HEAL Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de la santé
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 21 mai 2002
Á | 1115 |
La présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)) |
M. Basil Stapleton (conseiller juridique, ministère de la Justice) |
Á | 1120 |
Á | 1125 |
Á | 1130 |
Á | 1135 |
Á | 1140 |
Á | 1145 |
Á | 1150 |
La présidente |
M. Jeannot Castonguay (Madawaska--Restigouche, Lib.) |
M. Basil Stapleton |
Á | 1155 |
Mme Claire Franklin (directrice exécutive, Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, ministère de la Santé) |
Mr. Jeannot Castonguay |
Mme Claire Franklin |
 | 1200 |
M. Jeannot Castonguay |
Mme Claire Franklin |
M. Jeannot Castonguay |
Mme Claire Franklin |
M. Basil Stapleton |
La présidente |
M. Bigras |
M. Basil Stapleton |
 | 1205 |
Mme Claire Franklin |
M. Bernard Bigras |
Mme Claire Franklin |
M. Bernard Bigras |
Mme Claire Franklin |
 | 1210 |
La présidente |
M. James Lunney (Nanaimo--Alberni, Alliance canadienne) |
M. Basil Stapleton |
M. James Lunney |
Mme Claire Franklin |
 | 1215 |
M. James Lunney |
Mme Claire Franklin |
M. James Lunney |
Mme Claire Franklin |
M. James Lunney |
Mme Claire Franklin |
M. James Lunney |
Mme Claire Franklin |
M. James Lunney |
Mme Claire Franklin |
M. James Lunney |
Mme Claire Franklin |
La présidente |
 | 1220 |
Mme Susan Baldwin (greffière législative) |
La présidente |
Mme Susan Baldwin |
La présidente |
CANADA
Comité permanent de la santé |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 21 mai 2002
[Enregistrement électronique]
Á (1115)
[Traduction]
La présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)): C'est avec plaisir que je déclare la séance levée. Nous pensions commencer l'étude article par article aujourd'hui, mais notre dernier témoin, à la dernière séance, a soulevé un certain nombre de questions de nature juridique et constitutionnelle que le comité souhaite étudier plus en détail. Nous recevons donc ce matin M. Basil Stapleton, conseiller juridique dans ce dossier, qui va nous exposer son analyse des propos tenus par Mme Ring à la dernière réunion.
Je dois aussi vous dire que nous ne sommes pas prêts à réaliser notre étude article par article dès aujourd'hui. Un certain nombre des modifications proposées n'a toujours pas été traduit. Ainsi, nous entendrons, dans la première partie de la réunion, M. Stapleton, qui est accompagné de Mme Franklin et de Mme Graham, puis nous consacrerons la deuxième partie de notre réunion à l'examen de la liste des questions litigieuses compilée par nos attachés de recherche. Nous étions rendus à la page 3, environ, à la dernière réunion avant de perdre le quorum. Nous poursuivrons donc, ce qui nous donnera une indication de l'orientation que nous désirons prendre.
Je cède donc la parole à M. Stapleton, qui va répondre aux observations de l'avocate que nous avons reçue à la dernière réunion.
M. Basil Stapleton (conseiller juridique, ministère de la Justice): Merci, madame la présidente.
Les commentaires exprimés à la dernière réunion portent essentiellement sur les sphères de compétence des divers gouvernements du Canada en matière de réglementation de l'utilisation de pesticides. La meilleure façon de procéder me semble de commencer par vous expliquer ma compréhension de la loi à cet égard et d'aborder les points soulevés par Mme Ring au fur et à mesure de mon exposé. Bien entendu, je serai tout disposé à répondre à vos questions par la suite.
Les sphères de compétence, comme on l'a dit, découlent essentiellement du droit constitutionnel. Pour répondre adéquatement à cette question, nous devons d'abord examiner trois questions de base. Premièrement, quels sont les pouvoirs constitutionnels concédés au Parlement fédéral, aux gouvernements provinciaux et aux conseils municipaux pour l'élaboration de lois et de règlements sur l'utilisation de pesticides? Deuxièmement, de quelle nature sont leurs pouvoirs constitutionnels respectifs? Et enfin, quelles en sont les limites? Je pense que nous allons lever le voile sur beaucoup d'incertitudes en répondant à ces trois questions.
Commençons par les compétences des provinces, qui détiennent la plus grande part des pouvoirs de réglementation des pesticides, puisque la lutte antiparasitaire est directement liée aux droits d'utilisation et de jouissance de la propriété. En effet, la lutte antiparasitaire a pour but de rendre l'utilisation de la propriété plus profitable, plus productive ou plus agréable, qu'il s'agisse d'une propriété servant à des fins agricoles, forestières, minières, industrielles, commerciales, récréatives ou de loisirs. Bref, les droits de propriété et les droits civils, qui sont les principaux droits en jeu, sont de compétence provinciale. L'autre type de compétence que confère la Constitution aux provinces touche la réglementation des questions d'intérêt local.
Ainsi, nous partons du principe de base que la question relève essentiellement de compétence provinciale. Bien sûr, les provinces peuvent déléguer aux municipalités qui les composent certains pouvoirs de réglementation de la lutte antiparasitaire, ce qui comprend la réglementation des pesticides. À ce moment-là, leur compétence découle de chartes et de lois provinciales. Ainsi, les compétences des municipalités en la matière varient d'une province à l'autre. Si une province confère un pouvoir à une municipalité, celle-ci a évidemment le droit légitime d'exercer ce pouvoir sur l'utilisation des pesticides.
Bien entendu, le fait qu'un domaine soit surtout de compétence provinciale ne signifie pas que le Parlement fédéral n'a aucun pouvoir en la matière. Si certains aspects du domaine relèvent des compétences que la Constitution confère au gouvernement fédéral, celui-ci peut les exercer. En ce qui concerne la réglementation des pesticides, diverses sphères de compétence fédérales peuvent s'appliquer. Ainsi, le gouvernement fédéral peut notamment exercer ses compétences en matière d'agriculture, qui est de responsabilité conjointe fédérale-provinciale, dans la mesure où l'utilisation de pesticides peut contribuer à améliorer la production et la qualité des denrées agricoles. Il peut également exercer ses compétences en matière de commerce dans la mesure où les pesticides traversent des frontières internationales et interprovinciales, mais ce sont surtout ses compétences en matière criminelle qu'il peut utiliser et qu'il utilise effectivement pour réglementer les pesticides.
