HEAL Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON HEALTH
COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 28 novembre 2001
La présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)): Mesdames et messieurs, bonjour. Je déclare avec plaisir que la séance est ouverte.
Avant de présenter nos témoins, j'aimerais en votre nom souhaiter la bienvenue à un groupe de visiteurs ukrainiens qui ont décidé de venir observer nos travaux. Bienvenue à tous.
Nous accueillons aujourd'hui comme premier témoin M. David Prentice, professeur de sciences de la vie à l'Université de l'État de l'Indiana.
Monsieur Prentice, vous avez la parole.
M. David Prentice (professeur à la Faculté des sciences de la vie, Université de l'État de l'Indiana): Madame la présidente et distingués membres du comité, je vous remercie de m'accorder cette occasion de témoigner sur cet important sujet.
Tout d'abord, une première question s'impose: pourquoi employer des cellules souches? En deux mots, pour traiter des maladies dégénératives. Jadis, les maladies infectieuses étaient le fléau de l'humanité, fléau mortel qu'on peut aujourd'hui combattre à coups d'antibiotiques, de vaccins et de mesures d'hygiène. Aujourd'hui, ce sont plutôt les maladies dégénératives, comme les cardiopathies, les accidents cérébro- vasculaires, les pneumopathies chroniques et le diabète, qui sont la cible de nos efforts. Même si mon graphique illustre les principales causes de mortalité aux États-Unis, ces causes sont également communes à l'ensemble du monde industrialisé. Les maladies dégénératives causent une lente destruction des tissus. On propose de traiter ces maladies au moyen de cellules souches, qui viendront réparer et remplacer les tissus endommagés.
Une cellule souche présente deux grandes particularités. D'abord, elle se multiplie, ce qui permet de maintenir un réservoir de cellules souches; en second lieu, si elle reçoit le bon signal, elle peut se différencier en d'autres types de cellules spécifiques, dont le corps peut se servir. Il existe plusieurs sources de cellules souches—outre mon mémoire, j'ai fourni au greffier certains graphiques et des références dont je ferai état.
Les deux types de cellules souches qui ont le plus défrayé la manchette, ce sont les cellules souches embryonnaires dérivées d'un embryon très précoce, de cinq à sept jours après la conception, et les cellules souches dites adultes qu'on trouve dans la majorité, voire la totalité des tissus corporels. En fait, les cellules souches adultes sont présentes dès la naissance et pourraient être plus adéquatement qualifiées de cellules souches tissulaires ou de cellules souches postnatales, y compris les cellules souches sanguines du cordon ombilical et les cellules souches placentaires.
Pour obtenir des cellules souches embryonnaires, il faut extraire la masse cellulaire interne d'un jeune embryon humain, ce qui entraîne la destruction de l'embryon. Une fois les cellules mises en culture, elles auraient comme avantage, affirme-t-on, de pouvoir proliférer indéfiniment et se transformer en tout type de tissu. Des articles scientifiques étayent la prétention voulant qu'elles puissent proliférer durant de longues périodes en culture. En théorie, elles peuvent former tout type de tissu; cependant, leur capacité de se transformer en tout type de tissu suppose que les cellules demeurent dans l'embryon, où elles peuvent former toute la gamme de tissus et d'organes composant le corps humain durant son développement normal.
Cependant, les prétendus avantages des cellules souches embryonnaires sur les cellules souches adultes ne sont aucunement corroborés. Il n'existe actuellement aucun traitement clinique basé sur les cellules souches embryonnaires, et l'on dénombre très peu d'études faisant état de réussites dans le cas de modèles animaux de maladie. En fait, les chercheurs qui s'intéressent aux cellules souches embryonnaires ont même de la difficulté à obtenir en laboratoire des cultures pures de types de cellules spécifiques.
• 1540
Ainsi, l'été dernier, un groupe israélien a affirmé avoir
obtenu des cellules sécrétant de l'insuline, à partir de cellules
souches embryonnaires humaines. Bien qu'on puisse a priori
envisager un possible traitement pour le diabète, ce que la presse
populaire n'a pas jugé bon de préciser—contrairement à l'article
scientifique—, on a constaté qu'à peine 1 p. 100 des cellules
obtenues en laboratoire sécrétaient de l'insuline. L'autre
99 p. 100 de cellules était un amalgame d'autres types de cellules,
dont des cellules nerveuses, des cellules musculaires, quelques
cellules cardiaques palpitantes, et aussi des cellules qui
continuaient de se multiplier. En fait, ces dernières cellules en
constante prolifération nous signalent un autre problème posé par
les cellules souches embryonnaires, à savoir la formation possible
de tumeurs.
Les partisans de la recherche sur les cellules souches embryonnaires admettent d'emblée qu'une fois injectées dans les animaux, les cellules souches embryonnaires ont tendance à former des tumeurs. En fait, il est difficile de mettre et de maintenir en culture des cellules souches embryonnaires. James Thompson, qui a produit les premières cellules souches embryonnaires humaines en 1998, a eu besoin de 36 embryons humains pour obtenir cinq lignées de cellules souches. Chaque lignée de cellules souches est dérivée d'un embryon humain. En Virginie, à l'été 2001, le Jones Institute a dû employer 110 embryons humains pour obtenir trois lignées de cellules souches. En outre, les cellules souches embryonnaires présentent un risque élevé de rejet immunitaire. Ainsi, le tissu formé à partir de cellules souches embryonnaires sera rejeté, comme dans la majorité des transplantations d'organe où il n'y a pas un appariement parfait des tissus.
Et, l'été dernier, un groupe du Whitehead Institute laissait savoir que les cellules souches embryonnaires présentent en fait une instabilité génomique; en d'autres termes, l'expression de leurs gènes est instable. Ce phénomène pourrait expliquer pourquoi il est difficile d'obtenir des cultures pures et pourquoi elles tendent à former des tumeurs.
Il est éclairant d'examiner certaines des affirmations faites par les partisans de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Voici quelques extraits intéressants d'un récent article de synthèse corédigé par James Thompson:
-
Rarement les conditions de culture ou les facteurs de croissance
spécifiques ont-ils mené à la formation de cultures contenant un
seul type de cellule.
-
En outre, dans des conditions où les facteurs de croissance sont
identiques, on observe d'une culture à l'autre une forte
variabilité dans le développement d'un phénotype particulier.
-
Il est alors possible que la transplantation dans des récepteurs
humains de dérivés de cellules souches embryonnaires humaines
différenciées puisse entraîner la formation de tumeurs engendrées
par ces cellules souches embryonnaires.
Et enfin:
-
Considérant le faible bassin disponible d'oocytes humains, la
pauvre efficacité de la méthode de transfert nucléaire et la longue
période de doublement des populations de cellules souches
embryonnaires humaines, il est difficile d'envisager que cette
façon de procéder (la production d'embryons par reprogrammation
nucléaire) devienne une procédure clinique courante.
Citation d'un article auquel ont contribué des chercheurs d'Israël et de l'université Harvard:
-
Ces travaux montrent qu'aucun des huit facteurs de croissance
analysés n'entraîne une différenciation cellulaire complètement
uniforme et singulière.
Un commentaire publié dans la revue Science comportait les citations suivantes:
-
Les cellules souches embryonnaires de souris présentent
l'inquiétante capacité de former des tumeurs, et les chercheurs
ignorent comment y parer. En outre, jusqu'à maintenant, on n'a
signalé que quelques cas isolés où il a été possible d'obtenir des
populations cellulaires pures à partir de cellules souches
embryonnaires d'humains ou de souris—en fait, beaucoup moins
fréquemment qu'à partir de cellules adultes.
Dans le même rapport on trouve cette citation de Douglas Melton de l'université Harvard:
-
Les cellules souches de moelle osseuse peuvent probablement former
n'importe quel type de cellule.
Enfin, cet extrait du rapport précité du Whitehead Institute:
-
L'état épigénétique (c'est-à-dire la capacité d'exprimer des gènes)
du génome des cellules souches embryonnaires s'est avéré
extrêmement instable.
Ainsi, on ne recense en fait qu'un petit nombre d'articles scientifiques venant étayer les affirmations mises de l'avant au sujet des cellules souches embryonnaires; en fait, les études viennent plutôt en souligner les nombreuses caractéristiques négatives. Trop souvent, on présente la situation sous forme d'une fausse alternative: il faut soit détruire les embryons, soit laisser mourir les patients. Il existe cependant d'autres possibilités et options, en particulier la voie des cellules souches adultes. Selon une foule d'articles scientifiques publiés au cours des dernières années, dont bon nombre depuis un an tout au plus, les cellules souches adultes représentent pour la médecine régénérative une source beaucoup plus prometteuse de cellules souches. En fait, les cellules souches adultes présentent effectivement une capacité de totipotence dans la production de tissus; autrement dit, elles peuvent produire la majorité, sinon la totalité des tissus corporels.
Dans un article publié en mai, on pouvait lire qu'une seule cellule souche adulte de moelle osseuse pouvait régénérer non seulement la moelle et le sang, mais aussi se transformer en foie, en poumon, en tube digestif, en peau, en coeur, en muscle—en fait en à peu près tous les tissus adultes. L'une de ces cellules souches adultes provenait d'une souris et a été transplantée dans une autre souris. On pourrait même parler de réanimation souris à souris. Un rapport publié l'an dernier faisait état de résultats analogues pour les cellules souches cérébrales.
• 1545
L'annexe C présente des exemples de tissus d'où l'on a isolé
des cellules souches adultes, dessinées en rouge, ainsi que
certains des tissus produits à partir de ces cellules adultes—et
le graphique ne montre pas tous les exemples. Les cellules issues
de la moelle osseuse et du cerveau semblent présenter une
plasticité particulière, et éventuellement la capacité de se
transformer en tout type de tissu adulte. On a constaté que même le
gras recelait des cellules souches pouvant se transformer en
d'autres tissus. Pour mon pays, cela pourrait s'avérer un réservoir
illimité de cellules souches... En fait, toutes les fois qu'un
chercheur a tenté de trouver des cellules souches dans un tissu, il
y est arrivé. Dans mon propre laboratoire, nous isolons des
cellules souches sanguines que nous transformons en cellules
nerveuses.
Permettez-moi de vous signaler que les travaux dont fait état le graphique sur les cellules souches dermales se transformant en d'autres tissus ont été effectués par Freda Miller de l'université McGill. De plus, la publication The Journal of Cell Biology signalait il y a deux jours à peine que des chercheurs avaient transformé des cellules souches de moelle osseuse dans des souris en cellules fonctionnelles appelées cellules de Purkinje; ce sont des cellules cérébrales qui sont à l'origine de la coordination des mouvements et qui offrent la possibilité de traiter les maladies qui entraînent des troubles de la coordination.
En outre, de nombreux articles nous apprennent que les cellules souches adultes peuvent se multiplier presque indéfiniment et ainsi constituer une source d'approvisionnement suffisante pour les applications cliniques. Et, de fait, l'efficacité des cellules souches adultes a été démontrée dans le traitement de modèles animaux de maladie, notamment pour des affections telles que le diabète, les accidents cérébro-vasculaires et les cardiopathies. Certains des travaux les plus convaincants effectués dans la transformation de cellules souches musculaires ou de cellules souches de moelle osseuse en cellules de tissu cardiaque ont été effectués par Ray Chiu, lui aussi de l'université McGill.
De plus, les cellules souches adultes sont employées à des fins thérapeutiques pour de nombreuses maladies, entre autres pour divers cancers, des maladies du système immunitaire comme la sclérose en plaques, le lupus et l'arthrite, certaines formes d'anémie comme la drépanocytose et des immunodéficiences. Encore plus important, on est capable d'amener des cellules souches adultes à se transformer d'un type de tissu à l'autre dans le traitement de maladies, notamment pour former du cartilage, pour cultiver de nouvelles cornées qui redonneront la vue à des patients aveugles ou pour traiter les victimes d'accidents cérébro- vasculaires; par ailleurs, deux groupes de chercheurs—un en Allemagne, l'autre en France—ont recouru à des cellules souches adultes pour réparer les dégâts post-infarctus. D'autres essais cliniques sont déjà en cours. Et l'on peut maintenant produire de la peau simplement en prélevant quelques cheveux, puisque la cellule souche dermale réside dans le follicule pileux. Autre avantage: on peut traiter le patient au moyen de ses propres cellules souches et ainsi éviter les problèmes de rejet immunitaire.
Les cellules souches adultes semblent même présenter une capacité d'interconversion entre divers tissus. Ainsi, le credo voulant que les cellules perdent graduellement leur capacité de différenciation au cours de leur développement semble faux; en fait, elles semblent conserver la capacité de se transformer en divers types de cellules et de tissus.
Selon une hypothèse reposant sur de nombreuses études, il existerait une cellule souche adulte commune qui peut migrer vers les tissus via le flux sanguin. Une fois présente dans un tissu, la cellule reçoit de l'environnement local le signal de se transformer en ce type de tissu.
Aujourd'hui, davantage de chercheurs admettent que ce seront les cellules souches adultes qui offriront des bienfaits thérapeutiques aux patients. Cependant, certains scientifiques continuent de soutenir qu'il faut étudier les cellules souches embryonnaires et leurs signaux de développement pour être en mesure de comprendre comment produire des cellules souches adultes et comment s'en servir à des fins thérapeutiques. Cette affirmation n'a aucun fondement logique ou scientifique. Comme les cellules souches adultes ont déjà montré leur polyvalence et leur capacité de croître en culture, la meilleure façon de comprendre et d'utiliser ces cellules est d'étudier directement les cellules souches adultes.
Abordons maintenant brièvement la question du clonage. La quasi-totalité des scientifiques sérieux s'opposent à l'idée de cloner un être humain pour obtenir une naissance vivante. Cependant, certains prônent le recours au clonage humain pour obtenir des cellules souches embryonnaires, au moyen d'un processus baptisé par euphémisme «clonage thérapeutique». En fait, cette procédure n'a rien de thérapeutique pour l'embryon humain cloné et devrait plutôt être appelée «clonage expérimental». Pour justifier une telle pratique, on affirme qu'en clonant le patient et en détruisant l'embryon ainsi créé pour produire des cellules souches qui serviront à produire des tissus, on obtiendrait un tissu qui conviendrait parfaitement au patient. En fait, des études scientifiques nous indiquent que l'appariement de tissus ne sera pas parfait, puisque l'oeuf utilisé pour le clonage contribuera lui aussi à la composition de l'embryon. De plus, comme on l'a vu précédemment, les cellules souches embryonnaires sont en soi instables et potentiellement dangereuses.
• 1550
Rappelons ici comment se fait le clonage: après avoir enlevé
le matériel génétique d'un oocyte (ou oeuf), on insère dans l'oeuf
le matériel génétique d'un type particulier de cellule, par exemple
une cellule de peau. J'aimerais souligner que le processus—tout
comme le produit—est identique jusqu'au stade embryonnaire
précoce, et ce, que le clonage vise une naissance vivante ou la
production de cellules souches. À ce stade, l'embryon (qu'il
résulte d'un clonage ou de la fusion classique d'un oeuf et d'un
spermatozoïde) est le même—au microscope, il était impossible de
différencier les embryons produits par l'une ou par l'autre
méthode.
En ce qui touche les cellules souches embryonnaires et les prétentions dont elles font l'objet, il faut donc se pencher non seulement sur les promesses mais aussi sur les prémisses et examiner les données publiées à l'appui ou à l'encontre de ces affirmations. En réalité, ces prétentions ne reposent que sur une maigre assise scientifique. Il serait contraire à l'éthique de détruire des embryons humains pour obtenir des cellules souches s'il existe une autre solution pratique, et une abondante documentation scientifique nous prouve que cette solution existe déjà. Ce serait également contrevenir à l'éthique que de mener des expériences sur des humains avant de tester les méthodes sur des animaux.
Le Dr Thompson a dérivé des cellules souches embryonnaires de primates avant de passer à l'humain; en outre, on utilise depuis 20 ans des cellules souches embryonnaires de souris, dont il faudrait se servir pour corroborer les affirmations avant de commencer à détruire des embryons. Il serait également non éthique de financer la recherche sur les cellules souches embryonnaires, car cela détournerait des fonds limités au profit de recherches moins prometteuses, et cela pourrait même retarder la mise au point de traitements curatifs.
Pour résumer, les données publiées démontrent que les cellules souches adultes constituent une option thérapeutique plus prometteuse, au vaste potentiel biomédical. Elles ont prouvé leur efficacité en laboratoire, avec des modèles animaux de maladie et dans les traitements cliniques actuels. En outre, elles permettent d'éviter les problèmes associés à la formation de tumeurs et au rejet de tissus transplantés, ainsi que le dilemme éthique que présente la destruction de certains êtres humains au profit éventuel d'autres humains.
En annexe de mon mémoire, j'ai joint à l'intention du comité une longue liste de références concernant les progrès scientifiques de la recherche sur les cellules souches adultes. De plus, je vous fais mes excuses car je n'ai pas inclus dans mon mémoire les recommandations que m'avait demandé de proposer le comité. J'aimerais par conséquent vous faire maintenant huit recommandations. En premier lieu, que l'on interdise complètement le clonage humain, peu importent les objectifs. Deuxièmement, que l'on interdise la production d'embryons, peu importe la méthode choisie, pour des fins de recherche; troisièmement, que l'on interdise la destruction d'embryons humains pour des fins de recherche; quatrièmement, que l'on interdise l'introduction de matériel génétique dans la lignée germinale humaine, en faisant ce que l'on appelle «l'ingénierie génétique héréditaire»; cinquièmement, que l'on interdise la production d'hybrides entre l'être humain et l'animal, appelés également chimères; sixièmement, que l'on réglemente la production par FIV d'embryons, et que l'on encourage plutôt la congélation des oocytes plutôt que celle des embryons; septièmement, que l'on encourage d'autres solutions comme l'adoption d'embryons, tels que le programme d'adoption d'embryons Snowflake; et huitièmement, que l'on fasse de la recherche sur les cellules souches adultes une priorité.
