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HEAL Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON HEALTH

COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 29 novembre 2001

• 1103

[Traduction]

Le vice-président (Rob Merrifield (Yellowhead, Alliance canadienne)): La séance est ouverte. Certains députés manquent à l'appel, mais je pense qu'ils arriveront petit à petit.

Comme nous avons une liste assez impressionnante de témoins ce matin, nous allons commencer sans tarder. Nous accueillons M. Paul Muldoon, de l'Association canadienne du droit de l'environnement; M. Mark Winfield, du Pembina Institute, Mme Kathy Marshall, du Conseil des Canadiens avec déficiences, et Mme Audrey Cole, de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire.

Nous vous remercions d'être venus et nous sommes impatients d'entendre vos exposés.

Nous allons commencer par M. Muldoon.

M. Paul Muldoon (directeur exécutif, Association canadienne du droit de l'environnement): Merci beaucoup.

Je m'appelle Paul Muldoon. Je suis directeur exécutif de l'Association canadienne du droit de l'environnement. Je suis accompagné de Mark Winfield, du Pembina Institute. Nous vous présentons aujourd'hui un exposé conjoint qui porte sur la délégation administrative, les accords d'administration et les accords d'équivalence.

• 1105

Certains se demandent peut-être ce que tout cela a à voir avec la mesure législative dont vous êtes saisis, mais il est clair que cette mesure renferme d'importantes dispositions relativement à la délégation administrative et à divers types d'accords.

En termes simples, la délégation administrative survient lorsque le gouvernement fédéral cède ou délègue certaines fonctions fédérales à un autre palier de gouvernement, un organisme ou un groupe non gouvernemental. Un accord administratif est un accord conclu entre le gouvernement fédéral et une province sur la façon d'administrer ou de faire administrer par la province, certaines parties d'une loi. Un accord d'équivalence est un accord renfermant une ordonnance du gouvernement fédéral stipulant que la législation ou la réglementation d'une province équivaut à la législation ou à la réglementation fédérale et par conséquent, que la partie pertinente de la législation ou de la réglementation fédérale ne s'applique pas dans la province. En fait, c'est un processus de retrait.

Or, on retrouve ces trois mécanismes dans le projet de loi sur l'assistance à la procréation. À notre avis, il est utile d'examiner ces mécanismes.

Pour M. Winfield et moi-même, ce ne sont pas là de nouveaux mécanismes. Nous tirons notre expérience de l'examen et de la refonte de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. À cette occasion, on avait débattu et scruté en détail de tels mécanismes. Étant donné qu'ils sont en place depuis un certain nombre d'années, ils ont fait l'objet de commentaires fouillés sur la façon dont ils devraient fonctionner, sur la façon dont ils ont fonctionné dans la pratique et sur les moyens à prendre pour s'assurer qu'ils fonctionnent convenablement, ce qui englobe les précautions qu'il est bon de prendre.

Fondé sur l'expérience menée dans le domaine de l'environnement, notre exposé présente un certain nombre de préoccupations et de mises en garde en ce qui concerne ces mécanismes. Essentiellement, nous affirmons qu'il s'agit là de mécanismes importants pour assurer la mise en oeuvre et le fonctionnement efficace et efficient des lois. Même s'ils favorisent effectivement le fédéralisme coopératif, ils présentent des inconvénients. Dans les cas où ils sont susceptibles de faciliter la mise en oeuvre des lois, ils peuvent aussi avoir des répercussions sérieuses, particulièrement en ce qui a trait au rôle du gouvernement fédéral.

Ce sont là les questions que nous voulons aborder en ce qui concerne deux articles. Le premier, l'article 23, concerne la délégation de l'inspection à «quiconque», et le second, l'article 33, confère la responsabilité de l'application à une organisation non gouvernementale. M. Winfield abordera ces deux questions et je reprendrai ensuite la parole pour vous parler de la délégation de l'application et des accords d'équivalence qui se trouvent dans d'autres parties du projet de loi.

Pour ce qui est de la délégation de l'inspection et de l'application, je cède la parole à M. Winfield.

M. Mark Winfield (conseiller spécial, Services organisationnels, Pembina Institute for Appropriate Development): Merci, Paul.

Mon nom est Mark Winfield, et je suis directeur du programme de régie environnementale du Pembina Institute for Appropriate Development. Cet institut est un organisme de recherche et de politique environnementale indépendant et sans but lucratif. Son siège social est situé à Drayton Valley, en Alberta, et il a des bureaux satellites ici à Ottawa et à Calgary.

Ce matin, je m'attacherai surtout à la délégation de l'inspection et du contrôle d'application à des entités non gouvernementales. Ces dispositions figurent à l'article 23, qui autorise la délégation de responsabilités d'inspection à «quiconque», et à l'article 33, qui autorise la délégation du contrôle d'application à des «organisations non gouvernementales» ainsi qu'à un certain nombre d'autres entités.

Je m'en tiendrai essentiellement à la question de la délégation de l'inspection et du contrôle d'application à des organismes extérieurs au gouvernement, fédéral ou provincial. Comme Paul l'a dit, mes commentaires se fonderont sur notre travail d'examen de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement et plus récemment, sur mes propres travaux sur la délégation de responsabilités réglementaires à des entités non gouvernementales. Je suis l'auteur d'un rapport assez important sur ce type de délégation en Ontario, où la fonction de réglementation de la sécurité publique du ministère de la Consommation et du Commerce a été déléguée à une entité non gouvernementale, l'Administration des normes techniques et de la sécurité.

• 1110

Dans le cadre de l'enquête de Walkerton, j'ai aussi rédigé une étude sur le recours à la diversification des modes de prestation des services, y compris la délégation à des entités non gouvernementales, pour assurer la protection de l'eau potable. Je remettrai des exemplaires de ces deux rapports à la greffière du comité pour que les députés et les recherchistes puissent s'en servir comme outil de référence.

La délégation des pouvoirs d'inspection et d'application de la loi à des acteurs non gouvernementaux est une pratique de plus en plus courante au Canada, tant au niveau provincial que fédéral. À notre avis, elle est hautement problématique.

En effet, ces articles du projet de loi permettent la délégation des fonctions d'inspection et d'application de la loi à des acteurs non gouvernementaux. Ce qui nous inquiète, c'est que ces acteurs non gouvernementaux ne sont pas assujettis aux mécanismes de reddition de comptes et de supervision qui sont en place pour les fonctionnaires et les organismes chargés de faire respecter la loi lorsqu'ils exercent des pouvoirs de ce genre.

Il faut savoir que ces articles prévoient l'exercice de pouvoirs coercitifs de l'État—comme le droit d'entrée, l'examen, la saisie de documents et de matériel, l'obligation pour les personnes qui font l'objet d'une inspection de prêter assistance, l'entrée dans les habitations avec mandat—par des acteurs non gouvernementaux.

En tant qu'entités non gouvernementales, les particuliers et les organisations auxquels de telles fonctions sont déléguées ne sont supervisés ni par le ministre de la Santé ni par le solliciteur général, que ce soit au niveau fédéral ou provincial dans le cas d'une délégation à un gouvernement provincial. Le ministre ne rend pas compte au Parlement de leurs gestes et, aux termes des dispositions du projet de loi sous leur forme actuelle, il n'est peut-être pas en mesure de connaître la nature de ces gestes puisqu'il n'existe pas de mécanisme de reddition de comptes entre les entités déléguées et le ministre ou encore entre le ministre et le Parlement au sujet des activités que ces acteurs non gouvernementaux pourraient mener.

Il n'est pas certain que la Charte canadienne des droits et libertés s'applique aux activités d'entités non gouvernementales chargées d'assumer des fonctions d'inspection et de contrôle d'application. Cela est particulièrement important dans la perspective de la protection assurée par la charte contre toute fouille et saisie excessives.

Il n'est pas plus certain que les mesures de protection du droit administratif faisant appel aux règles de l'équité et de la justice naturelle pour ce qui est de l'exercice de pouvoirs légaux s'appliquent à des entités non gouvernementales, par opposition à des acteurs gouvernementaux.

L'applicabilité des lois sur l'accès à l'information et sur la protection des renseignements personnels aux rapports et à l'information que recueillent des entités non gouvernementales n'est pas claire non plus. C'est une considération particulièrement importante compte tenu du sujet du projet de loi et de la nature des renseignements personnels qui seront inévitablement touchés par les inspections menées en vertu de cette loi.

En Ontario, lorsque des délégations semblables de responsabilités de réglementation et d'inspection à des entités non gouvernementales ont été réalisées, les lois sur l'accès à l'information et à la protection des renseignements personnels ont cessé de s'appliquer.

Le vérificateur général n'a pas la compétence nécessaire pour superviser les activités de ces acteurs non gouvernementaux. Sous sa forme actuelle, le projet de loi ne renferme aucune règle ou directive quant à savoir qui seraient les personnes ou les organisations à qui seraient confiés ces énormes pouvoirs de l'État. On peut supposer que lorsqu'il a rédigé le projet de loi, le ministère avait quelqu'un à l'esprit. Je recommanderais au comité d'interroger les représentants du ministère à ce sujet.

Des conflits d'intérêts risquent de se produire si ces responsabilités sont déléguées à des acteurs non gouvernementaux. On peut envisager, par exemple, que l'inspection et le contrôle d'application soient délégués à une organisation qui représente les intérêts d'exploitants de cliniques offrant le genre de services qui seront réglementés au moyen du projet de loi. Encore là, la mesure ne renferme ni exigences ni restrictions relativement à de telles situations.

La mesure ne contient aucune disposition concernant l'évaluation de la compétence ou des qualités des organisations non gouvernementales auxquelles pourraient être délégués ces pouvoirs d'inspection. En fait, le projet de loi lui-même ne renferme aucune définition de l'expression «organisation non gouvernementale» alors qu'on s'apprête à lui conférer le pouvoir d'assumer ces fonctions.

À notre avis, les pouvoirs coercitifs et d'application de la loi de l'État ne devraient pas être délégués à des acteurs non gouvernementaux. La délégation de ces pouvoirs doit se limiter aux fonctionnaires fédéraux ou provinciaux ou aux organismes gouvernementaux chargés de faire respecter la loi.

M. Paul Muldoon: Jusqu'ici, nous avons parlé des cas où certaines responsabilités énoncées dans le projet de loi sont déléguées à des organismes non gouvernementaux. Il peut s'agir, je suppose, de nouveaux organismes, à l'occasion, ou d'organismes existants qui sont indépendants du gouvernement.

Je voudrais maintenant parler d'un mécanisme dont il est question dans le projet de loi à l'article 41, appelé «accord d'équivalence».

• 1115

L'article 41 n'est pas long, mais il est intéressant tout en étant très discret. Il prévoit un mécanisme permettant au gouvernement fédéral, par décret, de déclarer qu'une loi ou une réglementation provinciale est équivalente aux dispositions du projet de loi et qu'en conséquence, la législation ou la réglementation fédérale ne s'applique pas.

