NDVA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS
COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 10 février 1998
[Français]
Le président (M. Robert Bertrand (Pontiac—Gatineau—Labelle, Lib.)): Mesdames et messieurs, j'aimerais vous souhaiter la bienvenue à nos audiences. Il n'est sans doute pas nécessaire que je vous explique de façon détaillée la raison d'être de ces séances et de notre présence. Je demanderai d'abord à chacun des parlementaires ici présents de se présenter et je donnerai ensuite des consignes relatives à la bonne marche de nos délibérations de ce soir.
• 1830
Je commencerai par me présenter: je m'appelle
Robert Bertrand et je suis le président du comité.
Mme Pierrette Venne (Saint-Bruno—Saint-Hubert, BQ): Je m'appelle Pierrette Venne. Je suis porte-parole du Bloc québécois en matière de défense nationale. Je représente le comté de Saint-Bruno—Saint-Hubert. Bonsoir.
[Traduction]
M. Leon Benoit (Lakeland, Réf.): Je m'appelle Leon Benoit. Je suis député de la circonscription de Lakeland dans le centre-est de l'Alberta. Je suis le porte-parole du Parti réformiste en matière de défense.
Mme Judi Longfield (Whitby—Ajax, Lib.): Je m'appelle Judi Longfield. Je suis députée de la circonscription ontarienne de Whitby—Ajax, qui se trouve juste à l'est de la région métropolitaine de Toronto. Je suis une libérale.
M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.): Je m'appelle David Pratt. Je suis moi aussi député libéral. Je représente la circonscription de Nepean—Carleton, juste à l'extérieur d'Ottawa.
[Français]
Le président: Nous siégerons ce soir jusqu'à 21 heures et nous reprendrons nos délibérations demain matin dès 8 heures. J'encourage les gens qui ne pourront pas venir faire leur présentation demain matin à donner leur nom à Éric.
J'ai devant moi une liste de témoins. Je vous demanderais de limiter votre présentation à une dizaine de minutes afin que nous puissions entendre le plus grand nombre de personnes possible.
Donc, sans plus tarder, je demande au colonel Marcotte de venir nous adresser la parole.
Colonel Benoît Marcotte (commandant de la 3e escadre, BFC Bagotville): Monsieur Bertrand, distingués membres du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants, militaires de Bagotville, conjoints et conjointes de la 3e escadre, mesdames et messieurs, j'ai eu cet après-midi l'occasion de rencontrer les membres de votre comité et de leur présenter un premier exposé sur la 3e escadre et sa mission.
Je leur ai présenté un tour d'horizon de ce que nous sommes, de notre mission, des ressources humaines et matérielles dont nous disposons à Bagotville pour effectuer cette mission, ainsi qu'un petit tour d'horizon de la région et de notre situation au sein de cette région. Nous espérons que cet encadrement vous permettra de mieux comprendre et surtout de bien replacer dans leur contexte les interventions que les gens de Bagotville feront ce soir devant le comité. Je vous remercie encore une fois de votre visite à Bagotville et d'avoir pris le temps de venir nous écouter.
Je m'attends à ce que vous receviez des témoignages qui touchent à bien des maux auxquels on vous a déjà sensibilisés lors de vos visites dans les autres bases canadiennes. Nos problèmes ici, à Bagotville, ne sont pas très différents de ceux des gens des autres bases. Le coût de la vie hors de proportion, dont vous avez d'ailleurs entendu parler à Esquimalt, n'est pas un problème aussi aigu à Bagotville, mais les problèmes financiers y sont tout aussi présents.
Le salaire chroniquement trop bas de nos militaires fera sûrement l'objet de plusieurs exposés. Chez beaucoup de nos gens, ce manque à gagner se traduit par une perte de confiance en notre gouvernement quant à la rémunération adéquate de ses militaires pour leur expertise et les conditions de travail difficiles qui leur sont imposées. Une série de problèmes découle de ces échelles de salaires qui sont trop basses. Une attrition prématurée causée par le secteur privé qui vient chercher nos militaires désillusionnés et à la recherche d'une rémunération juste et équitable en est le signe le plus significatif et le plus criant. Je perds des techniciens fort qualifiés qui cherchent un meilleur salaire à Montréal ou ailleurs, dans les avionneries.
• 1835
L'an dernier, j'avais des techniciens spécialistes en
finition de matériaux complexes, comme les structures
d'avion, qui pouvaient se trouver des emplois tout aussi
rémunérateurs dans des ateliers de débosselage en
ville. Mais le signe le plus choquant est la perte
incontrôlée de mes pilotes de CF-18 qui vont travailler
pour les lignes aériennes. Je devrais en avoir 23 par
escadron mais, depuis deux ans, nous n'arrivons pas à
combler tous les postes; c'est-à-dire que nous devons
nous contenter de 20 ou 21 pilotes par escadron de CF-18.
Il y a deux mois, nous avions prévu avoir 21 pilotes par escadron à l'été 1998, incluant les nouvelles recrues. Sept départs volontaires ont été annoncés au cours des dernières semaines. Les postes ne seront tout simplement pas comblés parce que nous n'avons plus de pilotes en réserve dans les forces d'état-major, et nos espoirs d'avoir des escadrons robustes pour effectuer les missions que notre gouvernement pourrait nous confier fondent peu à peu. De plus, nos risques augmentent, car les pilotes que nous perdons sont nos pilotes seniors, responsables de la supervision et de l'entraînement des plus jeunes.
D'autres problèmes reliés au salaire, tels que les problèmes financiers et le stress familial qui en découle, feront probablement l'objet de témoignages.
Je prévois que le second problème majeur que nos gens soulèveront sera celui du déracinement. Une foule de problèmes sont reliés aux déménagements imposés à nos militaires. Des familles sont séparées pour toutes sortes de raisons: financières, scolaires, perte inacceptable d'emploi du conjoint, difficulté à se défaire de sa résidence, la langue, etc. Ceux qui déménagent toute la famille font face à d'autres problèmes liés au déracinement et au réenracinement qui touchent toute la famille. Il y a des problèmes d'incompatibilité scolaire, de manque d'occasions d'emplois lié, entre autres, au taux de chômage élevé dans la région, mais il y a aussi d'autres difficultés pour les couples anglophones qui tentent de s'adapter dans un milieu francophone et surtout d'y dénicher un emploi.
La perte du second revenu dans une famille canadienne des années 1990 a des conséquences fort sérieuses. Nous l'imposons à nos militaires. Bien sûr, cela est encore plus compliqué pour une famille monoparentale dans un contexte de déménagements fréquents.
Si personne d'autre ne vous parle des sacrifices que nous devons faire en nous séparant de nos enfants quand ils ont 16 ans, tout simplement parce qu'il ne serait pas humain de leur demander de changer de système scolaire dans leurs dernières années du secondaire, je pourrai élaborer là-dessus plus tard, car Carole, mon épouse, et moi-même avons vécu cela avec nos deux enfants au cours des deux dernières années.
Le troisième problème qui fera probablement surface sera la charge de travail qui n'a pas diminué, bien que les effectifs des Forces canadiennes, eux, aient diminué de plus de 20 000 militaires au cours des dernières années. En fait, la charge de travail a augmenté. Nous avons une mission de déploiement plus exigeante qu'en 1993. Plusieurs de nos gens ont à effectuer plusieurs missions de paix sous l'égide de l'ONU ou de l'OTAN.
Le stress du travail au quotidien augmente. En plus d'exiger davantage de nos gens pour atteindre les objectifs, on réorganise nos métiers en forçant les gens à assumer plus de responsabilités, mais on ne planifie pas de les rémunérer plus pour les nouvelles compétences acquises. Ils en feront tout simplement plus pour le même salaire. Est-ce que ces employés plus qualifiés ne seront pas plus intéressants pour l'entreprise privée qui, elle, sera prête à les payer un peu plus pour leur niveau de compétence?
Entre-temps, on menace de tous côtés de nous remplacer par des entreprises privées qui feraient mieux notre travail. Nous réussissons à maintenir des journées de travail normales pour nos jeunes militaires, mais je sais fort bien que le nombre d'heures passées au travail chaque jour augmente considérablement avec le grade. Mes sergents, adjudants, adjudants-maîtres et adjudants-chefs doivent constamment faire du travail en dehors des heures normales de leur journée. Ils le font par fierté et par intérêt pour leurs subordonnés, mais ils ne sont pas rémunérés pour ces heures additionnelles. En fait, ils le font au détriment de leur famille dans bien des cas.
Cette situation commence au niveau du grade de capitaine senior et se dégrade rapidement pour mes majors et lieutenants-colonels. Est-ce normal? Je ne le crois pas. Ce stress additionnel accentue l'exode pour ceux qui en ont assez. Il en résulte des problèmes familiaux, des congés de maladie et, malheureusement, parfois de la violence conjugale pour d'autres. Quelques-uns de nos spécialistes en intervention psychosociale, financière ou médicale viendront sûrement témoigner de ce qu'ils vivent depuis quelques mois lors de leurs interventions.
On vous parlera probablement de l'impact des coupures budgétaires dans les services sur lesquels nos gens pouvaient compter auparavant. Même si nos gens sont notre ressource la plus précieuse, le manque de fonds nous force, année après année, à couper petit à petit les services qui compensaient un peu pour les sacrifices de la vie militaire.
• 1840
Ces coupures font également en sorte
que nous coupons dans les ressources disponibles pour
effectuer nos missions. Nous achetons moins d'outils,
moins de véhicules, et nous effectuons moins d'entretien
préventif sur les équipements et sur les édifices. Nous
nous effritons petit à petit.
Finalement, je ne serais pas surpris que des gens de Bagotville vous entretiennent de l'effet négatif du salissage national que nous avons vécu dans les médias au cours des dernières années à cause du malheureux incident de la Somalie, incident qui a un impact sur l'estime de soi des militaires.
La profession militaire a des exigences personnelles inégalées dans toutes les autres professions, et le manque de reconnaissance publique envers notre profession fait en sorte que nos gens se demandent si le Canada et les Canadiens apprécient vraiment leur engagement illimité.
Il est dommage que l'on ait tendance à louanger le travail des militaires seulement après leurs services rendus lors de désastres comme celui du Saguenay en 1996, celui de Winnipeg au printemps dernier ou la tempête de verglas d'il y a un mois.
Bien des Canadiens s'imaginent que nos militaires ont été payés en temps supplémentaire pour leurs services lors de ces opérations. N'est-ce pas là un signe qui laisse entendre que les militaires, comme les autres Canadiens, font tout simplement du 8 à 4? Où sont les signes de la part du Canada qui font en sorte qu'on valorise encore les Forces armées et ce qu'elles représentent?
Est-ce que le Canada veut encore avoir des gens qui sont engagés, disciplinés, formés et prêts à intervenir comme ressources de dernier recours lorsque plus rien ne va? Les signaux qu'on donne aux militaires depuis 1990 indiquent le contraire, et l'exode malheureux de gens bourrés de talents fait foi de la perte de ce feu sacré de nos gens envers notre profession.
En tant que commandant de la 3e escadre, je crois que ce sont là les témoignages que vous entendrez au cours des prochaines séances. Je me trompe peut-être, car les propos que je viens de tenir ne sont absolument pas le résultat de discussions que j'ai eues avec des gens qui sont ici ce soir et qui ont prévu de se présenter au microphone, mais bien ma perception des choses en ce début de 1998.
Nous avons bien dit à notre personnel qu'il était tout à fait libre de critiquer tout aspect qui les intéresse sans risque de représailles. Ils peuvent traiter de n'importe quel sujet pertinent à votre mandat et je les invite à le faire ce soir ou demain matin. J'espère cependant que le tout ne vous apparaîtra pas négatif, car nous nous efforçons toujours, à Bagotville, de créer la meilleur qualité de vie possible pour nos gens.
Les efforts de mes prédécesseurs ont fait en sorte que les infrastructures requises pour le soutien au personnel soient modernisées et améliorées. Malgré nos moyens plus maigres aujourd'hui, nous tentons de poursuivre ces efforts et de bien équilibrer nos ressources entre les besoins opérationnels et l'amélioration de la qualité de vie de notre ressource la plus importante, c'est-à-dire nos gens.
La création du premier centre multiservice en 1990 ici, à Bagotville, nous a donné un élan formidable pour identifier et combler certains des besoins de nos gens. Vous avez visité ce centre et rencontré quelques-uns des employés cet après-midi. Je tiens à les louanger ici ce soir pour leur excellent travail pour notre communauté. Sans eux et sans les intervenants militaires et civils, incluant le personnel de notre caisse d'économie qui oeuvre plus spécifiquement auprès de nos employés, les malaises que l'on ressent aujourd'hui auraient eu des conséquences beaucoup plus néfastes.
Je suis choyé, en tant que commandant, d'avoir une aussi forte équipe de gens dévoués à prévenir les problèmes psychosociaux, à déceler ceux qui pointent le bout du nez et à y trouver des solutions efficaces le plus rapidement possible, lorsque c'est nécessaire.
Je vous remercie de votre attention. Avec votre permission, je reviendrai comme dernier intervenant demain matin pour clore cette tribune. Je demeure à votre entière disposition pour clarifier tout point ou répondre à toute question durant les audiences.
Le président: Merci beaucoup, colonel. Vous allez remettre une copie de votre présentation au greffier, s'il vous plaît.
Nous allons maintenant passer à une période de questions. Monsieur Benoît.
[Traduction]
M. Leon Benoit: Je vous remercie, monsieur le président.
Bonsoir, colonel. Je tiens à vous remercier de votre présentation. Bien des points que vous avez soulevés ont effectivement été portés à notre attention. Peut-être pourriez-vous en choisir deux qui, après réflexion, reflètent le mieux les principales préoccupations des gens de votre base?
Col Benoît Marcotte: Je pense que ce qui les préoccupe le plus, c'est le salaire toujours trop bas. Je pense que le déracinement du personnel du point A au point B dans la société d'aujourd'hui est probablement un autre grand problème. Les interventions de ce soir et de demain indiqueront peut-être que je me trompe, mais je crois que c'est probablement l'une des plus grandes préoccupations et celle qui suscite un profond malaise.
L'accumulation du stress au travail à cause de tout ce qui se passe dans le secteur militaire est aussi une source de préoccupation et de pressions supplémentaires. Ensemble, la faiblesse des salaires, le déracinement et les problèmes qui s'y rattachent, sans compter l'augmentation de la charge de travail, sont en train d'augmenter le stress au travail au point où les gens préfèrent quitter le service. C'est ce qui se passe à Bagotville et c'est ce qui est en train de se passer dans d'autres bases.
M. Leon Benoit: En ce qui concerne la faiblesse des salaires, nous savons comment y remédier.
En ce qui concerne le deuxième sujet de préoccupation, quels sont les changements que vous avez recommandés ou que vous recommanderiez pour remédier à certains de ces problèmes de séparation des familles, qui dans certains cas semble inutile?
Col Benoît Marcotte: Il est fort probable que certains de ces problèmes persisteront tant que nous déracinerons et déplacerons les familles. Je pense que certaines initiatives prises à Ottawa pour prolonger les affectations contribueront sans doute à atténuer les problèmes.
Le système d'éducation qui varie d'une province à l'autre est un problème pour lequel je n'ai aucune solution immédiate à moins que les militaires aient leur propre système scolaire, comme c'était le cas lorsque nous étions en Europe. Nous avions une école canadienne pour notre personnel qui vivait dans des stations en Europe. Cela a permis à nos étudiants de faire leurs études dans un seul système scolaire. Cela est impossible entre le Québec et l'Ontario et les autres provinces à l'heure actuelle au niveau secondaire. Cela demeure un problème pour certains de nos enfants.
Pour ce qui est de trouver d'autres solutions, nous nous efforçons de le faire. L'une des solutions consisterait peut-être à améliorer la rémunération de nos militaires afin que lorsqu'ils sont séparés de leurs familles, une partie de leur salaire serve à compenser ce déracinement et les bouleversements qu'il suscite. Ce n'est pas le cas à l'heure actuelle.
M. Leon Benoit: Je vous remercie.
Le président: Madame Venne.
[Français]
Mme Pierrette Venne: Colonel, vous voudriez voir des signes qui montreraient que l'on valorise les Forces armées dans la population. Je voudrais dire que chacun devrait faire son travail. J'ai parlé à certains de vos militaires. Je sais qu'ils ne portent pas les médias dans leur coeur et je pense qu'ils ont de bonnes raisons. J'aimerais vous raconter quelque chose qui est arrivé durant la tempête de verglas, au moment où les hommes travaillaient très fort, spécialement dans notre région de Saint-Hubert, Saint-Bruno, Saint-Hyacinthe, etc. Il y a eu un reportage qui disait que les clubs de danseuses nues étaient des plus achalandés à cause de la présence des hommes des Forces armées dans la région. J'ai trouvé aberrant qu'une chose semblable soit dite et que, par la suite, personne ne vienne la démentir. Pourquoi est-ce que personne n'a pris votre parti? Pourquoi est-ce que personne n'a pas eu l'idée de dire qu'un journaliste devait dérailler un peu?
Je sais que ce n'est pas toujours simple à faire. Moi-même, étant en politique, j'ai été assez souvent échaudée par les médias et je pense qu'il faudrait faire quelque chose à ce sujet. Il faudrait peut-être créer un poste en marketing au sein des Forces pour faire en sorte que des incidents semblables ne se reproduisent pas.
Vous dites par ailleurs que vous perdez des pilotes que vous avez évidemment formés et que les compagnies commerciales viennent chercher.
Col Benoît Marcotte: Et des techniciens.
Mme Pierrette Venne: Et des techniciens.
Col Benoît Marcotte: Plusieurs techniciens essayent de se trouver un emploi à l'extérieur. On constate qu'il ne s'agit pas seulement de pilotes, bien que ce soit ce qui domine à l'heure actuelle. Il est certain que le manque de pilotes pourrait avoir un impact majeur, parce que si on n'a pas de pilotes pour voler, nos avions ne voleront plus. Et il est également certain que si je n'ai pas de techniciens pour les réparer, comme on travaille en équipe, j'aurai des problèmes.
• 1850
Dans certains métiers, de plus en plus de militaires
sont attirés vers l'extérieur.