Madame la présidente, distingués membres du comité, je vous remercie encore une fois de m'avoir permis de présenter mon témoignage; je répondrai avec plaisir à vos questions.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Prentice, de votre témoignage très instructif.
Nous passons maintenant aux questions et nous commençons par M. Manning.
M. Preston Manning (Calgary-Sud-Ouest, Alliance canadienne): Je vous remercie, monsieur Prentice, de vous être joint à nous. Votre témoignage nous est très utile, et je constate que je souscris personnellement à la majeure partie de vos propos. Pourrez-vous nous transmettre vos huit recommandations pour que nous puissions les étudier plus facilement?
M. David Prentice: Bien sûr. J'en ai fourni un exemplaire à votre greffier qui le distribuera au comité.
M. Preston Manning: Ma première question sera d'ordre général. Si l'on considère la recherche sur les cellules souches, je crois que la plupart d'entre nous perçoivent que le problème d'ordre moral et éthique qui surgit dans la recherche sur les cellules souches embryonnaires pourrait disparaître en grande partie s'il était possible d'effectuer les mêmes recherches avec des cellules souches adultes. Dans le cas qui nous occupe, la recherche scientifique fournirait elle-même la réponse à un dilemme moral.
Avant de passer à des aspects plus particuliers de la recherche sur les cellules souches, je voudrais savoir si, à votre connaissance, il y a eu d'autres cas où en finançant les recherches scientifiques dans un sens particulier on a pu surmonter le problème moral et éthique que posaient des recherches scientifiques dans un autre sens? De façon générale, si on pouvait nous en donner beaucoup d'exemples, cela pourrait certainement nous inspirer.
M. David Prentice: Aucun exemple ne me vient à l'esprit directement, mais comme principe général, étant donné que les fonds à investir dans la recherche sont limités, il est évident que si l'on cherche à faire de la recherche tous azimuts dans l'espoir—si mince soit-il—de guérir diverses maladies, nous diluons nos efforts au lieu de viser les recherches les plus prometteuses et celles qui ont déjà fait leurs preuves.
M. Preston Manning: S'il vous venait d'autres exemples à l'esprit, j'espère que vous pourrez nous les faire parvenir. Le principal exemple de ces deux types de recherche, c'est évidemment la recherche sur les cellules souches adultes et embryonnaires, mais s'il vous en vient d'autres à l'esprit, cela pourrait nous servir dans nos discussions avec nos collègues politiques.
M. David Prentice: J'ai un exemple à vous donner mais qui n'illustre pas nécessairement l'aspect positif de la proposition. Dans un certain sens, nous avons vécu le même débat il y a une dizaine d'années au sujet de la recherche sur les tissus foetaux. On injectait beaucoup d'argent dans la recherche non pas en vue de transplanter les cellules souches mais de transplanter des tissus déjà formés provenant de foetus, comme le tissu pancréatique en vue de traiter le diabète, le tissu cérébral en vue de traiter le Parkinson, etc.
Au printemps dernier, le New England Journal of Medicine a publié un rapport citant une étude contrôlée, la première du genre, destinée à évaluer les résultats de l'injection d'autant d'argent dans la recherche. D'après les résultats, en majeure partie, il n'y a pas eu d'effets positifs pour les patients atteints de Parkinson et auxquels on avait transplanté des tissus foetaux cérébraux. Chez 15 p. 100 des patients, la greffe avait d'ailleurs empiré leur état de façon irréversible.
Vous voyez que dans ce cas-là, on pourrait même dire que nous avons injecté des fonds dans le mauvais type de recherche, en nous fondant là aussi sur des prémisses semblables à celles utilisées pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires.
M. Preston Manning: Notre avant-projet de loi ne mentionne pas de façon spécifique la recherche sur les cellules souches, et pourtant c'est un sujet terriblement d'actualité. J'imagine que les principes sur lesquels nous pourrions nous fonder pourraient présumément s'appliquer dans d'autres domaines aussi. Dans la partie du projet de loi traitant des activités réglementées, nous recommandez-vous de traiter la recherche sur les cellules souches dans une catégorie à part à laquelle s'appliqueraient des lignes directrices et des règlements spécifiques? Je sais qu'il y a sans doute du pour et du contre à cela, mais nous le recommanderiez-vous?
M. David Prentice: Cela pourrait servir effectivement à promouvoir et à encourager la recherche sur les cellules souches adultes. Vous êtes sensibles au fait que c'est un sujet extrêmement complexe, difficile à cerner, étant donné toutes les diverses possibilités et toutes les questions que cette recherche pose, dont certaines ne trouveront pas réponse de sitôt. C'est pour cette raison qu'il serait peut-être utile de traiter ce domaine de façon distincte.
M. Preston Manning: Savez-vous s'il existe des protocoles ou des lignes directrices...? Supposons en effet que nous créons une section distincte dans le projet de loi dans laquelle nous établirions des principes généraux qui orienteraient la recherche sur les cellules souches. Existe-t-il, à votre connaissance, un protocole qui établirait que lorsqu'il y a deux voies de recherche distinctes dont l'une pose des problèmes éthiques et moraux contrairement à l'autre, l'organe de réglementation devrait établir que les activités de recherche devront se faire dans le domaine qui pose le moins de problèmes de ce point de vue? Savez-vous s'il existe des lignes directrices qui énoncent ce principe, d'une façon peut-être plus juridique et acceptable du point de vue scientifique?
M. David Prentice: Je ne sais pas pour ce qui est du point de vue juridique, mais Hippocrate avait établi clairement que dans les traitements médicaux, le principe de base restait qu'il ne faut pas faire de tort.
M. Preston Manning: Merci.
La présidente: Monsieur Lunney.
M. James Lunney (Nanaimo—Alberni, Alliance canadienne): Merci, madame la présidente, et merci à M. Prentice pour son mémoire des plus intéressants.
À la lumière de la controverse entourant le choix entre les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes, sachez que l'Association du diabète juvénile a témoigné récemment devant nous et affirmé très clairement que la recherche sur les cellules embryonnaires était nécessaire.
Les scientifiques semblent mettre énormément l'accent sur les cellules souches embryonnaires. Ce que vous nous dites aujourd'hui et ce que nous disait aussi un autre témoin hier... En fait, l'épidémiologiste qui comparaissait hier nous a expliqué qu'après 20 ans de recherche sur les cellules souches embryonnaires de souris, nous nous étions fait avoir, comme elle disait. En 20 ans, la recherche n'a pas rempli ses promesses; et il est curieux de voir que les scientifiques continuent à nous promettre des merveilles avec les cellules souches humaines, alors que les recherches sur les cellules souches de souris ont échoué.
Ce que vous nous avez dit au sujet des progrès très récents dans les cellules adultes m'intéresse, car les six ou douze dernier mois ont été fertiles en percées scientifiques. Même la recherche que vous nous avez mentionnée est de toute dernière actualité; ce que vous avez dit au sujet des cellules souches dermales qui peuvent se trouver dans les follicules pileux m'a particulièrement intéressé. À votre avis, est-il possible que les avantages énormes qu'on nous a promis à partir des cellules souches embryonnaires puissent être obtenus plus facilement par la recherche sur les cellules souches adultes?
M. David Prentice: Il est presque admis que les traitements thérapeutiques proviendront des cellules souches adultes plutôt que des cellules souches embryonnaires. De fait, dans le cadre de discussions que j'ai eues avec des partisans des cellules souches embryonnaires, ceux-ci ont admis que les bienfaits thérapeutiques proviendraient plutôt des cellules souches adultes. Mais dans ce cas, pourquoi continue-t-on à préconiser la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines? La réponse réside dans la question que j'ai évoquée au début de mon témoignage, l'idée d'essayer de discerner quels moyens ou gènes particuliers permettent de différencier un type de cellule en un autre type.
Je répète qu'il est parfaitement illogique de remonter au tout début d'une transformation pour essayer de déterminer comment il est possible d'obtenir une cellule souche adulte pour ensuite l'utiliser. Après tout, nous avons réussi à isoler assez facilement dans bien des cas des cellules souches adultes. Elles se multiplient facilement en culture, et tout semble indiquer qu'il est possible de transformer ces cellules souches adultes en à peu près n'importe quel tissu.
M. James Lunney: Vous avez dit qu'elles se multiplient facilement en culture, et pourtant certains des témoins nous ont affirmé qu'il était difficile de faire proliférer en culture les cellules adultes. Ils semblent croire au contraire que seules les cellules embryonnaires prolifèrent en culture. Y a-t-il des preuves de cela?
M. David Prentice: Oui. Je crois qu'il s'agit depuis le début d'un problème technique. Dans mon propre pays, la National Bioethics Advisory Commission s'est penchée sur la question et, dans son rapport de septembre 1999, elle a signalé que l'on ne pouvait justifier l'utilisation à des fins de recherche d'embryons humains lorsqu'il y avait une autre source posant moins de problèmes moraux. Mais à l'époque, on n'avait pas de preuves scientifiques, en tout cas pas autant.
Vous avez raison de signaler que les grandes percées se sont faites dans les six à douze derniers mois. Vous voyez que tout a évolué très rapidement et il se peut que certains scientifiques ne soient même pas au courant de certains des résultats. Mais sur la diapositive que je vous montrais des cellules se multipliant presque indéfiniment... c'est tiré d'un rapport publié au début du mois. Même avant, d'abondantes références démontraient que les cellules souches adultes pouvaient croître en culture.
À l'heure actuelle, on fait justement référence au laboratoire de Ray Chiu à McGill, mais la citation la plus récente sur les cellules souches de moelle osseuse répond à la question. On prétendait que l'un des avantages de cultiver des cellules embryonnaires, c'est qu'elles pouvaient se développer en culture à tout jamais, dans la mesure où on pouvait les mettre en culture, ce que l'on avait de la difficulté à faire, comme je le disais. Il ne fait aucun doute qu'elles peuvent continuer à se développer en culture.
• 1605
L'une des questions qui se pose est de savoir comment les
arrêter et obtenir les tissus dont on a besoin mais pas une tumeur?
Il n'y a aucun signe de formation tumorale après transplantation
d'une cellule souche adulte. On peut les cultiver pour obtenir des
quantités de tissus cliniquement utilisables, et cela a d'ailleurs
déjà été fait. L'été dernier, j'ai témoigné devant ma propre
Chambre des représentants en compagnie d'un jeune homme de 16 ans
dont la leucémie avait récidivé. À l'âge de 14 ans, il avait été
traité au moyen de cellules souches provenant du sang de cordon
ombilical. Deux ans plus tard, il était guéri. Il avait fallu
cultiver certaines de ces cellules en laboratoire afin d'en avoir
suffisamment étant donné la taille qu'il avait à son âge.
L'été dernier, le New England Journal of Medicine a signalé le traitement d'une cinquantaine de patients adultes souffrant de différents types de cancer à partir de cellules souches provenant du sang de cordon ombilical, une procédure qui, là aussi, avait nécessité la culture de ces cellules. Lorsqu'on dit qu'il est impossible de cultiver des cellules souches adultes en quantités utilisables, c'est tout simplement faux.
M. James Lunney: Dans la même veine, pourriez-vous expliciter le fait que, de toute évidence, ces cellules provenant du sang d'un cordon ombilical n'étaient pas autologues? Certes, il y a transplantation dans l'organisme d'autres patients, mais ces patients doivent-ils prendre des médicaments anti-rejet?
M. David Prentice: Il se fait qu'il est relativement facile d'obtenir un bon appariement avec des cellules souches provenant du sang d'un cordon ombilical, par opposition aux cellules provenant d'autres types de tissus, même de la moelle osseuse. Il est moins indispensable d'obtenir une correspondance parfaite, et par ailleurs les cellules sont également naïves. Votre système immunitaire, comme le mien d'ailleurs, a été exposé à différentes maladies, le rhume par exemple, ainsi qu'à des allergènes comme le pollen et la poussière, mais les cellules souches provenant du sang d'un cordon ombilical n'ont pas encore acquis cette sensibilité particulière, de sorte qu'elles sont beaucoup plus faciles à manipuler dans le cas d'un traitement.
M. James Lunney: Puisque c'est le cas, il est intéressant que les chercheurs ne soient pas tout feu tout flamme pour approfondir plutôt cette procédure que l'utilisation d'embryons, qui reste néanmoins extrêmement énergique.
M. David Prentice: En effet. Une autre recommandation possible serait la création d'une banque publique de sang provenant de cordons ombilicaux étant donné que le plus souvent, les cordons ombilicaux et les placentas sont purement et simplement détruits. D'ailleurs, pour que ce jeune homme profite d'une bonne correspondance—bonne, mais pas nécessairement parfaite—il avait fallu faire venir un cordon ombilical d'Espagne. Dans mon pays, nous insistons beaucoup pour qu'une banque de ce genre soit créée précisément pour cette raison.
M. James Lunney: Je vous remercie.
La présidente: Merci, monsieur Lunney.
Madame Picard.
[Français]
Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): Bonjour.
Vous nous recommandez d'interdire les interventions au niveau des cellules germinales. Pourtant, il y a certains scientifiques qui y voient une façon d'éliminer des maladies héréditaires ou génétiques. Pourquoi faites-vous cette recommandation?
[Traduction]
M. David Prentice: Dans le cas des maladies héréditaires, le problème qui se pose dans le cas d'un traitement au moyen de cellules souches ou, plus généralement encore, dans le cas d'un remplacement par recombinaison génétique, ne se situe pas au niveau du traitement d'un individu déjà né. Il s'agit plutôt de modifier l'ovocyte, le spermatozoïde ou l'embryon à peine formé afin que les changements puissent se transmettre aux générations futures. Il ne s'agit pas d'un problème qui concerne l'élimination des maladies héréditaires. Il faut plutôt se demander ce que nous savons vraiment du point de vue des changements que nous pouvons provoquer et qui pourraient se transmettre aux générations futures.
• 1610
D'après ce qu'on sait actuellement, il y aurait environ
70 000 gènes humains. Ce nombre augmente au fil des découvertes qui
se font dans le cadre du projet sur le génome humain. Tous ces
gènes doivent agir l'un sur l'autre dans un subtil équilibre de
gènes, de cellules et de tissus pendant tout le développement. Je
ne pense pas pour l'instant que nous soyons suffisamment malins
pour savoir comment éliminer un gène distinct sans risquer
d'influer sur les 70 000 autres.
Ce qui est intéressant également, c'est qu'à mesure que nous comprenons mieux certains gènes qui, c'est ce que nous pensions, étaient uniquement dangereux, nous découvrons que ces gènes peuvent également être utilisés différemment dans l'organisme. Un excellent exemple de cela est le gène du drépanocyte. On a découvert que ce gène protégeait contre le paludisme. Par conséquent, ça ne serait peut-être pas une si bonne idée que cela d'éliminer totalement ce gène du patrimoine génétique humain, à tout le moins de le répercuter sur les générations futures.
Je proposerais plutôt de faire de la recombinaison génétique somatique à partir de ce spécimen afin de modifier le génome de manière à réparer le défaut.
Je pourrais également signaler que la première expérience réussie de recombinaison génétique sur l'homme a été effectuée il y a environ 18 mois en France sur des petits enfants, des bébés qui souffraient du syndrome communément appelé du «bébé-bulle». Ces enfants souffrent d'une déficience grave du système immunitaire. Les médecins ont réparé ce défaut génétique en prélevant dans l'organisme de ces bébés des cellules souches adultes, des cellules souches de moelle osseuse, en remplaçant le gène en question en milieu de culture et en le réimplantant dans l'organisme du bébé. Que nous sachions, ces enfants sont maintenant guéris et ne présentent plus ce défaut génétique.
[Français]
Mme Pauline Picard: J'ai une autre question, madame la présidente.
En fin de semaine, dans certains articles de journaux, on disait qu'une compagnie pharmaceutique ou un laboratoire—je pense qu'il s'agit d'Advanced Cell Technology qui se trouve aux États-Unis—avait réussi à faire le clonage d'embryons humains. Vous avez sûrement vu ces articles. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s'est passé? Je vous demande cela parce que d'autres articles sont venus dire que ce n'était pas vraiment sérieux. En tout cas, j'ai de la difficulté à comprendre ce qui s'est passé. Est-ce qu'ils ont vraiment réussi à faire le clonage d'embryons humains?
[Traduction]
M. David Prentice: Effectivement, et d'ailleurs, j'en ai même discuté à une ou deux reprises avec Michael West, le président de la compagnie.
Je pense que la réponse rapide à cette question serait oui, Advanced Cell Technology a effectivement cloné un embryon humain. Il s'agit du premier rapport scientifique qui ait été publié à ce sujet. Je dois signaler qu'il y a environ deux ans, la même compagnie avait cloné un embryon humain en prélevant le matériel génétique d'une cellule humaine et en le transplantant dans un ovocyte de vache. Mais manifestement, la compagnie n'a pas publié le résultat de cette expérience dans les journaux scientifiques.
Sur le plan technique, on pourrait néanmoins dire qu'elle a procédé au clonage d'un embryon humain. La communication en question faisait en fait état de trois résultats et je pourrais ajouter que, sur le plan scientifique, il y a lieu de s'interroger étant donné la rareté des résultats réels. Il s'agissait en l'occurrence d'une communication qui avait été publiée à la hâte, probablement afin que la compagnie en question puisse s'attribuer le mérite scientifique de la chose.
