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HEAL Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON HEALTH

COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 21 novembre 2001

• 1539

[Traduction]

La présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs. La séance est ouverte.

Avant d'entendre nos témoins, j'ai un petit détail à régler. Il s'agit en fait de quelques annonces.

Comme vous le savez, nous sommes près d'achever notre étude et nous essaierons d'avoir une première ébauche de rapport le lundi 3 décembre. C'est ce que nous avons décidé lors d'une réunion, il y a environ un mois. Puisque M. Ménard était un peu fâché parce que nous nous réunissions le lundi 26 novembre, comme il n'avait pas pu assister à la réunion à laquelle nous avions arrêté cette date, je tiens à vous rappeler que nous avons convenu à deux occasions distinctes de nous réunir le lundi 26 novembre pour entendre les témoins que nous avons ratés parce que nous n'avons pas voyagé. Nous avons également convenu de nous réunir le lundi 3 décembre pour faire un premier examen de l'ébauche de rapport.

Ces deux réunions commenceront à 10 heures. Ceux d'entre vous qui n'habitez pas trop loin pourraient même commencer ce travail lundi en matinée.

• 1540

En outre, le mardi 27 novembre, notre réunion durera deux heures comme d'habitude, de 11 heures à 13 heures, et nous aurons une téléconférence avec le Royaume-Uni. Le mercredi 28 novembre, notre réunion sera un peu inhabituelle, puisqu'elle commencera à 15 h 30, c'est-à-dire à l'heure habituelle, que nous siégerons une heure, que nous entendrons deux témoins, après quoi nous suspendrons nos travaux pour revenir à 19 heures. Je suis désolée, mais c'est pour tenir compte du décalage horaire entre Ottawa et la Nouvelle-Zélande où se trouveront nos témoins. Nous reprendrons donc notre réunion de mercredi à 19 heures, probablement pour une heure, pour entendre ces témoins de la Nouvelle-Zélande en téléconférence.

J'avais une question à vous poser au sujet du 29 novembre. Les attachés de recherche m'ont signalé qu'il reste encore un certain nombre de sujets du projet de loi sur lesquels ils ont de la difficulté à connaître l'intention des membres du comité. Ils ont proposé de rédiger un document sur certaines de ces questions afin que nous puissions en discuter, à huis clos, pour qu'ils connaissent votre opinion sur ces questions. Je sais que nous avons convenu de certaines choses, mais il y en a d'autres pour lesquelles ils n'ont pas eu l'occasion d'entendre notre opinion.

Mais le problème, c'est que nous entendrons deux témoins à 11 heures le 29 novembre; j'espère que nous pourrons terminer leur audience en une heure. Également, l'une de nos collègues, Mme Beaumier, s'est portée candidate au poste de présidente de l'Union interparlementaire et l'élection a lieu à midi ce jour-là. Je suis certaine qu'elle ne pourra pas être avec nous et que bon nombre de ses collègues souhaiteront aller voter pour elle. Toutefois, la discussion sur ces sujets controversés devrait avoir lieu durant la deuxième moitié de cette réunion. Nous pourrions peut-être travailler de 11 heures à midi, aller apporter notre appui à notre collègue et, si vous le voulez, nous pourrions revenir ensuite, de 12 h 30 à 13 h 30 ou de 12 h 45 à 13 h 45.

Seriez-vous d'accord?

M. Rob Merrifield (Yellowhead, Alliance canadienne): Je serais d'accord.

La présidente: Si vous ne voulez pas aller à la réunion de l'UIP, vous pourrez toujours aller déjeuner pendant ce temps-là ou faire autre chose.

Donc si vous le voulez bien, c'est ce que nous ferons.

Merci beaucoup.

Nous entendrons aujourd'hui trois témoins. Le premier de ces témoins est quelqu'un que vous connaissez bien, puisqu'il s'agit de Maureen McTeer, ancienne commissaire de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction.

Soyez la bienvenue, madame McTeer, je vous laisse la parole.

Mme Maureen McTeer (ancienne commissaire, Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction): Merci beaucoup, madame la présidente. Merci de votre invitation à vous parler de questions qui m'intéressent et qui intéressent aussi grandement la plupart des Canadiens.

Votre comité devra relever deux grands défis distincts. Premièrement, il doit créer un cadre législatif et réglementaire pour l'exercice de la médecine de la reproduction au Canada. Ce cadre devra tenir compte des techniques actuelles et futures et des pratiques dans le domaine de la reproduction et de la génétique.

Deuxièmement, le comité doit concevoir et mettre en place un cadre juridique fondé sur de bons principes éthiques afin de guider la communauté scientifique dans l'utilisation de matériel de reproduction, entre autres les embryons, les ovules et les spermes, dans la recherche et les traitements.

Puisque je suis spécialiste du droit médical qui travaille plus particulièrement dans le domaine du droit, de la science et de la politique gouvernementale, je vous ferai part cet après-midi de mes propositions sur les façons de relever ces défis qui sont parmi les plus importants de notre époque.

Permettez-moi d'abord d'énoncer les principes de base qui, à mon avis, constituent un élément essentiel de toute loi qui sera rédigée par le gouvernement et adoptée par le Parlement.

Au cours des 12 dernières années, j'ai fait des recherches et j'ai réfléchi à ces questions, y compris durant les deux années assez malheureuses que j'ai passées au poste de commissaire de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction. Durant toute cette période, j'ai exhorté les parlementaires à appliquer quatre principes. J'ai demandé à ce qu'ils fassent partie du préambule du projet de loi que le gouvernement présentera.

• 1545

Premièrement, le corps humain, ses parties et ses fonctions ne sont pas des objets de commerce et ne doivent être ni achetés ni vendus. Deuxièmement, le génome humain est un trésor public et non un trésor privé et ne peut donc pas faire l'objet d'un brevet. Troisièmement, tous les Canadiens ont le droit de connaître leur patrimoine génétique et de voir ce patrimoine protégé par des lois efficaces relatives au respect de la vie privée et autres lois connexes. En fait, chaque fois qu'on utilise des techniques de reproduction et de génétique ou des techniques connexes, les intérêts de l'enfant qui sera créé doivent être primordiaux.

Pourquoi est-il si important d'inclure ces principes dans le texte de la loi que nous proposerons? C'est parce qu'ils énoncent clairement les valeurs que nous respectons en tant que société et que nous nous attendons à voir respectées par ceux qui utilisent du matériel humain de reproduction, et aussi parce que ces principes soulignent le fait qu'il est inacceptable de commercialiser la vie humaine. Plus important encore peut-être pour ceux d'entre nous qui luttent pour l'égalité, ces principes montrent clairement que les intérêts des enfants et des vies créées délibérément in vitro ne peuvent être considérés moins importants que les intérêts de ceux qui sont dans une position de pouvoir et de contrôle.

Je remettrai à votre greffier des propositions d'amendements que j'ai déjà rédigées afin que vous les examiniez, mais je voudrais utiliser le temps limité dont je dispose cet après-midi pour vous parler d'une chose soit le mécanisme qui permettra d'élaborer et de contrôler ces technologies et ces pratiques. Hélas, comme l'avant-projet de loi a peu à dire à ce sujet, nous devons tous essayer d'imaginer ce qui nous est proposé.

Dans cet avant-projet de loi, le ministre demande que soit conféré à son ministère tous les pouvoirs en matière d'attribution des permis aux cliniques, du suivi, de la réglementation de leur fonctionnement, en fait, de tous les aspects de l'exercice de la médecine de la reproduction qui utilise des NTRMG et des méthodes semblables. Ces propositions sont le meilleur moyen de mettre en place un paradis pour bureaucrates sur lequel un seul ministère du gouvernement fédéral exercera un contrôle total.

Nous n'avons aucune idée des règles qui s'appliqueront à ce qu'on appelle les «activités contrôlées», qui, en vertu de la loi seront permises avec l'autorisation du ministre. À quelles conditions le ministre de la santé permettra-t-il les recherches sur les embryons humains? Quelles recherches seront autorisées et à quelles fins? Quels règlements seront concoctés dans les tréfonds de Tunney's Pasture pour concrétiser les édits du ministère de la Santé et qui, outre le ministre et son ministère, tranchera ces grandes questions de politique gouvernementale?

Pour ceux que la démocratie et la transparence intéressent, ces ébauches de propositions sont incompréhensibles. Dans les semaines qui viennent, je vous prie instamment de ne pas vous en tenir au cadre limité d'un ministère fédéral et de créer un mécanisme de réglementation extérieur au gouvernement et relevant du Parlement qui tienne compte des besoins que créent ces progrès scientifiques révolutionnaires. Pourquoi devriez-vous l'envisager? Sur le seul plan constitutionnel, je peux vous donner au moins quatre raisons.

D'abord, ce défi auquel vous êtes confrontés consiste en partie à assurer la prestation de services de santé aux Canadiens. C'est une responsabilité provinciale. Deuxièmement, les médecins, les infirmiers et les autres professionnels de la santé sont accrédités par des associations professionnelles provinciales. Troisièmement, ce sont les programmes provinciaux d'assurance-santé qui devront être modifiés pour que tous les Canadiens puissent avoir accès à ces technologies en vue de les aider à fonder une famille ou à obtenir de l'information génétique ou des tests. Quatrièmement, ce sont les lois provinciales sur la famille, les successions, la propriété et l'enregistrement qui devront être modifiées pour tenir compte de la situation des enfants nés grâce à ces technologies et pour protéger leurs droits.

Voilà certaines des raisons pour lesquelles les propositions soumises ici sont à la fois inadéquates et inacceptables dans le contexte canadien. Toutefois la question de compétence n'est pas à mon avis la plus impérieuse pour refuser de créer un nouveau fief des technologies génétiques de reproduction à Santé Canada. Ce sont là des sujets d'actualité qui sont aussi controversés. Ils soulèvent de graves questions et sont éminemment politiques. Devrions-nous encourager la recherche sur les cellules souches? Devrions-nous cloner des embryons humains à des fins de recherche ou de traitement? Devrions-nous utiliser des éléments du corps humain servant à la reproduction prélevés sur des foetus importés pour créer des embryons destinés à la recherche, comme on le fait en Grande-Bretagne, par exemple? À qui refusera-t-on une fertilisation in vitro et pour quelle raison? Autoriserons-nous l'octroi de brevets sur des formes de vie humaine et sur le génome humain?

• 1550

Le problème qui se pose à nous dépasse largement la réglementation des cliniques de fertilité et les médecins qui y pratiquent. Il existe un important consensus sur le rôle que nous voulons que jouent ou non les cliniques de fertilité. Nous avons parcouru pas mal de chemin. Les médecins, les infirmiers et des organisations comme la Société canadienne de fertilité et d'andrologie, par exemple, ont beaucoup contribué à l'adoption de normes relatives aux éléments probants et aux pratiques exemplaires dans le domaine précis de la médecine de la reproduction.

S'il ne s'agissait que de cela, on aurait pu rédiger une loi il y a des années, mais il ne s'agit pas que de réglementer les cliniques de fertilité. Il s'agit aussi de créer un mécanisme, une chambre de réflexion, un endroit propice à un débat et à un dialogue véritables, où l'on puisse prendre certaines initiatives, un centre de décision et d'excellence dans plusieurs domaines, où l'on ferait appel à des Canadiens de divers secteurs de la société notamment en droit, en science, en médecine, en politique, en santé et en défense des intérêts des collectivités. Ces questions non résolues continuent de poser des défis. Cette loi doit nous donner le moyen de poursuivre ce débat et de relever le défi.

De par leur nature même, les gouvernements sont enclins à préférer le statu quo. Ils n'aiment pas ceux qui viennent bouleverser leurs plans ou qui osent contester leur façon de penser. Ce dont les Canadiens ont besoin et que seul le Parlement peut leur assurer, c'est un vaste regroupement général et dynamique de gens et de points de vue ayant pour mandat de veiller à la communication et à la vulgarisation de toutes les questions que soulèvent les technologies et les pratiques en matière de génétique et de reproduction, depuis l'innocuité du sperme jusqu'à la recherche sur les embryons humains, les cellules souches, le clonage et bien d'autres sujets encore. Nous devons instamment poser des questions sur l'avenir et y trouver des réponses.

