NDVA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS
COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 12 mai 1998
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Wood (Nipissing, Lib.)): Bienvenue aux audiences de ce matin sur le projet de loi C-25. J'aimerais commencer sans tarder, puisque nous avons un ordre du jour assez chargé. Par ailleurs, il se peut qui nous soyons appelés à voter ce matin vers 10 h 30.
Souhaitons la bienvenue à M. Bland. C'est un grand honneur de vous avoir parmi nous. Comme vous le savez, nous nous penchons sur le projet de loi C-25 et on nous a demandé de soumettre une liste de personnes que nous souhaiterions entendre. Vous êtes une des personnes qui ont été retenues par le comité et nous sommes ravis de vous avoir avec nous aujourd'hui.
À cause des contraintes de temps, je vais vous demander de limiter vos remarques à une dizaine de minutes, car je sais que plusieurs personnes ont d'importantes questions à vous poser. Est-ce que ça ira?
M. Doug Bland (titulaire, Chaire de gestion de la Défense, School of Policy Studies, Université Queen): Ça me va parfaitement.
Le président: La parole est à vous, monsieur Bland.
M. Doug Bland: Merci beaucoup.
Mesdames et messieurs, je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant vous ce matin. J'espère que mon témoignage vous sera utile. Vous savez peut-être qu'avant de faire carrière dans l'enseignement, j'ai été pendant 30 ans officier dans les Forces armées canadiennes, plus particulièrement dans l'armée de terre, tant dans des postes de commandement que dans des postes d'état-major.
Ce matin, j'aimerais vous parler des modifications proposées à la Loi sur la défense nationale, tant d'un point de vue militaire que d'un point de vue universitaire.
Sur le plan universitaire, je suis des plus intéressés, depuis une quinzaine d'années, par l'organisation et le fonctionnement du chef d'état-major de la Défense nationale et en particulier par les liens qui existent entre les députés, les ministres de la Défense, les sous-ministres et les chefs d'état-major de la Défense. J'ai consacré deux ouvrages à ce sujet; le dernier porte sur les chefs de la Défense—tous les officiers qui ont occupé ce poste depuis 30 ans.
Lorsque je me suis documenté pour écrire ce livre, j'ai eu le privilège de m'entretenir avec tous les chefs d'état-major de la Défense, dont certains sont actuellement décédés, ainsi qu'avec tous les sous-ministres de la Défense depuis 1960. Par conséquent, j'ai une bonne connaissance du lien parfois trouble qui a pu exister entre ces deux fonctions. Nous pourrions peut-être consacrer quelques minutes à ce sujet.
Pour ce qui est du projet de loi que vous examinez, je pense qu'il est important pour plusieurs raisons. Tout d'abord, vous savez que c'est en 1950-1951 que le Parlement s'est pour la dernière fois intéressé de près à la Loi sur la défense nationale. Je peux vous signaler que les délibérations du comité en 1950-1951, lorsque les parlementaires se sont penchés pour la première fois sur la nouvelle Loi sur la défense nationale alors unifiée, sont réunies dans un document très épais et très intéressant, au cas où vous auriez le temps de le lire. Les discussions que rapporte ce compte rendu indiquent le ton et les intentions des parlementaires de l'époque. C'est un débat que l'on a un peu oublié aujourd'hui.
• 0905
À mon avis, la défense nationale du Canada n'est pas la
responsabilité des Forces armées canadiennes ni du ministère de la
Défense nationale, ni directement celle du Parlement. En fait,
c'est le peuple qui doit assurer la défense du Canada; et les
députés, en tant que représentants des peuples, sont comptables
envers la population du Canada de la défense du pays et de l'entrée
en action de l'ensemble du matériel, des organisations, des unités
et des personnes qui assurent cette défense.
Par conséquent, à mon avis, la Loi sur la défense nationale est un instrument de délégation de pouvoirs. Son objectif est d'expliquer aux personnes qui assurent la gestion et la direction quotidienne de la défense du Canada les responsabilités, le mandat et les pouvoirs que le Parlement leur confère dans toutes les circonstances.
Quand je m'entretiens avec des officiers, je leur demande souvent quel est le fondement des opérations militaires au Canada. Naturellement, ils me répondent que les opérations militaires consistent à accomplir la mission, exécuter le travail et tenir compte de la nécessité tactique. Quant à moi, j'essaie de leur expliquer que le fondement des opérations militaires est en fait la loi. Le principe directeur est ce qu'on appelle le commandement légitime. Par conséquent, la Loi sur la défense nationale établit l'ordre légitime. Elle précise à qui sont attribués les pouvoirs de commandement, qui peut décider dans différents domaines et comment le ministère de la Défense et les forces armées sont organisés.
Ce qui j'intéresse en second lieu, c'est la notion que les officiers des forces armées en opération surtout ont deux responsabilités principales. La première est de mener à bien une opération; la deuxième est la sécurité de leurs subalternes et des troupes placées sous leur commandement.
La Loi sur la défense nationale et le Code de discipline militaire placent une certaine confiance dans les officiers, leur confèrent une importante délégation de pouvoirs et limitent d'une certaine manière les activités des citoyens, des soldats citoyens. En tant que Canadiens, nous autorisons cela parce que nous avons confiance que les dirigeants du système vont prendre des décisions raisonnables dans les circonstances pour mener à bien la mission que leur confère la loi, afin de protéger la population.
On assiste depuis quelques années à des tentatives visant à limiter l'ordre légitime pour des raisons autres que la guerre, les opérations et la défense. Dans certains cas, c'est une bonne chose. Dans d'autres cas, cela commence ou a déjà commencé à déplacer la responsabilité et l'obligation de rendre compte des officiers dans le théâtre des opérations vers ceux à qui ces responsabilités ont été déléguées.
À titre d'exemple, on se souvient qu'un sergent des forces armées a refusé il y a quelques semaines de se faire vacciner contre l'anthrax. Par rapport à la Loi sur la défense nationale, il a commis une infraction en refusant un ordre légitime. Les forces armées ont été critiquées parce qu'il semblait déraisonnable de contraindre quelqu'un à se faire vacciner.
L'argument vaut ce qu'il vaut, mais il a pour conséquence qu'on ne peut pas tenir les officiers responsables de ce qui risque d'arriver à leur troupe si on leur enlève la responsabilité de vacciner les militaires qui se rendent dans le théâtre des opérations. Si un militaire tombe malade, l'officier pourra facilement se dégager de sa responsabilité. Si la maladie frappe l'ensemble de l'armée, les officiers pourront alors se retourner vers ceux qui ont modifié la loi et qui leur ont ôté le pouvoir de donner des ordres légitimes.
Dans ce sens, certains changements ont modifié l'équilibre entre la responsabilité et l'obligation de rendre compte dans les forces armées et certains de ces changements sont entérinés par la loi.
J'aimerais avant de terminer jeter un coup d'oeil sur certains articles.
• 0910
À la page 7 du document que j'ai en main—je suppose que vous
avez également ce document réalisé par le service de recherche—on
fait allusion au cabinet du juge-avocat général. Le but de cet
article et de cet amendement est je crois de rendre le juge-avocat
général indépendant du chef d'état-major de la Défense. À mon avis,
la loi, telle qu'elle se présente actuellement, rend le juge-avocat
général indépendant du chef d'état-major de la Défense.
Dans les années 50, l'objectif de la loi était de faire du juge-avocat général une des trois personnes responsables conjointement de la gestion et du commandement des Forces armées canadiennes: le chef d'état-major de l'époque, le juge-avocat général et le sous-ministre. Je crois par conséquent qu'il est utile dans cet amendement de souligner l'indépendance du juge-avocat général qui n'est que tacite dans la loi actuelle.
Je crois qu'il faut préciser dans cet amendement que le juge-avocat général est également indépendant du sous-ministre. Les difficultés que connaît le ministère de la Défense nationale depuis quelques années sont en partie attribuables au fait que le sous-ministre et le chef d'état-major de la Défense ont pris de l'ascendant sur le juge-avocat général alors que ce dernier aurait toujours dû garder un statut indépendant. Par conséquent, il est important que la loi précise que le juge-avocat général est indépendant à la fois du sous-ministre et du chef d'état-major de la Défense.
L'autre disposition qui m'intéresse est celle qui concerne le vice-chef d'état-major de la Défense, dans les paragraphes 18(1) et 18(2) de la Loi sur la défense nationale. Sans vouloir trop entrer dans les détails, je mentionnerai tout de même que l'amendement vise ici à officialiser le poste de vice-chef d'état-major par rapport aux Forces armées canadiennes. Le texte indique qu'il doit remplacer le CEMD afin d'assurer la direction et la gestion des Forces canadiennes en cas d'absence ou d'empêchement du CEMD.
Ce rapport a déjà été défini et il existe des documents sur le sujet. Le juge-avocat général a des dossiers là-dessus, mais il paraît qu'ils sont impossibles à trouver. Moi, j'ai tout ça dans mes dossiers. On s'est déjà penché sur le rapport entre le vice-chef d'état-major et le CEMD et sur les circonstances dans lesquelles il devrait prendre la place du CEMD. Ce qu'il faut souligner ici, c'est que le vice-chef prend la relève en cas d'absence du CEMD. Cette formulation n'est pas très utile, elle est floue, ou tout au moins ambiguë. «En cas d'absence», qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que le CEMD est considéré comme absent lorsqu'il n'est pas au Quartier général de la Défense nationale, à Ottawa, en Ontario ou au Canada? Dans le monde moderne des communications, le chef d'état-major de la Défense est-il jamais absent? Il peut être en Bosnie et communiquer très facilement par téléphone, par fax ou par d'autres moyens avec le Parlement, les ministres, etc.
Je pense qu'il serait préférable que l'amendement soit modifié afin de préciser que le vice-chef prendra la relève du CEMD lorsque ce dernier est empêché ou pourra agir temporairement, selon les directives du CEMD. Autrement dit, le Parlement ne souhaiterait pas donner au CEMD le pouvoir de déléguer en permanence ses responsabilités à quelqu'un d'autre. Des modalités temporaires sont nécessaires.
Le même article 18 traite de la nomination d'un CEMD par décret du conseil. Aux termes de la loi actuelle, si j'ai bonne mémoire, le gouverneur en conseil peut nommer un chef d'état-major de la Défense nationale. C'est le moment de modifier cet article afin qu'il précise désormais que le gouverneur en conseil doit nommer le CEMD.
Pour le moment, la loi est floue quant à l'existence d'un CEMD et cela a, de temps à autre, causé des problèmes au sein du ministère.
• 0915
Pareillement, dans la première partie de la loi, il est
intéressant de s'arrêter à l'article qui concerne les
responsabilités du sous-ministre. Pour le moment, la loi se
contente uniquement d'affirmer que le ministère de la Défense
nationale «doit», et non pas «peut», être doté d'un sous-ministre,
mais reste muette quant à ses obligations, responsabilités et liens
hiérarchiques.
À mon avis, il est important de préciser que le sous-ministre n'est pas un membre des forces armées, qu'il n'est pas chargé de donner des ordres et des instructions aux forces armées—il n'y est pas autorisé. Le ou la sous-ministre exerce seulement les responsabilités de chef de l'administration du ministère de la Défense nationale.
Il serait peut-être bon par ailleurs de préciser ce que la plupart des gens croient inscrit dans la loi—c'est une idée qui s'est perdue dans les années 70 et au début des années 80—à savoir que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes sont deux entités distinctes.
Cette notion est implicite dans la loi qui est conçue en deux parties, et dans la façon dont elle se réfère au personnel enrôlé dans les forces armées. Mais au fil des années, les sous-ministres ont tenu pour acquis que le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes étaient une seule et même chose, afin de donner des directives visant à diriger et gérer les forces armées d'une manière qui, à mon avis, s'écartaient de l'intention du législateur.
Voilà les commentaires principaux que j'ai à formuler après avoir examiné la loi et à la suite de ma collaboration avec la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie, à titre de conseiller technique pendant deux ans. Je peux vous dire que nous avons eu des débats très intéressants et très approfondis sur le lien du Parlement avec les forces armées et sur les questions du commandement et de la direction des forces armées.
Avec tout le respect que je vous dois, j'aimerais attirer votre attention sur la dernière section du rapport de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie qui traite de—je crois que c'est son titre—«La nécessité d'un Parlement vigilant». Cela me ramène au point de départ: j'estime que la défense du Canada, la gestion des forces armées et la délégation des responsabilités, ainsi que toute mesure et tout aspect touchant la politique de défense nationale du pays, relèvent de la responsabilité des députés.
Le sénateur Rompkey précisait clairement en 1994, dans son rapport, le rapport du Comité mixte de la défense—dont certains d'entre vous ont été membres—que tous les membres du comité s'entendaient pour dire que le Parlement n'avait pas été attentif à ses obligations face aux forces armées et à la politique de défense.
Pour terminer, je sais que vous avez beaucoup de lectures à faire, mais j'aimerais vous recommander deux petits ouvrages. Il s'agit d'études indépendantes réalisées pour la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie. La première, intitulée Droit applicable aux Forces canadiennes en Somalie est de Jim Simpson. Le général Simpson a été juge-avocat général dans les années 70. Il est maintenant une autorité internationale sur le droit dans les forces armées et sur le droit des conflits armés. Il travaille pour des organismes européens des Nations Unies. Il a écrit ce court document pour expliquer le lien de la loi avec les Forces canadiennes déployées en Somalie.
L'autre est, en toute modestie, une étude que j'ai faite pour la commission. Elle s'intitule Le Quartier général de la Défense nationale: un centre de décision. Cette étude vise essentiellement à définir le lien qui existe, d'après la loi et la tradition, entre le ministre, le CEMD et le sous-ministre au sein du ministère de la Défense nationale. J'essaie de déterminer à quel moment il y a eu dérapage et comment il sera possible de replacer le tout sur la bonne voie.
Voilà deux ouvrages que vous pourrez emporter avec vous à l'occasion de votre prochain voyage en avion et qui vous garderont—je l'espère—éveillés.
Merci monsieur le président.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci beaucoup.
Nous allons commencer les questions par Mme Venne.
[Français]
Vous avez la parole pour 10 minutes, madame Venne.
Mme Pierrette Venne (Saint-Bruno—Saint-Hubert, BQ): Merci, monsieur le président.
• 0920
Monsieur le président,
j'espère que vous ne n'enlèverez pas du temps qui
m'est alloué les
minutes qui ont été nécessaires au témoin pour démêler ses
fils.
[Traduction]
Je n'ai pas compris.
M. George Proud (Hillsborough, Lib.): L'horloge ne fonctionne pas encore.
Le vice-président (Bob Wood): Je ne l'ai pas encore déclenchée.
Mme Pierrette Venne: J'espère que non.
[Français]
Je dois vous dire que cela m'a fait tout drôle, ce matin, de reprendre le rôle d'opposition officielle que nous avons joué pendant quelques années. Cela étant dit, soyons plus sérieux.
Ma première question porte sur l'inspecteur général qui, comme vous le savez, n'est pas, selon ce projet de loi, un inspecteur général civil, comme le recommandait la Commission Létourneau. J'aimerais savoir ce que vous pensez du fait que nous n'ayons pas un inspecteur général civil, qui aurait pu assumer en même temps le rôle d'ombudsman, un rôle qui aurait été beaucoup plus large que celui de ce comité de surveillance qui sera composé de huit éminents Canadiens.
J'aimerais d'abord connaître votre point de vue sur ce que la Commission Létourneau recommandait au sujet de l'inspecteur général et que vous nous disiez si vous pensez que nous aurions pu l'intégrer dans ce projet de loi.