Dans un cas en particulier, un embryon humain avait été cloné en implantant dans un ovocyte le noyau d'une cellule de peau. À toutes fins utiles, ce clone monocellulaire ne s'est jamais divisé et donc, c'est cela qui avait échoué.
Dans un autre cas, et celui de l'expérience réussie, on avait prélevé une toute petite cellule qu'on appelle cumulus, une cellule qui est ovulée avec l'ovocyte, et on avait utilisé ce matériel génétique dans l'ovocyte. C'est ce clone d'embryon qui avait fini par produire six cellules. D'ailleurs, la compagnie a effectué le clonage et avait réussi à obtenir le développement limité d'un embryon. Mais le fait de s'arrêter après six cellules ne lui a pas donné les résultats qu'elle cherchait, c'est-à-dire la formation de cette sphère creuse où toutes les cellules sont au centre, cellules utilisables pour obtenir des cellules souches embryonnaires. L'embryon ne s'est pas développé jusqu'à ce stade.
• 1615
La communication dont je parle citait également un autre
résultat, et je peux vous dire que j'ai lu le rapport dans son
intégralité. Je l'ai rapidement téléchargé dès que la nouvelle a
été connue. Il s'agissait en l'occurrence de la production d'un
embryon humain, non pas par clonage, mais par parthénogénèse, un
phénomène pendant lequel l'ovocyte n'est pas privé de son matériel
génétique, mais est incité à dédoubler celui-ci, ce qui produit une
série complète de chromosomes humains. Ces embryons se sont
développés jusqu'au stade de la formation de la sphère creuse, ce
qui avait permis un développement plus long de l'embryon mais, dans
un certain sens, cette expérience fut également un échec étant
donné que les sphères creuses en question étaient vides et ne
contenaient aucune cellule souche embryonnaire.
On peut donc dire en somme que Michael West et Advanced Cell Technology ont été les premiers à publier les résultats du clonage d'un embryon humain. Ces résultats ne sont pas très bons. Dire que cela ne porte pas à conséquence reviendrait à ignorer tout le battage que les médias ont fait sur cette découverte et sur la possibilité qu'en bout de ligne, cette technique puisse servir à fabriquer des embryons humains, que ce soit pour la production de cellules souches ou à des fins d'implantation pour produire un bébé.
[Français]
Mme Pauline Picard: Selon vous, pourquoi certains scientifiques s'acharnent-ils tant à travailler sur les cellules embryonnaires alors qu'on obtient des résultats avec les cellules souches adultes? Pourquoi s'acharnent-ils tant à travailler sur les embryons alors que ceci pose vraiment des problèmes d'éthique? Selon moi, on ne sait pas où est la limite. Est-ce que cela ne devient pas une attaque à la dignité humaine? Qu'est-ce qui les pousse à faire ce travail alors qu'on obtient des résultats avec les cellules souches adultes?
[Traduction]
M. David Prentice: Je pense qu'il y a plusieurs motifs à cela, et je ne veux pas faire de procès d'intention à qui que ce soit, même si nous pouvons avancer quelques conjectures.
La réussite scientifique, la gloire ou le statut scientifique, si vous préférez, se mesure à l'aune des communications scientifiques que vous publiez et de l'envergure des subventions que vous recevez. Par conséquent, la ruée vers la recherche sur les cellules souches embryonnaires—je le sais au moins dans le cas de mon propre pays—a été largement animée par la volonté d'obtenir plusieurs milliards de dollars de subventions fédérales, mais certainement aussi par la volonté d'être le premier à réclamer la paternité d'un nouveau protocole scientifique.
Cela dit, je ne pense pas que l'on puisse dire nécessairement que la science est neutre quand il s'agit de ces aspects en particulier, à savoir l'utilisation ou non des embryons humains. Je pense que la science elle-même doit être en mesure de jeter un regard éthique sur certaines des expériences que l'on propose de faire. Je ne crois pas du tout que le progrès scientifique se poursuivra sans qu'il y ait moyen de le contrôler, surtout quand on pense à certains aspects négatifs susceptibles d'accompagner le progrès.
Erwin Chargaff, qui est un biochimiste allemand de renom—ses travaux ont rendu possibles les recherches de Watson et Crick sur l'ADN—ne propose pas d'arguments religieux au débat, mais il estime néanmoins qu'il y a des choses que les scientifiques ne devraient tout simplement pas faire.
La science a tendance à nous dépasser. En tant que scientifique, je suis très curieux de découvrir les limites de ce que je peux faire, vers où une expérience pourrait mener. Toutefois, s'agissant de cet aspect en particulier de la destruction d'un être humain, il faut voir les choses en face: scientifiquement, même s'il ne s'agit que d'une seule cellule, nous sommes des êtres humains en raison de notre génome, nous ne sommes pas des singes, ni des vaches. Chargaff dirait que l'utilisation des embryons humains est une forme de réification. D'après lui, l'utilisation de ces embryons pour les simples avantages qu'ils pourraient procurer à d'autres est une forme de cannibalisme capitaliste. Le véritable problème est manifestement d'ordre éthique. Le jeune être humain est-il une personne ou un bien dont nous pouvons disposer comme bon nous semble?
Pour ma part, j'aime m'appuyer sur les preuves scientifiques, ce qui me fait dire que malgré l'utilisation possible que l'on pourrait faire des cellules souches d'embryons humains, les innombrables sources scientifiques publiées disent que cela n'est pas nécessaire. Abstraction faite de la dimension éthique, les données scientifiques montrent clairement que les cellules souches adultes peuvent accomplir les mêmes fonctions présumées que les cellules souches embryonnaires. C'est pourquoi je crois que nous pouvons opter pour cette orientation avec succès et, ce faisant, éviter le dilemme éthique.
La présidente: Je vous remercie, madame Picard.
Madame Wasylycia-Leis.
Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Centre-Nord, NPD): Merci beaucoup pour votre exposé. Je voudrais insister sur toute cette question de l'application d'une interdiction de clonage humain. L'avant-projet de loi dont nous sommes saisis réclame l'interdiction catégorique du clonage tant à des fins thérapeutiques que reproductives.
Dans votre pays, les entreprises qui reçoivent des fonds fédéraux sont soumises à des restrictions, c'est ainsi que votre président a essayé d'orienter la recherche, mais cela n'empêche pas les entreprises privées de faire la recherche quand même. Voici alors ma première question: souhaiteriez-vous une interdiction catégorique de ce genre dans votre pays, la même que celle que vous préconisez aujourd'hui?
M. David Prentice: Vous parlez du clonage?
Mme Judy Wasylycia-Leis: Oui.
M. David Prentice: Absolument, je suis pour une interdiction totale, même que j'ai collaboré avec le sénateur Sam Brownback et le membre du Congrès Dave Weldon à la formulation du projet de loi.
Le projet de loi parrainé par Weldon et Brownback sur l'interdiction totale du clonage humain a été adopté par notre Chambre des représentants l'été dernier, le 31 juillet plus précisément. Il est intéressant de noter que le projet de loi a été adopté par une majorité de plus de 100 voix. Pour le moment, il est bloqué au niveau du Sénat, mais en raison d'autres événements, notamment la tragédie du 11 septembre; il a été relégué au second plan. Cela dit, avec les récents événements, il a refait surface.
Pas plus tard qu'hier, le sénateur Brownback a demandé au Sénat l'adoption du projet de loi. De son côté, le président Bush a recommandé son adoption par le Sénat et s'est dit fortement favorable à une interdiction totale. À cette étape-ci, il est difficile de prédire le sort que lui réservera le Sénat. Le Sénat a promis que le projet de loi fera l'objet d'un débat et qu'il sera mis aux voix en mars ou avril prochain, mais en raison des récents événements, on s'emploie activement à faire adopter le projet de loi par le Sénat dans les semaines qui viennent.
Je voudrais également vous signaler que la semaine dernière, je me suis entretenu en Europe avec des parlementaires britanniques et européens. Le Parlement européen a approuvé un rapport recommandant l'interdiction totale du clonage humain pour quelque raison que ce soit.
Mme Judy Wasylycia-Leis: Selon vous, quelles sont les chances que votre pays opte pour une interdiction totale? Je pose la question, parce que compte tenu de la prédominance des États-Unis dans ce domaine, cela ne changera pas... Cela changera quelque peu les choses au Canada si nous devions suivre cette voie, mais nous continuerons quand même d'être obnubilés par le genre de recherche que font actuellement les entreprises privées, et nous continuerons de subir des pressions énormes pour que nous approuvions des demandes de brevets et que nous avalisions la recherche faite dans tout ce domaine. Je me demande comment nous pourrions régler ce problème et travailler ensemble à adopter une interdiction générale, à l'échelle mondiale.
M. David Prentice: Je pense que ce projet de loi a au moins 50 p. 100 de chance d'être adopté par le Sénat dans les semaines à venir. Peut-être sera-t-il reporté à mars ou avril, mais si tel est le cas, il y aura de plus fortes chances que l'interdiction totale du clonage humain soit approuvée par le Congrès américain. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le président Bush a lancé un appel pour que l'on interdise totalement le clonage humain.
Je vous signalerais également que la Grande-Bretagne, où le débat a porté sur la distinction entre ce que l'on appelle le clonage thérapeutique et le clonage reproductif, vient de découvrir il y a deux semaines, grâce à une poursuite judiciaire, que sa législation actuelle ne couvre même pas le clonage humain, et c'est pourquoi on essaye de faire adopter rapidement un projet de loi contenant une seule ligne qui vise à imposer une interdiction simple, projet de loi dont j'ai eu l'occasion de discuter avec lord Alton et qui n'interdirait que l'implantation d'un embryon cloné chez une femme.
L'avocat qui a entamé cette poursuite judiciaire m'a déjà dit que ce projet de loi comporte de nombreuses failles juridiques. L'interdiction d'un type de clonage plutôt qu'un autre semble en réalité être impossible. L'été dernier, notre congrès s'est lancé dans le même débat, à savoir l'interdiction du seul clonage reproductif ou du clonage humain sous toutes ses formes. Le projet de loi en question n'aurait interdit que le clonage reproductif.
• 1625
En réalité, une fois le clone produit, il n'y aurait
pratiquement rien pour empêcher un scientifique sans scrupules de
l'implanter chez une femme. Alors, pour être efficace, il faut
interdire le clonage humain dès le départ. Si on mettait des
embryons clonés dans un congélateur à côté d'embryons fertilisés in
vitro, et que l'on donnait à quelqu'un un flacon contenant des
embryons, il ne serait pas en mesure de les distinguer.
Mme Judy Wasylycia-Leis: Si nous devions opter pour une interdiction catégorique du clonage humain, est-ce qu'on ne risquerait pas de s'exposer à des pressions à l'autre bout de la part des cliniques de fertilité privées qui encouragent la surproduction d'oeufs humains pour produire des embryons à des fins de recherche, en contournant l'interdiction?
M. David Prentice: C'est possible. Le clonage humain porte justement sur cette question, car il nécessite un nombre considérable d'oocytes humains, d'oeufs humains. En fait, James Thompson que j'ai cité tout à l'heure et qui est à l'origine des cellules souches d'embryons humains a dit que les cellules souches ne seront probablement pas utilisées à des fins de clonage humain, étant donné toutes les difficultés que cela suppose, y compris le manque d'oeufs.
L'autre problème que pose la création d'embryons selon la méthode traditionnelle, si vous me passez l'expression, plutôt qu'au moyen du clonage, mais bien au moyen de fertilisation in vitro... Encore une fois, une de mes recommandations a été de dire que les embryons humains ne doivent pas être produits aux seules fins de recherche. Le Parlement européen a adopté des dispositions législatives en ce sens. Au Congrès américain, je sais que le sénateur Brownback déposera un projet de loi le printemps prochain pour bloquer cette activité. Le Jones Institute a annoncé l'été dernier qu'il faisait de la recherche sur des cellules souches, ce qui a suscité tout un tollé.
Le problème encore une fois, en toute franchise, notamment en ce qui concerne la santé de la femme, c'est qu'il faut administrer aux femmes des doses énormes d'hormones pour obtenir des oeufs, et c'est fait peut-être sous prétexte que l'on produit des embryons en vue de les implanter, c'est-à-dire en vue de la fertilisation in vitro. Je crois que nous devrions plutôt aller dans le sens contraire, c'est-à-dire en ne surproduisant pas des embryons pour quelque raison que ce soit. En fait, on peut désormais, avec succès, congeler des oeufs, plutôt que d'avoir à produire des embryons, puis les congeler. Ce serait une façon plus logique de procéder, au lieu d'avoir à stocker des embryons dans un congélateur.
Mme Judy Wasylycia-Leis: Une petite dernière, s'il vous plaît?
La présidente: Madame Wasylycia-Leis, vous avez pris presque trois minutes de plus que prévu. Je passe à Mme Sgro.
Mme Judy Sgro (York-Ouest, Lib.): Merci. Je suis la cinquième à prendre la parole et je me rends compte que, depuis le début, j'ai à peu près les mêmes dilemmes que les autres membres du comité.
Monsieur Prentice, vous soulevez des questions intéressantes. Si vous aviez été le seul à venir témoigner, vous nous auriez grandement simplifié la vie. Les décisions seraient plus faciles à prendre, et nous pourrions faire avancer le dossier sur plusieurs fronts. Malheureusement, il y a toujours quelqu'un d'autre qui vous suivra et qui affirmera avec insistance qu'il est trop tôt pour se prononcer sur l'avenir des cellules souches adultes. Ces gens expliqueront qu'il vaut mieux utiliser les cellules souches embryonnaires plutôt que les adultes.
À vous entendre, il suffirait de suivre son instinct et d'interdire la recherche sur les cellules souches embryonnaires pour les cinq prochaines années peut-être. Mais d'autres témoins ne semblent pas être aussi confiants que vous en l'avenir des cellules souches adultes.
Depuis quand s'effectue la recherche sur les cellules souches adultes, et cela vous autorise-t-il à être aussi confiant?
M. David Prentice: Il est intéressant de comparer les deux recherches au fil des ans. On n'est parvenu qu'en 1998 à dériver les cellules souches embryonnaires humaines, mais l'utilisation de cellules souches embryonnaires de souris remonte à 1981, c'est-à- dire à il y a 20 ans. Certains des travaux sur les cellules souches de moelle osseuse sont dérivés des activités de greffe de la moelle osseuse, greffes qui sont effectuées en clinique depuis au moins 20 ans. Mais les intéressants travaux visant à la transformation d'un tissu à un autre ne remontent qu'à deux ou trois ans.
• 1630
Je sais bien que vous tous ne cessez d'entendre des
affirmations contradictoires. Je vous suggère de demander à tous
ceux qui affirment que les cellules souches adultes ne peuvent se
transformer aussi bien que les cellules souches embryonnaires de
vous en fournir les preuves scientifiques. Je ne vous demanderai
pas d'essayer de comprendre tout le jargon scientifique, mais
lorsque vous aurez reçu les documents que j'ai fournis au comité,
essayez de les parcourir. La liste des travaux n'est certainement
pas exhaustive, mais j'ai tenté dans certains cas de vous expliquer
en termes profanes toutes les expressions scientifiques.
D'ailleurs, on signale presque à chaque semaine une nouvelle percée scientifique, voire plusieurs percées avec les cellules souches, dont la grande majorité sont des cellules souches adultes. On publie très peu de réussites avec les cellules souches embryonnaires. Il pourrait être instructif de demander aux défenseurs des cellules souches embryonnaires de vous fournir une liste de références semblable à celle que je vous ai fournie et qui énumérerait les réussites dans ce type de recherche.
Mme Judy Sgro: Mais justement, vous venez de dire que les cellules souches adultes existent depuis 1981, et pourtant il n'y a pas eu énormément de... Cela ne fait que quelques années que nous en entendons parler. Je suis convaincue qu'on nous répliquera qu'il est possible de faire beaucoup plus avec les cellules souches embryonnaires plutôt qu'adultes, sinon pourquoi la recherche sur les cellules souches adultes ne serait-elle pas plus avancée aujourd'hui qu'elle l'est?
M. David Prentice: Les cellules souches embryonnaires de souris ont été dérivées en 1981 et nous utilisons depuis à peu près la même époque la moelle osseuse pour effectuer des greffes de moelle osseuse.
Les premières références de la liste de cas cliniques que je vous ai transmise portent justement sur la réparation ou le remplacement des tissus hématopoïétiques, donc servant à traiter l'anémie. Pour traiter les cancers, on retire les cellules souches de moelle osseuse du patient, on leur fait subir une chimiothérapie ou radiation à dose élevée et on retransplante dans les patients leur propre moelle osseuse.
Mais les résultats intéressants... Pendant un siècle, on a pensé que l'être humain naissait avec un nombre maximal de neurones du cerveau et qu'à partir de la naissance, le nombre de neurones diminuait. Moi, je travaille sur le campus d'un collège et je sais bien que le samedi soir, les neurones se détériorent plus vite chez certains étudiants que chez d'autres. Mais ce n'est que depuis trois ans que l'on se rend compte qu'il y a des cellules souches neurales dans le cerveau et qu'elles agissent comme un jeu de dominos. Non seulement nous avons appris qu'il y avait croissance cellulaire, mais nous avons appris aussi que ces cellules pouvaient produire d'autres nerfs. Puis, nous avons découvert qu'elles pouvaient aussi se transformer en d'autres tissus comme un os ou un muscle.
C'est un nouveau domaine—j'en conviens—tout comme l'est la recherche sur les cellules souches embryonnaires ou même la recherche sur les cellules souches embryonnaires des primates. Mais les succès récents contredisent de façon convaincante 100 années de dogmatisme concernant les embryons et démontrent que les transformations que l'on ne prétendait possibles qu'avec les cellules embryonnaires sont aujourd'hui possibles tout autant avec les autres cellules de notre corps.