Il s'agit là de mécanismes intéressants visant à faciliter la mise en oeuvre des lois et, en l'occurrence, cet objectif peut être atteint. Par ailleurs, il y a plusieurs inconvénients majeurs possibles et d'ailleurs, certains problèmes sont survenus dans le domaine de l'environnement. Notre objectif est de mettre en lumière les enjeux et les préoccupations évoqués dans le domaine de l'environnement pour que vous puissiez déterminer s'il est opportun ou judicieux de prévoir dans d'autres dispositions des préoccupations qui permettraient d'atténuer les craintes résultant d'autres cas d'utilisation de ces mécanismes.

Cela dit, je vais énumérer certaines de nos préoccupations spécifiques, mais je veux préciser une chose. Dans notre mémoire, nous en énumérons un grand nombre. Je vais les passer brièvement en revue. Je vous signale en passant que ce ne sont pas simplement des groupes comme le nôtre, des groupes de recherche et des groupes non gouvernementaux qui ont exprimé de telles inquiétudes. En 1999, le commissaire à l'environnement et au développement durable a effectué, si vous voulez, une vérification dans ce dossier.

J'ai remis à la greffière, à votre intention, des exemplaires du document intitulé «Rapport du commissaire à l'environnement et au développement durable à la Chambre des communes». Le rapport de 1999, intitulé Travailler ensemble, résume au chapitre 5 l'essentiel de mes propos. Ce chapitre s'intitule: «La rationalisation de la protection de l'environnement au moyen d'ententes fédérales-provinciales: donne-t-elle les résultats attendus?» et j'aimerais en donner un aperçu.

Je ne vous rapporterai pas l'analyse détaillée du commissaire à l'environnement, si ce n'est pour souligner deux points importants dans deux conclusions. Je vais me borner à lire le paragraphe 5.1 qui résume particulièrement bien nos préoccupations. En fait, on y trouve l'essentiel de notre exposé:

    Les ententes fédérales-provinciales sur l'environnement offrent la possibilité d'accroître la protection de l'environnement et de rationaliser les activités administratives et de réglementation des deux paliers de gouvernement. Les ententes que nous avons vérifiées ne donnent pas toujours les résultats attendus. Nous avons aussi constaté que bon nombre des activités essentielles à la mise en oeuvre de ces ententes ne fonctionnent pas aussi bien qu'elles le pourraient.

Le paragraphe suivant précise:

    Environnement Canada n'a pas pu nous fournir de documents indiquant qu'avant de conclure ces ententes, le gouvernement fédéral avait analysé de façon officielle les risques connexes pour déterminer, par exemple, si les parties pouvaient remplir leurs engagements.

C'est le plus important, mais je vais citer aussi deux courtes conclusions. Voici le paragraphe 5.96:

    Les ententes prévoient certains mécanismes de reddition de comptes mais d'autres mécanismes importants ne s'y trouvent pas. Il manque par exemple des dispositions concernant la vérification, le compte rendu des fonds fédéraux transférés et les exigences particulières touchant les rapports.

    Le Parlement reçoit de l'information incomplète et périmée sur les résultats des ententes conclues aux termes de la LCPE et ne reçoit aucune information sur les résultats des ententes conclues aux termes de la Loi sur les pêches.

    Avant de conclure une entente, le gouvernement fédéral n'a pas fait d'analyse officielle pour évaluer si les deux parties à cette entente étaient en mesure d'assumer adéquatement leurs responsabilités.

Et la critique se poursuit.

Ce que le commissaire à l'environnement et ses conclusions donnent à entendre, c'est qu'il existe deux types de problèmes: la conception des accords et leur mise en oeuvre, ce qui met en lumière l'absence d'orientation législative donnée aux négociateurs.

• 1120

Deuxièmement, cela dénote l'absence de mécanismes de responsabilisation dans l'accord. En effet, une fois les accords d'équivalence réalisés, le gouvernement fédéral se trouvait à céder un domaine sans prévoir en corollaire une fonction de rapport réciproque pour savoir si les responsabilités en question étaient assumées de façon appropriée ou exhaustive. C'est ce qui a soulevé des inquiétudes.

Je vais consacrer encore quelques minutes à recenser certains des problèmes. En ce qui a trait à l'article 41, encore une fois, nous sommes d'avis que les dispositions en question sont pratiquement identiques, ou même encore moins spécifiques que les dispositions examinées par le commissaire à l'environnement. Autrement dit, nous comparons des pommes avec des pommes.

Dans l'actuel article 41, on ne trouve aucune exigence en matière de rapport ou de responsabilisation. On ne tient pas compte des mises en garde du commissaire. En fait, il n'y a pas d'obligation d'évaluer la capacité de l'entité à laquelle le contrôle d'application ou les autres responsabilités administratives de l'accord seront délégués. Il n'y a aucune obligation relative aux plans d'urgence dans l'éventualité où l'entité ne s'acquitterait pas de ses fonctions. Une période de six mois entre la fin de l'accord d'équivalence et le rétablissement des exigences fédérales est prévue, mais ce qui se passe entre les deux n'est pas précisé.

Il n'y a aucune disposition de temporisation ou de renouvellement des accords d'administration ou d'équivalence.

Il n'y a aucune obligation de faire rapport sur les activités en vertu des accords d'équivalence ou d'administration, ce qui signifie qu'il n'y a aucune obligation même de faire rapport au Parlement et au public de leur existence. D'ailleurs, aucune disposition ne confère au public la possibilité d'être avisé ou de commenter les accords proposés.

En outre, il n'existe aucune clause «de réserve», comme nous le disons dans notre jargon. Il s'agit d'une clause qui précise qu'aucun accord ne doit empêcher le gouvernement ou le ministre fédéral de prendre les mesures qu'il juge nécessaires pour l'administration et l'application de la présente loi.

Le résultat c'est qu'à notre avis, lorsque l'on cède, par le truchement de tels accords, la responsabilité d'administrer certaines parties d'une mesure législative, une certaine réciprocité doit être de mise pour que l'entité qui reçoit la responsabilité fasse rapport sur l'état d'avancement des choses, le rendement et son fonctionnement. Ainsi, le Parlement pourrait réagir ou, à tout le moins, disposer de l'information nécessaire pour déterminer si l'accord d'équivalence fonctionne comme prévu. À l'heure actuelle, cette réciprocité n'existe pas.

Deuxièmement—et ce sera tout—, les accords d'équivalence relevant de l'article 41 seraient négociés sans bénéficier de l'apport de la population, sans bénéficier même de la contribution des groupes intéressés à ce dossier qui pourraient les commenter et comprendre quelles sont, à la suite des négociations, les conditions et les modalités de leur participation à l'évaluation de ces ententes. En fait, ces ententes procèdent d'une relation strictement bilatérale entre le gouvernement fédéral et l'entité à qui la responsabilité est confiée, habituellement la province, sans que les collectivités touchées aient leur mot à dire. À mon avis, cela ne favorise guère des régimes plus serrés dotés d'une meilleure reddition de comptes.

Mark.

M. Mark Winfield: En somme, nous voyons deux grands problèmes: premièrement, la délégation des responsabilités d'inspection et d'application à des entités non gouvernementales et, deuxièmement, la délégation de ces responsabilités à d'autres niveaux de gouvernement, particulièrement les provinces, par le biais d'accords d'administration et d'équivalence.

Pour ce qui est de la délégation des pouvoirs d'inspection et d'application à des entités non gouvernementales, nous sommes d'avis qu'ils ne devraient pas être délégués à des acteurs non gouvernementaux mais réservés aux fonctionnaires et aux organismes chargés de faire respecter la loi.

Nous croyons que le public s'attend à ce que les pouvoirs soient réservés au gouvernement et au gouvernement seul. En fait, le cadre de responsabilisation que nous avons élaboré autour de l'exercice de ces pouvoirs suppose qu'ils seront exercés par des acteurs gouvernementaux. Nous n'avons pas vraiment prévu de structure de responsabilisation dans l'éventualité où ils seraient exercés par des acteurs non gouvernementaux. D'ailleurs, le projet de loi est entièrement muet au sujet d'un tel cadre.

En ce qui a trait à la délégation de ces pouvoirs à d'autres paliers de gouvernement, en principe les dispositions sur les accords d'équivalence et d'administration sont des moyens utiles de mettre en application la loi, mais elles doivent être rédigées avec prudence par le gouvernement. Plus précisément, elles doivent décrire en détails les exigences et les tâches précises des paliers gouvernementaux respectifs, en précisant sans ambiguïté que le gouvernement fédéral conserve le pouvoir ultime d'intervenir, de prendre toutes les mesures qu'il juge nécessaires pour administrer et appliquer la loi.

• 1125

En outre, il est impératif que ces accords et les dispositions législatives qui les régissent prévoient des instruments clairs relativement à la présentation de rapports, la reddition de comptes, la transparence, la participation du public, l'intégration, dans leur élaboration, de processus de temporisation et d'examen et finalement, comme je l'ai dit tout à l'heure, il faut préciser que le gouvernement fédéral se réserve le pouvoir ultime d'intervenir, au besoin, pour administrer la loi.

En l'absence de telles dispositions, le comité risque de voir se reproduire les problèmes recensés par le commissaire à l'environnement et au développement durable à l'égard des accords d'administration et d'équivalence relevant de la LCPE. En l'occurrence, le gouvernement avait ni plus ni moins délégué ses pouvoirs à d'autres paliers de gouvernement, sans évaluer s'ils étaient en mesure d'assumer ces responsabilités. En fait, il s'est placé lui-même dans une situation où il lui était impossible de savoir si ces responsabilités étaient assumées convenablement ou non.

Nous allons nous en tenir là. Merci de votre attention.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Je vous remercie de cet exposé des plus complets. Il semble que nous aurons du pain sur la planche dans ce domaine. C'est certainement éclairant.

Je demanderais maintenant à Mme Marshall de présenter son exposé au sujet des dispositions relatives aux déficiences.

Mme Kathy Marshall (secrétaire, coordonnatrice nationale et directrice de projets, Réseau d'action des femmes handicapées; membre de l'exécutif, Conseil des Canadiens avec déficiences): Bonjour. Je m'appelle Kathy Marshall. Je suis la coordonnatrice nationale du Réseau d'action des femmes handicapées du Canada et je fais partie de l'exécutif du Conseil des Canadiens avec déficiences.

Je m'excuse d'entrée de jeu de ne pas avoir préparé de déclaration, mais on nous a appelés vraiment à la dernière minute, tard hier après-midi. J'ai un exemplaire de mon exposé en anglais, mais on m'a dit qu'il fallait qu'il soit traduit avant d'être distribué.

