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HEAL Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON HEALTH

COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 31 mai 2001

• 1110

[Traduction]

La présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)): La séance est ouverte.

Mesdames et messieurs, bonjour. Je vous présente avec plaisir les personnes qui feront partie de la table ronde de ce matin et qui nous aideront à répondre à certaines des questions les plus épineuses auxquelles nous ferons face comme politiciens.

Sachez que le professeur Michael Burgess ne sera pas présent ce matin, puisque son vol a été annulé et qu'il n'y en avait pas d'autre qui lui aurait permis d'être ici à temps.

Nous accueillons Françoise Baylis, du Département de bioéthique de l'Université de Dalhousie; Laura Shanner, professeure agrégée, Santé de la population, à l'Université de l'Alberta; et Mme Margaret Somerville, directrice du Centre pour la médecine, l'éthique et le droit à l'université McGill.

Commençons par les exposés, qui seront suivis des questions. Madame Baylis, vous avez la parole.

[Français]

Mme Françoise Baylis (professeure agrégée, Département de bioéthique, École médicale de Dalhousie, Université de Dalhousie): Bonjour. J'aimerais tout d'abord remercier les membres du comité de m'avoir invitée à faire cette présentation. C'est un plaisir et un honneur.

Deuxièmement, j'aimerais préciser que je vous adresse la parole aujourd'hui en tant que chercheure indépendante et non pas en tant que représentante de l'un ou l'autre des comités nationaux dont je suis membre. Mon expertise est en philosophie dans le domaine de la bioéthique, et mes recherches sont centrées sur la recherche sur l'embryon, et maintenant les cellules souches en particulier, les nouvelles techniques de reproduction, le clonage et la thérapie génétique. Au plan conceptuel, je m'intéresse à des questions d'identité et de justice.

Cela dit, je passe sans plus tarder à ma présentation, qui sera en anglais.

[Traduction]

Mon exposé d'aujourd'hui comprend deux volets. En premier lieu, j'exposerai les aspects de l'avant-projet de loi qui, à mon sens, sont louables. En second lieu, je cernerai les aspects qui, toujours à mon sens, doivent être corrigés. Pour le deuxième volet, j'illustrerai mes propos qui ne se veulent pas exhaustifs.

D'entrée de jeu, il est important de signaler les aspects de l'avant-projet de loi pour lesquels je dois vous féliciter. Lorsque nous sommes appelés à commenter de façon critique des avant-projets de loi, il arrive trop souvent que nous négligions d'en mentionner les aspects positifs qui devraient être retenus. Ce faisant, nous risquons de voir les éléments constructifs de la proposition originale subséquemment révisés, et pas toujours pour le mieux. C'est en tout cas ce que mon expérience très limitée dans le domaine de l'élaboration des politiques m'a appris. Par conséquent, en tirant parti de mes anciennes erreurs, je m'en voudrais de ne pas vous signaler au départ ce qui me plaît dans l'avant-projet de loi. Je vous recommande donc fortement de ne pas modifier ces aspects.

En premier lieu, le préambule de l'avant-projet de loi me semble exceptionnellement louable, puisqu'il énumère d'importantes considérations et reconnaît dans le texte des valeurs fondamentales. Ce préambule aidera sans aucun doute les législateurs à interpréter et à appliquer la loi, de même qu'à élaborer des règlements cohérents.

Il vaut la peine de signaler particulièrement qu'il faut, en premier lieu, reconnaître la nécessité de promouvoir les intérêts des enfants nés grâce à ces techniques; en deuxième lieu, reconnaître que ces techniques ont une incidence disproportionnée sur les femmes; en troisième lieu, s'engager à respecter l'autonomie et, notamment, à promouvoir un choix libre et éclairé; et en quatrième lieu, être sensibilisé aux problèmes de la commercialisation et de la réification.

Le second aspect positif du projet de loi a trait à l'énumération des actes prohibés. Les procédures suivantes sont interdites dans l'avant-projet de loi: le clonage humain par séparation des blastomères et par le transfert de noyau de cellule somatique; le transfert génétique germinal; le maintien de l'embryon à l'extérieur de l'utérus au-delà de 14 jours; la création d'un embryon à des fins de recherche; la création d'embryons à partir d'un embryon ou d'un foetus; la transplantation de spermatozoïdes, d'ovules ou d'embryons animaux dans un être humain; la transplantation de matériel reproductif humain dans un animal pour créer un humain; et le choix du sexe. De plus, il est interdit d'offrir quelque rétribution que ce soit pour l'une ou l'autre de ces activités prohibées ou de payer pour celles-ci, tout comme il est interdit de servir d'intermédiaire ou de payer pour des contrats de maternité de substitution et d'acheter et d'échanger des gamètes et des embryons.

• 1115

D'aucuns viendront vous dire que ces interdictions entraveront la recherche et l'innovation. J'espère qu'ils ont raison, car il est impératif de ralentir la recherche et l'innovation dans ces domaines mêmes. Je soutiens sans réserve ceux qui maintiennent que ce n'est pas parce que nous pouvons le faire que nous devrions le faire. Tant que nous ne serons pas sûrs que nous devrions accepter ces activités nouvelles et controversées sur le plan éthique, il importe de les interdire. La solution n'est pas d'imposer simplement un moratoire, à supposer que l'objectif soit de faire en sorte que ces activités ne seront pas entreprises tant que l'on n'aura pas pu évaluer les avantages de pratiques hautement douteuses qui menacent les concepts fondamentaux que sont l'identité et la justice.

D'autres vous diront sans aucun doute que légiférer en la matière aura des conséquences catastrophiques et, comme on le prétend souvent, que des chercheurs et des professionnels de la santé talentueux du Canada quitteront notre pays s'ils sont soumis à des contraintes.

D'abord, je doute que cela soit exact. À mon avis, c'est jouer au prophète de malheur. Le Canada est un pays merveilleux où il fait bon vivre et travailler, et beaucoup de scientifiques et de professionnels de la santé attendent avec impatience des directives du gouvernement fédéral.

Y aura-t-il des gens qui émigreront? C'est possible. Cela m'amène à mon deuxième point. Le départ éventuel de Canadiens de talent n'est pas une raison suffisante pour modifier les interdictions proposées.

Les philosophes demandent souvent aux gens de faire preuve d'imagination. C'est ce que je ferai. Imaginez qu'un groupe talentueux de physiciens aient expliqué un jour aux parlementaires canadiens qu'il leur fallait les moyens de mettre au point la bombe atomique, faute de quoi ils quitteraient le Canada. Imaginez également que les Canadiens aient été fermement convaincus qu'une guerre atomique était moralement répréhensible et que le gouvernement ait choisi de limiter la recherche dans ce domaine. La menace de perdre ces physiciens de talent aurait-elle été suffisante, comme argument moral, pour adopter une politique nationale, même si celle-ci allait à l'encontre de ce que souhaitait la population?

Je ne veux pas trop insister là-dessus, mais si l'on considère la situation actuelle dans les soins de santé au Canada et la perte de médecins de talent au profit des États-Unis, cela en soi ne constitue pas une raison suffisante pour introduire un système de santé à deux paliers qui détruirait le système actuel dont les Canadiens sont si fiers.

Passons maintenant aux aspects de l'avant-projet de loi qui, à mon avis, devrait être révisés. Commençons par le consentement. Le préambule de l'avant-projet de loi porte, notamment, que le Parlement du Canada:

    souhaite établir le principe selon lequel l'utilisation de ces techniques est subordonnée au consentement libre et éclairé de la personne qui en fait l'objet;

Mais il reste quelques questions, dont la plus importante est peut- être la suivante: De qui doit-on obtenir le consentement dans le cas de la recherche sur l'embryon, une des pratiques les plus controversées?

Le paragraphe 6(3) de l'avant-projet de loi stipule que les donneurs d'un embryon in vitro ou de toute partie de celui-ci doivent accorder leur consentement par écrit en vue de son utilisation aux fins de recherche ou de prévention, de diagnostic ou de traitement d'une maladie, d'une invalidité ou d'une blessure, comme il est précisé au paragraphe 8(2).

Cela laisse entendre qu'une activité réglementée, pouvant être autorisée conformément au paragraphe 8(2), peut être exercée avec le consentement du donneur d'embryons. On se heurtera probablement à des problèmes dans les cas où l'on aura eu recours à des donneurs de gamètes. Ceux-ci peuvent avoir donné du matériel génétique expressément à des fins de reproduction, mais pas nécessairement à des fins de recherche. Comment faire respecter leur volonté?

En outre, l'interprétation de la mesure législative ne correspond pas au document d'accompagnement intitulé Aperçu qui fait des donneurs de gamètes les preneurs de décisions. Je cite la page 9 du document:

    Par exemple, les donneurs auraient à consentir par écrit à l'utilisation de leurs gamètes pour la procréation assistée. L'utilisation de leurs embryons pour des fins de recherche et de reproduction exigerait aussi leur consentement.

Dans le cadre de votre étude, il vous faudra vous pencher sur une question très importante: De qui, des donneurs de gamètes ou des donneurs d'embryons, doit-on exiger le consentement à des fins de recherche sur l'embryon? Votre réponse à cette question doit être reflétée clairement et uniformément dans le projet de loi révisé et dans les documents d'accompagnement.

• 1120

En deuxième lieu, je suis également préoccupée par les dispositions portant sur les hybrides animaux-humains et les chimères. Les dispositions portant sur la recherche croisée interdisent de transplanter l'ovule, le spermatozoïde, l'embryon ou le foetus d'un animal dans un être humain, comme le prévoit l'alinéa 3(1)f). Il interdit également la création d'un être humain à l'aide de matériel reproductif humain qui est ou a été transplanté dans un animal, à l'alinéa 3(1)g).

La création de chimères, toutefois, n'est nullement interdite. Le paragraphe 9(1) stipule qu'il est possible de créer une chimère à des fins de recherche ou à d'autres fins, dans la mesure où cela se fait en conformité avec une autorisation délivrée. De même, le paragraphe 9(2) dispose qu'une autorisation délivrée permettrait de combiner une partie du génome humain à une partie du génome d'une espèce animale. Ce qui est important mais qui pose aussi problème, c'est que ce ne sont pas toutes les catégories de mélanges génétiques qui sont décrites et délimitées dans ces dispositions. Il serait nécessaire à tout le moins d'avoir des définitions claires de ce que l'on entend par des hybrides interspécifiques, des hybrides cytoplasmiques nucléaires et des chimères interspécifiques.

Dans les documents qui vous seront distribués après mon exposé, j'explique tous ces termes, et je pourrai y revenir à la période des questions. Vous avez choisi un sujet merveilleusement complexe!

À mon avis, essentiellement ces trois activités devraient être interdites. Toutefois, je dirais que ces trois interdictions ne s'appliqueraient pas à l'insertion d'un gène non humain dans un humain ou vice versa et que celle-ci pourrait entrer légitimement dans la catégorie des activités réglementées.

Ma troisième préoccupation concerne la dépendance excessive envers les règlements. Prenons le cas des activités réglementées: À mon avis, on se fie beaucoup aux règlements. Je comprends bien que l'on préfère avoir recours à des règlements plutôt qu'à la loi, étant donné que cela donne une plus grande marge de manoeuvre et que la science évolue extrêmement rapidement, mais il reste que certains secteurs de l'assistance à la procréation seraient mieux servis par la loi que par les règlements. Je vous donne brièvement trois exemples.

Le premier concerne les critères de divulgation pour un consentement valable et éclairé. D'abord, ces critères de divulgation en vue du consentement doivent être précisés dans les règlements, d'après ce que prévoit l'alinéa 40(1)c). À mon avis, étant donné l'importance qu'accorde le préambule au consentement libre et éclairé, étant donné qu'il faut avoir des normes uniformes et nationales de divulgation, et étant donné que les provinces ont le choix de se soustraire à l'application des articles 8 à 40 de l'avant-projet de loi, rien ne s'opposerait vraiment à ce qu'on codifie, au moins, la common law appliquée actuellement dans le domaine.

En deuxième lieu, la continuation de certaines activités s'en remet beaucoup trop aux règlements. L'article 43 porte qu'une personne exerçant une activité réglementée sans autorisation peut continuer de l'exercer «jusqu'à la date fixée par règlement». C'est trop vague. Il faudrait fixer dans la loi une date limite. Par exemple, la loi devrait préciser qu'il faut obtenir une autorisation dans l'année qui suit l'entrée en vigueur des règlements, sans quoi, il est tout à fait possible que ceux à qui s'appliquent cette disposition réussissent, en exerçant des pressions, à se faire reconnaître un droit acquis permanent pour exercer leurs activités. La loi devrait clairement empêcher cela.

Le troisième exemple concerne l'instance nationale de réglementation. On peut interpréter—comme certains l'ont fait—le libellé actuel de l'avant-projet de loi comme ne créant aucun organisme national de réglementation d'aucune sorte. Pourtant, c'est ce qu'avaient prévu les rédacteurs. L'aperçu établit que l'organisme de réglementation, qui serait à l'intérieur ou à l'extérieur de Santé Canada, serait chargé de surveiller la mise en oeuvre de la législation proposée, et cela se trouve à la page 11. Or la création de cet organisme de réglementation devrait être reconnue par la loi.

J'en arrive à mon dernier point concernant les aspects de l'avant-projet de loi qui me posent problème. Il s'agit de l'organisme de réglementation. D'après ce que j'ai compris, outre une analyse générale de l'avant-projet de loi, le ministre de la Santé a demandé au comité de lui faire des recommandations quant à cet organisme national de réglementation. Vous devez notamment déterminer si cet organisme devrait relever de Santé Canada ou en être distinct.

• 1125

Je ne peux aborder directement cette question précise puisque je ne comprends pas suffisamment quelles sont les ramifications des options. Si l'organisme relevait de Santé Canada, on pourrait peut- être parler d'une reddition de comptes accrue, mais aussi possiblement de conflit d'intérêts. Peu importe le choix, je suis sûre qu'il y a de multiples facteurs à considérer.

Je pourrais peut-être vous aider néanmoins dans votre tâche en vous faisant comprendre certains—pas tous, cela prendrait trop de temps—des problèmes auxquels fait face le comité d'éthique pour la recherche et qui illustrent la nécessité d'avoir un organisme national de surveillance.

Au Canada, toute la recherche portant sur les humains, comme sur les restes, cadavres, tissus, liquides biologiques, embryons ou foetus humains, doit être analysée par un comité d'éthique pour la recherche, mais il n'existe actuellement aucun organisme national de surveillance. Le système actuel d'examen pose des problèmes de taille, et depuis 1990, on a réclamé à plusieurs reprises la mise sur pied de comités nationaux en vue d'étudier les techniques génétiques et de reproduction et la recherche en ce domaine.

Je vous ai fourni une annexe qui illustre la grande diversité des sources d'où proviennent ces demandes au Canada depuis 1990. La demande la plus récente provient des États-Unis, et elle est datée du 18 mai 2001. C'est un problème urgent à l'échelle internationale. L'annexe comprend aussi des exemples d'un peu partout dans le monde, où il y a une demande uniforme pour une supervision nationale de la recherche dans ce domaine.

La revue de l'éthique en matière de recherche au Canada est aux prises avec des problèmes évidents, dont les suivants: premièrement, l'absence totale de programmes nationaux de formation et d'accréditation pour les membres des comités d'éthique de la recherche, programmes essentiels pour assurer la préparation adéquate à ce travail; deuxièmement, l'absence d'un programme national de reconnaissance professionnelle pour les comités d'éthique de la recherche, comportant possiblement des domaines de compétence spécialisés; troisièmement, le non-respect, par les comités d'éthique de la recherche, des énoncés de politique des trois conseils, qui servent de lignes directrices régissant la recherche qui utilise des participants humains; quatrièmement, l'incapacité des comités d'éthique de la recherche, qui comptent sur les bénévoles et sont généralement à court de personnel et de financement, d'assurer la surveillance de la recherche qu'ils approuvent; cinquièmement, le manque d'uniformité au pays dans les critères d'éthique qui définissent les pratiques de recherche acceptables et inacceptables; et sixièmement, l'insuffisance de lois, de règlements et de lignes directrices régissant la recherche financée par le secteur privé.