Mme Pierrette Venne: Je vous demanderais alors pourquoi, au lieu de vous les faire voler, vous n'iriez pas les voler. Je sais que vous allez me dire que c'est une question de budget.
Col Benoît Marcotte: C'est aussi une question de formation.
Mme Pierrette Venne: Mais au prix que vous coûte leur formation, je pense que vous pourriez vous en payer quelques-uns. Pourriez-vous me dire combien coûte la formation d'un pilote de CF-18?
Col Benoît Marcotte: On peut mentionner le chiffre d'environ cinq millions de dollars quand on inclut tous les coûts afférents.
Mme Pierrette Venne: Cinq millions!
Col Benoît Marcotte: Cinq millions.
Mme Pierrette Venne: Cinq millions pour un pilote! Je pense qu'on pourrait s'en payer plusieurs et aller en voler quelques autres ailleurs.
Col Benoît Marcotte: Il faut les former pour faire le travail. Il faut comprendre, madame Venne, que le travail d'un pilote de CF-18 ne consiste pas simplement à faire voler l'avion, mais aussi à être un guerrier qui opère un avion pour participer à la défense du Canada ou contribuer à un contingent international. Donc, la grande partie de la formation consiste à leur apprendre à faire un travail avec l'avion.
Faire voler l'avion, le faire décoller, le faire atterrir comme un pilote le fait pour une ligne aérienne, ce qui est plutôt un travail routinier, n'est pas du tout le type de travail d'un pilote de CF-18. D'autre part, nos techniciens et nos pilotes sont spécialisés dans le type d'opération militaire qu'on fait, dans des conditions très différentes de celles de l'entreprise privée.
Mme Pierrette Venne: Vous les formez de A à Z. Vous pourriez peut-être les former en partie, ce qui entraînerait moins de frais pour vous, me semble-t-il. Je vous dis cela simplement parce que j'essaie de trouver un moyen pour que vous puissiez les payer adéquatement afin qu'on ne vous les enlève pas par la suite.
On m'a dit également que vous allez dorénavant utiliser la base de Moose Jaw pour faire de la formation, ce qui vous coûtera moins cher. Est-ce vrai?
Col Benoît Marcotte: On va partager l'entraînement avec d'autres pays de l'OTAN. Il y aura en quelque sorte une école de l'OTAN où on amènera d'autres étudiants. On pourra ainsi amortir les coûts de cette école entre plusieurs pays. C'est de cette façon qu'on va continuer à réduire nos coûts d'entraînement.
Mme Pierrette Venne: Merci.
Col Benoît Marcotte: Merci.
Le président: Merci beaucoup, madame Venne.
[Traduction]
Judi.
Mme Judi Longfield: J'aimerais aborder certains des thèmes dont discutait Mme Venne.
Nous savons que nous pouvons améliorer l'image des Forces canadiennes. Que pouvons-nous faire, que pouvez-vous faire pour mettre ce processus en branle?
Col Benoît Marcotte: À l'échelle nationale, nous pouvons certainement mieux expliquer au public canadien le rôle des Forces canadiennes et insister sur les raisons pour lesquelles nous avons besoin des militaires, pour lesquelles nous avons besoin de soldats, de pilotes et de marins au Canada. Au niveau régional, je pense que nous faisons un certain nombre d'efforts pour mieux nous faire connaître de la population dans la région. Je dirais que ces efforts sont en cours depuis une dizaine d'années dans la région du Saguenay.
L'été dernier, nous avons ouvert le musée ici à Bagotville pour expliquer à la population et aux nombreux touristes qui visitent la région pendant l'été en quoi consiste la défense aérienne du Canada, quelle est notre tradition, quel est notre patrimoine. En même temps, nous avons organisé des visites publiques de la base. L'été dernier, nous avons accueilli 6 000 touristes à la base de Bagotville. On leur offrait une visite de deux heures pendant laquelle nous leur expliquions en quoi consiste notre mission et comment nous l'effectuons ici. Nous prévoyons reprendre ce programme l'été prochain à partir de la Saint-Jean-Baptiste jusqu'à la Fête du Travail, c'est-à-dire pendant la saison touristique, pour essayer encore une fois de mieux faire connaître aux Canadiens, aux visiteurs, le rôle de la base de Bagotville et des Forces armées en général.
Mme Judi Longfield: C'est très bien pour ceux qui visitent la région mais les gens de ma région n'iront peut-être pas là-bas et n'auront pas la même possibilité. Êtes-vous prêt à préparer des communiqués que les députés pourraient diffuser en votre nom dans les circonscriptions où il n'y a pas de présence militaire, où nous pouvons commencer à bombarder les petits médias locaux de bonnes nouvelles, c'est-à-dire le genre de choses dont nous aurons besoin pour sensibiliser le public à vos activités et à votre situation? Ce n'est pas le cas pour l'instant.
Col Benoît Marcotte: J'espère que notre service d'affaires publiques est en train de préparer ces communiqués. Nous tâchons de le faire chaque fois qu'il y a une activité importante.
• 1855
Vous avez lu dans le journal local le week-end dernier un
article sur le déploiement d'un de nos escadrons de F-18 en Norvège
le mois prochain dans le cadre d'un important exercice de l'OTAN.
Nous tâchons donc d'expliquer notre mission et de transmettre de bonnes nouvelles, comme je l'ai dit, à propos de ce que nous faisons. Avec un peu de chance, ces bonnes nouvelles atteindront vos électeurs de l'est de Toronto.
Mme Judi Longfield: Si ce n'est pas le cas, il est possible que je communique avec vous pour vous demander de me fournir ce genre de communiqué afin que je puisse le diffuser en votre nom. Je sais que certains de mes collègues le feront avec plaisir, eux aussi.
Col Benoît Marcotte: Je me ferai un plaisir de vous les fournir.
Mme Judi Longfield: J'aimerais maintenant aborder un autre aspect.
Quelles sont les possibilités d'avancement ou de promotion?
Col Benoît Marcotte: Dois-je répondre à cette question?
Mme Judi Longfield: Seulement si vous voulez que cela soit rendu public. J'ai déjà entendu la réponse mais je pense que plus on en parlera dans le cadre d'une tribune publique, mieux ce sera.
Col Benoît Marcotte: Nous avons réduit les effectifs des Forces armées de 20 000 militaires. L'objectif visé est de 60 000 militaires. On ne peut pas prendre ce genre de mesure sans que cela ait de sérieuses répercussions sur l'organisation. Les chances d'avancement pour les particuliers, qui leur offre la possibilité d'augmenter légèrement leur salaire, de passer au grade suivant, ont été sérieusement restreintes récemment. Vous avez entendu la réaction des gens ici.
Mme Judi Longfield: Les échelons de rémunération sont-ils suffisants? Comment pouvons-nous les améliorer? Quelles autres mesures proposez-vous si l'avancement est impossible?
Col Benoît Marcotte: À chaque grade correspond une échelle salariale. Si vous divisez cela en 20 échelons au lieu de 10, mais que l'échelon supérieur et les échelons inférieurs restent les mêmes, cela...
Mme Judi Longfield: Ce n'est qu'un palliatif.
Col Benoît Marcotte: ...échelonne les bonnes nouvelles sur 20 ans au lieu de 10, vu sous cet angle. Cela est donc déterminé par l'échelle salariale d'un grade en particulier.
Mme Judi Longfield: Il y a bien des années, on avait envisagé, au lieu d'une promotion d'un grade à un autre, des échelons plus latéraux et une rémunération supplémentaire pour certaines compétences et connaissances. Est-ce une mesure que nous devrions envisager de nouveau ou serait-elle très difficile à administrer?
Col Benoît Marcotte: C'est définitivement un problème qui se pose lorsque notre personnel nous demande pourquoi après avoir acquis de nouvelles compétences, il n'est pas rémunéré en conséquence. Je pense que j'ai abordé cet aspect dans mon texte. Nous avons fusionné nos techniciens en avionique, lors de la réorganisation des GBN de la série 500, dont l'effectif est passé de 13 à 4. Les gens acquièrent de nouvelles compétences, mais nous ne semblons pas établir de nouvelles échelles salariales qui tiennent compte de leur formation plus poussée ni de leurs compétences supplémentaires. C'est peut-être une question à laquelle il faudrait donner suite.
Mme Judi Longfield: C'est donc une mesure que nous devrions envisager très sérieusement.
Col Benoît Marcotte: Cela encouragerait les employés à acquérir de nouvelles compétences puisque les employés plus qualifiés seraient récompensés en faisant différents types de travail.
Mme Judi Longfield: Cela se fait dans d'autres secteurs. Je ne vois pas pourquoi cela ne se ferait pas ici.
Col Benoît Marcotte: C'est exact. Pourquoi pas?
Mme Judi Longfield: Je céderai la parole à M. Pratt.
Le président: Monsieur Pratt.
M. David Pratt: Je vous remercie, monsieur le président.
Colonel, vous avez soulevé la question des transferts plus tôt et des difficultés que cela crée. Nous avons entendu bien des témoignages à ce sujet partout où nous sommes allés.
Si, par principe, le MDN voulait réduire le nombre de transferts, quel en serait l'impact, le cas échéant, sur notre capacité opérationnelle?
Col Benoît Marcotte: Il y a un impact positif et un impact négatif. L'impact négatif, c'est que si vous vous trouvez dans un endroit où vous voulez être et où vous pouvez vraiment vous enraciner, cela donne une certaine stabilité à toute la famille. Si vous vous trouvez dans un endroit qui ne vous plaît pas et qu'on vous indique que vous y serez pendant sept ans au lieu de trois, cela nuit à la qualité de vie de la famille en question.
Dans certains cas, certaines personnes veulent être transférées tôt; dans d'autres cas, certaines personnes préfèrent rester au même endroit. Je dois reconnaître que nous avons parfois réussi à tenir compte des souhaits de certaines personnes. Si je regarde le cas des personnes qui voulaient rester ici à Bagotville pendant un certain nombre d'années, certaines ont effectivement eu la chance de le faire, et tout s'est très bien passé. Nous tâchons de faire de notre mieux pour tenir compte des souhaits des autres.
Cette année est particulièrement intéressante. Dans l'ensemble des Forces armées, il y aura un peu plus de 5 000 déménagements de militaires. Donc cela restreindra énormément les mouvements cet été et, comme je l'ai dit, il y a des répercussions positives et des répercussions négatives.
M. David Pratt: Pourriez-vous nous donner un peu plus de précision à propos des répercussions négatives?
Col Benoît Marcotte: Comme je l'ai dit, les gens qui veulent aller ailleurs n'en ont pas l'occasion; ils n'ont pas l'occasion de voir comment ça se passe ailleurs.
M. David Pratt: Vous voulez dire des répercussions négatives sur le plan opérationnel en ce qui concerne les compétences des personnes en question. Est-ce que cela influe sur leurs compétences si elles reçoivent une certaine formation, disons à Moose Jaw ou à Cold Lake, qu'elles ne recevraient pas ici?
Col Benoît Marcotte: Dans certains cas, il est préférable que les gens restent plus longtemps à un endroit parce que nous profitons alors des compétences qu'ils ont acquises.
Prenons le cas d'un technicien qui travaille sur le CF-18. S'il a travaillé sur le CF-18 pendant cinq ans au lieu de trois ans, c'est un meilleur technicien. C'est normal. Si on les affecte ailleurs trop vite, on se trouve à diluer un peu... à moins qu'un technicien qui arrive d'une autre base ait cinq années d'expérience sur le F-18.
Donc, sur le plan opérationnel, cela pourrait avoir une certaine importance. Parallèlement, l'une des raisons pour lesquelles le personnel militaire se déplace d'une base à l'autre, c'est pour diversifier ses expériences et élargir ses connaissances. C'est l'un des avantages que l'on perd si les gens restent à un endroit trop longtemps.
M. David Pratt: Colonel, je ne veux pas vous mettre dans l'embarras, mais nous encourageons les gens à s'exprimer franchement ici ce soir. Y a-t-il une question qui est pour vous une source de frustration en ce qui concerne vos rapports avec le quartier général de la Défense nationale, une question qui touche votre personnel?
Col Benoît Marcotte: Vous parlez du quartier général de la Défense nationale mais vous pourriez aussi parler du quartier général de la force aérienne à Winnipeg. À l'heure actuelle, il est facile d'être frustré. Leur effectif a été tellement réduit au cours des deux dernières années, ils ont perdu 50 p. 100 de leur personnel, qu'ils sont encore en train de se réorganiser. Il est donc difficile d'attirer leur attention sur des problèmes particuliers parce qu'ils doivent se réorganiser et se familiariser avec les dossiers dont s'occupait quelqu'un qui ne s'en occupe plus. Ils sont donc encore en train d'essayer de s'organiser, à Ottawa ou Winnipeg, et c'est une source de frustration pour l'instant.
Nous tâchons de nous occuper de notre mieux de nos problèmes jusqu'à ce que cette restructuration à Winnipeg ou à Ottawa soit terminée. Cela prendra du temps. Il est impossible de réduire un effectif de moitié et de s'attendre à ce qu'il soit prêt à fonctionner et à soutenir les opérations au niveau tactique sans avoir passé d'abord par ce processus de réorganisation.
Nous devons leur donner du temps. Il y a un certain nombre de dossiers à propos desquels nous attendons des réponses. Nous attendons des réponses pour le règlement de certains griefs. J'attends un certain nombre de choses...
Ils n'ont pas encore déterminé qui s'occupera de ce travail parce que la restructuration est toujours en cours.
M. David Pratt: Je vous remercie.
Le président: Merci, David.
Monsieur Benoit.
M. Léon Benoit: Merci, monsieur le président.
Un peu plus tôt, l'un de mes collègues a fait remarquer que le ministère de la Défense devrait mieux expliquer le rôle des militaires. Je dirais que le gouvernement du Canada devrait en fait mieux expliquer le rôle des militaires. Je ne vise pas un gouvernement en particulier, car cela vaut pour les gouvernements des 30 dernières années. Combien de fois avez-vous entendu le Premier ministre ou un autre ministre du Cabinet, particulièrement le ministre des Finances, dire, "Nous avons vraiment besoin de nos militaires; ils assurent un service dont le pays a besoin"? Au lieu de cela, ce que nous avons constaté—et comme je l'ai dit de la part des gouvernements des 30 dernières années—que ce soit en paroles ou en actes, c'est qu'en fait nous n'avons probablement pas besoin de nos militaires puisqu'il n'existe aucune menace réelle. Je pense que c'est une attitude très imprudente de la part des gouvernements, qui nous a déjà causé du tort.
Je considère qu'il appartient au gouvernement actuel de dire aux Canadiens que nous avons besoin de nos militaires et de leur expliquer pourquoi. Je pense qu'il est important que cela se fasse assez rapidement.
Vous avez indiqué que vous êtes en train de perdre des pilotes et qu'il risque d'y avoir pénurie cet été. Quelle est la situation en ce qui concerne les techniciens? Vous dites craindre de perdre des techniciens. Y a-t-il effectivement un risque de pénurie de techniciens dans un avenir prochain, surtout dans certains domaines d'expertise?
Col Benoît Marcotte: Nous sommes en train d'en perdre certains. C'est plus qu'un risque. Je pense que je vous ai présenté une diapositive cet après-midi du nombre de libérations volontaires l'année dernière; il est en train de grimper en flèche. Les militaires ne terminent pas leurs 20 ans de service mais préfèrent chercher un autre emploi. Cette situation existe à divers échelons de l'organisation. Elle ne concerne pas uniquement les pilotes.
Les pilotes semblent être un élément plus dominant. J'ai 46 pilotes de F-18. Je suis supposé en avoir 46 qui pilotent mes F-18 à Bagotville. L'été prochain, nous n'atteindrons pas ce chiffre. Je suis supposé en avoir 23 par escadron. L'effectif sera probablement réduit à 18 par escadron. Donc, lorsque je demande à un escadron de se déployer quelque part, il ne sera pas aussi solide qu'il l'était il y a deux ou trois ans. C'est manifestement une conséquence de la perte de ces pilotes.
Le facteur de limitation pourrait être que je n'aurai pas les techniciens dont j'ai besoin pour réparer ces avions, donc que ces avions ne pourront pas voler, que j'ai ou non les pilotes. La conséquence est la même. Cela limite notre capacité. Comme nous ne pouvons pas transférer des gens ici cet été pour remplacer ceux qui partent, cela pose un problème.
En fin de compte, nous nous retrouvons avec une capacité militaire réduite. Je n'aurai pas un escadron de 23 pilotes. Les appareils seront là. Ils seront prêts à voler, peut-être, mais ils n'iront nulle part parce que nous n'avons pas le personnel voulu pour les faire voler, les armer et les réparer.
M. Leon Benoit: J'ai beaucoup d'autres questions que j'aimerais poser, mais je crois qu'il vaut mieux céder la parole à d'autres.
Merci.
Le président: Monsieur Benoit, je vous remercie beaucoup.
[Français]
Une dernière question de ma part, colonel. Si j'ai bien compris, la durée du contrat de service d'un pilote de CF-18 est maintenant de sept ans.
Col Benoît Marcotte: L'engagement obligatoire qu'il doit accepter a récemment été porté de cinq à sept ans.
Le président: Croyez-vous que nous devrions prolonger cette limite jusqu'à 10 ans ou même peut-être 12 ans afin de garder nos pilotes?
Col Benoît Marcotte: Ce serait peut-être une option à considérer, mais je ne sais pas s'il est légalement possible de leur demander d'accepter un tel contrat ou de les soumettre à une obligation à aussi long terme. Je crois que la durée de ce contrat de sept ans a été fixée à cause d'obligations juridiques qui nous empêchent de forcer un individu à travailler pour une organisation pendant plus longtemps. Je ne suis toutefois pas un expert en cette matière. Il est certain qu'on voudrait pouvoir amortir l'investissement qu'on a fait dans nos pilotes sur une période plus longue.
Le président: Mais si cela était acceptable d'un point de vue juridique et qu'il nous était confirmé par des avocats qu'il nous est permis de prolonger leur contrat jusqu'à 10 ans, est-ce que ce serait une possibilité qu'on pourrait envisager?
Col Benoît Marcotte: Peut-être.
Le président: Oui?