Toujours dans le cadre de cette alternative entre la cellule souche adulte et la cellule souche embryonnaire, vous pourriez vous reporter aux travaux de James Thompson dont je vous ai parlé: en effet, avant de dériver les cellules souches embryonnaires humaines, James Thompson a dérivé des cellules souches embryonnaires de primates. S'il est possible de faire des recherches en laboratoire ou avec des animaux avant de passer à des patients, il nous incombe de confirmer les assertions des chercheurs dans des modèles animaux avant d'utiliser des embryons humains.
Mme Judy Sgro: Bien, merci.
La présidente: Madame Thibeault.
Mme Yolande Thibeault (Saint-Lambert, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.
Une brève question seulement. Au cours des nombreux témoignages entendus, les chercheurs ont prétendu que les cellules souches adultes pouvaient éventuellement se reproduire avec leurs défauts, contrairement aux cellules souches embryonnaires. Pouvez- vous commenter cette affirmation?
M. David Prentice: Oui, et c'est une affirmation très importante, particulièrement si l'on songe à réinjecter au patient ses propres cellules souches pour éviter le rejet immunitaire.
• 1635
Il y a deux éléments qui démontrent que cela pourrait ne pas
être un problème. Le premier élément provient de l'expérience
génétique que j'ai mentionnée et au cours de laquelle on a fait
disparaître le défaut en remplaçant le gène défectueux dans les
nourrissons qui présentaient l'immunodéficience. Une des solutions,
ce pourrait donc être de faire de la recombinaison génétique sur
les cellules souches de façon à réparer la cellule défectueuse et
de la retransplanter, une fois réparée, dans l'individu.
Mais on nous a également signalé à deux ou trois reprises des cas d'individus ayant une maladie telle que le lupus érythémateux disséminé, maladie qui découle d'un défaut génétique dans un individu elle aussi... Ce qui est intéressant, c'est que les chercheurs ont retiré du malade des cellules souches de moelle osseuse et les ont mises en culture pendant un certain temps avant de les retransplanter dans les patients, mais sans pour autant les modifier génétiquement. Or, on a constaté quelque chose qui à ce jour demeure en grande partie inexpliqué: ces cellules mises en culture semblaient régénérées et n'étaient pas porteuses du défaut, ce qui leur a permis de se mettre à corriger le dommage. Il faut effectivement faire plus d'étude sur cette question pour déterminer si le changement constaté était permanent ou pas. Ces expériences remontent à peine à un an et demi ou 2 ans.
À l'heure qu'il est, ces patients semblent toujours bien se porter et n'ont pas régressé à l'état pathologique du début. Mais je répète que c'est un domaine dans lequel il faut faire plus de recherche. Si l'on souhaite un traitement permanent, il se pourrait qu'il soit impossible d'utiliser les cellules souches des malades et qu'il soit nécessaire de se tourner vers d'autres cellules compatibles comme, par exemple, les cellules souches sanguines provenant du cordon ombilical.
Mme Yolande Thibeault: Merci beaucoup.
La présidente: Monsieur Lunney.
M. James Lunney: Merci, madame la présidente.
Vous avez mentionné notamment la création de chimères. D'une part on traite ici de technologie destinée à aider à la reproduction de l'homme, et nous voilà en train de parler d'hybride entre l'animal et l'humain; on peut se demander comment il se fait que ces deux domaines se retrouvent au sein d'un même projet de loi, mais c'est la réalité. Dans le communiqué de presse qu'a publié hier Advanced Cell Technology, l'un des chercheurs principaux, le professeur Jose Cibelli, avouait avoir fusionné ses propres gamètes avec un ovule de vache, comme vous l'avez mentionné.
Vous pourriez peut-être nous aider là-dessus. J'imagine qu'il a utilisé une de ses cellules somatiques et qu'il en a transféré le matériel nucléaire dans l'ovule de vache?
M. David Prentice: En fait, il s'agissait du professeur Cibelli et non du professeur West. En effet, il a prélevé une de ses cellules dermales et l'a transplantée dans un ovule de vache. D'après la presse et d'après certaines des entrevues données par le professeur Cibelli, on a obtenu des embryons aux premiers jours de leur formation, ce qui prouve que l'on a réussi à dépasser les premières cellules. J'imagine que les embryons ont été détruits par après, ou qu'ils n'ont pas survécu.
Ce qui est intéressant ici, ce n'est pas que ce clone pourrait éventuellement décider d'aller paître sur le gazon devant chez vous, mais plutôt que l'on ferait entrer dans le germen humain certains types de gènes qui pourraient être transmis aux générations futures. Dans ce cas particulier, ces gènes proviendraient non pas du matériel nucléaire produit, mais de ce que l'on appelle les mitochondries, qui sont de petits générateurs d'énergie à l'intérieur de nos cellules. Chez les humains, il n'y a que 13 gènes qui résident dans ces petites mitochondries génératrices d'énergie. Mais nous ne savons pas avec certitude quelle est l'interaction entre ces 13 petits gènes et le génome nucléaire. En fait, certaines des protéines de ces petites mitochondries doivent être codées dans le génome nucléaire. Et nous ne savons pas s'il y a véritablement échange dans l'autre sens.
Le fait que la question n'obtienne pas de réponse devrait nous faire ralentir les tentatives de mélanges entre les gènes animaux et les gènes humains. Mais en bout de ligne, la grande question qu'il faut se poser c'est: Quels effets l'ajout d'un autre type de gène animal ou non humain au génome humain pourrait-il avoir sur l'avenir de l'humanité?
M. James Lunney: Étant donné la richesse du génome humain et la façon dont il s'exprime dans les six milliards d'êtres humains qui peuplent la planète, pourquoi les scientifiques voudraient-ils emprunter du matériel génétique d'un animal pour le transplanter dans un humain? Pouvez-vous nous exposer quelques hypothèses à ce sujet?
M. David Prentice: L'une des raisons, ce pourrait être possiblement pour tenter l'expérience. Tous les scientifiques sont des gens curieux, mais il faut à un moment donné décider que l'on ne tentera pas l'expérience pour voir si c'est possible.
Mais on pourrait aussi et décider que tant que l'on ne peut isoler le gène humain d'une maladie donnée, on pourrait utiliser un palliatif en l'empruntant d'un jeune animal. Ce qui pourrait sembler dans un certain sens relever davantage d'un scénario de science-fiction—même s'il ne l'est pas dans les circonstances actuelles—aurait pour conséquence d'ajouter une fonction additionnelle au génome humain.
Il faut que notre régime alimentaire comprenne certains acides aminés essentiels pour que nous puissions produire des protéines. Mais s'il était possible de produire ses propres protéines? S'il était possible de fabriquer ses propres antibiotiques? Je répète que nous en savons si peu sur la façon dont les gènes interagissent les uns avec les autres dans un corps qui fonctionne normalement qu'il me semblerait présomptueux de songer à ajouter des gènes supplémentaires à notre génome sans avoir à nous préoccuper des résultats éventuels.
M. James Lunney: Merci.
La présidente: Merci, monsieur Lunney et merci infiniment à M. Prentice.
Le greffier est en train de préparer tous les documents supplémentaires à l'intention des membres du comité, mais la difficulté vient de ce que la traduction de ces textes très techniques et des références bibliographiques prend beaucoup de temps.
Je me demande comment Mme Picard réagirait si elle devait recevoir toute cette information très scientifique en anglais? Cela lui poserait-il un problème, étant donné qu'il nous faudra peut- être attendre longtemps avant que cela ne soit traduit?
Ai-je votre permission pour distribuer tous ces documents en anglais, quitte à les faire traduire et à les distribuer plus tard en français?
[Français]
Mme Pauline Picard: Oui, vous avez ma permission.
[Traduction]
La présidente: Nous allons veiller à vous fournir une copie en anglais en même temps que les autres.
[Français]
Mme Pauline Picard: Je vous remercie, madame la présidente.
[Traduction]
La présidente: Merci beaucoup.
Merci, monsieur Prentice. Votre participation a été très intéressante. Certains des membres du comité voudront peut-être s'entretenir avec vous maintenant, mais pour ma part, je dois suspendre la réunion afin de donner le temps aux techniciens de préparer la téléconférence.
M. David Prentice: Merci beaucoup.
La présidente: La séance est suspendue.
La présidente: Nous reprenons la séance du Comité de la santé. Nous tenons à souhaiter la bienvenue à M. Eric Meslin, directeur du Centre de bioéthique de l'Université de l'Indiana. Soyez le bienvenu parmi nous, monsieur Meslin. Merci de votre patience aussi toutes nos excuses: nous avons été retardés par un vote à la Chambre. Maintenant, sans plus tarder, je vous cède la parole. Vous pouvez nous lire votre exposé, après quoi, si vous le voulez bien, nous allons vous poser des questions.
M. Eric M. Meslin (directeur, Centre de bioéthique de l'Université de l'Indiana): Merci beaucoup, madame la présidente, bonsoir.
Laissez-moi d'abord m'excuser de ne pas avoir pu me libérer pour venir témoigner à une occasion précédente. Je désire aussi exprimer ma gratitude envers le comité et son personnel de me donner l'occasion de témoigner devant vous par téléconférence. Je veux ajouter que c'est pour moi un honneur de témoigner devant ce comité sur une question d'importance à la fois nationale et internationale, le recours aux cellules embryonnaires en recherche.
Je m'appelle Eric Meslin. Je suis directeur du Centre de bioéthique de l'Université de l'Indiana, assistant-doyen de bioéthique, professeur de médecine et professeur de philosophie. Avant de venir à l'Université de l'Indiana, j'étais directeur exécutif de la Commission consultative nationale sur la bioéthique des États-Unis (NBAC), de sorte que bon nombre de mes observations découlent des délibérations de la Commission.
La NBAC a été créée par le président Clinton en 1995 pour conseiller la Maison-Blanche en matière de bioéthique. La Commission a préparé plusieurs rapports qui concernent vos audiences, mais je compte vous donner un aperçu d'un seul d'entre eux, intitulé Ethical Issues in Human Stem Cell Research (Les enjeux éthiques dans la recherche sur les cellules souches humaines), dans l'espoir que notre expérience sera utile à vos délibérations.
À la suite de l'annonce en 1998 que des cellules souches embryonnaires humaines et des cellules germinales embryonnaires avaient été isolées par deux équipes de chercheurs américains, le président Clinton a demandé à la NBAC d'effectuer «un examen complet des questions touchant la recherche sur les cellules souches humaines, en tenant compte de tous les aspects éthiques et médicaux». Nous avons déposé notre rapport à la Maison-Blanche en septembre 1999.
Notre objectif était de formuler une série de recommandations pour orienter les décisions du gouvernement fédéral en matière de soutien à la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines et limiter éventuellement cette aide. Nous avons abordé notre tâche en nous fondant sur un important principe: s'il est possible d'atteindre essentiellement les mêmes objectifs légitimes au moyen d'une politique qui n'offense pas les valeurs morales sincères de certains citoyens, il vaut la peine de le faire. Cela s'est révélé un défi de taille.
En tant que comité consultatif fédéral, nous avons ouvert toutes nos réunions au public, afin de donner le plus de transparence possible à nos délibérations. Nous avons sollicité l'avis des scientifiques, des éthiciens, des théologiens, des avocats, des fonctionnaires et du public. Je suis particulièrement heureux de signaler que nous avons profité du témoignage d'importants universitaires et scientifiques canadiens, et du travail antérieur de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction.
Laissez-moi maintenant aborder les positions de la NBAC sur les questions morales liées à la recherche sur les cellules souches, particulièrement sur celles touchant les diverses sources de ces cellules.
La NBAC a retenu trois sources de cellules embryonnaires: les cellules souches embryonnaires provenant des blastocystes et des embryons qui demeurent après les traitements de l'infertilité, les cellules germinales embryonnaires prélevées sur le tissu du foetus mort après une interruption volontaire de grossesse et enfin, les cellules SE provenant d'embryons créés par clonage, au moyen du transfert de noyaux de cellules somatiques (TNCS).
À l'époque, fin 1998 et début 1999, c'était les seules méthodes connues pour isoler et cultiver les cellules GE et SE humaines.
La première source de cellules embryonnaires est aussi l'une des plus contestées; il s'agit des embryons de reste après les traitements d'infertilité et dont on se serait autrement débarrassé. La loi américaine vise ce tissu, car elle interdit la création ou la destruction d'un embryon humain à des fins de recherche. Selon un avis juridique présenté en 1999 par le ministère de la Santé et des Services humains, comme la cellule souche n'est pas un embryon tel que défini dans la loi, des fonds fédéraux peuvent servir à la recherche qui fait appel aux cellules SE, mais non à la recherche qui détruit l'embryon ou crée des embryons aux fins de la recherche.
• 1810
Mon texte comporte certains tableaux et des chiffres qui vous
seront sans doute utiles dans le cours de mon exposé. Je me reporte
maintenant à la figure 2-3, dont le titre est «Isolement et culture
de cellules SE humaines à partir de blastocystes».
Des diverses questions éthiques que la NBAC a considérées au sujet de cette source, deux ont particulièrement retenu l'attention. La première concerne la valeur morale de l'embryon. La NBAC reconnaît la pluralité d'avis à cet égard, depuis ceux qui pensent que l'embryon humain n'est qu'une masse de cellules sans aucun droit, à ceux qui estiment qu'il a droit au respect accordé à toute personne vivante.
Évitant ces deux positions extrêmes, la NBAC a adopté une approche évolutive à cet égard, encourageant le respect de l'embryon comme forme de vie humaine non dépourvue de valeur morale, mais considérant qu'il ne mérite pas un respect absolu. Cette approche n'oblige pas à décider une fois pour toutes si l'embryon est un être humain, mais exige que les cellules soient obtenues d'une façon qui reconnaît leur qualité humaine. Elle empêche notamment le mépris envers l'embryon et les cellules qui en proviennent.
La deuxième question portait sur la distinction à établir entre l'obtention (ou «dériver») les cellules et utiliser ces mêmes cellules en recherche. L'avis de l'avocat général du ministère de la Santé de 1999 affirmait que l'interdiction fédérale de la recherche sur les embryons n'est pas enfreinte si on subventionne l'utilisation des cellules souches, et ici rappelons que ces cellules ne sont pas en soi un embryon selon la définition de la loi—mais confirmait également que les fonds fédéraux ne doivent pas servir à créer ou à dériver ces cellules. L'analyse juridique de la NBAC, que l'on trouvera dans un long document en annexe que je crois avoir fourni au greffier du comité, arrivait essentiellement à la même conclusion.
La NBAC s'est concentrée sur la question morale de savoir si la politique doit distinguer entre le financement de la dérivation de cellules embryonnaires (donc de la destruction de l'embryon) et le financement exclusif l'utilisation des cellules. Il ne fait aucun doute que les procédures sont dissociées et donc suffisamment distinctes pour justifier une évaluation morale différente. Ainsi, la dérivation soulève plusieurs questions morales: les embryons sont-il excédentaires aux besoins cliniques? Y a-t-il eu consentement suffisant du donneur? Et surtout, est-il jamais acceptable de détruire intentionnellement une vie, indépendamment des avantages que la procédure peut apporter.
En revanche, l'utilisation des cellules SE soulève des problèmes moraux moins graves une fois que la cellule fait partie d'une lignée cellulaire et est disponible dans un laboratoire, dans une boîte de Pétri ou un bloc de paraffine.
Sur le plan politique, il serait certainement plus simple de permettre l'utilisation et d'interdire la dérivation; c'est d'ailleurs la position adoptée par les instituts nationaux de la santé dans leurs directives provisoires de 2000, reprises plus tard par le président Bush dans son énoncé de politique du 9 août 2001. Cependant, une telle position présente des limites.
• 1815
D'abord, de l'avis de la NBAC, il est important que la
politique gouvernementale soit claire et uniforme sur le plan
moral. Comme l'a dit l'un de nos commissaires, financer
l'utilisation mais non la dérivation serait moralement douteux. Ce
serait comme prétendre qu'on ne connaît pas la source des cellules
qu'on va utiliser.
Deuxièmement, financer la dérivation favoriserait les progrès de la médecine que nous obtiendrons aux termes de cette entreprise scientifique, comme chacun le reconnaît. La synergie résultant de l'effort fédéral issu de la recherche faisant appel à la fois à la dérivation et à l'utilisation serait perdue, et l'on peut faire valoir que la recherche serait beaucoup plus longue si l'on finançait séparément l'utilisation et la dérivation.
Enfin, comme les bénéficiaires de l'aide fédérale doivent respecter les règlements fédéraux en matière de recherche, financer à la fois la dérivation et l'utilisation ferait en sorte que les promoteurs tant publics que privés feraient l'objet du contrôle et des mesures de transparence fédéraux. Pour ces raisons, la NBAC a recommandé que la recherche faisant appel à la fois à la dérivation et à l'utilisation de cellules SE provenant des embryons qui restent après les traitements d'infertilité soient admissibles au financement fédéral.
La deuxième source de cellules embryonnaires est constituée pour les cellules germinales tirées du tissu de foetus mort après une interruption volontaire de grossesse. Chose intéressante, la réglementation fédérale permet, dans des circonstances limitées, d'utiliser le tissu foetal pour la recherche sur les greffes. Je vous renvoie encore là à l'une des figures que je vous ai remises, soit la figure 2-1, qui s'intitule «Isolation et culture des cellules humaines SE provenant du tissu embryonnaire ou foetal».
La réglementation fédérale autorise l'usage limité du tissu foetal dans la recherche, mais on ne sait pas si l'auteur des règlements avait envisagé l'utilisation du tissu de foetus mort dans la recherche sur les cellules souches. On l'avait envisagée pour les greffes directes—par exemple, dans le cerveau d'une personne atteinte de la maladie de Parkinson—mais jamais dans ce domaine.
