des médecins ou d'autres personnes agissant à titre de conseillers. Mais je suggère que les provinces soient en mesure—et le ministre de la Santé l'a reconnu dans la loi actuelle—de mettre en place un régime de réglementation fondé sur les critères précisés dans la loi telle que libellée aujourd'hui, en vue d'atteindre cet objectif. En fait, toutes les activités de ce type seraient strictement interdites et jugées criminelles en vertu de la loi tant que la province n'aurait pas établi son régime de réglementation.

Ce n'est pas un mauvais résultat, puisque alors, aucun abus ne pourrait se produire tant que la province n'aurait pas adopté un règlement conforme à la norme établie par le Parlement pour être convaincu que l'on ne mène dans la province aucune activité contraire au bien-être de la société et par conséquent qu'il ne se commet aucune infraction criminelle telle que définie actuellement dans la loi.

Le changement à apporter consiste simplement à dire: «Nous imposons une réglementation à l'échelon provincial plutôt qu'aux paliers fédéral et provinciaux.» Mais les critères resteraient les mêmes.

La présidente: Mais, monsieur Chipeur, que se passerait-il si une province décidait de ne pas participer et d'établir son propre régime de réglementation en vertu des règles prescrites dans le présent projet de loi? Il n'y aurait pas une double réglementation, avec des inspecteurs fédéraux et des inspecteurs provinciaux.

M. Gerald Chipeur: Non, mais il pourrait y avoir un inspecteur fédéral en service en Ontario, mais pas au Québec.

La présidente: Oui.

M. Gerald Chipeur: Aussi, voici comment cela se présenterait... Il ne s'agit pas d'une question constitutionnelle, mais d'une question de ressources. Pourquoi créer ces deux paliers dans une pure perspective de «bon gouvernement»? Mais à part cela, puisque c'est une question de politique, je ne pense pas que cela ait été envisagé comme un aspect de droit constitutionnel. Si certaines provinces choisissent une autre voie, elles peuvent le faire—bien que je ne comprenne pas vraiment pourquoi une province déciderait de reproduire le régime de réglementation du gouvernement fédéral afin de pouvoir ne pas y participer. Je ne pense pas que l'on puisse dire que ce soit une bonne politique ou une bonne façon de gouverner... C'est simplement multiplier les services. Le résultat est le même, mais il est obtenu par différentes personnes.

Pourquoi ne pas tout simplement décréter aujourd'hui que c'est du ressort provincial et que rien ne se produira au Canada tant que les provinces n'auront pas clairement pris leurs responsabilités? Les provinces ne peuvent pas dire au gouvernement fédéral qu'elles vont lui remettre la responsabilité des hôpitaux dont elles sont chargées à l'heure actuelle. Ce n'est absolument pas prévu dans notre régime constitutionnel. Ce serait impossible à réaliser, même si les provinces le souhaitaient. Pour remettre dans la sphère fédérale un élément qui relève de la responsabilité fédérale ou vice versa, il faut procéder à un amendement de la Constitution.

La présidente: Bien que vous ayez dit que ce n'était pas le cas, puisque vous pouvez invoquer les pouvoirs reliés au droit pénal.

M. Gerald Chipeur: Je dis que l'on peut, en vertu des pouvoirs en matière pénale, interdire et adopter des règlements qui découlent nécessairement de l'interdiction. Par exemple, on peut interdire le meurtre à l'aide d'un fusil; ensuite, on peut réglementer la propriété des armes à feu afin de prévenir ce genre d'accident. Mais, selon moi, vous ne pouvez pas dans ce cas interdire certaines activités—que l'on pourrait qualifier de criminelles—dans le domaine des soins de santé, puis exclure une autre série d'activités et, en raison de cette exclusion, se donner carte blanche pour réglementer les soins de santé dans leur totalité. Je dis qu'il y a une limite.

• 1220

Autrement dit, on ne peut pas décréter aujourd'hui l'interdiction des hôpitaux au Canada. On ne peut pas affirmer qu'un hôpital constitue une infraction criminelle au Canada et enchaîner en disant que seuls les hôpitaux licenciés par le ministre fédéral de la Santé seront autorisés, vous donnant ainsi le droit de réglementer les hôpitaux.

Eh bien, on propose exactement ici de contrôler tous les hôpitaux du pays et de réglementer tous les actes qui y sont posés, minute par minute. Vous réglementez ce qui se passe dans les tubes à essai. Vous avez des inspecteurs et vous pratiquez la réglementation quotidienne et individuelle en contrôlant et en attribuant des licences aux hôpitaux et aux cliniques qui pratiquent ce genre d'activités. J'affirme que tout cela n'est pas nécessaire si le gouvernement veut faire son travail en respectant le droit pénal ou la paix, l'ordre et le bon gouvernement. En fait, le gouvernement ne devrait pas le faire, parce que ce n'est pas ce que prévoyait la Constitution.