[Traduction]
M. Doug Bland: À la commission d'enquête, il y a eu un grand débat sur la notion d'inspecteur général. Je voulais savoir, avant de discuter avec les commissaires et qu'ils ne fassent des recommandations, quelles étaient les fonctions qu'aurait cet inspecteur général, parce que de nombreuses personnes de l'extérieur avaient tendance à croire que cette solution était une panacée. Alors que, lorsqu'on ajoute une roue supplémentaire, il faut savoir à quoi elle va servir. Il fallait s'entendre avant tout sur ce que serait le rôle de l'inspecteur général.
À mon avis, le rôle de l'inspecteur général n'est pas de servir les intérêts du chef d'état-major de la Défense ni ceux du sous-ministre, mais de servir les intérêts des ministres.
La constatation faite le plus souvent sans doute depuis les 50 dernières années par les ministres, c'est qu'ils ne sont pas des experts lorsqu'ils deviennent ministres de la Défense. Ils sont plus ou moins pris en otage dans une situation qui les contraint à demander l'avis de leurs experts techniques qui risquent alors de se trouver en conflit d'intérêts. Cette situation n'est pas particulière au ministère de la Défense, mais les ministres ont tous constaté, qu'il s'agisse de Paul Hellyer ou de Allan McKinnon—et certains me l'ont dit personnellement—qu'ils se sentent toujours moins libres dans leurs décisions parce qu'ils sont conseillés par des personnes qui ont un intérêt particulier dans la décision qui est prise.
Pour la plupart, les chefs d'état-major de la Défense et les sous-ministres ont essayé sincèrement et prudemment de résoudre ce problème en donnant plusieurs options aux ministres. Pourtant, les ministres se sont toujours plaints et se plaignent toujours de n'avoir personne avec qui débattre les décisions qu'ils doivent prendre.
Paul Hellyer, par exemple, a essayé de mettre en place une sorte de conseil composé d'experts de l'extérieur qu'il aurait pu consulter. D'autres ministres ont créé des comités. D'autres, comme le ministre Collenette, se sont adressés aux universitaires et ont même fait des consultations plus larges pour s'informer, afin de vérifier les opinions qui leur étaient fournies à l'intérieur du ministère.
• 0925
Le moyen officiel de procéder consisterait à créer un bureau
d'inspecteur général. Le titulaire de cette fonction serait
responsable et comptable directement devant le ministre et
servirait de vérificateur et de conseiller pour le ministre.
L'argument contre cette formule présentée par le ministère de la Défense depuis quelques mois—environ 18 mois, depuis que le rapport est sorti—c'est qu'avec une armée de la taille de celle du Canada, une telle fonction serait redondante et inutile et qu'en plus, elle constituerait une ingérence dans le commandement ou la chaîne de commandement.
Je ne suis pas nécessairement en faveur de l'un ou l'autre de ces arguments, mais je pense qu'il est possible de trouver un compromis si nous pouvons compter sur deux choses. Premièrement, il faudrait que le Bureau du vérificateur général et son équipe de vérificateurs de la défense disposent de plus de personnel et de ressources pour pouvoir s'acquitter de leurs responsabilités de vérification. Deuxièmement—et cet élément est peut-être le plus important—il faudrait que le Comité permanent de la Défense nationale et des Anciens combattants et le Parlement disposent d'un mandat élargi, qu'ils aient plus de latitude quant au choix des sujets d'enquête et qu'ils disposent d'un personnel de recherche permanent afin de leur permettre d'atteindre le but visé par ceux qui ont proposé l'idée de l'inspecteur général.
L'idée d'un comité plus puissant de la Chambre, un comité de la défense nationale, n'est pas nouvelle. Elle a été recommandée à plusieurs reprises, mais pour diverses raisons que vous comprendrez peut-être mieux que moi, les ministres ne se sont pas montrés très emballés par l'idée de confier plus de pouvoirs à un comité de la défense nationale.
[Français]
Mme Pierrette Venne: Le rôle de l'inspecteur général, tel que vous le définissez, n'est pas celui auquel je pensais. Je pensais à un inspecteur général qui se serait occupé des problèmes des militaires et aurait également joué le rôle d'ombudsman. Donc, cet inspecteur général n'aurait pas vraiment servi le ministre. Ce n'était pas ce que j'avais en tête.
Je pourrais vous donner un exemple. Actuellement, à Longue-Pointe, dans l'est de Montréal, il y a un processus de privatisation en cours à la Défense nationale qui pourrait entraîner la perte de 250 emplois civils et de 150 postes militaires. L'inspecteur général pourrait, dans ce cas-ci, être l'autorité tout indiquée pour faire la lumière sur la privatisation. Il pourrait vraiment avoir un pouvoir d'enquête et aussi de conciliation à l'occasion. Ce que je disais n'était vraiment pas dans la perspective d'un inspecteur qui aurait été au service du ministre de la Défense nationale. La question était plutôt de savoir si vous croyiez que le type d'inspecteur auquel je faisais allusion précédemment pourrait assumer un rôle intéressant.
[Traduction]
M. Doug Bland: La notion d'ombudsman qui, comme chacun le sait, s'occupe des droits de la personne, des problèmes de personnel, etc. est une notion assez restreinte. Je ne conçois pas qu'un ombudsman puisse régler le type de problèmes dont nous parlons. La Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie a proposé de créer un poste d'inspecteur général qui serait à la fois vérificateur et ombudsman.
À mon avis, quand il s'agit de régler certaines questions précises telles que les effets de certaines mesures sur les collectivités du pays, qu'il s'agisse de confier un contrat de construction d'avions à Bristol Aerospace de Winnipeg plutôt qu'à Montréal ou de fermer certaines bases, je pense que le Parlement est le mieux placé pour vérifier ou commenter ce genre de mesures. Je pense qu'un puissant comité de la défense nationale au Parlement doit avoir la capacité d'étudier en détail les questions qui lui sont soumises, de convoquer des témoins, d'exiger le dépôt de documents, de faire examiner ces mesures par des experts et de rendre leurs conclusions publiques.
Je suis peut-être pessimiste, mais je ne pense pas que ce serait utile de confier cette responsabilité à un autre groupe de bureaucrates.
[Français]
Mme Pierrette Venne: Je vous remercie. J'ai l'impression que je vais également être obligée de sortir avec mon fauteuil puisqu'on sait très bien que les députés n'ont pas ce pouvoir dont vous parlez, même ici, au sein du Comité permanent de la défense nationale. Je vous remercie quand même.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci madame Venne. Monsieur Richardson.
M. John Richardson (Perth—Middlesex, Lib.): Merci beaucoup monsieur le président et bienvenue monsieur Bland.
Dans votre exposé, vous avez parlé de l'inspecteur général, puisque cela découlait directement du travail que vous avez fait à la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie et dans d'autres domaines. La double tête du Quartier général de la Défense nationale et du Quartier général des Forces canadiennes cause un problème de perception et un problème véritable. Les deux sont une conséquence de l'égalité, mais l'un est plus égal que l'autre, pour un certain nombre de raisons.
La longévité du sous-ministre est beaucoup plus grande que celle du chef d'état-major de la Défense, ce qui permet à son titulaire de mieux connaître l'établissement et l'origine de nombreux programmes qui sont proposés ou en cours. Un nouveau chef qui se présente hérite d'une direction à laquelle il a pu participer au cours de sa carrière, mais pas avec la même intensité qu'un sous-ministre qui, avec son personnel, aura à diriger la politique—la politique de la défense ayant, au fil des ans, hérité de nombreux dossiers des Affaires étrangères.
Je ne sais pas quel est le rapport avec le projet de loi, je ne veux pas trop digresser, mais personne ne veut ouvrir le sac de noeuds. On en parle depuis 25 ans dans les milieux périphériques à Ottawa. J'aimerais avoir votre avis afin de savoir pourquoi l'examen de ce lien hiérarchique est une question si délicate.
Deuxièmement, les pouvoirs du sous-ministre en matière de ressources financières et d'obligation de rendre compte dans ce domaine lui confèrent déjà une certaine autorité. Je ne parle pas ici de la personne, mais du poste. Le chef d'état-major de la Défense est la seule personne, dans toute la fonction publique, à avoir directement accès au premier ministre, à tel point qu'il a le droit de le rencontrer à n'importe quel moment.
Étant donné que vous connaissez bien ce milieu, nous aimerions avoir votre point de vue sur le sujet.
D'après vous, comment pouvons-nous nous y prendre pour ramener un certain équilibre ou assainir certains secteurs de prise de décisions? Est-ce que j'ai tort de penser que c'est le sous-ministre qui fait l'histoire de l'établissement à cause de sa longévité en fonction et que le personnel a une durée de vie plus longue en raison du système d'affectation dynamique des Forces canadiennes? Ailleurs, les gens restent en poste deux ou trois ans et ensuite passent à autre chose. J'aimerais si possible connaître votre opinion sur cette question générale.
M. Doug Bland: Comme vous le savez, je suis un de ceux qui n'hésitent pas à ouvrir ce sac de noeuds. Je pense que c'est absolument pertinent pour le travail que vous faites aujourd'hui et pour le travail du comité. À mon avis, il n'y a pas, dans la Loi sur la défense nationale, d'articles plus importants que ceux qui se rapportent à la délégation de pouvoirs du Parlement aux forces armées et à la fonction publique. Ces articles doivent être absolument limpides.
Selon moi, et si je regarde de près le travail des parlementaires qui ont rédigé la Loi sur la défense nationale au début des années 50, il n'y a aucune ambiguïté quant aux liens entre le ministre, le CEMD et le sous-ministre. Les responsabilités de chacun d'entre eux sont clairement définies dans la loi.
• 0935
Le problème pour la plupart d'entre nous, c'est que la loi
contient trop de nuances. Comme je l'ai mentionné dans mes
remarques préliminaires, la Loi sur la défense nationale se
contente de préciser qu'il y aura un sous-ministre du ministère de
la Défense nationale, mais elle est muette quant à ses obligations
par rapport aux forces armées. Le ministère de la Défense nationale
et les forces armées étant tenues de collaborer, il est arrivé
qu'une forte personnalité s'impose à une personnalité plus faible,
dans un sens comme dans l'autre.
D'après les recherches que j'ai effectuées, lorsque le général Jacques Dextraze est devenu chef d'état-major de la Défense, poste qu'il a occupé pendant plus de cinq ans, il n'y avait aucune ambiguïté et on savait pertinemment qui détenait le pouvoir. C'est le général Dextraze qui dirigeait le ministère. Cependant, après 1972, il y a eu une certaine réorganisation pour mettre sur pied la structure que nous connaissons actuellement. J'ai parlé avec Allan McKinnon qui était alors ministre de la Défense nationale et je lui ai demandé si le CEMD était supérieur, égal ou subordonné au ministre. Il m'a répondu qu'il n'en savait rien et qu'il était incapable de trouver la réponse à cette question. Il n'avait pas d'expérience et à mon avis, le Parlement aurait lieu de s'inquiéter lorsque les ministres ne savent pas qui est responsable des affaires importantes.
Je crois qu'un des thèmes principaux de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie consistait à savoir qui était responsable des actions et des décisions qui ont été prises par l'établissement de la défense. Malheureusement, l'enquête a été interrompue avant de trouver la réponse à cette question, mais une partie de la difficulté de parvenir à une réponse était justement d'établir qui était responsable des actions et des décisions.
Un certain nombre de changements sont intervenus depuis. Louise Fréchette, a effectué un changement important en modifiant le cheminement de l'information allant d'elle-même et du CEMD au ministre.
Mais je dirais que deux choses ont contribué à l'ambiguïté qui existe depuis quelques années. Cette fois encore, en tout respect, je reviens au Parlement. À bien des égards, c'est au début des années 70 que le lien a changé, lorsqu'a été mise en place la structure du Quartier général de la Défense nationale telle que nous la connaissons actuellement et lorsque les ministres ont transféré leurs responsabilités du contrôle civil des forces armées du Parlement aux bureaucrates. Dans un sens, ils ont délégué au sous-ministre la responsabilité de direction des forces armées. Ce changement a énormément bouleversé le lien.
Si vous lisez attentivement le premier témoignage de Bob Fowler devant la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie, vous constaterez qu'il affirme être responsable des décisions prises par les militaires. Il dit par exemple des choses du genre: «Vous savez qu'on ne peut pas laisser les militaires décider du nombre de personnes à envoyer en Somalie, car ils voudraient emmener tout le monde.» Il devait prendre ce genre de décisions. Or, je pense que cela ne relève pas des responsabilités du sous-ministre.
La deuxième chose importante, après l'abandon du contrôle civil des forces armées par le Parlement, c'est l'abandon de leur confiance professionnelle par le corps des officiers de l'armée. Comme vous l'avez dit, beaucoup de gens constateront qu'un sous-ministre occupe ses fonctions pendant de nombreuses années, qu'il voit tout, qu'il sait tout, qu'il connaît l'histoire et les antécédents de toutes les questions, alors que les officiers vont et viennent. Pourtant, si l'on en juge d'après la carrière des officiers qui se sont succédé depuis quelques années au Quartier général de la Défense nationale—des gens comme le général John de Chastelain, Paul Manson et d'autres—on constate que ces gens sont à Ottawa depuis longtemps et qu'ils connaissent bien le système.
• 0940
Par contre, les sous-ministres comme Louise Fréchette, qui est
une personne très bien et dont j'admire beaucoup le travail qu'elle
a réalisé au ministère, n'ont pratiquement aucune expérience des
questions de défense. Et pourtant, elle a une présence qui s'impose
au ministère.
Cela arrive très souvent, tout simplement parce que les militaires laissent les autres prendre leur place.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci monsieur Richardson et monsieur Bland.
Nous allons maintenant passer à David Price, puis George Proud, et enfin M. O'Reilly.
M. David Price (Compton—Stanstead, PC): Merci, monsieur le président.
Monsieur Bland, je vous souhaite la bienvenue et je suis très heureux que vous soyez ici ce matin.
Je suis très content que vous ayez parlé du chapitre 44 «La nécessité d'un Parlement vigilant». J'aimerais vous demander d'approfondir un peu plus la question. En particulier, si les militaires doivent rendre plus strictement des comptes au public, il faut que cela se fasse par l'intermédiaire du Parlement. En conséquence, peut-on imaginer un comité mixte permanent faisant appel au Sénat, ou ce genre de mécanisme? Pouvez-vous commenter cet aspect et nous dire ce que vous en pensez?
M. Doug Bland: C'est exactement ce qu'il faudrait. La recommandation présentée par le Comité spécial mixte de la défense dans le rapport du sénateur De Bané et du sénateur Rompkey proposant la création d'un comité mixte permanent, m'a paru très encourageante. Mais là encore, il faudrait que ce comité soit épaulé par un groupe d'experts. Les parlementaires doivent pouvoir être conseillés par des personnes qui sont capables de lire les documents, de comprendre l'histoire et de l'interpréter.
Une fois qu'un tel comité sera en place, je pense que beaucoup d'officiers seront prêts à faire connaître leur point de vue afin d'échapper peut-être aux contraintes de la politique gouvernementale et d'évoquer de manière professionnelle les problèmes qu'ils doivent affronter en campagne, au sujet des mesures d'approvisionnement, etc.
Par conséquent, je suis persuadé qu'un comité permanent du type que vous avez proposé serait très important et éliminerait probablement la nécessité de créer un poste d'inspecteur général.
M. David Price: Voilà justement où je voulais en venir.
Vous avez dit un peu plus tôt qu'à votre avis le ministre aurait besoin de l'inspecteur général, mais le ministre en exercice a déclaré au sujet de l'inspecteur général—lorsque nous en avons parlé, après la parution du rapport—que les généraux ne peuvent pas fonctionner lorsque quelqu'un regarde par-dessus leur épaule.
Vous allez dans une direction totalement opposée. Nous voulons au contraire que l'inspecteur général regarde justement par-dessus leur épaule, mais pour le Parlement et non pas directement pour le ministre. Bien entendu, il pourrait faire rapport au ministre, mais il relèverait véritablement du Parlement.