Á (1120)
Le pouvoir que lui confère le droit criminel lui permet de d'intervenir considérablement pour protéger les grands intérêts publics. Avec le temps, les tribunaux ont statué que la protection de la santé et de la sécurité relevait du droit criminel. Il y a cinq ans, la Cour suprême du Canada a confirmé, dans l'affaire d'Hydro-Québec, que le droit criminel pouvait s'appliquer aussi à la protection de l'environnement. Bref, dans le vaste cadre réglementaire, c'est surtout ses compétences en vertu du droit criminel qui permet au gouvernement fédéral de réglementer l'utilisation de pesticides et il y recourt effectivement. À cela s'ajoutent les lois sur la protection de la santé administrées par le ministère de la Santé. Par exemple, la Loi sur les aliments et drogues, de même que la Loi sur les produits dangereux sont essentiellement de nature pénale. Ainsi, le cas de la Loi sur les produits antiparasitaires, qui s'appuie essentiellement sur le droit criminel, n'est pas unique.
On constate donc que l'utilisation de pesticides peut être réglementée par les trois ordres de gouvernement. En fait, la Cour suprême du Canada l'a confirmé de façon très claire dans l'affaire de la ville de Hudson. La Cour a conclu à la complémentarité des systèmes réglementaires et expliqué en quoi cette complémentarité était souhaitable et pourquoi les décisions devaient parfois incomber aux autorités locales, qui sont les mieux placées pour comprendre les besoins et les désirs de la population.
Dans ce contexte, quelles sont les limites d'exercice de ces divers pouvoirs constitutionnels?
Les compétences provinciales et les compétences municipales qui en découlent concernent la réglementation des droits civils et de propriété. Ces pouvoirs ne s'appliquent pas nécessairement aux questions de santé, d'environnement et de sécurité. En d'autres termes, les aspects examinés à l'échelle fédérale à ce chapitre ne sont pas nécessairement abordés par les autorités provinciales et municipales. Celles-ci peuvent se pencher sur des questions de santé ou d'environnement, mais elles n'ont pas nécessairement à élaborer leurs règlements sur cette base. Par exemple, dans l'affaire de la ville de Hudson, la Cour suprême du Canada a conclu que la ville n'avait pas fait la preuve d'un risque important pour la santé ou l'environnement. Elle n'avait pas à le faire. Les autorités agissaient en vertu de lois et règlements provinciaux, qui les autorisaient à adopter des règlements municipaux pour le bien-être général de la collectivité. Autrement dit, il s'agissait de questions de qualité de vie de compétence municipale, ce qui peut englober ou pas des questions de santé ou d'environnement, alors qu'à l'échelle fédérale, où les compétences relèvent du droit criminel, il faut pouvoir prouver qu'il y a des problèmes graves à régler pour adopter un règlement.
À mon avis, c'est une différence fondamentale entre les compétences exercées par les différents ordres de gouvernement. L'un des problèmes de l'exposé de Mme Ring, qui a pu semer la confusion dans votre esprit, c'est qu'elle a mis l'accent sur le partage des pouvoirs de protection de la santé. Elle semblait sous-entendre que la seule raison pour laquelle n'importe quel ordre de gouvernement pouvait réglementer les pesticides était la protection de la santé. Ce n'est pas le cas. S'il en était ainsi, le régime canadien serait sans doute très différent de ce qu'il est en ce moment.
La question des compétences semble s'être posée dans le contexte de la proposition d'interdire l'utilisation de pesticides chimiques à des fins esthétiques, ce qui a fait beaucoup de vagues. En fait, la vraie question à se poser, c'est pour quelle raison un ordre de gouvernement du Canada peut-il imposer une interdiction absolue d'utiliser des pesticides chimiques à des fins esthétiques? Cela, bien sûr, était l'enjeu de l'affaire de la ville de Hudson, dans laquelle la Cour a établi clairement que la ville pouvait, en vertu de la loi provinciale, adopter un règlement à ce sujet sans devoir faire la preuve que cela posait des risques pour la santé ou l'environnement.
Á (1125)
La même chose pourrait-elle être autorisée en vertu du droit criminel? Lorsque la ministre a comparu devant vous, elle a affirmé qu'en vertu du droit criminel, nous ne pouvions pas interdire l'utilisation d'un pesticide pour la simple raison qu'il est utilisé à des fins esthétiques, inutiles ou futiles. Nous ne pouvons criminaliser une activité sur la base de ce critère. Nous ne pouvons criminaliser que les activités risquant de façon significative de nuire à un intérêt public important, soit la santé ou la sécurité publique ou l'environnement. Je n'ai pas besoin de vous rappeler que la ministre est une avocate de droit constitutionnel de renom et que la question me semble très pertinente, mais je crois que ses propos ont porté certaines personnes à conclure que selon elle, le gouvernement fédéral n'avait aucun pouvoir de réglementation de l'utilisation des pesticides. Ce n'est absolument pas ce qu'elle a dit, bien entendu. Son exposé ne portait que sur un type d'utilisation et sur celui-là seulement. Il est clair que le gouvernement fédéral peut réglementer l'utilisation de pesticides. Nous le faisons depuis au moins 75 ans, soit depuis l'adoption, en 1927, de la première loi sur les produits antiparasitaires qui s'appelaient alors la Loi sur les poisons agricoles. On ne peut déterminer qu'un produit peut être homologué sans vérifier comment il sera utilisé et imposer des conditions précises visant à assurer qu'il peut et qu'il sera utilisé sans danger.
Bref, la question centrale soulevée par Mme Ring ne pose pas problème du tout. Il est clair que le Parlement fédéral peut adopter une loi régissant certains aspects de l'utilisation de pesticides. Ce n'est pas un problème. Le problème reste à déterminer les limites des lois que le gouvernement fédéral peut adopter à cet égard.
Les tribunaux ont indiqué très clairement que lorsque le Parlement exerce ses pouvoirs fédéraux dans une sphère de compétence essentiellement provinciale, il doit faire attention de ne pas dépasser les limites admissibles de son pouvoir de réglementer la question. Bref, le gouvernement fédéral ne peut pas exercer les pouvoirs que lui confère le droit criminel ou tout autre pouvoir pour empêcher les provinces d'exercer leurs pouvoirs légitimes. Ainsi, si nous tentions, en vertu du droit criminel, de réglementer de façon exclusive l'utilisation des pesticides et d'empêcher les provinces et les municipalités d'exercer leurs pouvoirs en ce sens, la loi serait déclarée invalide, du moins à ce chapitre. En résumé, il y a des limites à ce qui peut être fait de façon légitime en vertu du droit criminel.
De plus, les tribunaux insistent pour dire que l'exercice des pouvoirs conférés par le droit criminel doit suivre une démarche reconnue en droit criminel. Je ne veux pas entrer dans des détails trop techniques à ce sujet, mais je pense qu'il est important que vous compreniez que si vous ne préconisez pas une démarche reconnue en droit criminel, vous entrez dans le domaine de la réglementation et ce domaine relève vraiment des provinces. Je vais vous expliquer comment vous pouvez préconiser une approche reconnue en droit criminel dans le cas du projet de loi C-53.