Col Benoît Marcotte: Ce serait difficile à dire. Il faudrait aussi déterminer combien de jeunes seraient prêts à signer un tel contrat et à s'engager à rester dans les Forces canadiennes pendant 10 ou 12 ans. Il doit y avoir un point d'équilibre, un breaking point, comme on dit en anglais. Jusqu'où les jeunes de 18 ou 19 ans sont-ils prêts à s'engager?
Le président: Merci beaucoup, colonel.
Col Benoît Marcotte: C'est moi qui vous remercie.
Le président: Je demande maintenant à l'adjudant-chef Daniel Gilbert de venir faire sa présentation.
Adjudant-chef Daniel Gilbert (témoigne à titre personnel): Monsieur le président, je peux premièrement vous remercier, vous et les membres de votre comité, d'avoir pris le temps de venir écouter les préoccupations de la communauté militaire de la 3e escadre. J'attache personnellement beaucoup d'importance au travail de votre comité et j'espère que le rapport que vous présenterez au gouvernement sera appuyé.
Lors de ces audiences publiques, des militaires et des conjoints et conjointes de militaires viendront vous faire part de leurs préoccupations et des problèmes associés au fait qu'ils sont membres de la grande famille militaire.
Pour ma part, je veux tout simplement vous donner mon opinion sur un malaise qui existe présentement dans les Forces canadiennes et qui peut probablement expliquer quelques problèmes auxquels nous faisons face.
De plus en plus, on entend les membres des Forces canadiennes dire qu'être dans les Forces, ce n'est plus ce que c'était dans le passé. Nos membres se considèrent de plus en plus comme des travailleurs d'entreprise qui n'accordent à la compagnie leur dévouement que de 8 à 4. Plusieurs membres des Forces canadiennes de tous les niveaux quittent la vie militaire pour un travail mieux rémunéré. Être dans les Forces est devenu un travail plutôt qu'une manière de vivre. Pourquoi ce malaise existe-t-il? Ce sont peut-être les multiples restrictions budgétaires, les réductions de personnel et l'évolution de la société vers une société de consommation qui ont forcé ces nombreux changements.
La tombée du mur de Berlin, en octobre 1989, annonçait la fin de la guerre froide, raison d'être de plusieurs infrastructures et programmes militaires. Des réductions budgétaires draconiennes dans plusieurs budgets provisoires et budgets consécutifs et la publication du Livre blanc de la Défense en 1994, qui annonçait que les Forces canadiennes passeraient de 84 000 personnes en 1994 à 60 000 en 1999, lancent un message à la communauté militaire: elle n'est plus nécessaire, du moins de la façon dont nous la connaissions auparavant.
• 1910
Le chaos financier causé par des années de gel
salarial et la croissance de la société de
consommation,
où pour être quelqu'un on doit avoir plus de biens
matériels, ont fait que les gages militaires ne sont
plus adéquats pour faire partie de cette société. La
fierté, la communauté militaire et les grandes
traditions des Forces canadiennes qui existaient dans
le passé ne font plus le poids contre l'appât du gain.
Les Forces canadiennes et les communautés militaires questionnent leur raison d'être. Dans cette nouvelle ère, les forces canadiennes doivent rivaliser avec l'industrie. L'attitude voulant que les Forces canadiennes soient une entreprise est alors née. La solde, ou le manque de solde, est la priorité numéro 1 de plusieurs personnes.
Être membre des Forces canadiennes est devenu un travail et non plus un mode de vie. Puisque aucun autre avantage connu dans le passé ne leur est disponible, pourquoi se dévoueraient-ils? Notre personnel recherche donc des emplois mieux rémunérés à l'extérieur des Forces canadiennes.
Notre leadership a reconnu ce malaise et a mis sur pied un programme d'amélioration de la qualité de vie pour les membres des Forces canadiennes. L'aviation a été la première arme des Forces canadiennes à reconnaître ce problème et elle a mis en place le comité Plan de vol pour la vie, comité dont je fais partie, pour s'occuper de la qualité de vie de notre personnel. Je sais que lors d'exposés de nos cadres supérieurs à Ottawa, vous avez déjà reçu de l'information à ce sujet. Un des principes de PVPV est que notre personnel est notre ressource la plus importante et que nous devons la protéger. Notre personnel est quelque peu sceptique lorsque nous faisons cette affirmation.
Dans certains cas, notre leadership n'a guère de choix que d'aller à l'encontre de leurs propres désirs. Prenons, par exemple, le nombre de mutations qui seront approuvées pour la prochaine année financière. Pour en arriver aux réductions désirées, on limitera le budget et seulement un nombre limité de déménagements seront approuvés. C'est ce qu'on appelle le cost move dans notre langage. Pour pallier ce problème, une liste a été développée dans le but de mettre dans un ordre de priorité les déménagements proposés. En priorité 6, la dernière sur la liste, nous retrouvons les mutations pour cause de problèmes familiaux, ce qu'on appelle les compassionate postings. Bien qu'un certain nombre de déménagements aient été prévus à cette fin, ce geste ne cadre pas très bien avec le PVPV.
De plus, cette décision aura entre autres les effets suivants: plusieurs individus auxquels une mutation avait été promise pour l'année 1998 ne seront pas mutés; à moins qu'une position soit identifiée comme critique pour les opérations, la majorité des postes vacants laissés par les personnes qui prennent leur libération ne seront pas dotés avant 1999; le directeur général des carrières militaires a été pressé, au cours des années passées, de satisfaire les demandes de colocalisation des conjoints militaires, et il n'y aura aucune souplesse pour répondre à ces demandes en 1998; il y aura une augmentation du nombre de personnes qui verront leur promotion retardée au 1er décembre 1998 puisque dans plusieurs cas, le membre n'occupera pas une fonction équivalente à son grade, ce qui affectera le solde de ces individus.
Comme plusieurs d'entre nous le savent, nos leaders n'ont guère de choix dans une pareille situation. Vous pouvez constater qu'il est facile d'être cynique devant de tels faits, mais ceci nous démontre un fait: nous sommes présentement anorexiques et sur le point de mourir de faim, mais quelqu'un nous trouve encore gras. Comparativement à 1990, nous accomplissons 95 p. 100 des tâches avec 55 p. 100 du personnel. Pour ce faire, nous continuons de mettre en danger notre fierté, nos traditions et nos communautés. Nous avons coupé dans le gras, comme on entend souvent dire. Ce que nous avons oublié, c'est que quelquefois le gras nous est nécessaire pour survivre en période de pénurie.
Notre gouvernement se doit d'être présent et de soutenir la transition de la tradition pour que le renouveau de la communauté militaire s'accomplisse. Ce n'est que lorsque cela sera accompli que nous pourrons offrir à nos membres ce qu'il y a de mieux dans les Forces canadiennes: la fierté, la communauté et la grande tradition. Ces trois éléments doivent renaître si nous voulons une organisation en santé pour l'avenir.
En parlant de fierté, dans un passé pas trop éloigné, les gens qui se joignaient aux Forces canadiennes étaient tous très fiers de porter l'uniforme. Partout dans les villes et villages, on pouvait apercevoir des marins, soldats et aviateurs—pas tous dans les clubs à gogo—qui portaient fièrement leurs uniformes. Lorsqu'un militaire voyageait, ce qui durant cette période signifiait surtout faire de l'autostop, le port de l'uniforme était une garantie d'un transport jusqu'à destination.
Même avec les nombreux changements apportés par l'unification des Forces à la fin des années 1960, un sentiment d'être quelqu'un de bien dans la société était associé au port de l'uniforme.
• 1915
Les Forces
canadiennes jouissaient d'une excellente réputation
et les gens qui faisaient
partie de l'organisation en était fiers. La
valorisation apportée par l'organisation à ses membres était très
recherchée. L'argent n'était pas un facteur déterminant
pour se joindre aux Forces
canadiennes ou y demeurer. Les salaires n'étaient pas très
élevés,
mais le style de vie et la sécurité d'emploi étaient
attrayants. Le sens d'appartenance
et la fierté de porter l'uniforme
étaient souvent suffisants pour convaincre les gens de se
joindre aux Forces canadiennes ou d'en demeurer
membres.
Aujourd'hui, la mauvaise gestion des fonds, une perception par la population canadienne d'abus des fonds publics et les nombreux scandales tels que les rites d'initiation et surtout les incidents de la Somalie ont miné notre fierté. Nous avons perdu le soutien et l'admiration de la population canadienne. Notre fierté en a pris un coup.
Les Forces canadiennes ne se sont pas aidées dans la perte de cette fierté. La tendance à tolérer le port de la tenue civile au quartier général de la Défense nationale les vendredis et lors de vols nolisés et militaires lance un message subtil à nos membres. Est-ce que les dirigeants des Forces canadiennes ont peur que notre personnel se conduise mal en public? Avons-nous peur d'être reconnus comme militaires?
Tous ces événements ont contribué à la perte de fierté de porter l'uniforme. Cette fierté, qui auparavant était quelquefois la seule raison pour laquelle une personne se joignait aux Forces canadiennes ou y demeurait, est maintenant en baisse. La fierté et l'honneur de servir ne comblent plus nos membres.
Nous devons faire renaître le sens de la fierté d'appartenir aux Forces canadiennes. Un membre des Forces canadiennes devrait être fier du passé, du présent et du futur de son organisation. Nous devons rehausser l'image du militaire. Plus que jamais nous sommes dans une position pour faire renaître ce sens de la fierté.
Les événements climatiques des dernières années ont mis en valeur les capacités des Forces canadiennes. Les inondations au Saguenay en 1996, celles du Manitoba en 1997 et, dernièrement, la tempête de verglas dans l'est de l'Ontario et le sud du Québec ont donné aux Forces canadiennes l'occasion de profiter d'une vague de popularité. Un récent sondage de la firme Léger & Léger, publié dans les quotidiens québécois le 24 janvier 1998, démontre un niveau de satisfaction de 96 p. 100 envers les actions des Forces canadiennes durant ce désastre.
Notre gouvernement devrait profiter de cette occasion de rehausser notre réputation. Il devrait mettre en évidence le dévouement envers la nation des membres des Forces canadiennes durant cette crise. Nous devrions dire à la société que les Forces canadiennes engagent seulement les meilleurs des meilleurs et que ceux de la société qui pensent avoir les atouts nécessaires seront les bienvenus.
Saviez-vous que présentement à Nagano, aux Olympiques, un membre des Forces canadiennes représente notre pays en biathlon? Sinon, pourquoi ne le savons-nous pas? J'ai remarqué, lors de la couverture des événements olympiques, une réclame de la compagnie UPS qui vante le fait que l'un de ses employés est membre de l'équipe de bobsleigh. Pourquoi pas nous?
Les Forces canadiennes ne doivent pas se vendre comme un simple autre employeur canadien. Nous devons offrir un style de vie. La population canadienne doit être fière de ses soldats, aviateurs et marins. Ce n'est que lorsque le public appuiera le militaire que nous serons capables de faire renaître chez nos membres un sens de la fierté. Le gouvernement canadien se doit d'appuyer les Forces canadiennes pour poursuivre ses buts.
Parlons maintenant de la communauté. Dans le passé, le sens de la communauté était très fort. Les communautés militaires étaient étroitement liées aux opérations quotidiennes. Les gens de la communauté étaient la force de celle-ci. Le leadership accordait un soutien inconditionnel à la communauté militaire car celle-ci était une extension du rôle opérationnel.
Les communautés étaient autosuffisantes, et chaque membre des Forces canadiennes appuyait cette communauté car il en connaissait les bénéfices. Ce dévouement se soldait par des mess qui fonctionnaient bien, des activités communautaires telles que le carnaval, qui était anticipé longtemps à l'avance, les journaux publiés en grande partie par la communauté et même des postes de radiodiffusion—il y en a un ici, à Bagotville—où des bénévoles assuraient la transmission de programmes axés sur la communauté.
Toutes ces activités étaient conduites sans qu'aucun membre de la communauté ne s'attende à un salaire ou à des gages pour ses efforts. Le fruit de son labeur était le bien-être de la communauté. Toutes ces activités étaient appuyées financièrement par les Forces canadiennes car le leadership connaissait la valeur d'une communauté forte et solidaire.
Les nombreuses coupures budgétaires ont affecté le soutien public aux communautés militaires. Les Forces canadiennes et les communautés militaires remettent en question leur raison d'être. Les valeurs fondamentales de la communauté militaire s'érodent.
Dans cette nouvelle ère, les Forces canadiennes doivent rivaliser avec l'industrie. C'est ainsi qu'est née l'attitude voulant que nous soyons une entreprise, comme je l'ai dit auparavant. Pour plusieurs, le travail communautaire est vu comme un fardeau pour lequel aucun avantage monétaire n'existe. Alors, notre personnel recherche de l'emploi plus payant à l'extérieur des Forces. Le dévouement envers la communauté est mortellement blessé.
Le leadership se doit de faire renaître le sens de la communauté et le sens d'appartenance à la vie militaire. Nous devons mettre en évidence les bénéfices qu'on retire en étant membre d'une communauté militaire forte et solidaire en faisant goûter, surtout à ceux et celles qui ne la connaissent pas, la joie de vivre dans une communauté en santé.
• 1920
Être membre des Forces doit redevenir une manière de
vivre et non seulement un emploi. Appartenir à une
organisation telle que les Forces canadiennes devrait
être un grand pas vers l'atteinte de l'estime de soi et
du sens du bien-être. Pour cela, le
leadership se doit de fournir aux membres des Forces
les outils et le soutien nécessaires pour développer la
communauté militaire.
Le gouvernement doit appuyer notre communauté en mettant en place des programmes axés vers le militaire qui aideront les familles lors de leurs nombreux déménagements. Une famille militaire ne devrait pas avoir à subir de perte de salaire pour mieux servir son pays: perte d'emploi du conjoint, différence d'impôts et taxes, prix des logements, prix de l'assurance automobile, et j'en passe.
Un enfant ne devrait pas avoir à subir les batailles avec la bureaucratie des nombreux ministères de l'Éducation pour savoir quel niveau scolaire il a atteint chaque fois qu'il déménage. Par exemple, lors de mon arrivée au Québec, je me suis renseigné au ministère de l'Éducation du Québec et on m'a dit: «Que vous veniez du Zimbabwe ou du Manitoba, pour nous, c'est la même chose.» Cela fait chaud au coeur.
Nos conjoints et conjointes ne devraient pas avoir à se recycler constamment au niveau de leurs connaissances pour pouvoir se trouver du travail lors de déménagements. Pourquoi ne pas protéger une partie des emplois sur une base pour nos conjoints et conjointes? Croyez-moi, ceux-ci connaissent parfaitement notre milieu militaire et leur emploi serait avantageux pour les Forces canadiennes.
Parlons maintenant des grandes traditions. Les défilés militaires de droit de la cité, la musique militaire, les démonstrations aériennes, pour n'en nommer que quelques-unes, étaient partie intégrante des traditions militaires. Les cérémonies du 11 novembre, de la Bataille d'Angleterre, de la Bataille de l'Atlantique et autres cérémonies du genre étaient des occasions pour les membres des Forces de rappeler au public l'héritage et la tradition d'excellence des Forces.
Les mess et leurs activités étaient aussi une partie importante de la vie de chaque militaire. Les dîners régimentaires officiels et les dîners à la chandelle étaient des activités auxquelles tous les militaires participaient avec enthousiasme. Ces traditions faisaient l'envie de plusieurs autres départements et organisations.
Les équipes sportives représentatives des Forces canadiennes faisaient partie, elles aussi, de nos grandes traditions. La participation d'une équipe militaire lors d'activités sportives dans les communautés environnantes était l'assurance d'une bonne foule. Il y a des Olympiques maintenant. Comment oublier qu'une équipe de hockey du Corps d'aviation royal canadien, le CARC ou le RCAF en anglais, a déjà gagné une médaille d'or aux Jeux olympiques, la dernière gagnée par une équipe canadienne?
Ces activités inhérentes à une base ne sont que quelques exemples des grandes traditions qui se sont développées. Encore là, le leadership reconnaissait la valeur de ces activités et appuyait financièrement leur tenue.
Aujourd'hui, les nombreuses restrictions budgétaires nous ont amenés à faire une rationalisation de nos processus et tâches. Des services tels que la musique militaire, une de nos plus vieilles traditions, les défilés militaires et les représentations publiques ont écopé. Les dîners régimentaires officiels sont devenus un événement rare car ils sont trop coûteux. De plus, des événements tels que les carnavals de base, les journée familiales et autres traditions ont été identifiés comme étant des tâches supplémentaires qui coûtent cher en argent et en personnel.
Nos programmes sportifs et nos équipes représentatives ont été coupés à un niveau tel que, pour participer à des compétitions à titre de représentants des Forces canadiennes, nos membres doivent quelquefois payer certaines dépenses de leur poche.
Les devoirs temporaires entre unités pour tenir des événements sportifs sont tabou. Nos plus belles traditions sont sur le point de disparaître. En tant que leaders, on nous demande de renforcer nos traditions, mais on ne nous donne aucun appui financier pour le faire. Et même si cet appui existait, le manque de personnel dans certaines unités ne nous permettrait pas de pratiquer ces traditions.
On a coupé dans le gras, dit-on. Il est difficile de mesurer les effets de la perte de nos coutumes et traditions, mais nous pouvons tous affirmer que des effets négatifs peut-être irréparables suivront.
Les Forces canadiennes doivent investir dans les grandes traditions; les bonnes paroles ne sont pas suffisantes. Les dîners régimentaires, cérémonies publiques, journées des Forces canadiennes, pour n'en nommer que quelques-uns, doivent être appuyés financièrement.
Quelques anciennes traditions se doivent d'être adaptées, je l'admets, ou, mieux encore, de nouvelles traditions doivent renaître. Encore là, le leadership doit avoir la volonté d'investir de l'argent et du temps pour atteindre ce but.
Les Forces canadiennes ne peuvent tout simplement pas se débarrasser de ces traditions sous prétexte qu'elles sont trop coûteuses en temps et en personnel. En appuyant leur héritage et leurs traditions, les Forces canadiennes et le gouvernement investissent dans leur futur.
Les Forces canadiennes sont à un point déterminant de leur développement. Le présent climat n'est pas propice au développement de la fierté, de la communauté militaire et de la grande tradition des Forces canadiennes.
De plus en plus, les Forces perdent de leurs membres seniors et juniors, non seulement à cause du salaire, mais aussi parce qu'ils ne retrouvent plus dans les Forces canadiennes actuelles les valeurs et le climat qui les ont amenés à se joindre aux Forces.
