HEAL Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
STANDING COMMITTEE ON HEALTH
COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 7 novembre 2001
La présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)): Bon après-midi, mesdames et messieurs.
J'ai le plaisir de déclarer la séance ouverte et de vous présenter nos trois témoins, la Dre Scorsone, de la Commission royale d'enquête sur les techniques de reproduction; Mme Jocelyn Downie, professeure adjointe à l'Institut du droit de la santé de l'université Dalhousie; et Bartha Maria Knoppers, professeure adjointe à la Faculté de droit de l'Université de Montréal.
Je vous souhaite la bienvenue au comité, mesdames. Je pense que nous allons commencer par Suzanne Scorsone.
Dre Suzanne Scorsone (Commission royale d'enquête sur les techniques de reproduction et de génétique (1989-1993)): En guise d'introduction, je voudrais vous dire à quel point je suis contente que vous en soyez une fois de plus arrivée au stade de cette discussion. Je pense que tout le monde a bien hâte que ce projet de loi soit présenté et qu'il soit adopté. Je n'ai pas besoin de vous rappeler le véritable deuil qui a été ressenti quand le projet de loi C-47 a été laissé en plan au moment du déclenchement des élections. Bien sûr, il y a eu depuis lors un projet de loi d'initiative parlementaire qui était très constructif, mais il semble maintenant que l'on s'apprête vraiment à légiférer. J'en suis très heureuse.
Je voudrais d'abord dire qu'à mon avis, la plupart des gens qui participent à ce débat sont des gens très consciencieux qui apportent au débat différents points de vue, différentes expériences, différentes compétences, des gens qui proviennent de milieux différents dans la population. Il y a bien sûr certains exploitants sans scrupule, et il faut se protéger contre eux, mais je pense que la plupart des gens sont de bonne foi, même s'ils ont des opinions divergentes. Je tiens donc à ce que vous sachiez que si je peux sembler critique envers certains points de vue, je ne doute nullement de la bonté d'âme de quiconque.
Il y a beaucoup d'aspects de la proposition dont je me félicite chaleureusement. Pour en nommer immédiatement quelques-uns, le souci du consentement, de la confidentialité et du respect de la vie privée, tout cela est essentiel à la dignité des personnes qui font appel aux techniques de reproduction assistée ou qui doivent leur naissance à ces techniques.
Il est excellent que l'on ait interdit le clonage humain et les manipulations génétiques susceptibles d'être transmises aux descendants d'une personne, bien que les propositions à cet égard pourraient être retouchées si le projet de loi est présenté en première lecture. Des termes comme le clonage ne sont pas définis précisément, et les différences entre le clonage de cellules somatiques et de cellules embryonnaires ont une grande importance sur le plan éthique et pratique. La déshumanisation, le risque immense pour les personnes en cause et, dans le cas du clonage, les malformations et les décès observés chez les animaux, tout cela rend ces interdictions tout à fait raisonnables, appropriées et morales.
Je suis très contente de voir que l'on a prévu des dispositions pour permettre aux personnes nées à la suite d'un don de gamètes d'exercer leur droit de connaître l'identité et le dossier de santé de leur géniteur, s'ils en expriment le souhait. C'est tout à fait parallèle aux droits des personnes adoptées. En fait, l'aptitude de la société d'accueillir ce droit dans tous les cas est encore plus claire dans le cas des dons de gamètes, puisque l'adoption est souvent l'aboutissement d'une situation préexistante difficile ou tragique, tandis que les donneurs et les receveurs de gamètes prennent une décision délibérée de se mettre dans cette situation. Je pense donc qu'il faudrait exiger ce consentement avant que le don soit accepté.
Cette série de propositions aborde aussi certaines questions comme les cellules souches et le clonage dont les experts discutaient au moment des travaux de la commission mais qui sont maintenant devenus des sujets de conversations courantes parmi le grand public. Je pense toutefois qu'il est important, tout en se penchant très sérieusement sur ces questions-là, de ne pas perdre de vue tous les autres dossiers dans le domaine des techniques de reproduction assistée que l'on a eu tendance à oublier quand toute l'attention a convergé vers une seule série de problèmes, parce que la grande majorité des actes médicaux dans les cliniques de traitement de la stérilité font intervenir en fait d'autres techniques comme la stimulation de l'ovulation, la fécondation in vitro, le transfert tubaire des gamètes, et diverses autres techniques et traitements de l'infertilité. Nous ne devons pas perdre de vue la nécessité d'assurer la surveillance et la qualité des soins dans ce domaine.
• 1540
Par ailleurs, je constate que dans les propositions, on s'en
remet beaucoup aux règlements pour déterminer certains éléments.
Les dispositions sur les cellules souches, par exemple, se trouvent
dans la loi elle-même, mais pour bien d'autres choses, on s'en
remet aux dispositions sur la délivrance d'autorisations, où l'on
fait mention des règlements, et l'on ne précise pas non plus
clairement dans la loi qui sera chargé de délivrer ces
autorisations. On peut supposer que ce serait l'organisme de
réglementation qui a alimenté les discussions, ou bien ce pourrait
être le ministère de la Santé lui-même, mais on ne sait pas encore
clairement quelle sera cette entité. Par conséquent, bien des
questions resteront en suspens après l'adoption de cette mesure
législative.
En outre, il y a un problème d'échéance. Nous travaillons à ce dossier depuis longtemps. La commission royale a été créée il y a 12 ans. On avait certainement commencé à en discuter même avant cela. Si cette mesure était adoptée demain, il faudrait encore mettre sur pied ce régime de réglementation, quel qu'il soit, et ensuite les autorités responsables devraient encore décider de la nature des règlements. Il s'écoulera donc encore beaucoup de temps avant que cela débouche sur quelque chose de concret. Je vous exhorte donc à saisir toute l'importance d'agir vite, avant le déclenchement des prochaines élections, qui retarderait encore le tout de cinq ans, la durée d'un autre mandat.
Je vais maintenant entrer dans les détails. Non pas que je veuille commenter l'ébauche de projet de loi ligne par ligne, mais je vais m'attarder à quelques faits saillants. Par ailleurs, vous trouverez dans le texte que je vous ai remis une analyse beaucoup plus détaillée des points que je vais soulever maintenant, parce que le temps me manque.
Comme je l'ai dit, je suis très contente que l'on interdise le clonage humain. Le texte de la proposition soulève une certaine difficulté d'ordre terminologique, puisque bien des gens, y compris des professionnels, utilisent le mot clonage dans des sens parfois très différents ou imprécis. On utilise parfois ce mot pour la brebis Dolly, pour décrire la segmentation d'embryons pour créer deux ou plusieurs embryons, ou encore pour évoquer simplement la culture de cellules somatiques, de cellules du foie ou autres, et l'on emploie le mot clonage pour toutes ces réalités. C'est ainsi que l'on ne sait plus très bien de quoi on parle, de sorte que l'inacceptable peut apparaître acceptable, et vice versa. Il n'y a pourtant aucune définition du mot clonage dans le projet de loi, et une définition pourrait vous aider à préciser exactement ce que vous visez.
La disposition interdisant la création d'un embryon in vitro aux seules fins de la recherche est une mesure extraordinairement positive. Je voudrais que vous ajoutiez «ou pour toute fin autre que la reproduction», ou encore «pour toute fin autre que la création d'un être humain», ou quelque chose du genre. D'abord, cela peut paraître futile, mais ça ne l'est pas vraiment en cette époque où l'on voit les propositions les plus bizarres, quelqu'un pourrait décider de prendre des embryons pour faire une sorte de crème contre le vieillissement et prétendre que ce n'est pas de la recherche et que c'est donc légal. Sur une note plus sérieuse, j'ai entendu parler de compagnies pharmaceutiques qui voudraient utiliser des embryons pour tester des produits pharmaceutiques qui n'ont pas donné de bons résultats dans les essais sur des animaux. Si c'est vrai, cela revient à utiliser des embryons comme s'il s'agissait de produits chimiques industriels ou, dans le meilleur des cas, de souris de laboratoire, et c'est incompatible avec la dignité humaine à n'importe quelle étape du développement.
L'interdiction de la conservation d'un embryon après le 14e jour ne protège pas tous les embryons qui sont des êtres humains, mais le génome entier d'un individu humain. Vous et moi avons déjà été des embryons. Cela n'a aucun rapport avec la question de l'avortement. Quand un embryon n'est pas physiquement à l'intérieur du corps d'une femme, il n'y a aucun conflit possible entre cet embryon et la vie de quelqu'un d'autre. Bien des gens, où qu'ils se situent dans l'éventail des positions possibles sur le dossier de l'avortement, considèrent que l'embryon est une réalité humaine et soutiennent que de le détruire ou de l'utiliser comme matière première industrielle est déshumanisant, non seulement pour cet embryon, mais pour l'ensemble de la société humaine. Ce n'est pas non plus une question de religion, puisque bien des gens de diverses confessions et traditions religieuses ou même sans aucune religion sont d'accord sur la nécessité d'une telle interdiction dans la loi, même s'ils arrivent à cette conclusion à partir de raisonnements ou considérations très différents. Quoi qu'il en soit, c'est un principe fondamental en éthique que la fin ne justifie pas les moyens. Nous devons trouver des moyens éthiques d'atteindre même les fins les plus souhaitables. Par conséquent, cette disposition de la mesure proposée est mieux que l'actuel vide juridique en la matière, mais elle est profondément incomplète et il faut en étendre la portée de manière à y inclure tous les embryons humains.
Je suis très contente de constater que l'on veut interdire le prélèvement de gamètes après le décès d'un donneur, à moins que le donneur n'ait donné son consentement par écrit. Vous trouverez de plus amples explications là-dessus dans mon texte.
• 1545
J'en arrive maintenant aux cellules souches. Il y a eu une
discussion très intense dans la société canadienne sur la question
des cellules souches. J'ai dit tout à l'heure qu'il y a confusion
terminologique. Chacun veut des traitements efficaces pour ceux qui
souffrent de troubles graves comme la dystrophie musculaire ou la
maladie de Parkinson. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Nous
convenons tous que les cellules souches somatiques représentent un
domaine de recherche prometteur en vue de trouver un traitement.
Les fonds consacrés à la recherche sont limités. Il apparaît donc
qu'il serait raisonnable que vous, en tant que législateurs,
fassiez tout en votre possible pour que la recherche cible un
élément sur lequel nous sommes tous d'accord. Comme nous sommes en
démocratie et que les divergences de vues sont inévitables sur des
questions comme la réalité intrinsèque des embryons humains, il
demeure possible de s'entendre sur un programme réalisable pour
faire le bien que toutes les parties réclament sans susciter de
division.
Il y a en outre de graves risques associés à l'utilisation de cellules souches embryonnaires, dont la capacité de prolifération est mal comprise et encore moins facilement contrôlée. Les cellules qui prolifèrent de leur propre initiative, c'est ce que l'on appelle le cancer. Il a fallu mettre fin à une expérience sur des patients souffrant de la maladie de Parkinson quand certains d'entre eux ont commencé à souffrir de mouvements saccadés, spasmodiques et incontrôlables de la mâchoire et des membres.
On entend parfois les gens parler de cellules souches comme s'il s'agissait d'une sorte de potion magique ou d'un remède universel provenant d'une autre galaxie. Ces cellules vont arrêter le vieillissement et enrayer toutes les maladies. C'est de la science-fiction. Même si c'était possible, cette idée de traiter tous les êtres humains sur la face de la terre avec des dérivés des embryons, pouvez-vous imaginer le nombre d'embryons qu'il faudrait pour cela? Ce n'est pas un rêve, c'est un véritable cauchemar de science-fiction cannibalique.
Il est certain que c'est une bonne chose que de chercher à atténuer l'inconfort ou à enrayer l'effet d'une maladie. C'est l'objet de la médecine, qui est l'une des plus belles utilisations de notre don d'intelligence. Par contre, toutes les créatures naissent, grandissent, vieillissent et meurent. Il n'y a rien de mal à mourir. Il n'est pas nécessaire que nous soyons capables d'enrayer tout vieillissement. La peur de la mort, la peur du vieillissement ne doit pas nous amener à transformer les autres en objets, à détruire des êtres humains à la poursuite d'une illusion, du rêve d'une vie terrestre illimitée.
Je soutiens que la promesse qui existe dans les deux cas de figure peut être réalisée au moyen de cellules souches somatiques, dont l'acceptabilité éthique est reconnue par tous. Si nous avons besoins de cellules osseuses, obtenons des cellules osseuses, ou bien on peut les obtenir à partir de cellules adipeuses. Si nous devons faire des expériences sur ces cellules, utilisons la forme de tissu qui convient. Si nous devons transplanter un organe dans une personne, prenons des cellules normales du propre corps de cette personne; ce qui permet d'éliminer le problème du rejet, raison que l'on avance souvent pour justifier l'utilisation d'embryons. Il y a d'autres manières de procéder et il n'est pas nécessaire de faire des choses douteuses sur le plan de l'éthique.
L'interdiction de la pratique commerciale de la maternité par substitution est une mesure extraordinairement heureuse en soi. Cette forme d'exploitation des femmes et de leurs enfants ne s'était pas encore implantée au Canada quand la commission royale a publié son rapport. C'est le cas maintenant. Il y a toutefois une contradiction dans l'ébauche de projet de loi, quoiqu'elle ne soit sûrement pas délibérée. D'après le libellé actuel, on semble permettre d'une part ce qu'on interdit de l'autre. Les paragraphes 4(2) et (3), qui interdisent de payer ou d'accepter d'être payé pour obtenir les services d'une mère porteuse, sont annulés par le paragraphe 4(4), qui précise que les deux paragraphes précédents ne s'appliquent pas:
-
à la prestation de services d'ordre juridique, médical ou
psychologique.
La dernière fois que j'ai vérifié, la plupart des gens qui prenaient des arrangements pour l'obtention des services d'une mère porteuse étaient des médecins, des avocats et des psychologues. Par conséquent, on se trouve ainsi à donner carte blanche à quiconque veut cultiver cette industrie. D'après ma lecture de cette disposition de l'avant-projet de loi, cela ne s'applique pas seulement à des services juridiques offerts à titre gracieux, par altruisme. Cela permettrait l'utilisation commerciale et la création d'une industrie.
Vous voudrez peut-être aussi préciser le libellé qui traite des dépenses, autant pour les mères porteuses que pour le don de gamètes, parce que le mot «dépenses» est très vague. Les dépenses associées à une grossesse peuvent comprendre la nourriture et le logement, qui sont habituellement assurés par les salaires et les profits pour la plupart des gens. Donc, en réalité, quelqu'un pourrait encore faire cela moyennant rétribution, parce que la personne pourrait se faire vivre pendant un an, avant la grossesse, pendant la grossesse et peut-être après la grossesse. Quand nous étions à la commission royale, nous avons entendu le témoignage d'une personne qui avait été mère porteuse—ces audiences étaient publiques et je ne vous raconte donc pas d'histoire ici—moyennant le versement de paiements hypothécaires et le paiement de divers autres frais qui constituaient une rémunération en nature. Il serait donc important de dire explicitement qu'il est interdit d'accorder tout ce qui pourrait constituer un encouragement ou une incitation.