Il faut commencer par énoncer une interdiction de base. On interdit un certain champ d'activité qui porte entrave de façon évidente à un intérêt public donné, soit la santé, la sécurité ou l'environnement dans ce cas-ci. Le Code criminel contient évidemment toute une liste d'interdictions possibles s'appliquant à toute forme d'activité. Voilà ce que j'entends par une démarche reconnue en droit criminel: on commence par interdire une activité, puis on prescrit que toute transgression de cette interdiction constitue une infraction punissable par des sanctions.
Á (1130)
Les interdictions de base prévues dans le projet de loi C-53 visent la fabrication, l'importation, la vente ou l'utilisation de pesticides non homologués. C'est notre point de départ. Quiconque contrevient à cette interdiction est coupable d'infraction à la loi et est passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 500 000 $ et d'une peine d'emprisonnement maximale de trois ans. Qu'arriverait-il si c'était tout ce qu'il y avait dans la Loi sur les produits antiparasitaires? Pour commencer, nous aurions pu prendre ces dispositions, les mettre dans le Code criminel et en avoir fini avec elles, mais cela ne fonctionnerait pas parce que cette interdiction est trop vaste. Le fait qu'un produit n'est pas homologué ne signifie pas qu'il pose un risque, alors la simple interdiction d'utiliser des produits non homologués ne passe pas le test de la loi criminelle. C'est un bon point de départ, mais alors, nous devons limiter l'application de cette interdiction aux activités qui présentent réellement un risque important.
Nous le faisons de deux façons. Tout d'abord, comme nous en avons parlé lors d'une réunion antérieure, il y a une disposition pour exempter certains produits de l'interdiction. Par exemple, la définition d'un produit antiparasitaire est assez vaste pour englober les tapettes à mouche, les pièges à souris et toute autre chose qui constitue un mode efficace de lutte antiparasitaire, mais qui ne présente toutefois aucun risque pour le public. Il serait évidemment inutile d'essayer de condamner quelqu'un pour avoir utilisé une tapette à mouche, mais ce qui arrive, c'est qu'en vertu de cette disposition d'exemption, les mécanismes qui ne servent pas à épandre des substances antiparasitaires sont exemptés. Alors, nous soustrayons complètement un certain nombre de produits à l'interdiction; ils n'ont pas besoin d'être homologués. C'est une façon de limiter l'interdiction de base.
L'autre moyen, c'est d'assujettir les pesticides à une obligation d'homologation. Quiconque veut utiliser un pesticide qui doit être homologué doit présenter une demande et la justifier. Les produits qui passent le test d'acceptabilité sont exemptés de l'interdiction en étant homologués. Ceux qui ne passent pas le test d'acceptabilité restent interdits. Donc, de fait, l'interdiction de base, dont les conditions sont assez vastes, ne s'appliquent qu'aux produits qui ont été évalués et dont l'utilisation a été jugée inacceptable ou qui n'ont pas encore été présentés aux fins d'évaluation, et c'est une interdiction légitime prévue par la loi criminelle.
C'est ainsi que nous avons limité les produits, et nous avons maintenant satisfait à l'exigence que l'interdiction prévue par la loi criminelle ne touche que les sujets de grandes préoccupations pour la santé, la sécurité et l'environnement, ou les produits qui n'ont pas encore été évalués sur ces plans. Si l'utilisation de pesticides chimiques à des fins cosmétiques constituait une interdiction distincte dans le projet de loi, quel effet cela aurait-il sur la légitimité de l'approche de la loi criminelle?
Prenons le plus simple des exemples. Cela ne fonctionnerait en aucun cas, parce que la formulation est beaucoup trop vague pour être dans une loi, mais supposons qu'il y ait une disposition dans la loi selon laquelle personne ne peut utiliser un pesticide chimique à des fins cosmétiques. Selon cette loi, cela constituerait une infraction criminelle, et ce serait absolument interdit parce qu'aucun moyen ne serait prévu pour limiter la portée de la loi. La définition de tout pesticide actuellement homologué pour des fins cosmétiques quelconques devrait être modifiée ou supprimée pour éliminer ces utilisations, et personne ne serait autorisé à faire une demande d'homologation d'un pesticide chimique à usage cosmétique, parce que la ministre ne pourrait pas admettre cette demande.
Á (1135)
Nous aurions donc deux interdictions fondamentales prévues par la loi criminelle, l'une qui concerne l'usage cosmétique de pesticides chimiques, et l'autre qui vise tous les autres pesticides. L'interdiction générale prévoierait des dispositions d'évaluation des pesticides pour déterminer s'ils sont effectivement assujettis aux dispositions d'une loi criminelle, elle passerait le test, et pas l'autre. Il n'y aurait aucun moyen d'évaluer un pesticide pour déterminer si son usage cosmétique ne pose pas de risque. C'est vraiment à ce problème que voulait en venir la ministre. Cette interdiction devrait être indépendante, et si elle était contestée comme constituant une application inopportune de la loi criminelle, comme de l'ingérence dans l'autorité des provinces, l'État devrait être en mesure de convaincre un tribunal qu'il n'existe aucun pesticide chimique actuellement, ou qu'aucun ne pourrait être créé à l'avenir qui soit susceptible d'être utilisé sans risque à des fins cosmétiques. C'est là que ça aboutirait. La question qui se pose, c'est est-ce que l'État le pourrait? Ce n'est pas à moi de le déterminer, de toute évidence, mais c'est la question à laquelle il faudra pouvoir répondre.
L'autre argument qu'ont soulevé plusieurs témoins devant ce comité, c'est que le problème fondamental que pose le projet de loi, c'est qu'il n'applique pas ue approche de prudence relativement à la prise de décisions sur l'homologation des pesticides, et ainsi, puisqu'une telle approche n'est pas appliquée, il n'est pas possible de faire une évaluation adéquate en ce qui concerne l'utilisation des pesticides, particulièrement des pesticides chimiques, à des fins cosmétiques. Ce type d'allégation révèle une faute flagrante de lecture du projet de loi. Non seulement il applique une approche de prudence à la prise de décisions portant sur l'homologation, mais le principe qu'il applique prévoit un niveau beaucoup plus élevé de protection de la santé, de la sécurité et de l'environnement que, par exemple, s'il appliquait l'approche prévue par la déclaration de Rio. Permettez-moi d'expliquer pourquoi.
Pour satisfaire au contrôle d'acceptabilité, un pesticide doit passer le test opérationnel d'acceptabilité prévu par la loi actuelle et qui serait maintenu avec la nouvelle loi. La définition ad hoc des risques acceptables, aux fins de la loi, est qu'il doit y avoir certitude raisonnable qu'aucun préjudice pour la santé humaine ou l'environnement ne découlera de l'exposition aux pesticides ou de leur utilisation, en tenant compte des conditions proposées pour l'homologation. Autrement dit, avant que la ministre puisse homologuer un pesticide, elle doit être convaincue qu'il existe une certitude raisonnable que l'exposition au pesticide ou son utilisation ne peuvent nuire à la santé ou à l'environnement, en tenant compte des conditions en vigueur au moment de l'homologation.