La présidente: Bien. J'aimerais réfléchir à l'article 41 car l'idée d'avoir toute une kyrielle d'organes de réglementation dans les différentes provinces, ce qui reviendrait à multiplier le système par 12, me préoccupe beaucoup. Je préférerais que le gouvernement fédéral se charge des inspections et de tout le reste. Oui, l'article 41 et cette exception m'inquiètent.

Madame Jackman, pensez-vous que l'on pourrait se débarrasser de l'article 41 tout simplement parce qu'il se rapporte aux notions de paix, d'ordre et de bon gouvernement et à l'utilisation des pouvoirs en matière pénale, et que nous pourrions par conséquent décider que cette responsabilité est vraiment du ressort fédéral et que nous allons réunir toutes les pièces de ce casse-tête et empêcher le risque d'un tel éclatement des compétences? Pouvons-nous éliminer l'article 41 sans déroger à la Constitution?

Mme Martha Jackman: Il y a deux questions.

À mon avis, la suppression de l'article 41 ne nuirait pas à la validité constitutionnelle du projet de loi. Vous pouvez absolument adopter ce projet de loi sans accorder aux provinces la possibilité d'imposer leur réglementation à la place du gouvernement fédéral.

Je pense que l'article 41 est une concession réaliste au fédéralisme coopératif. À mon avis, aucune province n'octroie actuellement de licence pour la prestation de services dans ce domaine.

Je ne pense pas—et j'espère l'avoir dit clairement—que le ministre fédéral de la Santé contribuera nécessairement à améliorer vraiment la situation. Par conséquent, je conviens avec mes collègues que ce ne serait pas nécessairement plus efficace d'accorder aux cliniques qui pratiquent la fécondation in vitro une licence fédérale plutôt qu'une licence provinciale. Je pense que l'on a besoin d'un organisme indépendant chargé de réglementer ce secteur en s'assurant de valeurs clairement définies telles que la dignité et l'égalité de toutes les personnes et la notion non éthique de l'expérimentation sur des êtres humains.

Mais si l'on maintient l'article 41 dans le projet de loi, aurons-nous bientôt 12 commissions sur les techniques de reproduction alors qu'il n'en existe aucune actuellement? Je crois que peut-être une ou deux provinces seront incitées à se positionner dans ce domaine pour des raisons politiques et idéologiques. Je pense par exemple à la province du Québec et peut-être à l'Alberta. Est-ce que cela me dérange qu'une ou deux provinces imposent une réglementation aussi efficace que celle que je souhaite au palier fédéral? Cette situation ne me paraît pas inconfortable, ni dans la perspective du bon gouvernement, ni sous l'angle constitutionnel.

La présidente: Bien. Je serais d'accord avec vous si les provinces se souciaient principalement des femmes et des enfants qui vous préoccupent personnellement, mais il y a la possibilité pour les provinces de bénéficier des retombées économiques de la recherche biotechnologique en instaurant leur propre régime. Sommes-nous prêts à autoriser la disparité des règles d'une province à l'autre, permettant ainsi à une province en particulier de devenir le centre biotechnologique du pays et de récolter toutes les retombées économiques qui en découlent?

Mme Martha Jackman: Soyons clairs. Tout ce que les provinces peuvent contrôler, ce sont les activités réglementées. Les dispositions d'interdiction contenues dans le présent projet de loi demeurent en vigueur pour toutes les régions du Canada, si bien que les dispositions concernant les recherches biotechnologiques qui sont interdites parce qu'elles vont à l'encontre des idées fondamentales relatives à la réification et à la valeur de la vie, continuent de s'appliquer. Ce que les provinces peuvent réglementer de manière indépendante, si l'article 41 est conservé dans le projet de loi, c'est l'octroi de licences couvrant les activités de reproduction que nous jugeons acceptables—c'est-à-dire l'insémination assistée, la fécondation in vitro, etc.

La présidente: Bon. Passons à autre chose. Vous avez parlé...

Oui.

M. Preston Manning: Madame la présidente, avant de passer à autre chose, est-ce que vous m'autorisez à poser une autre question se rapportant à ce que vous venez de dire?

• 1225

La présidente: Certainement.

M. Preston Manning: Pouvez-vous nous dire rapidement si l'on remet en doute la constitutionnalité des accords d'équivalence dans le secteur de la santé? Est-ce quelque chose de légitime ou est-ce que la validité constitutionnelle des accords d'équivalence dans le domaine de la santé se situe dans une zone grise?