Outre ces problèmes, qui concernent spécialement la revue sur le plan de l'éthique, il y a les problèmes soulevés en particulier par la recherche dans les nouvelles techniques génétiques. Je me limiterai à deux autres problèmes—d'abord, les connaissances insuffisantes des membres des comités d'éthique de la recherche, compte tenu de la nature très spécialisée de cette recherche; et, ensuite, le risque considérable de conflit d'intérêts, puisque les rares personnes ayant les compétences nécessaires pour effectuer une telle revue ont de bonnes chances d'être associées à l'équipe de recherche en question.

On recommande la mise sur pied d'un comité de supervision national parce qu'on croit que ce dernier pourrait: premièrement, garantir aux Canadiens et aux Canadiennes que les recherches effectuées sont de la plus haute qualité scientifique et défendables du point de vue de l'éthique, dans le respect des valeurs et des coutumes canadiennes; deuxièmement, assurer plus de responsabilité par rapport à ce qui est possible en vertu du système actuel d'autoréglementation; troisièmement, garantir, pour ce type de recherche, des normes nationales qui s'appliqueront tant au secteur privé qu'au secteur public, ce qui, croyez-moi, est important parce que la plupart de la recherche s'effectue dans le secteur privé; et quatrièmement, assurer un meilleur accès aux spécialistes.

Comme je le disais, pour toutes ces raisons et d'autres encore, des pays partout dans le monde militent en faveur d'un système de supervision nationale. J'insiste là-dessus parce que je sais qu'il y en a beaucoup ici qui se préoccupent de la question du partage des compétences entre les provinces et le gouvernement fédéral, et je serais heureuse d'aborder cette question aussi.

Je termine en disant qu'il y a un problème dans l'avant-projet de loi en ce qui a trait à la clause dérogatoire pour les provinces. Le paragraphe 41(1) permet aux provinces de se soustraire aux articles 8 à 40, pourvu que le ministre reconnaisse qu'il y a déjà, dans les lois de la province, des mesures en vigueur qui sont équivalentes aux articles 8 à 11, 18 à 21, et 23 à 32. Il y a ici deux problèmes distincts et très très graves qui se posent.

Premièrement, si une province prouve qu'elle dispose de mesures équivalentes en matière d'activités réglementées, la province se trouve exemptée des peines prévues pour les activités prohibées. Comment est-ce possible?

Deuxièmement, cette dérogation provinciale possible réduit considérablement la possibilité d'établir des normes nationales dans le domaine, et c'est pourquoi j'ai pris le temps de vous décrire le terrible problème auquel nous faisons face au pays en matière d'éthique de la recherche. Voilà précisément ce qu'il nous faut, et je conclus en affirmant que c'est précisément ce que les Canadiens demandent.

Je termine en vous remerciant de votre attention. J'espère que certaines de mes observations ont été utiles.

• 1130

La présidente: Merci, madame Baylis. Nous relirons volontiers votre mémoire afin de préciser la définition de ces termes.

Pouvons-nous maintenant entendre Mme Shanner.

Dre Laura Shanner (professeure agrégée, John Dossetor Health Ethics Centre et Department of Public Health Sciences, Faculté de médecine, Université de l'Alberta): Merci de nous avoir invitées à venir témoigner ici aujourd'hui. Mon mémoire sera disponible après la présentation, en plus d'un article que j'ai rédigé avec Jeff Nisker et que je viens de publier, le 29 mai, dans le Journal de l'Association médicale canadienne. Je crois que Jeff est venu témoigner il y a quelques jours. Nous avons résumé plusieurs enjeux sous une forme très synthétique qui, je l'espère, sera utile. Voilà de quoi il s'agit.

J'ai une formation en philosophie et en sciences prémédicales. Je suis actuellement professeure agrégée de déontologie médicale à l'Université de l'Alberta. J'ai étudié les techniques de reproduction et de génétique ou TRG pendant 13 ans environ en Australie, aux États-Unis et un peu en Grande-Bretagne de même qu'ici, au Canada.

Je voudrais d'abord me faire l'écho de Françoise en disant que cet avant-projet de loi contient de nombreux éléments positifs. Je vous demanderais, comme elle, d'en ajouter quelques-uns.

Je tiens à souligner qu'on attend depuis longtemps une loi dans ce domaine. Les techniques de reproduction comme la fécondation in vitro remontent à une vingtaine d'années. Pour le moment, au Canada comme aux États-Unis, dans une large mesure, ces techniques ne sont pratiquement pas réglementées.

J'ai des contacts presque quotidiens avec des membres de plusieurs groupes d'entraide en matière d'infertilité du pays. Je dois vous dire que je suis toujours sidérée devant le nombre de cas et de problèmes qui me sont soumis chaque semaine. La question du consentement éclairé est très problématique en milieu clinique. Il y a un manque d'information sur les conséquences du traitement, ses résultats et ses risques de même qu'un counselling psychologique et social insuffisant pour aider les familles à prendre des décisions très difficiles. Cela pose un problème particulier lorsqu'on utilise les gamètes d'un donneur. Les enfants nés de donneurs de spermatozoïdes ou d'ovules ne peuvent pas savoir qui sont leurs parents génétiques et c'est un sujet auquel je reviendrai tout à l'heure.

Au Canada, presque tous les spermatozoïdes donnés ont dû être mis en quarantaine parce que la majorité des cliniques ont omis d'effectuer le test de routine pour l'hépatite qui permet à la receveuse d'éviter de contracter une grave maladie. Pour cette raison, la quasi-totalité des spermatozoïdes utilisés au Canada sont importés par la même entreprise américaine sans qu'aucun règlement ne nous donne la garantie que ce matériel génétique est plus sûr que les dons de spermatozoïdes canadiens. Ce sont les cliniciens qui sont censés assurer la sécurité de ces importations, mais ce sont eux qui n'ont pas su assurer la sécurité de notre approvisionnement.

Les ovules et les spermatozoïdes font actuellement l'objet d'une surenchère. Un échantillon de sperme coûtait une quarantaine de dollars. Le prix est maintenant d'environ 70 $ en Ontario. Le prix des ovules a grimpé, passant d'à peu près 2 500 $ à 5 000 $ dans la plupart des cliniques ontariennes. Cette surenchère n'est pas moralement acceptable et c'est pourquoi il est nécessaire de légiférer.

Je voudrais en revenir à certains principes fondamentaux. Il y a bien des façons de parler d'éthique et il nous arrive parfois de nous perdre dans les détails. Ce sont des techniques compliquées. Toute une terminologie s'y rattache. Revenons à quelques principes fondamentaux bien simples.

J'aurais trois principales choses à dire. Premièrement, la procréation est une des expériences humaines les plus profondes et donc les plus complexes. Deuxièmement, par définition, la reproduction consiste à mettre au monde de nouveaux êtres dont les intérêts doivent passer avant tout le reste. Troisièmement, la reproduction ne représente pas tout à fait la même chose pour les hommes et les femmes et il faut donc tenir compte des différences et de l'égalité entre les sexes quand on parle des techniques de reproduction.

Pour ce qui est du premier principe, la naissance et la mort sont les deux seules expériences humaines universelles. Si vous intervenez au début ou à la fin de la vie, vous vous livrez à l'entreprise humaine la plus importante qui soit. C'est ce que nous faisons.

Les TRG sont importantes pour nous tant du point de vue physique que psychologique, social, économique, spirituel ou culturel. Il ne sera jamais facile de comprendre ces techniques, même si vous en connaissez la terminologie. Il ne sera jamais facile non plus de les réglementer. Il ne suffit pas d'adopter une loi.

• 1135

C'est pour cette raison que la Commission royale d'enquête et toutes les commissions d'enquête importantes que nous avons eues par la suite au Canada ont recommandé d'établir un conseil consultatif quasi gouvernemental indépendant pour surveiller la situation car elle est très difficile et très complexe.

C'est indispensable, premièrement, parce que les techniques de reproduction progressent à une vitesse incroyable et parce que vous avez besoin d'experts dans à peu près tous les domaines pour pouvoir vous y retrouver. Ce travail ne doit pas être confié à des dilettantes, mais plutôt à un groupe assez important de divers spécialistes qui s'y consacreront à plein temps.

Deuxièmement, comme la reproduction est une activité très personnelle, beaucoup de gens s'inquiètent du rôle que peut jouer le gouvernement dans la réglementation des solutions choisies. Pour cette raison, toute réglementation doit résulter d'un processus de consultation publique où les divers intérêts seront représentés.

Troisièmement, comme l'a dit Françoise, les responsabilités qui incombent au gouvernement fédéral et aux provinces en ce qui concerne la prestation des services de santé soulèvent certaines questions et il n'est pas évident que le gouvernement fédéral puisse imposer son autorité dans un champ de compétences partagées.

Dans mon mémoire, je formule plusieurs recommandations en ce qui concerne la structure de l'agence. Je voudrais en signaler quelques-uns à votre attention.

Il faut d'abord assurer un financement à long terme, et j'envisage au moins 10 à 20 ans. L'agence a besoin des pouvoirs et des ressources voulus pour recueillir des données et publier des résultats, des documents d'information et des documents sur le consentement à l'intention des cliniciens et des patients. Elle devra tenir un registre des donneurs. Il faut qu'elle puisse examiner les projets de recherche, comme l'a mentionné Françoise, et qu'elle ait des gens qui surveilleront les progrès de la législation et de la réglementation au niveau fédéral et provincial, qui recommanderont des changements selon les besoins et qui travailleront avec tous les niveaux de gouvernement.

Mais surtout, cette agence doit être très représentative, non seulement des chercheurs qui mettent les techniques au point ou des cliniciens qui les appliquent, pas seulement des experts comme nous qui gagnons notre vie à parler de ces techniques. Les principaux intéressés sont les patients, les familles et les enfants nés grâce à ces techniques, qui sont les plus directement visés et qui peuvent nous dire où se situent réellement les problèmes.

Deuxièmement, le but des TRG est de mettre au monde des enfants en bonne santé. Nous ne voulons pas produire des embryons pour le simple plaisir de la chose. Nous espérons donner naissance à des bébés à la suite du traitement de l'infertilité. Nous ne faisons pas de tests génétiques pendant la grossesse par curiosité scientifique, mais pour assurer la santé et le bien-être de l'enfant avant sa venue au monde.

Comme nous mettons un être humain au monde sans son consentement, la décision de procréer est l'une des décisions les plus lourdes de conséquences que nous puissions prendre. La reproduction à l'ancienne mode qui résulte de relations sexuelles n'est pas toujours voulue. Mais les TRG ne sont pas le fruit du hasard. Elles servent à faire des bébés.

Cela confère énormément de responsabilités. Ce sont des responsabilités à long terme, car il ne s'agit pas seulement de faire naître un enfant et cet enfant n'est pas seulement l'enfant des techniques de reproduction et de génétique; il va grandir pour devenir un adulte comme tous les autres. Il voudra se marier et devra savoir si son conjoint n'est pas issu du même donneur de spermatozoïdes. Il devra connaître ses propres antécédents génétiques. Il devra savoir si le donneur de spermatozoïdes ou d'ovules a des antécédents de maladies cardio-vasculaires ou de cancer. Mais ces renseignements ne sont pas disponibles. Les enfants nés de cette technique ont besoin de leur propre identité sociale et familiale et comme de nombreux enfants adoptés parvenus à l'âge adulte, un grand nombre d'entre eux ont l'impression qu'il leur manque un chapitre de leur vie. Ils ont droit à ces renseignements.

N'oublions pas que le respect de la vie privée des donneurs et des adultes en cause n'a rien à voir avec le secret sur les origines d'une personne. Ce sont là des intérêts tout à fait légitimes dont il faut tenir compte.

D'autre part, on nous dit que si nous décidons d'ouvrir les registres des donneurs, il n'y aura plus de donneurs. Nous avons la preuve du contraire. La banque de sperme de Californie ne permet que des dons pratiqués ouvertement depuis 1982 et ne manque certainement pas de donneurs.

• 1140

En outre, des hommes qui ont donné du sperme il y a 20 ou 30 ans se demandent maintenant s'ils ont des enfants et ce qu'ils sont devenus. L'ouverture des dossiers n'est pas nécessairement contraire aux intérêts des donneurs.

Pour ce qui est des activités prohibées, leur liste est appropriée, car je crois qu'elles devraient être interdites pour les raisons suivantes qui se rapportent au bien-être de l'enfant: il y a d'abord les risques pour la santé. Quand vous manipulez le code génétique ou l'embryon ou quand vous essayez de faire se développer un foetus dans un environnement non humain, cela présente de très graves risques pour la santé physique de tout enfant qui en résulterait. Rien ne peut justifier qu'on fasse un enfant dans de telles conditions si cela ne présente pas un avantage énorme pour l'enfant. Je ne vois aucun argument plausible le justifiant. Il est normal que ces activités soient interdites.

Il y a aussi les risques psychosociaux. La sélection du sexe, les modifications génétiques ou le clonage visant à créer un enfant identique à un autre enfant ou à un autre adulte créent des attentes irréalistes à l'égard de l'enfant. Nous savons que cela peut avoir des effets dévastateurs sur son développement psychosocial. Rien ne justifie de telles pratiques qui présentent d'énormes risques sans aucun avantage plausible.

Enfin, les ententes commerciales de maternité de substitution reviennent à échanger de l'argent contre un enfant. Cela équivaut à vendre un être humain, ce qui est moralement inacceptable. Ce doit être interdit.

Je formule, dans mon mémoire, quelques observations dont je me ferai un plaisir de discuter avec vous plus tard. Certains estiment qu'il n'est pas possible d'interdire certaines recherches sur l'embryon ou sur certaines interventions sur le foetus tout en autorisant l'avortement ou la recherche sur l'embryon en général. Je crois possible d'établir une ligne de démarcation entre les activités qui sont permises et celles qui doivent être interdites.

Je n'entrerai pas dans les détails, mais je dirai simplement que si nous voulons conférer le statut de personne aux embryons ou aux foetus, vous allez ouvrir la boîte de Pandore, susciter tellement de problèmes inattendus que vous ne vous en sortirez plus. Si les foetus ou les embryons sont des personnes à des fins médicales, ils seront également des personnes à charge aux fins de l'impôt, des citoyens en vertu de la Loi sur l'immigration et de la citoyenneté, de même que des personnes aux fins du recensement. Et je ne vois pas comment vous allez compter les embryons et les foetus dont nous ne connaissons même pas l'existence dans la plupart des cas et dont la majorité ne survit pas au-delà des six premières semaines suivant la conception.

Il y a ensuite la question du multiculturalisme et du respect des croyances culturelles et religieuses. La croyance voulant qu'un être devient une personne dès sa conception est contraire aux enseignements du judaïsme et de l'islam, et la liberté de religion protégée par la Charte ne doit pas privilégier une croyance religieuse par rapport aux autres lorsque la science ne peut pas fournir de réponses concluantes.

La troisième notion va de soi. La reproduction exige beaucoup plus des femmes que des hommes sur les plans physique, émotif et social. Ce sont les femmes qui portent les enfants et non pas les hommes. L'obtention d'un ovule exige une intervention beaucoup plus invasive que l'obtention de sperme. Nous devons veiller à ce que les femmes soient protégées par les dispositions de la Charte interdisant la discrimination. On ne doit pas forcer les femmes à assumer un fardeau supplémentaire aux fins de la procréation ou de la recherche sur l'embryon et les femmes doivent recevoir leur juste part des avantages qu'offre cette recherche compte tenu du fardeau supplémentaire qu'elle suppose. Chaque fois que nous faisons de la recherche sur les embryons, les foetus, ou les techniques de reproduction, nous devons tenir compte de la santé de la femme étant donné que celle-ci peut se trouver compromise par les hormones ou autres interventions, longtemps après la fin de la grossesse ou du traitement de l'infertilité.

Il faut tenir compte des intérêts des femmes sur le plan de leur santé, que ce soit pour augmenter les chances de grossesse, éviter que leurs enfants aient des troubles de santé, éviter les interventions pendant la grossesse, éviter la grossesse ou encore mettre fin à une grossesse qui cause des problèmes pour la mère.

Une chose que la loi n'aborde pas vraiment et que je crois souhaitable d'y ajouter, c'est la nécessité d'assurer l'efficacité des tests génétiques avant qu'ils ne soient homologués au Canada. Ce n'est pas du tout la même chose que d'exiger une autorisation pour utiliser un test en laboratoire ou de refuser d'homologuer certains tests qui ne sont pas suffisamment exacts et ne fournissent pas de résultats assez fiables.