Vous pourriez peut-être faire d'autres commentaires à ce sujet puisque vous nous avez proposé quelque chose de légèrement différent.
M. Doug Bland: Au départ, théoriquement, l'expression «contrôle civil des militaires» signifie la surveillance des forces armées par les civils élus au Parlement. C'est ce que nous disons et ce que nous essayons de faire appliquer en Europe de l'Est où les gouvernements tentent de modifier leurs propres systèmes. Il n'est absolument pas question de faire diriger les forces armées par des civils, qu'ils soient fonctionnaires ou non.
Je peux comprendre ce que le ministre voulait dire lorsqu'il a fait ce commentaire, mais les forces armées doivent accepter d'être surveillées par quelqu'un. Sinon, il est impossible d'exercer démocratiquement un contrôle civil des forces armées.
Il s'agit donc de savoir qui sera chargé de regarder par-dessus leur épaule. Est-ce que les députés se chargeront de le faire ou est-ce qu'ils chargeront quelqu'un d'autre de le faire à leur place? Il y a longtemps que le vérificateur général du Canada surveille les forces armées. Cela n'a pas toujours été facile, mais le Canada en a indéniablement bénéficié.
• 0945
Je crois que nous autres les Canadiens, nous avons toujours
pensé, au cours de notre longue histoire, que quelqu'un d'autre
dictait notre politique de défense, nous imposait une stratégie et
dirigeait nos généraux. Que ce soit la Défense impériale de la
reine Victoria ou l'armée britannique pendant les deux guerres
mondiales, ou encore les Nations Unies, les États-Unis ou quelqu'un
d'autre, nous avons souvent, au cours de notre histoire, pensé que
ces questions complexes n'étaient pas de notre ressort.
Il est arrivé à plusieurs reprises dans l'histoire de la défense canadienne que des députés et d'autres personnes aient autorisé des généraux ou des politiciens étrangers à nous indiquer la voie à suivre. Désormais, le contexte est différent et nous sommes semblables à ce petit garçon dans le film: Nous sommes seuls à la maison. Nous devons prendre nous-mêmes des décisions concernant ces questions essentielles. Où allons-nous déployer nos forces? Quel type de forces allons-nous utiliser? Par qui seront-elles dirigées? Quel type de surveillance civile aurons-nous?
Avec l'affaire somalienne, j'ai constaté que nous avions là l'attitude typique, comme l'a dit un historien canadien, du Canada qui consent à prêter ses troupes à un autre pays et qui les oublie totalement par la suite. Lorsque le Parlement a demandé aux militaires de rendre compte des actions de l'armée, nous avons eu de la difficulté à savoir ce qui s'était passé.
Je vous prie de m'excuser pour cette longue réponse, mais elle est affirmative et je pense en effet qu'il est nécessaire que quelqu'un surveille les forces armées. En démocratie, c'est absolument nécessaire. C'est le rôle de ceux qui doivent rendre des comptes au Canada et à la population canadienne.
M. David Price: Le juge Dickson a formulé hier un commentaire intéressant lorsque je lui ai posé la même question. Il a répondu que ce serait peut-être nécessaire dans cinq ans. Il faisait sans doute allusion au fait que les effectifs de l'armée ont été énormément réduits et qu'il faudra sans doute aller dans cette direction si l'armée disposait à nouveau d'effectifs importants.
M. Doug Bland: Je crois que les principes demeurent les mêmes, quelle que soit l'envergure de l'organisation. La taille des forces armées ne modifie en rien la notion de contrôle civil des forces armées. Cependant, puisque le personnel des forces armées a été réduit et que cette tendance se poursuivra peut-être encore, il est nécessaire d'imposer des mesures d'économie dans le système.
À mon avis, il sera toujours nécessaire de faire surveiller les forces armées par un comité parlementaire. Il ne sera peut-être pas nécessaire de disposer d'un effectif d'une centaine de personnes comme c'est le cas aux États-Unis, mais le comité aurait intérêt à faire appel à quatre ou cinq spécialistes du domaine.
M. David Price: Par ailleurs, le projet de loi a tendance à rapprocher le droit militaire de notre droit civil et, comme l'a dit le juge hier, de le rattacher plus étroitement à notre Charte des droits et libertés. Vous pouvez peut-être nous donner votre point de vue, nous dire si cela vous paraît faisable, en particulier comment cela s'appliquerait par exemple à nos affaires intérieures et comment cette loi s'applique dans les zones de guerre où nous intervenons à certains moments dans le cadre de nos missions de maintien de la paix.
M. Doug Bland: Je pense que le débat et les diverses recommandations sont des choses excellentes. Au cours de mes entretiens avec les officiers militaires qui sont actuellement en activité ou en retraite, j'ai constaté que beaucoup d'entre eux étaient favorables aux changements recommandés par la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie, le juge Dickson et le Parlement, ainsi que par le ministre.
Par conséquent, les gens veulent moderniser le système. Cependant, ce n'est pas en changeant le Code de discipline militaire et les pouvoirs des officiers vis-à-vis des forces armées que l'on règle nécessairement les problèmes. Autrement dit, ce sont théoriquement—jusqu'à présent—les militaires qui se chargent de régler les problèmes de discipline au sein des forces armées. Le Parlement a chargé le corps des officiers de faire la discipline dans les forces armées.
• 0950
On ne réglera pas le problème de la discipline dans les forces
armées en retirant ce pouvoir aux militaires. La discipline peut se
manifester de diverses façons et dans diverses situations. Si l'on
retire au corps des officiers la responsabilité de maintenir la
discipline dans les forces armées, de conserver «l'ordre et la
discipline», qui s'en chargera?
Si l'on décide que le corps des officiers n'est plus chargé de maintenir la discipline dans l'armée, qu'il ne peut plus inspecter les casernes parce que cela va à l'encontre des droits à l'intimité des soldats, etc., qui se chargera de maintenir la discipline dans les casernes et d'y interdire les armes, les drogues et les activités criminelles? Est-ce que le commissaire des droits de la personne se rendra à Petawawa pour faire ce genre d'intervention?
M. David Price: Je suis d'accord avec vous. J'essayais de voir... Vous avez donné un excellent exemple au sujet du sergent qui a refusé de se faire vacciner contre l'anthrax. Pensez-vous que des règles différentes devraient s'appliquer dans le théâtre des opérations, puisque la situation est totalement différente? Pour le moment, nous avons tendance à imposer de manière générale à l'armée des règles qui s'appliquent en temps de paix.
M. Doug Bland: Même les modifications proposées donnent suffisamment de pouvoirs pour imposer la discipline dans les unités. Certains des commentaires formulés par ceux qui prétendent ne pas avoir assez de pouvoirs pour agir étaient en fait très intéressés. Mais le Parlement doit, comme vous le faites, se livrer à l'exercice difficile de trouver un équilibre entre deux impératifs: protéger le soldat contre toute punition ou arrestation arbitraire tout en maintenant suffisamment de pouvoirs pour imposer la discipline et l'ordre dans des circonstances difficiles.
M. David Price: Vous êtes donc passablement satisfait de ces dispositions?
Le vice-président (M. Bob Wood): Ce sera votre dernière question, monsieur Price.
M. David Price: Très bien.
M. Doug Bland: J'ai assez confiance que l'on pourra appliquer ce nouveau système, mais il faudra du temps et peut-être apporter d'autres modifications à la loi à mesure que nous prendrons de l'expérience.
J'aimerais un moment reprendre l'exemple de l'anthrax, en retournant la situation. Supposons que les militaires à bord d'un navire ou au sein des forces intervenant dans le Golfe n'aient pas été vaccinés et qu'ils soient victimes de l'anthrax. On reprocherait à l'officier et au CEMD de n'avoir pas pris leurs responsabilités en omettant de vacciner les troupes. Ils pourraient répliquer que cela ne fait pas partie de leurs responsabilités et qu'ils ne pouvaient pas prendre la décision de vacciner les troupes.
Un général britannique a demandé un jour, après... Non, je vais prendre un autre exemple. Vous vous souvenez de ce soldat des Forces canadiennes qui s'était rendu à Québec et qui avait semé la panique à l'Assemblée nationale? Il avait pris une arme au dépôt de munitions de Carp, je crois, et s'était rendu à Québec où il avait ouvert le feu sur tous les gens qui se trouvaient dans l'immeuble. Un parlementaire—je ne citerai pas de nom—avait demandé à un officier général comment il était possible que l'armée engage de pareils déséquilibrés. Le général lui avait répondu qu'il était absolument impossible de savoir si les nouvelles recrues étaient saines d'esprit, puisque l'armée n'a pas le droit de leur poser des questions sur leurs antécédents médicaux et psychologiques. Toutes ces choses-là sont protégées. Le général lui a répondu qu'on ne pouvait donc pas reprocher à l'armée d'engager des gens désaxés.
Voilà le genre de dilemme qui se pose lorsqu'on ôte à quelqu'un la responsabilité et l'obligation de rendre compte sur des problèmes récurrents. Il faut transmettre ces obligations à quelqu'un d'autre.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci monsieur Bland.
Nous allons entamer une deuxième série de questions de cinq minutes en commençant par M. Proud.
M. George Proud: Merci monsieur le président.
Monsieur Bland, on a répondu à la plupart des questions que je me posais ce matin, mais il y a quelques autres points qui m'intéressent.
Tout d'abord, vous avez évoqué la surveillance par le Parlement et je pense que vous voyez où je veux en venir. Vous avez dit que le comité mixte a recommandé de confier cette tâche à un comité mixte permanent. Je suis convaincu que s'il y avait eu un comité mixte ou un comité quelconque, celui-ci ou un autre, l'enquête sur les Forces canadiennes en Somalie lui aurait été confiée.
• 0955
Mais, bien entendu, vous vous heurtez au problème que nous
avons tous, à savoir que le gouvernement ne veut céder son pouvoir
à personne, que l'on soit de ce côté-ci de la table ou de l'autre.
Je pense qu'un jour, nous aurons le meilleur des deux mondes, une
formule à mi-chemin entre le système américain et le système
britannique, un comité qui aura ce pouvoir et la compétence de
l'exercer.
Cela étant dit, je pense que nous avons déjà un assez bon système de surveillance... qui n'existe pas pour le moment, mais sous la forme des nouvelles propositions. J'aimerais savoir ce que, à votre avis, le Parlement devrait faire et qu'il ne fait pas actuellement.
Enfin, je crois que vous en avez déjà parlé, mais j'aimerais savoir si vous estimez que le projet de loi est satisfaisant relativement à ce qu'il faudra faire en matière de justice militaire?
M. Doug Bland: Je dirais que le projet de loi est un bon départ. Le simple fait que le Parlement se penche attentivement sur la Loi sur la défense nationale est un bon départ. Je serais vraiment ravi que le comité prenne le temps d'examiner un par un tous les articles du projet de loi. Ce serait très utile.
Quant au rôle du Parlement en particulier, l'important pour moi, c'est que je préférerais que le Parlement examine le déploiement des forces canadiennes avant leur départ en mission, plutôt qu'après. Lorsque le Canada décide d'envoyer un contingent important de l'armée quelque part, je souhaiterais qu'un comité parlementaire convoque le commandant désigné de l'opération afin de lui poser les questions suivantes: «Savez-vous où vous allez? Connaissez-vous votre mission? Avez-vous tout ce dont vous avez besoin? Quoi d'autre pouvons-nous vous donner? Avez-vous besoin de renforts? Dites-nous ce dont vous avez besoin. Êtes-vous confiant de pourvoir mener à bien cette mission en respectant la loi?» Le commandant répondrait que tout va bien et pourrait s'en aller. Sinon, il serait tenu responsable des problèmes. C'est une erreur d'attendre le retour des troupes et de dire au responsable: «Nous ne savions pas que vous n'aviez pas assez de personnel. Comment cela s'est-il passé? Qu'est-ce qui est arrivé?»
Je pense même que le Parlement devrait s'inquiéter régulièrement et assez souvent de ce qui se passe à l'armée et demander un rapport d'évaluation des activités. Je crois en particulier que tous les officiers nommés au rang de général ou d'officier général ou promus par le CEMD devraient, au moins une fois dans leur carrière, être convoqués par un comité parlementaire avant que leur promotion devienne officielle, pour que le Parlement puisse connaître les opinions de chacun d'entre eux.
Bien entendu, il faudrait procéder de la même façon lorsque le gouvernement nomme quelqu'un au poste de vice-chef d'état-major de la Défense ou de chef d'état-major de la Défense. À mon avis, ce type d'entrevue réalisée au préalable et non pas a posteriori, serait utile et stimulante pour les ministères et pour les forces armées.
M. George Proud: Merci.
Le vice-président (M. Bob Wood): Monsieur O'Reilly.
M. John O'Reilly (Victoria—Haliburton, Lib.): Merci beaucoup monsieur le président et monsieur Bland.
Bien entendu, nous espérons que le projet de loi C-25 entraînera des améliorations précises et nous aimerions connaître votre opinion sur les chances de succès de ces changements et sur la façon d'améliorer le système.
En comptant la nomination de M. Eggleton, nous avons eu sept ministres de la Défense en huit ans et j'ai lu le livre blanc présenté au comité au sujet de l'enquête sur les Forces canadiennes en Somalie et la restructuration de la Réserve au cours de la dernière législature. Les membres du comité appartenant au parti ministériel reçoivent leurs directives des secrétaires parlementaires—il y en a deux ici—qui suivent eux-mêmes les instructions du ministre, et les comités sont le reflet de la Chambre des communes. La composition du comité est la même que celle de la Chambre des communes, sauf qu'aujourd'hui, l'opposition officielle, le Parti de la réforme, ne s'est pas présenté. La question ne les intéresse pas beaucoup.
Je ne vois pas comment il serait possible de structurer un comité parlementaire de la défense, compte tenu de la rotation rapide des titulaires du poste de ministre de la Défense, ministre qui est conseillé par son sous-ministre et qui donne des directives par la suite à ses secrétaires parlementaires qui conseillent à leur tour les membres du comité qui appartiennent au parti ministériel. Par conséquent, je crois que votre théorie est imparfaite, car j'ai du mal à comprendre comment elle pourrait changer quoi que ce soit.
J'aimerais par conséquent vous demander de m'expliquer comment fonctionnerait ce comité.
M. Doug Bland: Je crois que c'est le privilège des penseurs de présenter des suggestions théoriques et de laisser aux gens comme vous le soin de régler les côtés pratiques. Je comprends parfaitement que les comités sont plus ou moins tributaires des ministres en poste, du gouvernement et du processus politique. Mais je crois—j'espère—qu'il y a moyen, pour des gens raisonnables de trouver une façon de préserver l'intérêt national dans cette question particulière.
À mon avis, un comité mixte serait plus utile. En faisant participer le Sénat et la Chambre à la surveillance des forces armées, on pourrait peut-être éviter les problèmes que vous avez évoqués. Ce sont essentiellement des problèmes politiques, mais la politique a des conséquences sur le terrain. Cela se manifeste dans les problèmes d'approvisionnement, dans les conditions de service des membres des forces armées. Cela se manifeste également dans les opérations. J'espère que le Parlement trouvera une façon de résoudre ces problèmes.
On ne peut rien au fait que les portefeuilles des ministres changent souvent de titulaires. En 1970-1972, lorsque Donald Macdonald est entré au gouvernement Trudeau, il y avait eu sept ministres de la Défense en deux ans. On continue toujours à subir les conséquences de cette situation. Je crois que la stabilité de la politique de la défense et son appui par le Parlement dépend du groupe élargi de parlementaires, des gens comme vous qui manifestent ou commencent à manifester un intérêt pour le sujet. Ils deviennent les conseillers du gouvernement, des ministres, etc.