Quels sont les défis actuels et quels sont les avantages ou les menaces qu'ils posent aux grands enjeux de la société? Vers quoi s'orienteront les grands projets de recherche scientifiques? Comment voulons-nous en tant que société affronter le problème de la commercialisation de la vie humaine? De quels moyens disposons-nous, à titre de simples citoyens et vous en tant que représentants élus pour nous assurer qu'un contrôle s'exercera sur cette mission dynamique et changeante que la science et la médecine nous ont offerte?

Voilà ce que je réclame, et rien dans mon expérience passée ne me permet d'espérer que ce type de leadership et de remise en question du statu quo puisse venir de la bureaucratie gouvernementale. Cette nouvelle loi que vous êtes en train de rédiger doit nous permettre de court-circuiter la bureaucratie et d'échapper au contrôle des rouages politiques et gouvernementaux. Nous pouvons nous tourner vers eux pour bénéficier de leur savoir-faire et consulter les milliers de rapports et de documents préparés à leur intention avec les deniers publics, mais si nous voulons sérieusement relever les défis qui nous attendent dans le domaine de la science et de la médecine, alors nous ne devons pas nous contenter de prétendre que nous agissons de façon indépendante.

Nous devons redonner le pouvoir et l'influence sur ces questions au Parlement et à ceux dont la vie de tous les jours est touchée par les menaces et par les avantages qui découlent de notre incroyable pouvoir de créer, de manipuler, de transformer la vie humaine en laboratoire.

Nous vivons à une époque extraordinaire. La science nous met tous au défi, mais tout ce que cet avant-projet de loi offre aux Canadiens, c'est du déjà-vu. C'est inacceptable.

Je vous demande instamment de créer les mécanismes dont nous avons besoin pour franchir ces nouveaux obstacles excitants et révolutionnaires, pour créer un organisme national, solide, subventionné et indépendant de tout gouvernement mais qui soit comptable à nous tous par l'intermédiaire du Parlement.

Je demande aux membres du comité de donner au Parlement et à la population la voix et le pouvoir voulus pour fixer les règles. C'est votre rôle. C'est ce dont nous avons besoin, je crois.

Merci.

La présidente: Merci, madame McTeer.

Le prochain témoin est M. Gordon Giesbrecht, professeur à la Faculté d'éducation physique et de loisirs et au département d'anesthésiologie.

Monsieur Giesbrecht.

[Français]

M. Gordon Giesbrecht (professeur, Faculté d'éducation physique et des loisirs, Université du Manitoba): Merci, madame la présidente.

Membres du comité et collègues, c'est un honneur pour moi de venir discuter de la proposition législative concernant la reproduction humaine assistée.

• 1555

En tant que professeur en thermophysiologie à l'Université du Manitoba, j'ai dû diriger des expériences chez les humains dans des conditions très difficiles. Ce travail exige que je prenne en considération les notions d'éthique sur une base régulière. Bien que je ne sois pas un expert des techniques expérimentales dont traite spécifiquement cette proposition, j'aimerais, en tant que scientifique, faire quelques commentaires.

[Traduction]

J'ajouterais qu'au cours des huit dernières années je faisais partie de notre comité sur l'utilisation éthique de sujets humains en recherche.

Ma première observation a trait à la création d'embryons pour la procréation ou la recherche. Certaines parties du projet de loi ont trait à l'assistance à la procréation où l'accent est mis sur «les enfants et la famille». Dans les cliniques de fécondation in vitro, on obtient des ovules de donneuses ou de patientes pour créer des embryons. Certains de ces embryons sont introduits dans des patientes infertiles ou des mères porteuses dans le but de provoquer une grossesse et finalement un accouchement.

Les aspects réglementaires du projet de loi sont bien accueillis, et j'appuie l'approche qui consiste à interdire toute rétribution pour les services de la mère porteuse ou la commercialisation du matériel génétique. Le projet de loi aborde également la recherche sur le matériel génétique. Je suis satisfait de voir que le projet de loi interdit expressément les travaux sur le clonage humain. Toutefois il semble bien que l'intention est de réglementer mais de permettre la recherche aboutissant à la destruction d'embryons humains pour d'autres fins, comme la recherche sur les cellules souches.

Mon approche dans l'analyse de ce projet de loi pourrait être qualifiée d'embryocentristre. Vous avez entendu de nombreux éthiciens et scientifiques reconnaître que la vie humaine commence dès la conception. Mon objectif ici est de vous faire comprendre et réaliser qu'au moment de la conception, l'embryon unicellulaire renferme la totalité du matériel génétique nécessaire à un être humain.

Cette cellule unique a reçu un jeu complet de 46 chromosomes. Elle compte trois milliards de paires de bases d'ADN que renferment les quelque 30 000 gènes de notre organisme. Ces gènes sont pré-programmés pour commander la division cellulaire et la différenciation de ces cellules en divers types de tissus, organes, systèmes et appareils biologiques nécessaires pour la croissance de l'organisme humain et l'implantation de toutes ses fonctions. C'est à ce moment-là que notre sexe est déterminé, ainsi que tous nos caractères génétiques propres, qu'ils soient positifs, comme l'intelligence, ou négatifs, comme la prédisposition à certaines maladies.

Deux facteurs seulement sont nécessaires pour nous faire progresser de l'embryon au foetus, et du foetus au bébé naissant, puis aux chefs de file que nous sommes aujourd'hui. Le milieu physique qui assure notre survie et le temps. Bien sûr, d'autres facteurs importent. Des interventions médicales pourront être nécessaires pour assurer notre survie face à des maladies non génétiques, des traumatismes physiques, la malnutrition, et le reste. En outre, notre milieu sociopsychologique pourra influencer la réalisation de notre potentiel. Toutefois, à aucun moment le programme génétique ne change au point de modifier notre identité.

Dans le reste de mon exposé, j'aimerais insister sur deux points. Le premier: la recherche qui s'accompagne de la destruction d'un embryon ne saurait être justifiée sur les plans moral, éthique et juridique. Comme je l'ai déjà dit, on crée plusieurs embryons à des fins de reproduction dans les cliniques de FIV. Par la suite, on implante ces embryons en série jusqu'à l'obtention d'une grossesse. Des termes euphémiques ont été utilisés pour qualifier les embryons inutilisés: «embryons excédentaires», «embryons de réserve», «embryons non nécessaires» ou même «embryons surnuméraires». Ces embryons sont congelés, puis conservés, donnés pour adoption à d'autres parents infertiles, ou détruits. On a proposé que si la destruction est la solution choisie, on pourrait envisager le don des cellules pour la recherche, ce qui résulterait dans la destruction de l'embryon.

Heureusement, l'article 3 du projet de loi interdit le clonage humain, la modification du génome humain ou la création d'un embryon humain aux seules fins de recherche. Cette interdiction est basée, du moins en partie, sur des motifs éthiques et sur la reconnaissance du fait que les embryons sont des êtres humains et qu'ils méritent d'être traités avec dignité et respect.

Toutefois, il semble que les articles 8 et 9 établissent des conditions dans lesquelles ces activités interdites pourraient faire l'objet d'une autorisation spéciale délivrée par le ministre. J'inciterais le comité à limiter la portée du paragraphe 8(1) à la création d'embryons uniquement à des fins de reproduction, et non de recherche.

Je suis également préoccupé par les pressions qui s'exercent pour autoriser la destruction des embryons excédentaires, en vertu du paragraphe 8(2), pour la recherche liée principalement aux cellules souches. On a justifié cette utilisation par le fait que ces embryons seraient détruits de toute façon. Ce raisonnement m'a toujours préoccupé. En fait, l'embryon excédentaire dans une clinique de FIV est biologiquement égal à un embryon créé expressément pour la recherche. Il ne saurait donc y avoir aucune différence morale ou éthique entre ces deux situations. Or, la création d'un embryon à des fins de recherche est interdite en vertu du projet de loi. Par conséquent, si nous croyons qu'un embryon humain mérite respect et protection, nous ne devrions pas autoriser la destruction d'embryons excédentaires et empêcher avant tout la création de tels embryons excédentaires.

• 1600

Cette suggestion n'est pas chimérique. Premièrement, il est important de signaler que l'Allemagne et l'Autriche limitent la création d'embryons pour la FIV à ceux qui sont implantés en une seule fois. Deuxièmement, des travaux ont été réalisés sur la congélation des ovocytes destinés à être implantés. On pourrait ainsi récolter les ovocytes chez une femme en une seule séance et limiter la création d'embryons au nombre qui seront implantés en une seule fois. Les législateurs et les organismes de financement feraient oeuvre utile en encourageant des recherches plus poussées en vue de perfectionner cette technologie.

L'autre élément qui me préoccupe est que la valeur de l'être humain et la protection qu'on doit lui accorder changent au cours de son développement. La sempiternelle question se pose: à quelle période de son développement l'être humain a-t-il droit pleinement au respect et à la protection?

Un critère couramment utilisé pour déterminer quand un embryon peut être détruit à des fins de recherche est le temps, qui correspond habituellement à 14 jours, c'est-à-dire le moment où l'implantation est normalement terminée. Premièrement, tout critère basé sur le temps est source de problème. Est-ce à minuit le quatorzième jour ou doit-on tenir compte du moment de la journée où l'embryon a été créé? Dans un cas comme dans l'autre, est-il logique sur le plan moral et éthique d'autoriser la destruction d'un embryon cinq minutes avant le délai prescrit et non 10 minutes après?

Un autre critère a trait aux événements observables, ce qui comprend la conception, l'apparition du sillon primitif, la formation des organes et la naissance. Comme personne ne sanctionnerait la récolte d'un foetus de 38 semaines pour obtenir des cellules souches, il faut nécessairement établir la distinction à un stade précédant la naissance. Comme je l'ai dit précédemment, la principale différence entre ces stades de développement qui précèdent la naissance réside simplement dans le temps qu'il faut pour que ce développement ait lieu. Le matériel génétique et sa programmation dans chaque cellule sont restés les mêmes depuis la conception; il semble donc qu'il faille accorder la protection au foetus dès cette étape initiale du développement.

Je crois comprendre que certains membres de votre comité pourraient être réticents à adopter cette position car cela pourrait également s'appliquer à la question de l'avortement. Bien que je ne sois pas personnellement en faveur de l'avortement, j'estime que la position que je viens d'énoncer pourrait être adoptée sans mystifier le problème de l'avortement.

Permettez-moi de citer le témoignage présenté l'été dernier par Jennifer Leddy, de la Conférence des évêques catholiques du Canada.

Voici ce qu'elle a déclaré:

    ...l'avortement a ceci de particulier qu'une vie est contenue dans une autre... Il y a conflit entre les valeurs de la Charte.

    Dans le cas d'un embryon qui peut servir à des expériences, cet embryon est tout seul. Il n'y a pas conflit entre les valeurs de la Charte.

Cela m'amène à mon second point. La recherche qui s'accompagne de la destruction d'embryons n'est pas nécessaire pour des raisons d'ordre pratique. Jusqu'à récemment, on croyait que la recherche nécessitait l'utilisation d'embryons humains, car les cellules souches embryonnaires constituaient la seule source importante de cellules indifférenciées pouvant être utiles pour la prévention et le traitement de maladies. En plus des questions d'éthique évidentes, la recherche sur les cellules souches embryonnaires qui cause la destruction d'embryons pose plusieurs problèmes d'ordre pratique.

Parmi ces problèmes, mentionnons l'instabilité de l'expression génétique et le risque de formation d'un tissu autre que le tissu prévu, la division cellulaire anarchique et la tendance à la formation de tumeurs, ainsi que le risque de rejet immunitaire par le sujet. Comme vous le savez, des progrès récents ont révélé l'existence d'une autre source à l'égard de laquelle bon nombre de ces préoccupations d'ordre éthique et technique ne se posent pas. Ainsi, on peut désormais extraire des cellules souches adultes de tissus prélevés au stade postnatal, comme des tissus de placentas et de tissus sanguins provenant du cordon ombilical, ainsi que chez les autres humains vivants et même chez des cadavres. Contrairement à ce qu'on croyait auparavant, ces cellules souches présentent autant de potentiel, sinon plus, que les cellules souches embryonnaires. Ce domaine connaît une évolution rapide.

La semaine prochaine, le Dr Prentice vous présentera un exposé très détaillé sur les progrès cliniques réalisés dans la recherche sur les cellules souches adultes humaines. Les commentaires sur ce sujet seront donc brefs.