• 1145

Nous avons besoin de lignes directrices claires tout d'abord au sujet de la sûreté et de l'efficacité du test. Deuxièmement, nous devons poursuivre le dialogue entamé par le comité consultatif au sujet des conditions génétiques suffisamment graves pour justifier un dépistage à grande échelle. Allons-nous autoriser le dépistage de la calvitie, de l'obésité ou de l'homosexualité si l'on trouve les marqueurs génétiques de ces caractéristiques?

Il faut bien reconnaître que la maternité est différente de la paternité. Il n'y a qu'un père biologique, soit le père génétique.

La maternité comprend à la fois une composante génétique, soit la femme qui a fourni l'ovule, et une composante gestationnelle, la femme qui est enceinte. Depuis le début de l'histoire de l'humanité jusqu'à il y a 20 ans, ces deux mères étaient évidemment la même personne. Ce n'est plus vrai. Qui est la vraie mère? Si vous prenez l'ovule de Marie pour l'implanter dans le corps de Suzanne, quel nom apparaîtra sur le certificat de naissance? Pour le moment, cela dépend. Si Marie a donné son ovule et que Suzanne est infertile, Suzanne est généralement désignée comme la mère. Si Marie est infertile et si Suzanne est une mère porteuse, c'est Marie qui est la mère.

Québec est la seule province à avoir réglé cette question épineuse. Le gouvernement provincial a décidé, à juste titre selon moi, que la femme qui donne naissance à l'enfant devrait être désignée comme la mère de l'enfant, quelles que soient les autres relations génétiques ou les contrats conclus avant la naissance.

Je crois toutefois que nous devons aller plus loin et envisager d'inscrire sur le certificat de naissance le nom des deux mères et du père génétiques. Ces archives devraient être conservées à perpétuité comme les autres certificats de naissance et il faudrait créer un nouveau cadre juridique équivalant à celui de l'adoption pour les ententes de garde et les autres obligations parentales.

Il serait possible d'émettre un nouveau certificat portant le nom des parents légaux, comme dans le cas des adoptions. L'émission de ce nouveau certificat pourrait mettre fin à toute revendication que l'enfant pourrait formuler contre ses parents biologiques, par exemple pour les demandes de pension alimentaire.

En s'abstenant d'identifier les parents génétiques et gestationnels, on laisse l'enfant dans l'ignorance et on ne comprend pas la nature de la grossesse et de la maternité. C'est mauvais pour les enfants et c'est mauvais pour les femmes.

Le fait de reconnaître que la femme assume un fardeau reproducteur plus lourd ne nie aucunement l'importance des intérêts reproducteurs de l'homme. Je constate que les intérêts de l'homme sont souvent pris à la légère dans le contexte de la reproduction. Ces intérêts doivent également être protégés afin qu'ils ne soient pas exploités comme donneurs de sperme et qu'ils comprennent clairement le rôle d'un père biologique. Nous devons soutenir les familles des donneurs, aussi bien les pères, les mères et les enfants.

Pour conclure, les techniques de reproduction sont restées jusqu'ici, surtout au Canada, entre les mains de ceux qui les mettent au point et qui ont donc des intérêts financiers en jeu. Les bénéficiaires de ces techniques, qui en subissent parfois les conséquences, de même que les enfants qui en sont issus n'ont pas grand-chose à dire. On ne les écoute pas et ils ne sont pas soutenus suffisamment. Ils ne sont pas assez informés et, dans bien des cas, ils réclament de l'aide.

Nous avons la responsabilité de leur venir en aide dans le contexte très difficile de l'infertilité et des maladies génétiques. Le gouvernement fédéral, par l'entremise de la Direction de la politique de la santé de Santé Canada, a appuyé des enquêtes éthiques et politiques sur les TRG qui sont vraiment excellentes. Malheureusement, ces enquêtes se sont traduites jusqu'à maintenant par très peu de réalisations concrètes qui puissent profiter aux patients et aux familles.

La procréation assistée et la vie des familles des enfants et des bénéficiaires sont trop importantes pour être abandonnées à un environnement libertain dépourvu d'appuis. Il est temps de créer une agence de réglementation des TRG, comme la Commission royale l'a recommandé avec insistance, et de faire en sorte que le bien- être des bénéficiaires et des enfants soit protégé. Je vous exhorte à réviser cette loi en conséquence et à l'adopter le plus tôt possible.

Merci beaucoup du temps que vous m'avez accordé. Je serai heureuse de participer à la discussion qui suivra.

La présidente: Merci, madame Shanner.

Le temps file. Je voudrais céder aussitôt la parole à Mme Somerville.

Dre Margaret Somerville (directrice intérimaire, Centre pour la médecine, l'éthique et le droit de l'université McGill): Merci, madame la présidente. Merci de me donner l'occasion de prendre la parole devant le comité.

J'ai quelques remarques préliminaires à vous présenter, après quoi je ferai des observations générales et ensuite des observations spécifiques.

Il convient à mon sens de bien faire remarquer que les pouvoirs créés par les progrès des techniques de reproduction et de génétique sont sans précédent. Nous avons parfois tendance à l'oublier, mais nous sommes la première génération d'êtres humains à avoir ces pouvoirs. Nous tenons la vie dans la paume de nos mains collectives comme jamais auparavant.

• 1150

Ces pouvoirs considérables s'accompagnent de responsabilités considérables. Nous reconnaissons depuis toujours qu'il en va de notre intérêt individuel et collectif de respecter la vie, et cela voulait dire autrefois que nous ne devions pas nous tuer les uns les autres.

L'avènement de ces nouvelles techniques ajoute toutefois deux nouvelles dimensions au respect de la vie à cause du type d'interventions qu'elles permettent. Nous sommes maintenant en mesure d'assurer la transmission de la vie humaine, non pas par la reproduction sexuée, mais par la réplication asexuée. Le changement est donc double: la transmission n'a plus de caractère sexué et elle ne se fait pas par la voie de la reproduction. On a, bien sûr, affaire au clonage.

Nous sommes en mesure de changer l'essence même de la vie humaine, la cellule germinale ou le génome humain collectif. Pour bien comprendre l'importance de ce pouvoir, il suffit de se rendre compte, par exemple, que ceux d'entre nous qui sont réunis autour de cette table aujourd'hui sont, d'après ce que nous disent les scientifiques, le produit d'une évolution qui s'est faite sur quelque 800 millions d'années.

Nous sommes maintenant en mesure de modifier ce produit de 800 millions d'années d'évolution en l'espace de fractions de seconde, ou de nanosecondes, comme disent les scientifiques. En outre, comme mes collègues l'ont déjà indiqué, certaines des valeurs qui nous tiennent le plus à coeur individuellement et collectivement sont liées à la perception que nous avons de la transmission de la vie humaine d'une génération à l'autre, ainsi qu'à notre perception de la naissance et des rapports génétiques que nous avons avec les autres humains. Or, les choix que nous ferons quant à l'utilisation ou à la non-utilisation des nouvelles techniques de reproduction et de génétique auront une incidence sur ces valeurs.

Pour conclure mes remarques préliminaires, je dirai que ces choix se répercuteront, non pas seulement sur les Canadiens, mais sur tous les humains, maintenant et à l'avenir. En tant que Canadien, et tout particulièrement puisque nous sommes saisis de cet avant-projet de loi, nous avons une occasion extraordinaire, qui me paraît être sans précédent, de jouer un rôle de chef de file à l'échelle internationale en faisant ce que j'appellerai les «bons choix».

Permettez-moi maintenant d'évaluer l'avant-projet de loi en tant que tel. Tout comme Mme Baylis, je trouve qu'il comporte de bons points—et je vais d'abord parler de ces bons points—et qu'il y a certaines améliorations qui pourraient y être apportées.

Tout d'abord, je crois que les documents et les travaux de recherche sur l'utilisation des nouvelles techniques montrent que les points de vue sont on ne peut plus divers. À une extrémité, il y a ceux qui les considèrent comme l'oeuvre du diable et qui estiment qu'il ne faudrait jamais y avoir recours.

À l'autre extrémité, il y a ceux qui, comme mon collègue de l'Université du Texas, le professeur John Robertson, refusent toute restriction quelle qu'elle soit et soutiennent que personne n'a le droit d'intervenir dans quelque choix relatif à la procréation que ce soit, y compris le clonage. C'est là l'avis du professeur Robertson, tout comme d'ailleurs de certains scientifiques avec lesquels j'ai eu l'occasion de débattre à Princeton.

Où donc se situe le projet de loi sur l'échelle graduée qui va de la liberté totale à l'interdiction totale? J'estime qu'il témoigne d'une approche assez prudente et modérée, et j'en félicite les rédacteurs. Je crois qu'une multitude de Canadiens appuieraient beaucoup des positions que reflète l'avant-projet de loi, mais pas toutes, et les points que nous approuverions ou que nous désapprouverions ne seraient pas nécessairement les mêmes.

Quels sont les points forts du projet de loi? Premièrement, il interdit certaines activités et l'on peut raisonnablement conclure de ce fait qu'il part du principe que certaines utilisations de la procréatique, comme le clonage humain, sont foncièrement inacceptables.

Je ne peux pas l'affirmer parce que ce n'est pas dit en toutes lettres. C'est là une démarche que les spécialistes de l'éthique considèrent comme étant fondée sur des principes ou une déontologie selon lesquels certains actes sont foncièrement inacceptables et doivent être interdits. La question qui se pose dans une société laïque, pluraliste, multiculturelle et démocratique comme la nôtre est de savoir comment nous pouvons arriver à nous entendre sur ce qui est foncièrement inacceptable alors que nous n'avons plus pour nous guider une autorité morale absolue, comme la religion ou ce que Dieu nous aurait donné comme commandement, ou encore un monarque absolu, comme c'était le cas autrefois.

• 1155

Un des éléments dont vous devez tenir compte en vous colletant avec une question aussi importante est de savoir que, si, par exemple, comme l'a fait la Commission du président des États-Unis dans son rapport sur le clonage, vous décidez simplement qu'il faut pour l'instant interdire le clonage humain parce que, par exemple, comme l'a signalé Mme Shanner, il présente trop de risques, c'est que vous êtes guidés par une morale de la situation. Selon cette éthique quand les avantages ne l'emportent pas sur les inconvénients, c'est une raison suffisante pour interdire quelque chose. Dans cette logique cependant, si un jour les avantages l'emportent sur les inconvénients, on dirait que le clonage n'est pas foncièrement inacceptable. Je vous recommande vivement de dire que le clonage humain est foncièrement inacceptable.

Deuxièmement, le projet de loi a aussi mon aval parce que, en interdisant de commercialiser la transmission de la vie humaine ou la gestation humaine—et c'est vraiment là l'effet du projet de loi—il reconnaît l'importance du respect de la transmission de la vie humaine et de la gestation humaine.

Troisièmement, ce que je trouve vraiment bien aussi, du moins d'après la lecture que je fais du projet de loi, c'est qu'il est rédigé d'une façon telle que la présomption de base pour déterminer si telle ou telle technique de reproduction peut être utilisée est «non, à moins que». Autrement dit, non, on ne peut pas s'en servir à moins que... quel que soit le critère qui en permettrait l'utilisation. Naturellement, nous ne serons pas tous du même avis quant au choix de ces critères. Cette présomption fondamentale part toutefois de ce que, dans le contexte de la politique environnementale contemporaine, on appelle le principe de la prudence. Elle a également pour effet de renverser le fardeau de la preuve, en ce sens que ce fardeau incombe à ceux qui veulent utiliser une technique.

Voilà donc, à mon avis, les points forts du projet de loi. Ils sont très importants selon moi, et je suis très heureuse de penser que le Canada va sans doute les adopter. Je l'espère bien en tout cas.

Quelle est la principale lacune de l'avant-projet de loi? Il comporte beaucoup de petites lacunes, dont bon nombre vous ont déjà été signalées, notamment en ce qui a trait à l'organisme de réglementation et au recours à la réglementation plutôt qu'à la voie législative. Cette dernière lacune est d'un intérêt non négligeable par rapport aux points que j'ai soulevés. Ainsi, si certains actes sont foncièrement inacceptables, il faudra que ce soit précisé, non pas dans la réglementation, mais dans la loi. Il y a donc un lien entre la forme et le fond, car la forme a une importance et n'est pas simplement une question de formalité, comme le savent ceux d'entre nous qui sont avocats.

J'estime toutefois que la principale lacune du projet de loi est la suivante: il ne reconnaît pas les dangers de la procréatique pour ce que je qualifie, collectivement, de réalités métaphysiques, pour les normes, valeurs, et convictions et principes fondamentaux qui constituent ce que j'appelle l'esprit humain dans l'ouvrage que je viens de publier. Je m'empresse de préciser qu'il ne faut pas comprendre le terme «esprit humain» dans son sens religieux. On peut croire en l'esprit humain tout en étant laïc jusqu'au bout des ongles, mais il n'y a pas incompatibilité entre le fait d'être religieux et de croire en l'esprit humain.

Ayant donc ces lacunes présentes à l'esprit, et avec le plus grand respect pour les rédacteurs et pour le comité, je me suis dit que je pourrais peut-être rédiger deux énoncés supplémentaires qui pourraient être inclus dans le préambule pour tenter d'améliorer le projet de loi. Je suis aussi d'accord avec Mme Baylis pour dire que les rédacteurs de l'actuel préambule méritent nos félicitations. C'est un excellent préambule. J'y inclurais toutefois l'attendu suivant, et je le mettrais, non pas vers la fin, mais tout au début:

    Attendu que le Parlement du Canada reconnaît que les percées dans les techniques d'assistance à la procréation créent de nouvelles obligations pour ce qui est d'assurer le respect de la transmission de la vie humaine et de l'intégrité du génome humain;

    Et attendu que le Parlement du Canada reconnaît que le recours aux techniques d'assistance à la procréation a une incidence sur les individus, notamment les enfants issus de leur utilisation, et sur la société dans son ensemble, notamment sur nos valeurs importantes et sur le bien commun;

J'ajouterais donc ces attendus au préambule.

Je me demande également—et il y a des arguments pour et contre—s'il n'y aurait pas lieu d'ajouter «et le bien commun du genre humain» ou encore «et le bien commun des Canadiens et du genre humain». Cela pourrait nous mettre dans le pétrin, mais nous pourrons en parler plus tard.

C'est la principale modification que je propose d'apporter au projet de loi. Bien entendu, nous savons que, d'après les règles de l'interprétation législative, si plus tard la loi doit faire l'objet d'une interprétation et qu'elle est ambiguë, ce sont les «attendus» énoncés dans le préambule qui serviront de point de départ à l'interprétation. Il est donc de la plus haute importance que nous disions clairement que ces valeurs nous tiennent à coeur.

• 1200

Je suis d'accord avec Mme Shanner pour dire que les deux grands événements dans la vie de chaque membre du genre humain sont la naissance et la mort. Les deux nous posent de nouveaux défis parce que...

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Et l'amour, n'oubliez pas l'amour.

Dre Margaret Somerville: L'amour? L'amour entre en ligne de compte dans les deux en quelque sorte—éros et thanatos sont étroitement liés.

Il faut comprendre que, depuis toujours, nous donnons à la vie sa signification en enveloppant ces deux grands événements par lesquels nous passons tous dans un tissu fait de symboles et de valeurs. Comme les percées scientifiques ont un effet sur le tissu, l'enveloppe, les symboles et les valeurs que nous attachons à ces deux événements, il faut leur faire une place, mais certainement pas de manière à causer quelque dommage corporel que ce soit, et c'est ce qui nous inquiète tous.

Si les comités comme le vôtre ont tendance à trop s'attacher aux dommages corporels—non pas que ces dommages ne sont pas importants, car ils sont extrêmement importants—mais nous avons tendance à nous attacher aux dommages corporels parce que nous pouvons être raisonnablement sûrs que tout le monde sera d'accord pour dire qu'il ne faut pas exposer à de graves dangers autrui, notamment les enfants qui n'avaient aucun choix en la matière. Nous avons tendance à éviter de parler des dommages et des dangers métaphysiques, parce que nous savons que, bien souvent, les opinions divergentes à ce sujet seraient un véritable champ de mines. Je vous recommande vivement de faire preuve de cette vertu qui prendra de plus en plus d'importance dans les domaines tant éthique que politique, à savoir d'avoir le courage de regarder ces questions en face.