Je dis parfois en plaisantant qu'il n'y a pas de Sam Nunn au Canada. Vous connaissez peut-être le sénateur Nunn des États-Unis, un véritable expert des affaires internationales et de la défense nationale. Il connaît énormément de choses et il peut parler de n'importe quoi avec n'importe qui, puisqu'il a travaillé toute sa vie dans le domaine. Certains parlementaires peuvent se vanter d'en connaître autant, mais il n'arrive pas souvent que les parlementaires s'intéressent à ces questions dans le détail.
M. John O'Reilly: Les détails concernant les améliorations à apporter au projet de loi C-25?
M. Doug Bland: D'après moi, il faudrait surtout inclure dans la loi que le ministère de la Défense nationale et les forces canadiennes sont deux entités distinctes. La loi devrait préciser les fonctions du sous-ministre par rapport à celle du CEMD. Elle devrait également définir les fonctions du vice-chef et ne pas, comme je l'ai dit, lui donner carte blanche chaque fois que le CEMD est absent—je pense que c'est trop difficile.
Je crois qu'il est important de renforcer, comme vous le faites en ce moment, l'indépendance du juge-avocat général qui est l'agent du ministre, non pas l'agent du CEMD ni celui du sous-ministre, précisant, comme le fait l'amendement, que le juge-avocat général est indépendant du CEMD, mais en ajoutant qu'il ou elle est indépendant du sous-ministre.
M. John O'Reilly: Merci monsieur le président.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci. Monsieur Price, pour le deuxième tour de questions.
M. David Price: Merci monsieur le président.
En novembre dernier, j'ai proposé au comité une motion demandant de faire venir les commissaires de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie pour nous parler du chapitre 44 sur «La nécessité d'un Parlement vigilant». Malheureusement, les gens d'en face ne voulaient pas en entendre parler. Je ne comprends pas pourquoi.
Si nous pouvions mettre sur pied un tel comité, d'où proviendrait sa source de financement? Où pourrions-nous trouver les spécialistes dont vous avez parlé?
M. Doug Bland: Il est possible d'engager toutes sortes de gens. Mais soyons sérieux. Je pense que plus les sources d'information dont disposera le comité seront nombreuses et mieux ce sera. Bien entendu, il y a les commissaires qui ont enquêté sur les Forces canadiennes en Somalie. Ils ont beaucoup de choses à dire. Je peux vous dire qu'ils ont largement mis la main à la pâte et qu'ils ont rédigé eux-mêmes leur rapport. Mais, si ce n'est pas possible, je propose au comité de communiquer avec le général Jim Simpson qui a été le conseiller technique des aspects juridiques de l'enquête. Je suis certain qu'il pourra vous donner beaucoup d'informations utiles.
• 1005
Combien cela coûterait-il? Je sais que la question du budget
est importante. Il faudrait sans doute que le financement soit
assuré par la Chambre ou par le Parlement.
Les experts dont vous avez besoin, vous pouvez les trouver parmi les militaires à la retraite qui ont l'expérience voulue et qui ont fait des études universitaires, ainsi que parmi les jeunes Canadiens de plus en plus nombreux qui s'intéressent aux affaires internationales, à la gestion de la défense, etc.
À condition que vous n'engagiez pas des centaines de personnes, je ne crois pas que le Parlement s'opposerait à ce que vous mettiez sur pied une équipe compétente de recherche dans ces domaines.
M. David Price: Le Sénat possède une bonne partie des compétences que nous recherchons et que nous n'utilisons pas beaucoup pour le moment.
M. Doug Bland: Absolument.
M. David Price: J'ai posé hier au juge Dickson une question concernant la recommandation 23 de son rapport qui se lit comme suit:
-
Nous recommandons d'améliorer la formation et l'éducation de tous
les commandants et officiers délégués afin qu'ils connaissent leur
rôle dans le système de justice militaire et qu'ils aient les
compétences nécessaires pour l'exercer. Ces officiers ne seraient
pas autorisés, sauf dans certaines circonstances exceptionnelles,
a présidé un procès sommaire à moins d'avoir été dûment habilités
par le juge-avocat général.
Certains pensent qu'une telle disposition ne devrait pas figurer dans la loi, mais dans les règlements. Qu'en pensez-vous?
M. Doug Bland: C'est une question de formation et d'expérience. Les commandants et officiers généraux devraient poursuivre leur formation de manière continue. Et d'ailleurs, c'est ce qu'ils font. Je sais que les instructeurs qui assurent la formation de base des officiers connaissent la Loi sur la défense nationale, les règles concernant les procès sommaires, etc. Lorsque vous servez dans un régiment, vous vous familiarisez vite avec la procédure.
Je pense qu'il est utile de le rappeler de temps à autre au chef d'état-major de la Défense et de lui demander de faire état dans son rapport annuel de la discipline dans les forces armées, afin de préciser combien d'accusations ont été déposées, combien de soldats ont subi un procès, etc. Il faudrait demander au chef d'état-major de la Défense que le Parlement charge en quelque sorte d'exercer la justice militaire, de présenter un rapport sur la formation, etc.
Je crois qu'il faudrait procéder de cette façon.
M. David Price: Mais vous ne m'avez pas dit si vous pensez que cela devrait faire partie de la loi ou des règlements.
M. Doug Bland: Ça devrait figurer dans les règlements.
M. David Price: Seulement dans les règlements?
M. Doug Bland: Oui.
M. David Price: Très bien. Actuellement, le chef d'état-major de la Défense fait rapport au Parlement. Pensez-vous qu'il devrait dans son rapport au Parlement fournir des détails par exemple sur les procès sommaires?
M. Doug Bland: Absolument. Je crois que cela se faisait régulièrement dans «l'ancienne» armée, si vous me passez l'expression. Le CEMD devrait, dans son rapport annuel, signaler combien d'infractions ont été commises, comment elles ont été traitées, etc.—sans en nommer les auteurs, bien entendu—afin que le Parlement puisse se faire une idée de l'état de la discipline au sein des formes armées. Je pense qu'aucun CEMD ne s'opposerait à ce genre de choses.
M. David Price: Merci.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci monsieur Price.
Est-ce qu'il y a d'autres questions à poser à notre témoin?
Monsieur Bland, merci d'être venu ce matin nous faire part de votre point de vue sur le projet de loi C-25. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir comparaître.
M. Doug Bland: Tout le plaisir fut pour moi. Merci.
Le vice-président (M. Bob Wood): Je ne crois pas que M. Desbarats soit ici, mais je pense que M. Grainger est prêt à commencer. Si le comité est d'accord, nous allons intervertir l'ordre.
Le vice-président (M. Bob Wood): Êtes-vous prêt, monsieur?
M. Brian Grainger (témoigne à titre personnel): Oui, merci, monsieur le président.
Le vice-président (M. Bob Wood): J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre deuxième témoin de ce matin, M. Brian Grainger.
Monsieur Grainger, vous n'étiez peut-être pas tout à fait prêt, mais nous vous remercions d'avoir accepté de prendre la parole un peu plus tôt. Je crois savoir que votre mémoire a été distribué et nous avons hâte d'entendre vos observations—en fait, vous avez participé à l'élaboration de la disposition du projet de loi C-25 sur la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire—et hâte aussi de vous poser nos questions.
La parole est à vous, monsieur.
M. Brian Grainger: Merci et bonjour, monsieur le président. Je vous suis reconnaissant, monsieur, ainsi qu'aux membres du Comité de la défense de la Chambre des communes et au personnel du comité, d'avoir bien voulu modifier l'horaire pour me permettre de comparaître un peu plus tard ce matin.
Je dirais qu'il y a quatre mesures importantes qui sont reliées aux plaintes de sorte que l'article 250 proposé ne devrait pas être considéré isolément. En fait, je pourrais attirer votre attention sur les observations faites tout à l'heure par M. Bland et les membres du comité lorsqu'il a été question de l'ombudsman, des mécanismes de règlement des griefs, du comité composé de personnalités éminentes, des modifications au Code de discipline militaire et du poste d'inspecteur général. Bien des choses sont en train de se passer et le projet de loi C-25 représente un pas en avant.
Cependant, la Commission d'examen des plaintes devrait être considérée plus précisément dans le contexte de la professionnalisation, du perfectionnement professionnel, si vous voulez, de la police militaire des Forces canadiennes et cet aspect, cette mesure, qui fait partie non seulement de la loi mais aussi des décisions prises et des activités mises en oeuvre au ministère de la Défense nationale, englobe le Code de déontologie de la police militaire, le Conseil de révision des pièces d'identité de la police militaire, les normes professionnelles de la police militaire et, bien sûr, le Service national d'enquête ou, comme on l'appelle, le SNE de la police militaire.
Je dois souligner le témoignage de M. Bland, qui m'a précédé ce matin et, bien sûr, le rapport de la Commission d'enquête sur la Somalie et le travail du juge en chef Dickson et du groupe consultatif spécial qu'il a dirigé. Il me faut aussi souligner les efforts du personnel des Forces canadiennes au cours des 18 à 24 derniers mois, depuis les militaires du rang jusqu'aux officiers supérieurs, qui ont rendu possibles des améliorations importantes.
Mon témoignage portera surtout sur la police militaire, sur l'article 250 proposé par le projet de loi, qui vise la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire. Les membres du comité et l'ensemble des députés de la Chambre des communes seront intéressés de savoir comment ces dispositions et un certain nombre d'initiatives connexes, que je viens de mentionner, contribueront à améliorer la reddition de comptes et favoriseront un plus grand professionnalisme au sein de la police militaire des Forces canadiennes.
• 1015
Permettez-moi de vous présenter quelques diapositives. Vous
avez peut-être le texte devant vous et je ne suis pas certain
d'avoir besoin du rétroprojecteur.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire a été proposée parallèlement à d'autres initiatives: un Conseil de révision des pièces d'identité de la police militaire, qui imposerait des peines et des mesures disciplinaires à la police militaire; des normes professionnelles pour la police militaire qui s'articuleraient autour de l'article 156 qui porte sur les nominations; et un code de déontologie dont il est question à l'article 13.1 proposé du projet de loi C-25, ce qui représente, comme vous le savez, un développement très important.
Évidemment, je ne suis pas le seul à avoir travaillé à ces mesures. L'équipe très chevronnée avec laquelle j'ai travaillé et qui incluait des militaires a surtout examiné trois éléments: les exigences en matière de surveillance, qui ont été incorporées à l'article 250 proposé, pour une Commission d'examen des plaintes du public; la structure de reddition de comptes nécessaire, dont on a beaucoup parlé tout à l'heure en ce qui concerne la police militaire et ses liens avec d'autres éléments des Forces canadiennes; et, bien sûr, le perfectionnement professionnel dont il a été question dans des rapports précédents, y compris celui du juge en chef Dickson.
Il n'y a pas de système parfait au Canada. Tous ceux qui travaillent dans le secteur judiciaire, civil ou militaire peuvent en attester. Les mécanismes proposés dans le projet de loi, et plus particulièrement la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire, sont basés sur plusieurs leçons cruciales en matière policière tirées de l'expérience et de la jurisprudence—c'est-à-dire l'indépendance de la police; la surveillance de la police; la reddition de comptes aux autorités de commande et de contrôle et, à cet égard, des vérifications, des rapports annuels, le cadre de reddition de comptes au vice-chef d'état-major de la défense et au prévôt des Forces canadiennes, de même qu'une mesure législative unique, appelée la plainte pour ingérence, ou l'article 250.19 proposé, qui est plutôt la seule en son genre au Canada comme ailleurs.
Permettez-moi de poser brièvement plusieurs questions d'importance primordiale que les Canadiens, y compris le personnel militaire subalterne, ont le droit de poser au sujet de cette initiative et d'autres mesures connexes.
Les modifications proposées dans le projet de loi C-25 amélioreront-elles le professionnalisme de la police militaire? Oui. Les mesures législatives relatives aux services policiers et à la structure de reddition de comptes ont été intégrées aux mécanismes de surveillance opérationnels.
Une commission d'examen des plaintes concernant la police militaire est-elle nécessaire? Oui. Elle permettra de régler des problèmes signalés dans le Rapport de la Commission d'enquête sur la Somalie et dans celui du juge en chef Dickson.
Sera-t-elle semblable à celle qui examine les plaintes contre la GRC? Oui, elle sera calquée sur la Commission des plaintes du public contre la GRC et sur plusieurs autres mécanismes de surveillance semblables—de l'Ontario et de la Colombie-Britannique en particulier.
Lorsque les réformes seront terminées, comment la reddition de comptes dans la police militaire se comparera-t-elle à celle que pratiquent les forces policières civiles? Une comparaison étroite, à chaque égard, entre le régime de la Commission et les lois qui régissent tous les grands services de police du Canada—et si ça intéresse le comité et son personnel, je peux vous les fournir—montre que la reddition de comptes sera assurée.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, de m'avoir permis de vous faire ces quelques observations préliminaires. Je suis ravi d'être ici et je remercie tous les membres du comité de l'occasion qui m'est offerte de passer du temps avec eux. Merci.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci, monsieur Grainger. Comme vous le savez, la sonnerie se fait entendre. Je pense que nous pourrons rester ici jusqu'à 10 h 30, après quoi nous devrons interrompre brièvement la séance. J'espère que vous tiendrez le coup.
Nous allons commencer par Mme Venne.
[Français]
Mme Pierrette Venne: J'aimerais vous poser une brève question. Est-ce que cela ne vous dérange pas que la Commission d'examen des plaintes n'ait vraiment aucun pouvoir exécutoire? Comme nous le savons, les conclusions et les recommandations de la commission ne seront pas exécutoires. Ne trouvez-vous pas que, puisqu'elle ne dispose d'aucune autorité décisionnelle, cela enlève beaucoup, voire énormément d'impact à la création de ladite commission?
[Traduction]
M. Brian Grainger: C'est une excellente question. C'est la question que nous devons nous poser au sujet de toutes les forces policières civiles et de leur surveillance. Le chef ou l'autorité de commandement et de contrôle, civil ou militaire, peut écouter les conseils et les recommandations de telles commissions, où qu'elles existent—et c'est la norme—pour ensuite prendre des décisions en conséquence. Ce mécanisme permet au système de commandement et de contrôle de rendre compte des problèmes et de prendre les mesures disciplinaires qui s'imposent.
L'autre point, et peut-être le plus important, c'est que dans le contexte des années 90, la plupart des services de police et des commissions d'examen des plaintes ont un mécanisme quelconque de médiation ou d'intervention précoce qui fait que la plainte, quelle qu'elle soit—et elle peut parfois être grave et donc nécessiter plus de temps—peut être examinée le plus rapidement possible. On essaie de régler le problème dès qu'il se pose.
C'est l'approche typique qu'adoptent maintenant tous les services policiers d'Amérique du Nord et de l'extérieur du Canada. Dans ce cas-ci, cette approche sera utile, selon nous, parce qu'il faut que le problème soit réglé rapidement, à l'intérieur de l'organisation, puis que rapport soit fait de la question, parce que la commission doit présenter un rapport annuel, comme la GRC et tous les autres services. Puis, c'est public.
Si le chef d'un service de police ou le prévôt des Forces canadiennes ne règle pas un problème particulier, le public va pouvoir intervenir.
[Français]
Mme Pierrette Venne: Merci. C'était ma seule question.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci.
Monsieur Price.
M. David Price: Merci, monsieur le président, et merci d'être ici, monsieur Grainger.
Ma question est très brève aussi. Il faudra sous-traiter certains des services de notre police militaire, parce que nous manquons de personnel, mais je dois dire aussi, et ça fait plaisir à entendre, que c'est parce que le taux de criminalité est bas dans l'armée.