On a trouvé des cellules souches adultes chez l'être humain, dans les muscles, les parois des vaisseaux sanguins, les graisses, le sang, la moelle osseuse et le cerveau. Ces cellules ont été transformées en cellules fonctionnelles dans les muscles, le coeur, les cartilages, la peau, les os et les neurones. On a effectivement utilisé avec succès des cellules souches adultes chez l'être humain pour traiter des cancers du sein, des tumeurs cérébrales, la sclérose en plaques et l'anémie falciforme, et pour réparer les dommages causés par des crises cardiaques.

• 1605

Parmi les avantages que comporte l'utilisation de cellules souches adultes, mentionnons que celle-ci permet de réduire le rejet de tissus et le recours aux médicaments anti-rejet, qu'elle facilite la différenciation cellulaire et qu'elle facilite aussi l'application du traitement, car les cellules injectées migrent vers les régions à réparer. En revanche, pour autant que je sache, aucun traitement faisant appel à des cellules souches embryonnaires n'a réussi chez l'être humain.

L'appui dont continue de bénéficier la recherche sur les cellules souches embryonnaires repose souvent sur le principe selon lequel la fin justifie les moyens. D'aucuns, tant des personnes que des organismes, ont mis en évidence les souffrances des victimes de maladies qui pourraient être guéries, comme le diabète ou les maladies d'Alzheimer et de Parkinson. Quels moyens la société tolérera-t-elle si les fins sont perçues comme suffisamment légitimes? Je dirige régulièrement des études dans le cadre desquelles des sujets humains sont soumis à des conditions de froid extrême afin d'obtenir des renseignements pertinents pour les praticiens en médecine.

Mes collègues et moi constatons souvent les abus qui peuvent être commis au nom de cette philosophie de la fin qui justifie les moyens. Durant la Seconde Guerre mondiale, des médecins nazis ont tué de manière expéditive plus d'une centaine de prisonniers au cours de cruelles expériences sur le froid. De nos jours, de telles expériences seraient condamnées, mais elles ont été entreprises dans le noble but de sauver des vies, celles de plus de 30 000 pilotes d'avion et marins qui ont péri dans les eaux froides de l'Atlantique Nord durant cette guerre.

Quels moyens serions-nous prêts à accepter aujourd'hui? Nous ne penserions jamais à prélever des organes chez des prisonniers afin de réduire les listes d'attente pour les transplantations dans les établissements hospitaliers. Lorsqu'il s'agit de la destruction d'embryons humains à des fins de recherche, il faut inverser le paradigme de la fin et des moyens. Nous devrions avant tout établir le fondement éthique et moral qui devrait régir, orienter et même baliser la recherche médicale, même si cela coûte plus cher et si cela prend un peu plus de temps. En ma qualité de biologiste, je crois pouvoir prédire qu'il sera possible de bénéficier rapidement des recherches sur les cellules souches adultes en encourageant, en réglementant et en finançant ces recherches.

En conclusion, je demande au comité de prendre en considération les suggestions suivantes, qui contribuent au respect de la vie humaine et à l'exploration de solutions de remplacement pour les couples stériles et pour la recherche thérapeutique.

Je vous encourage à exprimer votre détermination à protéger la vie humaine dans le préambule du projet de loi. Deuxièmement, je vous encourage également à maintenir l'interdiction de la recherche sur le clonage humain. Troisièmement, il faut retirer les dispositions qui permettraient la destruction d'embryons humains pour la recherche. Quatrièmement, il faut réglementer la production d'embryons fécondés in vitro pour réduire ou éliminer les cas d'embryons excédentaires. Cinquièmement, il faut promouvoir une technologie permettant la préservation de l'ovocyte humain avant la production de l'embryon. Sixièmement, il faut inciter les couples stériles à recourir à d'autres techniques, entre autres des services de traitement de la stérilité et d'adoption d'embryons, tel le programme Snowflakes instauré en Californie. Enfin, il faut promouvoir l'utilisation de cellules souches adultes pour la recherche thérapeutique.

Vous remarquerez que l'objet de certaines de ces recommandations ne se trouve pas dans l'avant-projet de loi. Toutefois, l'organisme de réglementation indépendant dont on propose la création pourrait y pourvoir.

Enfin, j'encourage le comité à veiller à ce que la composition de cet organisme ne comprenne pas seulement des politiciens et des scientifiques, mais aussi des représentants de groupes religieux et d'éthique.

Merci de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous. J'ai réduit en partie mes observations pour gagner du temps. J'ai toutefois des exemplaires du texte entier, y compris les illustrations, que je puis mettre à votre disposition après la réunion. Merci beaucoup.

La présidente: Merci, monsieur Giesbrecht.

Nous comptions recevoir un troisième témoin, mais elle n'est pas encore arrivée. Nous allons donc commencer à poser nos questions.

Comme d'habitude, nous allons commencer par M. Manning.

M. Preston Manning (Calgary-Sud-Ouest, Alliance canadienne): Merci à tous les deux. J'ai de nombreuses questions à vous poser. Nous ferons probablement deux tours de table, et je vais commencer par Mme McTeer.

Je vous poserai ensuite des questions, monsieur Giesbrecht.

Vous pourrez peut-être poser vos questions à M. Giesbrecht lorsque ce sera votre tour, Rob.

Premièrement, parmi les principes fondamentaux, qui d'après vous, devraient guider l'organisme de réglementation et qui devraient figurer dans le préambule de la mesure législative, il y a d'abord celui voulant que le corps humain et ses parties ne devraient pas être des objets de commerce. Je suppose que vous entendez par là qu'ils ne devraient pas être traités comme des biens.

Comment exprimeriez-vous cela positivement? Comment devraient- ils être traités en droit? Vous avez dit clairement qu'ils ne devraient pas être traités comme des biens parce qu'ils pourraient alors être commercialisés. Quelle serait la définition positive?

Mme Maureen McTeer: Il ne faut pas oublier, entre autres, que le droit a déjà fait preuve d'une grande négligence en ne voyant pas que, puisqu'un embryon humain est différent d'un fauteuil, il lui incombe de trouver de nouvelles façons de protéger l'innovation, comme par exemple dans le cas d'un brevet, sans nécessairement revenir à la notion de biens, qui s'applique généralement aux objets inanimés, par exemple, ou même à certaines formes de vie plus évoluées comme les animaux.

• 1610

Dans le cadre d'une recherche que je mène moi-même, j'évalue les options juridiques qu'offre la notion de biens dans le domaine de l'octroi de brevet sur le matériel génétique. C'est important puisqu'il existe déjà des lois, par exemple la loi contre l'esclavage, dans laquelle on suppose qu'après leur naissance, les humains ne peuvent, même de leur propre consentement, s'offrir ou se vendre en esclavage. C'est une valeur humaine partagée à l'échelle internationale, même s'il y a évidemment des abus dans certains pays. Le fait qu'on ne peut permettre à un humain et à tout ce qui est humain d'être traité comme un bien privé est une norme de base acceptée dans toute politique officielle ou dans toute loi d'intérêt public.

À mon avis, c'est important, comme vous l'avez mentionné et comme l'a dit Mme Leddy: il faut commencer enfin à reconnaître que ces nouvelles technologies nous obligent à revoir ces notions, indépendamment du débat sur l'avortement, car il y a conflit entre deux intérêts. Une politique a été adoptée, mais dans ce cas-ci, lorsqu'on crée délibérément une vie humaine in vitro, il faut élargir les définitions du droit pour protéger l'embryon, puisqu'il s'agit d'une vie humaine.

Je suis sûre que vos rédacteurs législatifs pourront trouver une solution. Je pourrais traiter du libellé, mais je voulais que le principe soit clair: ce qui est menaçant, c'est l'idée que le corps humain et la notion d'être humain ne peuvent être banalisés, et c'est le cas à mon avis si on permet d'utiliser à leur égard la terminologie des biens propres.

M. Preston Manning: Deuxièmement, vous aurez sans doute remarqué que, dans l'avant-projet de loi, seul le préambule contient des énoncés sur les valeurs ou les principes. Vous avez formulé vos quatre principes comme s'ils devaient faire partie d'un préambule.

Êtes-vous préoccupés par le statut des préambules en droit, d'une façon générale, du fait que les tribunaux n'accordent pas au préambule la même importance qu'aux autres dispositions d'un projet de loi? Recommandez-vous que les valeurs et les principes énoncés dans le préambule, quels qu'ils soient, imprègnent les dispositions du projet de loi lui-même?

Par exemple, vous proposez que les intérêts de l'enfant devraient être primordiaux. Nous pouvons l'énoncer comme objectif général dans le préambule. En fait, je pense qu'on y fait vaguement allusion. Est-ce suffisant? Comment imprégner le reste du projet de loi de cette dimension morale ailleurs que dans le préambule?

Mme Maureen McTeer: Je crois que c'est extrêmement important. Il est clair que le préambule sert souvent de guide à la prise de décisions judiciaires. C'est une façon pour le Parlement de rappeler aux magistrats quelles étaient les intentions des législateurs et que l'interprétation judiciaire doit être tempérée, élargie ou renforcée par le libellé du préambule.

Comme vous, je pense qu'il est nécessaire de préciser qu'il s'agit de bien plus qu'un simple énoncé de valeurs, que cela fait partie en fait du cadre juridique. Je crois que c'est un rôle essentiel de la législation. Bien des conventions internationales renferment des «attendus» et «des nonobstant» et toutes sortes de jargon juridique dans leur préambule. Pour ma part, je veux que ces valeurs soient protégées par la loi, et je ne pense pas que, par exemple, le traitement des intérêts de l'enfant ait la même prééminence qu'une valeur. Je pense qu'il s'agit plutôt un droit.

Si tel est le cas, les juristes, les rédacteurs, devront trouver un moyen d'intégrer cela au corps du projet de loi.

M. Preston Manning: Est-ce que je peux poser deux autres questions?

La présidente: Une seule.

M. Preston Manning: Une seule? Dans ce cas, j'essaierai de combiner les deux.

Vous avez évoqué un organe réglementaire externe. Vous avez indiqué que cela s'appuierait en fait sur une assise constitutionnelle plus solide que si toute la réglementation relevait du ministre. Je ne suis pas vraiment sûr d'avoir compris la raison, mais voici ma principale question. Nous avons entendu de nombreux témoins parler de la nécessité d'avoir un tribunal réglementaire indépendant, mais aussi de l'obligation de rendre compte, de sorte que cet organe ne soit pas si indépendant qu'il ne relève de qui que ce soit et que lorsque l'on pose des questions au ministre à la Chambre, il puisse dire: «Écoutez, vous avez érigé toutes sortes de pare-feu entre les autorités réglementantes et moi, ne venez pas me demander alors ce qu'elles font. Vous vous êtes arrangés pour qu'elles soient indépendantes, quasi judiciaires et sans lien de dépendance envers le ministère».

• 1615

Je suis d'accord pour dire qu'il est indispensable que l'organe de réglementation soit indépendant et externe, mais comment faire pour que cet organe rende des comptes? J'entends vraiment rendre des comptes et non une simple formalité du genre «faire rapport au Parlement ou faire rapport au ministre». Nous connaissons tous des exemples d'instances qui ont une responsabilité formelle, sans aucune obligation concrète de rendre des comptes. Comment concilier alors l'obligation de rendre compte et la création d'un organe indépendant externe?

Mme Maureen McTeer: La ligne de démarcation entre l'obligation de rendre compte et l'ingérence politique n'est pas toujours évidente. J'ai vécu l'expérience dans le cadre de la Commission royale. Quand les gouvernements ont un programme en tête, ils ont tendance à vouloir tirer les ficelles.

Je pense que nous devons être réalistes. Si nous voulons créer un organe qui soit indépendant, la raison est que les questions sont d'une nature telle qu'on sort du cadre politique dans le sens large et restreint du terme. Elles concernent la science, la médecine, et certaines ont des réponses affirmatives ou négatives. Le sperme comporte-t-il des risques? Il s'agit de répondre oui ou non. Il y a moyen de déterminer si le sperme comporte des risques ou pas. L'embryon est-il viable? L'embryon souffre-t-il d'une anomalie génétique? De plus en plus, nous aurons à composer avec des questions auxquelles on pourrait répondre par oui ou par non.