Á (1140)
Supposons que nous appliquions, par exemple, l'approche de prudence de la déclaration de Rio, qui a fini par être caractérisée par beaucoup comme un principe, ce qui à mon avis est trompeur, parce que cela tend, alors, à lui attribuer une espèce d'universalité qui n'avait jamais été voulue. L'adoption de mesures de précaution en vertu de la déclaration de Rio part de la manifestation de signes probants d'un risque de préjudice grave ou irréversible. Ainsi, en vertu de cette approche de prudence, la ministre devrait rejeter une demande d'homologation d'un produit s'il y avait des signes probants de préjudice grave ou irréversible. Comparons cela à la norme qu'applique actuellement la ministre, qui est beaucoup plus rigoureuse et assure un degré de protection beaucoup plus élevé.
Donc, la loi a été mal comprise et mal lue pour ce qui est de déterminer si, en fait, elle applique une approche de prudence et, le cas échéant, laquelle. La clé de l'application d'une approche de prudence est qu'elle devrait être formulée en fonction des circonstances qu'elle vise. Toute tentative de prévoir une approche de prudence d'application universelle est contre-indiquée et, dans notre cas, ne pourrait assurer le niveau de protection que nous souhaitons réellement.
Si l'on compte, alors, qu'avant qu'un pesticide puisse être homologué la ministre doit être convaincue qu'il existe une certitude raisonnable qu'aucun préjudice n'en découlera pour la santé ou l'environnement, peut-on dire que cela ne constitue pas un test suffisant pour l'utilisation des pesticides chimiques à des fins cosmétiques? Dans quelle mesure peut-on prévoir un plus haut niveau ou une norme plus rigoureuse de protection? La seule façon de prévoir un plus haut niveau de protection serait de simplement interdire l'utilisation de tout pesticide. Ce serait une solution au problème, de carrément prévoir au Code criminel l'interdiction de l'utilisation de tous les pesticides, parce que si la norme appliquée actuellement ne suffit pas, le seul moyen de l'améliorer est une interdiction catégorique. Bien entendu, la loi criminelle ne le permettrait pas. Elle ne pourrait tout simplement pas soutenir l'interdiction pure et simple, parce qu'on ne peut pas dire que tous les pesticides, quelle que soit leur utilisation, ne peuvent être appliqués en toute sécurité.
Si nous n'interdisons pas l'utilisation de pesticides à des fins cosmétiques dans le projet de loi, qu'arrive-t-il de ces produits? Ce qui leur arrive, c'est ce qui arrive à tout autre pesticide. Ils sont soumis au contrôle d'acceptabilité. S'ils le passent, ils sont déclarés acceptables et ils sont homologués. S'ils ne le passent pas, la demande d'homologation est rejetée. Si, après l'homologation, il s'avère qu'ils ne sont pas acceptables ou pourraient ne pas l'être, ils sont soumis aux deux processus de post-homologation, la réévaluation ou l'examen spécial et s'ils échouent le test d'acceptabilité d'après ces analyses, ils sont retirés du marché.
Puisque j'en parle, peut-être devrais-je dire pourquoi j'ai jugé pertinent d'inclure la déclaration de Rio au sujet de l'approche de prudence dans une section du projet de loi. C'est parce que, dans le cas d'un pesticide homologué, lorsque les preuves sont faites que l'utilisation d'un produit peut causer un problème, qu'il peut exister un risque qui n'avait pas auparavant été détecté ou évalué, la ministre ne devrait pas avoir à attendre le résultat de l'examen spécial ou de la réévaluation avant de pouvoir mettre des mesures en oeuvre. Ce pourrait, en fait, être une situation où il y a raison de croire qu'il existe un risque de préjudice grave ou irréversible, une menace pour la santé et l'environnement, et c'est une circonstance pertinente à l'application de la déclaration de Rio. C'est le genre de circonstance pour lequel elle est prévue, et elle peut s'appliquer en attendant le résultat de l'examen spécial ou de la réévaluation. Autrement dit, avant de parvenir au point de certitude scientifique relativement au risque de préjudice ou à son absence, nous pouvons prendre des mesures provisoires pour éviter la possibilité que ce soit un produit dont l'utilisation n'est pas acceptable.
Á (1145)
Alors c'est pourquoi nous proposons l'application de la déclaration de Rio, comme mesure provisoire en attendant le résultat de la réévaluation de l'examen spécial. Une fois que cette réévaluation ou cet examen spécial est terminé, le même contrôle d'acceptabilité est appliqué qu'au moment de l'homologation du produit. S'il est déterminé, en conséquence de la réévaluation ou de l'examen spécial, que le produit n'est plus acceptable, il doit être éliminé, ou l'application qui a été déclarée inacceptable doit être supprimée. D'un autre côté si, en conséquence de l'examen spécial ou de la réévaluation, il est déterminé que le produit et son utilisation passent encore le test d'acceptabilité, bien entendu, il est confirmé. C'est une démarche qui est tout à fait conforme à l'application de la loi criminelle, et c'est pourquoi elle est intégrée à cette loi. Nous ne voulons pas être devoir composer, ces 10 prochaines années, avec des contestations de la validité des dispositions du projet de loi, alors que les ressources pourraient être utilisées, à meilleur escient, pour la réglementation des pesticides.
Nous avons donc été très prudents dans la formulation d'une loi fédérale fondée principalement sur le pouvoir de la loi criminelle, qui satisfait aux exigences juridiques relativement au recours au pouvoir de la loi criminelle et prévoit un niveau de protection proche d'une interdiction pure et simple de l'utilisation de tous les pesticides. Ceci, à mon humble avis, est tout ce que nous pouvons légitimement faire.
J'aimerais soulever une dernière question. C'est presque secondaire, mais néanmoins important. Dans la présentation de ce matin, et dans celle de plusieurs autres témoins, le Parlement fédéral et la ministre étaient vivement encouragés à prendre le leadership à ce sujet. Quelqu'un a aussi dit qu'après tout, la Loi sur le ministère de la Santé charge le ministre de la Santé la responsabilité de protéger la santé dans le pays. Ce sont des déclarations qui ne peuvent nettement pas être faites sans quelque réserve.
Le leadership peut être assumé au moyen de la loi seulement s'il y a autorité législative pour commencer. Donc, le fait que la ministre puisse être intéressée à prendre le leadership ne signifie pas que nous soyons habilités à foncer dans le tas et à assumer n'importe quel genre de leadership jugé pertinent. S'il faut des lois, elles doivent être dûment autorisées. Il y a toute une gamme de sujets, extérieurs à la loi, au sujet desquels un ministre peut faire preuve de leadership et où la question juridique n'intervient pas. Vous savez peut-être, par exemple, que l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire est très activement engagée dans ce qui est appelé une stratégie de pelouse en santé, appliquée en collaboration avec les provinces et les groupes d'intérêt. Cette stratégie n'est pas soutenue par des textes de loi, et elle ne soulève aucune question d'ordre juridique. C'est un démarche concertée.