Nous avons entendu dire que les services de police de l'extérieur ne comprennent pas le mode de vie des militaires, leur culture et ainsi de suite. J'aimerais avoir vos observations à ce sujet et que vous me disiez comment le projet de loi aborde cette question.
M. Brian Grainger: Eh bien, monsieur Price, je dois vous avouer que je suis plus à l'aise avec la deuxième partie de votre question qu'avec la première.
Je peux vous dire, cependant, que je ne crois pas qu'il sera nécessaire, si je peux utiliser ce terme, de sous-traiter la police militaire. Ce que la police militaire a fait—et ce qu'elle a fait efficacement, si je peux dire, au fil des ans, et je trouve qu'elle y excelle de plus en plus—c'est de prendre note des choses qu'elle ne fait pas ou qu'elle ne fait peut-être pas aussi bien que d'autres—et je pense à certains types d'infraction—et elle a partagé cette responsabilité avec d'autres services de police. Elle leur a demandé de l'aider et il lui est parfois même arrivé de leur demander d'intervenir assez tôt dans le processus.
C'est un peu différent de l'affermage. C'est un terme populaire de nos jours, mais je ne veux pas trop m'avancer. Je comprends le sens de votre question et je trouve qu'elle est valable. Il y a peut-être 1 200 à 1300 policiers militaires; combien d'entre eux peuvent s'acquitter de je ne sais trop combien de tâches en même temps? C'est toujours une question valable.
M. David Price:
[Note de la rédaction: Inaudible]... chiffres dans certains secteurs.
M. Brian Grainger: C'est la même chose pour n'importe quel service de police du Canada ou des États-Unis qui a réduit ses effectifs. Ils sont tous aux prises avec la même réalité.
• 1025
Votre deuxième question est assez intéressante. Il est arrivé
de plus en plus souvent dernièrement que la police militaire
canadienne accueille dans ses rangs les membres d'autres services
de police à divers niveaux, et jusqu'à maintenant les échanges ont
été excellents. Je crois que cela sera bon non seulement pour le
professionnalisme, mais je crois fermement aussi que ce sera bon
pour la gestion, parce que nos militaires vont peut-être pouvoir se
rapprocher d'un grand nombre de nos principaux services de police
civils.
Le comité ne sait peut-être pas que le prévôt des Forces canadiennes est un membre essentiel de l'Association canadienne des chefs de police et qu'elle joue un rôle très actif dans cette communauté. C'est un gain pour la communauté, mais je pense que le prévôt des Forces canadiennes pense que c'est un gain pour elle aussi.
M. David Price: Est-ce que vous pensez que ce pourrait être l'inverse—que la police militaire pourrait jouer un plus grand rôle dans les collectivités qui entourent nos bases? Nous savons tous qu'elle tend à s'isoler. Si on parle de partage des services au lieu de parler d'affermage, croyez-vous qu'il serait possible de s'orienter dans cette direction pour mieux utiliser nos services?
M. Brian Grainger: Je trouve que vous avez soulevé un excellent point. C'est le genre de question que se pose actuellement le prévôt des Forces canadiennes, dans le cadre de la loi et de tout le reste. On essaie de définir en quoi consistent les services policiers. Qu'allons-nous faire? Je pense que la police militaire va s'impliquer de plus en plus dans la communauté. Je risque de dire des bêtises si je continue, parce que je n'ai pas participé aux discussions, mais je sais qu'on en parle.
M. David Price: Merci.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci, monsieur Price.
Mes collègues ministériels ont-ils des questions à poser? Oui, monsieur Richardson.
M. John Richardson: J'aurais une ou deux petites questions à poser, monsieur le président.
Nous cherchons un moyen de rendre le système plus transparent. La police—j'ai oublié le terme—va peut-être s'inspirer des pratiques policières et des mécanismes de règlement des griefs de la Gendarmerie Royale, mais je ne pense pas que bien d'autres services de police aient le même genre de mécanismes de règlement des griefs ou d'organisations professionnelles que ceux proposés dans ce projet de loi. Est-ce que je me trompe?
M. Brian Grainger: Non, vous avez à la fois raison et... mais je pourrais peut-être vous éclairer.
Dans toute organisation, paramilitaire ou militaire, il y a un service qui s'occupe des griefs, comme dans n'importe quel organisme des secteurs privé ou public. Il y en a aussi un qui s'occupe des plaintes et de la discipline.
La Gendarmerie Royale du Canada a un organisme, la Commission d'examen des plaintes, qui examine les plaintes reçues du public, qui s'occupe aussi jusqu'à un certain point de questions de discipline et qui examine également les griefs.
Notre service de police national a des organismes du même genre, mais qui sont différents aussi en raison de ses besoins. Si je vous faisais faire le tour des services de police civils de Halifax jusqu'à Vancouver, vous verriez ce que je veux dire. Tous exercent à peu près les mêmes activités, mais ils sont organisés différemment parce que leurs besoins et ceux de leur collectivité sont uniques, mais ces services existent sous une forme ou une autre.
L'Ontario, par exemple, vient de modifier en profondeur sa loi sur la police en vertu de la loi 105, qui a été adoptée il y a quelques mois. Si vous jetiez un coup d'oeil sur ce document, vous verriez comment tout cela fonctionne et comment le chef de police et d'autres rendent des comptes aux autorités civiles et ainsi de suite. Tout y est. C'est juste que le modèle est légèrement différent dans chaque cas.
M. John Richardson: J'ai une dernière question à poser.
Le vice-président (M. Bob Wood): Très rapidement, monsieur Richardson, parce que nous devons partir.
M. John Richardson: Très bien.
Tout cela est bien beau, mais en temps de paix. En temps de guerre, les policiers deviennent des agents de la circulation. Ils marquent les routes, s'assurent que le personnel militaire peut se déplacer et s'occupent des prisonniers de guerre. Je ne vois rien de tel dans le projet de loi C-25.
M. Brian Grainger: Le projet de loi C-25 ne traite pas de cet environnement opérationnel particulier auquel vous avez fait allusion dans vos questions à M. Doug Bland tout à l'heure.
M. John Richardson: Oui.
M. Brian Grainger: Il en est question dans les règlements et la gestion de ces opérations relève du commandement du général, de la personne qui est responsable de ce type d'opération. C'est toutefois une question intéressante.
M. John Richardson: Merci. Nous devons vous quitter.
Le vice-président (M. Bob Wood): Je vous remercie, monsieur Grainger, d'être venu nous rencontrer et de nous avoir consacré de votre temps.
Nous devons suspendre nos travaux jusqu'à 11 h à peu près, heure à laquelle M. Desbarats se joindra à nous.
Merci.
Le vice-président (M. Bob Wood): Nous sommes prêts à reprendre nos travaux, après un vote rapide, et nous souhaitons la bienvenue à M. Desbarats.
Monsieur Desbarats, c'est très gentil à vous de vous joindre à nous ce matin. Je vous remercie d'avoir bien voulu attendre pendant que nous nous acquittions de nos fonctions parlementaires. Nous vous demanderions de limiter votre exposé à 10 minutes à peu près et je sais qu'après un grand nombre de mes collègues auront de nombreuses questions à vous poser. Nous avons hâte d'entendre votre témoignage. La parole est à vous, monsieur.
M. Peter Desbarats (témoigne à titre personnel): Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai préparé une brève déclaration préliminaire que je vais vous lire. Je suis désolé qu'elle soit en anglais uniquement. Durant l'enquête sur la Somalie, j'ai posé mes questions en français aux témoins francophones, mais tous ceux qui m'ont entendu seraient probablement contents que je m'en tienne à l'anglais.
Des voix: Ah, ah!
M. Peter Desbarats: J'aimerais commencer par louer les membres du comité pour le travail que vous avez tous accompli en vue de présenter aux Canadiens le sort de nos «pauvres soldats», comme la revue Maclean's les a appelés. Je me réjouis de l'occasion qui m'est offerte de m'associer à ce travail en comparaissant ici aujourd'hui.
Durant l'enquête sur la Somalie, on nous a présenté le même genre de témoignages, surtout lors de nos visites dans les bases des Forces canadiennes du Québec, de l'Ontario et de l'Alberta. Comme vous, nous avons été impressionnés par le dévouement, l'ardeur au travail, l'intégrité et le courage des hommes et des femmes que nous avons rencontrés, surtout les soldats de grade inférieur et les officiers subalternes, tout comme nous avons été scandalisés par l'incapacité d'un grand nombre de nos militaires élevés en grade non seulement d'arriver à inspirer ces soldats en faisant preuve de leadership, mais de bien les diriger tout simplement, au Canada et dans le cadre des missions à l'étranger comme en Somalie.
• 1115
À mesure que nous progressions dans notre enquête, j'en suis
arrivé à l'inévitable conclusion que plus le rang dans les forces
est élevé, plus la qualité laisse à désirer. Il y a des exceptions
à cette règle, bien sûr, mais elle est vraie en général. La raison
en est que des chefs inférieurs ont eu tendance au cours des ans à
choisir et à promouvoir les jeunes officiers qui leur ressemblaient
le plus, d'où une érosion graduelle de la qualité à la tête du
système peu importe la qualité des hommes et des femmes entrant
dans le système aux niveaux inférieurs. Cet «abêtissement» des
forces armées a été encouragé par un système fermé n'ayant de
comptes à rendre qu'à lui-même.
Cette absence de responsabilisation est l'un des principaux thèmes du rapport que nous avons publié en juin dernier et l'une des principales questions concernant le projet de loi C-25 dont je veux vous parler ici. Un résultat de ce système fermé a été la série de désastres en Somalie qui auraient facilement pu être évités, mais qu'ont énormément aggravés par la suite les efforts des officiers supérieurs pour ne pas en être tenus responsables— efforts qu'ils continuent à mettre en oeuvre aujourd'hui.
Un autre résultat est celui dont vous vous êtes aperçus, une armée mal payée et mal équipée qui a continué à perdre le respect qu'elle avait pour ses propres chefs depuis la fin de notre enquête, même si elle a retrouvé le respect d'un grand nombre de Canadiens par sa contribution au lendemain des catastrophes naturelles qui ont frappé le Manitoba, le Québec et l'Ontario.
Le sort scandaleux de bon nombre de nos soldats n'est pas une chose dont ils sont responsables, tout comme les terribles événements en Somalie ne se seraient pas produits si nos hommes et nos femmes soldats avaient été mieux dirigés. Ils sont le résultat d'un manque de leadership de la part de gouvernements successifs et de générations d'officiers supérieurs.
Ce sont certains de ces officiers supérieurs qui, dans un effort désespéré pour détourner les critiques, ont essayé de créer l'impression que l'enquête sur la Somalie était anti-militaire et qui nous ont accusés de saper le moral des forces armées en persistant dans notre investigation. Je ne pense pas qu'ils soient arrivés à duper les Canadiens, du moins certainement pas ceux qui ont suivi nos audiences à la télévision et qui ont pu juger ces généraux par eux-mêmes. Je sais qu'ils n'ont pas dupé les nombreux soldats qui sont venus nous rencontrer de leur plein gré les autres commissaires et moi et qui ont publiquement pris la parole devant les membres de votre propre comité, au risque d'attirer la désapprobation de leurs chefs et de compromettre leur propre carrière.
J'ai bien des histoires à raconter pour illustrer mes propos, tout comme vous j'en suis sûr. Il y en a une surtout qui m'a frappé et c'est celle d'une femme qui s'est présentée chez moi à London en Ontario juste avant Noël, sans prévenir, pour me demander de signer son exemplaire de mon livre. Elle voulait que je le dédie à son fils qui, m'a-t-elle dit, était dans l'armée, après quoi elle a ajouté qu'il avait servi en Somalie. «Êtes-vous sûre que c'est ce qu'il veut pour Noël?» est la question que je lui ai posée. Elle m'a répondu: «Il est d'accord avec vous sur toute la ligne.» Elle m'a ensuite raconté que dans sa première lettre de Somalie, son fils lui avait demandé de lui envoyer immédiatement un pinceau d'artiste pour enlever la fine poussière du désert de son fusil et de ses vielles bottes d'escalade. Il lui a écrit que l'armée avait envoyé des bottes en Somalie, mais pas de demi-pointures, de sorte qu'un grand nombre de nos soldats s'étaient fait des ampoules que la chaleur, la poussière et la saleté avaient aggravées.
Je pourrais écrire un autre livre sur l'incapacité de l'armée de bien s'occuper de nos soldats en Somalie, ailleurs outre-mer et ici au Canada, mais je peux attendre celui que vous allez vous-mêmes écrire.
J'ai déjà utilisé le mot «responsabilité» plusieurs fois et ce sera le thème de ma brève analyse et critique du projet de loi C-25. Je n'ai pas le temps de vous présenter une étude juridique détaillée du projet de loi, et je n'ai pas les connaissances qu'il faut non plus, quoique mes deux années à la commission ont en quelque sorte été un cours intensif de droit, sans parler des ruses et des caprices des avocats. Je suis heureux de laisser à des gens plus compétents de nombreux aspects de ce projet de loi complexe.
D'une manière générale, je peux dire que le projet de loi répond à bien des égards à bon nombre de nos préoccupations au sujet du système de justice militaire. Les améliorations proposées à notre système de justice militaire, si elles sont adoptées, permettront de mieux l'actualiser pour qu'il reflète les rôles et le caractère nouveaux des forces armées, par opposition à une armée appelée à mener de grandes guerres.
Ces modifications traduiront l'incidence de notre Charte des droits et libertés sur ce secteur spécialisé de notre système de justice et le mettront dans l'ensemble au diapason des années 90.
• 1120
Mais ce projet de loi renferme des dispositions qui au lieu de
modifier les structures existantes en créeraient de nouvelles,
notamment la Commission d'examen des plaintes concernant la police
militaire et le Comité des griefs des Forces canadiennes. La
commission d'examen des plaintes, comme vous le savez, serait
composée d'au plus six civils nommés par le gouverneur en conseil
pour enquêter sur les plaintes qu'elle recevrait concernant la
police militaire. Elle ferait rapport au prévôt et ferait partie de
la chaîne de commandement de l'armée.
Le comité des griefs ne ferait pas partie de la chaîne de commandement alors que la procédure de griefs actuelle autorise les membres des forces armées à présenter leurs griefs uniquement à des paliers supérieurs successifs à l'intérieur de leur propre chaîne de commandement.
Ces deux nouvelles structures ont pour objet d'améliorer la reddition de comptes à l'intérieur des forces armées et constituent une amélioration par rapport au système actuel, mais, selon moi, elles ne vont pas encore assez loin.
Durant notre enquête, nous avons passé beaucoup de temps, soit au cours des audiences publiques soit en en discutant entre nous, à établir des principes et des systèmes de reddition de comptes clairs et cohérents et des définitions réalisables de la responsabilité, de la supervision et de la délégation, des sanctions et de la connaissance. Nous l'avons fait parce que nous étions de plus en plus conscients des efforts mis en oeuvre par les officiers supérieurs en Somalie et au Canada et par les hauts fonctionnaires du quartier général de la Défense nationale pour ne pas avoir à rendre de comptes et à assumer quelque responsabilité que ce soit, efforts qui ont débuté en Somalie dès que les choses ont mal tourné et qui se sont poursuivis à Ottawa tout au long de l'enquête et continuent à se faire sentir encore aujourd'hui.
Laissez-moi vous résumer certains des problèmes tels que nous les avons perçus. Nous avons constaté que les exigences, les politiques et les pratiques officielles en matière de rapports et de tenue de livres à l'échelle des forces armées et du ministère étaient inefficaces et prêtaient aux abus. Nous avons eu de la difficulté à obtenir des documents et même à savoir, dans certains cas, si la documentation avait été perdue, détruite délibérément ou même recueillie. Une tenue de livres qui laisse à désirer est une invitation à se soustraire à ses responsabilités.