Le Conseil des Canadiens avec déficiences défend les droits des personnes handicapées dans le dossier de l'assistance à la procréation depuis le début des années 90 car les nouvelles technologies de reproduction soulèvent de nombreuses questions relatives aux droits humains pour les personnes handicapées. D'une part, il est crucial que les personnes handicapées aient un accès équitable aux nouvelles technologies de reproduction disponibles pour les Canadiens souffrant de problèmes de fécondité. D'autre part, le recours aux nouvelles techniques de reproduction en vue d'éliminer la déficience risque de porter atteinte aux droits à l'égalité des personnes handicapées. Selon l'usage qu'on en fera, ces nouvelles techniques de reproduction pourraient stigmatiser encore davantage les personnes handicapées.

Dans le contexte de l'examen de l'avant-projet de loi régissant l'assistance à la procréation, il est impératif que: la protection de la diversité des Canadiens soit assurée et que les diverses vies des Canadiens avec déficiences ne soient pas dévaluées; que l'on reconnaisse que la science et la recherche sur la reproduction humaine assistée et les nouvelles technologies de reproduction progressent à un rythme beaucoup plus rapide que les discussions à caractère éthique entourant le sujet, et les Canadiens doivent avoir l'occasion de participer à ce débat éthique; que l'on contrecarre toute tendance à l'eugénisme dans l'application des nouvelles technologies de reproduction; et que les droits fondamentaux des Canadiens avec déficiences deviennent parties prenantes de l'évolution des valeurs relatives aux nouvelles technologies de reproduction.

Le Conseil des Canadiens avec déficiences souscrit sans réserve aux objectifs d'égalité et de justice pour les personnes handicapées, de non-discrimination, d'autodétermination et d'autonomie dans la consommation. Les personnes handicapées doivent avoir à la fois le droit d'accéder aux technologies de reproduction et de génétique, et de refuser ces technologies. En matière de reproduction, ils doivent avoir accès à un counselling qui ne doit pas être affligé d'un biais «habilitant». Le principe de la non- discrimination dicte que lorsque des bienfaits peuvent découler des nouvelles technologies de reproduction, les personnes handicapées doivent avoir accès à ces bienfaits.

Les Canadiens avec déficiences ne doivent pas subir de préjudice en raison de ces technologies. Le principe de la non- discrimination appuie la diversité dans la population. La déficience est considérée comme une autre caractéristique humaine, au même titre que la race et le sexe. Le principe de l'autodétermination et de la primauté du consommateur exige que chacun se sente libre d'agir sur la foi d'une information exhaustive, exempte de tout biais habilitant, et de prendre ainsi des décisions non coercitives et éclairées au sujet des bienfaits des techniques de reproduction. Les risques liés aux traitements doivent aussi leur être présentés dans une perspective non axée sur l'habilitation.

• 1130

Le Réseau d'action des femmes handicapées du Canada a fourni au mouvement sur les droits des personnes handicapées des critères féministes éthiques pour évaluer les nouvelles technologies de reproduction et de génétique. Parmi ces critères, citons les suivants: la santé et le bien-être des femmes et de leurs enfants, y compris les générations futures, doivent être évalués; le respect de la dignité, de l'égalité et des droits humains de toutes les femmes, et particulièrement des femmes qui traditionnellement ont été victimes de préjudice et de discrimination en raison de leur race, de leur classe, de leur ethnicité, de leur capacité et de leur orientation sexuelle; enfin, la réification et la commercialisation du processus de reproduction humain ne doivent pas être tolérées.

Un choix éclairé, par opposition à un consentement éclairé, passe par la compréhension de la construction sociale du choix, comme le contrôle du processus décisionnel. Le corps des femmes ne doit pas être approprié à des fins expérimentales. Il faut reconnaître le statut expérimental plutôt que thérapeutique des nouvelles technologies de reproduction et de génétique lorsqu'on fournit des renseignements à leur égard. Dans le contexte de ces nouvelles technologies, évoquer le choix et les droits est synonyme de tromperie. Ce langage camoufle les relations de pouvoir qui existent dans le monde et masque les facteurs qui influencent et définissent les paramètres des choix des femmes. Il convient d'établir un équilibre entre la liberté de choix individuel et l'intérêt collectif de la société.

Le problème de la stérilité masculine doit être reconnu et traité de façon responsable sans exploiter le corps des femmes. Sur le plan des priorités, la recherche des causes de la stérilité doit passer avant le perfectionnement de la technologie. Cela exige un financement adéquat pour la promotion de la santé, la recherche et les programmes cliniques, de même que pour des stratégies d'éducation communautaire axées sur la prévention de l'infertilité. Et en supposant que tous les critères ci-dessus soient respectés, il faut encore assurer l'égalité d'accès.

Merci.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants de votre contribution.

Et maintenant, Mme Audrey Cole, de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire.

Mme Audrey Cole (Ancienne membre du conseil, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant le comité. Je suis désolée d'être en retard, mais la circulation était infernale.

Premièrement, permettez-moi de dire quelques mots au sujet de notre association, bien qu'un grand nombre d'entre vous la connaissent certainement déjà. L'Association canadienne pour l'intégration communautaire est un organisme national exclusivement voué à la participation des déficients intellectuels dans tous les aspects de la vie communautaire. Elle a vu le jour dans la foulée d'un mouvement lancé à la fin des années 40 par des parents luttant pour le droit de leurs enfants de bénéficier de services éducatifs dans leur communauté au lieu d'être séparés de leur famille et expédiés dans ce qui était en Ontario à l'époque l'unique établissement de la province, loin de leur famille pour y vivre d'une façon qui n'était absolument pas naturelle.

L'ACIC proprement dite a été fondée en 1958 et a travaillé sans relâche avec des déficients intellectuels et en leur nom, bon nombre d'entre eux ayant du mal à se faire entendre par la population en général.

Je suis contente d'avoir l'occasion de témoigner aujourd'hui. C'est vraiment à la dernière minute, car nous en avons seulement été informés, apparemment, en fin d'après-midi hier. J'avais l'impression que je me joindrais ici à un représentant de l'ACIC, mais je me rends maintenant compte que je dois me débrouiller seule. Nous avons rédigé très rapidement un document qui vous a été remis, mais mon rôle est de donner un point de vue plus personnel sur les questions à l'étude.

Je suis membre de l'ACIC et ex-membre du conseil d'administration de l'ACIC. Je voudrais commencer mon intervention en citant un passage qui se trouve au dernier paragraphe de l'introduction du document publié par Santé Canada en mai 2001 et intitulé Proposition en vue d'une législation pour régir la reproduction humaine assistée: vue d'ensemble. Deux phrases m'ont frappée:

    Il est nécessaire d'examiner la question et d'en discuter parce que l'ébauche de mesures législatives soulève des questions morales, sociales et légales qui ne laissent personne indifférent. Ces questions méritent de donner lieu à un dialogue sociétal le plus étendu possible.

• 1135

Je pose donc l'hypothèse que tous les citoyens du Canada, quel que soit leur handicap d'origine génétique ou autre, ont le droit d'être parties prenantes de ce dialogue et de voir leurs intérêts respectés. À titre de parent d'un citoyen qui a le syndrome de Down et qui ne parle pas, je m'interroge et je me demande si ce dialogue sociétal et l'examen par le comité sont d'une portée et d'une profondeur suffisantes pour garantir que mon fils, les droits de mon fils et les droits des gens qui sont confrontés aux mêmes attitudes dans la société seront protégés. Sa situation et son bien-être, comme ceux de tous les Canadiens qui ont une déficience, dépendent dans une grande mesure de la façon dont la société perçoit des états pathologiques comme le syndrome de Down, que l'on a tendance à vouloir plutôt éviter dans le processus dont il est question relativement à ce projet de loi.

Ma question, en tant que mère de famille, est la suivante: quelles valeurs vont guider ce dialogue? À l'instar des autres membres de l'ACIC, j'appuie de tout coeur bon nombre des modifications proposées dans l'ébauche de projet de loi. Toutefois, à l'ACIC, nous croyons très fermement qu'au moins deux autres énoncés doivent être ajoutés au préambule de cette mesure et, en fait, de toute loi qui touche d'une manière quelconque les personnes handicapées, en particulier les personnes dont le handicap est d'origine génétique.

Dans ce but, l'ACIC propose humblement d'ajouter au préambule les passages suivants. Je vais expliquer dans une minute pourquoi c'est tellement important. Nous proposons donc humblement que vous adoptiez le texte suivant:

    Attendu que le Parlement du Canada reconnaît que le recours possible à ces technologies pour contrôler l'orientation de l'évolution humaine en définissant ce qui est acceptable pour la condition humaine serait une utilisation répréhensible de la loi, et qu'il reconnaît que l'existence de la déficience a davantage de rapport avec l'aménagement social qu'avec les caractéristiques intellectuelles ou physiques des personnes.

Ces amendements sont cruciaux pour nous si nous voulons assurer que les questions sociales, éthiques et juridiques soulevées par la législation ne puissent avoir un effet négatif sur les personnes atteintes de déficience, particulièrement celles dont les déficiences sont d'origine génétique, précisément pour les raisons mentionnées par Kathy.

Nous croyons que la société a l'obligation fondamentale d'assurer à tous ses citoyens, indépendamment de leurs traits personnels, la protection des principes de la justice, de la non- discrimination, du respect de la diversité et de l'autonomie et de la liberté de faire un choix éclairé. Nous sommes fermement convaincus que les êtres humains ne sont pas simplement un ensemble de gènes enveloppés dans une peau dont la couleur peut varier. En tant qu'être humain, notre croissance et notre épanouissement dépendent des relations que nous avons les uns avec les autres, de notre compassion pour autrui et de notre capacité innée de respecter et de partager l'expérience humaine en tant que société.

L'attribut le plus valable de notre société est notre diversité et notre capacité de comprendre et d'accepter nos différences naturelles et de s'y adapter. Les préoccupations exprimées par les membres de l'ACIC ne reflètent pas les craintes sans fondement d'une population mal informée. Elles sont réelles et elles reflètent notre expérience de vie et l'expérience de nos fils, de nos filles, de nos parents et de nos amis qui vivent avec une déficience. Une société où il n'y aurait pas de différence serait un milieu froid et stérile pour passer le temps que nous devons vivre sur terre.

L'idée même que nos gènes puissent être la propriété d'entreprises à but lucratif semble injustifiée et totalement inacceptable pour un grand nombre d'entre nous. C'est une notion que nous ne voulons pas voir acceptée dans notre société. Chose certaine, en tant que société, nous sommes plus que la somme de nos connaissances scientifiques et technologiques. Ce n'est pas parce que nous découvrons certaines clés du mystère de la vie que nous devons nécessairement nous en servir.