Mme Martha Jackman: Je pense que mon collègue ne partage pas le même point de vue que moi. Je pense que le principe de l'équivalence ne s'applique pas dans le cas des interdictions. Par conséquent, pour ce qui est de l'article 91.27, nous sommes d'accord pour dire que les interdictions ne posent pas de problème.

Par contre, je pense que nos points de vue divergent relativement aux dispositions réglementaires concernant ce qu'il est convenu d'appeler une «activité réglementée» comme le précise, je crois, le libellé.

M. Preston Manning: Et c'est sur cela que porte l'article 41.

Mme Martha Jackman: C'est exact.

À mon avis, ces dispositions peuvent s'appliquer aussi bien en vertu de l'article 91.27 que de la notion de paix, d'ordre et de bon gouvernement. Je ne pense pas que les accords d'équivalence puissent nuire à la constitutionnalité de ces dispositions, si l'on en juge d'après la décision de la Cour suprême dans l'arrêt RJR Macdonald et Hydro-Québec qui reconnaissait le caractère indubitablement constitutionnel de régimes de réglementation très complexes.

Nous avons des régimes parallèles dans le secteur de l'environnement qui est, à mon avis, plus comparable que le secteur de la chasse ou de la prévention de l'alcoolisme. Nous jugeons que la protection de l'environnement est suffisamment importante pour justifier l'intervention du gouvernement fédéral, mais nous reconnaissons que la Constitution accorde également aux provinces le pouvoir de réglementer ce domaine. Je pense que nous...

M. Preston Manning: Par conséquent, la réponse est que les accords d'équivalence dans le domaine de la santé ne posent pas de problème constitutionnel.

Mme Martha Jackman: Excusez-moi. La réponse est non. Je ne pense pas que la présence de l'article 41 modifie la validité constitutionnelle de ce projet de loi en vertu du paragraphe 91(27) ou des notions de paix, d'ordre et de bon gouvernement.

La présidente: J'ai une autre question pour Mme Jackman.

Vous nous avez présenté diverses stratégies visant à renforcer le contrôle de la maternité de substitution et à décourager cette pratique. Est-ce qu'il y en a d'autres?

Je reconnais avec vous que ce projet de loi, en mentionnant la rétribution, décourage et encourage à la fois la pratique de la maternité de substitution. Nous avons entendu des témoignages assez troublants de certaines personnes au sujet de la rétribution—par exemple, une mère porteuse peut obtenir jusqu'à 36 000 $ par an. Une de mes collègues m'a fait remarquer que cela pourrait être une nouvelle perspective de carrière pour les femmes.

Mais de toute façon, je pense qu'il faudrait vraiment interdire la maternité de substitution, au risque qu'elle se pratique de manière clandestine. Mais dans ce projet de loi, je ne vois pas comment nous pourrions le faire sans mettre en oeuvre les quelques changements que vous avez proposés. Est-ce que nous ne pouvons pas le faire de manière plus précise que par tous ces articles?

Mme Martha Jackman: Si vous le permettez, je vais répéter ce que j'ai proposé. Je maintiendrais le paragraphe 4(1) qui se lit comme suit:

    Il est interdit de rétribuer une personne de sexe féminin pour qu'elle agisse à titre de mère porteuse

—etc.

Sur le plan du droit en matière de contrats, le terme «rétribution» désigne essentiellement une entente financière. Cela peut tout simplement être considéré comme un dédommagement pour le fait que la mère porteuse ne peut pas travailler pendant neuf mois...

La présidente: Non, je comprends tout cela. Nous voulons éliminer le terme «rétribution». Je pense que la majorité des membres du comité partagent votre point de vue là-dessus. Vous n'avez pas à nous donner d'explications à ce sujet. Nous ne voulons pas de ce terme. Nous voulons l'éliminer complètement—tout au moins je le veux; je ne peux pas me prononcer pour les autres. Je veux que le libellé soit même plus strict que ce que vous proposez.

Mme Martha Jackman: Et vous craignez un accroissement des activités clandestines?

La présidente: Non, cela ne me préoccupe pas du tout. Nous voulons que la loi soit la plus ferme possible.

Mme Martha Jackman: Puis-je vous suggérer de retourner aux recommandations de la commission royale qui, d'après ce que j'entends, avait le même objectif que votre comité?

La présidente: Cet article me paraît tout à fait justifié lorsque le lis, mais je ne le trouve pas assez ferme.

Mme Martha Jackman: Je ne pense pas que ce soit dans l'intérêt des femmes ou de la société canadienne en général de criminaliser les personnes qui deviennent mères porteuses, pour diverses raisons.

La présidente: Non, je comprends votre point de vue et il faudrait inclure à ce sujet dans la loi une exception précisant que toute personne prise dans la situation ou dans le rôle de mère porteuse ou de mère de substitution, quelle que soit la terminologie utilisée, ne serait pas passible de poursuites, mais que seules les autres parties—les intermédiaires, les instigateurs du projet, etc. le soient. C'est ce que j'ai retenu des recommandations de la commission royale.