• 1550
Combien de temps me reste-t-il?
La présidente: La plupart des gens présentent un exposé d'environ quatre pages. Le vôtre est plutôt long.
Dre Suzanne Scorsone: Eh bien, on m'a dit que je pouvais digresser à ma guise, parce que je ne m'en tiens pas à un thème unique. Nous, à la commission, passions constamment d'un sujet à l'autre—il le fallait, c'était notre travail.
Aimeriez-vous que je passe directement à l'agence de réglementation?
La présidente: Ce serait utile.
Dre Suzanne Scorsone: Et vous pourrez prendre connaissance de ce que j'ai à dire sur toutes les autres questions, les hybrides animal-humain, la commercialisation. Soit dit en passant, je trouve très troublant qu'il n'y ait aucune disposition interdisant les hybrides d'animaux et d'humains, cela m'étonne beaucoup. S'il y a une chose que nous avons entendu à maintes et maintes reprises, c'est bien que les gens refusent une telle éventualité.
La commercialisation de la reproduction humaine est également un problème auquel vous avez tenté de remédier, mais il y aurait lieu de renforcer cela.
Quant aux sanctions, je suis entièrement d'accord pour dire qu'elles doivent être de nature criminelle. À mes yeux, un médecin ou un scientifique n'est pas à l'abri des sanctions criminelles auxquelles s'expose un pauvre homme qui cause du tort à quelqu'un d'une manière ou d'une autre. Je ne pense pas que quiconque, aussi calé soit-il, est tellement savant que personne ne peut évaluer ou juger son travail.
J'en arrive donc à l'organisme de réglementation. Pour moi, ce qui est important, c'est que le travail se fasse, plutôt que la façon dont il se fait, mais un organisme de réglementation serait effectivement un moyen efficace de procéder et j'appuierais assurément la création d'un tel organisme. Je pense toutefois qu'il faut accorder la plus grande attention à la façon dont il est structuré.
Premièrement, les gens qui en font partie doivent être choisis par le ministre, suivant les conseils de ses collaborateurs, des gens qui non seulement possèdent l'expertise et l'expérience voulues, mais qui ont prouvé dans le passé qu'ils sont capables de bien travailler ou de bien jouer avec d'autres—vous savez, ces petits mots tout simples qu'on lit sur le bulletin d'un enfant qui fréquente la maternelle: s'amuse bien avec les autres. Il faut des gens qui sont capables d'affronter les craintes et les préoccupations des autres et d'en arriver à des compromis réalisables ou à des solutions novatrices qui permettront de prendre en compte les préoccupations légitimes de tous.
Je pense qu'il est important de ne pas nommer des représentants d'office d'un quelconque groupe d'intervenants. Les responsables ne doivent pas être des porte-parole d'organisations professionnelles ou de groupes de défense d'intérêts, parce qu'ils seraient alors moins enclins à travailler ensemble avec les autres pour trouver des solutions novatrices axées sur la collaboration, et pourraient plutôt avoir le sentiment que leur obligation est de défendre les intérêts de leur groupe ou les décisions officiellement prises par leur groupe.
Ma suggestion, c'est de créer un service interne au ministère de la Santé. Je crains que si l'on crée une organisation indépendante, elle puisse être dominée par un ou plusieurs groupes d'intervenants ou par leurs réseaux respectifs. Si jamais il y a dysfonctionnement dans le groupe, il serait alors beaucoup plus difficile d'y remédier. Je pense que le service doit relever du Parlement, parce que le Parlement représente la population du Canada. Dans le cas d'un groupe indépendant, il devient très difficile pour les représentants des Canadiens de moduler et d'infléchir la politique qui est appliquée par un tel groupe.
Pour ce qui est de la création d'un registre d'information, je souscris entièrement à la proposition à cet égard. Je voudrais toutefois qu'on en étende la portée pour y inclure—il serait peut-être nécessaire de légiférer pour cela, parce qu'un tel registre n'a jamais été créé auparavant—un suivi à long terme et l'accessibilité, tout en protégeant la confidentialité des dossiers médicaux des gens pendant des années. Dans le cas de la controverse sur le DES, qu'il s'agisse de techniques de reproduction, de techniques génétiques, nous ne saurons pas avant 20 ans, 30 ans, 40 ans quelles seront les conséquences à long terme de tout cela.
• 1555
D'autre part, la réalité des cliniques de fertilité est
qu'elles permettent aux femmes d'être enceintes, les dirigent
ensuite vers l'obstétricien, lequel les délivre de leur bébé et
remet celui-ci entre les mains des pédiatres, tandis que les
femmes, après une brève période postnatale, sont de nouveau
confiées à leur médecin de famille. À tout moment par la suite, la
mère et le bébé peuvent être confiés à divers spécialistes pour
soigner divers troubles que les gens pourront ou non associer au
fait qu'un traitement massif aux hormones a été administré à la
mère, avant ou pendant qu'elle était enceinte, ou à l'enfant issu
de ces techniques, qu'il s'agisse de manipulation génétique ou quoi
que ce soit.
Donc, à moins qu'il y ait des modalités permettant de faire un suivi de tous les dossiers médicaux de ces gens-là, nous ne saurons tout simplement jamais quels sont les résultats. Ceux-ci peuvent être à la fois positifs et négatifs en ce sens qu'ils peuvent inciter les gens à être plus craintifs qu'ils n'ont des raisons de l'être, parce qu'une intervention peut être parfaitement inoffensive, et les données en attestent, ou bien il peut y avoir des dangers que nous ne discernerions pas autrement.
De plus, parce qu'il y a un suivi du traitement aux médicaments, on a au moins une idée, quoique limitée, de l'innocuité et de l'efficacité de ces médicaments. Quoi qu'il en soit, les gens, que ce soit ou non à juste titre, s'interrogent et se demandent si les essais effectués par les compagnies pharmaceutiques et d'autres intervenants qui ont un enjeu dans ce projet permettent de révéler tous les tenants et aboutissants du dossier. Un registre qui serait dénué de tout parti pris et dirigé par le gouvernement réglerait ce problème. Cela rendrait le dossier transparent pour tout le monde et je pense que ce serait à l'avantage des intervenants de toutes les professions, des patients et de la progéniture.
En conclusion, je voudrais simplement vous remercier de nous avoir invitées ici. Votre rôle est crucial et j'ai bien hâte de prendre connaissance de ce que vous jugerez bon de faire en définitive.
La présidente: Merci beaucoup, madame Scorsone. Je suis désolée que vous n'ayez pas eu le temps de tout dire, mais on vous posera des questions et vous pourrez peut-être nous faire part de vos autres idées en répondant à ces questions.
Nous entendrons maintenant Mme Downie.
Mme Jocelyn Downie (directrice, Health Law Institute, et professeure adjointe, université Dalhousie): Bonjour. Je vous remercie de me donner aujourd'hui l'occasion de prendre la parole devant le comité. Je m'en excuse d'avance, mais je devrai partir un peu avant la fin de la séance en raison des compressions dans le secteur de l'aviation, un problème que vous devez malheureusement bien connaître. Je ne peux rentrer à Halifax ce soir à moins de partir tôt et j'ai un engagement de longue date demain matin en Nouvelle-Écosse.
Aujourd'hui, je veux aborder quatre sujets à la suite de mon étude de l'avant-projet de loi. Je parlerai brièvement de la situation des mineurs, de l'intégrité corporelle, de l'utilisation de matériel reproductif ou de renseignements médicaux à des fins de recherche et de la nature d'une instance de surveillance nationale.
Premièrement, en ce qui a trait aux mineurs, il n'est pas approprié de se fonder sur l'âge de 18 ans comme on le fait dans plusieurs parties de l'avant-projet de loi. Par exemple, au paragraphe 7(2), il est interdit d'utiliser un ovule ou un spermatozoïde obtenu d'une personne âgée de moins de 18 ans et le paragraphe 7(1) renvoie à la réglementation les cas où il est possible de conserver un ovule ou un spermatozoïde obtenu d'une personne âgée de moins de 18 ans. Il est inopportun d'établir l'âge de 18 ans comme ligne de démarcation uniforme. L'âge de la majorité varie à l'échelle du pays; ce peut être 18 ou 19 ans, selon les provinces et les territoires. L'âge du consentement varie également d'un bout à l'autre du pays alors que dans la législation et dans la common law, on adhère au principe de la maturité du mineur. À mon avis, la mesure définitive devrait embrasser le concept de la compétence, et non de l'âge, reflétant ainsi l'interprétation contemporaine juridique et éthique de la capacité et du droit d'une personne qui n'a pas l'âge de prendre des décisions en matière de soins de santé.
En ce qui concerne l'intégrité corporelle, on confère ce pouvoir aux inspecteurs au paragraphe 24(2). Par exemple, dans sa forme actuelle, la mesure autorise les inspecteurs à exiger d'un patient ou d'une patiente qu'il ou elle produise un échantillon de matériel reproductif humain. Cela pourrait entraîner de graves atteintes à l'intégrité corporelle du patient, sans que cela puisse être justifié. Il convient de resserrer le libellé de cette disposition pour refléter la valeur fondamentale de l'intégrité corporelle qui est au coeur de notre système juridique et social.
En outre, il faut aussi restreindre la portée du paragraphe 29(2) car il stipule qu'il peut être disposé du matériel reproductif saisi dans une clinique si le directeur de la clinique est reconnu coupable d'une infraction à la loi. Aucun argument convaincant ne justifie un pouvoir aussi étendu. Pourquoi les clients de la clinique perdraient-ils leur matériel reproductif parce que le directeur de la clinique a commis une infraction, surtout si ce sont d'«innocentes victimes»? Il convient de restreindre la portée de cet article pour refléter le droit de chacun de contrôler son propre matériel reproductif et de faire en sorte que cela soit réitéré dans les autres articles pertinents de la mesure.
• 1600
Mon troisième point porte sur l'utilisation du matériel
reproductif ou de renseignements médicaux à des fins de recherche.
Premièrement, la mesure interdit l'usage d'embryons pour la
recherche sans le consentement des donneurs, mais n'interdit pas
l'utilisation d'autre matériel reproductif humain comme les
spermatozoïdes, les ovules, d'autres cellules humaines, des gènes
humains, pour les mêmes fins sans le consentement du donneur. On ne
justifie pas pourquoi on exige le consentement pour la recherche
sur les embryons et non sur d'autres formes de matériel reproductif
humain. À mon avis, il devrait être interdit d'utiliser du matériel
reproductif pour la recherche sans le consentement du donneur. Par
conséquent, si l'on modifie le paragraphe 6(1) pour y inclure un
renvoi aux paragraphes 8(2) ainsi que 8(1), on aura comblé cette
échappatoire qui était sans doute involontaire.
Qui plus est, les paragraphes 19(4) et 21(6) de l'avant-projet de loi autorisent le titulaire d'une autorisation ou le ministre à communiquer des renseignements biologiques, sauf les renseignements identifiant ou permettant d'identifier une personne, sans le consentement écrit de celle-ci. Ces deux dispositions respectent la vie privée, étant donné que la communication de renseignements qui identifieraient ou permettraient d'identifier la personne n'est pas autorisée à moins que celle-ci y ait consenti. Cependant, tout en protégeant les renseignements personnels, elle ne favorise pas le respect de l'autonomie puisque certains renseignements biologiques peuvent être communiqués à des tiers sans le consentement de la personne intéressée. Le respect de l'autonomie exige que les particuliers puissent exercer un contrôle sur l'usage que l'on fait de leurs renseignements biologiques, même s'ils ne permettent pas de les identifier.
Je comprends qu'il est avantageux pour les chercheurs d'avoir accès à une masse considérable de renseignements, mais cet avantage ne saurait être obtenu aux dépens du droit des particuliers de contrôler leurs propres renseignements biologiques. À tout le moins, il faudrait trouver un équilibre entre ces valeurs contradictoires. Par exemple, on pourrait amender la mesure pour permettre aux patients de refuser l'accès à leurs renseignements personnels au moment où l'on en fait la collecte pour s'en servir ultérieurement à des fins de recherche.
Mon dernier commentaire concerne la création d'un organisme de surveillance nationale. À cet égard, je veux poser deux questions. Premièrement, pourquoi avoir un organisme de surveillance? Et deuxièmement, quelles devraient être les caractéristiques déterminantes d'un tel organisme, si vous décidez d'en créer un?
Pourquoi avoir un tel organisme? Les raisons justifiant la création d'un mécanisme ou d'un organisme de surveillance sont nombreuses et variées. L'expérience internationale et la littérature didactique font état à tout le moins des avantages suivants. Premièrement, la transparence. Le fait d'établir un ensemble clair de normes déontologiques applicables à la science dans le contexte de la reproduction humaine assistée garantit que les praticiens et les chercheurs savent ce que l'on attend d'eux lorsqu'ils s'adonnent à des activités dans ce domaine. De même, le fait d'établir un ensemble clair de normes garantit que les bénéficiaires de ces activités et le grand public peuvent avoir l'assurance que seules des activités acceptables sur le plan de l'éthique sont autorisées et qu'elles sont menées à bien selon des méthodes valables au plan scientifique et acceptables au plan éthique.
La deuxième raison est le contrôle d'application. Les enjeux sont tout simplement trop grands de tous les côtés pour que l'on compte sur l'autoréglementation pour assurer l'observance des normes. C'est un système qui a déjà échoué. Le contrôle d'application de normes minimales passe par l'homologation, la surveillance et d'autres mécanismes de ce genre.
Troisièmement, la responsabilisation. En l'absence d'un organisme de surveillance chargé d'élaborer la politique et d'en rendre compte, la population aura très peu de moyens d'exiger des comptes de qui que ce soit au sujet des conséquences exemptes de toute négligence. Et pourtant, c'est un domaine où des torts considérables peuvent être causés même si aucune négligence n'intervient. Il faut qu'un organisme soit comptable des décisions concernant les activités qu'il convient d'autoriser et les normes relatives à leur déroulement.
La quatrième raison qui milite en faveur d'un organisme de réglementation est la confiance de la population. Si les citoyens savent que les activités d'assistance à la procréation sont réglementées par un organisme de surveillance, ils développeront un plus grand sentiment de confiance à l'égard de cette entreprise et, avec la confiance, l'appui viendra peut-être.