• 1925
Ceux qui demeurent se retrouvent souvent débordés de
travail. Ils doivent faire plus avec moins pendant que
l'organisation leur donne de moins en moins de soutien.
Les membres des Forces doivent avoir la chance de
profiter de ces avantages intangibles: la fierté, la
communauté et les grandes traditions. Ces bénéfices
sont les fibres qui feront éventuellement la différence
entre être militaire et avoir simplement un emploi,
emploi pour lequel on ne pourra jamais assez nous
payer.
En fait, monsieur le président, combien doit-on
payer une personne qui est prête à faire le sacrifice
ultime pour son pays?
Je voudrais vous remercier, monsieur le président, de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer librement devant ce comité. Je voudrais aussi remercier publiquement notre leadership d'avoir demandé qu'un tel comité fasse l'étude des problèmes socioéconomiques des Forces canadiennes.
Merci beaucoup.
Le président: Madame Venne.
Mme Pierrette Venne: Tout d'abord, on ne peut pas dire que vous êtes d'un optimisme délirant. Ça, c'est certain.
Adjuc Daniel Gilbert: J'ai le sourire.
Mme Pierrette Venne: Je suis contente que vous ayez mentionné qu'on devrait savoir davantage ce que font les militaires. Ça rejoint tout à fait ce que je disais tout à l'heure au colonel.
Cependant, je ne suis pas d'accord quand vous dites que cela devrait être fait par le gouvernement. Je pense—je l'avais dit tout à l'heure et je le redis—que la promotion des Forces armées et de ce que vous faites ici et à l'extérieur du pays devrait se faire à l'intérieur même des Forces.
Adjuc Daniel Gilbert: Donnez-moi de l'argent et je vais le faire.
Mme Pierrette Venne: Je regrette, mais ce n'est pas toujours une question de sous. Je suis désolée, mais je ne pense pas comme vous. Ce n'est pas toujours une question de sous. Un simple communiqué de presse s'envoie. Ce n'est pas long à faire et ça ne coûte rien.
L'Internet, ça peut coûter des sous, mais est-ce que vous êtes sur l'Internet? Est-ce qu'on fait votre promotion sur l'Internet?
Adjuc Daniel Gilbert: Oui, madame.
Mme Pierrette Venne: Alors, pourquoi n'a-t-on pas mentionné sur l'Internet que quelqu'un des Forces était quelque part aux Olympiques? Est-ce que cela a été fait?
Adjuc Daniel Gilbert: C'est la question que je pose.
Mme Pierrette Venne: C'est ce que je vous dis. Pourquoi est-ce que ça ne se fait pas? Tout le monde s'envoie la balle. Je pense qu'il y a quelqu'un qui va devoir la prendre à un moment donné.
On dit toujours que c'est la faute du gouvernement et que c'est au gouvernement de le faire. Remarquez que ce n'est pas à moi de défendre le gouvernement ici, mais tout ce que je veux vous dire, c'est qu'il faudrait peut-être aussi que vous regardiez la chose de très près de votre côté.
Deuxièmement, vous avez fait allusion à des avantages que vous aviez auparavant et que vous n'avez plus maintenant.
Adjuc Daniel Gilbert: Oui, madame.
Mme Pierrette Venne: J'aimerais savoir à quoi vous avez fait allusion et ce qu'on pourrait remettre en place, à moins, évidemment, que cela implique des coûts exorbitants.
Adjuc Chef Daniel Gilbert: Vous êtes présentement, ma chère dame, dans une école primaire, qui était auparavant une école pour nos familles de militaires. Tel que mentionné, lorsque nous déménagions d'une province à l'autre, nous n'étions pas obligés de passer par la bureaucratie. Comme le commandant l'a mentionné, entre provinces, il est quelquefois difficile de faire l'équivalence entre les niveaux. Donc, ces écoles étaient un des avantages dont profitaient nos communautés militaires.
On avait de l'argent public qui pouvait être versé à des stations radio, par exemple. Il y avait ici une communauté anglophone très forte dans les années 1960 et 1970, et on avait une station radio qui était appuyée financièrement.
Ce sont des choses intangibles, comme j'ai dit. Ce sont les petits à-côtés qui font qu'être militaire, c'est faire partie d'une grande famille. Ce sont ces petites choses-là qui manquent. Quand on coupe les petites choses, la seule chose qui nous reste, c'est le salaire. Le salaire n'est pas suffisant.
Combien devrait-on nous payer pour que nous nous sacrifiions pour notre pays? Il ne faut pas mettre un prix là-dessus. Il faut envelopper le tout. Ce sont des choses de ce genre qu'il faut envelopper.
Mme Pierrette Venne: Dans le fond, c'est pour avoir un sentiment d'appartenance.
Adjuc Daniel Gilbert: Un sentiment d'appartenance et aussi le sentiment que la communauté militaire est soutenue.
Mme Pierrette Venne: Dites-vous qu'il y a une directive qui dit que vous devez voyager en civil quand vous êtes sur un vol commercial? Est-ce que j'ai bien compris? Vous parliez à un rythme accéléré. Je vous comprends parce que vous en aviez beaucoup à dire. Est-ce bien ce que vous avez mentionné?
Adjuc Daniel Gilbert: J'ai dit que l'on tolérait le port de la tenue civile au quartier général de la Défense nationale le vendredi et lors de vols nolisés et de vols militaires.
Mme Pierrette Venne: Je comprends maintenant.
Est-ce que vous pouvez me dire, simplement à titre d'information, quel est l'âge moyen des techniciens et des pilotes?
Adjuc Daniel Gilbert: Je peux vous dire que le nombre d'années de service moyen dans les Forces armées canadiennes est de 16 ans à Bagotville. Donc, selon l'âge auquel la personne est entrée dans les Forces, les gens ont 35 ou 36 ans en moyenne.
Mme Pierrette Venne: D'accord. Merci.
Le président: Merci beaucoup, madame Venne.
[Traduction]
Monsieur Benoit.
M. Leon Benoit: Merci, monsieur le président, et j'en profite pour remercier les deux témoins de leur exposé. Vous avez manifestement mis le doigt sur beaucoup de bobos auxquels les personnes ici présentes accordent de l'importance. Elles ont appuyé vos déclarations.
Vous avez souligné plusieurs fois la fierté de porter l'uniforme. Vous avez dit qu'il faudrait que l'appartenance aux Forces canadiennes soit davantage un mode de vie qu'un emploi et vous avez parlé du patrimoine immatériel des forces et du fait que ces choses ne sont pas une source majeure d'insatisfaction.
J'ai entendu beaucoup de gens dirent qu'ils étaient fiers de porter l'uniforme, particulièrement à Valcartier, hier soir, à Pointe-à-Carcy, au complexe naval de Québec et ailleurs. Ces personnes avaient beaucoup de préoccupations, beaucoup de sources de mécontentement, mais elles étaient aussi très fières. Je me demande si la véritable source de mécontentement n'est pas plus concrète, comme le stress au sein de la famille causé par la séparation inutile des familles, quand un conjoint est affecté quelque part et que la famille ne peut pas le suivre, situation à laquelle on aurait pu trouver une solution.
Le mécontentement est-il dû, entre autres, à toute l'incertitude qui entoure le fait d'être militaire aujourd'hui, au fait que l'on se demande si la famille vivra encore sous un même toit dans un mois, si le militaire sera affecté ailleurs? On doute qu'il soit possible de faire carrière toute sa vie dans les forces. Je me demande si cette incertitude n'est pas en fait un des facteurs clés et, bien sûr, la médiocrité de la solde, la trop grande difficulté pour le conjoint de se trouver du travail... Je me demande si ces difficultés plus concrètes n'expliquent pas davantage le mécontentement que les intangibles que vous avez mentionnés.
Adjudant-chef Daniel Gilbert: Je n'essaierais pas d'en évaluer l'importance individuelle. J'ai des sentiments personnels au sujet de toute cette question.
La fierté? C'est vrai qu'elle s'est quelque peu rétablie. Comme je l'ai mentionné, les inondations de 1996 et de 1997 ainsi que la récente tempête de pluie verglaçante ont vraiment mis en évidence le rôle des Forces canadiennes—à leur avantage. Par contre, il y a dix mois ou un an, la situation était tout autre. Un militaire m'a dit: «J'ai honte. Je ne porte plus l'uniforme quand je vais au centre-ville parce que je crains qu'on me reconnaisse». J'ai souvent entendu cette remarque.
Actuellement, le blason des forces s'est quelque peu redoré. Ce que je dis, c'est qu'il faut continuer d'y travailler.
M. Leon Benoit: Oui. Il est très malheureux qu'il faille une catastrophe comme les inondations du Manitoba et du Québec ou le verglas pour redorer le blason des militaires canadiens. C'est en fait extrêmement triste.
Je vous remercie.
[Français]
Le président: Merci beaucoup.
Je demande maintenant au lieutenant-colonel Jean-Luc Desgroseilliers de prendre la parole.
Lieutenant-colonel Jean-Luc Desgroseilliers (témoigne à titre personnel): Monsieur le président, membres du comité, mon intervention portera ce soir sur le statut de restriction imposé lors d'une mutation.
En effet, je suis en restriction imposée depuis mon arrivée ici, à Bagotville. J'ai été muté d'Ottawa à Bagotville en juillet 1996. Pourquoi ai-je demandé à être en restriction imposée? C'est principalement afin d'offrir la stabilité scolaire à mes deux adolescents et de permettre à mon épouse de conserver son emploi à Ottawa. Permettez-moi de préciser un peu plus clairement chacun de ces deux points.
Pour ce qui est de la stabilité académique pour nos deux adolescents, en septembre 1996, notre fille commençait ses études en deuxième année au collège Algonquin à Ottawa, tandis que notre fils entreprenait sa 12e année à l'école secondaire, lui aussi à Ottawa. Ce n'était décidément pas le moment de les changer d'école et de perturber leur progression scolaire.
• 1935
Plus précisément, dans le cas de notre garçon, si nous
étions tous déménagés à Bagotville à l'été 1996, il
aurait dû fréquenter une
quatrième école secondaire en cinq ans,
non seulement dans trois pays différents, mais aussi
dans deux provinces différentes.
C'est une situation décidément non propice à un bon
développement académique pour un adolescent. Nos
enfants sont donc demeurés à Ottawa.
Pour ce qui est l'emploi de mon épouse, étant donné nos 11 déménagements au cours des 26 années de ma carrière, mon épouse a dû sacrifier toute possibilité d'entreprendre une carrière. Oui, elle a fait beaucoup de bénévolat et de petits boulots ici et là, mais c'étaient des choses sans avenir.
Après plusieurs mois de recherche lors de notre mutation à Ottawa en 1994, elle a finalement trouvé un emploi valorisant qui offrait une possibilité de carrière. J'ai eu ma carrière et je pense que c'est maintenant le temps de donner à mon épouse la chance d'avoir sa propre carrière. Mon épouse est donc demeurée à Ottawa et je suis venu seul à Bagotville.
Comme vous le savez, Ottawa n'est pas à la porte de Bagotville. Depuis juillet 1996, j'ai visité ma famille en moyenne une fois par mois pendant une longue fin de semaine. La seule raison pour laquelle la fin de semaine était longue, c'était que je passais la moitié du temps en transit entre Bagotville et Ottawa.
Quel a été l'impact de notre situation? Je crois qu'il faut la regarder sous deux angles: de mon côté, ici à Bagotville, et du côté de mon épouse, seule avec nos enfants à Ottawa. Contrairement à mon épouse, j'ai vraiment la vie facile ici, à Bagotville. Je suis logé et nourri et, de plus, j'ai un travail valorisant au sein d'une excellente équipe.
Pour mon épouse, ce n'est pas aussi rose. Elle doit s'occuper de deux adolescents et de leur éducation, de la maison, de l'auto, des tempêtes de neige, des tempêtes de verglas et j'en passe. Mais, comme nous l'avons fait pendant les 26 dernières années, nous saurons traverser cette épreuve.
Pour terminer, je profite de cette occasion pour remercier publiquement mon épouse et mes deux adolescents pour leur soutien, leur courage, leur ténacité et leur loyauté, non seulement pendant cette épreuve que nous subissons présentement, mais aussi pendant mes longues absences tout au cours de ma carrière. J'aimerais préciser que cela comprend aussi une période ininterrompue—je mets l'accent sur ce mot—de six mois à la station Alert il y a quelques années.
Je crois que nous sous-estimons grandement la contribution importante de nos conjoints et conjointes aux Forces armées et je les remercie tous. Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup.
Capitaine Louis Turcotte.
Capitaine Louis Turcotte (témoigne à titre personnel): Bonsoir, monsieur le président. Messieurs, mesdames, membres du comité, je suis l'aumônier catholique affecté à cette base depuis 1995.
En vue de préparer mon intervention de ce soir, j'ai regardé et réfléchi pour essayer de résumer les questions dont les militaires et les membres de leur famille me font part de jour en jour. J'essaie de voir à la source ce qui se passe et ce qu'ils vivent. Ce que je vous dis, c'est ce que vivent les familles qui se sont confiées à moi. Évidemment, j'ai été aumônier à d'autres bases militaires avant de venir ici. J'ai donc acquis une certaine expérience.
Beaucoup de problèmes sont similaires à ceux que l'on retrouve dans le monde civil. Ce n'est pas parce qu'on est dans les Forces que c'est différent. Par contre, on vit peut-être des stress supplémentaires dans certaines situations.
• 1940
On ne peut évidemment pas changer entièrement
le système. La perfection n'est pas de ce monde. On
note toutefois que les paliers hiérarchiques des
Forces pourraient éviter certaines maladresses. Par
exemple, on ne devrait pas faire rêver
un militaire et sa famille d'une mutation
qui ne se produira pas. Comme on le disait
plus tôt, trois ou quatre ans s'écoulent parfois et des
familles qui viennent de régions éloignées ou
d'autres provinces sont toujours ici.
Elles avaient accepté de relever le
défi, mais quand, au bout de ces années, on leur dit
qu'en raison des réductions budgétaires, leur mutation
ne sera pas possible, elles font face à une grande
déception. Pour faire passer la pilule, on invoque
souvent ces mêmes réductions.
Comme on l'a déjà mentionné, il n'y a pas d'avenir dans les promotions, ce qui ne contribue pas à un moral très élevé. On commet parfois des injustices lorsqu'on procède à l'évaluation annuelle de nos militaires. Je remarque une baisse de motivation non seulement chez les militaires, mais aussi chez leurs conjoints.
On a beaucoup parlé de la qualité de vie. Elle décroît, tout comme les services qu'on offrait. On n'a qu'à regarder la neige qu'on n'enlève plus des trottoirs. On passe plutôt dans la rue, jusqu'à ce que quelqu'un se fasse frapper. Il y a beaucoup de désillusion à maints égards. Peut-être est-ce dû aux réductions.
Puisque je suis padre, j'essaie de prendre soin du mieux que je peux de la dimension spirituelle, mais souvent elle est faible.
Il y a dans le monde des couples en difficulté, et c'est aussi le cas chez les militaires. Et il y a peut-être plus de raisons pour que les couples militaires se retrouvent en difficulté. Un besoin se fait sentir en matière d'éducation en raison de la gestion du budget. Certaines personnes qui s'y connaissent mieux que moi pourront vous en parler plus tard. Une mauvaise gestion du budget a des répercussions sur la vie du couple, y compris une augmentation du stress pouvant mener à l'échec du mariage.
L'éloignement d'une famille immédiate qui saurait les soutenir représente une autre difficulté. Lorsque l'épouse d'un militaire donne naissance à un enfant et que sa mère est en Gaspésie ou à North Bay, il peut être difficile pour cette dernière de voyager et de venir prêter son appui. Lorsque la maladie ou le deuil frappe les parents des militaires, ils vivent d'autres moments pénibles. L'ennui s'enchaîne parfois avec la routine. Bien qu'un militaire veuille bien faire sa part, les longues affectations et le moment du départ peuvent s'avérer difficiles.
J'espère être un paratonnerre afin que jamais le ciel ne nous tombe sur la tête. Cela résume ce que je voulais partager avec vous ce soir.
Le président: Merci beaucoup.
Caporal Christine Larivière.
Caporal Christine Larivière (témoigne à titre personnel): Je suis venue vous parler ici en tant que chef de famille monoparentale et réserviste.
Le point auquel je tiens le plus, c'est de savoir s'il est possible que les réservistes travaillent toujours le même nombre de jours, plutôt qu'un nombre variable de jours chaque mois. Parfois nous travaillons huit jours, d'autres fois, dix.
Les militaires réguliers peuvent se prévaloir du RACCM, le régime d'assurance collective chirurgicale-médicale, tandis que nous n'y avons pas droit. J'aimerais savoir si nous pourrions aussi y souscrire et nous prévaloir d'un régime de soins dentaires. Les réservistes n'ont pas droit aux PMQ non plus. En tant que chef de famille monoparentale, j'y ai pour l'instant accès, mais ce privilège est-il offert à toutes les autres familles monoparentales? Il n'est pas facile de faire vivre des enfants quand on gagne un revenu pas trop élevé. Il nous faut payer un loyer pas mal plus cher.
• 1945
Je souhaiterais que les cours de perfectionnement que
nous sommes appelés à suivre soient tenus l'été,
parce qu'à tout autre temps de
l'année, les services de garde sont pas mal
coûteux.
Ce sont là à peu près mes seules inquiétudes.
Le président: Merci beaucoup, madame.
Mademoiselle Larivière, serait-il possible que vous reveniez au micro?
Mme Pierrette Venne: Je ne veux pas vous gêner davantage, mais j'aurais deux questions à vous poser.
Vous êtes réserviste, n'est-ce pas?
Cpl Christine Larivière: Oui.
Mme Pierrette Venne: Est-ce que vous travaillez ailleurs?
Cpl Christine Larivière: Oui, j'exerce un autre métier, mais je travaille sur appel.
Mme Pierrette Venne: Ils est évident que ni mes collègues ni moi ne pourrons répondre à votre question. Est-ce que vous avez un gérant de carrière? J'ai souvent entendu parler de ce phénomène-là. Est-ce que cela existe pour les réservistes?
Cpl Christine Larivière: Oui, il y a un agent qui s'occupe de nous.