• 1140

Les effets et les répercussions de la technologie génétique pour l'avenir des personnes avec déficiences suscitent énormément d'inquiétude parmi les déficients intellectuels et leurs familles. Les statistiques d'aujourd'hui sont plutôt alarmantes, sans compter que la science et la technologie semblent nous guider vers l'hypothèse qu'il est possible d'éliminer certains types de déficiences et que non seulement c'est possible, mais que cela est souhaitable. Pourtant, les personnes atteintes de telles déficiences n'ont pas participé ou été invitées à participer aux discussions qui ont débouché sur de telles hypothèses.

Au Canada, on parle constamment de l'importance de la famille ainsi que du rôle stabilisateur que joue la cellule familiale dans la société en général. À elle seule, cette mesure législative montre à quel point il est important d'avoir une famille, de pouvoir compter sur une famille, pour notre bien-être sociétal. Mais il y a une grande variété de familles.

Dans mon cas personnel, notre cellule familiale se compose d'une mère, d'un père et d'un fils qui se trouve être atteint d'un handicap très important. Mon mari et moi-même trouvons que nous sommes très privilégiés d'être devenus des parents avant que ce soit devenu un crime social d'avoir un enfant trisomique, avant que le génocide génétique devienne un objectif socialement acceptable, au point d'être financé par nos services de santé nationaux.

Nous saluons l'interdiction proposée à l'égard du clonage humain, de la sélection du sexe et d'autres questions connexes, mais nous constatons avec tristesse l'absence de garantie dans la société canadienne contemporaine que l'on accordera la même attention, la même considération à la destruction systémique, par exemple, de futurs êtres humains atteints du syndrome de Down. Il y a d'autres conditions que la plupart d'entre nous qui n'avons pas de déficience considérons comme un problème et par conséquent, dénuées de valeur pour la société.

Nous constatons avec tristesse qu'en tant que société nous sommes prêts à consacrer davantage d'argent et d'efforts à la recherche technologique de la perfection génétique plutôt qu'à venir en aide aux citoyens déficients qui vivent la vie qui leur a été donnée, cette vie qu'ils chérissent au plus haut point, tout comme ceux d'entre nous qui n'avons pas de déficience chérissons nos vies.

Pour toutes ces raisons, nous jugeons essentiel que la mesure à l'étude, ou toute autre mesure relative à la condition humaine renferme des principes et des interdictions qui garantiront le droit égal des personnes déficientes de jouir de la vie, dans un contexte de justice et de non-discrimination, et d'être acceptées en tant que participants à part entière d'une société diversifiée.

Ce sont là les inquiétudes, exprimées d'une façon plutôt personnelle, d'un membre d'une famille qui, à l'instar de nombreuses personnes et membres de familles vivant la même situation, se sent extrêmement menacé par ce qui se passe et par toute l'attention accordée à ce sujet sans que l'on s'intéresse le moins du monde au bien-être des déficients.

Merci.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Merci beaucoup. Votre témoignage a été très éclairant et il nous offre une autre perspective de toute cette question.

Je pense que nous avons encore passablement de temps. En fait, nous avons jusqu'à midi, de sorte que nous pouvons faire un tour de table pour les questions.

Monsieur Manning.

M. Preston Manning (Calgary-Sud-Ouest, Alliance canadienne): Aurons-nous le temps pour deux tours de table?

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Peut-être. Tout dépend de la vitesse à laquelle nous progresserons.

M. Preston Manning: C'est que j'ai des questions pour tous nos invités.

Je tiens à vous remercier tous. Vous avez soulevé un certain nombre de choses sur lesquelles nous ne nous sommes pas vraiment penchés.

Peut-être pourrais-je commencer par Kathy et Audrey.

Premièrement, je peux vous dire que sur le plan personnel, je m'identifie quelque peu aux personnes handicapées, y compris les déficients intellectuels, car j'ai un frère qui a souffert toute sa vie de déficience intellectuelle causée par la paralysie cérébrale. Je m'identifie donc à vos propos et à la crainte que ces personnes ne soient pas considérées dans ce dossier, y compris dans le projet de loi à l'étude, avec toute la dignité qu'elles méritent.

• 1145

Ma première question est la suivante: il est possible d'intégrer dans le préambule de la mesure une déclaration affirmant la dignité des personnes handicapées, mais réclamez-vous davantage? Il est également possible d'interdire légalement tout biais eugénique dans les politiques de reproduction du gouvernement. Je me demande si pour concrétiser les principes que vous défendez cela ne serait pas l'option privilégiée? Je ne m'attends pas à ce que vous répondiez aujourd'hui, mais votre association pourrait peut- être nous fournir un projet de libellé interdisant tout eugénisme dans les politiques de reproduction du gouvernement ou de l'organisme de réglementation qui sera créé.

Pourriez-vous commenter cela?

Mme Audrey Cole: Cela m'est un peu difficile car même si je suis ici comme porte-parole de l'ACIC, je ne suis pas présentement membre du conseil d'administration et je n'ai donc pas participé aux discussions les plus récentes. Je ne prends pas part à ces délibérations pour le moment. Chose certaine, c'est une idée qui serait favorablement accueillie par un grand nombre de personnes qui ressentent cette menace.

Cela rejoint ce que m'ont dit à maintes reprises des déficients intellectuels, soit qu'en l'absence d'une telle interdiction, leur vie ne sera jamais en sécurité. En effet, il ne s'agit pas simplement d'empêcher de nouvelles naissances, mais du sort réservé aux personnes qui existent déjà. Si nous réussissons, comme c'est une possibilité, à éliminer le syndrome de Down, j'ai du mal à imaginer la suite. Personnellement, je ne peux imaginer ce que ma vie ou celle de ma famille aurait été si notre enfant n'avait pas été trisomique. Je pense que nous serions des personnes très différentes, certainement pas les mêmes personnes que nous sommes maintenant. En tant que famille, nous avons connu bien des frustrations, mais elles n'avaient rien à voir avec le fait que notre enfant est trisomique, mais tout à voir avec le milieu et le manque de considération.

M. Preston Manning: Je vais donc vous laisser réfléchir à cela. Si votre association souhaite proposer quelque chose outre un ajout au préambule, une interdiction contre tout biais eugénique dans la politique gouvernementale ou dans les politiques d'un organe de réglementation, cela nous intéresserait certainement.

Ma deuxième question concerne les moyens à prendre pour assurer la présence de personnes déficientes envisagée par la mesure. Avez-vous des idées quant aux modalités qui seraient le plus efficaces pour assurer la défense des personnes handicapées?

Il existe plusieurs options. On pourrait exiger la présence d'un représentant des personnes handicapées au sein de l'organisme de réglementation. L'autre approche consiste à doter l'organisme de réglementation de personnes qui ne sont pas là pour représenter qui que ce soit, mais pour exercer leur bon jugement. Dans un tel scénario, les personnes handicapées pourraient faire partie d'un conseil consultatif auprès de l'organisme de réglementation. La troisième option, si l'on met sur pied un organisme de réglementation plus neutre, est d'autoriser divers groupes d'intérêt à comparaître devant lui, un peu comme vous comparaissez devant nous, en supposant que nous sommes l'organisme de réglementation et que vous venez en tant que témoin pour présenter votre point de vue et répondre aux questions.

Avez-vous une préférence? Quelle option vous semble la plus efficace pour assurer la représentation des personnes handicapées devant un organisme de réglementation?

Mme Audrey Cole: Kathy voudra peut-être répondre, mais spontanément, je dois vous dire qu'il faut faire très attention et ne pas supposer qu'il n'y aura qu'une voix représentant les personnes handicapées. L'expérience de vie des personnes déficientes est très variée et couvre tout le spectre. Il est pratiquement impossible que cette population s'exprime d'une seule voix et l'un des problèmes lorsqu'on parle de voix, c'est que ce n'est pas nécessairement les personnes les plus aptes à s'exprimer qui pourront le mieux communiquer l'incidence des mesures sur les personnes atteintes de déficiences profondes.

Par conséquent, pour ce qui est de solutions rapides, nous n'en avons pas, mais votre invitation à réfléchir à ce sujet est certainement la bienvenue.

Je ne sais pas si Kathy veut ajouter quelque chose.

Mme Kathy Marshall: Je suis d'accord avec Audrey. Il est très important que cette représentation se fasse à tous les niveaux dans le contexte d'un organisme de réglementation. Je fournirai volontiers au comité un plan détaillé à cet égard à une date ultérieure.

• 1150

M. Preston Manning: Vous pensez sans doute qu'étant donné qu'il n'y a pas de voix unique pour représenter votre cause, c'est en fait à votre avantage d'être représentée de cette façon. En l'occurrence, toute personne déficiente peut comparaître devant le tribunal en qualité de témoin.

Je vais essayer de m'adresser au représentant de l'environnement au prochain tour de table car je m'intéresse beaucoup aussi à ce que pensent nos deux autres invités.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Madame Sgro.

Mme Judy Sgro (York-Ouest, Lib.): Merci.

Ce comité continue de me fasciner, en ce sens que nous revenons constamment sur les mêmes thèmes.

Monsieur Muldoon, je vous remercie beaucoup de vos observations au sujet de l'avant-projet dont nous sommes saisis. À cet égard, l'une des questions que nous devons régler est celle de l'organisme de réglementation. Comment s'y prendre pour qu'il soit indépendant du gouvernement? Quelle devrait être la participation du gouvernement lui-même? Et dans quelle mesure le ministre et le Parlement devraient-ils être parties prenantes au processus?

Les personnes qui ont parlé de ces organismes de réglementation semblent dans certains cas avoir un niveau de confiance plus élevé à leur endroit que certains d'entre nous. Certaines des recommandations de ce rapport seront utiles lorsque nous essaierons de déterminer où l'on s'en va avec cette mesure pour tenter de nous assurer que la protection que nous voulons y voir y figure bel et bien. Je pense que l'article 41 était un bon exemple pour ce qui est de l'équivalence.

Avez-vous eu l'occasion de passer en revue la totalité de l'avant-projet à l'étude ou seulement certains articles?

M. Paul Muldoon: Je l'ai tout lu, mais je ne le connais pas intimement.

Mme Judy Sgro: Nous voulons nous assurer que la mesure aura du mordant et qu'en tant que gouvernement et en tant que comité, elle est conforme à nos intentions. Avez-vous d'autres suggestions quant aux façons de resserrer la mesure?

M. Paul Muldoon: Je ne parlerai pas spécifiquement de la mesure législative, mais peut-être de façon générale de son architecture. Dans d'autres mesures législatives, on se sert de déclarations au début du projet de loi pour préciser l'intention du Parlement. Un préambule, c'est bien parce qu'il fournit le contexte, mais on retrouve dans un certain nombre de lois une déclaration commençant par la formule suivante: «Nous déclarons par la présente que la politique du gouvernement fédéral est a, b et c.» Par conséquent, en cas de confusion, on peut toujours recourir au préambule pour faciliter l'interprétation de la loi mais on peut aussi recourir à la déclaration, ce qui est sans doute plus important sur le plan légal. La déclaration énonce clairement et sans équivoque la politique fédérale dans ce domaine.