Par conséquent, si vous décidez qu'il y a lieu de créer une telle instance, la question à laquelle il faut répondre ensuite est la suivante: quelles devraient en être les caractéristiques déterminantes? Dans l'exemplaire des notes d'allocution que j'ai laissées au comité pour qu'elles soient traduites et distribuées, je dresse la liste d'un certain nombre de caractéristiques fondamentales. Aujourd'hui, je vais parler de quatre d'entre elles.
Premièrement, l'organisme en question doit être national. L'établissement d'un ensemble unique de normes régissant les activités liées à la reproduction humaine assistée à l'échelle du Canada garantit aux citoyens qui se prévaudront de ces technologies les mêmes protections minimales, peu importe l'endroit où ils habitent.
• 1605
La deuxième raison favorisant un organisme national est qu'à
l'heure actuelle, il y a un nombre insuffisant de personnes
compétentes pour régler les problèmes scientifiques et éthiques
soulevés par les nouvelles technologies. L'organisme de
réglementation doit avoir une expertise adéquate pour étudier des
technologies nouvelles et complexes et le bassin d'experts au
Canada est tout simplement insuffisant pour alimenter plusieurs
organismes de surveillance disséminés dans les différents provinces
et territoires.
Troisièmement, les activités d'assistance à la procréation sont porteuses de transformation, d'une façon qui fait complètement fi des frontières provinciales et territoriales. Par exemple, une fois qu'on entre dans le domaine de manipulations qui peuvent toucher non seulement les sujets de la manipulation, mais aussi les générations futures, on entre dans un domaine où la réglementation doit se faire au plus haut niveau possible.
Je tiens à signaler que cet élément soulèvera bien des questions de compétence et des défis. Certains contesteront le pouvoir du gouvernement fédéral de présenter une loi dans ce domaine. Cependant, pour des raisons que je n'ai pas le temps d'expliquer aujourd'hui, des raisons qui ont été soigneusement recensées de façon indépendante dans les ouvrages spécialisés, je suis convaincu que le gouvernement fédéral dispose du pouvoir, en vertu de la Constitution, et plus précisément, de sa compétence nationale pour assurer la paix, l'ordre et le bon gouvernement, ainsi que de son pouvoir de juridiction pénale, de faire ce qu'il a fait en rédigeant cet avant-projet de loi et en se proposant de mettre en oeuvre le système de réglementation prévu dans la mesure.
La deuxième caractéristique que j'estime cruciale est l'indépendance. Cet organisme doit être aussi indépendant que possible sur le plan de la structure pour empêcher qu'il ne devienne un outil aux mains d'un groupe d'intérêts particulier, que ce soit le gouvernement, l'industrie, les praticiens, les récipiendaires, ou qui que ce soit d'autre. Pour des raisons pratiques, il doit être financé par le gouvernement fédéral et par conséquent, il ne peut être complètement indépendant de l'État. Cependant, il existe un certain nombre de mécanismes pour faciliter une grande indépendance. Au nombre des options possibles, citons les sociétés d'Etat, les agences, les conseils, les commissions, les tribunaux, les organismes de services spéciaux, etc. Je n'ai pas l'intention d'entrer dans le détail de ces instances, mais je vous suggère, avant de fixer votre choix, d'avoir une idée très claire des fonctions et des caractéristiques recherchées. De cette façon, vous pourrez choisir la tribune la plus apte à concrétiser ces caractéristiques et ces fonctions. Mais la plus importante des caractéristiques dont il faut doter l'organisme est l'indépendance structurelle.
Cet organisme doit aussi disposer de ressources suffisantes pour que son indépendance ne soit pas financièrement compromise. Il convient de lui accorder un budget indépendant de celui des ministères gouvernementaux et suffisant pour lui permettre de s'acquitter de sa mission. Il faut aussi qu'il puisse contrôler son personnel. L'indépendance d'organes indépendants en principe dans le passé a été compromise par des ressources inadéquates, ce qui a rendu ces entités dépendantes vis-à-vis du gouvernement ou d'autres entités pour l'obtention de ressources additionnelles. En outre, les budgets étaient contrôlés par le gouvernement. L'indépendance d'instances indépendantes en surface a aussi été compromise par le fait que les effectifs étaient composés d'employés de Santé Canada, par exemple. Cela les plaçait dans une situation de conflit d'intérêts potentiel car il peut fort bien arriver que le mandat de l'organisme indépendant entre en conflit avec les intérêts de l'employeur.
Troisièmement, il faut que sa composition reflète une expertise appropriée. Je ne m'inquiète guère au sujet de la nomination des membres ayant une expertise dans la plupart des disciplines qui devraient être représentées dans un organisme de surveillance, mais je m'inquiète sérieusement au sujet de la nomination des experts en éthique. On a déjà vu à maintes reprises au sein d'organismes nationaux des personnes n'ayant aucune compétence en éthique, voire aucune formation formelle dans ce domaine et qui sont considérées comme des experts au sein de ces instances. Ainsi, on a eu tendance à assimiler les spécialistes du droit de la santé à des spécialistes en éthique. Le droit et l'éthique sont effectivement des disciplines connexes, mais elles n'en sont pas moins des disciplines très différentes.
L'éthique est une discipline dont la tradition remonte aussi loin, sinon plus loin, que la plupart des autres disciplines. Elle a des exigences établies de longue date en matière de formation. Par exemple, les experts doivent avoir terminé des études de doctorat et fait la preuve d'un haut niveau d'excellence. Ils auront notamment publié dans des journaux spécialisés destinés à leurs pairs et reçu des subventions décernées par leurs pairs. Il n'y a pas de raison qui justifie l'incapacité de nommer des experts en éthique au sein de tels organismes. Je pense que les responsables de la nomination des experts en éthique devraient se familiariser avec les critères professionnels de l'excellence. En outre, les personnes qui ne sont pas des experts en éthique ne devraient pas prétendre en être ou permettre qu'on les appelle des experts en éthique, particulièrement dans un domaine comme les technologies de reproduction humaine assistée, où l'expertise en éthique n'est pas le seul domaine où une expertise est requise, mais où c'est certainement un domaine critique. L'organisme de surveillance nationale devrait être composé de membres qui sont d'authentiques experts en éthique pour assurer cette fonction.
Mon dernier point concerne la thérapie par opposition à la recherche. À mon avis, la surveillance de la thérapie devrait être séparée de la surveillance de la recherche, dans laquelle j'englobe les pratiques novatrices. D'ailleurs, la surveillance de la recherche devrait être associée à une nouvelle structure de régie pour l'ensemble de la recherche dans le domaine de la santé au Canada. L'avant-projet de loi envisage de créer un organisme de surveillance régissant à la fois la thérapie et la recherche. Bien que cela soit conforme à la pratique en vigueur dans d'autres pays, et particulièrement au Royaume-Uni, c'est à mes yeux une erreur pour au moins deux raisons.
• 1610
Premièrement, ce n'est pas toute la recherche qui fait appel
à du matériel reproductif humain qui vise à faire progresser la
reproduction humaine assistée. L'organisme de surveillance envisagé
dans la mesure pourrait se retrouver à réglementer la recherche qui
utilise du matériel reproductif humain, mais qui n'a absolument
rien à voir avec l'assistance à la procréation. À ce moment-là, on
court le risque que cette instance constituée pour s'occuper des
activités liées à la reproduction humaine assistée ne dispose pas
de l'expertise nécessaire pour réglementer la recherche qui n'a pas
de lien avec l'assistance à la procréation, au-delà de la source du
matériel.
Une brève description de l'expérience du Royaume-Uni me permettra d'appuyer mes dires. Le gouvernement britannique a institué en 1990 aux termes de la Human Fertilization and Embryology Act un organisme de réglementation statutaire. Cette instance, appelée la Human Fertilization and Embryology Authority, la HFEA, a reçu pour mandat de délivrer des autorisations de recherche. L'annexe 2 de la mesure établissait cinq conditions relatives à la recherche sur les embryons, lesquelles portaient toutes sur les méthodes de diagnostic et la reproduction. La recherche sur les embryons visant à accroître la compréhension des maladies et des troubles ainsi que leur traitement à base cellulaire, par exemple la recherche sur les cellules souches, ne pouvait relever de cette mesure législative. En 2001, on a dû adopter une réglementation particulière pour autoriser de telles recherches et à l'heure actuelle, la HFEA réglemente un type de recherche qui n'a rien à voir avec la stérilité et la reproduction. L'étendue des questions relevant du mandat élargi de la HFEA risque de bientôt dépasser l'expertise de ses membres si ce n'est pas déjà fait.
Un organe national chargé de surveiller la thérapie de la reproduction humaine assistée devrait évidemment accueillir des scientifiques et des cliniciens spécialisés dans la reproduction humaine et le traitement des personnes stériles. Leur orientation, leur savoir et leurs compétences les rendront particulièrement aptes à établir des normes relativement au consentement à la fertilisation in vitro, par exemple. Mais leur expertise et leurs intérêts pourraient n'être d'aucune utilité pour étudier l'éthique de la recherche sur la transplantation de tissu foetal dans le traitement de la maladie de Parkinson.
Ce que je veux faire comprendre, c'est que pour bien s'acquitter de son mandat de surveillance de la thérapie, les membres de l'organisme de surveillance devraient avoir une expertise liée à la reproduction humaine assistée. L'organisme ne sera donc pas tenu de régir des activités exigeant une expertise très différente, par exemple la recherche visant à accroître les connaissances sur de multiples maladies graves n'ayant rien à voir avec la reproduction.
Voilà qui m'amène à mon deuxième point. Le Canada a désespérément besoin d'un organisme de surveillance nationale pour toute la recherche mettant en cause des êtres humains. La recherche faisant appel au matériel reproductif humain devrait, à mon avis, relever d'une telle instance plutôt que de l'organisme envisagé dans l'avant-projet de loi.
À l'heure actuelle, la recherche sur les humains, ce qui comprend les humains et le matériel reproductif humain, n'est pas réglementée par le gouvernement, pour une grande part. Aucune raison fondée sur des principes ne justifie que l'on subordonne un domaine de la recherche à la surveillance d'un organisme national et qu'on laisse les autres libres de toute surveillance. Il s'effectue dans d'autres domaines des recherches aussi controversées et aussi risquées. Pourquoi singulariser la recherche faisant appel au matériel reproductif humain et l'assujettir à une réglementation nationale? Pourquoi ne pas tout réglementer ou ne rien réglementer du tout?
À l'heure actuelle, la gouvernance de la recherche se définit, au mieux, comme un ensemble de mesures disparates et les intérêts des Canadiens ne sont pas adéquatement protégés et promus dans ce domaine. J'estime qu'il ne faut pas exacerber la fragmentation actuelle en créant un organisme de surveillance nationale distinct chargé de réglementer un aspect étroit de la recherche sur les humains, soit la recherche sur la reproduction humaine assistée et la recherche faisant appel au matériel reproductif humain. Nous devrions plutôt créer un organisme de surveillance nationale doté du mandat de réglementer l'ensemble de la recherche sur les humains.
Je crois savoir que Santé Canada se penche sur la question de la gouvernance de la recherche mettant en cause des humains au Canada. Si le gouvernement envisage de s'orienter vers un organisme de surveillance nationale quelconque dans le domaine de la recherche, la main droite devrait parler à la main gauche. Il conviendrait d'avoir des discussions explicites dès que possible sur la façon dont la législation sur la reproduction humaine assistée actuellement à l'étude pourrait s'inscrire sous l'égide d'un tel organisme, et vice versa.
En somme, je recommande la création d'un organisme de surveillance nationale à l'égard de la thérapie d'assistance à la procréation et un organisme de surveillance nationale pour l'ensemble de la recherche sur les humains au Canada.
Merci. Je répondrai volontiers à vos questions à la fin.
La présidente: Merci, madame Downie.
Cela a été très utile.
Maintenant, Mme Martha Maria Knoppers.
[Français]
Mme Bartha Maria Knoppers (professeure adjointe, Faculté de droit, Université de Montréal): Bonjour. J'aimerais dire que je suis totalement d'accord sur tous les commentaires de ma collègue à ma droite, Mme Downie. Donc, s'il y a des points où on voit une certaine convergence, je vais simplement ne pas les répéter.
• 1615
J'ai préparé une présentation PowerPoint qui est
disponible en français et en anglais, mais que je ne
peux pas vous montrer parce qu'on a eu quelques
problèmes techniques.
J'aimerais aussi remercier Elodie Petit. Vous pourrez voir le nom de Mme Petit sur la première page. Elle est juste ici au cas où vous auriez des questions très difficiles. Elle a fait une maîtrise sur les cellules souches et elle fait actuellement un doctorat sur le même sujet, mais en plus large.
Il y a 25 ans, quand j'étais étudiante en droit à l'Université McGill, j'ai fait un travail sur l'insémination artificielle. C'était un domaine où il n'y avait même pas de code professionnel en 1976. Quand j'ai commencé mon doctorat, en 1978, on m'a dit—c'était sur les technologies de reproduction—que j'étais dans la science-fiction. Donc, je me retrouve ici 25 ans plus tard, après la naissance de Louise Brown, en 1978, et après la commission royale et toutes les lois qui existent de par le monde, et que vous pourrez trouver sur notre site web, dont vous avez le petit dépliant. Je pense qu'il n'y a pas de doute que c'est le moment d'agir pour le Canada.
Je suis contente en dépit de ce qui semble, à première vue, un ralentissement par rapport à d'autres pays. Je suis contente qu'on ait attendu, parce que je pense que cette version du projet s'est beaucoup améliorée par rapport à des projets de loi présentés auparavant.
Vous avez devant vous une table des matières que je ne vais pas répéter. J'aimerais, dans les 20 minutes qui me sont imparties, vous faire un exposé afin d'avoir assez de temps pour entendre vos questions après.
Commençons par le point n° 1: la cohérence des principes éthiques. Cela m'étonne que nulle part dans le préambule on ne trouve une allusion, non pas à la question de savoir quand la vie commence ou quand on devient une personne humaine, mais au principe éthique du respect de la vie humaine. Cela ne figure pas dans le préambule. Ça m'étonne qu'il n'y ait pas cela dans ce préambule, qui va quand même servir comme un énoncé des principes de fond.
En même temps, je suis un peu déçue qu'on utilise—c'est la mode; ça arrive partout dans le monde, pas juste au Canada—la dignité humaine à gauche et à droite dans le texte. Je vous donne deux exemples. Dans le préambule, au troisième «Attendu que le Parlement du Canada», on dit que le Parlement «croit que pour profiter au maximum de ces techniques, il faut veiller à la protection et à la promotion de la santé, de la sécurité, de la dignité et des droits...».
On met donc la dignité humaine au même niveau que les droits fondamentaux, même si on sait fort bien que c'est la dignité humaine qui est la source des droits fondamentaux. C'est la dignité humaine qui est inhérente à la personne, et c'est à cause de cette dignité qu'on a élaboré les droits fondamentaux. C'est ce qui nous permet d'actualiser les droits fondamentaux.