Comme on pouvait s'y attendre, cette source de cellules pose de graves problèmes à ceux qui ont des convictions affirmées à l'encontre de l'avortement, même si l'avortement est légal aux États-Unis et que des règlements fédéraux permettent une utilisation expérimentale limitée du tissu de foetus mort. En particulier, pour certains, être associé à un acte ou complice d'un acte qu'ils jugent mal ou immoral en soi ne peut justifier quelque progrès médical que ce soit. Pour d'autres, la question fait un peu moins problème, et pour d'autres encore, ce n'est pas un problème du tout. Dans une certaine mesure, et à mon avis pour les mauvaises raisons, bien des gens confondent l'éthique de la recherche sur les cellules souches avec celle de l'avortement. Comme je l'ai dit plus tôt, les cellules SE proviennent des embryons excédentaires après les traitements d'infertilité, et l'avortement n'est pas en cause ici.
La Commission a également étudié la question du consentement éclairé, en reconnaissant que, tout comme la décision d'une femme de mettre fin à une grossesse nécessite une information et un examen poussé, obtenir le consentement pour donner du tissu foetal est une condition préalable morale à l'utilisation de ce tissu pour des cellules GE. Craignant la coercition des femmes ou la commercialisation du processus, la Commission a notamment formulé les recommandations suivantes: les cellules embryonnaires ne peuvent être ni achetées ni vendues, et le consentement à l'avortement doit être distinct, à la fois sur le plan temporel—c'est-à-dire, dans le temps—et par la forme qu'il prend, du consentement à donner le tissu. Étant donné ces problèmes, nous avons recommandé que la recherche faisant appel à la dérivation et à l'utilisation de ces cellules devrait continuer d'avoir droit aux fonds fédéraux, mais qu'il faudrait apporter diverses modifications à la réglementation actuelle pour éviter toute confusion à cet égard.
Les cellules embryonnaires de la dernière catégorie, soit celles issues de la fertilisation in vitro ou du clonage par transfert de noyaux de cellules somatiques, ne diffèrent des cellules souches embryonnaires issues des traitements de l'infertilité que dans l'intention des chercheurs et des cliniciens qui les obtiennent. Je cite ici la figure 2-4, «Isolation et culture des cellules humaines SE du TNCS», ou transfert de noyaux de cellules somatiques. Ces embryons et les cellules SE qui en dérivent ont l'avantage d'être conçus pour des rôles et des fins spécifiques et d'être génétiquement apparentés aux receveurs potentiels de greffes thérapeutiques.
• 1820
Dans toute clinique de FIV, plusieurs embryons sont prélevés,
fécondés, congelés, utilisés, transférés, donnés ou jetés. Les lois
américaines interdisent de créer ou de détruire un embryon humain
aux seules fins de la recherche, donc la question de savoir si une
clinique de fertilisation in vitro aux États-Unis peut prélever et
fertiliser un, deux, trois, cinq ou même dix ovocytes est donc une
question de protocole local. Les embryons excédentaires d'une
clinique peuvent être les embryons d'une autre clinique que la
recherche a créés intentionnellement.
Nous avons soutenu que seuls les embryons qui ne sont plus destinés à traiter l'infertilité du couple et seraient autrement détruits, peuvent être utilisés pour dériver des cellules SE. Mais les mêmes cliniques et les laboratoires qui ne traitent pas l'infertilité, pourraient produire des embryons aux seules fins de la recherche, soit par FIV ou par clonage par transfert des noyaux de cellules somatiques, et ne contreviendraient pas à une loi ou à un règlement fédéral dans la mesure où l'institution ne reçoit pas de fonds fédéraux.
L'annonce récente d'Advanced Cell Technology—cette entreprise du Massachusetts qui a fait sa marque, non seulement la fin de semaine dernière mais il y a presque trois ans de cela jour pour jour, lorsqu'elle a dévoilé une autre expérience faisant intervenir la fusion d'un ovocyte et d'une vache—justifie amplement, à mon avis, une approche plus complète à la réglementation et au contrôle en cette matière. ACT n'a contrevenu à aucune règle fédérale en menant cette prétendue expérience.
Je vois bien qu'il est très difficile de légiférer sur l'intention d'un enquêteur, d'un scientifique ou d'un clinicien. Dans le cas de la recherche sur les cellules SE, il n'y a pas de différence moralement pertinente entre l'intention de créer un enfant et d'utiliser les embryons excédentaires par rapport à cette fin, d'une part, et l'intention de créer un embryon aux seules fins de la recherche, d'autre part.
Au moment où nous avons remis notre rapport, une réserve suffisante d'embryons excédentaires, et on disait qu'il y en avait entre 50 000 et 100 000, et l'absence d'un consensus social en faveur de la création d'embryons, nous ont conduit à recommander que la recherche utilisant des cellules SE produites à cette seule fin et provenant des embryons par FIV ou clonage, ne soit pas admissible au financement fédéral. Trois ans plus tard, je ne vois aucune raison de modifier cette recommandation.
J'aimerais terminer en faisant une observation qui est à mon avis pertinente dans le contexte des audiences de votre comité, et je parle de l'importance des opinions partagées sur cette question. La NBAC reconnaît que les gens puisent à diverses sources religieuses et non religieuses leur point de vue moral et les conseils à cet égard. La NBAC a sollicité elle aussi l'avis de nombreuses sources. Le Congrès américain et le personnel du Congrès—je sais que votre personnel appréciera cette anecdote—nous ont même rappelé à quel point il est important de prouver qu'on a fait l'impossible pour solliciter les vues d'un groupe divers avant de prendre une position définitive.
Pour mieux comprendre les difficultés d'ordre éthique, nous avons consacré une journée entière à l'audition de perspectives religieuses. Onze théologiens représentant cinq traditions religieuses ont témoigné devant la Commission.
• 1825
Fait à noter, nous avons sollicité l'avis de théologiens
différents de chaque tradition: trois catholiques romains, trois
juifs et trois protestants, un de l'Église orthodoxe orientale et
un de l'Islam.
Nous avons constaté des champs d'entente et de désaccord. Sur certains points, nous avons trouvé autant d'écart au sein d'une même religion qu'entre les religions. Ainsi, il y avait désaccord interne, au sein des mêmes religions, sur le statut moral de l'embryon, sur la question de savoir si l'utilisation de cellules GE provenant de foetus avortés constituait une complicité avec le péché d'avortement, et si la recherche sur les cellules souches devrait idéalement être financée par le gouvernement fédéral.
Par ailleurs, il y avait consensus sur le fait que la recherche sur les cellules souches n'est pas immorale en soi, et peut contribuer à soulager la souffrance humaine; que si la société choisit de financer la recherche, elle devrait le faire dans des conditions qui respectent le caractère humain de l'embryon; que si la société décide de poursuivre dans cette voie, il faut instaurer au préalable plusieurs conditions de justice distributive; enfin, que si la recherche privée doit continuer, elle doit faire l'objet du même examen et contrôle public que la recherche financée par le gouvernement fédéral.
Le système d'examen et de contrôle que nous avons proposé est calqué sur la structure actuelle de gouvernance de la recherche sur les sujets humains aux États-Unis, c'est-à-dire une combinaison d'examens locaux par des comités compétents—ce qu'on appelle au Canada les comités d'éthique de la recherche—et par un groupe national que nous avons appelé le National Stem Cell Oversight and Review Panel (Commission d'examen et de contrôle national sur les cellules souches).
À plusieurs égards, l'opinion de ces théologiens, religieux et laïcs reflétait la diversité profonde et raisonnée à laquelle on peut s'attendre dans une société pluraliste.
Il y a eu plusieurs développements depuis le dépôt du rapport de la NBAC. D'autres pays et des organismes internationaux comme l'UNESCO, le Conseil de l'Europe et la Commission européenne ont abordé la question et émis des déclarations, des politiques ou des directives.
Aux États-Unis, le Congrès a tenu de nombreuses audiences, et plusieurs instances ont élaboré des directives. La Chambre des représentants a adopté un projet de loi interdisant la recherche sur le clonage, et il y a en ce moment tout un tourbillon d'activités visant à obtenir le soutien du Sénat pour le même projet de loi. Cependant, le Sénat, du moins jusqu'à 17 heures aujourd'hui, lorsque j'ai pris place ici, n'avait pas encore agi.
L'énoncé de politique du président Bush du 9 août et les directives actuelles des NIH permettent une recherche limitée à partir des cellules souches embryonnaires ou à partir des lignées de cellules souches qui existent déjà. Cette politique, et les directives visant à la mettre en oeuvre, n'ont pas modifié le contexte légal de cette question aux États-Unis.
En résumé, la plus importante de nos recommandations dont je vous fais part aujourd'hui reflète l'avis que le financement fédéral américain de la recherche faisant appel aux cellules souches doit être limité de deux façons: premièrement, la recherche ne devrait faire appel aux tissus de foetus mort qu'après un consentement éclairé suffisant, ou qu'aux embryons qui demeurent après les traitements d'infertilité; et deuxièmement, le financement fédéral doit être subordonné à un système transparent de contrôle et d'examen national.
Je vous remercie vivement de l'attention que vous m'avez accordée dans ces conditions technologiques quelque peu difficiles.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Meslin.
Nous allons commencer avec un représentant de l'opposition officielle et ce sera M. Merrifield.
Monsieur Merrifield.
M. Rob Merrifield (Yellowhead, Alliance canadienne): Je tiens à vous remercier pour votre témoignage, et pour avoir accepté de dialoguer avec nous ce soir. Je pense que vous vous êtes débattu avec les mêmes problèmes que nous avons en comité.
En fait, je m'intéresse à plusieurs choses, mais le statut moral de l'embryon nous pose des difficultés au niveau du libellé. Je suis sûr que vous vous êtes butés au même problème. Pouvez-vous nous dire quel est le libellé qui a fait consensus au sein de votre commission?
M. Eric Meslin: Je comprends parfaitement votre question, monsieur Merrifield.
• 1830
Nous nous sommes débattus avec cela, et la preuve en est que
le débat a duré longtemps. Nous sommes parvenus à ce que
j'appellerais un consensus limité autour du libellé. Les termes que
nous avons utilisés sont «qui respecte le caractère humain de
l'embryon».
À notre avis, ces termes nous permettaient de capter deux notions importantes. Tout d'abord, nous n'avions pas réalisé un consensus autour d'une seule définition, que ce soit en science ou en droit, et encore moins en matière de morale, de religion ou d'éthique, pour ce qui est du statut moral de l'embryon. Nous savions qu'il y avait des vues très diverses à ce sujet, mais dans une commission de 18 membres représentant une population diverse, il était difficile d'obtenir ce genre de consensus, comme vous le comprendrez, j'en suis sûr.
Sachant que nous ne nous entendrions pas sur la définition complète d'un statut moral et légal identique à celui de l'adulte devant la loi, ou qu'il conviendrait d'une manière ou d'une autre de ne tenir aucun compte de l'embryon et de le désigner simplement comme un groupe quelconque de cellules, nous avons adopté ce que j'appellerais une approche évolutive, qui veut simplement dire que plus l'organisme est développé, l'entité ou l'embryon lui-même, plus il acquiert un caractère humain.
Nous savions que la cellule souche elle-même, qui était le sujet de notre rapport et de nos délibérations, n'était pas un embryon. Nous n'avions aucun mal à saisir cette distinction scientifique. Pour ce qui est de savoir si la cellule souche embryonnaire elle-même méritait ce genre de respect évolutif, nous étions d'avis que la cellule souche elle-même avait un statut moral inférieur à celui de l'embryon.
M. Rob Merrifield: D'accord. Vos conclusions m'intéressent. Vous dites qu'il n'existe en ce moment aucune loi autorisant le clonage qui s'est fait—le clonage thérapeutique qui a été annoncé la semaine dernière. Est-ce exact?
M. Eric Meslin: Oui, c'est exact.
M. Eric Merrifield: Si le projet de loi dont est maintenant saisi le Sénat était adopté, la situation changerait-elle?
M. Eric Meslin: Oui, à quelques égards. La Food and Drug Administration serait désormais autorisée à réglementer cette activité.
Il y a eu un débat au Congrès américain sur la question de savoir si la Food and Drug Administration est habilitée à réglementer le clonage humain. J'avoue que je ne suis ni avocat ni expert en réglementation, mais essentiellement, la difficulté, c'est de ranger les cellules souches embryonnaires ou même un embryon dans l'une des catégories d'éléments que la FDA a l'habitude de réglementer: un élément biologique, un médicament ou un mécanisme. C'est presque manquer de respect à l'embryon ou à la cellule souche que de dire qu'il s'agit d'un élément biologique, d'un médicament ou d'un mécanisme.
Donc les avocats qui débattent de ces questions ont essayé de clarifier cela, et le projet de loi au Congrès—le projet de loi au Sénat, s'il est adopté—voudrait autoriser la FDA à le faire.
M. Rob Merrifield: Donc, si je vous comprends bien, dans le cadre de la réglementation actuelle, et j'essaie seulement de comprendre, vous recommandez que le financement fédéral n'autorise pas la destruction de l'embryon.
M. Eric Meslin: C'est exact.
M. Rob Merrifield: Mais c'est la Food and Drug Administration, comme vous l'avez appelée...
M. Eric Meslin: Oui.
M. Rob Merrifield: ...qui imposerait peut-être des limites à l'utilisation privée des embryons.
M. Eric Meslin: Oui, c'est exact. Nos recommandations sont allées un peu plus loin que ce que j'ai dit dans mon exposé. Nous avons recommandé que même si ces deux sources que j'ai mentionnées—les cellules souches qui restent après les traitements d'infertilité et celles qui proviennent du tissu d'un foetus mort—seraient admissibles au financement, tant les instances publiques que privées, si elles devaient effectuer d'une telle recherche seraient assujetties à des contrôles fédéraux. Nous voulons que les entités des secteurs privé et public soumettent leurs protocoles de recherche à une commission nationale, le groupe que nous avons appelé la commission de surveillance des cellules souches.
M. Rob Merrifield: Si cela se faisait, il ne serait alors plus permis de tuer un embryon.
M. Eric Meslin: Je parie que si l'expérience d'ACT dont nous avons entendu parler la fin de semaine dernière avait été soumise à la commission dont nous proposons la création, non seulement elle aurait rejeté le projet en le déclarant peut-être contraire à l'éthique et non scientifique, mais jamais ce projet n'aurait été soumis à cette commission parce que nous n'avons pas recommandé que l'on autorise la création d'embryons.
M. Rob Merrifield: Merci beaucoup.
M. Eric Meslin: Donc cette recherche n'aurait pas pu être menée.
M. Rob Merrifield: Mon autre question—et j'ignore la nature des discussions qui ont eu lieu, mais vous pouvez peut-être nous éclairer—concerne la notion du droit des brevets en ce qui concerne ce genre de recherche. Pouvez-vous me dire ce que vous avez conclu de ce côté?
M. Eric Meslin: Nous avons discuté de la question des brevets, des gènes et des autres produits, dans un rapport distinct, mais pas dans celui-ci—un rapport que je peux fournir au comité qui s'intitule «Research Involving Human Biological Materials». Ce rapport portait expressément sur les gènes, les produits génétiques et l'ADN, mais il n'y était pas question du foetus ou de l'embryon. Nous voulions que ces deux débats demeurent distincts. À propos de la commercialisation, nous n'en faisons mention que dans une recommandation où il est dit qu'on ne saurait vendre ou acheter ces produits—des embryons—librement. Nous ne nous sommes pas prononcés sur la question des brevets dans ce rapport.
La présidente: Merci, monsieur Merrifield. Monsieur Lunney.
M. James Lunney: Merci, madame la présidente.
Merci, monsieur Meslin, pour votre exposé et pour votre patience ce soir.
Monsieur Meslin, la NBAC a remis son rapport en septembre 1999. Est-ce exact?
M. Eric Meslin: Oui.
M. James Lunney: Et vous avez mentionné dans votre exposé qu'il s'était produit beaucoup de choses intéressantes depuis. Au cours de la dernière année et demie, chose certaine, il y a eu des percées importantes dans la recherche sur les cellules souches adultes, et j'ai la certitude que vous avez suivi cela avec beaucoup d'intérêt. Nous avons entendu aujourd'hui même des témoignages au sujet du potentiel énorme que représente la recherche sur les cellules souches adultes.
Il s'agit peut-être d'informations dont votre commission ne disposait pas. Étant donné le potentiel considérable que présentent les cellules de la peau, qui sont tout aussi accessibles que les follicules des cheveux, qui comportent des cellules souches, ou les adipocytes, ou, comme nous l'avons entendu aujourd'hui, même le sang qui circule dans nos veines—étant donné que, par un processus d'agglutination et de centrifugation, on peut isoler les cellules souches même du sang qui circule dans tout être humain—diriez-vous que nous disposons aujourd'hui d'informations qui ajoutent une dimension entièrement nouvelle au débat? Et voudriez-vous nous en parler?
M. Eric Meslin: Bien sûr. Je comprends tout à fait la question.
J'ai la conviction que vous disposez de plus d'informations que nous n'en avions en novembre 1998 et au cours de l'année 1999. À l'époque, l'utilisation des cellules souches adultes, chose bien connue en théorie et en ce qui concerne la recherche sur les animaux, n'avait pas encore fait les manchettes des journaux ou des publications scientifiques.
Il est difficile d'imaginer ce que nous aurions pu dire si nous avions su ce que nous savons maintenant, mais je peux dire ceci. Nous avons constaté que, si l'on veut que la science avance, il faut procéder à des choix très difficiles en matière de priorités. Je peux dire, sans crainte de me tromper, que la Commission n'aurait pas fait un choix entre les cellules adultes et les cellules embryonnaires ou foetales, mais qu'elle aurait dit qu'il existait peut-être de bonnes raisons de financer les deux types de recherche.