Pour ce qui est de l'autre idée fausse, la Loi sur le ministre de la Santé n'accorde au ministre aucun pouvoir que le Parlement du Canada ne pourrait attribuer. Le Parlement du Canada ne peut contourner les restrictions constitutionnelles en prétendant donner au ministre de la Santé, en vertu de la Loi sur le ministère de la Santé, des pouvoirs que le Parlement lui-même n'a pas. Ainsi, lorsque la Loi sur le ministère de la Santé dit que le ministre de la Santé est le premier responsable de l'administration de la loi et des programmes qui se rapportent à la protection de la santé, c'est tout à fait vrai, mais la loi et les programmes doivent se confiner aux limites pertinentes de l'autorité fédérale.
L'autre question, bien entendu, c'est est-ce que c'est vraiment une question de responsabilité ou de pouvoir? Il n'y a pas de responsabilité, en fait, visant la protection de la santé—je parle du point de vue juridique, pour l'instant. La loi constitutionnelle n'impose à aucun gouvernement la responsabilité, en tant que telle, de protéger la santé. Elle en donne le pouvoir, et si ce pouvoir est assumé, ce doit être fait de façon appropriée, mais on ne peut dire exactement que le ministre de la Santé doit protéger la santé des Canadiens. Elle n'a ni la responsabilité, ni le pouvoir de faire quoi que ce soit de particulier, et certainement pas le pouvoir de prendre en charge toutes les utilisations de pesticides au pays.
Á (1150)
J'ai probablement fourni plus de détails qu'il n'en fallait, mais ce faisant, j'espère avoir répondu aux préoccupationsexprimées par Mme Ring dans son exposé. Soit dit en passant, mon intention n'est pas de la critiquer car je crois savoir qu'elle est venue comparaître à bref préavis et qu'elle apportait une perspective particulière sur le plan de la santé. Elle n'a donc vraisemblablement pas eu le temps d'analyser le projet de loi. Je tiens simplement à souligner qu'à première vue, son exposé ne soulève pas de questions sérieuses au sujet des propos du ministre devant vous ou des lacunes du projet de loi à l'étude. Je n'ai pas non plus l'intention de critiquer les autres témoins qui ont comparu ou de mettre en doute leur sincérité. Je pense qu'ils sont tous très sincères, mais le dévouement et la sincérité ne confèrent pas nécessairement un fondement suffisant pour évaluer l'utilisation de la loi,et c'est vraiment là mon seul argument. Le pouvoir dont nous disposons est limité et, à mon avis, nous l'avons utilisé de notre mieux pour atteindre l'objectif visé.
La présidente: Merci.
Y a-t-il des députés qui ont des questions au sujet des arguments qui viennent d'être avancés?
Dr Castonguay.
[Français]
M. Jeannot Castonguay (Madawaska--Restigouche, Lib.): Madame la présidente, je reviens au fameux principe de prudence. J'essaie d'en comprendre l'idée. Vous me dites que si on fait la réévaluation d'un produit parce qu'on a des motifs raisonnables de croire qu'il risque de causer des dommages sérieux ou irréversibles, tel qu' il est énoncé dans la Déclaration de Rio, on applique le principe de prudence. Mais vous dites aussi qu'au départ, on ne peut pas appliquer ce dernier parce qu'il faut d'abord faire une évaluation du produit pour déterminer s'il comporte ou non un risque pour la santé. J'essaie de comprendre.
[Traduction]
M. Basil Stapleton: Pour bien comprendre la problématique, je dois vous référer aux scientifiques car ce sont les modalités d'évaluation du risque qui expliquent comment on en arrive à une décision. On ne se fonde pas uniquement sur la présence d'une menace grave ou la possibilité d'un préjudice irréversible. Il n'est pas nécessaire de se fonder là-dessus pour décider de ne pas enregistrer un produit. Si les fonctionnaires avaient l'obligeance d'expliquer comment on procède à l'évaluation du risque, en faisant état de la définition opérationnelle, je pense que vous comprendriez beaucoup mieux.
Á (1155)
Mme Claire Franklin (directrice exécutive, Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, ministère de la Santé): Je vais ajouter quelques observations. Les préoccupations exprimées semblent découler en partie du recours au principe de précaution. Je ne suis pas certaine que tous les intervenants y ont recours ou envisagent d'y avoir recours en fonction de la définition qu'on en donne, mais et c'est vraiment davantage une notion théorique. En cas d'incertitude, ne devrait-on pas appliquer un principe ou une approche de précaution? Comme Basil l'a indiqué, les deux termes sont interchangeables. Je ne pense pas que cela ait nécessaire été voulu au départ, mais en fait, on les utilise dans le même sens.
Dans le cas d'un produit qui est sur le marché, il y aura peut-être certaines informations laissant entrevoir un problème potentiel. Le principe de précaution donne au ministre un autre outil pour régler le problème rapidement de sorte que si l'on veut intervenir, on peut le faire en invoquant le principe de précaution tout en allant davantage d'informations en vue de déterminer clairement s'il y a effectivement un problème.
Lorsque l'on parle d'une décision concernant un nouveau produit, un produit qui n'est pas encore sur le marché, il n'y a pas d'information, les gens n'y sont pas exposés, l'environnement non plus et nous n'avalisons pas l'enregistrement s'il y a quelque incertitude que ce soit. Nous devons disposer de toute l'information disponible et il incombe au demandeur d'homologation de nous la fournir avant que nous prenions une décision concernant l'enregistrement du produit.
En outre, comme l'a également fait remarquer Basil, il s'agit là de l'approche de précaution ultime. Si nous avons quelque question ou quelque raison que ce soit de croire que nous devons réunir davantage d'information pour avoir une certitude raisonnable qu'un produit ne causera aucun préjudice, nous ne l''enregistrerons tout simplement pas. Nous n'avons pas besoin d'un autre instrument pour nous dire quoi faire advenant qu'il y ait des gens exposés au produit ou qu'il y ait un problème. Voilà pourquoi nous avons tenté de bien faire comprendre que l'approche ou le principe de précaution concernant un produit en vente sur le marché nous fournit un levier supplémentaire qui nous permet d'intervenir rapidement mais s'il s'agit d'un nouveau produit de marque, nous ne le mettons tout simplement pas sur le marché. Voilà pourquoi il est inopportun d'utiliser un principe de précaution pour définir notre intervention concernant un nouveau produit qui n'est pas encore sur le marché.