Donc, je ne mettrais pas la dignité en ligne avec la santé et la sécurité et tous les droits qu'on a pu ajouter au fil des siècles. Je trouve que ça mérite un article à part et, personnellement, je ne mettrais même pas la dignité dans d'autres dispositions, par exemple dans le paragraphe 16(1) de l'avant-projet de loi, qui parle de «dignité humaine ou les droits de la personne.» Le «ou» m'étonne. Ça devrait probablement être «et». Mais je ne mettrais pas cela dans un texte, même si d'autres pays mettent de temps en temps le mot «dignité» dans des dispositions d'un code criminel. Je le laisserais dans le préambule.
C'est un avis tout à fait personnel, mais ça vient du fait que j'ai fait une étude sur la dignité humaine pour la Commission de réforme du droit en 1990.
Donc, cette banalisation m'inquiète. Ça fait partie des temps modernes, mais je trouve que ça devrait rester un principe.
Passons maintenant aux définitions. Je pense avoir déjà mentionné que d'autres personnes qui sont venues devant vous ont critiqué le fait que la définition de «matériel reproductif humain» est très, très large, et c'est la même chose pour la définition de «gène humain». Si on met tout ça ensemble, l'étendue et l'impact de ces dispositions dans le Code criminel vont affecter tout le monde au Canada, même les élèves de huitième année qui étudient la biologie et qui jouent avec des cellules ou qui sait quoi, parce qu'on parle des gènes, des séquences, etc. Les séquences sont partout. Alors, il faut vraiment faire attention, dans la section des définitions, de délimiter le matériel reproductif humain.
• 1620
On ne sait pas ce que veulent dire, dans la
définition de «matériel reproductif humain», les mots
«ou toute partie de ceux-ci». Je n'ai
jamais vu le mot
«partie» dans une loi. Qu'est-ce que
c'est, une partie d'un
embryon? Je
pense que ce qu'on a voulu dire, c'est «ou tout élément
constitutif», parce qu'on ne parle pas des morceaux ou
des parties d'embryon. C'est juste une question de
définition. On ne sait pas; peut-être que par l'emploi
des mots «toute partie de
ceux-ci», on voulait
couvrir des cellules souches embryonnaires. Mais même à
cela, une cellule souche embryonnaire n'est pas une partie d'un
embryon; elle en un élément constitutif.
Le deuxième problème dans les définitions, c'est le terme «renseignement biologique», qu'on traduit en anglais par «health reporting information». C'est tout à fait différent. Peut-être va-t-on adopter «biological», ce qui n'a pas de sens, parce qu'un renseignement biologique est différent d'un renseignement portant sur la santé. Un renseignement biologique, par exemple, peut être un renseignement par rapport à la paternité. Ça n'a rien à voir avec la santé. Donc, toutes les notions de paternité et de maternité, qui sont les renseignements biologiques, peuvent se retrouver dans cette définition. Je suggérerais qu'on mette en anglais «personal health information», et, en français, «renseignement personnel sur la santé». Je pense que c'est ce qui était visé de toute façon.
La définition de «renseignement biologique» est très large, tellement large que partout dans les autres dispositions où on parle des mesures particulières relatives au «renseignement identifiant», tout est identifiant dans la définition. Est-ce que cela veut dire que tout ce qui n'est pas mentionné est nécessairement non identifiant? Que reste-t-il qui soit non identifiant? Car «renseignement biologique» nous donne une définition qui contient seulement des «renseignements identifiant».
J'arrive maintenant à un point que personne, je pense, n'a soulevé devant vous. Mais c'est un de mes penchants. La cohérence des actes prohibés universellement, la thérapie... Ce qu'on appelle thérapie est plutôt une recherche. Comme la thérapie germinale et les recherches n'ont même pas débuté, c'est un non-sens de que parler de thérapie. La thérapie germinale, ça se voit partout dans des déclarations universelles, dans les lois de tous les pays qui ont adopté des lois. Or, je pense que ce projet de loi permet la recherche sur les embryons; le diagnostic préimplantatoire n'est donc pas nécessairement prohibé. Je pense que cela dépendra de l'agence future, de l'organe réglementaire. Si le diagnostic préimplantatoire n'est pas explicitement prohibé—et je ne veux pas que ça soit prohibé—, on crée quand même délibérément un embryon pour voir si les éléments constitutifs ou gènes de cet embryon peuvent donner lieu à des malformations, à des maladies graves mortelles, etc. Si c'est le cas, on ne va pas l'implanter.
Donc, on fait une sélection avant l'implantation dans le corps de la femme pour que l'enfant puisse, dans la mesure du possible—ce n'est jamais garanti—, naître en santé et pour que la prochaine génération n'ait plus le gène délétère. Quelle est la différence entre cela et la thérapie germinale? Le but? La finalité? Il n'y a que les moyens, finalement, qui sont différents.
C'est une chose que j'aimerais porter à votre attention, non pas parce que je veux prohiber le diagnostic préimplantatoire, mais parce que je trouve qu'on refuse automatiquement très vite la thérapie germinale, sans penser qu'on est déjà en train de permettre des techniques qui ont la même finalité.
• 1625
Pour ce qui est de la précision de l'encadrement des activités
réglementées, Mme
Downie a déjà mentionné que les
ovules et les spermes ne figurent nulle part. Donc, il
va falloir les ajouter pour avoir une certaine
cohérence interne.
On parle beaucoup de l'embryon, mais on peut faire autant de recherche ou de thérapie avec des gamètes qu'avec des embryons.
Je suis membre d'un réseau national sur les cellules souches. On avait cinq juristes dans la salle à une récente réunion lors de laquelle on a essayé de trouver où, dans l'avant-projet de loi, il y avait une interdiction ou non quant à l'utilisation des cellules souches embryonnaires.
Il est évident que c'est probablement couvert par «partie» d'un embryon in vitro, mais comme je l'ai dit, ça n'a pas vraiment de sens. Donc, on ne dit pas clairement si on a besoin d'une autorisation pour faire de la recherche sur les cellules embryonnaires tel que c'est prévu au paragraphe 8(2). Il va donc falloir préciser que la recherche avec permis ou autorisation, bien sûr, sur les cellules souches embryonnaires est couverte par ce projet de loi.
C'est la même chose pour la création d'une chimère. On dit au paragraphe 9(1) qu'il faut une autorisation pour créer une chimère, mais à moins qu'on trouve que ça entre dans l'article sur la recherche sur l'embryon ou sur les parties de l'embryon, on ne parle nulle part de l'utilisation ou même d'une autorisation pour l'utiliser, ni de la nature de l'utilisation.
Un autre point que j'aimerais soulever est celui du pouvoir discrétionnaire du ministre, parce que le projet de loi parle partout du ministre. Je prends l'exemple du paragraphe 16(1), où on dit:
-
16(1) Le ministre peut prendre, ou
ordonner à toute personne de
prendre...
Donc, il peut déléguer.
-
...les mesures raisonnables
qu'il juge, pour des motifs valables, nécessaires pour
prévenir ou limiter les dangers que l'exercice d'une
activité réglementée constitue ou est vraisemblablement
susceptible de constituer pour la santé humaine,
l'environnement, la dignité...
après l'environnement,
-
...ou les droits de la personne.
C'est un pouvoir sans limite et peut-être nécessaire, mais il faut au moins prévoir une procédure d'appel, parce que c'est un pouvoir discrétionnaire qui est extrêmement large.
Il y a aussi un registre de prévu au paragraphe 21(1), qui permet au ministre:
-
d'utiliser les renseignements biologiques...
N'oubliez pas que ce sont des renseignements qui identifient.
-
...ainsi que les autres
renseignements relatifs aux activités réglementées
[...] pour détermination des risques pour la santé et
la sécurité, des violations possibles des droits de la
personne ou des questions de morale relatives aux
techniques d'assistance à la procréation.
Donc, il a un pouvoir discrétionnaire très large sur les questions de morale et, au paragraphe 21(2), on dit qu'il «tient un registre où figurent les renseignements biologiques». Donc, on a à la fois la création d'un mégafichier, en 21(2), et un pouvoir très étendu et sans limites en 21(1).
Le pouvoir sans limites dépasse même la loi et la Charte, car on donne au ministre un pouvoir sur les questions de morale. En français on dit «morale», mais il faut mettre «éthique», parce qu'en anglais, c'est «ethical». Les mots «ethical» et «morale» sont différents. Je n'ai pas le temps de vous expliquer, mais il faut quand même avoir une conformité dans la terminologie. Pourquoi peut-on avoir un pouvoir discrétionnaire qui n'est même pas fondé ou limité par la Charte, qui dépasse la Charte, pour aller dans les questions de morale ou d'éthique, que personne ne peut contrôler?
Je trouve qu'on devrait s'arrêter et limiter les pouvoirs du ministre, comme c'est le cas pour tout autre citoyen canadien, à ce que prescrit la Charte, et ne pas laisser la porte ouverte à des questions de convictions personnelles ou à la position d'un parti politique quelconque.
S'il faut qu'il y ait un mégafichier, c'est l'agence réglementaire, s'il y en a une, et non le ministre qui devrait l'avoir. On aura un organisme indépendant et ça causera moins de problèmes. Je pense que l'histoire politique de l'année passée ici, à Ottawa, démontre les dangers d'avoir un mégafichier à l'intérieur d'un gouvernement, dans un ministère de la Santé.
• 1630
Parlons maintenant du statut de l'organisme
de réglementation. D'autres
personnes, dont Françoise
Baylis qui, je pense, a comparu devant vous il n'y a pas
longtemps, ont souligné
la nécessité d'avoir
des dispositions relatives à la création et au
fonctionnement de l'organisme de réglementation.
C'est mentionné dans votre document
intitulé Aperçu, mais il y a une absence
statutaire de
dispositions à cet effet.
J'arrive à ma conclusion, soit au septième point de mon exposé, qui porte sur la proposition d'un mode de régulation plus flexible. On comprend pourquoi vous avez choisi le Code criminel. On comprend aussi pourquoi certaines prohibitions, par exemple la commercialisation des activités de procréation comme les mères porteuses, devraient figurer dans le Code criminel. On comprend pourquoi le clonage reproductif devraient figurer dans le Code criminel. Certains croient même que la thérapie germinale devrait y figurer. Ce n'est pas mon cas, mais d'autres le pensent. On le comprend aussi pour la création délibérée d'embryons pour la recherche.
Pour ma part, je trouve qu'on devrait mettre dans le Code criminel certaines techniques au sujet desquelles il y a consensus pour dire qu'il ne pas y avoir de recherche, qu'il s'agit de techniques que l'on devrait, d'une façon prospective, prohiber avant même qu'on puisse y avoir recours. Ça, c'est différent des techniques qui sont problématiques à ce moment-ci de l'histoire, mais qui pourront, à l'avenir, être très prometteuses pour l'humanité comme, par exemple, le clonage thérapeutique ou comme, selon moi, la thérapie germinale. On n'est pas prêts à cela, mais ça devrait peut-être être vu autrement, par la création ou par le transfert de pouvoirs à l'organisme réglementaire. L'organisme réglementaire pourrait, bien sûr, respecter les dispositions du Code criminel, mais avoir une liste d'activités qui sont sur une liste moratoire. On dirait qu'on n'est pas prêts pour le moment, qu'on n'en connaît pas les implications, que ce n'est pas sécuritaire, que c'est peut-être même dangereux pour la santé des Canadiens, mais qu'on ne veut pas les prohiber dans le Code criminel, parce que ça va trop loin.
Entre-temps, on pourrait permettre à l'organisme réglementaire d'engager les Canadiens dans une discussion sur la thérapie germinale, par exemple, sur le clonage thérapeutique, qui sera vraiment une technique prometteuse pour diminuer la souffrance et la douleur des êtres atteints de certaines maladies.
Donc, je propose un aménagement législatif qui permettrait à l'organisme réglementaire d'engager une discussion avec le public. On n'a pas eu de discussion au Canada sur la thérapie germinale. Tout le monde a tout de suite dit non, et cela a été réglé et fini. On ne veut pas ça. C'est vrai qu'on ne veut pas ça maintenant, mais cela ne veut pas dire qu'on ne devrait pas amorcer une discussion publique. C'est la même chose pour le clonage thérapeutique.
Si une clinique ou un chercheur n'a pas l'autorisation nécessaire ou si l'activité figure sur la liste moratoire, les sanctions criminelles s'appliqueraient automatiquement. Cela donnerait quand même une certaine crédibilité à la liste moratoire, ce qui n'existait pas dans le cas de Mme Marleau il y a 10 ans.
Quels sont les autres points de discussion? J'en ai mis trois, mais je vais en ajouter un autre auquel je viens de penser.
Dans le titre de l'avant-projet de loi, on parle d'un «projet de loi régissant l'assistance à la procréation», alors que les trois quarts des éléments qu'on trouve là-dedans parlent plutôt de l'utilisation du matériel reproductif. Il serait préférable d'avoir un titre qui reflète mieux le contenu. Il faudrait donc ajouter «et l'utilisation du matériel reproductif».
On constate que les gens peuvent demander la destruction de leurs gamètes ou de leurs embryons ou de renseignements personnels, mais si on ne le demande pas, est-ce qu'ils seront là ad vitam aeternam? Est-ce qu'ils seront là pour toujours? Est-ce qu'on devrait donner à cette agence réglementaire le pouvoir de faire une révision du sort de ces embryons à tous les 10 ans, même si on en a peut-être besoin pour longtemps, afin de voir certains aspects relatifs à la santé et à la sécurité?
• 1635
N'oubliez pas qu'en Angleterre, on n'a pas prévu cela,
et il a fallu détruire des milliers et des milliers
d'embryons. Donc, il faut une limite dans le temps ou,
à tout le moins, un pouvoir de révision.
Il n'y a pas de mention, dans l'avant-projet de loi, de la parthénogenèse. Il n'a pas de mention de l'ectogenèse non plus, mais en étudiant les articles, on voit que c'est quand même couvert. La parthénogenèse est importante, car on a fait une découverte en Australie. Je vais citer:
[Traduction]
-
Adélaïde—Des chercheurs australiens ont annoncé mardi qu'ils
avaient trouvé une façon de fertiliser un ovule avec des cellules
prélevées sur n'importe quelle partie du corps, plutôt qu'avec des
spermatozoïdes.
[Français]
C'est une autogénération. Cela permet la création d'une autre personne par la stimulation d'un ovule, sans un autre gamète, sans une autre cellule reproductive.
[Traduction]
-
Cette découverte est porteuse d'espoir pour les hommes stériles et
même pour les couples de lesbiennes.
[Français]
On sait qu'on était capable de le faire avec les grenouilles dans les années 80. On fait beaucoup d'annonces scientifiques et il reste à savoir quelle est la vérité relativement à ces techniques, mais il faut quand même prévoir ça dans la loi.