En ce qui concerne les questions relatives à la politique officielle au sens large du terme, le gouvernement doit généralement établir les orientations, et comme vous le savez, c'est ce que vous devrez faire dans votre travail législatif. C'est là l'objectif même du projet de loi. La réflexion devra se faire de façon continue. À titre d'exemple, l'Angleterre dispose d'un modèle qui, à mon avis, est bon, car, contrairement à certains modèles américains, le modèle anglais émane d'une tradition juridique que nous partageons. J'estime que le modèle britannique, celui de l'Administration de la fertilisation humaine de l'embryologie, est un bon exemple. Je suis heureuse que vous ayez l'occasion de vous rendre là-bas pour rencontrer les responsables. Ma thèse de maîtrise a porté sur ce modèle. Je ne l'ai pas vraiment adopté parce qu'il convenait à ma recherche universitaire, mais plutôt parce que j'ai eu l'occasion de l'étudier en profondeur.

En autres choses, ce modèle permet de mettre sur pied un organe doté de plusieurs fonctions et mandats. Je pense que cela est très important. Si vous donnez un mandat à un groupe qui est indépendant, le Parlement peut exiger qu'il lui rende des comptes dans les limites du montant en question. Si ce groupe se met à planter des tulipes quelque part, vous saurez de toute évidence que cela ne s'inscrit pas dans le cadre de son mandat et vous pourriez le rappeler à l'ordre.

Quand je dis qu'il y a des considérations politiques, je veux dire qu'elles sont très politiques. Certains aimeraient faire de la recherche sur des embryons humains, tandis que d'autres ne le veulent pas. Certaines religions, dont la mienne, ne croient pas que nous devrions avoir accès à toutes ces technologies, qui ne devraient être utilisées que dans de très rares cas, d'où la difficulté.

Le but de la création d'un tel organe indépendant est de travailler continuellement à sensibiliser les gens, à les informer et à communiquer avec eux; c'est aussi d'essayer de parvenir à un consensus qui transcende les considérations internes restreintes, responsabilité qui relève, d'après moi, d'un ministère de l'État.

Pour une raison quelconque, nous ne semblons pas tenir beaucoup de séances remue-méninges, comme j'aime à les appeler, au Canada. Ce n'est pas une de nos priorités. Nous ne semblons pas non plus avoir le financement ou la tradition que d'autres ont, notamment les États-Unis. Même si l'idéologie politique est là, elle ne semble pas s'accompagner des fonds nécessaires.

Je crois que le Parlement actuel, ou tout parlement en fait, peut exiger des comptes des organes indépendants, mais ceux-ci doivent avoir un mandat clair et savoir ce qu'ils font. Une fois le mandat établi, il ne devrait pas y avoir d'ingérence politique. Il devrait plutôt y avoir une participation parlementaire, mais pas d'ingérence politique.

La présidente: Merci, monsieur Manning.

Monsieur Merrifield, la parole est à vous.

M. Rob Merrifield: Je tiens à vous remercier tous les deux d'être venus ici aujourd'hui. Les exposés ont été très intéressants.

Je voudrais revenir à ce que disait M. Manning au sujet d'un organe de réglementation, car il est indispensable que nous réussissions dès le premier coup, dans la mesure du possible. J'ai été frappé par ce que M. Maureen McTeer a dit au sujet de la participation provinciale et du champ de compétence provincial sur lequel nous empiétons.

• 1620

En ce qui concerne l'organe de réglementation, ne serait-il pas plus souhaitable d'avoir un organe général qui ne serait peut- être pas aussi envahissant de la part de l'État fédéral et régler cette question de l'organe de réglementation au niveau provincial, cette question étant du ressort provincial? Même si cela devrait peut-être donner lieu à un système hétéroclite sous la surface, est-ce le genre de choses que nous devrions faire? Comment pourrions-nous contourner, par exemple, les questions de compétence si nous ne nous engageons pas en quelque sorte dans cette voie?

Mme Maureen McTeer: Ce serait le paradis des avocats. Pensez-y, car si vous allez de l'avant de la sorte, sachez que vous seriez en procès pendant des années. Nombre d'entre nous nous amuserons comme des fous.

Je pense qu'il ne faut pas perdre de vue la nature de notre pays. À titre d'exemple, le dilemme suscité par la recommandation de la Commission royale d'adopter le modèle britannique, soit celui d'un État unitaire, tient au fait que c'est une solution irréalisable à cause de la division des pouvoirs au Canada.

Je n'ai pas d'objection à ce que le gouvernement fédéral crée un modèle et un cadre autonomes, si vous me passez l'expression, un organe qui chapeaute le tout, mais cela soulève certaines difficultés. Ainsi, il y a une difficulté technique: la délivrance de permis aux cliniques de fertilité. C'est une difficulté technique qui nécessite une participation provinciale à grande échelle, puisqu'elle touche l'exercice de la médecine dans différentes provinces et qu'elle concerne l'accès—ou non—aux régimes de soins de santé et de financement provinciaux, ce qui pose un problème de taille.

On confierait donc à cet organe général un ensemble de mandats. Un mandat serait la prise de règlements, la délivrance de permis aux cliniques de fertilité ainsi que la réglementation des activités qui y ont lieu. Il serait essentiel, à mon avis, que la profession médicale fasse partie de cet organe. Il serait également indispensable, à mon sens, que le gouvernement provincial en fasse partie et il pourra décider de la question de l'adhésion, mais manifestement, il faudrait que ce soit des personnes associées au secteur de la santé.

Il y a également d'autres aspects à cela. Par exemple, il y a le groupe remue-méninges si vous voulez l'appeler ainsi. Quelles sont les problématiques qui percolent? Allons-nous permettre que le génome humain fasse l'objet de brevets? Dans la négative, comment allons-nous pouvoir respecter l'innovation et faire en sorte que le Canada reste le numéro 1 de la biotechnologie? Il y a donc toutes ces questions qui feraient intervenir un ensemble de personnes très différent, un groupe plus nombreux que l'inverse à mon avis. Et même lorsqu'il ne semble y avoir ni cohésion, ni consensus, nous pourrions aboutir moyennant un bon leadership au sein de ces groupes.

Pourquoi suis-je d'avis qu'il est important que cela reste en dehors du gouvernement? Si j'étais l'État, c'est une responsabilité dont je ne voudrais pas. Je ne voudrais pas constamment avoir à traiter, au Cabinet et au Parlement, de tous ces problèmes extrêmement explosifs du point de vue politique. Je préférerais pouvoir dire nous avons un organisme indépendant, nous l'avons constitué de la meilleure façon possible et nous devons maintenant partir du principe que cet organisme va faire son travail.

Certes, je voudrais probablement assurer le contrôle nécessaire pour pouvoir assumer mes responsabilités, mais encore une fois, si j'étais l'État, je ne voudrais même pas confier cela au ministère de la Santé. Ce sont des questions extrêmement explosives. Aucun gouvernement ne voudrait prendre le risque de se trouver confronté chaque jour à ce genre de choses à la période de questions.

M. Rob Merrifield: Parfait. Je ne suis pas convaincu que cela réponde vraiment à la question, mais je comprends ce que vous nous dites et je vous en remercie.

Je persiste à penser que la question de la compétence devient le véritable problème, mais je sais que mon temps est limité et je voudrais...

Mme Maureen McTeer: Ce serait vraiment merveilleux s'il y avait au Canada un seul dossier qui ne fasse pas intervenir des querelles de juridiction. Ce que je veux dire, c'est que si c'est ce dossier-ci, c'est parfait. Nous venons d'en découvrir un.

M. Rob Merrifield: Précisément.

Monsieur Giesbrecht, je suis interpellé par ce que vous venez de dire au sujet du projet de loi.

Je pense que vous êtes tous deux sur la même longueur d'ondes lorsque vous nous dites qu'il s'agit après tout de l'intérêt supérieur des enfants et que c'est ce que le préambule devrait affirmer.

Quant à moi, je vois dans ce texte de loi une certaine hypocrisie en ce sens que, une fois passé le préambule, nous laissons entendre que nous faisons certaines choses dans l'intérêt supérieur des enfants, alors que nous autorisons la fécondation in vitro, ce qui permet de produire des embryons de réserve, des embryons qui selon la définition qu'en donne la biologie, sont des enfants, des enfants qui seront donc détruits à en juger d'après l'avant-projet de loi actuel.

La limite de 14 jours me semble un genre de ligne de démarcation. Vous avez contesté la chose, et cela m'a également frappé. Pour revenir à cela, d'un point de vue purement physiologique, pourriez-vous nous en dire un peu plus long sur votre vision des choses?

• 1625

M. Gordon Giesbrecht: Oui, il y a au moins trois critères qui font des 14 jours un chiffre un peu magique. Le premier critère est qu'en règle générale, après 14 jours l'implantation est terminée. S'agissant du projet de loi, la chose n'a aucune importance parce que nous parlons d'interventions extra-utérines.

En second lieu, c'est en règle générale vers ce moment-là que commence à se former le tissu nerveux et que, du point de vue de son développement, l'embryon devient unique. Tout cela a été découvert à la fin des années 70, au début des années 80. On pourrait en conclure qu'après la formation du sillon primitif, il ne peut y avoir de jumeaux. Sur le plan génétique comme sur le plan de son développement, l'embryon est unique. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons mis la barre à 14 jours.

Tous ces critères posent toutefois problème. Le premier critère, l'implantation, n'intervient évidemment pas ici lorsqu'il s'agit de l'utilisation d'embryons à des fins de recherche. Si je voulais me faire l'avocat du diable et vous parler du sillon primitif et de la formation du tissu nerveux par rapport au cerveau, je pourrais tout aussi facilement vous dire: «Ne m'embêtez pas avec le tissu nerveux, dites-moi plutôt qu'il y a effectivement un cerveau, qu'on peut mesurer l'activité cervicale, et je vous concéderai que nous avons donc un être humain». Bien sûr, je n'ai aucune certitude quant au moment où cela surviendra pendant le développement, mais personne n'accepte cet argument.

En raison du critère d'unicité pendant le développement, dès lors que l'axe unique a été créé, il ne peut en règle générale y avoir de jumeaux sauf quelques exceptions comme celle des Siamois, ces jumeaux reliés l'un à l'autre, un phénomène qui se produit lorsque la formation de jumeaux est postérieure à l'apparition du sillon primitif. Il y a également le phénomène qu'on appelle le foetus-in-fetu, en d'autres termes un foetus qui se forme à l'intérieur d'un autre. Voilà deux exemples de formation de jumeaux ou d'un autre individu après la limite des 14 jours.

Pourrions-nous donc dire—et personnellement, je ne saurais le quantifier—que si nous avons la certitude que des Siamois ne peuvent se former après x nombre de jours, trois ou quatre semaines, je l'ignore, et nous devrions peut-être attendre jusque-là, à quel moment pouvons-nous avoir la certitude qu'il n'y aura pas formation de jumeaux, et donc la certitude qu'il n'y aura qu'un seul individu? Voilà, vous venez d'ouvrir encore plus grande la fenêtre de la recherche.

On peut donc s'interroger sur tout cela, mais ce qu'on ne peut pas remettre en question, c'est qu'au moment de la conception, le bagage génétique est complet. Si je prélève ici et maintenant sur ma peau une cellule, le bagage d'ADN de cette cellule est exactement le même que celui de mon zygote monocellulaire au moment de ma conception. Il n'y a qu'une seule différence. Comme je l'ai déjà dit, toute cette programmation génétique existe dans la première cellule, la seule différence étant que les sous-programmes n'ont pas encore eu la chance de démarrer.

Je compare cela à un logiciel informatique de bureau comme celui que j'ai dans mon ordinateur. Je peux n'utiliser que 3 ou 4 p. 100 de ses possibilités. Par exemple, si j'ai le logiciel Microsoft Office et que je n'écris que des lettres d'une seule page en utilisant mon traitement de texte, j'utilise une fraction très limitée du logiciel, mais ce n'est pas la faute du logiciel. Le logiciel complet comprend un très grand nombre de sous-logiciels et de sous-programmes que je n'utilise pas ou que je ne fais pas démarrer. Si je vais au magasin, je vais devoir encore dépenser 500 $ pour acquérir le logiciel. Mais ce n'est pas parce que je n'utilise pas les sous-logiciels que le logiciel a une valeur moindre.

La présidente: Merci, monsieur Merrifield.

Mme Maureen McTeer: Pourrais-je ajouter un tout petit commentaire, si vous me le permettez?

La présidente: Certainement.