Je vais maintenant passer très rapidement à travers les notes que j'ai ici au sujet de certaines dispositions en particulier, et je pourrai les remettre à quelqu'un qui pourra ensuite les photocopier si vous en avez besoin. Je vous propose tout d'abord un ajout qui peut sembler mineur mais qui pourrait être important. Sous la rubrique «définition», à l'article 2, j'ajouterais à la définition de «mère porteuse» que l'enfant provient en tout ou en partie des gênes d'un donneur, car les gênes de la mère porteuse pourraient aussi être en cause. Or, la mère porteuse n'est pas un donneur. Je ne pense pas que c'est ce que vous ayez voulu dire.

Vous interdisez la production de clones humains, ce avec quoi je suis entièrement d'accord. Je me demande toutefois si cela veut dire qu'on pourrait segmenter des embryons surnuméraires à des fins thérapeutiques ou de recherche. Je n'ai pas pu déterminer si le projet de loi autoriserait ce genre d'activité, car il est possible d'obtenir des embryons multiples à partir d'un seul embryon humain, et les embryons ainsi obtenus sont des clones de l'original.

Le projet de loi interdirait de modifier le génome d'une cellule ou d'un embryon si la modification pouvait être transmise aux descendants. C'est ce qu'on qualifie, dans la langue parlée, de modification de la cellule germinative. Je suis d'accord pour l'interdire, mais je me demande pourquoi on a voulu le faire. Est-ce parce que, à l'heure actuelle, la procédure présente des dangers? Ou est-ce parce qu'on estime qu'il est foncièrement inacceptable de modifier la cellule germinative?

Cette question fait l'objet d'un vaste débat, et on constate des divergences considérables entre l'Europe et les États-Unis. Dans l'ensemble, les Européens ont tendance à considérer la cellule germinative comme le patrimoine commun du genre humain qui doit être détenue en fiducie pour les générations futures. Il s'agit alors de savoir ce qu'on entend par là. Faut-il en conclure, comme on l'a toujours fait par le passé, qu'il ne faut jamais modifier délibérément ce patrimoine, ce que nous ne faisions pas parce que nous ne savions pas le faire? Ou faut-il en conclure qu'il nous faut maintenant décider de ne pas le modifier?

Serait-il acceptable, par exemple, de modifier le gène de la maladie de Huntington ou de la fibrose kystique pour que les descendants de l'embryon ne puissent pas avoir cette maladie? Cela serait-il acceptable? C'est pour cette raison que je vous demande si vous avez voulu interdire certaines activités parce qu'elles sont foncièrement inacceptables—c'est-à-dire qu'elles ne seraient jamais acceptables dans quelque circonstance que ce soit—ou s'il n'y aurait pas lieu de vous demander si certaines activités sont foncièrement inacceptables alors que d'autres pourraient ne pas l'être dans certaines circonstances.

Vous imposez également un délai de 14 jours pour l'utilisation d'embryons à des fins de recherche. Ce délai de 14 jours est loin d'être nouveau, mais il ne repose sur aucun fondement clair à mon avis; il n'a pas de raison d'être. Les arguments en faveur d'un délai de 14 jours sont les suivants: c'est à ce moment que la ligne primitive apparaît; que naissent les cellules nerveuses primitives; que la multiplication embryonnaire n'est plus possible; qu'on a affaire à un être pareil à aucun autre et que l'implantation n'est plus possible. Si toutefois l'on invoque autant d'arguments disparates pour justifier ce délai, c'est que la justification n'est peut-être pas aussi simple qu'elle paraît. Vous déciderez peut-être d'utiliser quand même ce délai, mais il faudrait à tout le moins reconnaître qu'il n'y a pas de raison claire qui le justifie.

• 1205

L'alinéa 3(1)d) interdit de «créer un embryon in vitro». Je 0vous inviterais à comparer cette disposition avec une disposition plus exhaustive qui interdirait de «créer un embryon à des fins autres que la reproduction». Je suis heureuse de constater que nous n'avons pas pris exemple sur le Royaume-Uni, qui autorise maintenant la création d'embryons aux seules fins de recherche.

S'il est interdit de créer des embryons aux seules fins de recherche, cela veut-il dire qu'on peut créer des embryons excédentaires dès qu'il y a la moindre chance qu'on veuille s'en servir à des fins de FIV? Qu'en est-il de ces embryons qui ne sont pas créés à des fins de recherche? Ainsi, certains prévoient que nous aurons à l'avenir des usines de fabrication d'embryons humains à partir desquels on obtiendra des produits thérapeutiques qui pourront être utilisés pour aider autrui—les embryons ne seraient donc pas créés à des fins de recherche—cela serait-il interdit? Je crois que nous voulons l'interdire.

Je tiens aussi à vous faire remarquer que nous ne sommes pas unanimes à approuver l'utilisation de soi-disant embryons surnuméraires, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas transférés après la fécondation in vitro, à des fins de recherche. Récemment, en Californie, on a mis sur pied un programme d'adoption d'embryons appelé Operation Snowflake. Ces embryons ressemblent à de minuscules flocons de neige gelés dans de l'azote liquide, dont la température est de -273o Celsius, je crois.

Voilà donc certaines de mes réflexions au sujet de la recherche sur les embryons. L'autre chose dont il est beaucoup question, je tiens à vous le signaler, c'est la possibilité de se servir, par exemple, du sang contenu dans le cordon ombilical, de la moelle osseuse ou de cellules adipeuses plutôt que d'embryons humains pour la recherche. Comme il est important pour les éthiciens de réduire le plus possible l'effet destructeur, le fait qu'il y ait des solutions de rechange militerait contre l'utilisation d'embryons même si elle pourrait être justifiée en l'absence d'autres solutions.

Je tiens par ailleurs à vous faire remarquer que la science ne fait pas que créer des problèmes d'éthique, elle permet aussi d'en résoudre. Si donc nous pouvons utiliser des éléments autres que les embryons à l'avenir, nous résoudrons ainsi le problème d'éthique que pose l'utilisation d'embryons humains. Il convient aussi selon moi, étant donné qu'il s'agit là d'un domaine tout nouveau, de vous demander si nous ne devrions pas prendre le temps—un minimum de temps à tout le moins—de voir s'il n'y aurait pas des solutions de rechange à l'utilisation d'embryons humains, même si nous n'y voyons rien d'immoral pour nous, simplement par respect pour ceux qui trouvent cela moralement inacceptable.

J'ai déjà parlé de la non-commercialisation. C'est une démarche que j'applaudis. La création et la transmission de la vie humaine sont «hors de commerce». Cela reflète de façon importante les valeurs de notre société et nous nous opposons en cela aux États-Unis, où la commercialisation est monnaie courante.

J'aimerais toutefois que vous me disiez dans quelle mesure la commercialisation est interdite. Le projet de loi interdit de rétribuer «une personne pour qu'elle accomplisse un acte interdit par le présent article». Il interdit aussi de rétribuer la mère porteuse à moins que, si j'ai bien compris, l'on passe par un avocat, un médecin ou un psychologue. Je me demande donc si vous voulez vraiment créer un nouveau secteur d'activité pour les avocats, les médecins et les psychologues. Je m'interroge, là encore, sur l'interprétation à donner à cet article.

Je ne vais pas tout vous lire ce que j'ai ici, parce que, manifestement, nous n'avons pas beaucoup de temps. Les prélèvements de gamètes après la mort seraient interdits sans le consentement écrit et éclairé du donneur. Cela protège bien le donneur, mais est-il juste de décider délibérément de créer un enfant dont on sait qu'un des parents est déjà mort? Les circonstances sont alors très différentes de ce qu'elles sont quand on ne sait pas qu'un des parents est mort ou quand il y a simplement la possibilité qu'un des parents meure plus tard.

L'idée qu'il faille obtenir le consentement du donneur pour que l'embryon soit utilisé à des fins de recherche me pose le même problème qu'à Mme Baylis. J'ai été surprise de constater qu'on parle, non pas des donneurs mais du donneur, mais je me suis ensuite rendu compte que le terme «donneur» serait défini dans la réglementation. La destruction de matériel reproductif humain à la demande du donneur pose le même problème. Certaines des causes qui ont déjà été entendues devant les tribunaux portaient sur l'utilisation des embryons de deux donneurs qui avaient déjà été mariés mais qui divorçaient. Ce sont donc là certains éléments dont il faut aussi tenir compte.

• 1210

Je passe maintenant aux activités réglementées. Aux termes de l'article 16, le ministre peut prendre en considération la nécessité de «prévenir ou limiter les dangers... pour la santé humaine, l'environnement, la dignité humaine ou les droits de la personne». Je tiens à vous faire remarquer que l'ordre de priorité n'a rien de neutre. Je n'aime pas tellement le terme «dignité humaine», et je m'explique dans un instant. Il me semble qu'il faudrait changer l'ordre de priorité.

En ce qui concerne la dignité humaine, les éthiciens ne s'entendent pas du tout sur le sens à donner à ce terme. Notre dignité tient-elle simplement au fait que nous soyons humains, auquel cas la dignité humaine serait quelque chose d'intrinsèque? La dignité humaine tient-elle au fait, comme disait quelqu'un, que nous sommes des êtres humains plutôt que des actes humains. Ou tient-elle simplement au fait que quelqu'un juge que nous avons droit à cette dignité et nous traite en conséquence, ce qui revient à donner à la dignité humaine une valeur extrinsèque? Selon la théorie à laquelle on souscrit, on obtient une interprétation très différente de ce qu'il convient de faire pour respecter la dignité humaine.

Pour ce qui est de connaître l'identité du donneur, je reviendrai à ce que disait Mme Shanner. C'est très bien de protéger le donneur, mais il ne faut pas oublier que cette personne a le choix. Elle ne devient donneur que si elle le veut. La question qu'il faut donc se poser est de savoir ce qui est dans l'intérêt de l'enfant. Est-ce juste pour l'enfant? Les recherches sur cette question semblent montrer que le fait de ne pas connaître leurs origines est extrêmement pénible pour beaucoup de ces enfants.

J'ai remarqué quelque chose dans l'article 26 qui peut sembler peu important, mais qui, encore là, a une importance symbolique. L'article précise que l'inspecteur peut saisir «toute chose» dans les établissements autorisés. J'aimerais savoir si par «chose» on entend un embryon ou un gamète. Ce n'est pas clair d'après...

Une voix: Peut-être un patient.

Dre Margaret Somerville: Ce pourrait tout aussi bien être un patient.

J'aimerais maintenant vous parler brièvement d'une autre question. Dans un article du ministre Allan Rock qui a paru dans le Globe and Mail du 16 mai 2001, j'ai lu que la loi limiterait le nombre d'embryons pouvant être transférés.

Après avoir parcouru l'avant-projet de loi, je n'ai trouvé aucune mention à cet égard. J'ai vérifié les dispositions concernant les pouvoirs conférés par voie réglementaire, mais je ne suis pas sûre qu'il y ait un pouvoir qui permettrait d'imposer une limite, puisque c'est là une question qui dépend d'un jugement clinique, et la décision est généralement prise par le médecin et le patient ensemble. C'est toutefois une question qui a des répercussions importantes sur notre société.

Premièrement, les grossesses multiples sont beaucoup plus dangereuses tant pour la mère que pour les enfants. Accessoirement, les grands prématurés ont des taux de mortalité et de déficience très élevés, et ils occasionnent des dépenses énormes—ce n'est pas qu'il ne faut pas faire ces dépenses, mais si nous pouvons les éviter, ce serait encore mieux.

Deuxièmement, ce qu'on appelle la réduction sélective dans les cas de grossesses multiples, où la femme reste enceinte mais où l'on tue certains des foetus qu'elle porte, est une source de grande préoccupation sur le plan de l'éthique. C'est ce que l'on fait parfois dans les cas de grossesses multiples qui résultent du recours aux techniques de procréation.

Troisièmement, nous n'aurons peut-être pas besoin à l'avenir de créer des embryons destinés à être transférés avant le moment où ils doivent être transférés dans l'utérus. Quand nous arriverons à préserver les ovules aussi bien que nous pouvons préserver le sperme, nous n'aurons plus besoin d'embryons excédentaires.

Si vous me permettez de résumer ce que je propose à cet égard, je dirais qu'il faut accorder une importance primordiale et égale au respect de la transmission de la vie humaine et de l'intégrité du génome humain; à la protection des valeurs sociétales importantes qui pourraient être touchées; à la sécurité et au bien- être des enfants qui naissent à la suite de l'utilisation de techniques de procréation; et à la sécurité des personnes, surtout des femmes, à qui ces techniques sont appliquées dans le cadre du traitement de l'infertilité.

Ces principes ne nous donneront pas la réponse à toutes les questions qui se poseront. Ainsi, ils n'établissent pas de règles pour décider qui aura accès aux techniques de reproduction et ne permettent pas non plus de répondre à d'autres questions très controversées, comme de savoir si les enfants ont besoin de deux parents. Je crois toutefois qu'ils constitueraient un bon point de départ pour établir un ensemble de valeurs à partir desquelles nous pourrions ensuite essayer de répondre à ces questions difficiles et controversées.

J'estime qu'il faut reconnaître de façon plus claire que ce ne sont pas seulement les dommages ou les dangers corporels liés à la procréatique qui importent, mais aussi les dommages et les préjudices à des réalités métaphysiques ou non corporelles importantes, comme les normes, les valeurs, la nature des rapports humains, les droits de la personne et l'éthique.

• 1215

Troisièmement, je souscris à la présomption fondamentale du «non, à moins que». Nous ne serons pas tous d'accord sur les critères qui devraient compléter le «non, à moins que», mais le fardeau de la preuve pour ce qui est de justifier l'utilisation des techniques de procréation repose, comme il se doit, sur ceux qui veulent les utiliser.

Quatrièmement, l'utilisation d'embryons à des fins de recherche est sans doute la question la plus controversée à cause des dispositions que prévoit l'avant-projet de loi à cet égard. Il me semble que si pareille utilisation est autorisée, il faut que ce soit la seule solution raisonnable, que l'on utilise le moins d'embryons possible, etc.

Voilà mes suggestions. Dans l'ensemble, je crois que le projet de loi est un pas important dans la bonne voie, et je vous remercie d'avoir bien voulu m'écouter.

La présidente: Merci beaucoup, madame Somerville.

Je vous remercie toutes de l'effort que vous avez mis à la préparation de vos exposés. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par M. Manning.

M. Preston Manning (Calgary-Sud-Ouest, AC): Je tiens moi aussi à remercier chacune d'entre vous de vos exposés. Je n'ai sans doute pas tort quand je dis au nom de nous que de tous les aspects de ce projet de loi—les aspects scientifiques, cliniques et juridiques—ce sont sans doute les aspects moraux et éthiques sur lesquels il sera le plus difficile de trancher et qu'il sera le plus difficile de faire comprendre à la population, dont nous espérons obtenir l'appui. Votre témoignage est donc absolument essentiel.

Nous avons sans doute tous le sentiment, madame la présidente, que nous devrons consacrer plus de temps à la question. Il est difficile de savoir où commencer. Permettez-moi néanmoins de poser une ou deux questions.

Vous savez que ce texte a deux objets: interdire et réglementer la procréation assistée et la recherche connexe. Beaucoup de techniques ont recours à des embryons et la définition que donne le ministère lui-même de la recherche connexe repose sur l'utilisation d'embryons.

Ma première question est donc la suivante. Quel doit être le statut moral de l'embryon dans cette loi et comment définissons- nous ce statut en droit?

Dre Laura Shanner: Je vais intervenir. Vous venez, je crois, de poser la plus épineuse des questions.

M. Preston Manning: C'est précisément le rôle de l'opposition.

Dre Laura Shanner: Et je vous en félicite.

Nous avons vu, je crois, que du point de vue juridique aussi bien que philosophique, il existe tout un éventail. On peut dire des embryons qu'ils sont des personnes dès la conception. Certains remontent plus loin et disent que le statut des ovules et des spermatozoïdes est plus important que celui de cellules de l'organisme ou d'autres éléments et qu'ils sont en quelque sorte reliés à nous en tant que personnes.