• 1230

Mais selon moi, cela signifie que ce genre de choses va se produire, même si nous ne le voulons pas et c'est pourquoi nous incluons ces articles dans notre projet de loi. Nous devons même être plus clairs si nous voulons que les associations médicales, les avocats et les autres comprennent le message.

Mme Martha Jackman: Alors, je pense que vous n'avez tout simplement qu'à ajouter au paragraphe 4(1) des termes comme «encourager» et «faciliter». Ainsi, le texte se présenterait comme suit: «Il est interdit de verser une rétribution, d'en encourager ou d'en faciliter le paiement» à une personne pour remplir le rôle de mère de substitution.

La présidente: Très bien.

Mme Martha Jackman: Ensuite, vous supprimez l'exception prévue à l'article 4. Ensuite, pour répondre à la préoccupation de M. Dromisky au sujet des médecins, vous pourriez ajouter une disposition prévoyant qu'un médecin qui offre des soins médicaux à une femme enceinte n'est pas réputé enfreindre la loi. De cette manière, vous protégez le médecin qui, ayant appris par la rumeur publique qu'une de ses patientes est une mère porteuse, hésiterait à donner des soins à cette femme de peur d'être poursuivi en vertu de la loi. C'est une situation que l'on veut absolument éviter et c'est facile de le faire.

M. Stan Dromisky: Mais, ce que je voudrais, c'est que l'on mette l'accent sur les premières étapes du processus, lorsque le médecin pratique certains examens pour vérifier si la personne...

Mme Martha Jackman: Est compatible.

M. Stan Dromisky: ...offre un terrain propice, si l'on veut.

Mme Martha Jackman: Il n'y a aucune raison d'interdire cela. Je pense que vous voulez protéger les médecins qui procurent les soins médicaux nécessaires aux femmes enceintes, mais que vous ne voulez certainement pas prévoir le même genre d'exceptions pour ceux qui aident essentiellement...

M. Stan Dromisky: Avant que la femme devienne enceinte.

Mme Martha Jackman: Exactement. C'est faciliter, encourager, appuyer.

M. Preston Manning: Mais en même temps, vous retirez carrément la responsabilité de la maternité de substitution à la mère porteuse. Il me semble que vous allez à un autre extrême...

Nous ne voulons pas criminaliser et pénaliser ces femmes, ni leur porter préjudice, mais ne pensez-vous pas que c'est aller un peu trop loin que d'imposer des pénalités à toutes les personnes prenant part à la maternité de substitution, sauf à la mère porteuse elle-même?

Mme Martha Jackman: Non. Et voici pourquoi. Je pense en effet que nous comprenons que des femmes puissent agir de la sorte à cause de pressions familiales et autres. Je ne vois pas l'intérêt de la criminalisation pour la société et, dans une perspective féminine, je ne pense pas que la criminalisation d'une femme ayant choisi de devenir mère porteuse, puisse améliorer la politique publique.

Au départ, la démarche de l'accord préconception ne provient pas des femmes qui sont fertiles, mais bien des couples qui ne peuvent pas eux-mêmes avoir d'enfants et qui cherchent essentiellement une personne qui portera leur enfant pour eux.

J'aimerais faire l'analogie avec les préjudices au foetus, l'idée de faire appel au système judiciaire pour punir et contrôler les femmes enceintes susceptibles d'avoir un comportement dangereux pour le foetus qu'elles portent. Il est prouvé qu'il n'est pas bon de retourner le droit pénal contre les femmes enceintes. Cela ne fait qu'enfermer les femmes dans la clandestinité.

Je crois qu'en dissuadant sciemment les couples demandeurs, les médecins, les avocats et les autres intermédiaires potentiels, on peut atteindre l'objectif recherché sans pénaliser la personne vulnérable dans toute cette affaire, c'est-à-dire la mère biologique et sans pénaliser non plus l'enfant, car, comme je l'ai dit, je crois qu'il faut inciter les provinces à clarifier le droit provincial de la famille afin de préciser à qui appartient l'enfant lorsqu'il est né. Le nouveau-né demeure l'enfant de la mère biologique jusqu'à ce que les formalités normales d'adoption soient enclenchées et que la société estime que le moment est venu de lui faire changer d'unité familiale.

La présidente suppléante (Mme Judy Sgro): Merci beaucoup.

Y a-t-il d'autres questions ou commentaires?

Au nom du comité, merci encore à nos deux témoins. C'est intéressant, car à chaque fois que nous entendons des témoins, nous approfondissons un peu plus cette question très délicate et tentons de lui trouver, espérons-le, une solution appropriée.

La séance est levée.

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