Mme Maureen McTeer: J'espère que le comité a bien compris que dans le cas de termes comme pré-embryon, que les Britanniques utilisent et qui est communément admis pour désigner l'embryon humain développé in vitro avant l'apparition du sillon primitif... J'espère que le comité acceptera d'inclure tout ce qui représente une vie embryonnaire et n'acceptera pas une différenciation qui soit fonction d'un moment précis pendant le développement, étant donné que les recherches qui prêtent le plus à controverse sont, bien entendu, celles qui concernent les tout premiers stades, c'est-à-dire bien avant cela.

• 1630

Étant avocate, je pense que si l'embryon humain, c'est-à-dire la vie avant la naissance, n'a aucune existence légale, pourquoi avons-nous créé une nouvelle catégorie, les pré-embryons, si ce n'est pour nous permettre de dire qu'à ce stade de développement il ne s'agit pas d'un embryon à proprement parler, il ne s'agit pas d'un membre de la famille humaine, et qu'il ne s'agit que d'un simple tissu reproductif et rien de plus? Évidemment, cela a sur nous un effet moral extraordinairement différent et puisqu'il n'y a sur le plan moral aucune différence légale parce que nous pensons que ce pré-embryon ne fait pas partie de la famille humaine, il n'est rien d'autre qu'un morceau de tissu reproductif humain.

J'espère donc que le comité en restera conscient et qu'il n'acceptera pas une différenciation des problématiques en fonction d'une période de développement qualifiée de pré-embryonnaire.

La présidente: Je vous remercie.

[Français]

Madame Picard.

Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): Merci, madame la présidente.

Monsieur Giesbrecht, vous avez semblé tout à l'heure, au cours de votre exposé, voir une certaine contradiction entre l'article 3 de l'avant-projet de loi, qui interdit le clonage humaine, et les articles 8 et 9 qui, dites-vous, «établissent des conditions dans lesquelles ces activités interdites pourraient faire l'objet d'une autorisation spéciale délivrée par le Ministre.» Vous êtes aussi préoccupé par les paragraphes 9(1) et 9(2) «en vertu desquels la création d'une chimère ou la combinaison de matériel génétique humain et animal pourraient être autorisées.»

Pouvez-vous préciser pourquoi vous voyez une contradiction entre l'article 3 et les articles 8 et 9 et préciser votre préoccupation par rapport aux paragraphes 9(1) et 9(2)?

[Traduction]

M. Gordon Giesbrecht: Tout d'abord, je pense que Mme McTeer a clairement dit que le projet de loi était extrêmement ambigu à bien des égards dans la mesure où il laisse trop à l'interprétation et au contrôle du ministre pour ce qui est de l'attribution des permis.

L'article 3 concerne les «activités prohibées», et je ne suis pas certain de comprendre exactement votre question. Par contre, aux articles 8, 9 et 10, il s'agit de situations différentes puisque, si le ministre vous donne un permis, vous pouvez vous livrer à ces activités et elles sont extrêmement... allant jusqu'à combiner un génome humain à un génome non humain. Cela ouvre donc la possibilité d'une très vaste gamme de choses, depuis l'insertion de quelque chose, l'épissage pour faciliter un processus enzymatique, ou encore créer une entité complète, un être qui contient du matériel génétique humain et animal à la fois.

Tout d'abord, le caractère ambigu et la vaste portée de la disposition m'inquiètent. On parle en effet d'interdiction, tout au moins aux article 3 et 4. Il y a des façons de contourner cela, dans la mesure où on peut convaincre un ministre d'accorder un permis, et le projet de loi ne contient évidemment aucune disposition ou description à cet effet. Il a été question d'un organisme de réglementation—dans les documents d'information—mais, d'après les renseignements que j'ai pu voir, il n'y a qu'un seul paragraphe où il est question de cet organisme de réglementation.

On confie des pouvoirs considérables à un organisme de réglementation. Après avoir délibéré, il peut juger opportun de délivrer un permis pour une activité par ailleurs prohibée... de telle sorte que, si un scientifique ou le représentant d'une institution échafaude bien son argumentation, ce qui était jusque- là prohibé sera autorisé. Même si cela vise un domaine précis, bien délimité, c'est tout de même...

• 1635

Ainsi, si on ne donne pas un meilleur cadre à la mesure législative—c'est ici que nous abordons la question à savoir si tel ou tel aspect doit relever de la loi plutôt que des Règlements—il faut considérer que dans de nombreuses années, lorsque les connaissances scientifiques auront évolué et que les opinions auront peut-être changé, un organisme de réglementation disposera de pouvoirs considérables pour permettre ce que nous n'accepterions peut-être pas aujourd'hui. Si rien n'est prévu dans la mesure à l'étude, les responsables pourront agir à leur guise.

[Français]

Mme Pauline Picard: Je voudrais obtenir une autre précision. J'ai cru comprendre, dans votre exposé, que vous êtes entièrement d'accord sur l'interdiction du clonage thérapeutique. Est-ce exact?

[Traduction]

M. Gordon Giesbrecht: J'ai déclaré que j'étais satisfait de l'interdiction du clonage humain. Voilà ce que j'ai dit. Évidemment, il faut considérer la différence entre le clonage à des fins reproductives et le clonage à des fins thérapeutiques.

Les enjeux dont nous traitons font partie d'un vaste continuum. Le fait d'autoriser le clonage thérapeutique risque d'ouvrir la porte au clonage humain. Cela m'inquiète considérablement.

À l'heure actuelle, il semble que la plupart des Canadiens seraient tout à fait contre le clonage humain. Dans 10 ans, si nous pratiquons le clonage thérapeutique, il se peut que l'opinion publique ait évolué. Ce qui est clair aujourd'hui risque de l'être moins dans un certain nombre d'années. L'opinion publique évolue au fil des ans. Ce qui était impensable pour bien des gens il y a 10, 20 ou 30 ans n'attire parfois même plus l'attention aujourd'hui, parfois à cause du perfectionnement des technologies... Il y a cinq ans, personne n'aurait imaginé qu'il était possible d'arriver à des résultats valables à partir de cellules souches adultes. Ainsi, la technologie nous a permis de faire ce qui ne nous semblait pas possible. À propos d'autres sujets, il aurait été impensable il y a 40 ans que l'État offre l'avortement, par exemple. Pourtant, c'est le cas aujourd'hui, puisque les opinions ont évolué.

Il est certain que je n'appuie pas l'idée du clonage humain aux fins de reproduction et je pense que la majorité des gens serait de mon avis. Le fait d'ouvrir la porte à cette possibilité par le truchement du clonage thérapeutique m'inquiète énormément.

[Français]

Mme Pauline Picard: Madame McTeer, qu'est-ce que vous en pensez? C'est clair que vous êtes d'accord sur l'interdiction du clonage à des fins de reproduction, mais qu'est-ce que vous pensez du clonage à des fins thérapeutiques? Et que doit-on faire, puisqu'on ne veut pas, comme vous l'avez mentionné, freiner l'évolution si ça peut nous permettre de guérir des maladies comme la maladie d'Alzheimer, la fibrose kystique ou des maladies d'ordre génétique?

Qu'est-ce qui devrait être inscrit dans la loi pour que ça ne déborde pas et qu'on n'utilise pas l'être humain ou ses cellules à d'autres fins qui seraient scandaleuses, qui iraient contre la dignité humaine?

Mme Maureen McTeer: Je pense que c'est une des plus importantes raisons pour lesquelles il faut absolument essayer d'établir dans quel contexte sont prises les décisions. C'est pourquoi je ne crois pas qu'il soit possible de tout régler par un projet de loi. Il faut donc établir les grandes lignes et les détailler suffisamment pour que les gens sachent à partir de quoi l'interdiction s'applique.

Cependant, il faut aussi savoir que ces questions ne sont pas en rapport seulement avec les situations actuelles, mais qu'elles continuent de prendre de l'ampleur. C'est un dilemme. Je suis beaucoup tout ce qui touche aux cellules souches. J'ai eu le plaisir d'être à Washington, au début de septembre, lorsque le sénateur Kennedy a invité des gens très intéressants—des gens qui ont déjà préparé des projets de loi mais aussi des éthiciens, des philosophes, des membres du clergé...des gens qui se sont rendus sur place pour nous faire partager non seulement leur expérience, mais aussi leur sagesse concernant ces questions.

• 1640

Le contexte dans lequel ces décisions seront prises sera très important. Lorsqu'on parle du clonage, il faut faire attention. On ne peut pas commencer comme on l'a fait dans l'ancien projet de loi C-47 et dire que le clonage est fini car on n'en veut pas du tout. Il y a différentes sortes de clonage. Il y a des gens qui souffrent beaucoup, qui ont subi un accident, qui ont été brûlés sur la plus grande partie de leur corps. On fait déjà le clonage des cellules de la peau. Il y a donc certains aspects du clonage qui nous menacent moins comme société que le clonage à des fins de reproduction.

Je suis avocate et spécialiste en droit médical. Je ne suis pas médecin et je ne fais pas de recherche dans ce contexte, mais je peux vous dire qu'il est très difficile pour certaines personnes d'accepter qu'alors qu'on a la possibilité de guérir certaines maladies en se servant de cellules souches, on dise non immédiatement, sans se soucier du contexte. Vous avez peut-être connu de ces personnes et vous en avez peut-être même dans vos familles.

Je suis parfaitement d'accord avec le docteur Vandelac sur une chose. Je la connais très bien et je sais qu'elle est toujours en retard, mais je trouve que c'est exagéré aujourd'hui. Au début de nos démarches pour la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Louise Vandelac avait fait ressortir un point que j'avais trouvé fondamental, à savoir qu'on ne doit pas se limiter à ce que nous pouvons faire maintenant, mais toujours penser à l'avenir et à ce qu'on fait dans le domaine de la recherche sur les animaux domestiques, par exemple. À ce moment-là, on peut connaître les enjeux sur lesquels on va devoir se pencher d'ici un an, deux ans ou trois ans.

Je ne peux pas croire que nous sommes dans une situation où nous sommes obligés de nier notre recherche. Nous avons les cellules adultes. Je trouve que ce que le président Bush a fait est fascinant. Avant le 11 août, les cellules souches et les embryons ne valaient pas grand-chose. Maintenant, on les protège comme s'il s'agissait d'êtres ou d'objets sacrés. Il faut faire attention. Il y a une certaine logique, mais nous avons aussi besoin d'un contexte défensif dans lequel nous pourrons prendre des décisions continuellement. Il ne faut pas dire qu'aujourd'hui cela vaut la peine et que demain ça ne vaudra pas la peine. Il faut être discipliné, et ces contextes sont déjà disponibles.

La présidente: Monsieur Bachand.

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC/RD): Merci, madame la présidente.

Merci beaucoup d'être ici, madame McTeer, ry merci beaucoup de soulever la question des juridictions ainsi que l'importante question du pouvoir de nos ministres. On doit revoir cette question, et c'est pour ça qu'au cours de la prochaine semaine, le comité continuera de travailler à la rédaction de l'avant-projet de loi.

Voici quelques petites questions. Vous avez parlé plus tôt de la loi d'Angleterre qui s'appelle Human Fertilization and Embryology Act. On a perdu en cour à cet égard. On dit que c'était à cause du mouvement pro-vie, parce que les Anglais, eux, autorisent le clonage à des fins thérapeutiques. Êtes-vous d'avis que le clonage humain à des fins thérapeutiques doit être autorisé?

Mme Maureen McTeer: Je ne pense pas qu'on en soit rendu là. Je pense qu'il est important de s'assurer d'établir des priorités qui acceptent le fait que la recherche scientifique est essentielle, mais aussi de trouver pour nous, les Canadiens, le contexte dans lequel nous allons permettre cette recherche. Nous savons que nous avons déjà de la recherche sur l'embryon. Nous avons le diagnostic préimplantatoire pour aider les couples qui ont une maladie génétique dans leur famille à prendre d'importantes décisions. Ils se servent du diagnostic préimplantatoire pour s'assurer que seuls les embryons non atteints sont transférés dans l'utérus de la femme. À ce moment-là, nous avons la possibilité de faire une recherche sur cette maladie en nous servant des embryons. Dans ce sens-là, il y a déjà de la recherche qui se fait sur ces embryons atteints de maladies.