Cela vous aide-t-il?
Mr. Jeannot Castonguay: Oui. C'est très complexe, mais je m'efforce de comprendre car je devrai décider quelle sera ma position dans ce dossier. Puisque le produit n'est pas sur le marché, ce principe de s'applique pas étant donné que nous devons faire la preuve qu'il existe un risque. La déclaration de Rio fait état de la possibilité de préjudice grave ou irréversible, mais pour en avoir la preuve, nous devons le mettre sur le marché. Ai-je raison de voir les choses de cette façon?
Mme Claire Franklin: Si un produit est enregistré, comment réagit-on si l'on entrevoit qu'il posera un problème?
 (1200)
M. Jeannot Castonguay: Je comprends cette partie.
Mme Claire Franklin: D'accord. Supposons que le produit est enregistré depuis plusieurs années, qu'il est en vente, mais que pour une raison quelconque, des renseignements supplémentaires font surface. C'est possible. À ce moment-là, nous voulons être en mesure de réagir rapidement. Cela nous permet de le faire dans le cas de pesticides ou de produits chimiques déjà enregistrés en vertu d'autres mesures législatives.
L'une des grandes différences concernant les pesticides, comparativement à d'autres produits chimiques qui sont réglementés en vertu d'autres mesures législatives environnementales, c'est que nous n'en permettons pas l'utilisation tant qu'on nous n'avons pas recueilli une somme de données considérables qui nous permet de dire s'ils risquent de causer le cancer, des anomalies congénitales, des effets sur la reproduction, etc. Les produits chimiques qui tombent sous le coup de la LCPE ne sont pas assujettis à un fardeau de la preuve aussi lourd avant qu'on en autorise l'usage. Il y a donc une différence marquée dans la façon dont divers produits chimiques sont réglementés et dans le cas des pesticides, nous devons être en mesure de répondre à de nombreuses questions d'ordre scientifique avant d'autoriser la vente d'un produit dans le commerce.
Cela va bien au-delà de la possibilité qu'il y ait un problème sérieux ou irréversible. Le problème ne doit pas nécessairement être sérieux ou irréversible. Il se peut que ce soit simplement un effet que nous jugeons inopportun. Avant d'avaliser un enregistrement, nous voulons pouvoir dire qu'il existe une preuve raisonnable qu'aucun préjudice ne sera causé par l'utilisation du produit. Il s'agit donc là d'une exigence plus rigoureuse.
[Français]
M. Jeannot Castonguay: Est-ce que je dois comprendre par cela que, si ce principe se trouvait dans le préambule et qu'il s'appliquait, et que je voulais enregistrer un produit, je pourrais vous dire que vous ne m'avez pas démontré que ce dernier comporte un risque sérieux de dommage irréversible et que vous devriez, par conséquent, approuver mon produit? Est-ce que je pourrais aller jusqu'à ce point? Est-ce que c'est ce que je dois comprendre?
[Traduction]
Mme Claire Franklin: C'est une possibilité.
M. Basil Stapleton: Il se peut fort bien qu'on en vienne là. L'objectif d'une approche de précaution est de déterminer à quel moment et dans quelles circonstances il convient de prendre des mesures de précaution. Lorsqu'un fabricant présente une demande de l'homologation d'un produit, elle sera acceptée ou rejetée. La décision de ne pas accorder l'enregistrement est la mesure de précaution qui sera prise. La question est de savoir si nous devrions appuyer une décision qui se sert de ce critère comme mesure de précaution? Devrait-on la prendre uniquement lorsqu'il existe une preuve d'une menace ou d'un tort sérieux ou irréversible, comme le veut la déclaration de Rio, ou simplement lorsqu'il y a une possibilité de préjudice, comme c'est le cas en vertu de l'ALPA? Que préférez-vous? Quel déclencheur d'une mesure de précaution est préférable? À notre avis, c'est la mesure inhérente. Il ne devrait pas être nécessaire d'aller chercher la preuve d'une menace d'un préjudice sérieux ou irréversible avant de pouvoir refuser une demande d'homologation. Nous devrions pouvoir rejeter toute demande à laquelle est associée la possibilité de préjudice.
Vous avez donc raison. Si, par exemple, nous devions reprendre dans le préambule la déclaration de Rio et la rendre applicable à toutes les décisions relevant de la loi, nous abaisserions considérablement le niveau de protection en disant au ministre qu'il devrait uniquement rejeter une demande d'homologation lorsque nous avons la preuve que le produit peut causer un préjudice sérieux ou irréversible.
La présidente: Merci. Merci à vous aussi, monsieur Castonguay.
Monsieur Bigras.
[Français]
M. Bernard Bigras (Rosemont--Petite-Patrie, BQ): Merci, madame la présidente.
Je reviens à la question du secrétaire parlementaire pour m'assurer que je la comprends bien.
Dans les cas où il existe une incertitude à l'égard d'un produit, quel qu'il soit, est-ce que le principe de prudence est obligatoire? Vous nous avez dit qu'il pouvait s'appliquer. Or, si je comprends bien, l'application du principe de prudence, dans la mesure où il y a une incertitude, n'est pas obligatoire. Donc, je voudrais, d'une part, connaître votre interprétation de l'application du principe de prudence.
D'autre part, vous nous indiquez que, dans les cas où il y a incertitude, le principe de prudence s'applique et qu'une forme d'interdiction est imposée en attendant d'obtenir, et j'utilise ici vos propres termes, certaines certitudes scientifiques raisonnables. J'aimerais savoir quelles sont ces certitudes scientifiques raisonnables auxquelles vous attendez et si ces dernières garantissent qu'il n'existe aucun risque pour la santé.
C'est une question à deux volets.
[Traduction]
M. Basil Stapleton: En ce qui a trait à la première partie de la question, il est obligatoire de rejeter une demande d'homologation si le produit est jugé inacceptable d'après la norme, et cela vaut au moment de l'homologation originale du produit et à la suite d'une réévaluation ou d'un examen spécial. Le ministre n'a aucune discrétion à la matière. Si le produit est jugé inacceptable, l'homologation doit être refusée ou annulée. C'est incontournable.
Quant à la déclaration de Rio,elle est beaucoup plus fluide; l'absence de certitude scientifique ne saurait être invoquée comme motif pour prendre des mesures de précaution. Ce n'est ni une obligation ni un fondement approprié en ce sens que l'on prend en considération le fait que les mesures sont rentables ou non, ce qui, encore une fois, ne saurait être un facteur dans la décision concernant l'enregistrement ou dans la décision finale.
La deuxième partie de la question est d'ordre plus scientifique que juridique, puisqu'elle porte sur les facteurs permettant d'acquérir une certitude raisonnable qu'il n'y a pas de risque de préjudice.