En conclusion, j'aimerais vous dire que c'est le moment d'agir, mais comme on l'a dit dans l'éditorial de Science du 26 octobre: «Legislate in haste, repent at leisure».
C'est un commentaire sur le Human Cloning Prohibition Act des États-Unis.
Je ne sais pas si vous avez vu, le 9 août, le président Bush qui parlait à la télévision des lignées cellulaires qui étaient disponibles pour l'humanité. On a appris quelques semaines plus tard qu'il n'y en avait pas autant qu'il le pensait, que la qualité n'était pas du tout conforme à ce qu'il avait dit et que la plupart des lignées cellulaires humaines—et non de souris—de qualité, étaient entre les mains du secteur privé.
Je sais que c'est le moment d'agir. Je ne suis pas contre, mais il y a encore des petits aménagements à faire pour que la loi ou la position canadienne soit à la fois prospective et bien réfléchie. Merci.
[Traduction]
La présidente: Merci, professeure Knoppers.
Nous allons passer à la prochaine partie de la séance, soit les questions des députés, et je commencerai avec M. Manning.
M. Preston Manning (Calgary-Sud-Ouest, Alliance canadienne): Je vous remercie toutes les trois d'avoir ajouté à notre bagage déjà excessif d'informations. Vous avez abordé un grand nombre de sujets, mais nous respectons votre expertise et nous vous remercions.
Je voudrais d'entrée de jeu faire une brève observation—et non poser une question, au sujet de l'argument du professeur Downie concernant un organisme national de surveillance. Je sais que certains membres du comité pensent vraiment que l'organe de réglementation créé par cette mesure deviendra une telle instance. Au rythme où progresse la présente législature, il faudra de trois à cinq ans pour obtenir cet organisme de surveillance nationale si l'on procédait directement. Il s'ensuit que la voie à suivre pour y arriver est peut-être de commencer par là. À sa naissance, il y a 38 ans, l'Office national de l'énergie réglementait un pipeline et deux contrats d'exportation. Aujourd'hui, l'office est le principal organe de réglementation du secteur énergétique. Par conséquent, peut-être qu'à un autre moment, nous pourrions discuter de l'opportunité de prendre cette voie pour obtenir un organisme par rapport à un autre.
En fait, j'ai deux questions qui portent sur l'organisme de réglementation. Nous convenons tous que l'une des caractéristiques d'un tel organisme est l'autorité et l'intégrité morales. Il sera appelé à prendre des décisions sur des questions qui, aux yeux de la population, relèvent du bien et du mal, et non seulement sur des aspects techniques. À votre avis, comment pourrait-on s'y prendre pour faire place dans la loi à des considérations et à des valeurs morales, pour insuffler dans les délibérations et les décisions de cet organisme une composante éthique? Y a-t-il un élément qui devrait être intégré à la mesure, à la structure ou à l'orientation de l'organisme pour garantir la dimension éthique?
Dre Suzanne Scorsone: C'est ce que j'essayais de faire comprendre lorsque j'ai dit que cette instance devrait relever du ministre de la Santé car de cette façon, elle serait comptable devant la population canadienne par l'entremise des représentants élus du pays.
• 1640
Évidemment, la composition de cette instance revêt une extrême
importance—qui sont ces personnes, quelle est leur expertise et
quelles sont leurs qualités humaines? Cela va plus loin que les
strictes compétences qui peuvent figurer sur le CV de quelqu'un. Il
faut aussi tenir compte de la feuille de route de la personne,
savoir si elle a manifesté dans son cheminement antérieur
perspicacité et respect. Mais à mon avis, c'est uniquement en
faisant en sorte que le Parlement puisse tenir compte de l'opinion
recueillie par les députés dans leur circonscription, selon des
modalités précisées dans une mesure législative ou dans sa
structure, que cet organisme sera sensible aux préoccupations des
Canadiens en matière d'éthique.
Mme Jocelyn Downie: Je pense qu'on peut atteindre cet objectif de diverses façons et il faudra nécessairement adopter des approches multiples pour y arriver. La première chose à faire est de s'assurer que l'éthique façonne l'énoncé de l'objectif de la mesure habilitante, par exemple. Si l'on regarde la mesure à l'étude, il y est fait beaucoup plus souvent mention des valeurs fondamentales que dans les préambules que l'on voit habituellement dans la législation, et je pense que cela contribue à planter le décor et à affirmer que l'éthique est partie prenante de cet exercice.
La deuxième chose que vous pouvez faire est d'énoncer clairement dans le mandat de l'organisme qu'il doit tenir compte des aspects éthiques de l'évolution des interventions et des technologies diverses sur lesquelles il devra se pencher. Je pense que la description que l'on fait de l'organe de réglementation dans l'avant-projet de loi lui-même représente un recul par rapport à ce qui figure dans le préambule. Il devient un instrument de délivrance d'autorisation très technique, notamment dans les dispositions portant sur les pouvoirs d'inspection. On perd de vue l'importance de l'éthique dans tout cela, mais on pourrait l'intégrer dans l'énoncé du mandat de l'organisme, ce qui ne figure pas encore dans la mesure. Je pense que l'on pourrait fort bien faire place à l'éthique dans cette partie.
En outre, vous pourriez intégrer cet aspect par le biais de la composition de l'organisme en faisant en sorte de réunir autour de la table les experts dont on a besoin, pour revenir sur ce qui a été dit tout à l'heure. Faites en sorte que la voie de l'éthique ne soit pas isolée. Il est souvent très difficile de se faire entendre si l'on est le seul porte-parole d'un domaine en particulier. Bien souvent, des éthiciens vous diront que dans une réunion du conseil d'éthique sur la recherche, ils sont à onze contre un, constamment, et c'est toujours l'éthicien ou l'éthicienne qui est en minorité. Il faut que vous trouviez un moyen de contrer ce phénomène. Cela ne veut pas dire que l'éthicien ou l'éthicienne doit avoir le dessus dans toutes les discussions ou quoi que ce soit, mais il faut reconnaître qu'il y a quelque chose qui cloche lorsqu'il y a constamment onze voix contre une. Je vous invite à réfléchir à ce sujet et à régler le problème de la composition de l'organisme.
Enfin, un dernier point mineur. Je pense que la population canadienne appuierait un organisme qui fait directement rapport au Parlement, plutôt que par le truchement d'un ministère particulier. Voilà pourquoi je préférerais que l'organisme ne dépende pas de Santé Canada et qu'il fasse rapport à un niveau plus élevé. Ces agences, commissions et autres, pour autant que j'en comprenne la structure, peuvent faire cela. Il me semble que cela serait très sain car ainsi, il n'y aurait pas de conflits entre les mandats. Chose certaine, Santé Canada doit veiller à certaines choses.
S'il faut intégrer l'organisme de surveillance à un ministère, je l'intégrerais à Santé Canada, de préférence à Industrie Canada, où l'on a placé Génome Canada, ce qui pose des problèmes considérables en raison des conflits d'intérêts que cela suscite. Néanmoins, je préférerais une reddition de comptes à un niveau plus élevé. Encore une fois, on communique ainsi le message que l'intérêt public est primordial. Lorsque vous faites rapport au Parlement, c'est sur de grands enjeux d'intérêt public, et tous les aspects du gouvernement y sont représentés. Je pense que de cette façon, le volet éthique peut aussi être un peu plus évident.
Mme Bartha Maria Knoppers: Je suis tout à fait d'accord avec cet argument. J'appuie cette idée de faire rapport directement au Parlement, et non par l'entremise d'un ministère ou d'une agence quelconque alors que les querelles de clocher et les ambitions politiques peuvent amener les ministres à adopter certaines positions.
En outre, j'estime que ce serait une erreur de donner aux citoyens la possibilité d'influencer directement cet organisme par l'entremise de leur représentant. Cet organisme devrait être indépendant. Certes, il devrait rendre des comptes au Parlement, mais aussi engager son propre dialogue directement avec les Canadiens. Les citoyens doivent avoir le sentiment qu'ils n'ont pas nécessairement besoin de passer par leur député pour avoir leur mot à dire. Je ne dis pas que le processus parlementaire ou le processus politique n'est pas valable ou que les Canadiens ne s'y sentent pas à l'aise pour s'exprimer, mais je pense que la clé de l'indépendance est de constituer un organisme qui soit indépendant, mais qui soit aussi perçu comme étant indépendant. C'est très important.
M. Preston Manning: Dans la même veine, serait-il bon d'établir l'autorité éthique de l'organisme réglementaire en accordant davantage d'attention à la définition statutaire de matériel reproductif humain? Nous avons posé la question à l'avocat du ministère—et encore une fois, nous ne sommes que des profanes. Nous voulions savoir si le matériel reproductif humain est un bien. Est-ce ainsi qu'il faut le considérer, comme un bien dont quelqu'un est propriétaire, etc. En l'occurrence, ce matériel relèverait du droit de la propriété. Si ce n'est pas un bien, si c'est une vie humaine, cela fait pencher davantage la balance du côté du droit de la famille et auquel cas, nous en sommes les dépositaires. Il nous a répondu—je pense qu'il est assis à l'arrière et que cela risque de l'intéresser—que cette mesure traitait ce sujet comme unique et qu'elle tentait de le définir aux fins de la présente mesure.
Jugez-vous que cela est satisfaisant ou qu'il serait préférable d'énoncer dans la mesure le statut moral de l'embryon et l'aspect vie humaine de ce matériel pour que dans toutes ses activités, l'organisme de réglementation envisage ce matériel à travers ce prisme. Je sais que c'est une question compliquée, mais je pense que vous savez où je veux en venir.
Mme Bartha Maria Knoppers: Je pense que le caractère unique que l'on reconnaît à ce matériel est tout à fait opportun car autrement, nous allons nous lancer dans le débat classique insoluble à savoir s'il s'agit d'un bien ou d'une personne. Je peux vous nommer autant de pays où l'on pense que c'est un bien et où l'on pense que c'est une personne, et le résultat est le même. Dans la législation sur les technologies de reproduction de ces pays, on accorde le même contrôle sur le matériel reproductif humain. Ce qui importe, c'est le contrôle qu'une personne peut exercer et qui exprime ses valeurs personnelles et ses convictions religieuses, sans se heurter aux écueils de la discussion pour savoir s'il s'agit d'un bien ou d'une personne. Son caractère unique le distingue. Il lui confère son propre statut. Par conséquent, j'estime que c'est la voie qu'il convient de suivre.
M. Preston Manning: Et si nous faisions cela, les tribunaux ne pourraient nous entraîner sur une autre voie, pour autant que la mesure soit claire à cet égard?
Mme Bartha Maria Knoppers: C'est juste.
La présidente: Merci, monsieur Manning.
Monsieur Ménard.
[Français]
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Merci, madame la présidente.
J'ai quatre courtes questions. Je veux bien comprendre l'ensemble des interventions. Est-ce que vous souscrivez à l'interdiction formelle, dans le projet de loi, de la création d'un embryon aux seules fins de la recherche?
Deuxièmement, un des enjeux les plus importants pour ce comité-ci ou la principale recommandation qu'il devra faire, c'est celle concernant les cellules souches. Quand j'ai commencé à m'impliquer dans ce comité, j'étais relativement d'accord sur la position du ministre, mais plus on avance dans l'audition des témoignages, plus je me dis que si on veut être visionnaires, il faut peut-être parler de moratoire, mais certainement pas d'interdiction formelle.
On a eu plein de témoins qui sont venus nous dire que pour la maladie Parkinson, les maladies cardiaques et plein d'autres maladies, il est évident qu'il y a pénurie de réponses à donner à des gens qui souffrent et que, pour leur répondre, on a besoin d'autoriser la recherche sur les cellules souches. Je souhaiterais vous entendre là-dessus.
Troisièmement, ce qui est aussi le plus important pour moi dans les recommandations, c'est que plusieurs témoins—vous le savez, madame la présidente—qui sont venus nous voir ont remis en cause l'anonymat des donneurs. De nombreux témoins nous ont dit que si une personne qui fait un don n'est pas prête à révéler son identité, on ne doit pas lui permettre d'être un donneur. L'argument qui est revenu le plus souvent à l'appui d'une affirmation comme celle-là, c'est l'article 8 de la Convention internationale des droits de l'enfant. L'article 8, au fond, dit qu'on a le droit de connaître son identité.
Quand j'y pense bien et que je regarde le cheminement de chacun d'entre nous, je suis convaincu qu'il n'y a pas beaucoup de personnes dans cette salle qui accepteraient de ne pas connaître la moitié de leur identité.
Donc, croyez-vous que le comité devrait aller de l'avant et qu'il devrait y avoir une disposition explicite quant à l'obligation de révéler l'origine du don qui pourrait éventuellement servir à la création de l'embryon?
Mes quatre questions sont simples, mais importantes.
[Traduction]
Dre Suzanne Scorsone: J'aimerais aborder la question de l'identification du donneur pour les enfants conçus grâce à ces technologies.
• 1650
Je pense que ces enfants, tout comme les enfants adoptés, ont
le droit de savoir qui est leur géniteur, mais non de pouvoir
engager des poursuites juridiques pour réclamer de cette personne
un soutien financier ou autre. Comme dans le cas de l'adoption,
cela n'est pas possible, mais pour ce qui est de connaître
l'identité de la personne en question, je n'y vois pas d'objection.
Étant donné que c'est un geste que les gens posent en toute
connaissance de cause, ils ont le choix. Ils ne sont pas obligés de
faire un don s'ils ne veulent pas que leur identité soit révélée.
Quelqu'un qui faisait partie de la commission sur la bioéthique de la Suède m'a dit que lorsque le gouvernement a adopté une loi conférant à l'enfant le droit de connaître l'identité de son géniteur à l'âge de la maturité, à ne pas confondre avec l'âge de la majorité, au début, le pourcentage de dons a chuté radicalement. Les jeunes hommes qui voulaient simplement gagner de l'argent pour s'acheter de la bière pour la fin de semaine ont renoncé. Ensuite, le pourcentage est revenu à son niveau antérieur parce que les hommes qui avaient des enfants, des pères de famille se sont sentis solidaires des personnes qui ressentaient le besoin de procréer et ont commencé à faire des dons.
Il y a bien des gens dans notre société qui ne pensent pas que l'insémination artificielle par donneur soit une idée géniale de toute façon, mais comme c'est une pratique légale, il faut qu'elle puisse se faire de la façon la plus éthique possible. Nous avons procédé autrement que dans le cas du sang, où nous avons sollicité activement des dons à l'intérieur du pays. Essentiellement, nous avons offert aux gens divers incitatifs. Même si en principe, les 50 ou 75 $ que l'on verse aux donneurs sont censés couvrir leurs dépenses, dans les faits, c'est un incitatif. C'est vraiment cela.