À l'autre extrême, certaines religions comme les branches les plus libérales du judaïsme, disent que la naissance est le moment où la qualité de personne a un sens métaphysique. Et on trouve de tout entre les deux. La plupart des gens ne savent pas exactement à quel moment la vie prend vraiment son sens et son importance. Cela dépend pour beaucoup de la façon dont vous envisagez vos rapports avec l'embryon ou le foetus, selon que vous souhaitez une grossesse ou un enfant, selon que vous redoutez la grossesse ou avoir un enfant, selon que vous vous percevez vous-même comme relié, que vous vous définissez des rapports et vous définissez socialement, ou selon que vous vous considérez comme un être libre, isolé, libéraliste, sans lien avec autrui, sans lien même peut-être avec les embryons ou les foetus. Il y a donc de tout.

Lorsqu'il s'agit de choisir une définition en droit, j'estime quant à moi qu'elle devrait être large. Elle devra être générale plutôt que stricte. Cela signifie que les limites ou les protections solides n'interviennent que lorsque quelqu'un habite un corps qui n'est pas celui de quelqu'un d'autre, c'est-à-dire la naissance, et ce qui constitue le statu quo.

Remonter plus loin, comme je l'ai dit, soulève quantité de problèmes juridiques quand il faut dénombrer les embryons et les foetus, les protéger sans porter atteinte aux droits civils de la personne qu'ils occupent, quand il faut justifier ce statut ou ce comportement dans un contexte multiculturel.

C'est pourquoi j'estime que Margaret est dans la bonne voie ici, et Françoise a fait écho à ses propos. Nous nous entendons toutes pour dire qu'il n'est tout simplement pas acceptable de parler des embryons ou des foetus comme s'ils n'étaient que de la matière. Ce n'est pas le cas.

Dre Françoise Baylis: Je ne suis pas certaine d'être d'accord.

• 1220

Dre Laura Shanner: Je veux bien, vous n'êtes peut-être pas d'accord.

On peut en débattre, mais je crois qu'on peut dire que le respect est important, mais est-ce que ce respect signifie tout ou rien? Non.

M. Preston Manning: Oui, c'est là où nous voulons en venir.

Y a-t-il d'autres interventions?

Dre Françoise Baylis: J'aimerais faire une ou deux interventions. Sauf votre respect, je ne partage pas l'avis de Mme Shanner sur ce point, et cela reflète je crois ce que l'on constaterait si l'on consultait un échantillon de citoyens. C'est pourquoi je vous dirais aussi, même si j'appuie certaines des choses qui ont été dites, et je suis certaine que vous continuerez d'entendre qu'il est important pour la démarche de consulter les Canadiens, sur la question du statut moral, je peux vous dire ce que les consultations vont révéler. Quantité de comités et de commissions l'ont fait. Je ne pense donc pas que c'est d'abord là que vous devriez concentrer vos efforts. Les avis sont bien connus et bien documentés.

J'aimerais dire ceci en guise d'introduction. En philosophie, on appellerait cette question un concept essentiellement litigieux. Il n'y a pas de solution parce que ce n'est pas une question de fait et il n'y a pas d'autres faits à mettre sur la table qui résoudront la question, même s'il y a davantage de faits à propos du développement humain. Ce qui est absolument essentiel, et je vous y encourage, c'est d'être très clairs et prudents dans la formulation du projet de loi. Des débats surviennent lorsque la formulation est boiteuse et cela peut conduire à de très graves difficultés.

La première chose à reconnaître dans la loi et dans toutes les discussions, c'est que les embryons sont des êtres humains. Cela est un fait biologique admis. Ils font partie de l'espèce humaine. Ce qui est contesté, c'est leur statut moral. Le langage que nous employons ici est de nature technique, et c'est ici que nous parlons de personnes.

Ce qui est très clair, c'est que lorsque vous parlez d'embryons, vous n'avez pas besoin de débattre de la question de savoir s'ils sont ou non des êtres humains. La réponse est oui. C'est une affirmation biologique. Le mot «personne», toutefois, n'est pas un terme de biologie. Ce n'est pas un terme à propos duquel il y a des faits. C'est un terme moral. C'est un terme chargé de valeur à propos duquel les avis divergent et chacun alléguera des faits pour soutenir que sa définition est la bonne. Mais le mot lui-même n'est pas factuel?

L'autre chose que j'aimerais vous dire, et je suis certaine que vos adjoints de recherche pourront l'obtenir pour vous, c'est qu'il existe un document de la Commission nationale consultative de bioéthique; c'est l'un des plus récents à où l'on a examiné la question du statut moral. Le rapport vous donnera une synthèse de tout ce qui se trouve dans l'éventail de vues, allant des affirmations de l'existence du statut moral jusqu'à la conception jusqu'à l'affirmation qu'il n'y a aucun statut moral jusqu'à un certain temps après la naissance, ce qui en fait autoriserait même l'infanticide. Si vous voulez en prendre connaissance, tout l'éventail des points de vue y est présenté.

Pour des raisons historiques, Warnock a annoncé en 1984 la proposition selon laquelle on disposerait d'une période allant jusqu'à 14 jours pour faire des travaux de recherche. Comme Mme Somerville l'a dit, l'argument a été retenu par des gens pour non seulement balayer du revers de la main le tissu embryonnaire en disant qu'il n'a aucune valeur, mais aussi pour affirmer qu'il a un statut social mais que ce statut n'est pas l'équivalent d'un statut moral complet.

Je vous invite à réfléchir très soigneusement au mot «respect», car vous risquez ici de vous embrouiller dans la terminologie. C'est un mot qui cause beaucoup de difficultés et est très compliqué parce qu'il est mal compris. Cela revient à dire l'évidence. On peut tout respecter, mais qu'est-ce que ça signifie lorsqu'il faut le prouver dans la réalité et lui donner un sens concret?

Le problème avec le mot respect c'est que la façon dont il a été utilisé dans ce débat, il a surtout été relié à la question de la protectabilité. Lorsque les gens vous disent qu'il faut respecter l'embryon, ils disent qu'il doit être protégé. D'autres gens emploient le mot respect dans le contexte de la responsabilité. Ils créent toute une réglementation en disant que nous allons respecter l'embryon puisque nous allons lui faire subir uniquement telle ou telle chose. Nous n'allons rien lui faire subir qui lui manquerait de respect. Mais c'est en fait une façon de nous responsabiliser et cela ne nous apprend rien du statut moral de l'embryon en développement. Je crois donc qu'il vous faut réfléchir à ce discours du respect.

La dernière chose que je vous inviterais à examiner—et je n'ai pas de réponse ici, mais si vous en trouvez une, communiquez avec moi—c'est que partout dans le monde, un consensus est en train d'émerger à propos des 14 jours. Comme Mme Somerville l'a dit, cela aurait pu être autre chose. Cela aurait pu être 21 jours et je pourrais vous présenter des arguments biologiques en faveur de cela. Cela aurait pu être 41 jours. Je vous aurais trouvé des arguments biologiques pour cela aussi.

Ce que je trouve intéressant, c'est que le document le plus récent à être publié pour ce qui est de lignes directrices dans tout ce secteur découle des travaux réalisés pendant l'année écoulée par le NIH sur les cellules souches. C'est la première fois qu'un document national récent ne s'est pas servi des 14 jours et je ne sais pas pourquoi.

Ils ont décidé plutôt de désigner un stade de développement; ils ont parlé du développement du mésoderme. Le mésoderme se développe peu après la ligne primitive. L'embryon s'ouvre. Je sais que le processus biologique est complexe, mais essayez d'imaginer une cellule ronde. Les cellules se séparent. L'embryon s'ouvre et les autres cellules vont dessous et commencent à s'étaler et à créer le mésoderme.

• 1225

Ce que je trouve d'intéressant dans ce choix, c'est que c'est un phénomène observable. C'est donc une tentative d'éliminer l'arbitraire des 14 jours, même si à strictement parler cela ne l'élimine pas, puisqu'on a quand même décidé pour une raison quelconque de pondérer ce phénomène biologique.

Mais il serait intéressant de savoir pourquoi le NIH ne s'est pas rallié à ce nouveau consensus des 14 jours et pourquoi il a choisi le mésoderme. Je ne sais pas, mais quelqu'un a dû leur présenter un argument convaincant et c'est pourquoi je vous suggérerais d'examiner la chose.

La présidente: Voulez-vous intervenir, madame Somerville?

Dre Margaret Somerville: Oui, même si je n'ai pas grand-chose à ajouter. Je suis d'accord avec Mme Baylis sur ce point. Il y a encore une fois ici un éventail...

Par exemple, je discutais avec un scientifique de Princeton de ce que l'on pourrait faire à l'embryon humain. Il y avait un verre d'eau devant lui, comme ceci, et il a dit: «Si quelqu'un me donnait 1 000 embryons humains, je n'hésiterais pas à les verser dans le verre et à les boire, et j'aimerais que Margaret Somerville sache que c'est ce que je pense du statut moral des embryons humains.»

Je vous concède que c'est un exemple extrême, mais il est vrai que... et surtout les scientifiques qui veulent faire des travaux dans ce domaine, même si cela est loin d'être la totalité d'entre eux... À ma connaissance, aucun Canadien n'a tenu de tels propos. Mais il y en a qui ne voient pas l'embryon humain... En fait, il se trouve aussi qu'il s'est mouché et qu'il a dit: «Ce mouchoir contient des cellules qui proviennent de l'intérieur de mon nez. J'estime qu'elles ont le même statut moral que celui de l'embryon humain.» Pour eux, ces cellules sont comme toute autre cellule humaine.

À l'autre extrême, il y a des gens—et c'est tout à fait vrai—qui considèrent l'embryon humain comme la forme la plus précoce de vie humaine. C'est une vie humaine scientifiquement, biologiquement. La question est donc de savoir comment on peut justifier dire que...? Encore une fois, si vous prenez l'hypothèse «non, à moins que», il faut poser la question: «Pouvons-nous justifier ne pas donner à l'embryon humain le même statut moral qu'à nous tous?» au lieu de dire qu'il ne l'a pas et que quiconque affirme qu'il devrait l'avoir doit le prouver. Pouvons-nous justifier ne pas lui accorder le même statut moral?

C'est ici où nous ne sommes pas du même avis, parce que certains disent que pourvu qu'il est traité avec respect... Encore une fois, je pense comme Mme Baylis qu'il y a deux formes de respect, ce que vous faites et comment vous envisagez le statut moral, mais elles sont liées, parce que ce que vous considérez comme le statut moral de l'embryon déterminera ce que vous estimez avoir le droit de lui faire.

Si vous êtes un utilitaire ou un conséquentialiste ou un éthicien conjoncturel, ce qui est le cas de ma collègue Mme Shanner...

Dre Laura Shanner: Non, ce n'est pas vrai.

Dre Margaret Somerville: Eh bien, vous l'êtes plus que nous deux, je crois.

Dre Laura Shanner: Non.

Dre Margaret Somerville: En fait, si vous examinez, par exemple, le président Clinton et M. Tony Blair, lorsqu'ils ont tous les deux justifié l'allégement des restrictions sur la recherche embryonnaire, dans le cas de l'ex-président Clinton pour les États-Unis et de M. Blair pour le Royaume-Uni, la première chose qu'ils ont faite, c'est énumérer toute une liste de choses merveilleuses que ces travaux permettront de faire. Cela aboutira peut-être à un remède pour la maladie d'Alzheimer, le cancer, la sclérose en plaques, les lésions médullaires, etc., qui sont autant d'arguments justifiables.

Sur le plan de l'éthique, que font-ils? Ils disent que ces bienfaits justifient les torts ou les préjudices causés par l'utilisation de ces embryons et on ne pourrait jamais en faire autant pour l'un d'entre nous.

Prenons vous, madame la présidente. Nous pourrions sauver 10 vies humaines à l'aide de votre coeur, de vos yeux, de vos poumons, de votre peau, etc. On ne peut pas justifier ou faire cela. Pourquoi? Parce que vous êtes une personne. Vous avez droit à la totalité de notre respect moral. Il faut donc poser la question, est-ce différent? Essentiellement, nous essayons de rendre cela différent parce que nous voyons bien que nous pourrions faire de la recherche scientifique extraordinaire, réduire la souffrance, et trouver des remèdes à des maladies horribles.

Cela vaut-il la peine de porter atteinte à nos valeurs? Voilà la question.

Dre Françoise Baylis: Je peux peut-être ajouter quelque chose sur le plan de la science fondamentale qui pourrait peut-être aider le comité.

La présidente: Allez-y.

Madame Françoise Baylis: Je ne suis pas une scientifique et c'est parfois plus facile pour moi d'expliquer la science. Il y a une chose que le comité doit savoir car cela joue ici à mon avis. C'est quelque chose de très difficile. Il s'agit de la recherche dont on vient de parler, les travaux sur les cellules souches et les possibilités de développer des thérapies à partir de ces cellules spéciales.

Une des choses à laquelle vous devez réfléchir, parce que la loi une fois votée n'est pas aussi facile à changer que le règlement, c'est qu'est-ce que la science fait actuellement et que va-t-elle probablement faire dans l'avenir?

• 1230

Permettez-moi de vous expliquer trois concepts qui sont à mon avis fondamentaux. La combinaison de l'ovule et du spermatozoïde donne un embryon. Les scientifiques contemporains estiment que, dans le modèle humain—et il s'agit d'une extrapolation des modèles animaux—jusqu'au stade des huit cellules, après être passé d'une cellule à deux puis à quatre puis à huit, ces cellules sont totipotentes. Cela signifie, dans l'abstrait, que si vous décomposiez l'embryon, si vous le retiriez de sa zona pellucida, c'est-à-dire la membrane qui renferme ces cellules, si vous pouviez créer une zona spore artificielle et que vous y mettiez les huit cellules, nous obtiendrions huit organismes identiques.

Ce qui se produit, cependant, dans le développement humain, c'est que nous progressons une fois passés le stade de l'organisme à huit cellules et nous continuons à nous diviser. Nous cessons d'être des cellules totipotentes pour devenir des cellules multipotentes. Les cellules multipotentes sont celles que les scientifiques veulent utiliser et ce qui devient important, c'est qu'ils prélèvent les cellules qui feront partie de ce que l'on appellerait scientifiquement l'embryon proprement dit—non pas les cellules qui sont à l'extérieur qui deviendront le placenta, mais les cellules qui deviendront l'embryon.

Ce qui est important à propos de ces cellules, c'est qu'elles n'ont plus la capacité de devenir telle ou telle autre cellule de l'organisme humaine. Elles sont différenciées. Elles ont commencé à devenir plus spécifiques.

Je suis la cellule. Je sais que je vais faire partie du cerveau. Je ne sais pas si je vais devenir la dopamine, mais je fais partie du cerveau. Ce qu'ils veulent faire, c'est prendre ces cellules, apprendre grâce à elles et—et c'est cela qui est important et c'est ce que je voudrais que vous compreniez—ce qu'ils veulent apprendre c'est ceci: comment pousser la cellule dans cette direction? Parce qu'elles cessent d'être totipotentes pour devenir multipotentes, aux multiples possibilités mais toujours différenciées...

Ce qui est essentiel pour ce qui est de la question du statut moral et des cellules et leur statut c'est—faites-moi confiance—que s'ils apprennent—et ils sont en train d'apprendre, à la pousser dans cette direction, ils apprennent aussi comment la pousser dans cette direction. Vous voyez? On n'apprend pas l'un sans l'autre.

Le vrai potentiel du point de vue de la science, dans ce cas, et c'est ce qui est vraiment phénoménal et frappant, est de savoir que faire s'il est vrai que chaque cellule de notre organisme est un autre être humain in potentia? Si ce qui rend précieux et spécial l'embryon c'est son potentiel, est-ce que chaque cellule n'est pas tout aussi précieuse?

Remarquez que cela est différent du clonage parce que vous ne faites pas de manipulation pour retirer du tissu embryonnaire d'une cellule donnée pour le mettre dans une autre cellule. Tout ce que vous faites, en théorie, dans l'abstrait, c'est lui fournir le milieu approprié. Ce n'est donc pas dans le milieu approprié. Ces cellules, qui sont à l'extérieur de mon corps, ne peuvent devenir des êtres humains. Elles sont dans le mauvais environnement.