 (1205)
Mme Claire Franklin: Je pense qu'on a envisagé de recourir au principe de précaution dès le départ dans les domaines nouveaux, là où il n'est pas facile de répondre à des questions très spécifiques. Au lieu d'affirmer qu'on ne saurait intervenir tant qu'on n'a pas de preuve définitive, il est possible d'agir avant. Je ne pense pas que cela soit un paramètre ultime. À mon avis, la question de savoir s'il y a suffisamment de motifs pour intervenir relève d'un jugement scientifique. Nous avons voulu qu'il en soit ainsi, et c'est la raison pour laquelle lorsque ce principe a été énoncé au départ, nous avons veillé à ce qu'il ne soit pas invoqué pour des raisons frivoles. Le jugement scientifique intervient lorsqu'il s'agit de déterminer quand on y aura recours.
Nous le faisons dans le domaine des pesticides car les produits sont enregistrés et nous avons le pouvoir de révoquer une homologation. Cette capacité d'intervention est plus rapide, plus solide et plus fiable que le fait de se fier à un principe peut-être plus vaste. Si de nouveaux renseignements font surface, des renseignements d'ordre scientifique, cela nous permet de ne pas attendre d'avoir tous les détails spécifiques avant d'agir.
[Français]
M. Bernard Bigras: J'aimerais poser une question. Dans quelle mesure prenez-vous en considération les études sur les troubles d'apprentissage des enfants lorsque vous faites la réévaluation et l'homologation de certains produits? Est-ce que vous en tenez compte à chaque fois?
[Traduction]
Mme Claire Franklin: Chose certaine, si des études renferment ce genre de renseignements, nous y aurons recours. Je vous signale également que les sciences du comportement font partie de la batterie de tests qui sont effectués lorsqu'une décision s'impose. Nous disposons donc de renseignements concernant l'incidence directe d'un produit sur le système nerveux. De plus, certains tests de comportement peuvent nous donner une idée des incidences possibles. Toute cette information serait prise en considération après le fait également, dans le contexte d'une réévaluation.
[Français]
M. Bernard Bigras: Plusieurs groupes sont venus nous voir en nous disant que les études portant sur les troubles d'apprentissage associés à l'utilisation de certains produits étaient dans bien des cas les meilleures études du risque disponibles. Donc, est-ce qu'au cours de tous les processus de réévaluation et d'homologation de produits, ces études-là sont prises en considération à titre d'études comportant la meilleure évaluation du risque pour les enfants, entre autres, mais aussi pour la population en général?
[Traduction]
Mme Claire Franklin: Ces renseignements seraient inclus dans l'évaluation. Mais tant les études épidémiologiques que les autres études sur les populations humaines présentent un défi, soit d'être capables de distinguer les répercussions d'un produit chimique en particulier de celles d'autres faits ou facteurs de conclusion. Les réponses ne sont pas nécessairement aussi claires et évidentes qu'on le souhaiterait, mais elles seraient certainement prises en compte. En fait, les facteurs de sécurité supplémentaires pris en considération le sont surtout en raison des répercussions possibles sur le développement du système nerveux. Ce n'est pas un domaine où nous avons toutes les réponses scientifiques. On laisse une grande marge pour faire place à l'information qui est en train d'être recueillie.
 (1210)
La présidente: Merci, monsieur Bigras.
Monsieur Lunney.
M. James Lunney (Nanaimo--Alberni, Alliance canadienne): Merci, madame la présidente.
Pour en revenir aux explications qu'a données tout à l'heure M. Stapleton au sujet de la perspective du droit pénal, il me semble que vous laissez entendre qu'en matière de droit pénal, c'est tout ou rien, qu'on ne peut être sélectif et définir ou limiter l'usage à des fins esthétiques. C'est tout ou rien: l'interdiction totale ou laxisme total. Si j'ai bien compris, si l'on veut adopter une approche fondée sur le droit pénal pour assurer cette gestion, comme dans le contexte d'un régime fédéral, il ne peut y avoir ni sélection ni restrictions?
M. Basil Stapleton: Le droit criminel peut servir à interdire ou à empêcher certaines utilisations et à en autoriser d'autres. Il faut évaluer le bien-fondé de chaque utilisation, même si c'est le même produit. Je répète que les scientifiques pourraient vous expliquer beaucoup mieux que moi comment les risques varient en fonction de l'utilisation qui est faite du produit. Il n'est donc pas contraire à l'exercice du pouvoir en matière criminelle que d'approuver un produit pour certaines utilisations, mais pas pour d'autres. L'approbation se fonde sur l'évaluation des risques, plutôt que sur la frivolité de l'utilisation. Voici donc notre position: vous ne pouvez pas exercer le pouvoir en matière criminelle en vue de criminaliser le comportement frivole, mais vous pouvez certes l'exercer pour criminaliser un comportement à risque, si vous saisissez bien la différence.
M. James Lunney: Je vous sais gré de cette précision, parce que l'explication a été plutôt longue, et j'aurais pu mal comprendre. Donc, c'est acceptable à condition que le pouvoir soit exercé en fonction d'une évaluation de risque plutôt que d'un autre facteur.
Madame Franklin, nous avons parlé des exigences strictes à respecter avant qu'un produit puisse faire son entrée sur le marché, et je crois que l'entreprise est censée fournir les données qui serviront à évaluer le risque. De grandes préoccupations ont été exprimées au sujet de la volatilité de nombre de ces produits, c'est-à-dire qu'ils peuvent s'évaporer et refaire surface à des centaines de milles d'où ils ont été épandus. Ce genre de préoccupation va bien au-delà de la capacité d'évaluer d'une entreprise, n'est-ce pas?
Mme Claire Franklin: Il existe des moyens de prévoir cette volatilité et c'est pourquoi, en vertu de la PGST, on examine beaucoup de paramètres ultimes. On peut étudier les propriétés physiques et chimiques afin de prévoir si le produit chimique peut se déplacer ou pas. Il s'agit habituellement de produits qui sont liposolubles. Ils ont tendance à s'accumuler dans les organismes vivants, à se volatiliser. Il y a dix ou quinze années, il était devenu évident que les produits chimiques peuvent demeurer dans le milieu, qu'ils peuvent se volatiliser, qu'ils peuvent se déplacer. Quand ils passent au-dessus d'une surface fraîche, comme une nappe d'eau, ils se précipitent. On utilise une expression très éloquente pour décrire ce phénomène: l'effet «sauterelle». Il y a 40 ans à peu près, on n'en admettait pas la possibilité, mais nous avons observé au fil des ans l'imposition de restrictions sur les produits qui ont les propriétés physiques et chimiques associées à celles que nous savons pouvoir se déplacer ainsi. Donc, une entreprise peut fournir ce genre d'information qui nous permettrait de décider si le produit chimique a ce potentiel.
 (1215)
M. James Lunney: Il existe donc actuellement des restrictions à l'égard de pareils produits?
Mme Claire Franklin: Évidemment.