Nous avons mis au jour des tentatives flagrantes pour se soustraire à la divulgation de l'information requise par la législation sur l'accès à l'information, qui fait partie intégrante de l'obligation de rendre compte du secteur public. Nous avons constaté que les mécanismes actuels de vérification interne et d'examen des programmes, qui relèvent de la compétence du chef du Service d'examen, sont enveloppés de secret, pour reprendre les termes du rapport.
Les rapports du CSE n'ont pas à être publiés et leur sort est entre les mains du chef d'état-major de la défense ou du sous-ministre, dont le CSE relève. Le CSE ne peut pas ouvrir d'enquête et il n'existe aucun mécanisme qui permette un suivi ou une évaluation indépendante des rapports du CSE ou des recommandations de changement qu'ils contiennent. Nous avons dit que les mécanismes de surveillance parlementaire du ministère et du haut commandement de l'armée sont inefficaces.
Ces constatations et préoccupations, pour ne mentionner que celles-là, nous ont amenés à proposer la création d'un nouveau poste, celui d'un inspecteur général des Forces canadiennes qui jouerait à la fois le rôle d'inspecteur militaire et d'ombudsman. Ce qu'il y a d'important à retenir, c'est que cette personne serait nommée par le gouverneur en conseil, serait un civil, ne ferait pas partie de la chaîne de commandement, et aurait le pouvoir d'ouvrir des enquêtes, pas seulement pour répondre aux allégations d'injustice ou d'inconduite. L'idée n'a rien de nouveau. Un tel poste existe depuis plusieurs années dans les forces armées américaines.
Il nous semblait qu'en adoptant cette recommandation, les hauts responsables de l'armée canadienne auraient pu signaler un revirement véritable. Au lieu d'avoir l'air d'être forcés à adopter des systèmes modernes de reddition de comptes, ils auraient pu avoir l'air de se réjouir de la réforme en disant sans équivoque que l'ère des cachotteries et du manquement aux responsabilités était révolue. Malheureusement, c'est le message contraire qu'ils ont envoyé parce que cette recommandation est une des premières que l'armée a rejetées.
Ils se sont contentés de répondre qu'ils ne pourraient pas fonctionner efficacement s'ils avaient l'impression d'être constamment surveillés, mais je suis certain que de nombreux Canadiens se demandent comme moi pourquoi ils ne le pourraient pas. La plupart d'entre nous ont des comptes à rendre et doivent se soumettre à une évaluation indépendante dans le cadre de leurs fonctions. Pourquoi est-ce que ce serait différent pour l'armée?
Je pense que l'armée et le gouvernement ont raté l'occasion qui s'offrait d'avoir un véritable cadre de reddition de comptes en optant pour un mécanisme plus limité. Certains vous diront que c'est mieux que rien, mais j'ai dit publiquement à ce moment-là que c'était peut-être plus dangereux parce qu'on essayait de créer l'illusion d'une pleine responsabilisation alors que ce n'était pas vraiment le cas.
Enfin, permettez-moi de dire en terminant—et de devancer peut-être les questions que certains d'entre vous pourraient avoir à me poser au sujet de la décision rendue récemment par la juge Reed à l'égard de la contestation de notre rapport par le lieutenant-colonel Morneault—que la question de la reddition de comptes est loin d'avoir été réglée en ce qui concerne l'enquête sur la Somalie. Elle est restée en suspens lorsque notre commission a eu l'infâme privilège—non qu'elle soit infâme pour autant—d'être la première commission royale d'enquête dans l'histoire du Canada à ne pas pouvoir mener son mandat à bien. Cette décision sans précédent continue à influer sur l'intervention devant les tribunaux d'anciens officiers supérieurs ou d'officiers supérieurs actifs pour discréditer l'enquête, ses conclusions et la réputation des commissaires.
• 1125
La décision du gouvernement de mettre fin à notre enquête le
place dans un grave conflit d'intérêts le moment venu de défendre
notre rapport contre ces contestations. En fait, le gouvernement
même qui s'est dit tellement insatisfait de mon travail et de celui
des autres commissaires qu'il a dû l'interrompre est maintenant
appelé à défendre ce travail devant les tribunaux.
Dans ces circonstances, je doute grandement d'être défendu adéquatement lorsque mon travail est contesté devant les tribunaux. Je ne peux pas parler pour les autres commissaires, mais la manière dont l'affaire Morneault a été menée jusqu'à maintenant n'a en rien dissipé mes doutes.
Je m'attendrais à tout le moins à ce qu'on me tienne personnellement au courant du cours des événements, par souci de justice ou par simple souci de politesse, et à ce qu'on m'offre l'occasion de me défendre. Cela n'a pas été fait. C'est après coup que j'ai été informé par les médias de jugements qui ont une incidence sur ma réputation.
On ne m'a pas demandé personnellement le nom d'avocats d'expérience capables de défendre adéquatement mes intérêts. En fait, j'ai appris que des avocats que j'aurais choisis ont été délibérément exclus du processus. Et je continue à être exclu de toute discussion au sujet d'un appel de la décision de la juge Reed qui, comme je l'ai dit, me touche de très près.
J'exhorte les membres du comité, non seulement à titre d'ancien commissaire, mais aussi à titre de simple citoyen dont les droits ont été violés, à m'aider en protestant contre une erreur judiciaire évidente. En ce qui me concerne, ce gâchis est directement attribuable aux efforts persistants mis en oeuvre par les officiers et les cadres supérieurs du quartier général de la Défense nationale pour ne pas avoir de comptes à rendre à notre commission d'enquête. C'est toujours la même histoire triste qui est malheureusement loin d'être terminée.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le vice-président (M. Bob Wood): Je vous remercie de vos observations et de vos réflexions, monsieur Desbarats. Nous allons maintenant passer aux questions.
[Français]
Madame Venne, vous avez 10 minutes.
Mme Pierrette Venne: Bonjour, monsieur Desbarats. Ma question est la suivante. Considérez-vous que l'on a suffisamment tenu compte des recommandations formulées par Commission d'enquête sur la Somalie au sujet de la justice militaire? Je pense, entre autres, à l'inspecteur général auquel vous avez fait allusion. Pour ce qui est des juges, vous recommandiez qu'ils soient des civils et aviez pris position sur la durée de leur mandat. Vous recommandiez que celui-ci ne soit pas de cinq ans, mais qu'il soit en vigueur jusqu'à leur retraite. Je pense aussi au recours aux services d'un avocat dans les cas de procédure sommaire. Ce sont quelques exemples de recommandations que n'a pas retenues le gouvernement dans ce projet de loi.
Trouvez-vous, mis à part les éléments que je viens de mentionner et que l'on a mis de côté, que le gouvernement a quand même suffisamment tenu compte des recommandations de la Commission d'enquête sur la Somalie?
[Traduction]
M. Peter Desbarats: La réponse à cette question est simple: nous avons travaillé fort et longuement réfléchi avant de faire nos recommandations. Les recommandations du rapport traduisent nos vues sur la réforme possible du système de justice militaire, y compris la police militaire, les tribunaux militaires, etc.
Au cours des dernières semaines, étant donné que je savais que je comparaîtrais devant le comité, j'ai relu certaines sections du rapport parce que c'est surprenant à quel point on peut vite oublier. Il y a près d'un an que nous avons travaillé à ce rapport et je suis passé à autre chose.
• 1130
J'ai aussi lu l'excellent résumé du projet de loi préparé par
le service des recherches parlementaires qui, comme vous le savez,
fait ressortir les dispositions du projet de loi qui sont inspirées
des recommandations de notre rapport, de celles du rapport Dickson
et ainsi de suite.
Comme je l'ai dit dans mon exposé, je n'avais pas l'impression de pouvoir en faire une analyse aussi détaillée moi-même sans l'étudier très attentivement. J'hésiterais à le faire parce que je n'ai pas le même bagage juridique que les deux autres commissaires et certains des excellents avocats qui ont travaillé avec nous. Je pense avoir joué un rôle utile au sein de la commission, mais pas comme expert juridique.
Donc, ce que je peux vous dire brièvement, c'est que j'appuie les recommandations qui ont été faites dans notre rapport et que le projet de loi ne donne pas suite à toutes ces recommandations. Je serais prêt ce matin, si vous le désirez—mais je ne pense pas que ça servirait à grand-chose—à revoir avec vous ces sections du rapport. Comme je l'ai dit, à sa manière habituelle, le gouvernement a accepté dans certains cas de mettre la recommandation en oeuvre telle quelle tandis que dans d'autres cas, il en a retenu le principe. Il y a donc eu des progrès.
J'ai travaillé pour d'autres enquêtes et commissions royales, pas à titre de commissaire, mais comme attaché de recherche et membre du personnel dans un cas, et la plupart d'entre elles concernaient les médias. Je suis un vétéran des commissions et des enquêtes dont aucune recommandation n'a été adoptée par le gouvernement. C'est certainement vrai de la commission sur les quotidiens pour laquelle j'ai travaillé au début des années 80.
Je pense que le ministre lui-même a dit, peu après la publication du rapport, que selon ses calculs le gouvernement avait adopté 80 p. 100 des recommandations. J'ai dit à l'époque que ce devait être tout un record pour une commission royale d'enquête canadienne.
Nous ne vivons pas dans un monde parfait. J'aurais préféré qu'il adopte toutes nos recommandations, mais c'est quand même un pas en avant.
[Français]
Mme Pierrette Venne: Merci. C'est tout, monsieur le président.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Wood): M. Proud, puis M. Price.
M. George Proud: Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur Desbarats, d'être venu nous rencontrer ce matin. Si je vous ai bien compris, vous avez lu le projet de loi. J'imagine que vous en avez donc une assez bonne idée.
M. Peter Desbarats: On ne m'a pas fourni de copie du projet de loi comme tel et je me suis donc fié au résumé qui en a été fait et qui me paraissait assez exhaustif.
M. George Proud: Il s'agit des modifications les plus exhaustives apportées à la loi nationale depuis 1950.
Selon vous, c'est en partie la réponse du gouvernement aux recommandations de la commission sur le retrait de la police militaire de la chaîne de commandement qui permettra de juger de son désir de procéder à la réforme dont il a été question au sein des Forces canadiennes.
Comme le juge en chef Dickson et son groupe consultatif spécial l'avaient recommandé, le SNE, ou Service national d'enquête, a maintenant été créé pour enquêter sur les accusations graves et délicates, et il n'a pas de comptes à rendre à la chaîne de commandement. Le SNE est un organisme indépendant qui peut porter des accusations et obtenir des conseils juridiques impartiaux du directeur des poursuites militaires. Le projet de loi C-25 prévoit l'adoption d'un code de déontologie pour la police militaire et la création d'une commission indépendante et externe d'examen des plaintes concernant la police militaire.
Seriez-vous d'accord pour dire que ces changements suffisent à garantir l'intégrité et le professionnalisme des enquêtes de la police militaire?
M. Peter Desbarats: Quel est l'article du projet de loi qui traite du SNE? Pourriez-vous me renvoyer à la section du résumé que j'ai où il en est question?
M. George Proud: Ce service a déjà été créé. Il n'en est question nulle part dans le projet de loi. Il existe depuis septembre dernier.
M. Peter Desbarats: Je vois. Je ne suis pas assez au courant de la situation pour la commenter en toute connaissance de cause.
M. George Proud: Si vous me le permettez, je vais revenir à la question de la surveillance et de l'examen dont on a parlé tout à l'heure ici.
• 1135
Le ministre a proposé trois moyens de s'y prendre:
premièrement, essayer de resserrer les liens avec les organismes de
surveillance qui existent déjà, deuxièmement, mettre en place de
nouveaux organismes spécialisés et, troisièmement, augmenter
considérablement les rapports annuels et les examens publics. Bref,
il y aura un plus grand nombre de mécanismes d'examen spécialisés
conçus en fonction des différents besoins.
Seriez-vous d'accord pour dire que le gouvernement a tout prévu? Que resterait-il à faire à l'inspecteur général étant donné toute cette structure, y compris le Parlement lui-même?
M. Peter Desbarats: Cet organisme de surveillance est un organisme civil dont le ministre a annoncé la création il y a quelque temps. Je ne me souviens plus de sa composition. Est-ce celui où Laurier LaPierre a été nommé?
M. George Proud: Oui.
M. Peter Desbarats: Bon.
Je dois vous avouer franchement que je n'ai pas été impressionné par la nomination de cet organisme de surveillance. J'imagine que ces gens sont nommés par le ministre. Je ne sais pas au juste en quoi consiste leur mandat.
Ma première impression, si je me fie aux comptes rendus des médias sur la nomination de cet organisme et à ma propre expérience, c'est que ces organismes valent ce que vaut l'information qui leur est transmise en ce sens qu'ils doivent se fier à l'information reçue pour poser les bonnes questions et savoir ce qui se passe.
Il me semble donc que cet organisme sera très dépendant de l'information reçue de l'armée et ne fonctionnera pas comme un organisme de surveillance indépendant capable d'ouvrir ses propres enquêtes. Je ne sais pas non plus combien d'employés cet organisme comptera, un tout petit nombre j'imagine.
Je suppose qu'il pourrait finir par devenir une espèce de comité consultatif. Dans le milieu universitaire, j'ai eu affaire à des comités consultatifs qui ne servent pas à grand-chose. J'ai eu mes propres comités consultatifs pendant des années à l'école de journalisme de l'Université Western, et il m'aurait été très facile de les dominer parce que comme doyen je contrôlais l'information qu'ils recevaient.
Il y a donc un risque réel que ce comité finisse par ne servir à rien, et ce n'est pas du tout ce que nous envisagions lorsque nous avons recommandé la nomination d'un inspecteur général. L'élément clé, ou un des éléments clés, c'est que la personne qui aurait rempli le rôle d'inspecteur général aurait pu non seulement compter sur un personnel suffisant, mais aussi entamer ses propres enquêtes et avoir accès à toute l'information ou à tous les dossiers dont elle aurait eu besoin. C'est très différent du genre de comité que le ministre a nommé. Je ne le considère pas du tout comme un substitut du bureau de l'inspecteur général.
M. George Proud: Vous aviez l'air consterné quand vous avez dit que le comité serait probablement nommé par le ministre. Par qui d'autre auriez-vous voulu qu'il soit nommé?
M. Peter Desbarats: Bien, je suppose que si vouliez qu'il soit encore moins efficace, vous pourriez demander au chef d'état-major de la défense de le nommer.
M. George Proud: Pourquoi ne serait-il pas efficace s'il est nommé par le ministre? C'est lui en fin de compte qui est le haut responsable.
M. Peter Desbarats: Oui, c'est probablement au ministre qu'il revient de nommer ce comité, mais j'ai aussi ajouté que je ne savais pas quel allait être son mandat et je ne sais pas non plus pour combien de temps il sera nommé.
Mais ce n'est pas tant la procédure de nomination qui m'intéresse que le personnel dont ce comité sera doté et les pouvoirs qui lui seront conférés.
M. George Proud: Je suppose qu'il va avoir le personnel et les pouvoirs dont il aura besoin. Autrement, il ne servirait à rien de créer un tel organisme. J'espère que ce ne sera pas le cas et qu'il... Je crois que ce groupe, et les nombreux autres groupes qui existent, pourraient nous donner une très bonne idée des besoins. Mais je suppose que nous pourrions en discuter jusqu'à demain matin.
M. Peter Desbarats: Eh bien, monsieur Proud, vous êtes un peu plus optimiste que moi.
Tout d'abord, je n'ai rien lu dans les journaux qui m'indique quel genre d'employés cet organisme aura, s'il en a. Au pire, il pourrait avoir un adjoint exécutif, se réunir trois ou quatre fois par année à Ottawa, lire un tas de rapports que l'armée lui présenterait, les approuver pour la forme et ensuite rentrer tranquillement chez lui. J'espère que ce ne sera pas le cas, mais il y a un risque réel que ça arrive et je n'ai rien lu qui me prouve le contraire.