Mme Pierrette Venne: N'est-ce pas lui qui devrait vous informer de ces choses? Je vous pose la question parce que nous ne pourrons malheureusement pas répondre à vos questions. Vous devriez certainement pouvoir avoir recours à quelqu'un dans votre milieu. C'était le but des questions que je viens de vous poser.
Le président: Madame Marise Ouellet et Madame Martine Simard.
Mme Martine Simard (témoigne à titre personnel): Bonsoir. On nous a demandé de faire un résumé de ce que les conjointes des militaires vivent lorsque leurs maris partent pour participer à des missions de l'ONU. Marise et moi venons justement de vivre une telle expérience puisque nos maris sont revenus en décembre d'une mission en Haïti.
Le 29 mai, on nous informait que Bernard devait partir en septembre. On devait prendre nos vacances entre mai et septembre puisque Bernard devait partir pendant six mois, soit jusqu'à la fin de mars, la fin de l'année financière. On ne peut pas reporter nos vacances après cette date puisque c'est la période des vacances de l'année suivante qui commence. Ce que je trouve désolant, c'est qu'on n'est pas dans une ambiance pour profiter de ses vacances. Lorsqu'on prend des vacances de trois semaines, on devrait pouvoir s'amuser.
Lorsque mon mari s'en va, mes enfants et moi vivons dans l'inquiétude et l'insécurité. La période qui précède son départ est très occupée. Bernard doit s'organiser, on doit faire des mises à jour, s'assurer que l'auto, la maison et, le cas échéant, le petit commerce sont tous bien au point. On vit beaucoup de stress. Comme c'est fréquemment le cas, nous avons appris la date de son départ presque à la dernière minute. Dans le cas de Marise, ce fut encore pire. Elle ne l'a vraiment apprise qu'à la dernière minute.
Mme Marise Ouellet (témoigne à titre personnel): J'étais en voyage de noces quand on a rappelé et rapatrié mon mari. Il devait aller s'entraîner. Ce fut vraiment décidé très vite et j'en ai été très frustrée, ce qui n'est pas une réaction habituelle chez moi. Je me suis rendu compte que pour les Forces, je ne valais pas grand-chose. J'étais comme sur un nuage et, tout à coup, j'ai reçu un coup de masse en plein coeur. Je devais revenir ici et ce n'était plus vraiment drôle.
J'aimerais aussi vous parler de l'entraînement. Mon mari devait partir pour six mois, mais nous avons été chanceux puisque sa mission a été écourtée. L'entraînement qui a précédé la mission a consisté en un mois à Valcartier et une semaine à Kingston. Une semaine à Kingston, c'était parfait, ce n'est pas trop long. Mais pourquoi quatre semaines à Valcartier? Mon mari me disait que cette formation aurait facilement pu être donnée en une semaine et demie.
• 1950
Dans le fond, ces missions ne durent pas six mois, mais
plutôt sept mois et une semaine si l'on tient compte du
temps consacré à l'entraînement.
Mme Martine Simard: Dans notre cas, c'était plutôt une mission de huit mois car l'entraînement de mon mari a duré deux mois. Je ne pense pas qu'il était nécessaire que l'entraînement soit aussi long.
Mme Marise Ouellet: Une autre chose que Martine et moi avons vécue et que nous ne trouvons pas vraiment comique, c'est l'incertitude quant à la date de retour. Lorsqu'ils sont partis, on nous disait qu'il y avait des chances qu'ils reviennent pour les Fêtes. Il y avait des chances, mais rien n'était certain. Ce n'est que vers le 3 décembre qu'on a finalement appris qu'ils reviendraient le 20 décembre. Ce qui nous a fatiguées le plus, c'était de ne pas savoir tout de suite s'ils reviendraient ou pas.
Avant son départ, mon mari et moi avions prévu faire un voyage. Normalement, lorsqu'il participe à une mission de six mois, il peut compter revenir pendant deux ou trois semaines, soit en plein milieu de la mission, soit au bout de quatre mois. Nous avions décidé d'aller en voyage au Mexique en janvier. Tout à coup, paf: la mission allait se terminer et il nous a fallu annuler notre voyage. Ce n'est pas vraiment agréable de se mettre dans la tête qu'on va se rencontrer et que cela ne se produise pas. L'annonce de la fin de la mission était une bonne nouvelle, mais elle a été accompagnée d'un peu de déception parce qu'on s'était faits à l'idée de faire un voyage.
L'incertitude, c'est bien fatigant.
Martine.
Mme Martine Simard: J'aimerais aussi mentionner ce que vivent les enfants pendant l'absence de papa. Quand le père est parti, les enfants et la mère vivent beaucoup de stress. Pendant cette absence, nous nous rongeons d'inquiétude.
J'ai trois enfants: Marie-Michèle, Marc-André et Karine. Pendant que son père était parti, Marie-Michèle m'a posé une question: «Pourquoi, maman, tu l'as laissé partir?» Comme si moi j'avais beaucoup à dire au sujet de cette décision! J'ai dû longuement lui expliquer les motifs de cette absence. À plusieurs reprises, lorsque j'allais les voir le soir avant de me coucher, je trouvais Marie-Michèle et Marc-André en train de pleurer. Marc-André serrait parfois le gilet de son père en pleurant et en disant: «Ce n'est pas le gilet que je veux serrer, c'est papa. C'est papa que je veux serrer ce soir.» De plus, pendant le premier mois, Marie-Michèle s'ennuyait tellement de son père qu'elle n'avait jamais faim; elle ne voulait pas manger.
À l'heure du coucher, Karine, ma petite fille de trois ans et demi, ma petite toutoune, voulait embrasser papa. Papa était un peu loin pour cela. Comme papa n'était pas là, la petite pleurait.
Bernard nous envoyait des cassettes audio qu'il avait enregistrées au lieu de rédiger des lettres, ce qu'il trouvait plus rapide. La petite de trois ans et demi pleurait en les écoutant. Elle répondait aux questions de son père, mais lorsqu'elle lui posait des questions, il ne lui répondait pas à son tour. Elle pleurait beaucoup.
Après son retour en décembre et la reprise de son travail en janvier, elle pleurait lorsqu'elle le voyait partir parce qu'elle pensait que papa ne reviendrait plus. Il fallait que je lui explique que papa allait travailler le jour et reviendrait le soir.
Ce sont des choses difficiles à vivre pour les enfants et pour nous aussi. Il est difficile de toujours trouver la bonne réponse pour encourager les enfants. C'était difficile aussi pour Bernard qui était à l'autre bout lorsque je lui racontais tout ce que nous vivions.
Quand un mari part en plein hiver, c'est loin d'être idéal. La femme est obligée de s'occuper du déneigement et d'assumer des frais supplémentaires qu'on ne rembourse pas. On m'avait demandé 425 $ pour le déneigement.
On ne nous rembourse pas les frais de gardienne non plus. Vous vous imaginez, je suis toute seule avec trois enfants. Il y avait des soirs où j'étais fatiguée. Marise et moi sommes sorties ensemble quelques fois. Il y a bien d'autres fois où nous aurions souhaité sortir, mais puisque Bernard n'était pas là pour garder les enfants, on préférait faire attention et on décidait de ne pas payer des frais supplémentaires pour engager une gardienne.
• 1955
Nous voulons aussi parler du centre multiservice.
Le centre multiservice nous a grandement appuyées et je
tiens à remercier ceux qui y travaillent.
Il y a un autre aspect que je trouve désolant. Nous n'étions pas les seules à vivre cette situation, mais le taux de participation aux réunions qu'organisait le centre multiservice était faible. Certaines réunions ont donc dû être annulées.
Je souhaiterais que le centre puisse en faire davantage pour les enfants et qu'il puisse plus particulièrement assurer un suivi à leur intention. J'ai trouvé cela difficile et j'aurais aimé que les enfants puissent participer à des activités qui leur permettent de s'ouvrir et de parler de leurs sentiments.
Mme Marise Ouellet: Vous n'aimerez pas tous la question que je poserai. Pouvez-vous me dire pourquoi les missions des Nations unies doivent durer six mois? C'est vraiment long, six mois. Une mission de trois mois serait bien assez longue, bien qu'on ait souvent entendu dire que lorsqu'un mari revenu au bout de trois mois doit repartir, c'est encore terrible même si cela ne dure peut-être que quelques jours. Je n'ai pas d'enfant, mais si je me fie à ce que j'ai pu entendre, je vivrais sûrement cette situation de la même façon. Lors de son retour, on se gâte, on se revoit une semaine ou deux, c'est plaisant, on ne pense à rien d'autre, puis il repart. Encore une fois, il faut se détacher à nouveau et l'absence est longue. Six mois, c'est long. Il y a juste un militaire...
[Note de la rédaction: Inaudible]. C'était un point que je désirais soulever.
Mme Martine Simard: À mon avis, un autre point pourrait être important. Puisqu'on est tellement loin de nos familles, on ne peut pas compter sur leur aide immédiate. Je me demande si on ne pourrait pas couvrir les frais de voyage des familles, des conjointes et des enfants qui restent ici pour qu'ils puissent aller voir leur famille. Lorsqu'on se retrouve à Winnipeg, comme ce fut mon cas, et que sa famille est en Gaspésie, on ne peut pas du jour au lendemain décider de prendre l'auto et de s'y rendre. Je me dis que ce serait agréable qu'on nous paie un voyage pour aller dans nos familles.
Je vais parcourir mes notes pour m'assurer de ne rien oublier. C'est à peu près tout. Je suis assurée que d'autres dames ici ont vécu les mêmes choses que moi, et parfois même des conditions encore plus difficiles, et qu'elles ont sûrement quelque chose à dire.
Bien qu'il ne soit pas ici, j'en profite pour remercier le patron de mon mari qui m'a continuellement appelée pour me fournir son appui et prendre de nos nouvelles. C'est important que quelqu'un de la base s'occupe de nous.
C'est tout.
Le président: Merci beaucoup, madame.
Nous allons passer à la période des questions.
[Traduction]
Monsieur Benoit, vous avez une question?
M. Leon Benoit: Ma question s'adresse aux deux témoins.
Vous avez parlé des répercussions des missions sur vos enfants. Je me demande s'il n'est pas plus facile de faire face à une mission à l'étranger quand vous savez avec un certain degré de certitude que la famille sera réunie pour une période prolongée, par exemple pour un an, après l'affectation.
Vous avez fait remarquer que des affectations plus courtes seraient mieux, mais je me demande si les affectations plus courtes, mais plus fréquentes, sont préférables à une mission plus longue mais moins fréquente, après laquelle le militaire aurait plus de temps à passer avec sa famille. Pourriez-vous toutes les deux me donner votre opinion, je vous prie? La question est la même pour les deux.
[Français]
Mme Marise Ouellet: Martine, qu'est-ce que tu en penses?
Mme Martine Simard: Je préfère vous répondre en français, si cela ne vous gêne pas, parce que je maîtrise mieux cette langue que l'anglais.
Je pense que les départs plus fréquents ne sont pas plus souhaitables non plus. Ce serait peut-être moins difficile pour la famille. Je ne saurais m'imaginer voir Bernard repartir après la mission de trois mois à laquelle il a participé cette fois-ci. S'il était revenu en vacances pendant deux ou trois semaines et qu'il était reparti, la famille en aurait été encore toute bouleversée. On aurait dû tout recommencer avec les enfants et cela aurait été encore le drame dans la maison.
• 2000
Vous parlez de missions plus courtes et de
départs plus fréquents. Cette plus grande fréquence ne
me tente pas non plus. C'est bien
sûr qu'on n'a pas le choix et que cela fait partie du
métier des hommes. Des départs pour une mission de
trois mois plutôt que de six mois seraient moins
pénibles.
Un départ pour une période de six mois
exige une certaine préparation psychologique.
Lorsqu'on sait qu'il sera absent pendant trois mois,
c'est aussi un départ, mais c'est moins
long que six mois.
Mme Marise Ouellet: Il faut dire qu'au cours d'une carrière de 25 ou 30 ans, certains militaires ne partent qu'une fois pour une période de six mois. Si mon mari était appelé à participer dix fois à des missions de trois mois, cela ne me ferait pas peur. Je ne craindrais pas non plus qu'il ne parte que deux ou trois fois au maximum en 30 ans.
Je me demande pourquoi certains militaires qui se portent volontaires ne partent jamais ou rarement, tandis que d'autres qui préféreraient rester doivent partir. Certains demandent à partir pendant plusieurs années, mais ils ne partent jamais. Certains d'entre eux sont célibataires et sont prêts à partir à plusieurs reprises. À l'autre bout, ce dont on a besoin, c'est un militaire, peu importe qu'il soit marié ou célibataire.
Mme Martine Simard: Je n'ai peut-être pas assez insisté sur un point particulier plus tôt. On dispose quand même d'une période au cours de laquelle on détermine quels militaires partiront. Je suppose qu'on savait dès janvier ou février que telle personne devait partir en septembre. On le sait, parce que de six mois en six mois, les missions sont consécutives. Pourquoi donc ne m'a-t-on informée de ce départ qu'en mai, plutôt qu'en février, en même temps que tout le monde? J'aurais pu me préparer et nous aurions modifié nos projets d'été en conséquence. Ça fout la vie en l'air, comme on dit. Tout est bouleversé. Mes propos ne sont peut-être pas directement reliés à votre question, mais je tenais à vous les faire connaître.
[Traduction]
M. Leon Benoit: Je vous remercie.
[Français]
Le président: Merci beaucoup, monsieur Benoit.
Madame Venne.
Mme Pierrette Venne: Merci. Alors, Marise...
Mme Marise Ouellet: Oui, madame Venne.
Mme Pierrette Venne: Pardon?
Mme Marise Ouellet: J'ai dit que je me préparais à vos questions.
Mme Pierrette Venne: Je ne vais pas être plus maligne qu'il le faut. D'ailleurs, je trouve que vous avez beaucoup de courage de venir toutes les deux nous expliquer ce que vous avez vécu. Je pense que c'est important de le faire, tout particulièrement pour les femmes.
Vous n'avez pas mentionné un point qu'une femme a partagé avec moi. Est-ce que vos cartes d'identité portent vraiment la mention «personne à charge»? Est-ce possible? Je ne peux pas vous dire à quel point je trouve ça incroyable et épouvantable! Je vais le décrier partout où je vais aller: les femmes sont des personnes à charge dans les Forces armées canadiennes. Je trouve cela épouvantable! Même si la personne travaille à l'extérieur et a des revenus, elle est une personne à charge. C'est incroyable!
D'autre part, la vie de la famille, de la façon dont on la voit et dont vous la vivez, ne semble malheureusement pas être une priorité dans les Forces. Je crois qu'il existe vraiment une volonté de se raviser et je me réjouis de rencontrer des gens aux échelons supérieurs qui sont intéressés à faire en sorte que la vie de famille soit désormais une priorité.
Les points que vous avez mentionnés reviennent à plusieurs endroits, y compris le fait que la date de retour de mission du militaire n'est pas connue et le peu de contact avec le militaire. Vous ne savez à peu près pas où il est rendu. On a aussi soulevé une autre question qui n'est pas reliée à la mission, bien qu'on ne semble pas en avoir parlé ici. Je vous demanderai si c'est la même chose ici. Il semble que les épouses—je dis «épouses» parce qu'on sait bien que la plupart du temps, ce sont des conjointes et non des conjoints—n'aient pas le droit de se prévaloir des services de l'hôpital militaire. Est-ce que c'est le cas ici aussi?
Mme Martine Simard: Oui.
Mme Pierrette Venne: Vous a-t-on donné une raison à cela? Pensez-vous que nous devrions recommander que vous puissiez être soignées ici, à l'hôpital? Votre qualité de vie en serait-elle améliorée? Est-ce que cela changerait quelque chose pour vous?
Mme Marise Ouellet: Pour moi personnellement, non.
Mme Martine Simard: Moi non plus.
Mme Marise Ouellet: Ça ne changerait strictement rien. Je crois que j'aime mieux être traitée...
Mme Pierrette Venne: Oh, là, là! Est-ce que vous remettez la qualité des soins en question?
Mme Marise Ouellet: Je ne voudrais rien dire de tel.
[Note de la rédaction: Inaudible]. De toute façon, l'hôpital de Ville de la Baie se trouve à sept kilomètres d'ici, tandis que celui de Chicoutimi se trouve à une quinzaine de kilomètres.
Mme Pierrette Venne: D'accord. Il est peut-être préférable d'oublier ce sujet pour l'instant.
Mme Marise Ouellet: Oui.
Mme Pierrette Venne: D'accord, merci. C'était tout ce que j'avais à vous demander.
Le président: Merci beaucoup, madame Venne.
[Traduction]
Monsieur Pratt.
M. David Pratt: Monsieur le président, je n'ai pas tant une question à poser qu'une suggestion à faire au comité, soit de faire une éventuelle recherche sur les missions de six mois. Il faudrait d'abord demander au Quartier général de la Défense nationale si c'est vraiment une nécessité opérationnelle absolue.
Il faudrait aussi voir ce que font nos alliés, lorsqu'ils envoient leurs militaires en mission pour le compte des Nations Unies dans des pays comme Haïti et la Yougoslavie et voir quelle est la durée de ces affectations.
Il serait aussi intéressant de savoir si les Nations Unies ont des règles particulières s'appliquant au mouvement des troupes sur les théâtres d'opération.
Le président: Vous faites valoir un bon point, monsieur Pratt. Je suis certain qu'on est en train d'examiner la question en ce moment même.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Judi Longfield.
Mme Judi Longfield: Je suis curieuse de savoir s'il est possible de communiquer avec le conjoint durant la mission. Combien de fois peut-on le faire?
[Français]
Mme Martine Simard: Nous n'avons pas connu de problèmes de communication. Les lignes fonctionnaient très bien lorsque je communiquais avec mon conjoint à Haïti, ce qui n'était pas le cas en Yougoslavie où les lignes étaient parfois coupées. Nous n'avons pas eu à vivre cela. Le temps dont nous disposions était toutefois limité et nous n'avions droit qu'à un ou deux appels téléphoniques par semaine. Une fois les 12 minutes écoulées, la ligne était coupée. Qu'il t'ait dit «Je t'aime» ou pas, c'était tant pis. La communication était coupée. La meilleure chose à faire pour s'assurer de tout se dire, c'était de se servir de son chronomètre.