Je dis cela parce que nous ne savons pas quelle est la valeur des cellules adultes parce que ce que nous savons de la différenciation ou de la reprogrammation des cellules adultes est récent. Dans un sens, nous ignorons si nous pouvons les déprogrammer et les reprogrammer ensuite différemment.
• 1840
Il y a beaucoup d'autres notions concernant le nombre de
choses qui peuvent se passer, et vos généticiens et vos biologistes
moléculaires vous en ont sûrement informé au cours de leurs
témoignages.
Cela dit, je crois que la Commission, après avoir entendu cet argument, était consciente de la possibilité qui s'offrait de faire avancer la recherche sur les cellules souches adultes, et elle était consciente que cette possibilité devait être saisie. Nous avons recommandé le financement de la recherche sur les deux sources de cellules souches, et non pas seulement embryonnaires à l'exclusion des cellules adultes et pas seulement adultes à l'exclusion des cellules embryonnaires.
À mon avis, le choix difficile qui attend tous les gouvernants est tributaire de la qualité des cellules qu'il faut avoir pour produire le genre de bienfait thérapeutique que nous recherchons. Ces cellules doivent-elles être parfaites, ou être tout simplement bonnes? Voilà pourquoi, dans mon exposé, j'ai énoncé le principe selon lequel il vaut mieux s'entendre sur un objectif gouvernemental qui heurte les sensibilités morales le moins possible. À l'époque, nous avions le sentiment que l'approche que nous préconisions, même si nous étions sûrs qu'elle allait heurter certaines sensibilités, était la voie de l'avenir.
M. James Lunney: Merci. Chose certaine, je vois bien, étant donné les informations dont vous disposiez à l'époque, que les choix que vous aviez à faire étaient plus difficiles que ceux qui nous attendent aujourd'hui.
Rien qu'aujourd'hui, nous avons entendu des témoignages de deux centres, d'Allemagne et de France, où l'on utilise les cellules souches adultes pour réparer les dégâts que causent des infarctus. À l'époque où votre commission faisait ses travaux, cela appartenait encore à la science-fiction, et l'on disait que les cellules embryonnaires détenaient tout le potentiel, et que l'on ne pouvait tout simplement pas différencier les cellules adultes, et ainsi de suite.
Laissons cela pour un moment—et je vous remercie pour vos observations—et revenons au rapport concernant Advanced Cell Technology du Massachusetts et à la question de la chimère; il n'existe apparemment aucune loi interdisant la combinaison des cellules humaines et animales. Je note avec intérêt, et je dirais même avec inquiétude, que l'un de vos scientifiques qui a pris part à cette expérience, M. Jose Cibelli, a admis avoir fusionné ses propres cellules avec un ovocyte bovin. Bien sûr, il a désactivé ce produit après l'étape des 32 cellules, mais il y a lieu de se demander de notre côté pourquoi nous voudrions que les scientifiques fassent ce genre d'expérience. Avez-vous des commentaires à nous faire sur la chimère, et avez-vous discuté de cela?
M. Eric Meslin: Oui. C'est dommage que nous nous parlions en conférence téléphonique car vous ne pouvez pas voir que je souris, et j'espère que vous ne prendrez pas mal ce que je vais dire. Nous connaissons les gens d'ACT depuis 1998. En fait, c'est l'expérience sur la fusion de l'ovocyte de vache annoncée en première page du New York Times le 11 novembre 1998 qui a fait déborder le vase pour le président Clinton et qui l'a amené à demander à la NBAC de rédiger le rapport.
C'est cette même semaine que Thomson et Geron ont fait rapport de leurs résultats dans des publications approuvées par des collègues. Lorsque nous avons lu dans le New York Times qu'ACT avait supposément créé cette chimère et n'avait jamais publié ses résultats dans des publications approuvées par des collègues... et ils n'ont pas encore divulgué cette information.
Nous avons agi très rapidement à la suite de ce rapport. Comme vous le savez d'après les documents que je vous ai fournis, le président Clinton a écrit le lendemain à la NABC pour lui demander de régler ce problème. Quatre jours après, nous nous sommes rencontrés à Miami, en Floride. Le PDG d'Advanced Cell Technology, Mike West, a participé à notre réunion et témoigné devant notre commission. Le lendemain, nous avons écrit au président. Dans notre réponse au président Clinton—que vous retrouverez dans les documents que je vous ai fournis—nous avons fait valoir rapidement et de façon très persuasive, je crois, que ce genre d'étude est contraire à l'éthique et ne devrait pas être autorisée, point final.
ACT dit la même chose dans son dernier rapport. Du point de vue scientifique, il n'y a pas vraiment d'avantage. Il n'est pas très intéressant du point de vue scientifique d'aller jusqu'à la sixième étape pour que rien ne se produise. À mon avis, et vous pouvez le constater par ma réaction, ce genre de recherche n'apporte rien à la discussion et pourrait même nous écarter des vrais enjeux, c'est-à-dire, comment devrait réagir le gouvernement—tous les gouvernements du monde, en fait—à ce genre de recherche de grande qualité sur les cellules souches, plutôt qu'à ce genre de recherche.
M. James Lunney: Merci beaucoup.
La présidente: Merci, monsieur Lunney.
Monsieur Dromisky.
M. Stan Dromisky (Thunder Bay—Atikokan, Lib.): Merci beaucoup, monsieur Meslin de votre rapport très complet. Il nous a beaucoup éclairés.
J'ai quelques questions à poser. Je suis préoccupé par le genre d'organisme de réglementation que nous allons créer ici, de notre côté de la frontière, pour régir la participation du secteur public et du secteur privé dans ce domaine.
Vous avez dit dans votre rapport que vous avez un organe national d'examen et de contrôle sur les cellules souches. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Qui en est membre? Comment choisit-on les membres? Quels sont les pouvoirs de cet organisme? A-t-il une influence quelconque? Qu'arrivera-t-il à cet organisme une fois le projet de loi adopté par le Sénat, si le projet de loi du Sénat peut changer quoi que ce soit?
M. Eric Meslin: Je comprends votre question.
À l'heure actuelle, cet organisme n'existe pas. Nous avons recommandé sa création, mais la Maison-Blanche n'a pas accepté cette recommandation. Après l'énoncé de politique du président Bush, le 9 août, les National Institutes of Health ont créé un groupe semblable à celui que la NBAC avait recommandé, un groupe composé entre autres de scientifiques. Ce groupe est chargé d'examiner les protocoles de recherche qui lui sont présentés dans le cadre de demandes de financement par le gouvernement fédéral. Il n'a pas la même envergure que ce que nous souhaitions, les structures de reddition de comptes qui permettraient à la population de pouvoir obtenir des copies de ces projets de façon à accroître la responsabilité.
À l'heure actuelle, le groupe des NIH fait du bon travail pour ce qui est d'examiner les protocoles, mais il ne peut pas guider les politiques comme le devrait un organisme national.
Il y a aussi un autre élément qui ne se trouve pas dans notre rapport final, même si nous en avons discuté. C'est un modèle que vous connaissez probablement, celui du Royaume-Uni. On nous a encouragés à envisager la possibilité de mettre sur pied un organisme d'octroi de permis semblable à la Human Fertilization and Embryology Authority du Royaume-Uni; cet organisme octroierait des permis aux chercheurs et aux établissements qui satisferaient à des critères d'éthique et de réglementation. La NBAC n'a pas adopté cette recommandation, même si nous l'avons faite, et on a jugé—il s'agit de mon opinion personnelle et non celle de la Commission—que cela donnerait l'apparence d'ajouter un autre échelon bureaucratique à un régime de surveillance dont l'efficacité n'était pas prouvée.
À mon avis, avant d'écarter cette possibilité, il faudrait s'assurer d'étudier cette approche de ce projet de loi que nous n'avons pas adopté dans notre rapport—et je crois que le projet de loi dont est saisi votre comité, que j'ai pu examiner brièvement, en tient compte.
M. Stan Dromisky: Merci beaucoup.
Je comprends que vous avez un système très complexe dans votre pays. À l'heure actuelle, nous parlons de réglementation, entre autres, à l'échelle fédérale. Mais compte tenu de tous les États qu'il y a chez vous—et je sais que de nombreux États ont déjà toute une gamme de règles et de règlements applicables à la FIV—je me demande si les propositions fédérales auront quelque effet que ce soit sur les règlements qui existent déjà dans les États.
M. Eric Meslin: Elles auront un effet dans la mesure où les sources de cellules souches qui peuvent être utilisées dans des projets parrainés par le fédéral sont contrôlées par les National Institutes of Health, un organisme de financement fédéral. Là où il pourrait y avoir un problème, c'est qu'à moins que le gouvernement fédéral décide de régir toutes les cliniques de FIV aux États-Unis—et il peut y en avoir jusqu'à 600 ou 700, je ne connais pas leur nombre exact—il sera toujours possible que des groupes comme ACT, des groupes légitimes de recherche, et d'autres encore... Ce ne sont pas des fumistes, mais des groupes légitimes de recherche. Mais il y aura dans des cliniques des groupes moins scrupuleux, qui ne sont pas intéressés à publier leurs données dans un journal ou nulle part ailleurs, et qui feront participer des femmes—souvent à leur insu—à des recherches en prélevant un nombre excessif d'ovules et en les fertilisant sans en informer les donneuses. Il sera donc très important que les États-Unis prennent les mesures nécessaires.
• 1850
Dans l'État où je vis depuis quatre mois, l'Indiana, on a
proposé une mesure législative au Congrès fédéral afin d'interdire
le clonage. C'est un projet de loi qui ressemble beaucoup à celui
de la Chambre des communes. Ce mot de «clonage» a une connotation
si dramatique pour bien des gens que certains estiment qu'il faut
interdire tout ce qui est lié au clonage. À mon avis, ce serait
aussi une erreur.
M. Stan Dromisky: Pour revenir aux États, en existe-t-il...
La présidente: Monsieur Dromisky, posez une question brève. Nous devons garder du temps pour les autres.
M. Stan Dromisky: Existe-t-il un État qui exige, de par ses règlements, l'obtention d'un permis pour pouvoir effectuer des recherches sur les cellules souches?
M. Eric Meslin: Pas un permis semblable à ceux dont nous avons discuté dans le contexte de la HFEA, mais la société Geron, qui possède un brevet sur bon nombre des méthodes applicables aux cellules SE que Jamie Thomson a mises au point, applique un régime très étendu et complexe d'octroi de permis aux sociétés privées qui souhaitent utiliser ces cellules souches sans passer par les sources du gouvernement fédéral. C'est dans l'État du Wisconsin que ce régime est le plus élaboré.
La présidente: Il ne nous reste plus beaucoup de temps, mais Mme Picard a deux petites questions à poser. Le prochain invité de notre téléconférence est maintenant en attente.
[Français]
Mme Pauline Picard: Bonsoir, monsieur Meslin. J'ai deux questions. Ma première question va un peu dans le même sens que les propos de M. Dromisky et porte sur la valeur morale de l'embryon. Il y a quelque chose que je ne comprends pas. C'est peut-être parce que je n'ai pas saisi votre explication.
Il devient immoral de faire de la recherche sur les cellules embryonnaires quand celle-ci n'est pas financée à même les fonds fédéraux. Par contre, il y a un autre aspect à considérer. Vous dites qu'il y a de 500 à 700 cliniques de fertilité aux États-Unis en plus d'un certain nombre de laboratoires, dont on ne connaît pas le nombre, qui, eux, peuvent faire de la recherche, et c'est tout à fait moral parce qu'ils ne sont pas financés à même les fonds fédéraux. Il y a quelque chose que je ne comprends pas dans le système que vous avez.
Je passe à ma deuxième question. Quels sont les objectifs de l'organisme National Stem Cell Oversight? À qui cet organisme doit-il rendre des comptes? Est-ce un organisme qui doit rendre des comptes au gouvernement fédéral?
[Traduction]
M. Eric Meslin: Merci beaucoup de poser cette question. Le sentiment de la Commission, je le répète, était qu'il ne faudrait pas faire de distinction entre les recherches parrainées par le secteur public et celles parrainées par le secteur privé. À notre avis, toute recherche utilisant des cellules souches embryonnaires humaines, qu'elles soient faites dans le secteur public ou dans le secteur privé, devraient pouvoir recevoir un financement fédéral, sous réserve de certaines conditions. La première de ces conditions, c'est que ces cellules ne peuvent provenir que d'embryons qui sont excédentaires par rapport au besoin clinique et dont les personnes qui ont fourni le matériel génétique ont consenti à l'utilisation. La deuxième condition, c'est que ces recherches soient assujetties à une surveillance nationale.
• 1855
Je dois avouer que parce que la NBAC ne croyait pas que des
fonds fédéraux devraient servir à créer ces embryons, nous donnions
la possibilité à d'autres de le faire. C'est ce qui arrive entre
autres lorsque 18 membres d'une commission essaient d'en arriver à
une entente. Nous avons compris et accepté qu'une des conséquences
de nos recommandations serait qu'il y aurait encore des recherches
privées dans des domaines qui, pour nous, étaient inacceptables du
point de vue éthique.
En ce qui a trait à l'organisme de surveillance national, je répéterai ce que j'ai dit plus tôt. Nous espérions que la Maison-Blanche adopterait cette idée, mais elle ne l'a pas fait. L'organisme auquel les NIH ont recours relève d'eux.
Mme Pauline Picard: Merci.
La présidente: J'aimerais poser une courte question. Vous avez dit que les grandes religions se sont entendues pour dire que la recherche sur les cellules souches n'était pas mal en soi. Je présume que vous parliez des cellules souches de toutes provenances. Les Églises s'entendent-elles aussi sur la question de la recherche sur les cellules souches provenant d'embryons? C'est la principale question qui nous intéresse.
M. Eric Meslin: Ce consensus, que je qualifierais de chancelant, venait du fait que ces personnes éclairées reconnaissaient pleinement les avantages possibles, pour la santé, de cette découverte scientifique très emballante. Elles n'étaient pas insensibles à la possibilité que le diabète tel que nous le connaissons pourrait être éliminé par la création de cellules qui supprimeraient la nécessité, pour les diabétiques, de prendre de l'insuline. Elles étaient bien au courant des progrès scientifiques et des avantages qui pourraient en découler pour la santé.
Voilà où s'arrêtait le consensus. Autrement dit, elles n'ont pas affirmé que ce genre de recherche était immorale et ne devrait pas être faite. Elles en ont reconnu la grande valeur. Ces personnes ne se sont toutefois pas entendues sur la source des cellules souches et le niveau de surveillance gouvernementale.
La présidente: En toute justice, j'estime qu'il serait très facile d'amener pratiquement n'importe qui à reconnaître le potentiel de la recherche sur les cellules souches, surtout s'il s'agit de cellules souches adultes provenant de la peau ou des cheveux. Il est beaucoup plus difficile de se prononcer sur l'autre genre de recherche, celle faisant l'usage de cellules provenant d'un embryon et entraînant sa destruction. C'est cette question qui nous tracasse.
M. Eric Meslin: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je sais que nous disposons de peu de temps. Je vous ferai donc un résumé.
Nous ne voulions pas l'avis des 11 experts. Nous tentions de comprendre toute la gamme des croyances de ces grandes Églises. Nous leur avons donné foi autant qu'à nos scientifiques, nos éthiciens et nos juristes. C'était simplement un important rappel de la diversité existant autant au sein de chaque tradition qu'entre ces traditions. Des catholiques et des juifs n'arrivaient pas à s'entendre les uns avec les autres. Voilà ce que nous avons fait.
La présidente: Je vous remercie beaucoup, M. Meslin, de vous être joint à nous. J'espère que vous avez pu renouer avec vos racines en discutant avec un groupe de Canadiens comme le nôtre. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos travaux.
M. Eric Meslin: Merci beaucoup. Cela m'a fait plaisir.
La présidente: Nous faisons une courte pause.
La présidente: Nous reprenons nos travaux. Nous accueillons maintenant le professeur Ken Daniels, professeur agrégé au Département de travail social à l'Université de Canterbury, en Nouvelle-Zélande.
Soyez le bienvenu, monsieur Daniels.
Nous espérons que vous ferez quelques remarques liminaires que nous écouterons attentivement avant de vous poser des questions. Est-ce que cela vous va?
M. Ken Daniels (professeur agrégé, Département de travail social, Université de Canterbury, Nouvelle-Zélande): Oui. Avez-vous reçu mon mémoire?
La présidente: Je crois que oui. Malheureusement, monsieur Daniels, tous nos documents doivent être traduits en français. Je crois que votre mémoire n'a pas encore été traduit, mais dès qu'il le sera, nous le distribuerons.
M. Ken Daniels: Voulez-vous que je lise mon mémoire ou que je le résume?
La présidente: Nous préférerions que vous le résumiez; pendant la période de questions, nous pourrons probablement aborder les questions sur lesquelles vous voudriez nous donner plus de détails.
Vous avez la parole.
M. Ken Daniels: Merci beaucoup. C'est un honneur pour moi que de venir témoigner devant votre comité sur ce sujet que je considère extrêmement important. Ce que vous envisagez comme loi et réglementation est très emballant.
Dans mon mémoire, je soulève certaines préoccupations et j'aborde la question de la protection de la vie privée et de l'accès à l'information. Puis, je donne des réponses à certains des arguments qu'on avancera probablement pendant votre étude de ce dossier. Je termine par des remarques sur la nécessité de sensibiliser la population et, à bien des égards, c'est probablement le sujet dont on parlera le plus.