Ce qui manque dans cette discussion et dans la plupart des discussions, ce sont les exigences épigénétiques car nous nous arrêtons à la seule génétique. Il y a des exigences environnementales. Nous ne le comprenons pas, et beaucoup de ce que nombre d'entre nous ont dit aujourd'hui ne tient pas compte de la complexité de la procréation à cet égard.

Ce qui devient important ici, ce sont les derniers progrès scientifiques, qui portent sur les cellules souches adultes. C'est en effet le milieu qui permet aux cellules adipeuses de devenir des cellules du sang. Une partie du milieu est une partie de ce qui leur dit ce qu'elles vont devenir. Cela signifie que selon la façon dont vous voulez réfléchir à cela historiquement et contextuellement, c'est très compliqué.

Je vous demanderais de ne jamais oublier cette complexité. Ce n'est qu'un exemple bien précis de ce que nous ignorons de notre propre développement.

La présidente: Mme Somerville va bondir si je ne lui donne pas la parole.

Dre Margaret Somerville: Oui, j'aimerais commenter cela. Tout cela est vrai, mais ce dont nous parlons ici sous l'angle des interventions sur l'embryon humain c'est que retirer ces cellules souches de l'embryon humain qui en compte entre 100 et 200 le fait forcément périr.

Dre Françoise Baylis: Tout à fait.

Dre Margaret Somerville: Il est impossible de faire cela sans tuer l'embryon. C'est donc une intervention scientifique humaine dont le but est de créer, mettons, une thérapie très probable, mais dans l'intention de tuer un embryon. Ce n'est pas forcément ce que l'on souhaite, mais c'est le résultat inévitable.

La moralité ou l'éthique de cet acte ne repose pas sur la question: «Est-ce que j'ai dans ma peau une cellule qui pourrait devenir un autre moi, Dieu nous en préserve?», mais plutôt: «Quelle est la moralité de ce que je fais en entravant intentionnellement le développement normal de cet embryon de cette manière et à cette fin, et est-ce que c'est éthiquement acceptable?». C'est à cela qu'il faut répondre.

Dre Laura Shanner: J'aimerais dire une dernière chose.

Margaret a attiré notre attention sur l'expression «non, mais», et je tiens beaucoup à attirer votre attention sur la différence subtile entre «oui, mais» et «non, mais». Chaque fois qu'on a le mot «mais», cela signifie que l'on peut aller dans l'une ou l'autre direction. On pourrait peut-être changer quelque chose, et à tel ou tel niveau quelque chose devient permis. «Oui, mais» dit «Allez-y, mais nous allons peut-être vous réfréner», tandis que l'autre expression dit «N'allez pas plus loin, mais nous allons peut-être vous y autoriser si vous arrivez à nous convaincre». Cette distinction est cruciale et comme Margaret, je pense que sur le plan des principes, «non, mais» est préférable.

• 1235

Il faut présumer que nous n'allons pas nous tenir au bord du précipice. Nous n'allons pas jouer avec insouciance avec la vie humaine. Nous n'allons pas mettre en péril la santé et le bien-être des malades, de notre progéniture ou de la collectivité. Peut-être s'agira-t-il d'un changement des faits provoqué par la science, ou un changement dans les attitudes sociales dans l'avenir ou encore quelque chose qui fait déjà partie de notre monde que personne n'a remarqué. Si quelqu'un organise une argumentation convaincante, peut-être pourrons-nous aller de l'avant. Tant que nous n'aurons pas entendu cet argument convaincant, la réponse sera non.

Je tiens vraiment à vous faire comprendre que c'est très subtil, l'autorisation assortie d'interdictions par opposition à l'interdiction assortie d'autorisations, mais cela crée une très grande différence tant dans les attitudes que véhiculent les pratiques régies par le règlement que dans l'organisation même du cadre réglementaire. Je vous incite vraiment à adopter l'interdiction assortie d'autorisations. Soyez très prudents. C'est à ceux qui veulent aller de l'avant de vous convaincre. Il y a peut-être de bonnes raisons d'aller de l'avant, mais il faudra les entendre, ces raisons. Il faut aussi être prêts à les entendre.

La présidente: Merci.

M. Preston Manning: Madame la présidente, je sais que nous sommes à court de temps. M'accorderiez-vous 30 secondes pour poser mes questions sans entendre la réponse tout de suite?

La présidente: Accepteriez-vous de prendre note des autres questions de M. Manning?

M. Preston Manning: Nous pourrions vous les communiquer au moyen du compte rendu. Je sais que vous ne pouvez pas y répondre maintenant, mais ce sont des questions qui nous préoccupent.

La deuxième, donc, est la suivante: quel est le principe moral le plus important à appliquer au règlement s'il ne s'agit que de procréation humaine? En particulier, est-il vraiment important que ces principes soient enracinés dans les valeurs de la société, par opposition aux valeurs acceptables pour les professionnels et les universitaires, mais pas forcément enracinées dans la collectivité?

Ma troisième question: comment l'organisme de réglementation doit-il être organisé pour faire en sorte que la dimension éthique de la question ait voix au chapitre et soit prise en compte?

Quand on crée un organisme de réglementation, on sait qu'on lui présentera des éléments scientifiques, commerciaux et sanitaires. Vous avez comparu devant de nombreux organismes de réglementation et de comités quasi judiciaires. Comment peut-on s'assurer que la dimension éthique fera partie du processus de décisions au moment où l'on constitue l'organisme de réglementation?

Je sais que l'on pourrait consacrer une heure à chaque question.

La présidente: Monsieur Manning, nous n'avons pas le temps d'écouter les réponses, mais il y a là matière à réflexion.

Peut-être pourriez-vous communiquer avec nous sur ces points. Nous vous en serions reconnaissants. Le greffier obtiendra de M. Manning le texte précis des questions et il vous le remettra.

Nous passons maintenant à M. Dromisky.

M. Stan Dromisky (Thunder Bay—Atikokan, Lib.): Merci beaucoup.

Je vous remercie de vos exposés, que j'ai trouvés très enrichissants. J'aimerais qu'on puisse continuer pendant des heures, car vous soulevez bien des questions qui prêtent à controverse, et je ne dis pas cela dans un sens négatif, mais au contraire pour indiquer qu'elles posent un défi intéressant à l'entendement humain.

Je suis ici depuis suffisamment longtemps pour savoir qu'en matière de réglementation et de législation, mon interprétation d'une déclaration ou d'une disposition peut différer de celle des autres selon la situation, l'environnement, etc. Je le constate fréquemment.

Je pense à toute la question du consentement. C'est un sujet qui me préoccupe. Je ne vais pas vous poser des questions. J'aimerais avoir votre avis sur le plan éthique et moral. Si les parties en présence donnent leur consentement et si l'on connaît les parents biologiques, que se passe-t-il lorsque la mère biologique demande un soutien pour son enfant dans le cas où elle connaît le donneur de sperme? Que se passe-t-il si le père biologique, qui a donné le sperme, revendique le droit de connaître sa descendance et d'établir des relations avec elle? C'est le point de vue éthique et moral qui m'intéresse. Où faut-il fixer la limite? Est-ce qu'il y a lieu de fixer une limite? Nous avons déjà des règles et des règlements applicables à ces situations.

• 1240

Dre Laura Shanner: Je partage vos interrogations et votre incertitude. Mon univers est déjà rempli de ces problèmes qui vous donnent la migraine, et vous m'excuserez si je vous en soumets un aujourd'hui.

Les êtres humains sont des créatures compliquées et le droit est un instrument brutal. Je ne pense pas qu'on puisse réglementer le consentement ni la formation de relations entre les êtres, ni leur interaction. Ce qu'on peut dire dans un règlement, c'est que le médecin ne doit pas aborder un patient à moins que celui-ci ait accès à des spécialistes en counselling psychologique et social qui l'assisteront et qui lui permettront de réfléchir à ces choix et à ces relations. Les gens ne font pas tous le même choix et on ne peut les y contraindre. Quelqu'un peut vouloir établir le contact avec ses parents génétiques, alors que quelqu'un d'autre ne voudra pas le faire; c'est la vie, et chacun a ses préférences. La loi ne doit pas intervenir dans ce domaine, en particulier de façon préventive. Il faut plutôt miser sur des interventions empreintes de compassion et de compréhension, qui aideront cette personne à naviguer dans des eaux redoutables.

Ce qu'on doit attendre de la loi et des règlements, c'est un engagement social et financier, des lignes directrices concrètes qui assureront la présence de spécialistes qualifiés et secourables qui aideront les personnes intéressées à surmonter les obstacles. On ne peut pas vraiment prévoir les obstacles que peut rencontrer chaque personne ou chaque famille; il faut donc mettre en place une structure et une infrastructure qui permettent d'apporter des réponses à chaque étape de la vie.

Il faut éviter les erreurs flagrantes. Quelqu'un qui s'adresse à une clinique de donneurs et demande à établir une relation avec un enfant risque fort de ne pas convenir en tant que donneur. Il faudra l'éliminer. Les gens qui savent ce qu'ils font en matière de relations familiales peuvent très rapidement détecter les situations dangereuses et celles qui sont vouées à l'échec.

Encore une fois, la motion de consentement éclairé dont vous parlez est essentielle. C'est le deuxième point sur lequel j'aimerais insister. Ne croyez pas que le consentement éclairé se donne une fois pour toute. Le pire qu'on puisse faire, c'est de tendre au patient un document aux caractères minuscules en lui demandant de signer, car la grande majorité des documents où il est question du consentement éclairé ne sont que des formulaires juridiques qui mettent la clinique ou les médecins à l'abri des poursuites pour négligence professionnelle en cas de problème. Voilà comment on obtient le consentement éclairé dans la pratique. En réalité, du point de vue du patient, le consentement éclairé signifie qu'il comprend ce à quoi il s'expose, il comprend la situation d'un point de vue médical et ses conséquences pour son cas particulier, il comprend les options et ce qu'elles signifient pour lui.

Dans le domaine de la reproduction et des relations familiales, les choses ont un sens très profond. On ne peut pas donner un consentement à la légère en signant un formulaire. C'est un processus de longue haleine. La réglementation ne devrait pas prévoir que n'importe qui signe un formulaire et donne son consentement. Ce serait inacceptable. Il faut toute une infrastructure et des personnes compétentes qui vont aider les intéressés à comprendre ce à quoi ils s'exposent et à choisir les solutions qui leur conviennent. Après avoir choisi, ils auront encore besoin de soutien.

La présidente: Madame Somerville, allez-y.

Dre Margaret Somerville: Tout d'abord, le consentement est nécessaire mais il n'est pas suffisant pour assurer l'acceptabilité. C'est la première chose. Les gens s'imaginent que dès que le consentement est accordé, on a tout ce qu'il faut.

La deuxième chose, c'est que sur le problème que vous évoquez et qui oppose un donneur anonyme à l'enfant qui veut connaître son identité, on a un conflit entre intérêts divergents. Ce n'est pas le meilleur de deux mondes. Nous disons parfois que c'est un monde de chagrins concurrents. Un principe éthique veut qu'on accorde la préférence à la personne la plus vulnérable. Autrement dit, on agit dans l'intérêt de la personne la plus vulnérable. De qui s'agit-il dans la situation présente? De l'enfant. On va donc dire qu'effectivement, c'est le donneur qui y perd. S'il ne veut pas qu'on connaisse son identité, il ne doit pas devenir donneur. C'est son choix. Il faut être très clair sur les bases de ce choix.

Dre Françoise Baylis: J'aimerais faire un bref commentaire. J'ai rédigé une centaine de pages pour la Commission royale sur les technologies de reproduction sur le thème du choix éclairé. Mon document se trouve dans le volume I des Aspects éthiques. Ce document pourrait vous être très utile, car j'y aborde la question du choix éclairé dans le cadre des technologies de reproduction et je la décompose en ses divers éléments: ce qu'il faut savoir, ce qu'il faut comprendre et ce à quoi on va participer.

• 1245

Je repose ensuite les mêmes questions—en fait, elles forment une structure—et je les applique à chaque technologie, ou du moins à celles qui étaient connues à l'époque, en terminant par le diagnostic pré-implantatoire, car c'était la fine pointe des connaissances scientifiques à l'époque. En tout cas, je le recommande à vos attachés de recherche, car il y est question du choix éclairé.

Mon deuxième argument concerne les thèmes que j'utilise. J'ai parlé de choix éclairé, et non de consentement. Dans mes cours pour étudiants de première année, j'insiste sur le fait qu'en tant que médecins en cours de formation, auxquels on fait souvent appel pour intervenir auprès des patients, leur travail ne consiste pas à obtenir un consentement. Cela fait partie du problème de la médecine contemporaine. Ils sont formés pour obtenir un consentement mais le problème, c'est que s'ils n'en obtiennent pas, ils échouent, n'est-ce pas? Ils n'ont pas fait leur travail. Ce que nous essayons d'enseigner à la prochaine génération de médecins, c'est qu'il s'agit pour eux d'obtenir un choix éclairé. Parfois, ce sera un consentement, mais parfois, ce sera aussi un refus.

Dans le contexte de la législation, on en est venu à parler de «consentement éclairé» parce que l'expression comporte un contexte juridique approprié. Mais je vous invite à y réfléchir pour les autres textes où il serait important de préciser qu'on doit vérifier si les gens ont fait des choix éclairés, de façon à légitimer les refus.

La présidente: Merci beaucoup.

La parole est à M. Merrifield.

M. Rob Merrifield (Yellowhead, AC): Voilà un sujet étonnant, et comme quelqu'un l'a dit, nous sommes là au bord du précipice.

En prenant un peu de recul sur les 10 dernières années, je me demande si nous n'avons pas fait un pas de trop, si nous ne sommes en chute libre, en train de voir le fond qui se rapproche, ou si nous essayons de remonter la pente.

Dre Françoise Baylis: Ou à la recherche d'un parachute.

M. Rob Merrifield: Oui, c'est plutôt cela.

On a parlé tout à l'heure de l'embryon, de sa valeur et du mésoderme. C'est une notion que je ne... et j'aimerais savoir à quel stade de développement il correspond, à 14 jours ou plus tard.

Dre Françoise Baylis: C'est un peu après, de 24 à 48 heures après, en fonction de la vitesse à laquelle l'embryon évolue. Mais c'est très proche.

M. Rob Merrifield: Bien. Mais j'aimerais revenir à la troisième question de M. Manning. On peut aborder l'aspect éthique des choses, mais j'aimerais que l'on considère la structure; comment garantir que des spécialistes en éthique interviennent dans la structure de réglementation? Qu'en pensez-vous?

Dre Françoise Baylis: J'espère que tout le monde respecte l'éthique. La difficulté, et je le dis sans ironie, c'est qu'on s'intéresse beaucoup à l'éthique dans le contexte actuel des affaires publiques. Trop souvent, je constate qu'on en fait une sorte de livre de cuisine éthique, que les gens voudraient avoir un genre de modèle, de structure, qu'ils pourront appliquer à leur problème.

Je ne pense pas que ce soit cela qu'il faut chercher. Il faut chercher des gens qui vont s'engager à établir certains types de rapports.

J'hésite, car c'est assez difficile à expliquer. J'ai tout cela sur mes acétates. Si j'avais su, ou si on était à Halifax...

Il est possible de procéder de façon légitime. Pour simplifier, il faut mettre en place un processus où l'on prend des engagements fondamentaux, où l'on convient de valeurs et de principes essentiels et où l'on s'engage à respecter les règles du jeu. On accepte ces règles et une fois que le jeu est terminé, on ne peut pas se plaindre de ne pas avoir obtenu ce qu'on voulait.

Voilà une version simplifiée de mon modèle, mais il comporte un certain nombre de facettes. Par exemple, on y trouve un engagement en matière d'échanges interpersonnels. Chacun s'engage à énoncer clairement ses valeurs, et le silence n'est pas envisageable. Il y a des règles d'engagement pour certaines formes de conversation. Des spécialistes en éthique ont abordé ce sujet dans des articles intitulés, par exemple «N'arrêtez pas la conversation».

L'important, c'est d'écouter impérativement tout le monde. Toutes les valeurs doivent être prises en compte et seront ensuite soit adoptées, soit réfutées.

Si j'avais le temps, je vous expliquerais tout le projet en détail, mais il est très riche, beaucoup plus riche que ce que je constate en divers points du gouvernement fédéral, où on semble avoir tendance à vouloir constituer une structure par laquelle tous les problèmes devront passer. Je ne pense pas que ce soit la clé du succès.