Mme Marise Ouellet: Oui, Martine, mais on avait droit à un appel de 12 minutes une fois par jour.
Mme Martine Simard: Douze minutes une fois par jour? Non, 12 minutes deux ou trois fois par semaine.
Mme Marise Ouellet: Ah, oui!
Mme Martine Simard: Ah, oui!
Mme Marise Ouellet: D'accord.
Mme Martine Simard: Vous étiez de nouveaux mariés, vous autres!
[Traduction]
Mme Judi Longfield: Ils ont peut-être fait exception... Peut-être que, dans votre cas, vu que vous étiez en lune de miel, ils ont fait exception.
Des voix: Oh, oh!
Mme Judi Longfield: Lorsque les conjoints sont en mission, peut-on aussi communiquer avec eux par courrier électronique?
[Français]
Mme Martine Simard: Non, je n'ai pas utilisé le courrier électronique.
[Traduction]
Mme Judi Longfield: Peut-on se renseigner sur l'évolution de la mission pendant qu'ils sont là-bas? Comment ces renseignements vous sont-ils communiqués?
[Français]
Mme Martine Simard: Nous pouvions obtenir des informations relatives à la mission en communiquant régulièrement avec la ligne 1-800 «Information Mission». Mon mari me décrivait aussi ce qui se passait là-bas. Les enfants recevaient des renseignements par la poste au sujet d'Haïti en général. Telles étaient nos sources d'information. Les renseignements que nous recevions de nos maris étaient plus détaillés que ceux dont disposait la base qui, à mon avis, n'était pas vraiment au courant de ce qui se passait. Ce sont vraiment nos maris qui nous tenaient au courant.
Mme Marise Ouellet: Cette ligne d'information n'était pas à jour. La mise à jour n'était peut-être pas faite quotidiennement.
Mme Martine Simard: Non, les renseignements n'étaient révisés qu'à chaque semaine.
Mme Marise Ouellet: Notre meilleure source de renseignements, c'était nos entretiens avec notre époux.
[Traduction]
Mme Judi Longfield: Je me posais la question parce qu'on nous a souvent dit, ailleurs, que la meilleure source d'information pour les familles était CNN ou Newsworld. Je ne crois pas que ce soit la bonne façon...
[Français]
Mme Marise Ouellet: Je pense que c'est la pire chose. Lorsqu'on regarde les nouvelles et qu'on voit de la guerre, on peut se faire de bien mauvaises idées.
Mme Martine Simard: C'est exact. Par exemple, les nouvelles annonçaient le retrait des forces en novembre, si je me souviens bien. Nos maris nous disaient alors que rien n'était sûr et qu'on en parlait encore. Les bulletins de nouvelles affirmaient que c'était certain; ils n'étaient pas vraiment la meilleure source, la source la plus fiable.
[Traduction]
Mme Judi Longfield: Je suis d'accord avec vous. Ce n'est pas ainsi qu'on devrait être renseigné. Cependant, il arrive que ce soit la seule source d'information. Il faut y voir, selon moi.
Le président: Je vous remercie beaucoup, Judi.
[Français]
Merci beaucoup, mesdames.
[Traduction]
Charmaine Sammut, je vous prie.
Mme Charmaine Sammut (témoigne à titre personnel): Bonsoir, mesdames et messieurs et membres du comité permanent. Plus particulièrement, je tiens à saluer M. Benoit. Je viens tout juste de quitter Cold Lake où j'habitais et, soit dit en passant, j'ai voté pour lui.
Je suis ici ce soir comme porte-parole du groupe d'épouses de militaires anglophones qui, lorsqu'elles ont reçu l'invitation de se présenter aux audiences, ont décidé qu'il serait avantageux pour elles de se rencontrer et de discuter de leurs préoccupations au sujet de la qualité de la vie ici.
Selon nous, la base de Bagotville vit une situation très unique en raison de la barrière linguistique. Nos expériences individuelles depuis notre arrivée ici nous font dire que la formation linguistique et les services d'intégration fournis par les militaires ne sont pas du tout à la hauteur. Nous croyons savoir que les responsables des programmes font de leur mieux avec les ressources dont ils disposent, mais j'estime, comme toutes les autres, que cela n'excuse pas les lacunes évidentes du système de formation linguistique prévu pour les personnes à charge.
Je ne le dis pas malicieusement. Je déteste ce mot également.
Actuellement, il faut qu'un pourcentage obligatoire de militaires ayant besoin d'une formation linguistique soient inscrits avant que l'on envisage même la possibilité d'offrir un cours aux personnes à charge. Par conséquent, il n'y a actuellement pas de cours pour débutants, et l'avenir du cours intermédiaire à la base après la fin de mars est incertain. Bien qu'un cours à temps plein d'une année soit offert aux militaires au Cégep de Jonquière, il n'y a que dix places et, bien sûr, un certain nombre d'entre elles est réservé aux militaires. Il y a donc une liste d'attente.
Tout cela est en contradiction avec ce qu'on nous a dit, à nous, les épouses, avant que notre conjoint n'accepte la mutation. On nous avait assuré que les services offerts par les militaires étaient plus qu'adéquats. Toutefois, depuis notre arrivée, nous avons toutes pris conscience de la dure réalité, soit que le gouvernement y consacre trop peu de fonds et qu'on fait peu pour redresser la situation.
Le mot «personne à charge» illustre bien la situation difficile que nous vivons. C'est exactement ainsi qu'on nous traite. Pourtant, nous représentons beaucoup plus que cela. Nous sommes le réseau de soutien indispensable des militaires. Par conséquent, j'estime que le gouvernement et les militaires ont l'obligation de nous fournir les services dont nous avons besoin. Je dis bien dont nous avons besoin, pas que nous souhaitons obtenir. Pour retrouver notre indépendance, il faut que nous ayons des services d'intégration qui nous permettent de devenir des membres fonctionnels et actifs qui contribuent à leur milieu.
Notre deuxième source de préoccupation est dans le même ordre d'idées, mais concerne les services d'information essentiels. Il est vrai qu'il existe un comité de services aux anglophones parrainés par le Centre multi-services. Toutefois, nos expériences individuelles nous font dire qu'il existe bel et bien des lacunes.
• 2015
L'information actuellement offerte par le Centre
multi-services se confine habituellement aux services offerts ici,
à la base. La plupart d'entre nous ont éprouvé des difficultés à
obtenir de l'aide pour se procurer des services essentiels, par
exemple l'assurance-maladie, les cartes d'assurance, les permis de
conduire, les plaques d'immatriculation, les inspections de
véhicule, le nom de médecins, de dentistes et même de coiffeurs et
pour obtenir des renseignements sur les conditions d'admission à
une école de langue anglaise. Je puis vous dire qu'aucune autre
province au Canada n'exige le genre de paperasse qui est exigée ici
pour que nos enfants puissent faire leurs études en anglais. C'est
une honte!
Ce n'est qu'un exemple des renseignements que seuls le bouche à oreille ou de longues recherches personnelles ont pu nous fournir. Il faudrait former ceux qui sont en charge de fournir l'information aux nouveaux venus de sorte qu'ils connaissent toutes les exigences auxquelles font face ceux qui arrivent d'une autre province de même que les divers organismes gouvernementaux auxquels il faut s'adresser.
En résumé, notre troisième préoccupation ressemble à celle d'autres militaires d'un peu partout au Canada, c'est-à-dire la question des salaires. Le salaire est une préoccupation importante depuis quelque temps, non seulement pour les militaires, mais également pour leurs familles, parce que, depuis presque six ans, les militaires n'ont pas eu d'augmentation, pas seulement des indemnités de vie chère. L'installation ici a alourdi le fardeau des familles puisque tout le monde sait que le coût de la vie au Québec est très élevé et que l'impôt sur le revenu des particuliers est plus élevé que dans d'autres provinces. Par ailleurs, le règlement de l'impôt sur le revenu provincial prévoit l'imposition de certains avantages qui, dans d'autres provinces, ne sont pas considérés comme un revenu.
La plupart des familles qui s'installent ici éprouvent des difficultés financières supplémentaires parce qu'elles perdent un revenu si le conjoint est anglophone et qu'il ne peut donc pas se trouver de l'emploi ici. À nouveau, l'attitude non seulement des militaires mais des services d'emploi contribue très peu à l'intégration et à aider le conjoint à se trouver de l'emploi.
Nous avons examiné l'information qui nous a été fournie par nos conjoints et dans laquelle on donnait un bref aperçu des audiences qui se sont déroulé un peu partout au Canada jusqu'ici. Une des recommandations qui a tout notre appui est l'idée de nommer un ombudsman pour les personnes à charge des militaires. Nous estimons qu'il serait extrêmement avantageux de nommer un civil pour défendre nos intérêts dans ce genre de situation.
J'espère que vous tiendrez compte de ce que nous vous avons exposé ce soir et que vous vous rendrez compte qu'il est dans le meilleur intérêt du gouvernement d'améliorer la qualité de vie des militaires s'il veut qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes.
Je vous remercie.
Le président: Monsieur Benoit.
M. Leon Benoit: Tout d'abord, je vous remercie d'avoir voté pour moi. Je vous en suis très reconnaissant.
Le président: Nous ne vous en tiendrons pas rigueur!
M. Leon Benoit: Ce que vous aviez à dire au sujet de la formation linguistique est intéressant. On nous a fait des observations à cet égard déjà, mais vos propos sont probablement ceux qui illustrent le mieux le manque de correspondance entre la réalité et les besoins.
Le salaire est bien sûr une préoccupation dont on nous parle constamment. Toutefois, j'aimerais vous poser une question au sujet du poste d'ombudsman. La commission d'enquête sur la Somalie a recommandé que l'on crée un poste d'inspecteur général indépendant. La réaction du ministère de la Défense a été de nommer un ombudsman. Cependant, celui-ci relève du ministre de la Défense nationale. Il n'est donc pas un porte-parole vraiment indépendant. Quand vous dites appuyer le principe d'un ombudsman, êtes-vous très favorable à l'idée d'un ombudsman indépendant qui ne relève pas du tout du ministre ou appuyez-vous l'idée d'ombudsman avancée par le chef d'état-major de la Défense dans les recommandations qu'il a faites avant Noël?
Mme Charmaine Sammut: Nous estimons qu'il faudrait que ce soit quelqu'un qui ne relève pas directement des autorités locales, des militaires de la base. Il faudrait qu'il n'ait pas à craindre les pressions exercées au sein même de la base militaire.
M. Leon Benoit: Votre grande préoccupation est donc que l'ombudsman n'ait rien à craindre de ce que les personnes de la base locale pensent de sa recommandation?
Mme Charmaine Sammut: Oui.
M. Leon Benoit: Je vous remercie.
Le président: Merci.
J'aurais une brève question. Quand nous avons visité le Centre de ressources pour les familles cet après-midi, je me souviens de m'être enquis au sujet de la formation linguistique. La dame m'a répondu qu'un cours était offert et qu'il n'y avait pas de liste d'attente. Si un conjoint veut s'inscrire, il n'y a pas de liste d'attente.
Mme Charmaine Sammut: Ce n'est pas vrai. Voyez ce qui m'est arrivé, à moi. Je travaille comme bénévole au centre multi- services. D'après ce que m'ont dit les amies que je me suis faites depuis mon arrivée ici, beaucoup estimaient qu'il leur fallait un cours de français pour débutants. Il n'y en avait pas à leur disposition, et on n'en offre pas actuellement. On ne projette pas non plus d'en offrir.
On nous a demandé si nous voulions nous inscrire au cours intermédiaire, ce que nous avons fait parce que, à ce moment-là, c'était le seul cours offert. Nous nous en sommes sorties comme nous pouvions, mais nous avons constaté que, quand on arrive à ce niveau-là, naturellement, il nous manque des connaissances de base. Quand on ne maîtrise pas la base, il est assez difficile d'assimiler le reste.
Pour ce qui est du cours à temps plein offert au cégep de Jonquière, je suis catégorique: il existe une liste d'attente. Vous ne pouvez pas être admis quand vous en faites la demande. En fait, mon nom a figuré sur la liste d'attente, et j'en connais d'autres dont le nom figure aussi sur la liste d'attente. Chaque année, il n'y a que dix places. C'est dû au fait que le cours dure toute l'année.
M. Leon Benoit: Je voulais aussi vous poser une autre question. Avez-vous dit que vous aviez un enfant d'âge scolaire qui avait de la difficulté à être admis dans une école de langue anglaise?
Mme Charmaine Sammut: J'ai trois enfants, dont deux ont pu m'accompagner. L'autre est demeurée en Alberta parce qu'elle est en année terminale. À nouveau, les systèmes d'éducation—on l'a déjà mentionné plusieurs fois—lui interdisaient de venir vivre ici avec nous.
Quant à mes deux autres enfants, comme nous sommes anglophones et que la loi au Québec limite l'accès à l'éducation en anglais, nous avons dû soumettre un tas incroyable de documents pour que notre enfant ait le droit d'aller à l'école en anglais. Il m'a fallu trois mois pour obtenir tous les documents requis. Il faut faire venir des certificats de naissance. Il faut prouver ses antécédents scolaires. Vous ne croiriez pas la quantité de documents qu'il faut fournir.
Je suis arrivée ici il y a six mois. Dès mon arrivée, j'ai présenté la demande. Je viens tout juste de recevoir les certificats d'admission de mes enfants, il y a deux semaines.
M. Leon Benoit: Y a-t-il eu un problème à les faire passer d'un système à un autre ou fut-ce relativement facile?
Mme Charmaine Sammut: Les systèmes d'éducation varient beaucoup d'une province à l'autre. Mes deux enfants, qui n'avaient jusque-là que des A, ont eu bien des difficultés à s'adapter. Je sais que vous connaissez le système d'éducation de l'Alberta où l'on fait une douzième année. Ici, le secondaire s'arrête à la fin de la onzième année. Donc, quand votre enfant passe de l'Alberta au Québec, il doit sauter une année. Il doit cependant rattraper la matière de l'année qui lui manque.
Ma fille qui, en Alberta, aurait été en neuvième année, est actuellement en secondaire III, l'équivalent de la dixième année au Québec. Elle étudie donc des matières du deuxième cycle du secondaire, par opposition à des matières de la dernière année du premier cycle, en Alberta.
• 2025
Donc, l'intégration a été difficile pour eux, mais elle le
serait pour n'importe quel enfant qui doit déménager ailleurs au
Canada. Le fait que l'on se soit installé au Québec n'est pas le
seul facteur.
Ce que je trouve le plus frustrant, ce sont toutes ces formalités administratives qu'il faut remplir.
M. Léon Benoit: Croyez-vous que les enfants qui éprouvent des difficultés à l'école pourraient finir par trouver cela vraiment décourageant s'ils sont appelés à déménager très souvent? Cela pourrait être extrêmement décourageant pour eux.
Mme Charmaine Sammut: Une des femmes que j'ai rencontrées hier soir a déménagé 11 fois en 14 ans, et trois fois au cours des deux dernières années. Les études de son fils en souffrent beaucoup.
Mme Judi Longfield: Monsieur le président, j'ai cru comprendre, quand nous étions au centre familial, que c'était pour les cours de langue anglaise qu'il n'y avait pas de liste d'attente. Il y a peut-être eu de la confusion à ce sujet, c'est-à- dire au sujet des cours de langue seconde.
Pour ce qui est de votre fille qui est restée en Alberta afin de poursuivre ses études, est-ce que les forces armées vous accordent une aide financière quelconque pour vous aider à absorber les coûts? Comme vous habitez maintenant à l'extérieur de la province, vous avez sûrement des frais de scolarité et des frais de pension à payer.
Mme Charmaine Sammut: Oui, on a droit à indemnité de subsistance.
Mme Judi Longfield: Vous dites «subsistance»; cette indemnité vous permet de couvrir quel pourcentage des coûts?
Mme Charmaine Sammut: Entre 50 et 75 p. 100 des coûts, sauf que cette indemnité est imposable au Québec. Elle est considérée comme un revenu.
Mme Judi Longfield: L'indemnité est imposable?
Mme Charmaine Sammut: Oui. C'est l'unique endroit où elle l'est.
Mme Judi Longfield: Ils paient peut-être le gîte et le couvert ou, du moins, ils en paient une partie, mais est-ce que vous et votre mari avez l'occasion d'aller lui rendre visite, ou est-ce qu'elle vient vous voir ici? Est-ce qu'on vous verse une indemnité pour cela?
Mme Charmaine Sammut: Oui. Les forces armées lui paient deux voyages aller-retour par année pour qu'elle puisse nous rendre visite.
Mme Judi Longfield: Est-ce que l'enfant voyage à bord d'un avion commercial ou d'un avion militaire? Comment procède-t-on?
Mme Charmaine Sammut: À bord d'un avion commercial. C'est à nous de faire les réservations.
Mme Judi Longfield: Vous pouvez donc faire des arrangements pour vous voir. C'est bien.
[Français]
Le président: Madame Danielle Gilbert.
Mme Danielle Gilbert (témoigne à titre personnel): Bonsoir. Moi aussi, je veux parler d'éducation. Je viens d'écouter la dernière intervenante et je dois dire que je partage entièrement son point de vue. Quand vous arrivez au Québec, où le système d'éducation est complètement différent de celui des autres provinces, vos enfants se trouvent pénalisés. Ma fille était au Manitoba. Quand elle est arrivée ici, on lui a fait sauter une année. Elle a fini son secondaire V et elle a été acceptée au cégep. Mais là, on n'a pas reconnu des cours qu'elle avait suivis au Manitoba. Elle a dû s'inscrire à des cours supplémentaires. C'est l'enfer, quoi.
J'aimerais savoir pourquoi le gouvernement n'essaie pas d'uniformiser les systèmes d'éducation de toutes les provinces afin que les enfants ne soient pas pénalisés chaque fois que nous avons à déménager. De même, à l'intention des gens qui sont forcés de déménager à cause de leur travail, militaires ou employés civils, pourquoi n'y a-t-il pas une loi qui fasse que les enfants ne soient pas pénalisés? Autrement, d'une province à l'autre, le système d'éducation change. Quand tu arrives ici au Québec, il faut que tu aies fait deux années de cégep, il faut que tu aies des crédits. Je trouve que c'est aberrant.