• 1645

M. André Bachand: Excusez-moi de vous couper la parole. C'est que la présidente est très sévère quant au temps. Je m'excuse et je le fais en tout respect.

Donc, vous trouvez que cette partie de la loi de la Grande-Bretagne va trop loin.

Mme Maureen McTeer: D'ailleurs, c'est le seul pays au monde à permettre cette possibilité. Il faut savoir que pour eux, l'enjeu est d'être aussi bons que les Américains dans la recherche. Il veulent gagner cette course de la biotechnologie avec les Américains. Donc, il y a une raison très spécifique à leur décision de faire ça.

Je ne crois pas qu'on soit rendus à ce point-là. Comme le docteur l'a dit, nous avons la possibilité de faire beaucoup de recherche avant d'en arriver à cela. Je n'accepte pas de la recherche qui résulte en la destruction d'embryons. C'est une décision personnelle, mais c'est ce que je recommande. Nous avons aussi d'autres possibilités et nous avons l'obligation d'aller dans cette voie avant de commencer à détruire des embryons.

M. André Bachand: L'avant-projet de loi actuel est mal fait, mais on espère pouvoir le changer. Vous avez très bien signalé, comme plusieurs autres témoins l'ont fait, que les articles 8, 9, 10 et 11 interdisent des activités, mais ce sont des activités réglementées. Donc, le ministre peut, par le pouvoir qu'on lui donne, décider s'il autorise de telles activités ou non. Le projet de loi dit que tout ce qui est là peut se faire. Quels sont les éléments qui, pour vous, sont acceptables ou inacceptables?

Je sais que c'est peut-être une question de détail, mais êtes-vous d'accord, par exemple, sur la question des chimères? Le projet de loi autorise finalement un génome d'une espèce animale. Est-ce que vous êtes d'accord sur ça ou si on devrait tout simplement retirer cela à ce stade-ci? C'est comme la question des mères porteuses. Est-ce que vous êtes d'accord sur le principe des mères porteuses? Dans tous ces éléments-là, qu'est-ce qu'on devrait garder, selon vous?

Mme Maureen McTeer: Je vais traiter de cela par écrit pour le comité.

Pour ce qui est des mères porteuses, je sais que Louise est contre. Nous avons eu beaucoup de discussions à ce sujet. Je crois que l'aspect du commerce est très important et je pense qu'il est aussi très important de s'assurer que la raison pour laquelle nous nous servons de ces techniques ne soit pas de faire plaisir aux gens, mais de créer des relations intimes, des relations permanentes.

Par exemple, il arrive souvent qu'une femme soit une mère porteuse pour sa soeur, sans qu'il soit question d'argent. S'il s'agit d'une relation à long terme, permanente, qui est vraiment dans l'intérêt de l'enfant, à ce moment-là, je ne suis pas contre. Je sais que Louise est contre, mais moi, je ne le suis pas. Je suis contre quand il est question d'argent dans tout ça.

Également, il est très difficile de savoir comment on peut être capable, même entre soeurs... Si la soeur est stérile et veut avoir un enfant, et que tout ce qu'elle demande à sa soeur est un ovule pour qu'elle puisse aussi être mère, comment sa soeur peut-elle lui dire non? C'est dans ce contexte que le droit a une responsabilité qui va au-delà du droit, qui tient pour acquis qu'il y a certainement des situations importantes dans lesquelles une pression indue peut influencer les décisions des gens.

M. André Bachand: J'ai une dernière question qui s'adresse au docteur.

Dans vos recommandations, vous parlez d'êtres humains et d'inscrire dans le préambule: «committed to the protection of human life». Pouvez-vous nous donner une définition de la vie humaine? On parlait de 14 jours après la conception et de trois mois pour le cerveau. Vous n'êtes pas obligé de le faire aujourd'hui, mais pouvez-vous nous donner la définition de ce qu'est un être humain? Dans le projet de loi, on dit qu'une femme est une personne de sexe féminin âgée de 18 ans et plus. Pourquoi 18 ans? C'est un choix qu'on fait, comme dans le cas des 14 jours. Ce sont des choix de société qu'on doit faire. Cependant, on ne définit l'être humain nulle part dans le projet de loi. Avez-vous une définition à nous donner? Cela pourrait nous donner une façon de nous aligner pour l'ensemble du projet de loi.

• 1650

[Traduction]

M. Gordon Giesbrecht: Les bioéthiciens qui ont comparu s'accordaient essentiellement pour dire qu'un être humain est formé dès le moment de la conception. C'est là certainement mon point de vue. D'après ce que je comprends des témoignages et d'après mes propres impressions sur la question, je ne crois pas que le fait que l'embryon soit un être humain ou non dès la conception suscite beaucoup de conflit. La question finit toujours par être centrée sur la personne. Qui est cette personne? Quand devons-nous intervenir pour la protéger? La protection varie-t-elle selon l'étape de gestation? Voilà un aspect que j'avais déjà abordé.

Voilà qui m'inquiète beaucoup. En effet, pour tout critère que vous pouvez retenir, qu'il soit lié au temps ou à un événement observable, je suis toujours en mesure de formuler un argument, comme avocat du diable, selon lequel il nous suffirait d'intervenir un peu plus tôt, pour obtenir un meilleur résultat, ou encore un peu plus tard.

Le seul événement au sujet duquel une telle argumentation n'a pas de prise est la conception. La programmation génétique de la cellule est alors entière et cette cellule est différente des cellules qui l'ont précédée. Un oocyte n'est rien d'autre qu'un oocyte. Cependant, une fois que l'embryon ou le zygote existe, tout y est. Il suffit de faire démarrer tous les sous-logiciels de programmation pour obtenir la différenciation, la division, et l'amorce de l'organisme qui finira par devenir un adulte.

Je voudrais préciser un argument que j'avais avancé un peu plus tôt. Je ne sais pas si l'interprétation a bien...

J'avais dit que je pourrais faire valoir qu'il nous serait possible d'attendre encore après la limite de 14 jours étant donné que, même si nous avons du tissu nerveux, ce n'est pas encore un cerveau. Mais ce n'est pas ma position.

La présidente: Merci, monsieur Bachand.

Monsieur Dromisky.

M. Stan Dromisky (Thunder Bay—Atikokan, Lib.): J'aimerais poser ma question à Mme McTeer.

Il s'agit de vos principes et, si je ne me trompe pas, le troisième de ces principes met l'accent sur la transparence. Je ne sais trop jusqu'où va cette transparence et si elle comprend tous les renseignements concernant les donneurs, les donneurs de sperme et ainsi de suite.

Pourriez-vous nous éclairer sur ce troisième principe?

Mme Maureen McTeer: Je pense qu'il faut cesser d'accorder l'anonymat aux donneurs. À mon avis, c'est là une évidence dès lors que nous avons le droit de protéger notre patrimoine génétique. Il faut que nous puissions y avoir accès.

Lorsque la Commission royale a commencé ses travaux, la chose était évidemment moins importante qu'elle ne l'est actuellement étant donné que c'est seulement maintenant que nous voyons le lien très net qui existe entre un patrimoine génétique sain et la santé de l'individu. Par conséquent, s'il m'est impossible de découvrir l'identité de mon père ou de ma mère génétiques, si j'ai été conçu par insémination artificielle, par un don de sperme ou un don d'ovule, si ma gestation s'est effectuée dans l'utérus d'une mère porteuse et si j'ai été élevé par d'autres personnes, mes parents sociaux—si donc je ne peux pas connaître mon patrimoine génétique, je ne peux pas le protéger.

Cela nous touche également à d'autres égards. Par exemple, il y a cette histoire qui a été relatée à la Commission royale et qu'il m'arrive souvent de raconter à mon tour, celle des deux femmes qui étaient venues me parler du fait qu'après de longues procédures, elles avaient découvert que leur fils et leur fille étaient demi-frère et demi-soeur parce qu'issus de même donneur. Ce qui fait également l'intérêt de la chose, c'est la façon dont elles l'avaient découvert, mais je ne vous retarderai pas davantage en vous en parlant.

Ainsi, ces femmes avaient eu deux enfants, un garçon et une fille, qui s'adoraient, qui se ressemblaient même, qui étaient inséparables depuis qu'ils s'étaient rencontrés à la pré-maternelle et qui n'avaient découvert que fortuitement qu'ils avaient le même père naturel.

• 1655

Le dilemme en l'occurrence, c'est que le Code criminel est très clair, dans la mesure où le fait d'avoir une relation sexuelle avec un demi-frère ou une demi-soeur est punissable de 14 ans de prison.

Mais en réalité, nous permettons déjà à ces technologies de créer des enfants qui ne pourront jamais s'occuper de leur santé par la filière génétique et se faire soigner pour une de ces maladies qui sont curables lorsqu'on sait qu'on y est génétiquement prédisposé. Par ailleurs, ces enfants ne pourront jamais se prévaloir pleinement des lois actuelles et ils risquent même de faire l'objet de très vives critiques, voire de lourdes sanctions en vertu du Code criminel, du seul fait qu'ils ne connaissaient pas l'identité de leur père ou de leur mère génétiques, selon qu'il s'agissait d'un don d'une part ou d'autre.

Je pense donc qu'il est extrêmement important que le comité étudie les questions comme celle de l'anonymat des donneurs parce qu'à mon sens, il est devenu impossible de faire l'autruche.

M. Stan Dromisky: Comme vous êtes vous-même avocate, vous comprendrez facilement le dilemme juridique dans lequel nous nous trouvons. Le plus souvent, le sperme utilisé dans les cliniques canadiennes est originaire des États-Unis, mais également d'autres États dont la législation et la réglementation ne sont pas les mêmes que les nôtres. Les cliniques achètent les dons de sperme auprès d'un grossiste de Toronto.

Il y a donc les lois provinciales, les lois des autres États et les lois fédérales canadiennes qui rendent tout ce dossier extrêmement complexe et je ne vois pas comment nous pourrions réussir à atteindre les objectifs dont fait état votre troisième principe.

Mme Maureen McTeer: Rien n'est impossible. J'en conviens, le cheval s'est enfui de l'écurie, et il ne servirait pas à grand- chose de se contenter d'en fermer la porte. Il va également falloir rattraper le cheval et le reconduire à l'écurie.

Il est important que nous fassions parce que c'est l'évidence. Nous avons laissé passer 20 ans au cours desquelles nous disions tout simplement que ces technologies étaient bénéfiques parce qu'elles permettaient aux gens d'avoir des enfants. Mais voilà que soudain le comité se rend compte, après avoir entendu tous ces témoignages, qu'il y a beaucoup d'autres intérêts en jeu, qu'il y a beaucoup d'autres droits en cause car il n'y a pas seulement les intérêts des couples infertiles ou stériles qui comptent. Il se peut que chacun ait le droit de fonder une famille et ait le droit ce faisant de ne pas subir l'intervention de l'État, mais il faut prendre conscience du fait que d'autres personnes sont concernées.

Prenez, par exemple, l'embryon humain. Nous avons la possibilité à cet égard de créer une zone de protection juridique que jamais, jusqu'à présent, nous ne jugions nécessaire, ou que nous estimions impossible. Des enfants naissent grâce à ces technologies. Des adultes réclament désormais le droit de connaître leur père ou leur mère biologiques, leurs frères et leurs soeurs génétiques.

Dans un pays comme le Canada, où les médecins reconnaissent que certains donneurs sont utilisés à répétition, parce qu'il faut chaque fois... Et cela signifie de 500 à 1 000 naissances. Du point de vue de la société, c'est évidemment difficile mais il est moralement inacceptable que nous ne nous souciions pas de ce problème car nous avons laissé le temps passer sans rien faire. Je pense qu'il vaut la peine d'essayer au moins.

M. Stan Dromisky: Merci.

La présidente: Je constate que notre troisième témoin, Mme Vandelac, vient d'arriver. Je vais lui demander de faire son exposé même si je ne peux pas promettre que nous ayons le temps de poser des questions.

Mme Louise Vandelac (Département de sociologie, Institut des sciences de l'environnement, Université du Québec à Montréal): Tout d'abord je vous prie de m'excuser. Je cherche mon porte-monnaie depuis une heure, ce qui explique mon retard.

Mme Maureen McTeer: Excusez-moi mais je trouve que nous voyons ici le reflet de tout l'enjeu Québec-Canada. Vous venez de Montréal et vous perdez votre porte-monnaie dans la capitale nationale. Le débat ne date pas d'hier.