M. James Lunney: Parce que l'accumulation de ces produits dans la chaîne alimentaire est source de grandes préoccupations.
Mme Claire Franklin: C'est juste. On n'a pas homologué de produits organochlorés et, que je sache, on n'a pas soumis ailleurs dans le monde de nouveaux produits organochlorés pour homologation. Ce sont des facteurs dont sont conscients les gouvernements, et c'est pourquoi on s'éloigne de ce genre de produits.
M. James Lunney: Y a-t-il encore au Canada de pareils produits qui sont utilisés en toute légalité?
Mme Claire Franklin: Certains, par exemple le DDT, continuent d'être utilisés ailleurs. Ils ne sont pas utilisés au Canada depuis de nombreuses années et n'ont pas été homologués ici. On a été témoin de pas mal d'activité au Mexique où l'on tente de réduire la quantité de DDT utilisée. Le produit sert là-bas à lutter contre la malaria, et les Mexicains ont très bien réussi à utiliser moins de DDT tout en réalisant une importante baisse du nombre de cas de malaria. Un pays comme le Canada utilise d'autres moyens pour aider et influencer les pays qui utilisent encore des produits qui pourraient remonter vers le Nord à en réduire l'utilisation et à la freiner.
M. James Lunney: Si j'ai bien compris, l'utilisation de produits de répression des moustiques, de malathion par exemple, suscite des préoccupations. L'utilise-t-on encore au Canada?
Mme Claire Franklin: Le malathion est homologué comme produit de répression des moustiques dans de nombreux pays. Il a récemment fait l'objet d'une réévaluation qui a permis de conclure qu'il s'agit d'une utilisation raisonnable. L'essentiel, je suppose, quel que soit le produit, est la façon dont on l'utilise et où on l'utilise. Je suppose que l'utilisation de ces produits au-dessus de régions urbaines donnerait lieu à certaines préoccupations.
M. James Lunney: Vous pouvez peut-être m'éclaircir un point. Est-ce le malathion qui a été mis en cause dans la capacité de reproduction des amphibiens?
Mme Claire Franklin: Plusieurs études ont porté récemment sur un certain nombre de produits différents. Je ne pourrais pas vous dire de mémoire s'il faisait partie des produits étudiés. La reproduction des amphibiens est bien entendu une question assez difficile, et il existe de nombreuses causes éventuelles du problème. Les scientifiques étudient certes plusieurs facteurs différents, comme les rayons ultraviolets, les virus, les infections et les produits chimiques. Je n'ai pas entendu dire qu'on avait bien cerné la véritable raison du phénomène dans toutes les régions du monde, mais il semble que le nombre d'amphibiens soit à la baisse.
M. James Lunney: Il est donc juste de dire que la plupart des produits utilisés comme pesticides au Canada actuellement ne sont pas des polluants organiques persistants.
Mme Claire Franklin: C'est juste.
La présidente: Monsieur Lunney, je vous remercie.
Comme il n'y a plus de questions, au nom du comité, j'aimerais remercier vivement nos témoins. Je crois parler au nom de tous si je vous dis que vous avez réglé un problème plutôt important que nous posait le dernier témoignage entendu avant la pause. Il se peut que nous ayons à nouveau besoin de votre présence pour répondre à des questions avant la fin de nos travaux, mais nous vous sommes reconnaissants de l'aide que vous nous avez donnée jusqu'ici. Je vous remercie beaucoup.
Je vais maintenant m'adresser aux membres du comité. Comme je l'ai dit au début de la séance, nous n'allons pas faire l'étude article par article aujourd'hui parce que, semble-t-il, plusieurs modifications n'ont pas encore été traduites et que quelques-uns des membres n'ont pas encore soumis les leurs. La toute dernière échéance est la fin de la journée d'aujourd'hui. Il faut soumettre un libellé. Vous ne pouvez pas tout simplement les rédiger par vous-même. Il faut qu'ils aient été transmis aux rédacteurs, qu'ils vous soient revenus, puis que vous les ayez envoyés au greffier avant la fin de la journée d'aujourd'hui, soit avant 17 heures.
Je ne comprends pas tout à fait comment nous pouvons amorcer l'étude article par article demain si nous recevons encore des amendements finals ce soir. Auront-ils déjà été traduits?
 (1220)
Mme Susan Baldwin (greffière législative): Il faudra nous laisser un peu de temps pour préparer une liasse complète à l'intention des membres du comité, particulièrement en ce qui concerne les modalités du vote. Nous arriverions probablement à le faire, mais comme je ne suis pas sûre du nombre d'amendements qui nous seront soumis, il est difficile de dire avec certitude que nous aurons la documentation pour vous d'ici à 15 h 30 demain. Je crois que c'est possible, mais je crois aussi savoir qu'il reste un nombre important d'amendements qui n'ont pas encore été soumis.
La présidente: Je suis effectivement fort étonnée, et j'ignore si vous l'êtes aussi, de voir que nous avons reçu 200 amendements environ alors que les questions posées aux témoins ne laissaient pas croire que le projet de loi donnait lieu à autant de préoccupations. Toutefois, si les amendements nous sont soumis et qu'ils sont légitimes, nous les traiterons un à la fois.
Je crois que le commis législatif fait allusion au fait qu'on va essayer de regrouper les amendements ayant des affinités. Un amendement de fond pourrait en effet entraîner des changements plus loin, de sorte que nous étudierions probablement tous ces changements ensemble. Si l'amendement de fond est rejeté, cela éliminera les six ou sept autres qui en découlent.
Mme Susan Baldwin: Les modifications corrélatives, effectivement, et il est impossible de savoir si une modification est corrélative tant qu'on n'a pas examiné la totalité des amendements. Je ne peux pas simplement prendre les 20 premiers changements proposés au projet de loi et vous donner l'assurance que les modalités du vote à leur sujet sont bien comprises.
La présidente: Susan est en train de dire qu'il est probablement possible d'avoir de la documentation demain, mais je préférerais ne pas entamer l'étude jusqu'à ce que vous vous sentiez confiante que tout est organisé de manière logique. Je crois que vous devriez tous envisager la possibilité qu'à la dernière minute, demain, j'aie à annuler la réunion, si nous ne sommes pas prêts. Le personnel qui est ici devra se tenir prêt à en aviser les membres, c'est-à-dire qu'il devrait surveiller l'arrivée des courriels vers 15 h 05 demain. Nous continuerons d'espérer que nous pourrons faire l'étude article par article demain, mais il est toujours possible que la documentation ne soit pas prête, en raison du grand nombre de modifications. Notre propre greffier nous dit qu'il y en aura en tout 200 environ. Nous tenons à éviter d'avoir à reprendre l'étude du projet de loi article par article.
Je déclare donc la séance levée. Avec un peu de chance, nous nous reverrons demain.