Je ne sais pas si le gouvernement pourrait faire quelque chose, si les ministères de l'Éducationm provinciaux ne pourraient pas se réunir et décider de normaliser l'éducation d'une province à l'autre afin que les enfants ne soient pas pénalisés. Merci.
Le président: Mesdames et messieurs, ma liste d'intervenants est complétée. S'il y a des personnes dans la salle qui souhaitent prendre le micro pour nous faire d'autres suggestions ou commentaires, je les prie de le faire maintenant.
M. Éric-Michel Daoust (témoigne à titre personnel): Je m'appelle Éric-Michel Daoust. J'ai un papier car ma mémoire est défaillante.
À cause des maux divers que m'a causés la guerre du Golfe, pendant laquelle j'étais contrôleur aérien, j'ai des problèmes physiques et mentaux. Je suis obligé de prendre des médicaments à la dose maximale, que ce soit n'importe lequel ou pour n'importe quel traitement.
[Traduction]
J'ai une question à poser. Si le gouvernement hésite à venir en aide aux militaires qui ont participé à la guerre du Golfe et qui, à cause de cela, éprouvent des problèmes de santé, a-t-il peur maintenant que la situation ne s'aggrave à nouveau dans la région? Il ne veut peut-être pas se mouiller, parce que s'il le fait, il va être obligé d'aider les soldats qui pourraient se retrouver à nouveau dans le Golfe.
[Français]
Puisque je n'ai pas la force de continuer, j'aimerais maintenant vous présenter ma porte-parole, mon officier d'entraide, Mme Isola Bouchard.
Le président: Madame Bouchard.
Mme Isola Bouchard (témoigne à titre personnel): Bonsoir, tout le monde. Je fais partie d'un groupe de personnes que vous rencontrez sans doute très rarement. Vous nous porterez, je l'espère, une attention particulière. Je suis officier d'entraide pour les anciens combattants.
Tous ici, vous êtes en santé. Cependant, quand quelqu'un revient de mission, sa santé peut en avoir été affectée. M. Daoust, ici présent, en est une preuve vivante. C'est un ancien combattant de la guerre du Golfe.
Je voudrais demander s'il est possible qu'en région ou au ministère, il y ait des médecins militaires qui sont allés sur les lieux où s'est déroulée cette guerre et sont capables de diagnostiquer les maladies dont souffrent les anciens combattants. Dans la vie civile, on n'y connaît absolument rien, et les médicaments qu'on leur donne ne conviennent absolument pas à ces patients.
Je suis allée hier chez un médecin à qui j'ai présenté le dossier de M. Daoust. Ce médecin m'a déclaré que ce dossier ne l'aidait en aucune façon puisque lui ne connaissait rien de ce milieu ni de ces gens.
À Ottawa, il existait un hôpital spécialement réservé aux anciens combattants de la guerre du Golfe. J'ai appelé à cet hôpital, ou à cette clinique, le 24 novembre pour apprendre qu'il fermait ses portes. Je voudrais bien savoir si vous avez conservé des endroits, peut-être à Valcartier ou ailleurs, où on puisse référer ces malades.
Ces malades ont des pertes de mémoire, leurs cheveux tombent, ils souffrent de déconcentration, de maux de tête. M. Daoust a des maux de tête qui peuvent durer de 48 à 72 heures et de l'arthrite, parce qu'il était en poste sur un bateau. Il a travaillé pendant pratiquement 10 ans comme contrôleur aérien sur un bateau. Phénomène curieux, actuellement, il est comme un chat: il voit mieux dans le noir qu'à la clarté. Vous imaginez les problèmes que cela cause, en plus des autres problèmes physiques que j'ai mentionnés.
M. Daoust a eu 35 ans le 26 décembre. Le médecin qui le soigne depuis six mois lui a déclaré: «Votre organisme, monsieur, a trois fois votre âge.» Imaginez les idées noires qui lui viennent le matin quand il se lève.
• 2035
Je dois vous dire qu'un jour où j'étais chez lui à
préparer son dossier à l'ordinateur, il m'a dit:
«Heureusement que vous êtes là, parce que je vous
assure que je ne serais plus de ce monde depuis
longtemps.» Permettez-moi de vous dire que ce fardeau
est vraiment trop lourd pour moi. Actuellement, je
m'occupe d'une personne. Bientôt, on m'en confiera
deux autres. Alors je vous crie «À l'aide!»; je vous
lance un SOS.
Je veux avoir l'aide de médecins capables de comprendre ces gens. Je ne veux pas avoir affaire aux médecins civils parce qu'ils n'y comprennent rien et concluent simplement que tout cela relève de la psychiatrie, parce que ce n'est sûrement pas normal. Ce n'est peut-être pas normal pour un civil, mais pour un militaire, oui, ce l'est, si on tient compte de tous les médicaments qu'il ingurgite et du fait que nos médecins ne comprennent rien là-dedans.
Je lance donc un SOS. Pouvez-vous me dire ce qu'il en est de l'hôpital d'Ottawa, qu'on a fermé alors qu'il accueillait tout particulièrement ces anciens combattants?
[Traduction]
Le président: David, pouvez-vous répondre à cette question?
M. David Pratt: Je viens d'avoir des renseignements du représentant militaire au sujet du Centre médical de la Défense nationale. Si j'ai bien compris, le Centre ferme ses portes, mais la clinique pour les anciens combattants de la guerre du Golfe va rester ouverte. Il y a des médecins aussi qui vont être envoyés dans certaines bases à l'échelle du pays. Mais nous pourrons vous fournir plus de renseignements là-dessus demain.
Pour ce qui est du point qu'a soulevé plus tôt M. Daoust, à savoir s'il y a quelqu'un qui s'intéresse à la santé des anciens combattants et des soldats qui pourraient être déployés dans la région du Golfe, hier soir, au cours du débat à la Chambre, qui s'est prolongé très tard dans la soirée, Mme Marlene Catterall, qui est le député d'Ottawa-Ouest—Nepean—en fait, elle représente la circonscription attenante à la mienne—a parlé de cette question. Elle s'est dite préoccupée par la santé des anciens combattants de la guerre du Golfe, et elle espère que la Défense nationale va mettre sur pied un programme pour protéger et surveiller la santé des militaires qui pourraient participer aux opérations contre l'Irak. Cette question a donc été soulevée à la Chambre des communes, hier soir.
Je tiens aussi à vous dire que les membres du comité ont tous compris votre message. Nous allons certainement suivre l'évolution de la situation au cours des semaines et peut-être des mois à venir.
Le président: Merci, David.
[Français]
Mme Isola Bouchard: Merci.
Le président: Madame, j'aurais une question assez courte à vous poser. Quel genre d'appui avez-vous reçu du ministère des Anciens combattants?
Mme Isola Bouchard: J'ai reçu un peu de services de la part des Anciens combattants. Ils font leur part, bien qu'ils nous demandent un examen médical. Mais c'est tout. C'est assez difficile parce que les médecins ne peuvent pas comprendre dans quel état sont ces gens. On vous dit que cela relève de la psychiatrie. Mais la psychiatrie, écoutez, il faut en revenir! Ce n'est pas de la psychiatrie. Je veux bien croire que cela en soit pour une partie, mais il ne faut pas croire que tout passe par là.
J'aurais besoin d'un médecin capable de comprendre ces situations. S'il existait une clinique à Valcartier, eh bien, nous aurions encore à assumer les frais du voyage de Chicoutimi à Valcartier. Mais peu importe, ce ne sera jamais facile.
Il me semble que lorsque les gens reviennent de la guerre et sont réellement malades, on devrait leur donner un montant de base, parce plusieurs d'entre eux seront incapables de travailler de nouveau même s'ils n'ont que 35 ans, comme c'est le cas de M. Daoust, qui est déclaré invalide.
Une telle situation est pénible. J'espère que j'aurai des nouvelles, et des nouvelles claires, pas seulement un bout de papier.
• 2040
Je dois vous avouer que j'ai aidé plus de 200 anciens
combattants de 1939-1945
pour qui j'ai obtenu des pensions.
C'était facile dans le cas de ces gens: il leur
manquait un bras, un oeil, une jambe, ce qui est très
visible. Mais chez les personnes qui souffrent autrement,
cela ne se voit pas, même à la radiographie. On leur
déclare qu'ils n'ont rien. Pourtant, ces gens sont très
malades, croyez-moi.
Alors, c'est un SOS que je vous lance et j'espère vraiment être aidée plutôt que d'être obligée de brasser et de... patienter.
[Traduction]
Le président: Monsieur Benoit, avez-vous une question?
M. Leon Benoit: Madame Bouchard, j'allais vous demander de me dire ce que le ministère a dit, mais vous avez déjà répondu en partie à la question. Si le ministère vous a laissé entendre, quand vous l'avez pressenti, que le problème était d'ordre psychiatrique- -et vous avez admis que le problème était en partie psychique, et en partie physique—vous a-t-il offert de l'aide pour traiter au moins cet aspect-là du problème?
[Français]
M. Éric-Michel Daoust: Ce n'est pas le ministère de la Défense nationale qui a offert...
Mme Isola Bouchard: Vous ne prenez pas la traduction.
M. Éric-Michel Daoust: Ce sont les hôpitaux d'ici.
Mme Isola Bouchard: Ce sont les hôpitaux d'ici qui ont... Le ministère des Anciens combattants a demandé que des examens médicaux soient passés ici. Mais ici, les gens ont une compétence valable dans le domaine civil, non pas dans le domaine militaire. Ils ne savent pas par où ces gens sont passés.
M. Éric-Michel Daoust: Ils ne comprennent pas ce que signifient ces injections.
Mme Isola Bouchard: Non.
M. Éric-Michel Daoust: Ce que cela veut dire, ils n'y comprennent rien, ceux du secteur civil.
Mme Isola Bouchard: Les postes de radio ou de télévision nous donnent souvent des informations. On y a dit que des chercheurs anglais avaient découvert que les injections qui avaient été données avaient détruit le système immunitaire. C'est donc tout le contrôle du système qui est attaqué. Alors, imaginez l'importance du problème.
Plusieurs milliers d'Américains sont déjà partis. J'espère que les Canadiens n'iront pas.
[Traduction]
M. Leon Benoit: Madame, j'aimerais vous parler plus tard, si c'est possible. Je sais qu'il y a des gens qui se sont penchés là- dessus. J'aimerais vous en parler, et essayer de vous mettre en contact avec eux.
[Français]
Mme Isola Bouchard: C'est très gentil de votre part. Merci beaucoup.
Le président: Madame Bouchard, un autre député aurait une question à vous poser.
[Traduction]
Monsieur Pratt.
M. David Pratt: J'aimerais préciser, et M. Daoust le sait peut-être déjà, qu'il y a un site Web sur l'Internet qui traite du syndrome de la guerre du Golfe. Il serait peut-être utile de le consulter pour obtenir des renseignements là-dessus.
M. Éric-Michel Daoust: Je vous remercie de cette suggestion. Toutefois, mon modem est tombé en panne il y a quelques mois. C'était un 14.4. Je tiens à préciser que, présentement, je gagne moins d'un cinquième de ce que je touchais quand j'étais dans les forces armées. Je vis donc sous le seuil de la pauvreté. Mais merci pour l'offre.
M. David Pratt: Je tiens à ajouter que le médecin qui dirige la clinique pour les anciens combattants de la guerre du Golfe, au CMDN, a lui-même pris part aux opérations dans la région. Il connaît donc très bien la situation.
M. Éric-Michel Daoust: Où est cet officier?
M. David Pratt: Au CMDN.
M. Éric-Michel Daoust: Qui va assumer les frais de déplacement pour les consultations?
M. David Pratt: Je ne peux pas répondre à cette question pour l'instant. Nous serons en mesure, demain, de vous donner plus de précisions sur l'aide offerte aux anciens combattants qui, comme vous, ont participé à la guerre du Golfe et qui, manifestement, éprouvent beaucoup de problèmes maintenant.
Je ne peux donc pas vous fournir ces renseignements pour l'instant. J'espère pouvoir le faire demain matin.
Le président: Merci, David.
Monsieur Benoit.
M. Leon Benoit: Ma question s'adresse avant tout aux représentants du ministère. J'aimerais savoir si le syndrome de la guerre du Golfe a été reconnu comme une véritable maladie.
Oui ou non? Je ne connais pas la réponse à cette question. S'il n'est pas reconnu comme une véritable maladie, c'est qu'on ne le prend pas vraiment au sérieux.
[Français]
Mme Isola Bouchard: Il nous faudrait au moins des médecins qui connaissent ce genre de situation, parce qu'il est impossible qu'un médecin du monde civil puisse donner de bons soins à ces malades.
M. Éric-Michel Daoust: Il n'ont aucune idée de ce que c'est.
Mme Isola Bouchard: Non.
M. Éric-Michel Daoust: Ils ne savent pas ce qu'est la piqûre «S-5-10». Ils ne savent pas les problèmes qu'on a eus, les interférences, les pilules ou injections qu'on a prises et qui n'étaient pas reconnues. Les médecins du secteur civil n'ont aucune idée de ce qu'est l'injection «S-5-10».
[Traduction]
Ils ne savent pas non plus quel effet ont sur l'organisme— c'est-à-dire le système nerveux central—les pilules qui nous ont été données en vue des attaques. Ces pilules ont-elles été analysées et testées, par exemple, par le gouvernement du Canada avant leur distribution?
[Français]
Le président: Monsieur Daoust, nous allons vérifier ces renseignements et les obtenir pour demain matin.
Mme Isola Bouchard: Merci. Au ministère, on m'a dit qu'il y avait une clinique à Valcartier, ouverte depuis peu, spécialement affectée aux soins des anciens combattants de la guerre du Golfe. J'ai essayé de communiquer avec les responsables ce matin. Je n'ai pas réussi. Je vais essayer de nouveau pour voir ce qu'il en est, si le médecin s'y connaît vraiment en matière de guerre du Golfe.
Mais soyez assurés que je veux trouver quelqu'un. Nous ne resterons pas là insensibles à la détresse de ce monsieur. J'en ai deux autres dont je m'occupe, en plus. Alors, il faut absolument...
M. Éric-Michel Daoust: Sans compter ceux qui sont morts.
Mme Isola Bouchard: Ceux qui sont morts crient moins fort. Ce sont les familles qui ont beaucoup de peine. Je vous assure qu'ils ont des souvenirs très amers, mais je ne veux pas les dire. Il y en a un qui est décédé quelques mois après être rentré de la guerre. L'autre est décédé à un hôpital militaire. C'est arrivé en Gaspésie.
En tant qu'officier d'entraide, je dois les aider quand ils sont malades, même s'ils sont en santé quand les choses ne vont pas trop bien, et même quand ils meurent. J'ai donc fondé au Saguenay un cimetière spécialement pour les anciens combattants du Saguenay—Lac-Saint-Jean.
Je dois vous dire que j'ai téléphoné ce matin au Fonds du Souvenir pour savoir si les anciens combattants de la guerre du Golfe étaient admissibles. Eh bien, non. Ils n'ont droit ni à la pierre tombale ni aux frais funéraires. Ils sont considérés comme des travailleurs ordinaires, qui ne sont pas des militaires.
J'espère bien que vous allez réussir à améliorer cette situation pour le moins catastrophique. En effet, des gens qui ont servi à la guerre, qui y ont laissé leur santé, totalement ou partiellement, méritent au moins de se voir offrir une pierre tombale et que les frais de leurs funérailles soient payés par le ministère.
Le président: Merci beaucoup, madame. Nous prenons bonne note de vos commentaires.
Jim Temple.
[Traduction]
M. Jim Temple (témoigne à titre personnel): Je suis une personne à charge. Malheureusement, contrairement à la majorité des personnes à charge, je ne suis pas une femme. Je n'ai rien contre le fait d'être désigné ainsi, puisque je ne suis pas à la charge des forces armées. Je devrais pouvoir travailler dans n'importe quelle région du pays.
Comme ma conjointe a été affectée ici, j'ai dû quitter l'Ontario. Je suis un mécanicien qualifié. Je peux réparer des voitures et des camions lourds. Malheureusement, nos brevets ne sont pas reconnus au Québec. Cela a quelque chose à voir avec le gouvernement fédéral.
J'ai envoyé des lettres à Ottawa pour essayer de savoir pourquoi mon brevet n'est pas reconnu ici, alors qu'il semble l'être partout ailleurs. J'ai parfois l'impression de vivre dans un autre pays. Je suppose que, dans une certaine mesure, je suis à la charge des militaires, parce que ce sont eux qui doivent s'occuper de moi pour l'instant. Je trouve cela injuste. Cette situation ne me plaît pas du tout.
Il y a aussi la question des cours de langue. C'est vrai, vous ne pouvez pas suivre un cours d'introduction ici, que ce soit sur la base ou... J'ai essayé d'en suivre un à La Baie. Ils n'ont rien à offrir. Il en va de même à Chicoutimi. Là-bas non plus ils n'ont rien à offrir.
Je ne comprends pas pourquoi ils ont besoin d'un minimum de 15 personnes pour donner un cours de langue française, surtout si c'est le gouvernement qui paie. Si deux personnes sont transférées à la base et ont besoin de suivre ce cours, pourquoi ne pas le leur offrir? Pourquoi ne pas le donner à 3 personnes? À vingt? S'ils n'ont pas le nombre requis de personnes, tant pis.
Voilà ce que je voulais vous dire. Merci beaucoup.
Le président: M. Benoit souhaiterait vous poser une question.
M. Leon Benoit: En fait, c'est plutôt un commentaire. Au cours de la dernière législature, j'ai, pendant un an et demi, assumé le rôle de porte-parole dans le dossier sur les obstacles au commerce interprovincial. Certains de ces obstacles correspondent en tout point à ce que vous dites: la non-transférabilité d'un certificat ou d'un brevet d'une province à l'autre.
M. Jim Temple: Pourvu que vous ayez un sceau de qualification interprovinciale. Je l'ai, mais cela ne change rien à la situation.
M. Leon Benoit: Oui. Dans certains secteurs, dont celui de la mobilité des personnes qui ont des attestations professionnelles, on retrouve plus d'obstacles au commerce entre les provinces qu'entre le Canada et les États-Unis.
M. Jim Temple: De plus, une personne originaire du Québec qui a un brevet peut se rendre Ontario et trouver du travail tout de suite. Moi, je suis pénalisé quand je viens ici.