Mme Louise Vandelac: Nous nous connaissons depuis longtemps.

[Français]

Bonjour et merci de votre invitation.

Je commencerai par un bref extrait du dernier livre de Jean-Claude Guillebaud, Le principe d'humanité:

    En 1945-1946, subitement, «l'Occident a découvert avec horreur que l'on pouvait détruire une vérité plus précieuse que la vie elle-même: l'humanité de l'être humain».

• 1700

    Les grands témoignages de l'après-guerre, qui renforcèrent tragiquement notre perception de la dignité humaine, insistent tous sur cette épouvante historique. On pense à Primo Levi qui, dans Si c'est un homme, revient sans cesse sur cette rétrogradation délibérée et maniaque du déporté au rang de «bestiau», de «matière première», d'«ordure».

En fait, dès l'après-guerre, «il devenait clair [...] que l'homme ne devrait jamais plus être assimilé ni à un animal, ni à la machine, ni à la chose.» Jean-Claude Guillebaud souligne qu'il faut bien saisir «l'ampleur, la gravité, la profondeur des ébranlements contemporains» à la lumière de ce qui s'est passé durant la dernière guerre,

    Car c'est la science, répétons-le, qui ressuscite aujourd'hui les questions qui hantaient Primo Levi. On se demande d'ailleurs ce que penserait ce dernier s'il pouvait lire, au sujet de la génétique, des titres comme celui-ci: «Enquête sur la fabrique du surhumain» ou «Nous risquons de sortir en douce de l'espèce humaine».

C'est le titre d'un article que j'ai publié dans le Courrier international en décembre dernier. Il dit:

    C'est pourtant bien la question. Saurons-nous encore définir l'homme, le distinguer de l'animal, de la machine et de la chose? En toute logique, des interrogations aussi fondamentales devraient occuper la totalité de l'espace démocratique. Sur le fond, en effet, elles relèguent la politique traditionnelle (répartition des richesses, délibération, élection), etc. au rang d'une aimable mais très subalterne conjecture. Or, extraordinairement, ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Sur ce terrain truffé de mines, nous avançons dans une frivole confusion.

Si j'amorce mes propos de cette façon, c'est bien pour souligner la gravité de ce qui nous réunit ici. Je vous avoue que c'est avec une certaine tristesse que, 20 ans après avoir amorcé des travaux sur les technologies de reproduction, j'ai pris connaissance du projet de loi actuel.

Dans la mesure où le temps est bref et où je laisserai d'une part un témoignage écrit, où je vous ai apporté d'autre part un film que nous avons fait pour l'ONF l'an dernier, qui s'appelle Clonage ou l'art de se faire doubler, en anglais Clone Inc., parce que je sais qu'un titre comme Clonage ou l'art de se faire doubler est intraduisible en anglais, et où je vous ai apporté quelques textes, je m'en tiendrai essentiellement à souligner quelques-uns des points qui me semblent significatifs par rapport à la façon de poser le débat.

Ce qui m'a frappée notamment, c'est le retard avec lequel nous avons agi. Comme vous le savez très bien, le Canada est un des pays les plus laxistes en matière de technologies de reproduction, l'un des seuls à avoir dépensé au-delà de 30 millions de dollars pour réussir à ne rien faire pendant plus de 15 ans. C'est déjà assez problématique, comme il est assez problématique qu'il ait fallu trois projets de loi sur le clonage, dont deux sont morts au Feuilleton, qui ont été présentés par Mme Picard, pour qu'on s'attarde une fois de plus à cette question de l'interdiction du clonage humain.

Je pense qu'il est extrêmement important de souligner que certains éléments clés des technologies de reproduction sont peu, sinon pas du tout abordés dans le projet de loi. Le premier est un élément sur lequel nous avons beaucoup insisté durant les deux premières années de travail de la Commission royale dont je faisais partie avec Maureen. Il n'y a rien sur l'indispensable travail de protection de la fertilité et de prévention des problèmes de fertilité.

Or, vous savez fort bien que nous avons, au Canada, un des plus hauts taux de stérilisation volontaire et que nous sommes un des grands laboratoires au niveau des connaissances que nous commençons à avoir sur les effets des polluants organiques persistants. Ces polluants ont des effets de perturbation endocrinienne, qui sont eux-mêmes actuellement responsables de l'augmentation de l'incidence de problèmes de cancer, notamment des cancers des organes reproducteurs: cancers de la prostate, des testicules, des ovaires, de problèmes d'endométriose, mais également un des facteurs clés expliquant une baisse significative du nombre et de la qualité des spermatozoïdes dans les sociétés développées, baisse estimée à près de 2 p. 100 par année.

• 1705

Nous savons déjà que dans les conditions actuelles, s'il n'y a pas de transformations très significatives, nous aurons un taux de spermatozoïdes de moins de 20 millions d'ici 30 ans, ce qui est actuellement considéré par l'Organisation mondiale de la santé comme le seuil minimum de fertilité.

Certes, nous disposons pour l'instant de technologies comme l'ICSI, l'intracytoplasmic sperm injection, qui permet d'utiliser un seul spermatozoïde. Néanmoins, vous voyez très bien ce qu'on est en train de préparer quand on intervient aussi peu et aussi mal, notamment sur les questions des polluants organiques persistants. Ici, il faut souligner que plus de 70 d'entre eux ont été identifiés et que 40 p. 100 sont des pesticides.

Ce vers quoi on se dirige, c'est une technicisation massive de la reproduction humaine au cours des deux prochaines générations et un recours systématique à cela.

Par ailleurs, une des prémisses du projet de loi est de dire que c'est essentiellement pour des problèmes de fertilité. Je pense que c'est taire d'autres enjeux tout aussi importants depuis 20 ans. J'ai fait une thèse sur l'infertilité et la stérilité, qui étaient déjà l'alibi des technologies de reproduction en 1988. Ce ne sont pas d'abord et avant tout ces questions qui, je pense, sont les plus déterminantes dans les avancées à grand pas de ces technologies. Ce sont d'abord et avant tout les intérêts de recherche, notamment du côté des embryons, ce que nous avions déjà mis en lumière dans une partie des travaux de la commission.

Ce sont également des enjeux eugénistes, dont certains prix Nobel commencent à avouer les intentions de façon plus claire, y compris M. Watson, de Watson et Crick, qui ont identifié les premiers le génome. Ces enjeux eugénistes sont dramatiquement absents du projet de loi.

Il n'y a rien sur le diagnostic préimplantatoire. Il n'y a rien, ou à peu près, sur le tri génétique des embryons. De la même façon, il y a très peu de chose sur la stimulation ovarienne et ses dérivés. Il n'y a rien, non plus, sur la réduction embryonnaire. Bref, on a l'impression que bon nombre de secteurs ont été laissés complètement en friche. Il n'y a rien sur des choses qui sont en train de se passer actuellement, comme le commerce de services d'ADN. Une firme, PRO-ADN Diagnostic Inc., annonçait hier le lancement de son site Internet transactionnel, le seul site canadien à offrir la vente et le paiement de ces services d'ADN en ligne à l'ensemble de la communauté.

Ce sont des questions brûlantes d'actualité et, pourtant, nous avons l'impression que le projet de loi ne tient pas compte de toute une partie des développements les plus récents et les plus importants.

Certes, on peut se réjouir qu'il y ait volonté de s'opposer au clonage d'êtres humains. Néanmoins, nous introduisons actuellement, dans le cadre de ce projet de loi, la reconnaissance de la possibilité d'utiliser certaines cellules pour la recherche, puisque ce projet de loi a la particularité de dire tout au long de l'article 8, entre autres, et d'une partie de l'article 9 qu'à peu près tout est autorisé dans la mesure où il s'agit d'autorisations dans le cadre de cliniques agréées. Cela nous semble bien faible comme réflexion et bien limité.

• 1710

Pour l'instant, il faut bien comprendre que nous sommes la première génération au monde qui, en 20 ans, a réussi à concevoir des êtres humains en pièces détachées, parfois à des kilomètres et à des années de distance, sans se voir, sans se toucher, par le commerce Internet, par le commerce postal, par le commerce institutionnel et les marchand de sperme et d'ovocytes, par des contrats d'enfantement ou encore des contrats de gestation impliquant deux ou trois mères gestatrices à la fois, et évidemment deux, trois ou quatre enfants. Ces pratiques ont évidemment modifié radicalement la conception de l'être humain dans le sens d'advenir au monde, mais d'advenir aussi à la pensée.

C'est la conception des êtres qui est en train de se modifier. Paradoxalement, nous sommes littéralement en train de sortir de l'espèce humaine telle qu'elle a été définie il y a très longtemps. Les projets qui sont devant nous sont des projets d'envergure, mais on les traite comme s'il s'agissait de nouvelles médications toutes simples.

C'est la première fois que des êtres humains sont passés de l'engendrement d'un être humain à la production de vivants, puisque ce ne sont pas des techniques d'assistance à la procréation mais bien des techniques de reproduction. Pourquoi? Parce qu'on change carrément les paramètres.

Actuellement, on produit du vivant, essentiellement pour tenter de combler les lacunes de ces technologies qui étaient extrêmement inefficaces lors de leur introduction. Comme vous le savez, les taux de succès, au début des années 1980, étaient de 0 à 5 p. 100 et ils l'ont été jusqu'en 1985-1986.

Pour tenter de combler ces lacunes, on s'est mis à faire de la stimulation ovarienne, à produire 5, 10, 15 et parfois jusqu'à 30 embryons et plus. Certaines équipes se sont autorisées à transférer jusqu'à 9 embryons à la fois dans l'utérus des femmes. Ces pratiques n'ont jamais été sanctionnées, y compris celle de transférer 9 embryons à la fois dans l'utérus des femmes. Avec cette expérimentation sur les êtres humains, on en est arrivé à conclure que ce n'était pas très efficace de transférer 5, 6 ou 7 embryons à la fois. C'est à la suite de l'expérimentation sur les femmes qu'on en est venu à cette conclusion. Actuellement, on commence à réduire un peu le nombre d'embryons, mais je dirais néanmoins qu'une frontière a été traversée.

Pour la première fois, on a produit des embryons dits surnuméraires, un terme qui est très lourd de sens. Pour la première fois, on a produit des êtres destinés à naître et d'autres destinés à être strictement des objets de recherche ou encore des objets de don. C'est extrêmement important, ce qui s'est passé là.

Nous sommes donc la première génération d'humains à produire des vivants, dont certains sont destinés à naître, d'autres à être éliminés in utero par réduction embryonnaire, d'autres à être donnés à un autre couple, à être réduits à du matériel de laboratoire ou encore à être mis littéralement sur la glace, puisque des centaines de milliers d'embryons patientent sur la glace.

Nous sommes les tout premiers humains, dans cette étrange lutte contre la montre et contre nous-mêmes, à manipuler le génome des embryons pour les juger, les jauger, les trier, alors que certains envisagent même d'en corriger les défauts, voire d'en modifier certaines caractéristiques en vue, disent-ils, d'améliorer l'espèce humaine.

Depuis déjà 15 ans, nous commençons à parler des post-humains. Nous parlons de plus en plus des cyborgs. C'est l'horizon dans lequel se situent ces technologies. Nous ne pouvons plus avoir un discours portant prétendument et strictement sur l'intervention dans les cas de problèmes de fertilité, dont un certain nombre sont liés à une stérilisation volontaire au Canada, problèmes de fertilité sur lesquels, malheureusement, on intervient très peu de façon cohérente, globale et efficace, et dont ce projet de loi ne dit absolument rien.

• 1715

Nous sommes également la première génération qui, tout en reconnaissant la complexité et la fragilité de la constitution psychique des êtres humains, soumet ses descendants aux plus folles acrobaties, les acrobaties de la filiation: des maternités scindées entre plusieurs mères; des mères qui accouchent de leurs petits-enfants ou l'inverse; des grossesses à 60 ans ou plus; des conceptions à partir des gamètes d'un conjoint décédé; l'amnésie institutionnelle du commerce des gamètes rendant le géniteur inconnaissable à son enfant et sa mère méconnaissable et inconnaissable. En 25 ans, on a réussi à faire imploser certains des paramètres biologiques, sociaux et anthropologiques majeurs de l'engendrement, certains des paramètres qui définissent l'espèce humaine.

Certes, vous allez me dire qu'il y a certains éléments de ce projet de loi qui permettent d'intervenir sur certaines de ces dérives.