Mes préoccupations portent surtout sur le fait que le préambule de l'avant-projet de loi énonce clairement que ce sont le bien-être et les intérêts des enfants qui priment. Mais dans ses détails, le texte législatif ne semble pas traduire cette déclaration. Autrement dit, les détails de l'avant-projet de loi contredisent les principes, et je le signale à la partie cinq de mon mémoire.
La présidente: Si je peux me permettre une brève remarque, notre comité était exactement du même avis concernant l'avant- projet de loi. Nous faisons l'impossible pour rectifier la situation, afin que les droits et les intérêts des enfants priment et soient le fondement de tout le reste. Cela apaisera peut-être vos inquiétudes.
M. Ken Daniels: Oui. Toutefois, je souligne que, bien que j'ai constaté une tendance à mettre l'accent sur le bien-être de l'enfant, j'estime qu'il nous faut penser aussi au bien-être de la famille. L'enfant ne vit pas en vase clos, il vit dans une famille.
J'aimerais aborder toute la question de la protection de la vie privée et de l'accès à l'information et exprimer des réserves sur le secret qui entoure, en général, tout le domaine de l'aide à la procréation humaine, surtout quand il y a participation d'une tierce partie. J'en veux pour preuve le premier cas d'insémination par donneur qu'on ait signalé dans le monde: les médecins ont procédé à l'insémination sans la permission du couple et ce n'est qu'après le fait qu'ils ont décidé d'en informer le mari. Celui-ci s'est dit préoccupé, mais a finalement accepté la situation après avoir demandé au médecin de ne pas en parler à sa femme. Tout s'est fait en secret dès le départ, et la pratique s'est poursuivie.
• 1910
J'estime que les professionnels ont joué un rôle important
dans la création de cette culture relative à la procréation avec la
participation d'un tiers. Il faut maintenant réévaluer notre
orientation et l'incidence de cette culture du secret sur les
enfants et les familles.
Brièvement, j'indique dans mon mémoire que, dans trois domaines, on fera probablement valoir des arguments qui remettent en question la position que je préconise, par exemple. On vous dira premièrement que si vous ouvrez le système, vous ne serez plus en mesure de recruter des donneurs. Les recherches que j'ai menées dans plusieurs pays ont prouvé le contraire.
Il est certain qu'il est plus difficile de recruter des donneurs, mais en Suède, par exemple, où on a adopté en 1985 une loi exigeant l'identification des donneurs à l'avenir et où il y a eu un déclin du nombre de donneurs, ce nombre a remonté et il y a maintenant davantage de donneurs en Suède qu'il n'y en avait avant l'adoption de cette loi. Ces donneurs sont un peu différents. Ce sont habituellement des hommes adultes qui ont déjà une famille plutôt que de jeunes étudiants, ceux qu'on recrutait auparavant.
Je signale que c'est le cas dans bien d'autres pays, et j'en fais la preuve dans mon mémoire. Le résultat des recherches démontre donc qu'il est injustifié de craindre que le nombre de donneurs chutera.
Deuxièmement, bien des défenseurs de la confidentialité prétendent que c'est ce que veulent les donneurs. Les donneurs ne veulent pas qu'on les identifie. Je cite plusieurs études, certaines auxquelles j'ai participé, d'autres qui ont été menées dans d'autres pays, dont l'une indique que 56 p. 100 des hommes appuient l'idée d'un registre national des donneurs afin qu'on puisse communiquer avec eux à une date ultérieure. Dans une autre étude, cette proportion était de 60 p. 100, dans une autre, de 59 p. 100, dans une autre encore, de 68 p. 100, et cetera.
Par conséquent, tout indique que les donneurs n'ont pas nécessairement une attitude que l'on pourrait résumer de la façon suivante: «Je fournis mon sperme et ça finit là, je ne veux pas avoir le moindre contact ni savoir ce qui se passera après». Mais c'est un argument que l'on invoque souvent pour justifier le secret.
Le troisième argument est que certains de mes collègues diraient que nous n'avons aucune preuve que le secret n'est pas une mauvaise chose dans les familles et qu'en fait, tant que nous n'aurons pas de preuve probante, nous ne devrions pas changer notre politique. Or nous commençons maintenant à recueillir des éléments de preuve. Ces preuves s'accumulent goutte à goutte, si je peux me permettre d'utiliser cette expression, parce que, bien sûr, à cause justement du secret, il nous a été très difficile d'avoir accès aux personnes en cause pour savoir ce qui se passe dans les familles.
Mais il ressort clairement que lorsque les familles sont bien préparées à l'insémination artificielle par donneur, quand toutes les questions relativement au secret et à l'anonymat sont discutées en profondeur, l'attitude est alors très différente.
Je veux parler notamment d'un programme auquel j'ai travaillé en Allemagne ces deux dernières années. Avec un collègue, j'ai dirigé là-bas des séminaires destinés à des gens qui s'apprêtent à commencer à suivre des programmes d'insémination par donneur. Nous avons fait une étude et nous avons constaté...
Je ne sais pas si vous vous en rendez compte, mais je suis en fait en Australie en ce moment même; je suis Néo-Zélandais, bien sûr, et je suis ici pour participer à une conférence internationale.
Nous avons présenté à cette conférence une communication dans laquelle nous avons démontré deux choses. Premièrement, quand les gens viennent à ces séminaires, leur niveau de confiance est relativement bas face à l'insémination par donneur. Pendant le séminaire, leur niveau de confiance augmente considérablement, et encore plus après la fin du séminaire. Les gens ont donc une plus grande confiance pour ce qui est de recourir à ce traitement.
• 1915
Le deuxième élément important est qu'à la suite de ces
séminaires, leur décision d'en parler aux enfants change
complètement. Dans ce cas également, leur attitude change du tout
au tout entre le début et la fin du séminaire. Je pense qu'il faut
en conclure que lorsqu'on rassemble les gens, quand on leur
présente des programmes éducatifs et quand on leur permet de se
parler entre eux et de constater qu'il y a d'autres personnes qui
partagent les mêmes opinions, leurs attitudes changent. À bien des
égards, ce qu'on leur dit est contraire aux conseils qu'ils
reçoivent souvent des professionnels de la santé. Cette preuve
n'est pas encore tout à fait clairement établie.
L'autre argument que j'avance dans mon mémoire est qu'il faut adopter dans tout ce domaine une approche fondée sur l'éducation. Je peux résumer cela en disant que jusqu'à maintenant, et même encore maintenant, la façon prédominante d'aborder tout ce domaine est et a toujours été de considérer cela comme un moyen de traiter l'infertilité. Si l'on se trouve effectivement à traiter l'infertilité, alors c'est un dossier médical; c'est un dossier de santé.
Moi-même et certains de mes collègues avons soutenu que, oui, il s'agit en effet de traiter l'infertilité, mais c'est également un projet destiné à construire des familles. Si l'on met l'accent sur ce dernier aspect, l'établissement d'une famille, alors une foule de questions non médicales commencent à émerger—les aspects psychologiques, sociaux et éthiques—et si l'on examine un modèle de traitement de l'infertilité, l'optique tient uniquement compte des gens qu'on a assis devant soi, habituellement un couple infertile. Par contre, si l'on adopte le modèle de l'établissement d'une famille, alors il faut commencer à penser à ce qui se passera à l'avenir et cela veut dire qu'il faut tenir compte des enfants et des couples.
Quand je suis venu au Canada—je ne me rappelle plus si c'était au début de l'année ou peut-être l'année dernière—j'ai pris la parole dans une clinique. En fait, j'ai donné l'exemple suivant: quand on entre dans une clinique d'infertilité, il y a invariablement un grand tableau plein de photos de bébés—vous avez peut-être déjà vu cela—des bébés souriants, et c'est un tableau très touchant et très encourageant. En un sens, cela témoigne du succès de la clinique, qui a aidé à produire ces bébés.
J'ai dit au personnel de la clinique que je voyais pour ma part des photos différentes, des photos de familles et d'adolescents. Il n'y en avait pas sur leurs tableaux à l'hôpital, mais je les voyais métaphoriquement, dans mon optique de conseiller et de chercheur.
Ces familles me disaient deux choses: premièrement, nous sommes très reconnaissants de l'aide que nous avons eue des cliniques et qui nous a permis de devenir une famille. Deuxièmement, nous aurions aimé que vous en fassiez plus pour nous aider à nous préparer à édifier une famille, parce qu'il y a des questions qui se posent à nous auxquelles nous n'avions pas réfléchi et auxquelles nous n'étions pas préparés. Maintenant, ces gens-là ne formulent pas de critique. Ils disent: Pourriez-vous en faire encore plus? Je trouve que nous devons réfléchir à tout cela si nous voulons offrir un programme complet.
Voilà un bref résumé de mon mémoire, et j'espère que cela vous donne un aperçu de certaines de mes préoccupations.
La présidente: Merci beaucoup.
Nous allons passer aux questions. Je vais d'abord donner la parole au représentant de l'opposition officielle au Parlement, M. Merrifield.
M. Rob Merrifield: Merci.
Je suis entièrement d'accord avec vous quand vous dites qu'il faut faire de l'éducation et donner davantage d'information dans ce domaine. Le comité a beaucoup discuté de toute cette question du counselling avant de se lancer là-dedans. Je me demande où vous en êtes, parce que je pense que nous allons faire quelque chose en ce sens. Vous dites que les séminaires donnent de bons résultats, mais est-ce là une autre forme de counselling, ou bien avez-vous du counselling en plus de cela, et est-ce obligatoire? Pouvez-vous nous donner des renseignements là-dessus?
M. Ken Daniels: Le système est évidemment organisé de différentes façons selon les pays. Dans mon propre pays, la Nouvelle-Zélande, chaque clinique doit avoir un conseiller. Elle ne peut être accréditée par l'association professionnelle si elle n'a pas un service de counselling. Le même principe s'applique en Australie. Je pense que c'est tout à fait fondamental, parce que cela veut dire que le service de counselling est considéré comme une partie intégrante de tout le programme.
• 1920
Cela pose toutefois une autre question, à savoir si le
counselling doit être obligatoire. Est-ce que chacun est tenu de
voir un conseiller? Il y a des divergences d'opinions là-dessus,
mais je pense que la plupart des conseillers dans notre partie du
monde diraient que, dès lors qu'il y a reproduction mettant en
cause une tierce partie, dès que des gamètes d'une autre personne
sont en cause, le counselling doit être obligatoire.
L'un des problèmes est de définir le mot «counselling». La plupart des gens, quand ils pensent au counselling, songent plutôt à l'aspect thérapeutique ou pathologique: vous avez un problème et vous devez en parler pour le résoudre. Je trouve qu'une façon beaucoup plus utile d'envisager le counselling est de le présenter comme un processus de soutien avec une forte composante éducative, permettant aux gens d'explorer ce que cela voudra dire pour eux de recourir à cette méthode pour fonder une famille. On ne peut jamais préparer les gens complètement. Il y aura toujours un besoin de nouvelles interventions par la suite.
Donc, pour répondre à votre question, oui, le counselling doit être présent dans chaque clinique et, oui, je pense qu'il doit être obligatoire, en particulier pour ceux qui font appel à une tierce partie pour la reproduction. Mais l'orientation des séances de counselling doit faire l'objet d'une réflexion approfondie.
La raison pour laquelle on organise des séminaires en Allemagne, par exemple, c'est qu'aucune clinique en Allemagne n'a de conseiller maison. En un sens, on se trouve à fournir ce service sous une forme différente. J'espère, par exemple, que les conseillers des cliniques organiseraient de tels séminaires dans le cadre d'une vaste gamme de services de counselling.
M. Rob Merrifield: Merci beaucoup.
Je suis vraiment frappé par l'importance accordée à la famille. À mon avis, c'est un aspect auquel nous n'avons pas accordé suffisamment d'importance dans notre mesure législative. Je pense que dans la plupart des cliniques, on met l'accent sur le couple et son problème de fertilité, au lieu de se tourner vers l'avenir et de prendre à coeur l'intérêt supérieur de l'enfant.
Appliquez-vous à la fécondation les mêmes normes qu'à l'adoption—puisqu'il s'agit bien sûr de protéger les intérêts d'un enfant? Acceptez-vous de féconder des mères seules qui n'ont pas les ressources nécessaires pour élever les enfants? Est-ce que les normes vont jusque-là? Envisagez-vous de telles normes dans votre pays? Avez-vous des observations à ce sujet?
M. Ken Daniels: Oui. Dans le cas de l'adoption, nous offrons ce service depuis des années dans le cadre des mesures que nous devons prendre pour protéger les intérêts de l'enfant. L'un des problèmes que cela pose est de voir comment on peut combiner les intérêts de l'enfant avec ceux de la mère et du père biologiques, si ce dernier est identifié, ainsi que les intérêts du couple qui reçoit l'enfant. Il est parfois difficile de conjuguer tout cela. C'est pourquoi le counselling est un aspect aussi important.
Par exemple, la Nouvelle-Zélande a été l'un des premiers pays du monde à se doter d'un régime d'adoption ouvert. Cela a influé sur notre façon d'aborder la reproduction au moyen de matériel génétique provenant d'une tierce personne. Pourquoi ce type de reproduction serait-il différent de l'adoption? Je sais qu'il y a de nombreuses différences, mais il y a aussi des similitudes, et il faut alors appliquer les dispositions nécessaires en matière de counselling. Je vous répondrai donc par l'affirmative.
M. Rob Merrifield: Cela m'amène à poser deux autres questions. Si vous avez obligatoirement des conseillers dans chaque clinique, qui en paie les honoraires? Qui voit à l'exécution de cette mesure? Pourriez-vous nous en dire davantage sur ces deux sujets?
M. Ken Daniels: La question des honoraires est assez difficile. Je suis le premier à reconnaître que l'approche que je préconise entraîne des frais. Mais c'est un bon investissement, à mon avis, parce que si nous n'avons pas de méthode de préparation, il risque d'y avoir plus tard des problèmes qui nécessiteront un counselling et une intervention beaucoup plus étendues.
Je vous signale qu'en Nouvelle-Zélande, dans l'une de nos cliniques qui offrent des traitements publics et privés, le coût du traitement comprend une heure de counselling. Lorsque vous payez la note, vous avez droit à au moins une heure de counselling. Il est très rare que les gens ne s'en prévalent pas.
Mais il y a aussi un autre élément, c'est que tout le personnel encourage le counselling. Lorsqu'un couple consulte un médecin, par exemple, il peut les évaluer et les orienter vers un conseiller pour discuter des questions d'ordre social et émotionnel associées au traitement. Cela va de soi. On ne leur dit pas qu'ils devraient peut-être aller voir un conseiller, comme s'il s'agissait de quelque chose de tout à fait secondaire. C'est la façon idéale de procéder.
Dans le régime public, il est certain que le counselling peut être onéreux. Le simple fait d'embaucher une autre personne entraîne des frais et, dans les cliniques privées, cela signifie que les patients doivent payer une facture plus lourde, je le crains. Dans le régime public, je ne sais pas comment vous procédez au Canada, mais les patients d'autres services de l'hôpital peuvent recevoir du counselling offert par les travailleurs sociaux; pourquoi ne pas en donner aussi à ces patients?
M. Rob Merrifield: Qui est chargé de l'exécution de cette mesure?
M. Ken Daniels: Eh bien, nous avons chez nous un organisme professionnel qui est chargé d'aider les cliniques et de les accréditer. Si une clinique décide de ne pas offrir de counselling, elle ne reçoit pas son accréditation, ce qui signifie qu'elle ne pourra pas recevoir de patients.
M. Rob Merrifield: Merci.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Merrifield.
M. Lunney, puis M. Dromisky.
M. James Lunney: Merci, madame la présidente. Merci également, monsieur Daniels.
Au sujet de l'anonymat des donneurs, nous avons constaté que notre avant-projet de loi vise surtout la protection des renseignements personnels et le contrôle de l'information. Il a été conçu en vue de protéger la vie privée de ceux qui font ces dons. Certains d'entre nous ont été assez choqués d'entendre que nos cliniques importaient du sperme venant de prisonniers des États- Unis.
Nous avons entendu des témoins qui faisaient partie des premiers à être nés grâce à cette technologie. Ils ont fait l'effort de venir eux-mêmes nous rencontrer pour nous parler des problèmes qu'ils ont eus dans leur adolescence, des questions qu'ils se posaient sur leur origine, comme certains enfants adoptés. Nous allons donc nous assurer que les besoins des enfants sont bien pris en compte. C'est un sentiment que nous partageons.
Tout d'abord, pourriez-vous nous dire combien de cliniques il y a en Nouvelle-Zélande? Quand avez-vous adopté votre loi? Enfin, pourriez-vous revenir à cette question de l'information que je viens de soulever et nous dire comment vous pouvez vous assurer d'avoir suffisamment d'information? Existe-t-il chez vous une loi qui garantit la transparence du système?
M. Ken Daniels: Nous avons six cliniques en Nouvelle-Zélande, pour une population de moins de 4 millions d'habitants. Cela répond à votre première question.
Deuxièmement, nous avons adopté en 1987 une mesure législative essentielle, intitulée Status of Children Amendment Act. Je trouve pour ma part que ce titre est trompeur car la loi ne porte pas sur le statut des enfants mais sur celui des parents. Dans cette loi, on a précisé quels sont les droits et les devoirs des donneurs et des parents sociaux. Cette loi dit clairement qu'il n'existe aucun droit et aucun devoir entre les donneurs et leur progéniture. En d'autres mots, les donneurs ne peuvent faire l'objet d'aucune réclamation.
• 1930
Si j'ai bien compris, vous avez trois provinces au Canada qui
ont des lois de ce genre à l'heure actuelle. Il s'agit, je crois,
du Yukon, de Terre-Neuve et du Labrador, ainsi que du Québec. Nous
ne pourrions pas faire ce que nous faisons maintenant sans cette
loi habilitante. C'est elle qui sert d'assise, entre autres en
disant qu'il ne peut pas y avoir de réclamation, et il est
essentiel d'avoir une loi de ce genre.