En outre, je signale que dans l'ébauche de projet de loi une disposition fait mention de la possibilité d'en faire l'acquisition auprès d'autres pays. Dans d'autres pays, il est possible d'acheter du sperme, ce qui pose toutes sortes de risques pour la santé et ce qui convient au principe qui serait établi dans la loi. Par conséquent, ce qui serait interdit à l'intérieur du pays, c'est-à-dire acheter le sperme d'un donneur, serait néanmoins autorisé lorsque l'acquisition se ferait auprès d'un autre pays. Il faut trouver des moyens de recueillir du sperme à l'intérieur de nos frontières. Il faut trouver des sources—je suppose que des sources «maison» n'est pas tout à fait le terme qu'il faudrait employer—des moyens de collecter le sperme à l'intérieur de nos frontières. Cela faciliterait également l'identification. En l'occurrence, les donneurs potentiels devraient faire face à la question de l'identification d'entrée de jeu. En fait, il y aurait une possibilité que leur identité soit révélée. Cela signifie également qu'il faudrait conserver de façon fiable les dossiers, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à maintenant.
[Français]
Mme Bartha Maria Knoppers: Premièrement, au sujet de la question de la création des embryons, c'est un des domaines où je mettrais un moratoire plutôt qu'une prohibition pour le moment, même si j'ai personnellement d'autres... Je pense qu'on peut prévoir. C'est facile de dire aujourd'hui qu'il y a beaucoup d'embryons surnuméraires. Oui, c'est vrai, mais à l'avenir, les techniques d'assistance à la procréation seront tellement raffinées qu'il ne restera plus de ces embryons surnuméraires. On ferait donc mieux d'envisager cela et de ne pas tomber dans la facilité en disant qu'on va utiliser les «surplus». Il faut prendre le temps d'avoir une discussion publique et mettre cela sur une liste moratoire pour le moment.
Je ne vois pas que la recherche sur les cellules souches est prohibée. Ce qui est prohibé par cet avant-projet de loi, selon moi—je ne suis par chercheure en sciences pures et je me trompe donc peut-être—, c'est à la fois le clonage reproductif et le clonage thérapeutique. Mais puisque la recherche sur les embryons n'est pas prohibée, la recherche sur des cellules embryonnaires n'est pas forcément prohibée.
M. Réal Ménard: Mais la création d'un embryon aux seules fins de la recherche est prohibée.
Mme Bartha Maria Knoppers: Oui, c'est vrai, et c'est ce que j'aimerais mettre sur une liste moratoire. Quand on dit qu'on ne peut plus faire de recherche sur les cellules souches, ce n'est pas vrai. Je mettrais ce moratoire, par exemple, sur le clonage thérapeutique, qui, avec la combinaison de toutes sortes d'articles ici, est prohibé actuellement, en plus du clonage reproductif. Donc, il faut faire ces distinctions parce qu'en science, ça se tient.
Pour ce qui est de l'anonymat, dans la Convention internationale des droits de l'enfant, l'article qui parle du droit de l'enfant, et non de l'identité, parle du droit de l'enfant de connaître ses parents dans la mesure du possible.
• 1655
C'est un extrait que je connais par coeur.
Pourquoi? Parce qu'on a souvent utilisé le droit de
l'enfant de connaître ses parents dans la mesure du
possible comme un droit à la connaissance
de ses origines, comme un droit à
l'identité. Or, ce n'est pas cela. On a mis ça là à la
demande de l'Argentine, pour les jeunes femmes qui, pendant
la période de la junta, ont été
emprisonnées et ont accouché avant d'être
tuées. Leur enfant était caché. Souvent il était
donné en adoption clandestine, et c'étaient
les grands-mères
qui cherchaient ces enfants.
Cependant, quand on lit les travaux préparatoires de la Convention internationale, on constate qu'on avait surtout en tête les enfants qui étaient sans pays et souvent sans parents, en ce sens qu'on ne savait pas où étaient leurs familles. On ne définit pas ce qu'est un parent dans la convention. La convention n'a jamais étudié la question des technologies de reproduction et de l'anonymat du sperme. Donc, cela n'a jamais fait partie des travaux préparatoires de la convention et on utilise cette convention comme source d'un droit qui n'existe pas.
On dit «dans la mesure du possible» aussi. On ne dit pas que c'est un droit absolu, si le droit aux origines existe. L'idée est plutôt d'être capable de retrouver ses parents. Mais qu'est-ce que c'est, un parent?
M. Réal Ménard: Vous savez qu'au Canada—et c'est même financé par Santé Canada—, il y a une association de gens qui sont nés grâce aux technologies de la reproduction qui a comparu devant ce comité. Peut-être pouvez-vous voir son mémoire.
L'article 8, qui porte sur le droit de connaître ses parents, ne vous incite-t-il pas à faire un glissement épistémologique et à dire que cela veut dire le droit de connaître ses origines? Faites-vous à ce point une distinction entre les termes de droits substantifs?
Mme Bartha Maria Knoppers: Pour moi, le droit aux origines n'est pas un droit substantif. Si c'était un droit substantif, ce serait seulement un droit en émergence. Ce n'est pas encore reconnu.
M. Réal Ménard: C'est embryonnaire.
Mme Bartha Maria Knoppers: C'est embryonnaire, exactement. Voici ce que je peux vous dire sur le droit aux origines. Quant au droit de la famille—je me limite au Canada—, depuis 20 ans, on a essayé, dans les lois portant sur la filiation, dans tout ce qui relève de l'état civil, de reconnaître la famille sociologique. Donc, on a laissé tomber la présomption de paternité comme déterminant pour reconnaître les familles reconstituées, les familles sociologiques, psychologiques, pour assurer la stabilité, la continuité et la sécurité de l'enfant. C'est donc la règle in loco parentis: quelqu'un qui a agi comme père en vertu de la Loi sur le divorce peut être forcé de payer des aliments, même s'il n'est pas biologiquement lié à l'enfant, parce qu'on reconnaît ce qui est important: la stabilité, la continuité et la sécurité de l'enfant. Donc, le droit de la famille dévie complètement de l'approche généalogique de l'ancien temps où tout était lié à héritage, à la succession, au patrimoine.
Le troisième argument porte sur l'adoption. L'adoption a quand même eu lieu parce qu'il y a eu une relation, peut-être pas très longue, entre deux personnes vivantes qui ont décidé, délibérément ou à leur insu, de faire un enfant. Donc, il y a quand même eu relation humaine. Ce n'est pas la même chose que de laisser un dépôt de sperme ou un ovule lors d'une hystérectomie.
M. Réal Ménard: L'argument des associations, c'est que dans l'état actuel du droit, lorsque des parents font une demande pour devenir des parents adoptants, s'ils affirment publiquement qu'ils ne veulent pas faire connaître les vrais parents des enfants, on ne leur reconnaîtra pas le droit à l'adoption. C'est le parallèle avec l'adoption que font les associations qui se sont présentées devant nous.
Mme Bartha Maria Knoppers: Oui, et l'adoption a beaucoup, beaucoup changé. Auparavant, on n'en parlait pas. C'était caché comme le cancer, comme les maladies psychiatriques, etc.
La transparence de l'adoption a avancé. On le dit maintenant aux enfants parce qu'en vertu des lois canadiennes et des lois provinciales, s'il y a un consentement de la part de la personne qui a abandonné l'enfant et de la part de l'enfant, une fois qu'il a atteint l'âge de la majorité, ils pourraient se rencontrer. Ça pourrait se faire par les registres et tout ça, et vous le savez. Donc, il y a des mécanismes. Dans les lois—je peux vous en nommer cinq ou six où on parle de l'anonymat—, on dit que si un enfant conçu par procréation assistée cherche ses origines et a des problèmes psychologiques ou des problèmes de santé, il y aurait moyen de répondre à ses besoins psychologiques et physiologiques.
Donc, déjà il y a des mécanismes. J'ai vu que le projet de loi dit que si le donneur dit oui, l'enfant peut...
• 1700
Pour revenir à cette
notion que ne nous sommes que la somme
de nos gamètes, c'est très
réductionniste et ça renforce l'argument selon lequel ce sont
les gènes qui déterminent qui nous sommes.
Je ne pense pas que
nous soyons seulement la somme totale de nos gènes.
La présidente: Excusez-moi.
[Traduction]
Monsieur Ménard, vous avez utilisé environ 13 minutes, de sorte que je dois vous interrompre.
M. Réal Ménard: Merci. Vous êtes très généreuse envers moi.
[Français]
Mme Bartha Maria Knoppers: C'est ma faute.
[Traduction]
La présidente: C'est simplement qu'il m'était difficile de m'interposer entre vous deux. Vous étiez comme deux danseurs.
M. Réal Ménard: Je suis désolé, mais je dois partir pour prononcer un discours à la Chambre.
Mme Bartha Maria Knoppers: D'accord.
M. Réal Ménard: Au sujet de la marijuana—vous connaissez cela?
La présidente: Mme Wasylycia-Leis est la suivante.
Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Centre-Nord, NPD): Je sais que Suzanne aurait voulu répondre à la question de Réal, et je vais m'arranger pour poser une question suffisamment courte pour qu'elle puisse le faire.
La présidente: Vous n'allez pas aborder la question de l'anonymat, n'est-ce pas?
Mme Judy Wasylycia-Leis: Non.
La présidente: Réal a raté cette séance, mais nous nous sommes déjà mis d'accord pour rejeter l'anonymat. C'est une question qui a déjà fait l'objet d'un consensus.
M. Réal Ménard: Qu'avez-vous dit?
La présidente: À l'occasion d'une séance que vous avez manquée, il s'est dégagé un consensus entre les députés présents pour ne plus autoriser l'anonymat dans notre projet de loi. Vous avez raté cette séance et c'est pourquoi vous avez posé une série de questions sur un sujet à propos duquel les autres députés ou en tout cas une majorité d'entre eux étaient déjà arrivés à une conclusion.
M. Réal Ménard: Vous êtes donc d'accord avec ma position?
La présidente: Qui est de ne pas permettre l'anonymat?
M. Réal Ménard: Oui.
La présidente: Oui.
M. Réal Ménard: Super!
La présidente: Tout le comité était d'accord. En fait, je pense qu'il y avait unanimité.
M. Réal Ménard: La vie est bonne pour moi.
La présidente: Vous gagnez quelques batailles, monsieur Ménard.
Passons maintenant à Mme Wasylycia-Leis.
Mme Judy Wasylycia-Leis: Étant donné que j'ai manqué quelques séances, il se peut fort bien que j'aborde un sujet qui a déjà été discuté.
Tout d'abord, je tiens à exprimer toute ma reconnaissance aux témoins qui ont présenté des exposés aujourd'hui. Je sais que Jocelyn devait partir, mais j'aurais beaucoup aimé discuter de sa suggestion de...
La présidente: Faire une distinction entre la thérapie et...
Mme Judy Wasylycia-Leis: Absolument, ainsi que de cette idée de faire rapport directement au Parlement. En effet, j'ai beaucoup de mal à imaginer de quelle façon cela pourrait favoriser la responsabilisation et l'implantation de freins et contrepoids. J'aimerais beaucoup avoir plus de détails sur cette idée. Peut-être les deux autres témoins pourraient-ils nous en toucher un mot.
Suzanne, je voudrais savoir, de façon générale, quelles sont les plus graves omissions ou écarts si l'on compare le projet de loi aux recommandations de la commission royale.
Je voudrais que vous me disiez précisément, puisque vous avez mentionné que l'avant-projet de loi ne renfermait aucune disposition interdisant les hybrides animal-humain si, à votre avis, les alinéas 3(1)f) et g), qui portent sur la transplantation dans des animaux, répondent à toutes vos préoccupations.
Vous alliez parler des spermatozoïdes, des ovules et, je suppose, de toute la commercialisation dans ce domaine, vous n'en avez pas eu l'occasion. Je voudrais savoir si vous estimez que le projet de loi répond aux attentes pour ce qui est d'interdire clairement la commercialisation dans ce domaine?
Ensuite, il y a évidemment toute la question de la gouvernance, dont vous avez parlé au sujet de Santé Canada...
La présidente: Madame Wasylycia-Leis, comment les témoins pourraient-ils répondre à toutes ces questions?
Mme Judy Wasylycia-Leis: J'ai même une autre question après cela.
La présidente: Pourquoi ne pas en choisir une qui vous intéresse vraiment? Laquelle voulez-vous privilégier?
Mme Judy Wasylycia-Leis: Les trois, je crois. On pourrait répondre aux trois assez brièvement.
La présidente: Vraiment?
Dre Suzanne Scorsone: La commercialisation est un gros problème, que j'ai évoqué dans le mémoire que j'ai remis. Certes, on a tenté de s'y attaquer et il y a dans la mesure législative des propositions très constructives à cet égard. Cela dit, je ne pense pas qu'on ait entièrement résolu le problème de la commercialisation et de la réification.
Sauf erreur—et Bartha me reprendra si je me trompe—la commission royale a recommandé dans son rapport que les activités liées aux technologies de reproduction aient un caractère non lucratif. À ce moment-là, la plupart des cliniques étaient des cliniques sans but lucratif et les interventions avaient lieu dans les hôpitaux, dans les universités, etc. Depuis, les banques de spermes privées, les cliniques commerciales en tous genres se sont multipliées. Certaines sont des entreprises commerciales, d'autres non, et à mon avis, ces dernières engendrent des conflits d'intérêts évidents. Les médecins, bénis soient-ils, font des choses merveilleuses, mais il arrive souvent qu'une personne dont le seul outil est un marteau voit des clous partout. Il s'ensuit qu'ils essaient d'appliquer les techniques qu'ils connaissent à tout le monde. Si vous savez pertinemment que vous ne remplirez pas les poches de vos actionnaires en vous abstenant de pratiquer une intervention très coûteuse et en renvoyant le patient chez lui en lui recommandant de boire du thé pendant un an, la tentation sera forte de faire des recommandations qui ne seront pas nécessairement dans le meilleur intérêt du patient.
• 1705
C'est la même chose pour le paiement à l'acte. Je préférerais
que les médecins et tous les intervenants pratiquant dans ce
domaine soient très bien payés, très bien rémunérés pour leur
expertise, mais salariés, pour qu'ils ne soient pas tentés
d'augmenter le nombre de leurs interventions. Cela contribuerait
également à leur éviter l'épuisement dû au surmenage.