On note l'absence criante d'un tel guide car il y a dans la mesure proposée un très grand nombre de questions qui ne sont pas énoncées très clairement. Je pourrais certainement vous renvoyer à d'autres mesures législatives qui renferment une déclaration de politique très claire.

Un bon exemple serait la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, où l'on précise ce que l'on appelle «les fonctions administratives», ainsi que le rôle des gouvernements respectifs, en l'occurrence le rôle du gouvernement fédéral. Il y a donc un énoncé déclaratoire ou des déclarations énonçant la teneur de la politique mais, plus précisément, quel est le rôle du gouvernement fédéral dans la mise en oeuvre de cette politique.

Ce sont là deux exemples clairs, à mon avis. Je ne dis pas que c'est chose facile, mais que c'est là le meilleur moyen de clarifier les choses.

Mme Judy Sgro: Dans quel délai pourriez-vous nous communiquer les exemples dont vous avez parlé?

M. Paul Muldoon: Nous pourrions vous les communiquer très rapidement.

M. Mark Winfield: Il y a une autre question sous-jacente à cette discussion, soit la possibilité qu'une commission de réglementation, par opposition au ministre, soit investie du pouvoir décisionnel.

Même dans ce contexte, les observations de Paul s'appliquent car même si le Parlement opte pour cette avenue, il lui incombe tout de même de fournir à la commission une orientation stratégique claire par le biais du préambule et de la mesure législative et ce, dans le but de refléter les valeurs des Canadiens qui ont été évoquées ici. Autrement, on se trouve simplement à céder la responsabilité décisionnelle à une commission dans un vide stratégique et à ce moment-là, tout dépend de sa composition. Je pense qu'il est de loin préférable que le Parlement fournisse une orientation quelconque grâce aux dispositions dont M. Muldoon a parlé.

• 1155

Mme Judy Sgro: Une dernière question. Dans votre rapport, vous avez fait référence à des «acteurs non gouvernementaux». J'ai jugé que c'était là un commentaire intéressant. Pourriez-vous me dire qui, d'après vous, sont ces acteurs non gouvernementaux?

M. Mark Winfield: Je dirais que toutes les organisations représentées par les témoins que vous avez entendus aujourd'hui sont des organisations ou des acteurs non gouvernementaux. C'est d'ailleurs l'une des préoccupations que nous avons à l'égard de l'ébauche du projet de loi. On y fait référence à la délégation des pouvoirs d'inspection et d'application à des organisations non gouvernementales sans jamais les définir. Et à tout le moins, il faudrait qu'il y ait une définition car, comme nous l'avons mentionné, nous avons des réserves sérieuses en principe au sujet de la délégation des pouvoirs coercitifs de l'État à des entités non gouvernementales. Chose certaine, ce ne sont pas là des pouvoirs qui sont exercés dans un cadre habituel.

En fait, le cadre que nous avons élaboré pour nous assurer que ces pouvoirs ne soient pas utilisés abusivement est basé sur l'hypothèse qu'ils seront exercés par des entités gouvernementales et non par des entités privées.

M. Paul Muldoon: J'ajouterai que nous sommes des organisations non gouvernementales et que nous souscrivons sans réserve au rôle des organisations non gouvernementales et à leur place dans la société. Leur mission est de mettre en lumière la diversité d'opinion dans la société, de défendre diverses positions et politiques qui reflètent les valeurs de la société, de faire de la recherche et tout un tas d'autres choses merveilleuses qui sont leur apanage. Ce n'est pas tout à fait ce dont il est question aujourd'hui. Il ne s'agit pas de savoir si les groupes non gouvernementaux ont une profonde valeur dans la société. C'est simplement qu'en présence d'une mesure législative qui est au coeur d'un nombre incalculable de valeurs, doit-on en confier l'application à une agence sur laquelle vous aurez sans doute très peu de prise?

À notre avis, le pouvoir d'application est étroitement lié au pouvoir du gouvernement. C'est ce qui lui permet de mettre en oeuvre ces lois et c'est ce que le public attend du gouvernement.

Nous pouvons certes avoir un débat vigoureux quant à savoir quelle devrait être la politique gouvernementale, mais une fois qu'on s'entend sur la teneur de cette politique sous forme législative, tous les sondages, à ma connaissance, confirment que les citoyens veulent que cette politique soit appliquée et appliquée par une entité qui est directement comptable devant l'électorat. La seule entité qui est directement comptable devant l'électorat, c'est le Parlement et ses agences.

C'est donc littéralement ce qui est en jeu. Ce sont les répercussions de la loi si elle devait être mise en oeuvre. En pratique, vous pourriez céder le volet application à une agence, et ce, pratiquement sans conditions. C'est ce qui nous inquiète.

Mme Judy Sgro: J'aimerais une précision. Vous dites que ce pouvoir d'application devrait demeurer entre les mains du—et je cite «gouvernement du Canada»—, et que nous devrions avoir aussi une commission qui soit chargée de ces questions, les uns surveillant les autres. Et maintenant vous dites que... Je ne vous suis plus.

M. Mark Winfield: Pour moi, ce sont deux questions distinctes. Si l'on décide de créer une commission de réglementation, il est acquis qu'étant donné la façon dont ces choses fonctionnent normalement—par exemple l'Office national de l'énergie et le CRTC—que ces entités font partie de la structure de l'État. Ce sont des agences gouvernementales. Par conséquent, leurs inspecteurs ou leurs agents d'application seraient assujettis aux mécanismes de surveillance et de responsabilisation qui s'appliquent normalement au gouvernement.

Nos inquiétudes concernent l'idée d'une délégation des pouvoirs d'inspection et d'application à une entité non gouvernementale, une société privée, comme une association des cliniques qui offrent ces services. Nous nous opposerions fermement à la délégation des pouvoirs de l'État à des entités de ce genre. Ce qui nous dérange le plus, c'est que la mesure ne définit même pas de quel type d'entité il peut s'agir.

Mme Judy Sgro: Merci.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Merci.

Une petite précision. Nous devions poursuivre nos travaux jusqu'à midi, mais certains d'entre nous peuvent rester un peu plus longtemps alors que d'autres doivent partir pour aller voter. Sommes-nous d'accord pour poursuivre les questions tant que les témoins pourront rester, tout en autorisant certains députés à partir pour aller voter? Ai-je l'assentiment du comité?

M. Preston Manning: Je pense vraiment que nous devrions consacrer plus de temps à ces témoins. Je pensais que nous étions ici jusqu'à 13h30.

M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.): Preston, je vais rester.

M. Preston Manning: D'accord.

Mme Judy Sgro: Je pense que notre intention était d'entendre les témoins jusqu'à midi ou 12h15, de partir pour respecter nos obligations et de revenir ensuite. C'était plutôt une interruption d'une durée suffisante—une demi-heure peut-être—qui était prévue. N'est-ce pas?

• 1200

Le vice-président (M. Rob Merrifield): C'était le plan original, mais nous souhaitons poursuivre l'interrogatoire des témoins, si possible et si des députés sont prêts à rester, nous pourrions le faire.

Est-ce d'accord?

Des voix: D'accord.

M. Preston Manning: Nous pourrons tous consulter la transcription.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Oui.

Monsieur Lunney.

M. James Lunney (Nanaimo—Alberni, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

Brièvement, je peux vous dire que moi aussi je m'identifie aux personnes déficientes. J'ai un neveu trisomique. Ma soeur l'a élevé en grande partie chez elle. Il a un petit emploi dans sa collectivité, et il fait sa part. Il apprend à jouer de la guitare. Il a maintenant dans la vingtaine, et il va de soi que c'est un membre précieux de notre famille.

En ce qui a trait à ces technologies, vous avez dit craindre que la réglementation ait un biais «habilitant» pour ce qui est de l'application de la technologie. Pourriez-vous nous donner plus de détails quant aux problèmes que vous entrevoyez en ce qui concerne l'application de la technologie.

Mme Kathy Marshall: Je pense que l'essentiel est de s'assurer que les Canadiens qui décideront de recourir aux nouvelles technologies de reproduction recevront une information qui leur permettra de donner un consentement éclairé plutôt qu'une information qui soit préjudiciable à une personne déficiente de quelque façon que ce soit.

M. James Lunney: Merci. Je voulais simplement obtenir une confirmation.

Mme Kathy Marshall: Pas de problème.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Madame Wasylycia-Leis.

Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Centre-Nord, NPD): Monsieur le président, j'ai énormément de questions, et je sais qu'on m'interrompra sûrement. Permettez-moi d'en adresser d'abord une ou deux à Kathy et Audrey.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Je suis un président coulant.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Vous êtes coulant. Formidable.

M. Reg Alcock: C'est une bonne chose que je ne sois pas le président.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Ça, c'est certain.

Tout d'abord, je tiens à dire à Kathy et à Audrey que nous leur sommes reconnaissants d'être venues comparaître aujourd'hui. C'est la première occasion qui nous est donnée d'entendre cette perspective. Souvent, lorsqu'il est question de gènes et de technologies de reproduction, on confond souvent l'intérêt de la science pour combattre des maladies difficiles et le sort des personnes handicapées. Aujourd'hui, vous nous demandez de faire preuve de prudence. Dans notre désir de tirer parti des promesses de la science, il ne faudrait pas inclure dans la loi des dispositions qui feraient des personnes déficientes des citoyens de deuxième classe.

Ce que je crains... Je sais que vous recommandez d'ajouter un passage au préambule. Je pense que nous avons déjà ce document. J'ai tellement de papiers, je n'en suis plus certaine, mais il doit être quelque part, parce que je sais que l'ACIC nous a envoyé quelque chose il y a un certain temps. Nous devrions examiner cela attentivement.

L'autre question est l'interdiction du diagnostic d'incapacité, que M. Manning a mentionnée. Il est certain que j'ai déjà entendu des intervenants de Winnipeg mentionner cela. Ma question est... Vous devez réfléchir à cela et nous dire si nous devrions recommander l'interdiction du diagnostic d'incapacité, ou bien, à défaut de cela, quand nous étudierons l'interdiction de l'identification du sexe, qui a des répercussions dans le domaine de l'état de santé, je vous invite à nous faire savoir si, peu importe de quelle façon c'est formulé, et sans tenir compte de l'interdiction séparée relative à l'incapacité, si cela crée quand même la notion d'un régime d'infériorité pour les personnes handicapées, et comment nous pourrions nous en sortir.

Enfin, ma question dans ce domaine porte sur le counselling. Il faudra veiller, quand nous nous pencherons sur la question du choix éclairé ou du consentement éclairé, à trouver le moyen, soit dans ce projet de loi, soit dans le règlement, de faire en sorte que des représentants des organisations qui représentent les personnes handicapées fassent partie intégrante de ce processus de counselling, pour que les parents et les familles puissent clairement comprendre à la fois les difficultés et les joies d'élever un enfant qui a une incapacité comme le syndrome de Down. Je vous inviterais à commenter cela.