Concernant ce qu'on appelle les mères porteuses, le projet de loi, là aussi, ne témoigne pas de la complexité du dossier tel qu'il est devant nous maintenant, puisqu'il s'agit bien désormais de contrats d'enfantement d'un côté, ce qu'on appelle traditionnellement les mères porteuses; de l'autre, de contrats de gestation où deux, trois ou quatre femmes sont mises à contribution pour porter les embryons d'un couple; par ailleurs, des possibilités d'utiliser l'ovule d'une femme et le noyau d'une autre femme, ce qui s'est fait dans des cliniques américaines. Tous ces cas de figure ne sont d'aucune façon abordés par le projet de loi, qui se contente de dire, par rapport à l'ensemble de ces pratiques, que le problème essentiel est que ces femmes soient payées. Je pense que c'est extrêmement réducteur et extrêmement trompeur.

Le problème véritable est celui de réduire des êtres humains potentiels en marchandises, en objets de don, en objets de négoce, même s'ils ne sont pas dans un circuit parfaitement marchand. C'est le fait de les réifier, de les réduire à des objets, de les réduire à des instruments. Déjà là, c'est un problème majeur par rapport à ce commerce. Dès 1985, j'ai fait l'analyse de l'ensemble des textes qui portaient sur les mères porteuses, comme j'ai fait l'analyse de toute la presse française et québécoise sur 15 ans. Il est tout à fait éloquent de voir comment ce phénomène des...

Est-ce que je parle trop vite?

[Traduction]

La présidente: En fait, vous avez dépassé votre temps de parole. Nous allons nous arrêter ici. Il y a des membres du comité qui souhaitent peut-être poser des questions.

Y a-t-il quelqu'un du parti ministériel qui n'a pas encore parlé et qui voudrait poser une question à nos témoins? Non?

M. Manning a demandé la parole de nouveau.

M. Preston Manning: J'ai quelques questions à poser.

Madame Vandelac, avant votre arrivée, nous discutions de la recherche sur les cellules souches. Je souhaiterais que tous les trois vous nous donniez une réponse là-dessus.

Pensez-vous que la recherche sur les cellules souches constitue une catégorie si importante et pose tant de problèmes en soi que le projet de loi devrait, peut-être sous la rubrique des activités réglementées, prévoir une disposition qui traiterait de la recherche sur les cellules souches? Autrement dit, devrait-on définir «cellules souches» et prévoir directement dans le projet de loi des règlements ou des interdictions, ou même peut-être assortir la recherche de conditions? Nous essayons d'attaquer le problème de la recherche sur les cellules souches en appliquant des principes généraux, et pourtant les cellules souches ne sont pas vraiment mentionnées dans le projet de loi. Pensez-vous qu'on devrait en faire une catégorie à part qui ferait l'objet de règles et de définitions? Est-ce important?

Mme Maureen McTeer: Je pense que ce serait certainement très utile. On vous demande de régler tant de problèmes dans les dispositions de ce projet de loi, et que vous le vouliez ou non, il y a conflit de compétences. J'ai tendance à partager les choses en deux: d'une part les questions techniques concernant les cliniques de fertilité et d'autre part les questions plus difficiles, celles pour lesquelles non seulement il n'existe pas vraiment de consensus, mais même les scientifiques ne savent pas très bien quoi faire. Je pense que les cellules souches appartiennent à cette catégorie.

• 1720

Je pense que nous convenons tous que si on peut faire de la recherche valable avec les cellules adultes, il faudrait commencer par là, mettre l'accent là, et financer ce type de recherche. Mais, assurément, rien n'est encore tranché en ce qui concerne les cellules souches embryonnaires, et j'ai dit très clairement que je ne peux pas accepter une recherche qui détruise nécessairement des embryons humains. C'est un aspect qui exige non seulement une catégorie à part, mais il nous faut mettre à contribution les meilleurs cerveaux pour pouvoir compter sur les renseignements les plus à jour afin que vous, parlementaires, puissiez décider que le moment est venu de passer à l'étape suivante.

Personnellement, j'espère vivement que le comité légiférera sur l'éventuelle autorisation de détruire un embryon humain à des fins de recherche—à quelque fin que ce soit, finalement. Pour ma part, je pense qu'il faudrait interdire ce type de recherche mais en tout cas, il faut prendre une décision. Le comité doit se prononcer là-dessus.

[Français]

Mme Louise Vandelac: Je pense personnellement que l'état des recherches sur les cellules adultes permet déjà de faire un travail tout à fait étonnant et qu'il serait sans doute beaucoup plus prudent de continuer avec des cellules adultes que d'aller vers l'utilisation du clonage d'embryons for stem cells.

Cela me semble extrêmement important parce que, d'une certaine façon, prétendre cloner ses propres embryons pour s'en régénérer est pour le moins problématique. C'est ouvrir une nouvelle filière de l'espèce humaine qui serait une filière purement instrumentale. Je pense que ce sont des responsabilités extrêmement graves. Au niveau de la recherche, certes, ça peut être séduisant pour des chercheurs, mais néanmoins, au niveau de l'ensemble de la société, je pense que nous sommes en train de traverser des limites qui sont extrêmement problématiques. À mon avis, autant ce travail sur les stem cells mériterait d'être mis sur la glace pour l'instant, autant il faudrait que ce projet de loi s'intéresse à la transgénèse, ce qu'il fait très peu. Nous utilisons déjà des gènes humains dans la production d'animaux transgéniques et de plantes transgéniques. Nous sommes un des principaux pays producteurs d'aliments transgéniques. Ce sont des questions qui méritent également d'être posées. Elle ne le sont pas.

Un élément qu'il me semble important d'ajouter et dont je n'ai pas traité du tout, c'est qu'on ne parle d'aucune façon dans ce projet de loi d'une instance responsable, cohérente, globale qui ferait à la fois un travail d'analyse, d'enquête, de recherche, de supervision de l'ensemble des cliniques, d'agrémentation et de suivi. On a l'impression que tout est à la pièce, sous la responsabilité du ministre, certes, mais néanmoins à la pièce. Ça me semble extrêmement problématique, compte tenu de la confusion qui règne dans ce secteur depuis des années déjà au Canada, qui a traîné la patte, y compris pour établir des registres dignes de ce nom.

[Traduction]

La présidente: Merci, monsieur Manning.

Mme Picard voudrait poser quelques questions et ensuite nous aurons terminé.

[Français]

Mme Pauline Picard: Merci, madame la présidente.

Bonjour, madame Vandelac. Je suis très heureuse de vous voir ici.

J'ai posé la question tout à l'heure à Mme McTeer et au Dr Giesbrecht. Il est clair que vous êtes pour l'interdiction du clonage reproductif, et je vous appuie totalement. Cependant, dans l'avant-projet de loi, on interdit le clonage thérapeutique et la manipulation génétique des lignées germinales. Je sais que vous avez vu qu'il y avait une contradiction entre l'article 3 et l'article 8 par rapport aux interdictions. Je pense qu'en vertu de l'article 8, on peut faire par la bande ce qu'on ne peut pas faire en vertu de l'article 3. Il va falloir que les fonctionnaires du ministère corrigent cette chose. Si on interdit, on interdit.

• 1725

Est-ce que vous appuyez l'interdiction du clonage thérapeutique et de la manipulation génétique des lignées germinales? Et si vous appuyez cette interdiction, êtes-vous d'accord sur la manière dont on veut interdire, c'est-à-dire en en faisant une interdiction criminelle? Êtes-vous en faveur d'une interdiction criminelle ou d'une interdiction en vertu d'une réglementation?

Mme Louise Vandelac: En ce qui concerne le clonage d'êtres humains, je pense que c'est bien que ce soit une interdiction criminelle. Cela dit, il faudra penser, à très court terme, en termes d'interdiction au niveau international. Cloner des êtres humains, c'est véritablement un crime contre l'humanité, puisqu'on sort de l'espèce humaine telle qu'elle a été définie jusqu'à présent, c'est-à-dire liée à une reproduction sexuelle et sexuée. C'est véritablement de la photocopie du même qu'on s'apprête à faire. Donc, à ce niveau-là, il faudra penser à aller plus loin.

Cela dit, quand on parle dans le texte, à l'alinéa 3(1)b), de:

      b) modifier le génome d'une cellule d'un être humain ou d'un embryon in vitro de manière à rendre la modification transmissible aux descendants de celui-ci;

on vise essentiellement des transformations germinales. Or, dans les faits, même s'il n'y a pas intentionnalité, on sait que les choses sont beaucoup plus complexes au niveau de la génétique et que, même si on n'intervient pas sur les cellules germinales, y compris en intervenant sur des cellules somatiques, il n'est pas évident qu'il ne puisse pas y avoir de conséquences. Donc, je pense qu'il faudrait être légèrement plus prudent à ce chapitre.

Ce qui me semble problématique, c'est qu'en fait, on interdit à cet endroit, mais en permettant d'autres pratiques sous le vocable des technologies de reproduction. Il est évident qu'on s'apprête néanmoins à faire en sorte que cette loi soit rapidement dépassée par les faits.

Une des questions qui m'inquiètent, compte tenu des délais qu'on a mis au Canada à légiférer sur ces questions, c'est de savoir à quel moment on adoptera à tout le moins certains éléments de la loi. Est-ce qu'on s'attend à adopter l'ensemble de la loi avant les prochaines élections, ou si tout cela risque de mourir au Feuilleton une nouvelle fois? Est-ce que, pour la troisième fois, le Canada aura la réputation d'avoir refusé un projet de loi sur le clonage humain, par exemple? Je pense que cela devient très gênant sur la scène internationale.

Mme Pauline Picard: Merci.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Merrifield, vous disposez d'une minute pour une brève question.

M. Rob Merrifield: Je peux poser une question d'une minute, sans problème.

Ce qui m'intrigue, c'est que nous avons entendu beaucoup de chercheurs, beaucoup de particuliers, qui sont venus nous dire que nous devions nous hâter de prendre une décision concernant la recherche sur les cellules souches en utilisant des embryons. Ce qui me frappe un peu, monsieur Giesbrecht, ce sont les informations que vous nous avez données concernant l'élasticité des embryons, pour nous mettre en garde pour ainsi dire. J'ai proposé...aucun autre témoin ne nous a dit cela. Pouvez-vous développer votre pensée, car vous avez laissé entendre que c'était peut-être incontrôlable et qu'il n'y a sans doute personne qui ait jamais été guéri grâce à la recherche sur les cellules souches?

M. Gordon Giesbrecht: Il y a ici deux choses.

Tout d'abord, l'avantage supposé des cellules souches embryonnaires peut devenir un inconvénient. L'avantage des cellules souches embryonnaires est qu'elles sont multipotentes et qu'elles ne sont pas encore conditionnées en ce qui a trait à ce qu'elles peuvent produire. Nous pouvons donc les orienter comme nous l'entendons, mais l'inconvénient est en effet l'absence de contrôle quant aux résultats. Je peux vous signaler un article qui traite de cette question.

Dans des cas où des cellules souches ont été injectées dans le but de produire des cellules musculaires, par exemple, elles ont produit des cellules osseuses. En outre, parce qu'il si difficile de freiner leur croissance, elles ont abouti à la formation d'une tumeur.

Vous trouverez cela sur une des listes que je vous ai montrées, sur une des diapositives de mon exposé. Ce sont là des exemples de choses qui se sont produites, ce qui fait ressortir l'avantage des cellules souches adultes, car on peut les contrôler plus facilement.

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Outre cet avantage extrêmement appréciable, il y a le fait que si on travaille sur la recherche concernant le prélèvement de cellules souches sur un individu afin de les utiliser pour traiter ce même individu, on n'a pas à se soucier du rejet et cela évite de condamner quelqu'un à un traitement médicamenteux anti-rejet pour le restant de ses jours.

La présidente: Merci, monsieur Merrifield.

Mesdames et messieurs, en votre nom, je voudrais remercier nos témoins et exprimer mon regret que Mme Vandelac soit arrivée si tard à cause des ennuis qu'elle a eus. De toutes façons, si nos attachés de recherche ont d'autres questions à vous poser, j'aimerais qu'ils puissent vous téléphoner et que vous acceptiez de leur consacrer un peu de votre temps. Merci beaucoup. Merci d'être venus, et merci à mes collègues.

La séance est levée.

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