On a commencé à se pencher sur la question de la réification, mais je souhaiterais qu'il y ait dans la mesure une disposition qui interdise la propriété de cellules embryonnaires, d'embryons ou de quoi que ce soit qui participe naturellement du génome humain ou même des gènes humains naturels. Que ce soit des actionnaires légitimes, des chercheurs ou des sociétés pharmaceutiques, les divers intervenants peuvent certainement tirer des profits légitimes de la propriété intellectuelle liés à la culture, ils peuvent gagner des profits ou du prestige professionnel pour avoir été à l'origine de ces choses, pour avoir vendu les produits, comme la dopamine ou l'insuline. Tout cela est possible sans être pour autant propriétaire d'un gène ou de la totalité du génome humain d'un individu. Je pense qu'on peut établir des parallèles certains avec l'ensemble des ressources biologiques. Prenons l'exemple du gène d'un arbre en particulier qui existe depuis des millions d'années. Voilà qu'un scientifique arrive, qu'il en fait la description et qu'il affirme soudain en être le propriétaire, ce qui est plutôt absurde, sans parler des implications pratiques de l'affaire. Par conséquent, je souhaiterais que des dispositions législatives précises interdisent toute possibilité d'être propriétaire de matériel génétique.
Pour ce qui est des hybrides animal-humain, il est évident que la transplantation d'embryons ou de gamètes les uns dans les autres, de l'humain à l'animal et de l'animal à l'humain, est une étape très positive, mais à moins que je me trompe, je n'ai vu aucune disposition qui stipule qu'il n'y aura pas de fusion de gamètes entre un animal et un humain. J'ai entendu des anecdotes selon lesquelles cela se ferait. J'ai entendu parler de gens qui ont une photo de leur hamster affichée dans leur bureau, leur petit hybride humain-hamster.
Mais si l'on autorise les chimères—et c'est prévu—, ce sont là, en un sens, des hybrides animal-humain. S'il y a une chose qui a fait l'unanimité parmi toutes les personnes consultées, c'est qu'il ne devrait pas y avoir de fusion entre l'animal et l'humain. C'est bien différent que de prendre un gène ou une petite partie de la séquence des nucléotides d'un animal et de l'introduire à une position analogue dans un noyau humain ou un chromosome humain car cela s'apparenterait davantage à la transplantation d'une valve cardiaque porcine. Ce serait une pièce. Ce ne serait pas une caractéristique d'une autre espèce.
La présidente: Merci.
En fait, votre intervention a duré six minutes.
Mme Judy Wasylycia-Leis: Ai-je encore du temps?
La présidente: Le problème, c'est que le temps file et que la liste est encore longue.
Mme Judy Wasylycia-Leis: D'accord.
La présidente: Il me faut donc demander aux témoins d'être aussi succincts que possible. Ne nous dites pas tout ce que vous savez, transmettez-nous l'élément le plus simple de vos connaissances.
Dre Suzanne Scorsone: Croyez-moi, comme quatre ans se sont écoulés, nous ne vous disons pas tout ce que nous savons.
La présidente: Cela prend quand même beaucoup de temps.
Monsieur Lunney, je vous prie.
M. James Lunney (Nanaimo—Alberni, Alliance canadienne): Merci.
Je voudrais faire suite aux propos de Mme Wasylycia-Leis au sujet des chimères. J'ai trouvé intéressant que vous disiez que ce serait une étape positive que d'avoir une fusion animale et humaine. Je n'ai pas tout à fait saisi le sens de votre déclaration.
Dre Suzanne Scorsone: Il ne s'agissait pas des chimères, mais bien de l'interdiction relative à la transformation d'un embryon de l'un à l'autre. C'est ça qui est constructif, et non les chimères.
M. James Lunney: Je comprends.
Il y a environ six milliards d'êtres humains sur la terre, peut-être plus, cela dépend des estimations. Lorsque vous évoquez la possibilité de prendre un gène animal et de l'introduire dans un humain, je m'interroge. Compte tenu de la richesse du génome humain qui est à notre disposition, pourquoi voudrait-on prendre un gène animal et l'introduire dans le génome humain?
Dre Suzanne Scorsone: Si l'on pouvait procéder d'humain à humain, cela serait certainement préférable. Tout ce que je dis, c'est que nous ne sommes pas en présence du même genre d'obstacle. Si quelqu'un s'adonnait à une forme de recherche particulière dont le fruit ne serait pas une partie d'un embryon qui pourrait devenir un être humain, je pense que cela serait moins problématique que les chimères ou les hybrides animal-humain à part entière, dont il n'a pas été question du tout dans la mesure. Mais une thérapie génétique d'un humain à un humain me semblerait préférable.
M. James Lunney: Merci.
• 1710
Un autre aspect que vous avez brièvement abordé est celui de
la recherche sur les cellules souches. Nous avons entendu beaucoup
de témoins nous parler d'extraordinaires percées réalisées depuis
un an et surtout depuis six mois, notamment à l'université McGill,
par le Dr Freda Miller et d'autres, dont les travaux sur des
cellules souches adultes pourraient déboucher sur une greffe
autologue. Au début, on plaçait beaucoup d'espoir dans les cellules
souches embryonnaires, qui semblaient devoir permettre la guérison
de la maladie de Parkinson, de la maladie d'Alzheimer, du diabète,
etc., étant entendu qu'il y avait risque de rejet du matériau
embryonnaire qui serait greffé. Il apparaît maintenant que nous
avions peut-être de très bonnes raisons d'accentuer nos efforts de
recherche dans le domaine des cellules souches adultes, qui ne
semblaient pas très prometteuses au départ. On constate maintenant
qu'elles sont beaucoup plus prometteuses qu'on le pensait. Je me
demande si vous avez quelque chose à dire là-dessus.
Dre Suzanne Scorsone: Je suis entièrement d'accord avec cela et j'ajouterais, pour faire une petite digression, que si ce n'était du problème de la réification et de la commercialisation, la demande de cellules souches embryonnaires serait peut-être très inférieure à ce qu'elle est. Vous en savez probablement plus que moi là-dessus grâce aux audiences que vous avez tenues, mais nous avons constaté dans le débat aux États-Unis que beaucoup de lignées cellulaires adultes qui existent, je veux dire les lignées de cellules souches somatiques, appartiennent à des compagnies privées et d'autres sont mécontents de ne pas y avoir accès. En fin de compte, ce problème a été réglé. Je me demande si la demande de cellules souches embryonnaires ne baisserait pas considérablement au Canada si l'on légiférait en vue de refuser de reconnaître les brevets ou la propriété de cellules souches, si tout le contenu de ces lignées était accessible à tous, de sorte que personne n'aurait la tentation ou la motivation d'essayer de créer des embryons à partir de rien et de dire, voilà, cette lignée de cellules souches appartient à moi ou à ma compagnie, et je vais l'utiliser de préférence à la vôtre, pour laquelle je devrais payer des redevances et m'empêtrer dans une foule de problèmes de permis avec tout ce que cela comporte. Donc, si tout le monde a librement accès à des lignées de cellules souches adultes, ne pouvons-nous pas faire tout le bien sur lequel tout le monde est d'accord, sans avoir besoin de recourir à un procédé aussi problématique sur le plan moral que l'utilisation de cellules souches embryonnaires?
M. James Lunney: Précisément.
Ma dernière question s'adresse à Mme Knoppers. Vous avez fait observer qu'il n'est pas question dans le préambule du début de la vie.
Mme Bartha Maria Knoppers: Nous ne voulons pas que l'on dise à partir de quel moment la vie commence.
M. James Lunney: Oh, c'est ce que vous avez dit?
Mme Bartha Maria Knoppers: Oui.
M. James Lunney: Ah, je vois.
Mme Bartha Maria Knoppers: Il n'est pas fait mention dans le préambule du principe du respect de la vie humaine.
M. James Lunney: Le respect?
Mme Bartha Maria Knoppers: De la vie humaine. C'est un principe moral fondamental qui manque dans le préambule. Cela n'a rien à voir avec le moment précis où, légalement ou moralement, les pays ou les personnes décident que la vie humaine commence.
M. James Lunney: Il y a beaucoup de craintes. L'ébauche de projet de loi interdit toute recherche sur des embryons après 14 jours. Mais, bien sûr, la réalité est qu'après 14 jours, si l'on extrait de cet embryon les cellules souches, l'embryon cesse d'exister, mais les cellules souches qu'on en a retirées, cellules qui étaient destinées à devenir un être humain, peuvent ensuite être cultivées à perpétuité, sur le plan technique, pour en extraire la dopamine, les neurotransmetteurs pour les malades souffrant de l'Alzheimer, etc. Et il est certain qu'il y a beaucoup d'objections à cette réification. Au fond, c'est comme si l'on faisait l'élevage de tissu humain.
Mme Bartha Maria Knoppers: Je suis d'accord sur le potentiel thérapeutique de cette utilisation des cellules souches, par opposition aux embryons comme tels. Par axiome, on peut faire de la recherche jusqu'à 14 jours sur un embryon, mais une cellule souche a acquis, si l'on devait interdire toute recherche sur les cellules souches, une plus grande valeur morale. En fait, ce serait tout à fait contradictoire. Les cellules souches n'ont pas les qualités ou le statut d'un embryon. Tant qu'un embryon n'est pas implanté, on ne peut même pas être sûr qu'il deviendra une personne. C'est un problème juridique.
Mon argument est qu'à mon avis, il y a parmi les Canadiens un respect intrinsèque pour la vie humaine, ce qui se reflète dans toutes les préoccupations auxquelles donne lieu ce projet de loi. Nous traitons de tout cela, jusqu'aux cellules et aux gènes et même aux conséquences génétiques et tout le reste, et pourtant cela ne figure pas dans le préambule alors que c'est une valeur fondamentale des Canadiens. C'est mon argument. Je pense que les gens peuvent respecter la vie humaine, peu importe quelle est leur position sur d'autres sujets plus controversés relativement aux embryons ou aux foetus.
M. James Lunney: Je voudrais faire une dernière observation. Je suis plutôt étonné de vous entendre faire une distinction entre l'embryon et la cellule souche, à laquelle vous ne semblez pas attribuer la même dignité, alors qu'en fait, en retirant cette cellule de l'embryon, vous mettez fin à l'embryon. Cette cellule fait partie intégrante de l'embryon, et vous dites pourtant qu'elle n'a pas de valeur propre et qu'elle peut donc être utilisée comme une chose, tandis que l'embryon ne doit pas l'être.
Mme Bartha Maria Knoppers: Je pense assurément que l'un des objectifs de ce projet de loi est d'éviter la réification. En fait, il est très clair que c'est ce que le législateur tente de faire.
La dignité, comme je l'ai dit, et votre commentaire le fait ressortir en fait, est inhérente, intrinsèque à la personne humaine. Cela figure d'ailleurs dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. C'est une valeur intrinsèque de la personne, d'où découlent tous les autres droits, y compris le droit à la vie, le droit à la protection de la santé, à la vie privée, etc. Je ne dirais pas que les cellules ont cette dignité, parce que ce serait la réduction ultime de la dignité. Les personnes vivantes ont la dignité. Néanmoins, je voulais plaider en faveur de l'inclusion dans le préambule de ce projet de loi du respect de la vie humaine, ce qui, je crois, rejoint votre argument.
La présidente: Merci, docteur Lunney.
Monsieur Merrifield.
M. Rob Merrifield (Yellowhead, Alliance canadienne): J'ai beaucoup de questions et pas beaucoup de temps. Et l'on a déjà répondu à beaucoup de questions. Je vous remercie d'ailleurs d'être venues.
Je suis un peu embrouillé par les témoignages. Mme Downie est partie, mais elle a laissé entendre que le projet de loi est trop polyvalent et qu'il devrait peut-être être scindé en deux mesures, l'une portant sur l'aspect thérapeutique et l'autre sur la recherche, parce que ces deux éléments ont des orientations différentes: la première vise la reproduction et l'autre la recherche sur les cellules souches. Aucun d'entre vous n'a vraiment commenté cela. Je me demande si je pourrais avoir votre opinion là-dessus. Pensez-vous que ce projet de loi est trop polyvalent? Nous y avons travaillé pendant quatre ans.
Mme Bartha Maria Knoppers: C'est une question qui n'a pas été abordée par la commission royale. Il est certain que nous n'en avons pas discuté. J'ai fait partie d'autres comités du Conseil de recherches médicales qui a proposé par exemple de créer un organisme national qui s'occuperait de la thérapie des cellules somatiques. C'était en 1991.
Ce qu'elle disait, c'est qu'il y a tellement de domaines de recherche qui sont controversés, pourquoi créer un organisme de surveillance qui s'occuperait seulement de ce type de recherche, alors que nous avons besoin en fait d'un organisme qui superviserait toutes les recherches en tous genres, génétiques ou autres? Pour elle, les techniques de reproduction sont des thérapies pour traiter l'infertilité. J'ignore combien de Canadiens partagent ce point de vue. Il y en a encore qui croient que c'est de la recherche. Je dirais que depuis un quart de siècle, nous nous sommes intégrés dans une grande mesure. Aujourd'hui, 2,1 p. 100 des enfants australiens vivants ont été conçus et sont nés en application de ces techniques. Elle disait donc que c'est maintenant devenu une thérapie acceptable, mais qui n'en exige pas moins un certain contrôle pour assurer la qualité des services, par exemple en exigeant des autorisations, des permis, etc. Si nous devons exercer un contrôle ou une surveillance de la recherche, faisons-le dans le cadre d'un régime beaucoup plus général.
C'est l'une des premières fois que j'entends parler d'une telle séparation. Il n'en a pas été question à la commission royale. Je trouve que c'est une proposition très intéressante. Je ne suis pas certaine que les chercheurs du Canada seraient d'accord avec moi là-dessus.
Dre Suzanne Scorsone: Je pense que c'est aussi une question d'ordre pratique.
Il y a un historique. La commission a été créée pour étudier les techniques de reproduction, mais on a mis dans le même panier une foule de questions connexes qui ne sont pas à strictement parler des techniques de reproduction assistée et l'on nous a demandé de réfléchir globalement à tout cela et de faire des recommandations. Cela a enclenché le processus. Une recommandation a été formulée et nous voici en train d'étudier cette proposition.
Je pense que bien des gens qui auraient autrement tendance à résister à l'idée de créer un organisme de portée générale chargé d'encadrer la recherche en tous genres, qui risquerait de se mêler de tout et de rien, l'accepteraient par ailleurs pour un secteur qui touche d'aussi près notre humanité, qui touche à ce que nous sommes en tant qu'êtres humains, qui touche à la nature de nos enfants en tant qu'êtres humains, avec toutes les répercussions que cela peut avoir sur le droit familial et dans une foule d'autres domaines dans l'ensemble de la société. C'est ainsi que cette intervention serait peut-être possible dans ce domaine précis alors qu'elle ne le serait pas encore dans d'autres domaines. Je pense que M. Manning a tout à fait raison de dire qu'il se peut très bien que l'expérience soit appliquée ensuite à d'autres domaines, une fois qu'elle aura été mise à l'épreuve et qu'on aura constaté qu'elle est utile, viable et valable. Mais ce qu'on propose ici est faisable. De là à créer un organisme de portée générale qui s'occuperait de tout, je soupçonne que cela ne serait pas accepté pour l'instant.