M. Leon Benoit: Oui. Cette situation est en partie attribuable au fait que c'est le gouvernement fédéral qui doit voir à ce qu'il n'y ait pas de barrières commerciales entre les provinces. Or, il néglige cette responsabilité depuis très longtemps, depuis 100 ans en fait. Maintenant que nous avons le libre-échange entre le Canada et les États-Unis, le problème est plus évident, surtout quand il est plus facile de faire reconnaître son certificat ou son brevet aux États-Unis que dans une autre province canadienne.
M. Jim Temple: Ce processus n'existe pas aux États-Unis. Ils ont commencé à établir des règles au cours des 6 à 10 dernières années. Toutefois, si vous êtes Canadien et que vous allez travailler aux États-Unis, ils vous prennent tout de suite. Ils vont tout payer, parce que nous avons, au Canada, un système de formation exceptionnel, aussi bien pour les apprentis que pour les ouvriers spécialisés. Malheureusement, la situation est tout autre au Canada.
Je signale, en passant, que le gouvernement distribue une brochure dans laquelle il affirme que vous pouvez vous déplacer d'une province à l'autre si vous avez votre sceau de qualification interprovinciale, peu importe votre métier. Je pense qu'il faudrait peut-être revoir le contenu de cette brochure.
M. Leon Benoit: On ne peut pas le faire, et c'est une situation qu'il faut corriger. Le ministre de l'Industrie, M. Manley, s'est dit très préoccupé par cette question et il a dit qu'il allait faire quelque chose. Or, quatre ans sont passés et rien n'a été fait. Il faut agir.
La Chambre de commerce du Canada et de nombreuses chambres de commerce provinciales ont pris le dossier en main. De plus, certaines associations exercent des pressions pour qu'on corrige la situation. Mais, pour l'instant, cela ne sert pas à grand-chose dans votre cas.
M. Jim Temple: Je ne m'attends pas à trouver un emploi du jour au lendemain. Le fait que je ne parle pas français n'aide pas non plus. Mais ils pourraient au moins reconnaître mon brevet. Cela faciliterait les choses pour moi.
J'ai 20 ans d'expérience. J'arrive ici, et on me dit que je ne fais pas l'affaire. On exige de nous, en Ontario, cinq années d'expérience ou 10 000 heures de travail. Au Québec, c'est trois années d'expérience et 7 000 heures de travail. Il y a donc quelque chose qui ne va pas. La formation est aussi bonne en Ontario qu'au Québec.
M. Leon Benoit: Merci.
Le président: Monsieur Pratt, aviez-vous un commentaire à faire?
M. David Pratt: Monsieur Temple, je vis très près de la frontière québécoise, et je peux vous dire qu'il y a beaucoup plus de personnes que vous ne le pensez qui sont touchées par ce problème. Les difficultés viennent surtout du Québec, puisqu'il ne reconnaît pas les brevets des autres provinces.
M. Benoit a raison. Le ministre de l'Industrie, M. Manley, s'occupe de ce dossier depuis plusieurs années, et il a réalisé des progrès dans certains domaines. Or, un des problèmes, c'est que l'Ontario ne semble tout simplement pas vouloir imposer les mêmes restrictions que le Québec. S'il le faisait et que les travailleurs du Québec ne pouvaient plus venir en Ontario parce que leurs brevets n'étaient pas reconnus, le gouvernement du Québec, à mon avis, ne tarderait pas à réagir. Comme l'Ontario ne veut pas bouger, nous nous retrouvons, au palier fédéral, coincés entre ces deux provinces qui n'arrivent pas à résoudre leurs problèmes pour ce qui est de la reconnaissance des normes. Je crois qu'il est très important de soulever ce point.
Je suis heureux de voir que cette question va figurer au compte rendu, parce qu'elle va nous rappeler que nous devons nous attaquer à ce problème, de même qu'à celui de l'éducation, afin d'améliorer les relations interprovinciales.
Merci.
[Français]
Le président: Madame Venne.
Mme Pierrette Venne: J'aimerais simplement que M. Benoit réponde à mon collègue parce qu'apparemment, ce n'est pas le Québec qui est la pire province. Je ne voudrais donc pas tout prendre sur notre dos et j'aimerais que M. Benoit nous donne une explication.
[Traduction]
M. Leon Benoit: Oui, je vais le faire très rapidement, monsieur le président, parce que je sais que nous sommes ici pour entendre les doléances des gens.
Je tiens à dire très rapidement que, c'est vrai, il y a des problèmes du côté du Québec pour ce qui est de la reconnaissance des certificats et des brevets. Mais la Colombie-Britannique et la Saskatchewan ont érigé plus de barrières commerciales entre les provinces que ne l'a fait le Québec. Toutefois, ce problème-ci est particulier au Québec. Je l'admets.
[Français]
Le président: Merci beaucoup.
Madame.
Mme Nancy Gonthier (témoigne à titre personnel): Bonsoir. Je m'appelle Nancy Gonthier. Je travaille au centre multiservice comme éducatrice à la garderie et je suis la conjointe d'un militaire.
Ce qui m'amène ce soir, c'est un point très important au niveau de mon travail. Actuellement, la garderie n'est pas reconnue par l'Office de garde du Québec, ce qui ne nous permet pas d'offrir des services de qualité aux militaires. Vous savez qu'au Québec, il y a beaucoup de problèmes au niveau des services de garde. Il y a des listes d'attente assez longues. Les militaires qui arrivent en poste ici ont besoin d'un service de garde qu'ils puissent utiliser.
Notre problème, c'est que le Québec dit que nous sommes en territoire fédéral et que, par conséquent, nous n'avons pas droit aux subventions provinciales. Cela ne nous facilite pas la tâche. J'aimerais seulement que vous puissiez mentionner au gouvernement québécois que les militaires paient des taxes provinciales, comme tous les citoyens canadiens, et qu'ils devraient avoir droit aux mêmes services.
Mon deuxième point se rapporte un peu à ce que Mme Venne a souligné tout à l'heure, à savoir que le gouvernement n'appuie pas assez ses militaires. Ce n'est pas nouveau. Ce que je déplore, c'est ce que j'entends souvent du côté civil qui, semble-t-il, ne connaît pas du tout le travail réel des militaires. Beaucoup de personnes croient que les militaires font du 8 à 4, ne font pas grand-chose et ont des salaires et des avantages sociaux extraordinaires. Mais c'est tout à fait autre chose en 1998.
• 2100
Mon mari est pilote de F-18 à la base. Souvent des
personnes m'ont dit que je ne devais pas avoir de
problèmes d'argent puisque mon mari devait gagner au moins
100 000 $ par année. S'il gagnait 100 000 $ par année,
soyez sûrs que je ne serais pas ici ce soir.
Mon mari est pilote de F-18 depuis 10 ans. Je ne voulais pas parler de ce point ce soir, mais après avoir entendu les autres présentations, je pense que je vais le faire car il me semble qu'on est mieux placé pour parler des choses que l'on vit.
Dernièrement, il a remis sa demande de libération. Pendant les deux dernières semaines à Bagotville, cinq pilotes l'ont fait et beaucoup d'autres vont le faire. Je voudrais vous en expliquer les raisons.
Lorsque j'ai rencontré mon mari, il y a cinq ans, il me disait que jamais il ne piloterait dans le civil car ce serait comme conduire un autobus. Il me disait toujours qu'il ne le ferait jamais. Mais cela fait maintenant deux ans qu'il y pense constamment et, finalement, il a demandé sa libération.
Ce sont des journées de travail de 10 heures, des heures de vol qui sont passées de 180 à 220 par an, et des surcharges de travail. Il y a aussi, bien sûr, le côté monétaire. Je vais vous donner un exemple. Ils vont bientôt partir en Norvège et ils vont demeurer sur une base où ils seront logés et nourris, bien sûr, mais ils vont avoir à peu près 6 $ d'indemnité par jour. Je ne sais pas si vous savez combien coûte un coup de téléphone de 30 minutes Norvège-Chicoutimi, mais je pense que ça va dépasser de beaucoup le montant qu'il recevra.
Du côté des salaires, il y a une grosse déception. Leurs supérieurs leur font miroiter des avantages, des bonis ou des augmentations, mais cela est tout le temps reporté d'une année à l'autre. Je sais qu'il y a maintenant une date qui a été fixée, le 1er avril, et qu'une proposition a été faite au Conseil du Trésor. Je peux vous dire que beaucoup de pilotes attendent cette date pour prendre une décision concernant leur carrière.
Je ne sais pas si vous savez que dans le civil, mon mari pourrait doubler son salaire en cinq ans tout en faisant la même chose; pas le même travail, mais le même métier.
Il en coûte 5 millions de dollars pour former un pilote. Je me demande pourquoi le gouvernement ne voit pas qu'il serait plus économique d'augmenter les salaires que de former continuellement de nouveaux pilotes. Il me semble pourtant que c'est logique et évident.
J'ai entendu la suggestion de Mme Venne. Le travail d'un pilote de F-18 ne consiste pas seulement à faire décoller et atterrir un avion. C'est beaucoup plus complexe. Il y a la connaissance militaire, les stratégies de combat, l'armement et bien d'autres notions que je ne connais pas moi-même.
La suggestion d'un contrat de 10 ans de M. le président est peut-être une solution, mais il faut vous dire que ce sont les pilotes qui ont 10 à 15 ans d'expérience qui quittent les Forces armées canadiennes, tout simplement parce que dans le civil, il faut avoir 1 200 heures de vol et une licence civile pour avoir le droit d'être pilote de ligne. Et comme ce sont les pilotes qui ont 10 à 15 ans d'ancienneté qui ont un nombre suffisant d'heures de vol, je ne pense pas que cette solution réglerait le problème. Merci.
Le président: Merci beaucoup, madame.
Madame, M. Benoit a une question.
[Traduction]
M. Leon Benoit: Comme c'est votre mari qui doit décider s'il veut poursuivre sa carrière de pilote au sein des forces armées ou non, j'aimerais savoir pourquoi votre mari voudrait quitter les forces aériennes.
[Français]
Mme Nancy Gonthier: Il m'est un peu difficile de répondre à cette question pour lui et à mettre ses raisons en ordre de priorité.
• 2105
Il y a sûrement la question du salaire. Il
aura 20 ans de service dans 10 ans et ce sera la
préretraite ou même la retraite, et je ne pense pas qu'avec le
fonds de pension que nous avons, nous pourrons faire
vivre une famille de trois enfants et payer une maison et
des études. Il sera donc dans l'obligation de
chercher un nouveau travail. Or, les
ouvertures dans le civil sont très grandes en ce moment.
Je pense que la question financière est la première
raison.
La deuxième, ce sont, je pense, les conditions de travail qui ont changé depuis son entrée dans les Forces armées canadiennes. Il a beaucoup moins de temps pour réaliser sa passion, qui est de faire voler l'avion, parce qu'il y a des surcharges de travail, des cours à prendre et beaucoup de choses à faire. Il a moins de temps qu'avant pour voler et les heures ont été coupées à cause des restrictions budgétaires.
[Traduction]
M. Leon Benoit: J'ai une autre question supplémentaire. Vous avez dit que le salaire est la première raison. Or, vous avez ajouté que vous ne pouvez pas, avec ce salaire, vous attendre à avoir une pension raisonnable, ou quelque chose de ce genre. Qu'elle est la principale raison: est-ce le fait que vous n'aurez pas une pension que vous jugez tous les deux acceptable, ou est-ce le salaire?
[Français]
Mme Nancy Gonthier: Pour l'instant, c'est le salaire, mais il est certain que ça influence le montant de la pension qui va arriver dans un avenir qui est quand même assez proche, puisque c'est dans 10 ans.
J'ai 25 ans, mon mari en a 34, et nous avons de jeunes enfants. Dans 10 ans, il faudra encore avoir un certain train de vie car on ne sera pas encore prêts à prendre notre retraite. Si on avait un salaire plus élevé, on pourrait peut-être mettre de l'argent de côté, payer l'hypothèque de la maison ou payer des choses qui serviraient plus tard, et on pourrait ensuite bien vivre avec une pension.
[Traduction]
M. Leon Benoit: Merci.
[Français]
Mme Nancy Gonthier: Excusez-moi. Je voudrais ajouter autre chose. Je ne veux pas du tout dénigrer les autres, car dans les Forces armées canadiennes, tout le monde donne son maximum au travail et tout le monde est un peu dans la même situation. Merci.
Des voix: Merci.
Le président: Un dernier témoin pour ce soir.
M. Ghislain Pépin (témoigne à titre personnel): Je m'appelle Ghislain Pépin et je voudrais parler du fonds de pension. Je suis un agent junior et j'ai déjà fait 16 ans d'armée.
On sait que le salaire des juniors n'est pas tellement élevé. Nous devons essayer d'accumuler des REER, vu que notre salaire n'est pas élevé. Mais il nous est difficile de trouver assez d'argent pour acheter des REER parce que notre salaire n'est pas très élevé.
Dans mon cas, ma conjointe ne peut pas travailler. On est arrivés de l'Ontario. Là-bas, elle ne pouvait pas travailler à cause de la langue. On est arrivés ici, et cela a été la même chose. Elle ne peut pas travailler. Avec deux enfants à la maison, c'est assez dur.
En ce qui concerne le fonds de pension des rangs juniors, j'aurai une pension d'à peu près 1 000 $ par mois quand je prendrai ma retraite dans quatre ans. Si je ne me trompe pas, un assisté social ne doit pas recevoir beaucoup moins que moi qui aurai donné 20 ans de service au ministère de la Défense. C'est un petit peu dur à accepter parce que je suis encore jeune. On n'est cependant pas comme aux États-Unis. Un membre des Forces canadiennes n'est pas comme un membre des Forces américaines, qui peut sortir et avoir un job tout de suite. Les soldats des Forces canadiennes sont moins bien vus à l'extérieur, bien qu'il puisse y avoir de belles occasions pour les techniciens.
Du fait des coupures de budget qui ont entraîné la réduction des effectifs des Forces canadiennes, il n'y a pas de promotions, ce qui fait que dans les rangs juniors comme dans le reste des Forces, 60 p. 100 des membres ne peuvent pas avoir la chance d'avoir une promotion. D'après moi, ce sont les juniors qui obtiennent le moins en matière de fonds de pension après 20 ans de service. Après 20 ans de service, on se retrouve, en termes de fonds de pension, avec un coup de pied au cul et 1 000 $ par mois. C'est mon point de vue.
Le président: Merci beaucoup. Je permettrai à un autre témoin d'intervenir parce qu'il ne peut apparemment pas venir demain.
M. Antoine Boudreault (témoigne à titre personnel): Non, car je travaille.
Bonsoir, messieurs, bonsoir, mesdames. Je voudrais savoir si vous avez un pouvoir exécutif à Ottawa. Est-ce que vous avez un pouvoir décisionnel? Vos recommandations changeront-elles quelque chose? C'est ce que je veux savoir.
Le président: Monsieur Boudreault, nous n'avons pas de pouvoir décisionnel. Notre pouvoir se limite à formuler des recommandations. Je peux toutefois vous dire que le ministre attend impatiemment le dépôt de notre rapport et que j'ai bon espoir qu'une bonne partie de nos recommandations seront mises en application. Pour vous répondre franchement, nous n'avons aucun pouvoir décisionnel.
M. Antoine Boudreault: D'autres études par des militaires, par les Forces armées canadiennes ou par quelque autre instance ont-elles précédé la vôtre? Ces études auraient-elles été mises sur la tablette?
Le président: Il faut faire attention. Nous ne sommes pas un comité qui relève du ministère de la Défense nationale. Nous sommes un comité de parlementaires.
J'ai cru comprendre au début que certains groupes de personnes du ministère avaient fait le tour et posé un peu les mêmes questions que nous. Pour être franc avec vous, je ne sais pas du tout ce qui est arrivé de ces rapports. Je tiens à vous dire qu'une fois que notre rapport sera terminé, il sera déposé à la Chambre des communes et ensuite acheminé au ministre.
M. Antoine Boudreault: Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président: Monsieur Benoit, un commentaire très, très bref.
M. Leon Benoit: Monsieur, je tiens à vous expliquer comment l'opposition entrevoit le rôle de comités comme celui-ci. Je tiens d'abord à dire que, à mon avis, le président a été très franc et très honnête avec vous. Il y a des comités parlementaires—et il y en a eu beaucoup—qui ont vu leurs recommandations mises en oeuvre, quoique dans une certaine mesure seulement. Je tiens à dire que les intentions des membres de ce comité, peu importe leur appartenance politique, sont bonnes.
Le rapport reflétera sans doute de façon très fidèle les propos qui ont été entendus ici. Pour ce qui est de savoir si les recommandations formulées seront mises en oeuvre, ça c'est une tout autre affaire. J'espère que le gouvernement va changer d'attitude et que les recommandations du comité seront prises en considération. Toutefois, nous ne le saurons pas avant trois ou quatre ans.
Le président: Merci.
Monsieur Pratt.
M. David Pratt: J'aimerais ajouter quelque chose. J'espère sincèrement que le gouvernement n'attendra pas trois ou quatre ans avant d'agir. Je crois que, compte tenu de la gravité de la situation, des changements s'imposent très, très rapidement. En fait, je sais que le ministre, comme l'a dit le président, s'intéresse de près à ce dossier et il se peut très bien que des mesures soient prises avant que le rapport ne soit complété. J'espère que ce sera le cas. Je ne peux rien vos garantir. Je ne sais pas ce que le ministre a en tête.
Je tiens tout simplement à dire que les membres d'un comité parlementaire comme celui-ci représentent les intérêts des diverses régions du pays. Nous venons de divers milieux, nos idées politiques sont différentes, mais il y a une chose dont je suis certain. Les comités parlementaires, lorsqu'ils parlent d'une seule voix, ont beaucoup plus d'influence auprès du gouvernement que lorsqu'ils sont divisés.
Je vous invite donc à la prudence, car il serait malheureux que le comité n'arrive pas à s'entendre sur cette question.
[Français]
Le président: Merci beaucoup, monsieur Pratt.
Je veux remercier tous les gens qui sont venus ici ce soir. Comme vous le savez, nous reprendrons nos travaux demain à 8 heures. Merci.
La séance est levée.