• 1250

Tout dépend des gens à qui on fait appel. Quelqu'un a parlé de «vertu du courage». C'est ce dont nous avons besoin.

La présidente: Madame Somerville, allez-y.

Dre Margaret Somerville: Je voudrais ajouter quelque chose. Je suis tout à fait d'accord avec Mme Baylis. Si l'on fait appel à des comités d'éthique, c'est que dans notre société, nous ne pouvons plus présumer de l'existence d'un consensus général sur les valeurs importantes. Autrefois, on présumait que tout le monde adhérait plus ou moins à la même religion traditionnelle ou à un autre ensemble de valeurs. C'est pourquoi il est si important de formuler les valeurs et les principes auxquels on va faire référence.

Par ailleurs, selon mon expérience, et même si les choses s'améliorent un peut-on a tendance à croire qu'en réunissant des gens de bonne volonté, qui savent échanger et qui connaissent différents domaines, on va avoir une solution gagnante. En fait, c'est un peu comme si on procédait au hasard: on les réunit pêle- mêle dans l'espoir d'obtenir en fin de compte quelque chose d'éthique.

Je propose une métaphore à ce sujet. C'est comme si on avait un garçon de six ans qui voulait faire un gâteau; sa mère lui dit: c'est parfait; voici les oeufs, le beurre, le sucre, la farine, le lait, les raisins et tout le reste. L'enfant jette tous les ingrédients dans un saladier et remue avec une cuillère de bois. Il ne fera pas de gâteau; il fera simplement un gâchis. Pourtant la mère sait bien que si elle ne prend pas certaines précautions—elle doit séparer les blancs des jaunes et n'incorporer les blancs qu'à la fin—elle obtiendra non pas un gâteau, mais différentes variétés de gâteaux. Il en va de même pour la démarche éthique.

On travaille beaucoup actuellement sur l'efficacité et l'amélioration du processus éthique. Nous venons de publier à ce sujet un livre intitulé Transdisciplinarity: Recreating Intergrated Knowledge; nous avons eu la chance de recevoir les ressources nécessaires pour réunir 30 spécialistes de différents domaines venus du monde entier, qui avaient tous une certaine expérience de ce processus. Nous nous sommes enfermés pendant quatre jours dans un vieux monastère cistercien situé au nord de Paris et nous avons réfléchi à nos démarches respectives. La variété des points de vue exprimés a été tout à fait étonnante.

Dre Françoise Baylis: J'ai retrouvé mes acétates. Je les laisserai à votre greffier. Je fais un travail pour Santé Canada et j'avais donc apporté cette série d'acétates, que je vais vous laisser. Je suppose que vous devrez les faire traduire.

La présidente: Oui.

En fait, je dois signaler aux membres du comité que les documents qui nous ont été remis étaient rarement traduits. Il y a donc maintenant du retard à la traduction.

Je regrette que M. Ménard soit parti, car j'aurais aimé l'en informer. Il va falloir un certain temps pour obtenir les documents de certains témoins, à cause de ce retard à la traduction. Je suppose aussi qu'il faut faire appel à des traducteurs spécialistes du domaine scientifique abordé dans nos témoignages. C'est sans doute une cause supplémentaire de retard.

Nous allons devoir attendre jusqu'à la mi-juin, sinon à la fin juin.

Madame Shanner, brièvement, s'il vous plaît.

Dre Laura Shanner: Un bref commentaire sur la façon de garantir le respect de l'éthique au sein du comité.

Les questions que vous soulevez actuellement sont les bonnes. Je fais miens les arguments formulés précédemment. N'essayez pas de constituer une structure ou de rédiger un livre de cuisine qu'il suffira de suivre, car la vie est trop compliquée. Ne supposez pas qu'on peut prendre une décision qui réglera tous les problèmes.

Généralement, dans les séances de comité, on se retrouve avec une surabondance d'informations. Certains intérêts sont formulés abondamment, tandis que d'autres ne s'expriment pas, et selon la tendance prédominante, on s'oriente vers des solutions. La première chose à faire, c'est de ralentir la recherche des solutions et de veiller à poser les bonnes questions, car une bonne réponse à une mauvaise question n'est d'aucune utilité.

L'important, je crois, n'est pas de chercher le spécialiste en éthique qui va proposer une structure ou des réponses. Le candidat idéal n'aura pas nécessairement de formation en éthique, même si la formation dans ce domaine peut être très utile. Ce qu'il faut, ce sont des gens qui vont poser les bonnes questions, celles aussi qui sont inattendues, et qui vont nous mettre sur la bonne voie avant même que le mouvement ne s'amorce.

À mon sens, c'est là le critère essentiel; il faut des gens qui soient capables de prendre du recul et de dire: «Je ne sais pas; il faut y réfléchir.» Même s'ils ont une opinion, sont-ils prêts à se raviser et à poser les bonnes questions?

C'est le meilleur conseil que je puisse vous donner.

La présidente: Merci.

Madame Wasylycia-Leis.

Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Centre-Nord, NPD): Merci.

Je voudrais poursuivre dans la même veine que Laura. D'après ce qu'elle a dit, je suis sûre qu'elle reconnaîtra qu'il ne faut pas retarder l'adoption de cette loi qui est prête et qu'on a attendu si longtemps.

• 1255

Je vais reprendre les questions que j'ai posées aux autres témoins. Tout d'abord, n'est-il pas trop tard et est-ce qu'il est possible de rééquilibrer le débat? Il me semble que vos propos sur les questions d'éthique sont noyés dans le flot des opinions exprimées. Chaque jour, les journaux nous informent des dernières découvertes de la génétique, qui occupent tout le terrain, et pourtant, il semble qu'on ne parvienne pas à mettre en relief les questions d'éthique et à rééquilibrer toute cette explosion scientifique à laquelle nous assistons.

Je voudrais savoir si on peut procéder à ce rééquilibrage. Je sais que lorsqu'on pose des questions sur la biotechnologie, les technologies de reproduction et le projet de génonime au Parlement, on se fait taxer de passéisme. Pourtant il faut s'y faire, c'est important pour la survie de l'humanité.

Plus précisément, en ce qui concerne le mécanisme prévu dans le projet de loi pour la constitution d'un organisme de recherche en éthique, que devrait-il comporter? Il me semblait que le projet de loi C-13 et les instituts canadiens de recherche en santé devaient mettre quelque chose en place, une structure ou un mécanisme, pour régler les questions d'éthique. Est-ce que cela s'est produit? Que faudrait-il faire?

Dre Laura Shanner: Vous posez plusieurs questions. Tout d'abord, il faut avoir du courage. S'il est trop tard, je suis prête à sauter du pont, mais je suis certaine qu'il n'est jamais trop tard. Nous avons été retardés et nous ne devons plus accepter d'autres retards, mais il vaut mieux embarquer maintenant que de rester en rade, car il y va de la vie des patients et des enfants de demain. Il n'est donc jamais trop tard.

Reste à savoir dans quelle mesure les IRSC parviendront à réglementer les besoins. N'oublions pas que ces instituts se consacrent à la recherche. L'usage en matière de technologie reproductive et génétique considérée en tant qu'activité clinique dépasse largement le domaine de compétence des IRSC; il nous reste donc à nous occuper des laboratoires, des établissements cliniques, du counselling, du consentement éclairé, des registres de donneurs, de toutes ces questions dont les IRSC ne s'occuperont pas.

Je le répète, une bonne partie du travail de questionnement s'est fait et se poursuit à la division des politiques de Santé Canada. Il faut maintenant passer à la dernière étape, et faire fructifier ce qui a été réalisé jusqu'à maintenant, mais c'est loin d'être fait, et il faudra continuer ensuite.

Dre Françoise Baylis: Les IRSC font partie des conseils subventionnaires qui financent la recherche. Il y a près de quatre ans, ils ont produit l'Énoncé de politique des trois conseils: éthique de la recherche avec des êtres humains. Une partie de ce document traite de la recherche sur les embryons. Une autre partie concerne les foetus.

Il y a plusieurs éléments à prendre en compte: ce ne sont là que des lignes directrices. Elles ne s'appliquent pas à proprement parler à ces conseils, qui n'interviennent pas dans le financement de la majorité des travaux de recherche réalisés dans notre pays. Les lignes directrices ont été publiées en 1998; à la première page, le préambule indique qu'il s'agit d'un document en évolution, qui doit être mis à jour en fonction des progrès scientifiques. Pourtant, pas un mot, ou à plus forte raison pas une phrase, un paragraphe ou un chapitre, n'ont été modifiés depuis 1998. Actuellement, les conseils ne disposent pas du personnel nécessaire.

J'ai sur mon bureau une note à en-tête des trois conseils qui demande qu'on propose des noms pour former ce qu'on appelle un comité interconseils regroupant une dizaine de personnes. Certains contestent ce chiffre et proposent plutôt 12 conseillers, qui seraient chargés d'étudier toutes sortes de questions concernant la recherche au Canada et dont le mandat comporterait notamment l'interprétation de l'énoncé des trois conseils, car comme vous l'imaginez sans doute, la signification de cet énoncé suscite bien des désaccords.

C'est pourquoi j'ai dit que les intervenants ne suivent pas cet énoncé, notamment parce qu'il ne propose que des lignes directrices, mais aussi parce que les gens ne sont pas d'accord. En effet, certains énoncés sont directs et très clairs. Par exemple, il existe un article concernant la recherche sur les placebos, qui indique ce qui est interdit et ce qui est autorisé dans ce pays. Il n'y a pas d'uniformité dans ce domaine. Les commissions d'éthique de la recherche ne sont pas d'accord entre elles. Il y a des différences entre le message du PPT, celui de Santé Canada et celui des chercheurs. C'est très confus.

• 1300

Le problème actuel, c'est qu'il n'y a pas d'organisme national de surveillance. Personne n'a pour mandat de surveiller la recherche, pas même celle qui a été approuvée et dont les travaux sont en cours. On ne sait même pas combien il y a actuellement de commissions d'éthique sur la recherche au Canada. Nous ne savons pas de qui elle se compose. Nous ne pouvons rien dire de la qualité de leurs travaux. Je dois assister demain à une réunion et je vais me documenter dans l'avion. Je ne sais pas si ce que je fais est acceptable mais c'est pour vous dire que c'est ainsi que les choses se passent concrètement.

Le seul comité d'envergure nationale qui pourrait intervenir ici est le Conseil national d'éthique en recherche chez l'humain, mais son financement est remis en question et on entend dire qu'il cessera d'exister à la fin de l'année. Il n'y aura donc plus rien. Cet organisme avait du moins le mandat d'éduquer les commissions d'éthique de la recherche, mais son budget dépend totalement de la bonne volonté des IRSC, du CRSNG, du CRSH, de Santé Canada et du Collège Royal. Son financement est remis en question et au lieu de le renforcer et d'en faire un organisme utile dans le domaine qui nous intéresse, on le fait disparaître après 13 ans d'existence à partir d'un budget squelettique.

Je le dis très clairement: On consacre moins de crédits à la surveillance de la recherche sur l'humain qu'on en consacre aux animaux. C'est la réalité, ce n'est pas une hyperbole. Michael MacDonald a présenté un rapport sur la gouvernance de la recherche sur l'humain au Canada à la commission juridique; il évoque tous ces arguments, notamment celui de la nécessité d'un organisme national de surveillance, en particulier sur les questions les plus litigieuses où la recherche serait profitable à tout le monde.

La présidente: Je vais vous arrêter ici, car cette réunion est consacrée aux conséquences éthiques, et vous êtes plus versées que je ne le pensais dans tout l'aspect administratif de la question et le respect des lignes directrices. Je pense qu'il nous faudra une autre réunion; j'espère que vous reviendrez pour nous parler des problèmes, des besoins et des perspectives. Mais il y a ici d'autres députés qui attendent pour poser des questions concernant l'éthique. Nous avons dépassé notre horaire, mais je pense qu'avec l'accord du comité, je vais prolonger la séance pour qu'on puisse profiter des connaissances de nos invitées et pour que tout le monde puisse poser au moins une question.

Nous passons maintenant à M. Castonguay.

[Français]

M. Jeannot Castonguay (Madawaska—Restigouche, Lib.): Merci, madame la présidente.

Dans l'avant-projet de loi, on nous dit que la création d'embryons uniquement à des fins de recherche serait interdite. Il semble que c'est à cause du potentiel de vie humaine qui existerait dans ces embryons. J'essaie de comprendre s'il y a une différence entre un embryon qui a été créé en surplus en vue d'une fécondation in vitro et un embryon qu'on créerait à des fins de recherche. Est-ce qu'il y a vraiment une différence? Est-ce que ce n'est pas un peu illusoire de mettre cela, en essayant de camoufler d'autres choses?

L'autre point, c'est que lorsqu'on parle de recherche à partir de cellules souches embryonnaires, on sait qu'il y a des possibilités de recherche avec des cellules souches non embryonnaires. Est-ce qu'en facilitant cette recherche, voire même en l'encourageant, on ne défait pas tout l'intérêt qu'il y aurait à faire un peu plus de recherche du côté des cellules souches non embryonnaires?

Mme Françoise Baylis: Premièrement, au point de vue moral, vous avez absolument raison. Qu'un embryon ait été créé pour une raison ou pour une autre, il n'y a aucune différence. Si on a un statut moral particulier, c'est indépendant de la façon dont l'embryon a été créé.

La différence, et c'est la raison pour laquelle certains mettent l'accent sur cela dans ce contexte-ci, c'est que les embryons qui ont été créés dans un contexte reproductif existent déjà et qu'on va les détruire de toute façon. On peut les détruire de telle façon et ne rien en tirer de positif, ou on peut les détruire de telle façon et on va récupérer au moins quelque chose qui sera positif en termes de développement de thérapies. Mieux vaut au moins essayer de faire du bien avec ces embryons. C'est l'argument qui a été développé. Je ne le défends pas, mais c'est dans ce contexte-là que les gens disent que c'est ce qu'on fait déjà.

Maintenant, vous devez comprendre que ce qu'on fait déjà n'a jamais été justifié. Tel est le problème quand on fonde un argument sur le fait qu'on le fait déjà et qu'on peut donc continuer dans cette direction. La pratique qui existe déjà, soit la destruction de ces embryons plutôt que l'obligation d'en faire un don ou autre chose, ne peut pas fonctionner.

Pour ce qui est de la deuxième question, les chercheurs avec qui je parle, même ceux qui travaillent avec des cellules souches pour les adultes, préfèrent, au moins dans une période limitée, poursuivre la recherche ou permettre à leurs collègues de poursuivre la recherche sur les embryons. Ils disent que même pour faire leur travail, il y a certains mécanismes qu'ils ne semblent pas comprendre.

• 1305

Un chercheur de London, en Ontario, m'a dit tout récemment qu'il croit maintenant qu'on va trouver, même dans le sang de l'être humain, des cellules souches embryonnaires. Le problème est qu'ils ne peuvent pas différencier toutes ces cellules sans connaître le processus de développement. Ils veulent donc pouvoir utiliser les cellules embryonnaires pour bien comprendre le processus. Les chercheurs qui travaillent surtout en médecine régénératrice, c'est à dire pour les transplantations, savent que l'avenir est dans le travail avec des cellules souches de l'adulte, parce qu'on ne veut pas avoir de problèmes de rejet. Je pense donc que cette recherche doit continuer. Il est difficile de savoir, si on met l'accent sur les embryons, si cette recherche progressera aussi vite.

[Traduction]

Dre Margaret Somerville: J'ai proposé un ajout au préambule de la loi. Lorsqu'on crée un embryon à des fins de recherche, on transmet la vie à une autre entité humaine, à un être humain, dans le seul but de le détruire, de le tuer pour la recherche. Transmettre la vie humaine sans autre but me semble très préjudiciable au respect de la transmission de la vie.

Cette objection n'est pas présente, ou est moins présente, dans le cas où la vie humaine a été transmise parce qu'on a prévu un besoin éventuel de cet embryon afin de créer un bébé pour quelqu'un, et par la suite on n'en a plus besoin. À ce moment, il y a plusieurs questions qui pourraient se poser: «Que faire avec cela, faut-il le laisser mourir?»—c'est l'option la moins difficile du point de vue moral, parce que les embryons effectivement meurent très souvent; «faut-il en faire un don à quelqu'un d'autre?»—cela soulève des problèmes, malgré que certains diraient que c'est comme adopter; ou «faut-il l'utiliser à des fins de recherche?»