M. Rob Merrifield: Pour poursuivre dans la même veine, je suis très préoccupé par l'organisme de réglementation. On s'est demandé s'il serait intégré à Santé Canada ou indépendant, et nous avons des divergences de vues là-dessus. Peut-être y a-t-il un élément sur lequel vous êtes toutes d'accord. Si je vous ai bien compris, vous dites toutes que l'organisme devrait relever directement du Parlement plutôt que du ministre. Est-ce bien cela?
Dre Suzanne Scorsone: Et à un niveau très élevé. Chose certaine, je n'envisage pas que cela puisse être un service subordonné, même à l'intérieur de Santé Canada, qui relèverait de quelqu'un qui relèverait lui-même de quelqu'un d'autre, très loin du sommet de la pyramide. Cela devrait relever directement du Parlement, directement par l'intermédiaire du ministre, ou une autre formule que l'on jugerait fonctionnelle.
Mme Judy Wasylycia-Leis: Mais ce sont deux notions différentes que vous évoquez; il relèverait directement du Parlement ou bien du ministre, lequel est comptable devant le Parlement. Je pense que c'est sur ce point que nous avons quelques difficultés à préciser le mécanisme qui conviendrait.
Dre Suzanne Scorsone: C'est mon avis. En fin de compte, c'est vous qui devrez prendre la décision relativement à la structure, et vous savez mieux que moi comment les structures fonctionnent. Je dirai toutefois qu'à mes yeux, en tant que simple profane, il me semble que si un conseil ou une organisation quelconque relève directement du Parlement et lui présente un rapport chaque année, ou à tous les deux ou trois ans, si cette organisation éprouve des difficultés, elle ne pourra pas compter sur une intervention immédiate du ministère qui pourrait mettre des ressources à sa disposition, et il n'y aurait pas non plus de relations et de rapports nuancés de ce point de vue. Par conséquent, la possibilité que cet organisme s'enferme dans une tour d'ivoire est plus grande s'il apparaît seulement périodiquement sur l'écran radar du Parlement que s'il est en relation constante avec des gens, au jour le jour. Voilà ce qui me préoccupe.
Mme Bartha Maria Knoppers: Je soutiens que le rapport doit être présenté directement au Parlement, sans passer par un ministère quelconque ou par un parti politique qui se trouve à être au pouvoir à ce moment-là, pour vraiment s'assurer que toute l'information que recueille cette organisation, tous les pouvoirs qu'elle possède, extrêmement étendus, traitant de questions personnelles extrêmement délicates pour des couples qui tentent d'avoir des enfants, ce qui est tout ce qu'il y a de plus normal en société, que tout cela ne soit pas déprécié davantage, d'abord parce que c'est déjà inscrit au Code criminel, par simple commodité juridique, et aussi par le suivi que nous devrons faire pour ces registres permanents. Je me prononce très fermement contre l'intégration de cet organisme dans un ministère quelconque, afin d'ajouter une nouvelle couche protectrice pour ces couples et ces familles.
M. Rob Merrifield: Merci.
Je pourrais peut-être poser une brève question, parce que je crois que Mme Scorsone y a répondu en ce qui concerne la cellule souche adulte, et ma question fait suite à celle de M. Lunney.
Nous nous précipitons tête baissée dans ces recherches sur les cellules souches embryonnaires, tout ce domaine progresse à un rythme ahurissant et les ressources sont limitées. Mon instinct me dit que nous devrions emprunter la voie qui ne nous conduira pas vers des problèmes moraux, c'est-à-dire les cellules adultes—ou plutôt, ne disons pas adultes, disons non embryonnaires, parce que je crois qu'il y a d'autres moyens d'obtenir des cellules souches. Je voudrais votre opinion là-dessus.
Mme Bartha Maria Knoppers: Si vous considérez une approche d'attribution des ressources comme une approche morale, ce qui est le cas, puisque nous sommes dans un régime de soins de santé universel, l'accès et la disponibilité étant une question d'ordre moral, si nous devions prioriser afin de mettre au point ces techniques ou la capacité de créer une nouvelle peau pour les victimes de brûlures ou bien pour ralentir la croissance de certaines maladies débilitantes que nous ne pouvons pas guérir, je pense que la cellule embryonnaire—des cellules tirées d'embryons inutilisés qui seraient détruits de toute façon—représente la voie à suivre en matière de recherche, sous réserve de l'encadrement que nous prévoyons dans ce projet de loi. La recherche sur les cellules souches adultes se fera de toute façon, simplement à cause de la capacité autologue. Des chercheurs croient qu'il y aurait moins de rejets parce que ce sont les mêmes gènes, etc. Mais je pense que pour la plupart des gens, la recherche sur les cellules embryonnaires est la plus prometteuse, en ce sens qu'elle peut déboucher sur des thérapies plus immédiates dans un plus grand nombre de domaines.
M. Rob Merrifield: Fondez-vous cette opinion sur quelque chose de solide, ou seulement sur votre instinct?
Mme Bartha Maria Knoppers: J'ai lu les témoignages de tous les scientifiques qui ont comparu devant vous et je pense qu'en eux-mêmes, ils démontrent, en plus de la littérature publiée, que ce n'est pas aussi prometteur qu'on le croyait d'abord et que c'est connu dans les milieux scientifiques que les cellules adultes ont des capacités moindres et n'ont pas toutes les qualités nécessaires pour ce que j'appellerais une approche plus démocratique de la thérapie des cellules souches, servant le plus grand nombre possible de personnes. Mais à l'heure actuelle, sur le plan scientifique—et je précise bien que je ne suis pas une scientifique—je ne crois pas que l'on puisse démontrer que l'une est plus faisable que l'autre.
M. Rob Merrifield: Madame Scorsone, êtes-vous d'accord avec cela?
Dre Suzanne Scorsone: Personnellement, je suis d'avis que tant et aussi longtemps que l'on n'aura pas démontré que les cellules souches adultes laissent à désirer dans ce domaine, il n'existe aucun argument probant susceptible de nous convaincre d'aller de l'avant et de mener des recherches qui sont moralement douteuses et qui diviseront les Canadiens. De part et d'autre, les gens ont des opinions profondément ancrées. J'ai remarqué chez bien des gens qui disent qu'il faut utiliser des cellules souches embryonnaires que leurs déclarations sont essentiellement des allégations et ne sont pas fondées sur des faits démontrant qu'elles sont particulièrement plus utiles que les cellules souches adultes.
Il me semble qu'il serait préférable d'essayer ce sur quoi nous sommes tous d'accord, en espérant que cela nous permettra de faire tout ce qui est souhaitable, sans nous lancer dans un domaine qui est moralement douteux ou carrément inadmissible. Chose certaine, nous savons que les Canadiens ne sont pas unis dans la conviction que l'on peut utiliser les cellules souches embryonnaires sans même y penser deux fois. Nous savons par contre qu'il y a consensus sur les cellules souches adultes. Vous êtes des représentants du peuple et vous devez travailler avec un consensus quelconque, et vous en avez un ici qui est prometteur.
La présidente: Merci, monsieur Merrifield.
Madame Chamberlain.
Mme Brenda Chamberlain (Guelph—Wellington, Lib.): Je suis d'accord avec vous, madame Knoppers, pour dire qu'il serait très sage d'insérer au début du projet de loi un énoncé sur le respect.
Je n'ai pas assisté à la réunion qui a porté sur la divulgation, mais je me demande quels sont vos sentiments là-dessus, parce que je ne sais pas vraiment comment cela fonctionne. Quand vous parlez de divulgation, c'est aux parents, mais aussi un jour à l'enfant, quand il aura l'âge d'en faire la demande. Divulguerait-on également, par exemple, le bilan médical, et d'autres renseignements, par exemple si le parent est décédé entre la naissance du bébé et le moment de la divulgation? À votre avis, que devrait-on divulguer?
Je trouve cela très intéressant, parce que je suis adoptée et que je ne connais donc pas mes antécédents et je n'ai pas été en mesure d'en prendre connaissance. J'aimerais donc savoir ce que l'on divulguerait exactement à l'enfant. Avez-vous réfléchi à cela?
Mme Bartha Maria Knoppers: La législation moderne sur l'adoption, en l'absence d'un consentement permettant au père ou à la mère biologique de rencontrer l'enfant, prévoit déjà la tenue de dossiers médicaux complets qui pourraient ensuite être communiqués à l'enfant. Auparavant, la loi ne disait rien du tout sur la question, alors qu'aujourd'hui, on peut obtenir des renseignements, même en l'absence de consentement de votre mère biologique si l'on ne peut la retracer, à moins qu'il y ait un problème médical ou autre.
Même dans les cliniques de fertilité au Canada, on commencera dorénavant à conserver les données de ce genre, de sorte que même si l'on ne peut identifier le donneur, on peut au moins obtenir un minimum de renseignements, ce que nous appelons le profil, pour que vous ayez quelques éléments d'information sur le donneur, et je pense que c'est une grande amélioration.
Mme Brenda Chamberlain: Excusez-moi, mais cela comprendrait-il aussi, par exemple, les frères et soeurs?
Mme Bartha Maria Knoppers: Non, parce qu'ils ont leur propre droit. Les dossiers pourraient préciser qu'il y a d'autres enfants vivants, mais sans les identifier ni fournir d'autres renseignements.
• 1730
Le problème avec la disparition de l'anonymat, c'est que cela
va miner la possibilité de parler ouvertement au sujet des
technologies de reproduction. Les parents ne vont tout simplement
pas confier à leurs enfants de quelle façon ils ont été conçus pour
éviter qu'un jour, l'enfant se prévale de cette disposition de la
loi. Nous essayons de normaliser l'infertilité, de faire comprendre
que cela fait partie de la condition humaine et, d'une certaine
façon, nous allons fermer la porte.
Mme Brenda Chamberlain: Il n'y aura aucun incitatif pour les convaincre.
Mme Bartha Maria Knoppers: Aucune loi, dans quelque pays que ce soit, n'oblige les parents, même à l'heure actuelle, à dire à leurs enfants comment ils ont été conçus, avec qui et dans quelles circonstances.
Dre Suzanne Scorsone: Je constate qu'il y a dans le débat actuel des similarités remarquables avec le débat sur l'adoption avant que ne soit reconnu le droit à l'accès à des renseignements permettant d'identifier les parents biologiques. La notion qu'il fallait garder le silence, que cette révélation allait nuire à l'enfant était très répandue. Je suis moi-même une enfant adoptée. En 1945, l'agence d'adoption a dit à mes parents sociaux, qui étaient en réalité mes parents dans la vie de tous les jours, qu'à leur arrivée chez eux avec le bébé, ils devaient se pencher au-dessus du berceau et chuchoter dans l'oreille du nourrisson: «tu es adopté, nous t'avons choisi». À six mois, j'étais trop jeune pour comprendre, mais mes parents ont fait en sorte que je l'ai toujours su, ce qui a facilité les choses par la suite. Cela faisait tout simplement partie de la vie normale; ce n'était pas un problème. C'était une réalité, c'était différent, mais c'était bien.
La même chose peut se produire dans ce cas-ci si les gens peuvent réussir à surmonter les mêmes craintes que les famille adoptives ont appris à surmonter au fil du temps. À mon avis, l'enfant a le même droit et le même désir de tout savoir et non seulement de prendre connaissance des renseignements biologiques. Chose certaine, ces renseignements biologiques sont nécessaires et le suivi peut être crucial en raison des nombreuses choses que l'on peut vouloir savoir et que le donneur ne savait peut-être pas au moment où il a fait son don. Une personne de 20 ou 25 ans ignore qu'elle développera un cancer précoce, disons à 40 ans, ne saura pas non plus qu'elle est sujette à des troubles cardiaques ou prédisposée à l'apparition tardive du diabète.
Il est donc nécessaire de reconnaître le droit au suivi de l'information biologique, mais aussi le désir de simplement savoir ce qu'il en est. Plus nous progressons dans le champ de la génétique, plus nous nous rendons compte que même si la réalité sociale fait partie de ce que nous sommes, notre mode de vie, nos choix font aussi partie de ce que nous sommes, au même titre que notre constitution génétique. Lorsque les enfants adoptés retrouvent leurs parents biologiques, ils constatent des similarités fascinantes. Tout aussi fascinantes sont les différences qu'ils constatent et l'absence de continuité qui découle manifestement de l'éducation qu'ils ont reçue de leurs parents et de l'endroit où ils ont été élevés.
Madame la présidente, cela vous intéressera peut-être de savoir que dans les dossiers de l'agence d'adoption que j'ai consultés—ma mère est maintenant décédée; elle est décédée avant que je la trouve—, la travailleuse sociale avait noté qu'elle lui avait fourni beaucoup plus de détails que cela n'était nécessaire. J'ai trouvé des poèmes et d'autres petits mots qu'elle m'avait écrits qui m'ont appris qu'elle jouait avec les mots de la même manière que je le fais. Autre fait intéressant, il se trouve que mon père était avocat.
Ce n'est pas déterminant. La biologie ne détermine pas qui nous sommes, mais c'est un facteur. Je pense que les enfants ont le droit de savoir, sans pour autant exercer ce droit d'une façon qui ne bouleverse pas radicalement la vie d'autrui. Ils ont le droit de découvrir cet aspect d'eux-mêmes. Un grand nombre d'enfants adoptés sont obsédés par le désir de savoir alors que d'autres s'en fichent complètement, et s'ils s'en fichent, soit. Par contre, si cela les intéresse, ils devraient pouvoir accéder à cette information, à cette compréhension de cet aspect d'eux-mêmes. C'est tout simplement une réalité humaine fondamentale et cela ne minimise en rien les liens qu'ils ont développés avec les parents qui les ont élevés. D'un côté la genèse partagée, de l'autre la vie partagée. Ce n'est pas la même chose et ces deux aspects ne sont pas en conflit l'un avec l'autre. Ils sont ce qu'ils sont.
La présidente: Il est 17 h 35. Si vous avez d'autres questions, les témoins pourraient peut-être y répondre par écrit.
M. Preston Manning: Madame la présidente, compte tenu de la composition du comité aujourd'hui, n'aurions-nous pas dû voter sur quelque chose?
La présidente: M. Manning a été déçu que nous n'ayons pas eu l'occasion de voter dès le début de la séance car il souhaitait vraiment remporter un vote.
Au nom du comité, je remercie nos témoins de leurs exposés mûrement réfléchis. Bien avant de venir comparaître, elles se sont penchées sur toutes ces questions et c'est avec toute leur sagesse qu'elles ont étudié l'avant-projet de loi.
Nous nous réservons toujours le droit de vous appeler pour explorer des détails au sujet desquels nous n'avons pu obtenir votre opinion.
Je vous remercie beaucoup et il est fort possible que nous nous revoyons ou à tout le moins, que nous communiquions de nouveau avec vous. Merci beaucoup.
La séance est levée.