M. George Proud: Le projet de loi règle la question. Il contient plusieurs pages sur sa compétence et ses pouvoirs d'enquête. Je ne sais pas ce que les autres en pensent, mais je trouve que c'est suffisant. Il ne faut pas oublier non plus que rapport sera fait de la question au Parlement.
Personnellement, ça me satisfait.
Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Bob Wood): Bien.
M. Price, suivi de M. O'Reilly.
M. David Price: Merci, monsieur le président.
Permettez-moi tout d'abord de souhaiter la bienvenue à M. Desbarats. Nous sommes très heureux que vous soyez ici.
Pour commencer, je voudrais donner suite aux questions de Mme Venne. Il semble que ce projet de loi s'inspire dans une large mesure des conclusions du groupe Dickson, qui s'est penché sur le système de justice militaire. Ce groupe a présenté son rapport après avoir étudié la question pendant quelques mois seulement, de janvier à mars, tandis que la commission d'enquête sur la Somalie a siégé durant deux ans. Évidemment, bon nombre de vos recommandations ne se retrouvent pas dans le projet de loi. Comme l'a mentionné Mme Venne, deux des plus importantes portaient sur la création d'un poste d'inspecteur général et la nomination de civils au poste de juge-avocat général.
D'après ce que j'ai compris—d'après ce que je sais, en fait—les commissaires sont toujours préoccupés du fait que l'armée n'a pas de comptes à rendre aux autorités civiles et qu'elle n'a pas l'impression qu'elle devrait en avoir. Un de vos confrères, le juge Rutherford, a prononcé un discours il y a deux mois devant le Royal Canadian Military Institute. C'était pendant une rencontre à huis clos, mais il a mentionné très clairement qu'il était du même avis que vous.
Quand nous avons soulevé la question de l'inspecteur général avec le ministre, il nous a répondu que les généraux ne pouvaient pas fonctionner convenablement si quelqu'un regardait constamment par-dessus leur épaule. J'ai ici votre réponse à ce commentaire.
Vous avez dit:
-
Pourquoi pas? Le principe même du contrôle de l'armée par les
autorités civiles, dans une société démocratique, ne repose-t-il
pas justement sur l'idée que quelqu'un regarde par-dessus l'épaule
des généraux?
Je suppose que ce quelqu'un serait le Parlement. Pourriez-vous nous en dire plus long à ce sujet-là?
M. Peter Desbarats: J'ai déjà commenté cet aspect-là dans mes remarques préliminaires.
M. David Price: Oui, mais...
M. Peter Desbarats: Je n'ai pas une très haute opinion—ce qui est tout à fait compréhensible, je pense—du rapport Dickson et de certains des autres rapports que le ministre a commandés à la même époque. Si je me rappelle bien, ces rapports ont été commandés à peu près au moment où le ministre a annoncé—ou, en tout cas, clairement laissé entendre—qu'il allait dissoudre notre commission. Et ils devaient porter sur les mêmes sujets que notre enquête. Ils ont été produits beaucoup plus rapidement, de façon beaucoup plus superficielle à mon avis; la première chose que ces groupes ont faite, dans certains cas, c'est qu'ils ont essayé de mettre la main sur les recherches que nous avions effectuées et que nous devions inclure dans notre rapport.
Donc, j'ai eu l'impression que la création de ces autres groupes d'étude était motivée par des raisons hautement politiques. Comme je l'ai dit, je n'en ai pas une très haute opinion. Ce qui ne veut pas dire que je rejette nécessairement toutes leurs conclusions. Dans bien des cas, elles sont parallèles aux nôtres. Mais le principe qui sous-tend l'ensemble de notre rapport est celui de la reddition de comptes à la population, par l'entremise du Parlement.
Il est apparu clairement durant notre enquête que le manque de transparence était un des principaux problèmes ayant mené aux incidents en Somalie, et que le système était en fait très fermé. C'était évident à bien des égards dans le comportement de certains des officiers supérieurs qui ont comparu devant nous et qui semblaient ulcérés que nous ayons l'audace de leur demander, au nom de la population canadienne, d'expliquer et de justifier leurs agissements.
Dans ce sens-là, nous avons été très sensibles aux suggestions que nous avons entendues au cours de notre enquête au sujet de la nécessité de renforcer le contrôle de l'armée par les autorités civiles. Pour nous, la création d'un poste d'inspecteur général était le meilleur moyen d'y arriver. Malheureusement, cette suggestion a été édulcorée dans le projet de loi.
M. David Price: J'ai étudié avec une attention particulière le chapitre 44, qui porte sur la nécessité d'un Parlement vigilant. Il me semble que c'était une partie très importante du rapport, et j'ai d'ailleurs demandé si le comité pouvait inviter les trois commissaires à témoigner. Malheureusement, mon idée a été rejetée par la majorité.
Les militaires doivent avoir plus de comptes à rendre au grand public; à mon avis, ça doit se faire par l'intermédiaire du Parlement, ce qui est exactement ce que vous proposez au chapitre 44.
Pourriez-vous nous dire quel rôle le Parlement pourrait et devrait jouer à votre avis, et s'il serait utile de créer un comité mixte permanent qui inclurait des sénateurs? Qu'en pensez-vous?
M. Peter Desbarats: Je pense que tout ce qui peut resserrer la surveillance des militaires par les civils est utile. Comme vous l'avez dit, et moi aussi, j'ai du mal à comprendre pourquoi les militaires ne veulent pas de ce genre de surveillance, ou en tout cas à sympathiser avec eux à ce sujet-là. À mon avis, cette surveillance permettrait en fait d'augmenter la crédibilité des forces armées. Il est évident que l'armée, surtout en temps de guerre, a certains secrets qu'elle ne peut pas divulguer. Mais la plupart du temps, nos activités militaires ne sont pas de cet ordre-là. Je pense donc que la création d'un comité mixte permanent comme celui que vous suggérez constituerait un mécanisme très efficace pour assurer un examen périodique et approfondi de l'activité des forces armées, ce qui a fait sérieusement défaut dans le passé.
M. David Price: J'ai lu hier un commentaire intéressant du juge Dickson au sujet du poste d'inspecteur général. Après avoir terminé son étude, son groupe de travail a conclu qu'il n'était pas nécessaire d'avoir un inspecteur général pour le moment. Mais il a indiqué que ça pourrait changer dans cinq ans, ou plus tard. Il était d'avis que ce n'était probablement pas nécessaire pour le moment à cause de la taille de l'effectif, après toutes les compressions qu'il a subies. Mais je ne trouve pas cet argument très convaincant. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Peter Desbarats: À part ce que vous m'en rapportez, je ne suis pas au courant de ce qu'a dit le juge Dickson. Mais si ce sera une bonne idée dans quatre ou cinq ans, pourquoi est-ce que ce n'en est pas une aujourd'hui? Soit le principe est bon aujourd'hui, soit il ne l'est pas. Je ne crois pas que ça ait quoi que ce soit à voir avec les compressions d'effectif. Les forces armées sont encore une organisation importante, et leur effectif est encore nombreux; le fait d'en retirer ou d'y ajouter 10 000 ou 15 000 membres à un moment ou à un autre ne change rien à la nécessité d'une surveillance par les autorités civiles. Ça n'a rien à voir, à mon avis.
M. David Price: J'aimerais que nous parlions de la question du JAG, le juge-avocat général, et des juges militaires. Vous avez recommandé que le JAG soit un civil, et j'ai demandé hier au juge Dickson s'il croyait que votre suggestion à cet égard avait été complètement mise de côté. J'aimerais savoir ce que vous pensez des dispositions du projet de loi à ce sujet-là. Avez-vous l'impression que votre suggestion a été complètement mise de côté ou que le projet de loi constitue un compromis qui pourrait vous satisfaire? Pensez-vous que le projet de loi aille dans la bonne direction?
M. Peter Desbarats: Notre suggestion a été rejetée, à toutes fins utiles. Nous avions recommandé dans notre rapport que le cabinet du JAG lui-même soit supprimé et qu'il soit remplacé par d'autres structures; de toute évidence, cette suggestion n'a pas été retenue. Nous aurions certainement aimé qu'il soit au moins possible de nommer un civil à ce poste, qu'il ne soit pas obligatoire que le JAG soit un militaire. Mais ce n'est pas ce qui figure dans le projet de loi. Je crois évidemment que notre suggestion était bonne en principe, et je ne suis pas particulièrement heureux qu'elle n'ait pas été retenue.
M. David Price: Vous estimiez, j'imagine, que le juge-avocat général ne devrait pas être un militaire parce que les militaires ont forcément tendance à se protéger entre eux.
M. Peter Desbarats: Ça se rattache au principe général de la transparence et de l'indépendance de ce juge vis-à-vis du haut commandement.
Nous avons vu un certain nombre d'exemples, au cours de notre enquête, où il y avait nettement des possibilités de conflits d'intérêts parce que la police militaire et le JAG faisaient partie de la structure de commandement et que le JAG, en particulier, participait à l'occasion aux discussions sur les orientations à prendre.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci, monsieur Desbarats. Merci, monsieur Price.
Je laisse maintenant la parole à M. O'Reilly, qui sera suivi de M. Richardson.
M. John O'Reilly: Merci beaucoup, monsieur le président. Monsieur Desbarats, merci d'être venu. Vous avez indiqué que vous n'aviez pas d'exemplaire du projet de loi en main. J'ai donc essayé d'en faire une analyse comparative pour voir jusqu'à quel point son contenu reflète les recommandations de la commission d'enquête sur la Somalie.
On peut lire à la fin du résumé que les dispositions du projet de loi reflètent certaines des recommandations de la commission d'enquête sur la Somalie et du groupe Dickson. Dans ce sens-là, je trouve un peu difficile d'accepter votre analyse sur la fidélité du projet de loi à vos recommandations. On m'a dit que certaines recommandations de votre commission avaient été laissées de côté pour des raisons juridiques. Je suppose que...
M. Peter Desbarats: Monsieur O'Reilly, si vous me permettez, j'ai lu ce résumé très attentivement. Il fait plusieurs dizaines de pages, et la comparaison entre les recommandations du groupe Dickson et les nôtres se trouve à la toute fin et porte uniquement sur un article du projet de loi. Mais on trouve tout au long de ce résumé des références à notre enquête et à celle du groupe Dickson, et de nombreuses indications sur les articles du projet de loi qui sont inspirés de notre rapport ou du rapport Dickson, ou des deux à la fois dans certains cas. Il m'a semblé que ce résumé était un assez bon moyen de savoir si les gens qui ont rédigé le projet de loi C-25 se sont inspirés ou non des conclusions de notre enquête.
M. John O'Reilly: Les travaux de la commission d'enquête sur la Somalie ont dégénéré en guerre ouverte contre les hauts gradés militaires.
M. Peter Desbarats: Je n'accepte pas votre commentaire, monsieur O'Reilly.
M. John O'Reilly: C'est ce qu'il m'a semblé.
M. Peter Desbarats: Le gouvernement nous avait confié un mandat très précis. Nous devions examiner les questions comprises dans ce mandat. Comme dans toute enquête, nous avons donc dû interroger des hauts gradés. C'est ce que nous avons fait.
M. John O'Reilly: Vous m'avez paru plutôt hostiles, d'après mon analyse personnelle et d'après les lettres que j'ai reçues de certains de mes électeurs, mais c'est une interprétation personnelle.
Vous avez commencé votre présentation en disant que la plupart des hauts gradés des Forces canadiennes étaient incompétents et qu'ils perpétuaient leur incompétence en embauchant des gens stupides. Vous avez parlé de pourriture par le haut, ou quelque chose du genre.
M. Peter Desbarats: C'est un assez bon résumé de ce que j'ai dit.
M. John O'Reilly: Nous avons entendu de nombreux témoins, et il semble que tous les gens qui prennent leur retraite après avoir occupé un poste important dans les forces armées, un poste de haut commandement, se trouvent une conscience dès qu'ils reçoivent leur premier chèque de pension.
M. Peter Desbarats: Je pense qu'en fait, le premier chèque de pension arrive un peu plus tard, parfois en même temps que le premier chèque d'une entreprise ayant des contrats de l'armée.
M. John O'Reilly: Quand on essaie d'obtenir de l'information de ces anciens haut gradés, et quand on analyse cette information, on se rend compte que certains d'entre eux disent qu'ils auraient dû faire certaines choses quand ils étaient en poste et qu'ils ne les ont pas faites; ils disent que, si c'était à refaire, ils agiraient différemment. Comme je l'ai dit, il semble évident d'après ce que nous avons entendu que ces gens se développent une conscience dès que leur premier chèque arrive. En ce sens, je comprends vos remarques.
Au sujet des changements au niveau opérationnel, avez-vous l'impression que la structure comporterait en fait deux volets, un qui s'appliquerait au pays et l'autre dans les théâtres d'opérations? Avez-vous analysé comment les militaires pourraient fonctionner différemment selon qu'ils se trouvent dans un endroit comme la Somalie ou ailleurs que dans un théâtre d'opérations? Est-ce que cet aspect de la question a été envisagé?
• 1155
J'ai lu votre rapport sur la Somalie. Je n'étais pas d'accord
pour que votre enquête soit interrompue. Vous serez peut-être
surpris d'entendre un député du parti ministériel vous dire une
chose pareille, mais il me semblait que vous auriez dû avoir plus
de temps et pouvoir couvrir certaines des questions de ce genre.
Il semble y avoir deux séries de règles dans l'armée, une pour les opérations au pays, en temps de paix, et l'autre pour les déploiements en mission.
M. Peter Desbarats: Évidemment, une des choses qui a fait défaut, c'est que les règles à suivre sur le terrain étaient souvent mal définies. Nous avons été étonnés de constater que, pendant la préparation de la mission en Somalie, les militaires avaient cherché un peu partout des documents de référence sur des choses aussi fondamentales que les règles d'engagement. Nous pensions qu'après toutes ces années de missions de maintien de la paix, il aurait dû y avoir un manuel ou une procédure quelconque à suivre, et pourtant, il semble que chaque mission était montée à peu près à partir de zéro. Mais je pense que ça commence à changer.
Je ne crois pas qu'il y ait de démarcation très nette entre les événements au Canada et les incidents en Somalie. Nous avons constaté au cours de notre enquête que les premiers avaient contribué aux seconds. Comme vous le savez, nous avons passé beaucoup de temps à examiner les problèmes qui se sont manifestés au sein du régiment aéroporté aux étapes de l'entraînement et du recrutement, au moment où le régiment a été constitué et où ses membres ont été choisis. Nous avons examiné les problèmes de commandement et de supervision pendant la période d'entraînement. À notre avis, ces problèmes avaient un lien direct avec ce qui s'est passé en Somalie.
Une des conclusions générales que j'ai tirées de l'affaire somalienne, bien sûr, c'est qu'elle aurait été très facile à prévenir avec un minimum de bonne gestion. Je n'entrerai pas dans les détails, mais après tout, les militaires canadiens déployés en Somalie se trouvaient dans un secteur très calme. C'était un secteur dans lequel on avait déjà distribué de l'aide internationale avant l'arrivée des soldats. Il n'y a pas un seul militaire canadien qui a été tué ou même blessé par des tirs ennemis en Somalie. Les conditions étaient difficiles, je l'admets; il faisait chaud, c'était poussiéreux, et tout et tout, mais tout ce que les militaires avaient à faire, c'était de s'installer, de subvenir à leurs propres besoins, de surveiller leurs propres affaires et de patrouiller un secteur relativement calme. Il était toujours possible que ce calme ne dure pas, mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Et pourtant, notre armée n'a pas pu s'acquitter de cette simple mission. Elle n'a pas été capable de s'occuper de ses propres membres.