Je m'adresse maintenant à Paul et à Mark. Je suis entièrement d'accord avec vous pour dire qu'il incombe au gouvernement de faire appliquer le règlement, de superviser, d'avoir une capacité de surveillance, de mettre en pratique et d'appliquer toutes les conséquences de l'abrogation des lois. Mais je pense que notre comité se débat avec cette question, en partie parce que—c'est mon opinion personnelle—nous n'avons pas vu une réaction très efficace de la part de Santé Canada pour ce qui est d'intervenir de façon proactive dans d'autres dossiers. En fait, le ministère s'est plutôt déchargé de ses responsabilités en les confiant à une agence indépendante dans le domaine de la salubrité des aliments, nommément l'Agence canadienne d'inspection des aliments.

Cette agence n'est peut-être pas aussi indépendante que celle qu'on envisage de créer ici, mais cela soulève quand même le spectre de cette situation où l'on se décharge de ses responsabilités sur un autre organisme qui est peut-être en conflit d'intérêts et qui échappe à l'emprise du gouvernement, du Parlement, ou de quelqu'autre modèle que nous finirons par choisir.

• 1205

Je pense donc que vous devez nous dire ce qui doit être fait, à votre avis, dans le climat politique actuel, alors que l'on est passé d'un véritable modèle de précaution à un modèle de gestion du risque, dans bien des domaines.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Avant de vous donner la parole pour répondre, je voudrais signaler que Ami Wise est maintenant à la table. Je pense qu'il représente l'Association canadienne pour l'intégration communautaire. Nous n'avons pas eu le temps d'entendre son exposé, mais il est présent et tout à fait disposé à participer au dialogue.

Allez-y.

Mme Audrey Cole: Je ne suis pas certaine de pouvoir me rappeler toutes les questions—je n'entends pas aussi bien qu'avant—mais il y a une chose que j'ai retenue et c'est toute la question de savoir à quel moment précis et de quelle manière, dans le processus de counselling, une personne apprendrait ou n'apprendrait pas qu'elle a une incapacité. Bien sûr, pour la plupart d'entre nous, d'après ce que l'expérience nous a appris, c'est à partir de ce point que l'eugénisme commence à apparaître. Si l'on se fie uniquement à ce que disent les manuels sur le syndrome de Down, cela n'a pas vraiment grand-chose à voir avec la vie et avec la façon dont les gens vivent.

Il est certain qu'il y a un préjugé inconscient contre des états comme le syndrome de Down. Que ce soit délibéré ou pas, cela existe. C'est profondément ancré dans la société. C'est tout autour de nous et il est certain que les gens qui vivent avec cette étiquette et tout ce qu'elle entraîne le ressentent très profondément. Je pense donc que la question du consentement éclairé, sur laquelle nous avons tous les deux insisté, est la question clé. Le consentement n'est pas éclairé si l'image qui est présentée quant aux conséquences possibles n'est pas une image juste et si elle ne reflète pas vraiment la vie des personnes ayant une incapacité.

C'est un élément critique et je ne sais pas comment on peut l'obtenir. Disons que ce n'est certainement pas avec des programmes volontaires.

Pensez-y; même si nous avons eu des intervenants autour de cette table qui ont dit que, oui, nous avons un parent qui est trisomique, dans l'ensemble de la société canadienne, la plupart des gens ne connaissent personne ayant ce handicap. Cela touche relativement peu de gens dans la société. Les conséquences ne se limitent pas à la famille visée.

Nous ne disons pas qu'il faudrait forcer une famille à élever une personne handicapée, et que nous devrions leur dire à tous, vous savez, il y en a d'autres qui l'ont fait et il n'y a aucune raison que vous ne le fassiez pas, vous aussi. Ce n'est pas ce que nous disons. Nous disons qu'il faut extirper le préjugé inconscient qui existe, en particulier, semble-t-il, quand les gens cherchent à obtenir du counselling, ce qui est normal dans ce contexte. Dans le contexte envisagé dans ce projet de loi, les gens chercheraient à obtenir de l'information. On constate que, dans l'ensemble de la société, quand les gens cherchent à obtenir conseils sur la question de savoir s'ils devraient avoir un autre enfant ou quoi que ce soit, ou même s'ils devraient concevoir un premier enfant, les gens cherchent à identifier les anomalies génétiques. En cas de résultats positifs, les gens ont tendance à ne pas aller de l'avant. Les gens qui semblent se débrouiller très bien sont ceux qui se retrouvent avec le résultat de la conception, peu importe ce qu'il peut être.

C'est naturel pour les êtres humains de se débrouiller, de «passer au travers». Nous aimons nos enfants, handicapés ou pas, d'un amour qui résiste à tout et qui nous permet de surmonter bien des obstacles. Or ce n'est pas la réalité que l'on présente dans ce processus de counselling, et je pense que c'est là notre principale préoccupation. Il y a un préjugé, que nous voulions l'admettre ou pas. Il y a un préjugé eugénique. C'est généralisé, c'est un fait.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Merci.

Quelqu'un d'autre?

• 1210

M. Mark Winfield: Je pense que votre question porte vraiment sur la forme institutionnelle que devrait prendre l'organisme de réglementation. En fait, cela ressemble aux questions que l'on abordait dans les documents que je vais remettre à la greffière et qui portent sur l'enquête que nous avons faite dans l'affaire Walkerton. On y examinait les différentes options.

Il semble qu'il y ait en fait trois possibilités. La première est la réglementation directe par le ministère, c'est-à-dire que le ministère de la Santé est l'organe de réglementation; des fonctionnaires du ministère prennent des décisions, ils approuvent ou rejettent; des inspections sont faites par des fonctionnaires du ministère de la Santé; et le ministère prend aussi des mesures pour faire appliquer la loi.

La deuxième possibilité est une commission de réglementation indépendante, comparable au CRTC ou à l'Office national de l'énergie, c'est-à-dire un organisme décisionnel en matière de réglementation, un organisme quasi-judiciaire dont les dirigeants sont nommés pour des périodes déterminées et qui sont chargés de prendre des décisions, d'approuver ou de rejeter certaines activités. Il n'est pas rare que de tels organismes aient leur propre personnel d'enquête et d'application de la loi, mais ils font quand même partie de l'appareil gouvernemental. Ces organismes de réglementation sont quand même indépendants.

La troisième option est ce que l'on appelle un organisme de service spécial; c'est essentiellement le modèle que l'on a adopté pour l'Agence canadienne d'inspection des aliments et l'Agence canadienne des douanes et du revenu. C'est très différent d'une commission de réglementation. Il ne s'agit pas d'un organisme quasi-judiciaire qui rend des décisions mettant en cause les politiques. Il y a simplement un président-directeur général de l'entreprise qui est chargé de l'administration courante de l'agence, mais qui est censé suivre les instructions du ministre et du Parlement pour l'élaboration des politiques.

En l'occurrence, je serais enclin à plaider très fermement contre l'utilisation du modèle d'une agence comme l'ACIA. Je pense qu'il y a de très graves problèmes de reddition de comptes relativement aux décisions de politique dans le cas du modèle de l'agence, et je pense que ce serait donc un modèle qui ne conviendrait absolument pas en l'occurrence. Il est clair que, dans ce contexte, qui touche profondément les valeurs et la vie quotidienne des Canadiens, des décisions de principe doivent être prises. Il est donc essentiel d'établir clairement un cadre de responsabilité relativement à ces décisions.

Cela nous laisse donc deux options. Ou bien c'est le ministère qui est chargé de la réglementation, c'est-à-dire que le ministre devient alors le foyer des responsabilités et de la reddition de comptes, étant comptable de ces décisions devant le Parlement, ou bien on crée une commission de réglementation, et encore là, il y a un foyer de responsabilité très clair quant aux décisions. L'avantage de la commission est qu'elle possède quand même un certain degré d'indépendance par rapport au ministère. Cela permet d'isoler les décisions du reste de l'administration. Cela permet également de désigner plus clairement une institution qui est spécifiquement chargée de la question—en l'occurrence, les techniques de reproduction—et permet l'émergence d'un organisme qui possède l'expertise et la sensibilité voulues relativement aux grandes questions de principe qui peuvent se poser.

La seule réserve, dans le cas des commissions de réglementation, est qu'elles ont tendance à établir des liens très solides avec la communauté visée par la réglementation. ON le constate dans le cas du CRTC. On le constate aussi à l'Office national de l'énergie. Il est donc essentiel, si l'on adopte cette voie, d'établir des mécanismes pour s'assurer que les membres du grand public et les personnes directement visées puissent intervenir de façon efficace dans le processus de réglementation. Vous devrez établir des structures pour s'assurer que ces personnes aient leur mot à dire dans les audiences de réglementation, des structures qui veilleront à leur fournir les ressources voulues pour intervenir efficacement dans le processus, l'accès à des avocats, aux conseils d'experts, etc.

Je pense que ce sont là les choix qui s'offrent au Parlement quant à savoir quelle structure il faut créer pour établir un régime de réglementation dans ce domaine.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Merci.

Madame Scherrer, si les questions et les réponses sont courtes, il y aura du temps pour tout le monde.

[Français]

Mme Hélène Scherrer (Louis-Hébert, Lib.): Je vais parler en français.

[Traduction]

Je vais vous donner un peu de temps.

M. Ami Wise (chargé de projet, Association canadienne pour l'intégration communautaire): En fait, je me demandais si je pouvais ajouter un bref commentaire aux propos de Audrey.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Oui, allez-y.

M. Ami Wise: Non seulement existe-t-il un parti pris en faveur de l'eugénisme au Canada, mais c'est aussi à l'heure actuelle une question dont on ne perçoit pas l'ampleur. La communauté des personnes handicapées compte quatre millions de personnes et ne cesse de grossir, et les gens l'ignorent. C'est une question cachée.

• 1215

Vu de l'extérieur, les familles qui comptent une personne ayant une incapacité peuvent fonctionner, et peuvent ressembler à n'importe quelle autre famille, mais ces familles-là sont confrontées à des réalités dont nous ignorons même l'existence. Ce n'est pas exposé. Ce n'est pas public.

Par conséquent, il faut aussi faire connaître ce qui se passe dans ces familles. Ce n'est pas du domaine public. À l'heure actuelle, c'est un problème camouflé.

Je tenais à ajouter cela.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Nous vous en remercions.

Madame Scherrer.

[Français]

Mme Hélène Scherrer: Merci, monsieur le président.

J'ai trouvé très difficile d'écouter les présentations ce matin. Elles ont touché deux tiroirs dans ma tête, qui sont complètement séparés. Il y a, bien sûr, tout le côté législatif mais aussi tout un autre côté qui vient me chercher émotivement. Je n'avais jamais envisagé les choses de la sorte jusqu'à maintenant.