D'après ce que je connais du Canada—et je me mêle peut-être de choses qui ne me regardent pas—il s'agit d'un domaine de compétence fédérale plutôt que de compétence provinciale, car il faut une loi qui s'applique uniformément à l'ensemble du pays. Je me suis peut-être avancé dans un domaine controversé.
Je n'ai pas noté par écrit la dernière partie de votre question, qui était...
M. James Lunney: Il s'agissait du nombre de cliniques. Vous y avez déjà répondu. Je voulais savoir comment vous pouviez garantir la transparence et comment vous traitez l'information. Quand les enfants en sont-ils informés? Est-ce au moyen d'une loi ou existe- t-il une autre façon adaptée à votre culture?
M. Ken Daniels: C'est très intéressant, puisque la loi que j'ai mentionnée, celle qui a été adoptée en 1987, est la seule que nous avons à ce sujet en Nouvelle-Zélande à l'heure actuelle. Le Parlement est actuellement saisi de deux projets de loi, et j'y reviendrai dans un instant, mais il est intéressant de noter qu'aucune de nos cliniques ne recrute des donneurs qui refuseraient d'être identifiés à l'avenir.
Nous sommes le seul pays au monde qui a réussi à obtenir cela et ce, sans mesure législative.
Je ne peux m'empêcher de faire la comparaison entre la Suède et la Nouvelle-Zélande. La Suède a été le premier pays à se doter d'une mesure législative de ce genre, en 1985. Le nombre de familles qui s'en prévalent est relativement faible. C'est du moins ce qu'a révélé une étude récente. S'il existe un tel problème en Suède—et je puis vous en parler puisque j'y ai travaillé—c'est que le droit a peut-être changé, mais les comportements et la pratique n'ont pas emboîté le pas. C'est donc une chose d'adopter une loi, mais c'en est une autre de créer un climat qui favorise l'évolution culturelle de façon à changer les comportements professionnels.
Je crois qu'en Nouvelle-Zélande nous avons eu la chance de pouvoir influencer les médecins, particulièrement en ce qui concerne la nécessité d'une politique de consolidation de la famille.
Voilà pourquoi nous examinons actuellement deux projets de loi, non pas pour essayer d'apporter des changements, mais pour codifier les changements déjà apportés et plus particulièrement pour établir des registres centraux étant donné qu'à l'heure actuelle, les registres sont conservés dans les cliniques, ce qui peut soulever un certain nombre de problèmes.
Ces deux projets de loi dont l'un est une initiative parlementaire et l'autre, un projet de loi émanant du gouvernement, reconnaissent donc la nécessité d'établir des registres et des règles précisant qui peut les consulter, quand et comment.
Nous nous trouvions dans une situation délicate en Nouvelle-Zélande car ce projet de loi d'initiative parlementaire avait été présenté il y a trois ans pour mettre en place un système semblable à celui du Royaume-Uni, avec un conseil et une réglementation. De nombreux Néo-Zélandais estimaient que c'était exagéré pour un pays de notre taille qui comptait seulement six cliniques et quatre millions d'habitants. Le gouvernement a donc formulé une autre proposition dans laquelle il faisait valoir que les comités de déontologie existants, dont je fais partie, devaient jouer un rôle sur le plan des politiques en plus de leur rôle sur le plan déontologique.
• 1935
Ces deux projets de loi ont été examinés par un comité spécial
et ont été renvoyés aux fonctionnaires pour qu'ils fusionnent ces
deux mesures législatives. Quand ce sera fait, le projet de loi
sera de nouveau examiné par un comité spécial. Nous nous apprêtons
donc à légiférer, mais je ne pense pas que l'application de cette
mesure sera quelque chose de très important.
M. James Lunney: Par conséquent, le but premier de cette loi est d'établir des registres?
M. Ken Daniels: C'est un de ses principaux objectifs. Il y aurait également certaines dispositions pour empêcher certaines pratiques et cela vise évidemment le clonage. Tout comme votre commission royale a laissé entendre que certaines choses devraient être interdites, il y aura certainement aussi des interdictions de ce genre dans le projet de loi.
La présidente: Merci, monsieur Lunney. Nous allons maintenant passer à M. Dromisky.
M. Stan Dromisky: Merci beaucoup. Nous vous remercions infiniment de vous être joint à nous aux antipodes. J'aimerais savoir ce que votre gouvernement a fait dans le domaine de la maternité de substitution, quels sont les règlements, les interdictions, etc.
M. Ken Daniels: Comme nous n'avons pas de loi, la maternité de substitution relève de la déontologie plutôt que de la réglementation et le comité dont je fais partie a tout d'abord décidé qu'il fallait interdire cette pratique, mais il a récemment changé d'avis surtout en ce qui concerne la fécondation in vitro. Autrement dit, nous ne pouvons rien faire pour nous opposer à la maternité de substitution qui se produit entre adultes consentants et qui n'exige pas d'intervention médicale. Nous en avons eu plusieurs exemples en Nouvelle-Zélande. Toutefois, en ce qui concerne les couples qui vont dans une clinique pour obtenir les services d'une mère porteuse grâce à la fécondation in vitro, nous avons établi un projet de lignes directrices à l'intention des cliniques. Ces dernières doivent respecter ces lignes directrices et le counselling y joue un rôle absolument crucial. Elles doivent ensuite soumettre la demande au comité de déontologie qui examine tous les documents pour voir si la maternité de substitution peut être autorisée.
Tel est donc le contrôle dont cette pratique fait actuellement l'objet. Il se peut que le nouveau projet de loi prévoie des dispositions concernant la maternité de substitution. Je crois que nous avons accepté le principe de la maternité de substitution, il s'agit de voir comment nous allons la gérer.
M. Stan Dromisky: Y a-t-il un règlement concernant l'indemnisation de la mère porteuse?
M. Ken Daniels: Seules les dépenses sont couvertes afin qu'aucune femme ne puisse être payée pour être une mère porteuse.
M. Stan Dromisky: C'est ce que je voulais savoir. Merci beaucoup.
La présidente: Merci, monsieur Dromisky. C'est au tour de Mme Picard.
[Français]
Mme Pauline Picard: Je n'avais pas de question, madame la présidente. Je suis désolée.
[Traduction]
La présidente: Excusez-moi, Madame Thibeault.
Mme Yolande Thibeault: Merci beaucoup, mais j'ai peur que M. Dromisky ait déjà posé ma question. C'est une question sur laquelle nous nous interrogeons tous beaucoup. L'idée que cinq personnes puissent participer à la naissance d'un enfant nous tracasse vraiment. De plus, vous avez dit tout à l'heure qu'on pouvait trouver des donneurs, qu'ils soient payés ou non. Vous avez mentionné qu'au lieu d'être des étudiants, ces donneurs seraient sans doute des hommes plus âgés, déjà pères de famille. Quelle serait leur motivation?
M. Ken Daniels: La motivation varie selon le donneur. Au cours des études que j'ai réalisées en Suède, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Angleterre, j'ai constaté certaines caractéristiques. Pour ce qui est des hommes plus âgés déjà pères de famille, c'est davantage une question d'altruisme et le désir d'aider les autres. Mais dans le cas des étudiants, c'est la question monétaire qui semble dominer. Ce n'est pas tout l'un ou tout l'autre. Les motivations peuvent être plus nuancées.
• 1940
Je crois qu'un grand nombre d'hommes d'âge mûr disent qu'ils
ne veulent pas d'argent, peut-être parce que l'argent n'est plus
aussi important pour eux à ce stade de leur vie alors que pour les
étudiants, cela peut être un incitatif important.
Mme Yolande Thibeault: Merci beaucoup.
La présidente: Professeur Daniels, je suis étonnée et un peu déçue d'apprendre que votre pays est en train de lever l'interdiction qui frappait la maternité de substitution. Ai-je bien compris?
M. Ken Daniels: Il ne s'agit pas vraiment d'une interdiction. Aucune loi ne régit actuellement la maternité de substitution. Le comité de déontologie avait simplement décidé de ne pas l'autoriser. C'est une pratique qui est maintenant autorisée, mais qui est réglementée très rigoureusement.
La présidente: Si cela m'étonne, c'est parce qu'une des parties de notre étude qui nous a semblé la plus troublante et la plus alarmante en ce qui concerne par exemple la commercialisation... Par exemple, certaines ententes de maternité de substitution ont été conclues en vertu du droit en matière de contrats, ce que nous trouvons révoltant. Nous songeons donc à l'interdire complètement et à déclarer coupable d'une infraction quiconque favorise ou facilite ce genre de pratique.
Si nous voulons le faire, c'est en raison du témoignage d'une personne qui travaille également dans votre domaine, je crois, et qui nous a dit que l'adoption est une situation dans laquelle quatre ou cinq adultes travaillent ensemble pour améliorer la situation d'un enfant tandis que la maternité de substitution est une situation dans laquelle quatre ou cinq adultes travaillent ensemble pour créer une situation difficile pour un enfant qui n'existe pas encore. Êtes-vous d'accord avec cette description?
M. Ken Daniels: Oui. Il ne fait aucun doute que tous les cas de maternité de substitution soulèvent de sérieux problèmes. Le comité Warnock, au Royaume-Uni, qui s'est penché sur la question, a déclaré que c'était le sujet le plus complexe qu'il ait eu à étudier dans le cadre de la reproduction assistée.
J'ai mon opinion personnelle sur la maternité de substitution, mais je dois dire que si on l'interdit elle se pratiquera quand même en cachette. J'ai vu de nombreux cas, en Nouvelle-Zélande et en Australie, où elle a été couronnée de succès et n'a pas semblé poser de problèmes. Il y a eu aussi des situations qui ont fait la une des médias parce qu'elles ont entraîné un tas de difficultés. Selon moi, il s'agit de faire en sorte que les personnes vulnérables ne soient pas rendues encore plus vulnérables à la suite d'une intervention, quelle qu'elle soit.
Pour la Nouvelle-Zélande la commercialisation de ce genre d'opération n'est pas acceptable. On ne peut pas imaginer que cela puisse faire l'objet d'un échange d'argent. On ne peut pas non plus accepter la création d'agences chargées de trouver des mères porteuses. Nous ne pourrions jamais l'accepter. Mais nous comprenons que dans certaines circonstances, sur le plan médical—par exemple lorsqu'une femme n'a pas d'utérus—on puisse justifier une intervention visant à permettre à cette femme et son conjoint d'avoir un enfant.
Mais il y a tout un côté conseil et accompagnement qui est crucial. Ainsi, le couple demandeur doit être conseillé, par un professionnel, de même d'ailleurs que la mère porteuse et sa famille, si elle en a une; ils doivent ensuite se rencontrer en présence des deux professionnels pour discussion approfondie de toute la question. L'autorisation finale n'est accordée que si les conseillers font un rapport au comité de déontologie qui donne entière satisfaction, et qui prouve qu'il n'y a pas de problèmes majeurs en vue.
La présidente: Merci beaucoup.
Monsieur Lunney, aviez-vous une autre question à poser?
M. James Lunney: Une toute petite question.
Merci. Voilà qui est intéressant. J'ai une dernière question à poser sur un sujet parallèle, celui de l'achat ou de la vente de gamètes.
• 1945
On voit que l'on offre des sommes faramineuses à des
mannequins de mode qui seraient prêtes à donner des gamètes, dans
l'espoir de créer une famille sur mesure, je suppose, quelque chose
qui ressemblerait à l'eugénisme. Qu'est-ce qui se passe en
Nouvelle-Zélande dans ce domaine?
M. Ken Daniels: Nous avons une politique générale de non- commercialisation, pour tout ce qui touche aux enfants. Nous ne permettons pas que l'adoption puisse être rétribuée, et dans un certain sens nous avons adopté ce principe dans le domaine de la reproduction assistée.
J'ai discuté avec des fonctionnaires de Santé Canada il y a quelques années, et nous avons eu un débat intéressant à ce sujet. Je crois que l'on peut faire une certaine place à la notion de remboursement de certains frais, mais je crains que cela ne devienne un paravent masquant la notion de rétribution. Autrement dit, vous allez jusqu'à la clinique du coin de la rue, vous faites votre don, et vous êtes payé 20 $ ou 30 $, bien que cela ne vous ait rien coûté. Cela me semble alors plutôt un paiement pur et simple, plutôt qu'un remboursement. Il faudra donc bien distinguer entre rétribution et remboursement de frais dès le début.
Mais il ne fait aucun doute qu'en Nouvelle-Zélande et en Australie on résiste beaucoup à cette idée de l'achat ou de la vente de gamètes.
M. James Lunney: Pour que ce soit parfaitement clair, vous nous dites qu'on autorise le remboursement de certains frais, dans certaines limites?
M. Ken Daniels: Oui, mais la plupart de ceux qui viennent ne réclament rien. Les donneurs ne demandent jamais d'argent, parce qu'ils baignent dans une culture où c'est un petit peu comme donner du sang. Les dons de sang ne sont pas rétribués en Nouvelle- Zélande. En Amérique, oui. Mais pas au Canada, si je ne me trompe. Toute la tradition fait comprendre qu'il s'agit d'un don pur, et c'est exactement ce que nous tenons à encourager. C'est un aspect important de la question.
M. James Lunney: Merci beaucoup, professeur Daniels.
La présidente: Merci beaucoup, professeur. Merci de nous avoir consacré une partie de votre temps, nous vous remercions aussi pour le travail de recherche que vous faites dans ce domaine, puisque nous en profitons. Nous vous souhaitons donc beaucoup de succès dans vos travaux futurs. Merci encore.
Est-ce que tout le monde est comme moi et pense que nous attendons déjà depuis deux semaines de pouvoir discuter entre nous, la deuxième heure de demain? Est-ce que c'est ce qui était entendu?
M. James Lunney: Qui sera le témoin, demain?
La présidente: Un instant, s'il vous plaît.
Vous attendiez-vous, vous, à ce qu'il y ait d'abord des témoins à la première heure, et que la deuxième soit réservée à notre débat interne? C'est ce dont vous vous souveniez?
Une voix: Je ne sais pas.
M. Stan Dromisky: Je ne me souviens pas. Je fais partie de trop de comités à la fois pour m'en souvenir.
La présidente: Très bien. Maintenant, je m'en souviens. C'est très important, et je croyais que je m'étais entendue avec nos attachés de recherche là-dessus, et que je vous avais fait savoir que la deuxième heure de jeudi de cette semaine serait réservée à un débat nous permettant de tirer au clair certaines positions encore un peu floues du comité.
Une voix: Oui, c'est cela.
Mme Nancy Miller Chenier (attachée de recherche du comité): Puis-je prendre la parole?
La présidente: Oui.
Mme Nancy Miller Chenier: Demain, c'est la dernière réunion pour les témoins, comme vous avez pu le lire sur votre programme, et il y a par ailleurs deux choses qui, d'après certains membres du comité, font défaut.
La présidente: Il s'agissait de Mme Wasylycia-Leis...
Mme Nancy Miller Chenier: Non...
La présidente: Qui d'autre?
Mme Nancy Miller Chenier: Il y en avait d'autres.
La présidente: Très bien.
Mme Nancy Miller Chenier: Il y avait notamment l'équivalence. Nous n'avons rien au dossier...
La présidente: Article 41.
Mme Nancy Miller Chenier: ...sur l'article 41. Je ne devrais pas dire que nous n'avons rien dans nos dossiers, mais il nous faudrait quelques explications supplémentaires sur cet article. L'autre question qui inquiétait certains était celle des handicapés. On les avait inscrits pour la semaine du déplacement, ils n'ont pas pu venir, et ils n'ont pas pu venir non plus lundi de cette semaine, où nous avions inscrit tout un groupe de témoins. Il y a donc des gens qui voudraient pouvoir prendre encore la parole demain comme témoins.
M. Rob Merrifield: Les handicapés?
Mme Nancy Miller Chenier: Oui.
La présidente: On avait donc, je crois, prévu une heure pour les dispositions équivalentes, et une heure pour les handicapés; cela ne nous laisse rien pour nous. D'un autre côté, nous pourrions entendre les témoins et ensuite en rester là, sans leur poser de questions, et conserver la deuxième heure pour nous. Je suis à votre disposition.
M. Rob Merrifield: Ça me convient. Les questions porteraient précisément sur l'équivalence. Dans la mesure où nous aurons la possibilité de poursuivre individuellement le dialogue avec eux, ça devrait suffire.
La présidente: Très bien.
Je vous rappelle aussi le deuxième volet de cette affaire. Est-ce que cela vous convient comme cela, docteur Dromisky et madame Thibeault?
M. Stan Dromisky: Oui.
La présidente: Très bien.
[Français]
Mme Pauline Picard: Madame la présidente, je voudrais savoir ce que vous entendez par l'équivalence. Est-ce que c'est la réglementation...
[Traduction]
La présidente: Il s'agit de l'article 41, l'équivalence provinciale. Je pense que c'est le paragraphe 41(1) de l'avant-projet de loi. C'est un peu comme une clause de retrait ou désistement.
Mme Pauline Picard: Très bien.
La présidente: Nous nous en tiendrons donc à ce plan.
Souvenez-vous également que demain nous nous rencontrons de 11 heures du matin—et non pas 11 h 30—jusqu'à midi, avec ensuite une interruption pour la réunion de l'UIP, pour être de retour à 12 h 30 ou 12 h 40, après que nous aurons voté. Je vous en avais parlé déjà il y a 10 jours.
M. Stan Dromisky: Oui, nous étions d'accord.
La présidente: Merci.
La séance est levée.