L'utilisation des embryons à des fins de recherche soulève des questions d'objectivisation, de marchandisation et de réification. Une telle utilisation suppose que nous ne considérons plus l'embryon comme une entité humaine, un être humain au tout début de son évolution. Nous le transformons ainsi en une chose, parfois en un produit, à être exploité au profit de nous autres. Cela soulève des questions d'ordre moral qui ne se présentent pas dans les cas où on n'a pas créé cette situation intentionnellement.

Madame la présidente, pourrais-je ajouter un élément pour répondre à la question précédente? Je crois que c'est très important.

La présidente: Bien sûr.

Dre Margaret Somerville: La pire chose qui pourrait arriver serait que les gens réagissent avec cynisme a la possibilité d'exploiter cette technologie correctement, dans le respect des principes éthiques et des valeurs des Canadiens. Je ne pense pas que les Canadiens croient que c'est le cas, et je pense que prétendre qu'il est trop tard et qu'il n'y a rien à faire équivaut à une affirmation de manque de moralité.

Dans le même ordre d'idées, il y a ce que nous savons concernant par exemple l'implantation d'une norme éthique élevée dans un établissement de soins de santé. Des études ont montré que, au sein d'un établissement de soins de santé qui a un effectif d'environ 1 000 personnes, ce sont les cinq personnes à la tête qui fixent les normes éthiques dans l'ensemble. Je dirais aux gens ici que vous êtes les personnes à la tête de ce pays, et c'est à vous d'établir le cadre éthique pour l'exploitation de cette technologie. C'est pour cette raison qu'on prête tant d'importance à ce que vous faites, non seulement au niveau des gestes concrets, mais aussi au niveau des valeurs et des symboles, sans nier l'importance des premiers.

La présidente: Merci pour votre encouragement et votre optimisme.

La parole est à M. Lunney.

M. Jeannot Castonguay: Puis-je poser une question supplémentaire?

La présidente: D'accord.

M. Jeannot Castonguay: Devrait-on limiter le nombre d'embryons qui pourraient être créés à des fins de reproduction?

Dre Laura Shanner: Oui. J'aimerais faire une observation à cet égard.

M. Jeannot Castonguay: Sinon, la porte est grande ouverte.

Dre Laura Shanner: Je ne choisirais pas une limite au hasard, un chiffre arbitraire. Il faut soigneusement évaluer, premièrement, la santé des femmes qui produisent les ovules destinées à la création d'embryons, ce qui cause...

Dans le cadre des procédures de fécondation in vitro, on utilise plusieurs hormones différentes afin d'interrompre le cycle hormonal normal de la femme et ensuite on stimule les ovaires afin qu'ils produisent beaucoup d'ovules. Normalement on en récolte entre 10 et 20. S'il y a production de plus de 15 ou 20 ovules à la fois, ils sont généralement de très mauvaise qualité et le taux de survie des embryons est aussi moins élevé.

Certains facteurs de santé peuvent donc limiter le nombre maximal raisonnable d'ovules qui peuvent être produits, tout en assurant des embryons sains. Nous ne savons toujours pas exactement ce qui arrive lorsqu'on stimule les ovaires afin qu'ils produisent à une capacité qui est 15 ou 20 fois leur capacité normale. Si on pouvait pousser le foie à produire 15 fois la quantité normale d'enzymes, je soupçonne que cela pourrait poser des problèmes à long terme, et on fait très peu de recherche sur l'aide à long terme pour des patients après leur traitement de l'infertilité. Alors il y a des préoccupations au niveau de la pratique.

• 1310

Il faut lier le nombre d'embryons qui sont retournés et le nombre d'embryons qui sont créés initialement aux pratiques d'extraction d'ovules les plus sécuritaires et aux meilleurs résultats pour le traitement de l'infertilité.

On a présenté un très bon argument tantôt, c'est-à-dire qu'il serait très facile de simplement augmenter la production d'embryons en vue de créer des bébés pour la FIV, même si tout le monde sait que personne ne pourrait utiliser ce très grand nombre d'embryons. Bien sûr, il y aurait des embryons excédentaires qui pourraient ensuite être utilisés à des fins de recherche, et on dirait une façon indirecte et malhonnête de produire de nouveaux embryons à des fins de recherche. Il faut empêcher cela. Il faut donc prendre soin de bien lier les meilleures pratiques médicales et le règlement, afin de limiter le nombre d'embryons dont la création ne pourrait peut-être pas être justifiée.

[Français]

M. Françoise Baylis: Il est très difficile de donner un chiffre, parce qu'on ne sait jamais quelle sera la qualité. S'il s'agit d'un service qui n'est pas payé par le gouvernement, quelqu'un doit donc sortir de l'argent de sa poche. Cette personne exercera beaucoup de pression, car elle aura de la difficulté à accepter qu'on ne crée que cinq embryons qui ne seront peut-être pas de qualité suffisante pour être transférés, ce qui l'obligerait à payer de nouveau la somme de 5 000 $ pour un autre cycle. C'est très compliqué et très difficile puisque le gouvernement n'a pas songé à subventionner cette thérapie.

J'aimerais aussi mentionner que la science continue à changer et à évoluer. Nous verrons des changements dans la pratique. Notre capacité à faire maturer des ovules à l'extérieur du corps se développe, ce qui va transformer la pratique de la fertilisation in vitro. Je pense que donner un chiffre est encore plus compliqué à cause de ces considérations.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Docteur Lunney, allez-y.

M. James Lunney (Nanaimo—Alberni, AC): Cela suscite toute une série de questions. On a donné des réponses à quelques-unes de ces questions. Je remercie tous les témoins pour leurs interventions bien réfléchies. Il serait très utile pour nous de pouvoir les inviter une deuxième fois pour une autre séance de deux heures ou même de six heures. Ce serait très productif, j'en suis sûr.

J'aimerais revenir à quelque chose que la Dre Somerville a mentionné, c'est-à-dire qu'un des principes d'éthique fondamentaux est de choisir le moindre mal. En ce qui concerne les cellules souches adultes, nous sommes peut-être sur le point de faire de grandes percées dans l'exploitation des cellules souches adultes, et plus particulièrement dans la réactivation des cellules souches adultes pour les rendre plus pluripotentielles.

Par exemple, nous avons entendu récemment un témoin à la Chambre, M. Hudson de Montréal, qui parlait d'une souris qui souffrait d'un infarctus. On a pu isoler des cellules souches musculaires, cultiver des cellules cardiaques in vitro et les réintroduire, et cultiver du tissu cardiaque actif plutôt que du tissu cicatriciel. Il me semble que, étant donné le potentiel énorme de ce genre de recherche, nous devrions l'encourager de façon urgente et y investir le plus possible, parce que les cellules souches adultes ne donnent pas lieu aux mêmes complications que les cellules souches d'origine embryonnaire, notamment l'incompatibilité génétique et l'utilisation permanente des drogues anti-rejet.

Docteure Somerville, avez-vous quelque chose à ajouter?

Dre Margaret Somerville: Je connais Tom Hudson. C'est un de mes collègues, et il fait du travail formidable. C'est extrêmement passionnant.

Une des idées que j'ai caressées—et pour laquelle on m'a effectivement durement critiquée... En fait, on m'a traitée de «néo-luddite» dans une revue scientifique relativement prestigieuse. On a même rajouté que le Canada devrait se doter d'un bioéthicien qui habiterait la planète Terre. On a écrit cela parce que j'ai proposé cette idée d'un temps de réflexion éthique.

L'exemple que vous citez illustre parfaitement mes propos. Est-ce qu'on pourrait proposer un certain temps de réflexion éthique, au cours duquel on essaierait d'accomplir cela sans recours aux embryons humains? Si oui, qu'en serait-elle la durée?

Écoutez, lorsque je me rends compte que c'est la première fois que nous pouvons faire cela... C'est la raison pour laquelle j'ai mentionné cette période. C'est un laps de temps extraordinaire—800 millions d'années—mais quand on se rend compte que les choses dont on discute maintenant—comment on devrait les exploiter maintenant—sont à votre portée depuis seulement deux, trois ou cinq ans, et pourtant la vie a évolué pendant cet autre laps de temps, alors j'estime qu'il faut proposer cette idée que, parfois, ça vaut la peine d'attendre.

• 1315

En fait, j'ai réfléchi à deux autres vertus traditionnelles, notamment la modération et le courage: le courage de non seulement dire oui—dans les cas où c'est facile d'identifier la voie dangereuse, lorsque l'on prend des risques volontiers, avec raison et selon nos principes éthiques—mais aussi le courage de dire non, qui est parfois très difficile, surtout quand on est en présence de grands malades. Si vous étiez médecin, vous saurez que c'est une chose affreuse que de dire non, nous ne pouvons pas faire cela.

Alors il faut parfois avoir le courage de dire: allons-y lentement à cause des enjeux éthiques et attendons voir si la science peut nous rattraper. Comme je l'ai déjà souligné, le progrès scientifique peut parfois apporter des solutions à des problèmes éthiques, plutôt que de les créer. Voilà matière à réflexion.

La grande question, cependant, c'est comment arriver à un consensus canadien qui est raisonnable, sur le moment opportun, la durée, et l'organisme responsable. Je trouve que ce projet de loi préliminaire est un bon départ, parce qu'il fait en sorte que toutes les décisions seront prises à l'intérieur du même cadre et du même forum. Et comme nous l'avons tous dit, j'estime que c'est un bon début au niveau des principes de base. Cependant, je tiens à souligner en conclusion que j'aimerais que les valeurs et les autres principes soient intégrés explicitement à ce projet de loi. Ils n'y sont pas à l'heure actuelle. Ce sont des éléments importants et il faut les reconnaître comme des choses qui doivent être protégées aussi.

Dre Françoise Baylis: J'aimerais ajouter que je pense que la plupart des gens reconnaissent sans doute les avantages de travailler avec les cellules souches adultes, dans le sens qu'elles sont une source de cellules souches qui n'est pas controversée. Cependant, les chercheurs à qui j'ai parlé ont cité deux arguments lorsque j'ai soulevé cette même question.

Le premier point était que le travail dont nous entendons parler constamment s'effectue en utilisant des modèles animaux, mais en fait ce travail ne peut pas nécessairement être transposé au modèle humain. Le deuxième point, c'est que, même si l'objectif dans certains domaines est de travailler avec des cellules souches adultes, surtout afin d'éviter les problèmes de rejet dans le contexte de la transplantation, il se peut que ces avantages ne soient jamais réalisés sans un certain travail préliminaire qui doit être effectué en utilisant des cellules souches d'origine embryonnaire. Que vous soyez convaincus par ces arguments ou non, je pense qu'il faut obtenir plus de renseignements des chercheurs.

À ce propos, j'aimerais rappeler au comité qu'Industrie Canada a financé un centre d'excellence pour la recherche sur les cellules souches. Le financement vient d'être octroyé, et vous voudriez peut-être entendre des chercheurs qui font partie de ce réseau, qui regroupe environ 50 chercheurs de tout le Canada.

M. James Lunney: Merci.

La présidente: Merci beaucoup.

J'ai une question à poser à la Dre Somerville. Je ne me rappelle pas si vous avez en fait déjà émis un commentaire à ce sujet, mais Mme Baylis est résolument en faveur d'une surveillance au niveau national et a formulé des réserves importantes sur la disposition de renonciation pour les provinces en vertu de ce projet de loi.

Avez-vous un avis là-dessus?

Dre Margaret Somerville: Oui, j'appuie entièrement les commentaires de Mme Baylis sur ce point. Je pense que c'est extrêmement important d'aborder ce sujet dans une perspective nationale. Il y a déjà assez d'inquiétude maintenant, et un des arguments qu'on entend c'est que si un acte est interdit au Canada, cet acte se fera simplement à l'étranger. Ce serait affreux si la même chose se produisait au niveau des provinces.

Pour ce qui est de la constitution, je suppose que, étant donné que ces questions transcendent les frontières provinciales, nous avons ici un exemple classique d'un secteur où il faut agir au niveau national afin d'assurer une réglementation adéquate et des valeurs pancanadiennes.

La présidente: Une loi nationale et un organisme de réglementation national.

Dre Margaret Somerville: J'ajouterais qu'on pourrait se faire critiquer pour l'utilisation du droit pénal dans ce domaine—et évidemment une des raisons de son utilisation c'est qu'il nécessite la mise en oeuvre d'une loi fédérale—mais j'estime que le droit pénal convient parfaitement.

Depuis toujours, la raison d'être du droit pénal est la protection de la vie et de la sécurité humaine. Il s'agit ici de la version XXIe siècle de la question de la vie et de la sécurité humaine ainsi que des valeurs qui y sont associées.

La présidente: Merci beaucoup.

• 1320

Dre Laura Shanner: J'aimerais ajouter ma voix aux deux autres pour exprimer mon appui sans borne pour la poursuite d'un effort coordonné entre les provinces plutôt que d'une mêlée générale incohérente.

La présidente: Non, non, c'est quelque chose de tout à fait différent. Un effort coordonné entre les provinces...

Dre Laura Shanner: Je sais, c'est comme vouloir essayer de faire défiler des chats.

La présidente: ... ne correspond pas à une autorité nationale. Je vous demande si vous êtes en faveur d'une loi nationale rattachée au Code criminel et à une autorité nationale.

Dre Laura Shanner: Oui, j'appuie le concept d'une autorité nationale dans la mesure où cette autorité nationale a certaines limites dans sa capacité d'assumer des responsabilités d'ordre provincial. L'autorité de créer l'agence est, selon moi, une bonne occasion pour la participation du niveau national. Cette agence devra faire la coordination entre les niveaux fédéral et provincial, mais sa mise en oeuvre est une activité d'ordre national.

La présidente: Je ne pense pas que c'est ce que voulait dire Mme Somerville.

Dre Laura Shanner: Non, mais c'est une autre porte d'entrée, avec ou sans la criminalisation.

Dre Margaret Somerville: Permettez-moi simplement d'ajouter que je préférerais supprimer l'article au sujet du droit de non-participation, et si jamais il y avait un problème au sujet de la validité de la juridiction, il pourrait être réglé par un appel à la charte. Ce serait un appel à la charte extrêmement intéressant. J'aimerais bien travailler là-dessus.

Dre Françoise Baylis: Pour en revenir à ce que je disais, mes propos n'avaient nulle autre intention. On a besoin d'uniformité dans ce domaine, et cela ne devrait pas faire partie du débat constitutionnel.

Veuillez bien regarder les articles dont j'ai parlé. Ce que je ne comprends pas, c'est qu'ils ont le droit de refuser de participer au régime des délits en fonction des interdictions. Il s'agit sûrement d'une erreur.

Dre Margaret Somerville: Ce ne serait pas parce que les provinces n'ont pas de dispositions pénales...

Dre Françoise Baylis: Non, mais les interdictions seraient d'ordre fédéral. Elles ne peuvent pas refuser de suivre les interdictions. C'est tout simplement une erreur.

La présidente: Preston veut encore dire un mot.

M. Preston Manning: Madame la présidente, j'invite nos spécialistes à présenter cet argument au gouvernement du Québec.

Dre Françoise Baylis: Avec plaisir.

M. Preston Manning: Nous avons besoin de votre aide.

La présidente: Peut-être que les gouvernements provinciaux auront la sagesse de dire que ces gens-là ont lutté pendant une année avec ce casse-tête, sans parler de tous les gens qui nous ont précédés avec tous ces groupes de conseillers, etc., et pourquoi voulons-nous adopter un tel casse-tête? C'est ce que j'espère. Alors, la volonté nationale aura le dessus.

En tout cas, merci beaucoup. Vous ne nous avez pas simplifié la tâche, mais vous nous avez encouragés à aller de l'avant. Si nous avons encore besoin de vous, j'espère que vous aurez la bonté de revenir.

Dre Laura Shanner: Absolument. Je ne parle pas au nom de mes collègues, mais si quelqu'un veut m'appeler ou m'envoyer du courrier électronique, je les invite à le faire.

La présidente: Nos chercheurs vont relire les témoignages et il se peut qu'ils vous appellent pour clarifier certains de vos commentaires.

Merci beaucoup de votre temps. C'était très stimulant. J'espère que nous vous reverrons.

La séance est levée.

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