Je suis travailleuse sociale de formation et j'ai travaillé dans ce domaine. Personne dans ma famille ne souffre du syndrome de Down, mais j'ai travaillé très souvent avec des enfants fortement handicapés. Il n'y a pas une journée de travail où je n'ai pas été en mesure de reconnaître la richesse de ces gens, de voir la profondeur de leurs valeurs, de voir que leur façon d'entrevoir la vie était si différente, tout comme leur façon de vivre, de toucher et de venir me chercher.

Par contre, il n'y a pas une journée où, retrouvant mes enfants à la maison, je ne remerciais pas le bon Dieu que mes enfants ne soient pas déficients et qu'ils aient tout ce que le bon Dieu leur avait donné pour pouvoir profiter au maximum de la vie.

Je fais probablement partie des gens qui reconnaissent la valeur et la richesse de toute cette communauté et de ces familles qui vivent de telles choses. D'autre part, je ne peux pas comprendre qu'on ne donne pas à la recherche tous les outils possibles pour faire en sorte que les enfants naissent avec tout ce qu'il est possible d'avoir et qu'ils ne souffrent pas de déficience afin de profiter au maximum de la vie. Si on me donnait le choix, je voudrais qu'on fasse tout ce qui est possible pour s'assurer que l'enfant que je mette au monde soit un enfant qui ait le maximum possible.

Revenons à ma question. Que pensez-vous de l'amniocentèse qui permet, en début de grossesse, de détecter le syndrome de Down et de donner le choix aux parents? On sait que la majorité des parents choisissent l'avortement lorsqu'ils apprennent que leur enfant va souffrir du syndrome de Down. Êtes-vous d'accord sur cela? J'ai un peu de difficulté à bien comprendre, mais je sais l'importance de la reconnaissance de la déficience. Je comprends qu'il est important de reconnaître la valeur de ces familles et de ces gens, mais je ne comprends pas qu'on ne veuille pas faire tout ce qui est possible pour que, dans un cas de procréation assistée, les parents puissent choisir qu'un enfant vienne au monde avec tout ce qu'il est possible d'avoir.

[Traduction]

Mme Audrey Cole: Je pense que la question clé dans tout cela, quand il est question des personnes handicapées, est celle-ci: d'après quels critères jugeons-nous la qualité et la valeur de leur vie? La vie d'une personne qui a toujours eu une déficience, et les moyens utilisés par cette personne pour évaluer la valeur et la qualité de sa vie, sont clairement très différents des moyens utilisés par une personne qui n'a jamais vécu avec une déficience pour évaluer la valeur de sa propre vie. Je trouve que l'on mélange tout—et je tenais à apporter cette précision avant d'en arriver à l'amniocentèse.

• 1220

Je le dis sans détour: je ne crois pas que je choisirais délibérément d'avoir une déficience. Je ne le pense pas. Mais je fonde cette opinion sur le fait que je n'en ai jamais eue, du moins pas une déficience comme le syndrome de Down, par exemple, que l'on peut déceler avant la naissance.

Mon fils n'a jamais connu quoi que ce soit d'autre, et il a une vie merveilleuse. Il ne sait pas que c'est un désavantage de ne pas pouvoir parler, de ne pas pouvoir faire certaines choses. Il tire le maximum de sa vie, il profite au maximum de ce que la vie lui apporte. C'est ce que nous faisons tous. Je pense donc que nous tombons dans le piège de supposer que, parce que nous n'en voudrions pas nous-mêmes, on peut conclure que ce n'est pas bien pour la personne qui est atteinte d'un tel syndrome.

Le principal problème, c'est le manque de reconnaissance, l'absence d'égalité et l'absence de dignité qui caractérisent souvent le soutien ou l'absence de soutien à l'égard des personnes handicapées. Donc, pour en arriver à la question de l'amniocentèse, nous ne disons pas nécessairement que personne ne devrait pouvoir passer un test d'amniocentèse. S'il y a un état que l'on peut déceler et que l'on pourrait atténuer d'une certaine manière, ou dont on pourrait minimiser les conséquences d'une manière quelconque, alors oui, je pense que les gens choisiraient tout naturellement cette voie. Mais tant qu'il n'y aura pas un remède ou une technique que nous pourrions utiliser pour aider un foetus dans cet état, nous devons reconnaître que l'amniocentèse est en réalité un outil d'eugénisme. Tant que nous n'aurons pas une technique permettant de dire, bon, on va faire une petite manipulation génétique et le syndrome de Down va disparaître... Mais nous n'en sommes pas là et nous ne le serons probablement jamais, parce que les gènes sont déjà fixés à cette étape. Tout est là. Il est donc improbable que l'on en arrive là un jour.

Je donne l'exemple du syndrome de Down parce que c'est le plus évident. Oui, la plupart des gens choisissent l'avortement. J'ai vu des chiffres; 93 p. 100 des gens choisissent l'avortement. Ce qui nous préoccupe, c'est de savoir s'ils ont pris cette décision en sachant ce que c'est que de vivre avec une déficience ou en se fondant sur des hypothèses établies à partir de leurs propres normes à eux, de leurs propres moyens de mesurer la valeur d'une vie, la qualité d'une vie? Cette décision a-t-elle été prise en fonction de normes établies d'après une image qui leur a été présentée? Dans ce cas, ce n'est pas un choix éclairé. Ce n'est pas une décision éclairée.

C'est une question délicate. L'autre jour, j'étais dans un groupe et quelqu'un a accusé l'ACIC d'être tout simplement pro-vie et anti-avortement, mais cela n'a jamais posé le moindre problème dans notre organisation, au grand jamais, et je ne connais personne pour qui cela pose un problème.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Merci beaucoup. Nous allons passer à quelqu'un d'autre, car il nous reste peu de temps.

Monsieur Manning.

M. Preston Manning: Je déteste passer de l'un à l'autre. D'une part, nous sommes aux prises avec cette question fondamentale de la vie, mais d'autre part, je veux aussi poser des questions techniques sur le règlement.

Je voudrais tout d'abord dire aux avocats du droit de l'environnement qu'un certain nombre de témoins que nous avons entendus ont fait une analogie entre ce domaine de la reproduction assistée et l'environnement. C'est l'un de ces domaines qui sont quasiment de compétence partagée; les provinces et le fédéral assument tous les deux des responsabilités dans ce dossier. Je pense donc qu'il y a beaucoup à apprendre de votre expérience dans ce domaine et nous vous en remercions.

Je veux aussi profiter de l'occasion pour rendre hommage à l'Institut Pembina. Je me rappelle avoir eu une discussion très animée avec votre fondateur à Drayton Valley vers 1988, alors que nous étions tous les deux débutants. Mais j'ai suivi vos progrès et vous avez en fait des amis à notre tribunal; Rob est votre député. Nous vous sommes reconnaissants pour votre contribution.

• 1225

Voici ma première question. Posons l'hypothèse que ce n'est pas une bonne idée de déléguer la mise en application à des intervenants non gouvernementaux, mais il n'en reste pas moins que beaucoup d'éléments dans cette loi pourraient être délégués. Pas nécessairement la fonction d'application de la loi, mais il y a bien d'autres choses que l'on pourrait déléguer. Ne pourriez-vous pas nous faire des suggestions, si l'on doit déléguer certaines fonctions, peut-être la cueillette ou l'analyse des données, sur la manière d'obliger les organisations en question à rendre des comptes?

En fait, Mark, ne pourrais-je pas me contenter de reprendre la liste qui figure à la page 2 de votre mémoire, où vous dites que le problème est que la loi sur la protection de la vie privée ne s'applique pas à beaucoup de ces organisations, aucune règle ne les guide, elles ne sont pas tenues de se soumettre à des vérifications, et rendre tout cela obligatoire? Si l'on doit déléguer ces fonctions, on pourrait exiger cela dans la loi pour que les intervenants non gouvernementaux rendent des comptes. Ne serait-ce pas là une manière de régler ce problème?

M. Mark Winfield: Dans le contexte des entités qui ont été créées en Ontario, nous avons pris position publiquement et c'est précisément ce que nous avons recommandé de faire. Je pense qu'en l'occurrence, ce serait absolument vital, surtout dans le domaine de la protection de la vie privée et de l'accès à l'information.

Nous sommes toutefois préoccupés par le fait que lorsque des fonctions de ce genre ont été déléguées, même dans un cadre non réglementé, l'assemblée législative provinciale a eu tendance à négliger cet aspect. Oui, il est certain que l'on pourrait déléguer certaines tâches à des entités non gouvernementales, mais dans ce cas, il devient essentiel de prévoir un régime suffisamment rigoureux de reddition de comptes et de surveillance. Par contre, l'expérience nous a appris que, jusqu'à maintenant, les gouvernements, de façon générale, n'ont pas assuré cet encadrement.

M. Preston Manning: J'en fais la suggestion aux attachés de recherche: quand ils travailleront à l'ébauche, ils pourraient simplement prendre cette liste et en faire des conditions de la délégation de pouvoirs.

La deuxième question porte sur l'équivalence. Je pense que vous vous rendez compte des aspects politiques de ce projet de loi. La partie sur l'équivalence a été ajoutée en partie parce que le gouvernement fédéral prévoit que certaines provinces vont considérer cette loi comme une ingérence dans le champ de compétence provinciale. C'est particulièrement le cas du Québec, mais ce n'est pas seulement le Québec. On a prévu que le seul moyen de résoudre ce dilemme, c'est que les provinces devront adopter des lois équivalentes et les autorités fédérales les reconnaîtront.

Cela soulève la même question sur l'équivalence. Je suppose que c'est là-dedans. S'il doit y avoir des ententes d'équivalence—mais je ne pense pas que l'on ait le choix d'en avoir ou pas, la question est de savoir comment s'assurer que tout cela fonctionne. Il me semble que votre mémoire, en identifiant tous les problèmes... Si l'on s'attaque à tous ces problèmes et que l'on dit, voyons voir, assurons-nous que tout soit transparent, que l'on rende des comptes, que l'entente d'équivalence soit publique, qu'il y ait une vérification des résultats, n'ai-je pas raison de dire que vous pourriez faire fonctionner tout ce régime d'équivalence si vous tiriez profit de l'expérience que vous accumulez dans le domaine de l'environnement?

M. Paul Muldoon: Je pense que vous avez formulé votre question de telle manière que je pourrais me contenter d'y répondre «oui», en ce sens que l'on pourrait prévoir des dispositions qui garantiraient la responsabilité et la transparence pour surmonter les préoccupations que vous avez évoquées. Ce n'est donc pas une question de «si», parce que je pense en effet qu'il y aurait moyen de faciliter la mise en oeuvre, de faciliter le fédéralisme coopératif et tout cela. La question est plutôt de savoir comment s'y prendre. C'est pourquoi nous avons distribué le rapport du commissaire à l'environnement. Je pense qu'il démontre clairement ce qui cloche et comment y remédier.

Je voudrais seulement mentionner que le rapport du commissaire à l'environnement portait en réalité sur les dispositions de l'ébauche du projet de loi. L'article 10 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement donne quelques exemples de la façon de régler tout cela. Nous disons que vous devez aller encore plus loin, mais on y donne de bons exemples de la façon dont on a tenté de régler cela dans cette loi. Je crois que vous devez aller encore plus loin, mais c'est certainement un bon point de départ.

M. Preston Manning: J'ai une dernière observation. Ce n'est pas une question, mais plutôt une suggestion en vue d'un projet que vous pourriez entreprendre à titre d'avocat spécialiste de l'environnement. Si notre comité avait de l'argent et si nous avions le droit de le distribuer, je vous paierais pour nous remettre un mémoire là-dessus. Mais nous n'avons pas d'argent et mon offre est donc creuse.

Oh, nous en avons, de l'argent! On va prendre des notes.

Je connais surtout la loi albertaine sur l'environnement et l'énergie. Comme vous le savez, en Alberta, il y a 30 ans, il n'y avait aucune éthique environnementale dans la réglementation de l'énergie. Quand des environnementalistes se montraient à une audience de l'ERCB ou du PUB, on les considérait comme des énergumènes. On se demandait: «Que font donc ici ces gens-là?» Aujourd'hui, 30 ans plus tard, une éthique de l'environnement est inscrite dans les lois de l'Alberta et dans l'appareil de réglementation. L'environnement a la cote.

• 1230

Vous savez tout cela, comment l'éthique environnementale est passée du degré de reconnaissance zéro dans l'appareil législatif et de réglementation jusqu'à devenir un élément très important. Il serait très intéressant, de notre point de vue, que quelqu'un documente cette évolution de l'aspect éthique, comment c'est passé du degré zéro à la situation actuelle. Il est certain que le public a fait connaître son appui dans ce domaine, mais quelles mesures concrètes ont fait en sorte qu'une année, l'environnement était quantité négligeable à l'ERCB et l'année suivante, c'était devenu important? Quels changements législatifs et réglementaires ont fait passer l'éthique environnementale de zéro à la situation actuelle?

Je pense que nous sommes confrontés au même dilemme pour ce qui est de tenir compte de la vie dans tout ce dossier des techniques de reproduction. Comment passer d'un concept flou dont les gens sont vaguement au courant à quelque chose de précis qui est reconnu officiellement par le système?

C'est une suggestion que je lance. Si quelqu'un pouvait nous raconter l'histoire, nous dire comment cela s'est passé dans le domaine de l'environnement—il existe peut-être déjà une étude là- dessus—je pense que ce serait très instructif, de notre point de vue, de voir comment on peut faire place dans la loi à des considérations éthiques en matière de techniques de reproduction.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Voulez-vous commenter cela?

M. Mark Winfield: Bien sûr.

Il se trouve que ma thèse de doctorat portait justement en grande partie sur l'évolution de ces questions en Alberta. Nous vous ferons parvenir cela avec plaisir.

Par ailleurs, à un moment donné dans le processus, l'assemblée législative elle-même se saisit de la question et décide d'exprimer ses valeurs dans la loi, autant l'éthique environnementale relativement à la protection de l'environnement et la décision de permettre la participation du public au processus de prise de décisions. À un moment donné, les parlementaires doivent déclarer que la société a atteint un point où il faut cristalliser la question et l'énoncer dans la loi elle-même.

M. Preston Manning: J'aimerais beaucoup prendre connaissance de toute étude qui raconterait cette histoire.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Et peut-être que nous l'aurons à un bon prix.

Merci.

[Français]

Madame Scherrer, c'est à vous.

Mme Hélène Scherrer: Je reviens à l'autre aspect. Vous avez parlé de façon plus particulière de votre fils, qui a probablement une vie pleine et remplie et qui profite de tout ce qui lui est offert. On parle probablement de personnes qui ne sont pas conscientes de ce qui leur manque ou de ce qu'elles n'ont pas et qui profitent pleinement de ce qu'elles ont.

Il n'en demeure pas moins qu'il y a, parmi les Canadiens qui souffrent de déficiences, certaines personnes qui s'en rendent compte en regardant et en côtoyant les autres. Si elles avaient eu le choix, ou si elles avaient toujours le choix, elles souhaiteraient peut-être avoir plus de capacités qu'elles n'en ont actuellement.

J'y reviens parce qu'on semble accepter comme prémisse que les gens qui ont des déficiences ont une vie pleine et que mon opinion n'est que le jugement de quelqu'un qui ne souffre pas de cette déficience. Peut-être que si je dis que ces gens ne sont pas heureux, il ne s'agit que de mon jugement, mais il faut prendre en considération—et j'aimerais avoir votre opinion sur ce sujet—qu'il y a des gens qui, effectivement, se rendent compte qu'ils sont limités dans certains volets. Peut-être leur déficience est-elle moins profonde, mais s'ils le pouvaient, ils choisiraient probablement de ne pas avoir à vivre avec cette déficience.

[Traduction]

Mme Audrey Cole: Je le suppose, mais ce que j'entends les gens dire, c'est que le fardeau d'une déficience émane non pas de la déficience elle-même, mais plutôt du manque de soutien ou de reconnaissance de la personne comme personne d'égale valeur. C'est le fait que la société ne donne pas des chances égales à l'école, ne donne pas des chances égales au travail et ne fournit pas des moyens suffisants pour vivre.

• 1235

De façon générale, les personnes handicapées vivent dans la pauvreté. Les membres de la famille sont pénalisés toute leur vie parce qu'ils doivent investir une si grande partie de leur vie pour appuyer la personne en cause et faire des sacrifices qui, comme Ami l'a dit, je crois, n'existent pas dans une famille où il n'y a aucune déficience.

Mais il est difficile de répondre à cette question. Nous pouvons seulement en parler aux gens qui ont déjà une déficience, mais je n'ai pas l'impression que la plupart des personnes handicapées aspirent ardemment à une vie sans handicap. Cela ne correspond pas à mon expérience.

Mme Kathy Marshall: Ni à la mienne. Je pense que chacun a ses propres limites dans sa vie. Peu importe qu'une personne soit née handicapée ou le soit devenue à cause d'un accident ou d'une quelconque tragédie sociétale, je pense que ce qui est en cause, c'est la perception de vivre la vie la plus pleine possible dans les circonstances.

Mon expérience au CCD et au Réseau d'action des femmes handicapées m'a appris que tous les membres de nos organisations vivent des vies pleines et valorisantes. Les gens, dans notre milieu, craignent vivement que certains éléments de ce projet de loi vont instaurer un parti pris d'eugénisme. Nous allons assurément faire parvenir au comité des éléments d'information sur une interdiction pour empêcher l'émergence d'un tel mouvement.

Encore une fois, je pense qu'il faut insister sur le fait que la déficience doit être considérée comme une caractéristique humaine, au même titre que le sexe ou que la race. Une personne ne devrait pas être perçue comme un citoyen de seconde classe parce qu'elle doit vivre avec différentes contraintes, car nous avons tous des limites.

[Français]

Mme Hélène Scherrer: Madame Cole, vous me touchez profondément. Je voudrais vous poser une question. Elle est très personnelle, mais je vous la pose quand même. Vous n'êtes pas obligée d'y répondre.

Connaissant la vie que vous avez vécue avec votre enfant et sachant quelles frustrations—et vous avez raison, je vis aussi des frustrations tous les jours, je regarde autour de moi, et j'envie parfois ce que les gens ont—vous avez vécues, si vous aviez la possibilité de faire en sorte que votre fils n'ait pas eu à vivre avec le syndrome de Down, que choisiriez-vous?

[Traduction]

Mme Audrey Cole: C'est très difficile à dire, parce que ma vie a été tellement remplie, depuis 37 ans, par la présence de mon fils. C'est donc difficile de deviner ce que j'aurais choisi si la possibilité m'en avait été offerte. Je n'ai pas d'objection profondément ancrée à l'avortement comme tel, quoique j'ais des réserves sur la façon dont elle est utilisée parfois. Par exemple, j'estime que l'avortement ne devrait pas être considéré comme une technique de contrôle des naissances. Mais je n'ai pas de sentiments profondément ancrés là-dessus et je n'ai pas non plus de préjugés religieux à cet égard.

Je ne peux donc vraiment pas dire. J'ai fondé une famille sur le tard et tout ce que je peux dire, c'est que je sais que cela a enrichi ma vie d'avoir un fils comme celui que j'ai eu. Je sais que mon fils a enrichi la vie de beaucoup de gens. Je parle à beaucoup d'autres familles dont les enfants n'ont aucune déficience et ce n'est pas tout le monde qui peut en dire autant.

Je voudrais vous raconter une brève anecdote qui m'a vraiment frappée. Je sais que certains m'ont probablement déjà entendu la raconter, car je l'ai fait souvent en public.

Il y a à peine quelques années, mon mari, mon fils et moi-même sommes allés aux funérailles du plus vieil ami de mon mari. Une personne est venue nous voir et mon mari nous a brièvement présentés. C'était le fils d'un contemporain de mon mari et il était donc pas mal plus jeune que nous l'étions, je dirais la quarantaine avancée.

• 1240

Il n'a pas serré la main de notre fils, mais il l'a regardé et a demandé: «Quel âge a-t-il?». Prise par surprise, j'ai répondu sans réfléchir. Et cet homme, qui est médecin et qui pratique son art aux États-Unis, s'est contenté de dire: «Ah, c'était avant l'amniosynthèse».

Voyez-vous, voilà justement l'attitude qui est au coeur même de mes préoccupations. Comment quelqu'un a-t-il pu nous dire une chose pareille, à mon mari et à moi? Comment quelqu'un peut-il dire cela en présence de notre fils, sans connaître le moindrement sa capacité de compréhension? Mais les gens font cela.

Je n'avais pas l'intention d'aborder tout ce dossier sous l'angle de mon expérience personnelle, mais c'est un fait que j'ai de l'expérience en la matière. J'ai fait l'expérience du mépris affiché à l'égard des personnes qui ont le syndrome de Down. J'ai fait l'expérience d'une discrimination flagrante envers mon fils dans certaines circonstances, notamment dans l'éducation.

C'est donc la réalité à laquelle nous sommes confrontés. Ce n'est pas la déficience qui est le problème. Voilà l'essentiel de mon propos.

Le vice-président (M. Rob Merrifield): Merci beaucoup.

Nous sommes assurément reconnaissants aux témoins d'être venus aujourd'hui. Nous ferons peut-être de nouveau appel à vous, au besoin, mais vos exposés nous ont été très utiles. Je veux vous remercier au nom du comité.

Je vais maintenant suspendre la séance.

[La séance se poursuit à huis clos]

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