Dans n'importe quel pays du tiers monde, il faut s'attendre à ce qu'il y ait de menus larcins. C'est un problème courant, et il y a des méthodes reconnues pour le prévenir. On monte le camp, on construit des tours de guet, on installe des projecteurs, on construit des barrières, on entoure le camp de mécanismes de protection, et ainsi de suite. Mais nos militaires n'ont pas réussi à le faire.
Donc, un problème qui aurait dû être facile à surmonter—celui des menus larcins—a pris d'énormes proportions et a mené à des meurtres injustifiés à cause d'un manque de leadership. Ces problèmes prennent leur source dans la structure de commandement; ils sont liés à la formation des commandants et aux questions de logistique, et ils ont pris naissance ici à Ottawa, au QGDN, qui était le grand responsable des opérations.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci.
Nous allons passer à M. Richardson, qui sera suivi de M. Clouthier, et nous reviendrons ensuite à M. Price.
M. John Richardson: Merci, monsieur le président.
Monsieur Desbarats, j'ai écouté attentivement vos commentaires au sujet de votre commission d'enquête, dont les travaux se sont traînés en longueur. Il vous a fallu beaucoup plus de temps que prévu.
M. Peter Desbarats: Nos travaux ont été à peu près aussi longs et aussi coûteux que ceux des autres commissions de même nature.
M. John Richardson: Vous avez des opinions bien arrêtées. Vous y avez droit, comme tous les autres citoyens du pays, mais pas plus.
M. Peter Desbarats: Je pense que c'est important. Je vous renvoie à un article publié à l'époque par le Globe and Mail...
M. John Richardson: Un instant. Vous venez de dire qu'une autre commission dirigée par un homme honorable, M. le juge Dickson, sans parler du général Belzile... Vous avez dit que vous n'aviez pas une haute opinion de cette commission. Quel genre de...
M. Peter Desbarats: Je ne critiquais pas le juge Dickson.
M. John Richardson: Ah, mais un instant! Il s'agit de son rapport.
M. Peter Desbarats: Je voulais parler de la constitution de ce groupe...
M. John Richardson: Eh bien, laissez-moi vous dire que ce commentaire m'a laissé un drôle de goût dans la bouche, venant de quelqu'un qui est censé être équilibré et objectif.
M. Peter Desbarats: Je suis très objectif.
M. John Richardson: Je répète que vous avez droit à votre opinion.
• 1200
Diverses mesures ont déjà été prises pour augmenter
l'indépendance du système de justice militaire: d'abord la mise en
place du bureau du Juge militaire en chef, qui constitue une unité
indépendante des Forces canadiennes depuis le 27 septembre 1997;
ensuite la création du Service national d'enquête, qui est
opérationnel depuis le 1er septembre 1997; et enfin, la mise en
place d'un service de police interne qui relève du vice-chef
d'état-major de la Défense, par l'entremise du prévôt, qui
fonctionne en dehors de la chaîne de commandement et qui, depuis le
30 novembre 1997, a le pouvoir de porter des accusations. Toutes
ces mesures découlent des recommandations de la commission
d'enquête sur la Somalie.
Le projet de loi C-25 accroîtra encore l'indépendance du système de justice militaire en séparant clairement les fonctions de poursuite, de défense, d'enquête et les fonctions judiciaires. En outre, les responsabilités du juge militaire en chef seront définies dans la Loi sur la défense nationale. Le projet de loi prévoit aussi la nomination, premièrement, d'un directeur des poursuites militaires qui sera désigné par le ministre, qui sera indépendant de la chaîne de commandement et qui prendra les décisions finales sur les procès à instruire en cour martiale et sur le genre de cour martiale chargée de les instruire, et deuxièmement, d'un directeur du service d'avocats de la défense qui sera lui aussi nommé par le ministre et qui sera le seul responsable des services juridiques offerts aux personnes mises en accusation et jugées en vertu du Code de discipline militaire.
De plus, la Loi sur la défense nationale sera modifiée de manière à permettre la création d'une Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire, ce qui permettra de surveiller le système de justice militaire de plus près; cette commission sera chargée de recevoir et d'examiner les plaintes présentées par qui que ce soit au sujet de la conduite de la police militaire, de même qu'au sujet des allégations d'ingérence indue de membres des Forces canadiennes ou de cadres supérieurs du ministère de la Défense nationale dans les enquêtes de la police militaire. Le projet de loi prévoit aussi la surveillance, par le JAG, de l'administration de la justice militaire au sein des Forces canadiennes; la présentation d'un rapport annuel public à la Chambre des communes, au Sénat et au JAG; et la création de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire et du Comité d'examen des griefs des Forces canadiennes.
La plupart de ces mesures découlent directement des suggestions de la commission d'enquête sur la Somalie, auxquelles sont venues s'ajouter les recommandations du rapport Dickson au sujet de la révision des Ordonnances et règlements royaux et de la Loi sur la défense nationale afin de simplifier et de modifier, là où c'était possible, le système de justice à l'intérieur des forces armées. C'est d'ailleurs également ce que recommandait votre commission.
Ne pensez-vous pas que ce projet de loi incorpore un bon nombre—et je pourrais continuer ma lecture encore longtemps—des recommandations émanant directement de la commission d'enquête sur la Somalie? Pensez-vous qu'il contient encore des lacunes intrinsèques simplement parce qu'il ne prévoit pas la nomination d'un inspecteur général? Il y a certainement des inspecteurs généraux dans diverses armées étrangères, mais il n'y en a pas partout; votre argument va donc dans les deux sens. Vous ne pouvez pas dire que c'est une solution parfaite simplement parce qu'il y en a un aux États-Unis. Prenons n'importe quel autre pays. Je pense que les Allemands ont été les premiers à avoir un inspecteur dans les années 50. Donc, il me semble que le projet de loi tient compte dans une large mesure des recommandations de la commission d'enquête sur la Somalie.
M. Peter Desbarats: Vous avez tout à fait raison, monsieur Richardson. J'ai essayé de le mentionner. Je suis content, en fait, que notre travail se reflète à ce point dans le projet de loi. Certains des éléments que vous avez énumérés sont soit identiques à ce que nous avons recommandé, soit largement inspirés des structures que nous avons suggérées. En ce sens, je suis très fier d'avoir siégé à une commission qui a été aussi utile au gouvernement. Mais nous aurions peut-être été encore plus utiles si nous avions pu terminer notre travail.
Évidemment, je ne suis pas parfaitement satisfait du projet de loi parce que je pense que certains éléments importants en ont été omis. J'ai dit dès le départ, quand le gouvernement a exposé sa réponse et annoncé qu'il avait rejeté l'idée de nommer un inspecteur général, que c'était à mon avis une omission importante dans le projet de loi.
Il y a d'autres points sur lesquels le projet de loi ne reflète pas exactement les structures que nous avions proposées. Dans nos recommandations—mais il faudrait que je vérifie dans le rapport—il me semble que nous proposions par exemple que le directeur de la police militaire relève du solliciteur général plutôt que du chef d'état-major de la Défense.
Il y avait aussi d'autres aspects au sujet desquels nous voulions ouvrir la porte un peu plus grand et assurer une transparence accrue à l'extérieur du système, mais le gouvernement n'a pas mis ces recommandations en oeuvre intégralement.
• 1205
Donc, je ne suis pas complètement satisfait du projet de loi,
mais je reconnais qu'il représente une amélioration substantielle
par rapport au système actuel.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci.
Monsieur Clouthier.
M. Hec Clouthier (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Lib.): Monsieur Desbarats, vous avez fait dans votre déclaration préliminaire un commentaire plutôt accablant sur la chaîne de commandement dans les Forces canadiennes. Vous avez dit, je pense: «plus le grade est élevé, plus la qualité laisse à désirer».
Notre comité a interrogé toutes sortes de gens, depuis les généraux jusqu'aux simples soldats. Je ne suis pas ici pour défendre les échelons supérieurs de la hiérarchie militaire canadienne, mais quand vous dites qu'il semble y avoir du favoritisme et que les gens les plus compétents ne sont jamais promus parce qu'ils ne sont pas copains-copains avec leurs supérieurs... Si j'étais un militaire canadien haut gradé, je serais plutôt mécontent.
Il est vrai que certains d'entre eux ont trouvé leur chemin de Damas après leur retraite, mais il me semble qu'il est beaucoup plus facile dans la plupart des cas—pas seulement dans ce cas-ci, mais dans la vie en général—de regarder en arrière et de dire qu'on aurait pu faire les choses autrement. Mais quand est dans le feu de l'action, on n'y pense pas toujours.
Je ne suis pas d'accord avec vous à ce sujet-là. Vous généralisez. Si nos hauts gradés étaient aussi incompétents, je ne vois pas comment notre armée pourrait être considérée partout à l'étranger comme une des mieux dirigées au monde.
M. Peter Desbarats: C'est parfois une illusion. En fait, pendant notre enquête, j'ai trouvé à mon grand étonnement un rapport sur une mission de maintien de la paix en Amérique centrale. J'ai bien peur d'avoir oublié le nom de l'ancien haut gradé canadien qui avait produit ce rapport, et je ne me souviens pas non plus du pays où cette mission avait eu lieu, mais ce rapport était très critique au sujet du comportement des militaires canadiens qui avaient participé à cette mission de maintien de la paix. Le Canada y était le moins bien coté des pays participants.
Je pourrais vous donner la référence exacte si j'avais le temps de la chercher, mais...
M. Hec Clouthier: N'importe qui peut citer un rapport isolé et dire... Je pourrais probablement en trouver d'autres qui diraient le contraire; il y en a sans doute un plus grand nombre où on peut lire que les militaires canadiens sont très respectés et très bien perçus dans le monde entier.
Je voulais simplement vous faire remarquer que vous généralisez, à mon avis, quand vous dites ce genre de chose.
M. Peter Desbarats: Ce commentaire résulte des deux ans que j'ai passés à interroger des militaires de haut rang, qui étaient souvent peu coopératifs, qui déformaient parfois la vérité et qui étaient froissés d'avoir à témoigner devant nous. En revanche, les soldats et les officiers subalternes que nous avons rencontrés dans les camps, et qui ressemblent à ceux à qui vous avez parlé depuis quelques mois, m'ont beaucoup impressionné dans bien des cas; ils m'ont semblé très attachés à un idéal militaire qui ne semble pas exister en haut de l'échelle, ou du moins qui semble y être très dilué.
Ils nous ont dit constamment que les officiers, du moins d'après l'idéal militaire traditionnel, doivent se mettre au service des hommes et des femmes qui relèvent d'eux. Ils mangent en dernier, après leurs soldats. On nous l'a dit des dizaines de fois.
Pourtant, c'est exactement le contraire qui s'est passé en Somalie. Les officiers supérieurs, à Ottawa, étaient uniquement préoccupés—je pense qu'on a parlé de «carriérisme»—de promotions, de pensions, de salaires, de grades, et ainsi de suite, et avaient tendance à oublier les besoins de leurs subalternes.
D'après les comptes rendus que j'ai lus dans les médias, votre comité a constaté lui-même les résultats de cet état de choses dans ses déplacements à travers le pays. Vous ne pensez pas que ça en dit long sur le leadership des gens qui ont comparu devant vous?
M. Hec Clouthier: Monsieur Desbarats, je suis plus familier avec le monde des affaires qu'avec celui de la politique, et une des choses qui ne cesse de me hérisser dans le domaine des affaires publiques, c'est que les gens ont généralement tendance à blâmer quelqu'un d'autre quand les choses ne vont pas comme ils le voudraient.
Passons maintenant à votre commentaire sur le fait que les incidents de Somalie ne se seraient pas produits si les soldats avaient été bien dirigés. J'ai du mal à accepter ce commentaire parce que, là encore, vous généralisez. Vous dites que c'est la faute des généraux ou des colonels si quelqu'un a réservé un mauvais traitement à un autre être humain.
• 1210
Il me semble vous avoir entendu dire que vous étiez doyen de
l'école de journalisme, ou que vous l'aviez déjà été, à
l'Université Western Ontario. Si un de vos étudiants commettait une
erreur, ou s'il faisait quelque chose de répréhensible, est-ce
qu'on dirait que Peter Desbarats manque de leadership? Je ne pense
pas. Les gens doivent être tenus personnellement responsables de
leurs actes.
M. Peter Desbarats: Si vous voulez parler de quelqu'un qui aurait été un de mes étudiants au moment où il se serait produit un incident lié à son rôle d'étudiant, alors oui, j'en aurais certainement été responsable.
M. Hec Clouthier: Donc, vous auriez démissionné et vous seriez parti, en acceptant l'entière responsabilité de la chose. Si un étudiant était allé faire un hold-up dans une banque, par exemple, vous auriez jugé que c'était votre faute.
M. Peter Desbarats: Non, parce qu'il ne l'aurait pas fait dans le cadre de ses cours. Si un soldat en permission fait un hold-up, ce n'est pas la faute de ses supérieurs. Mais s'il commet des vols à l'intérieur du camp, si son supérieur en a connaissance et s'il ne prend pas les mesures qui s'imposent, c'est lui qui est responsable.
Donc, en tant que doyen, j'aurais une certaine responsabilité à l'égard de ce que mes étudiants feraient dans le cadre de leurs cours.
M. Hec Clouthier: Un étudiant de l'Université Western Ontario pourrait donc se décharger de la responsabilité de ses actes en disant: «C'est la faute de Peter Desbarats». Même si vous ne le connaissiez pas, ce serait votre faute s'il écrivait par exemple un article scandaleux dans un journal local.
M. Peter Desbarats: Si les règles n'étaient pas claires, si elles n'avaient pas été expliquées à l'étudiant et si elles n'étaient pas bonnes, oui, ce pourrait être en partie ma faute. C'est exactement ce qui s'est passé en Somalie. Les règles n'étaient pas claires.
M. Hec Clouthier: Pourtant, il me semble qu'elles l'étaient.
M. Peter Desbarats: Non, elles ne l'étaient pas.
M. Hec Clouthier: Je pense qu'elles l'étaient. Elles disaient simplement qu'il ne fallait pas tuer les gens, non?
M. Peter Desbarats: À un certain moment, on a dit aux soldats déployés en Somalie qu'ils étaient autorisés à tuer les gens qui étaient soupçonnés de vol même s'ils n'étaient pas pris sur le fait et s'ils n'étaient pas en possession de biens volés.
M. Hec Clouthier: On leur a dit clairement...
M. Peter Desbarats: Oui, tout à fait.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci, monsieur Clouthier.
M. Hec Clouthier: Je n'ai pas fini.
Le vice-président (M. Bob Wood): Votre temps est écoulé.
Monsieur Price, et ensuite Mme Longfield.
M. David Price: Merci, monsieur le président.
Vous avez mentionné le cas du lieutenant-colonel Morneault, qui a demandé une ordonnance pour faire annuler les conclusions de la commission à son sujet. Les tribunaux ont jugé que vos commentaires défavorables à son endroit n'étaient pas justifiés.
Diriez-vous que c'est une autre preuve que le gouvernement essaie de discréditer vos conclusions et d'étouffer ce qui s'est passé en Somalie?
M. Peter Desbarats: Il ne fait aucun doute que le gouvernement se trouve en situation de conflit d'intérêts dans cette affaire. Il a critiqué publiquement notre enquête et il avait tellement peu confiance en nous qu'il a coupé court à nos travaux. Et voilà qu'il doit défendre notre rapport. D'après ce que nous avons vu jusqu'ici, du moins en ce qui me concerne, il ne le défend pas très efficacement; en fait, il le fait de façon tout à fait inepte.
Dans l'affaire Morneault, par exemple, le colonel Morneault a présenté un affidavit qui faisait environ 87 pages. Mais le gouvernement, lui, n'a pas produit d'affidavit; il s'est contenté d'une présentation pendant l'audience devant le tribunal, par un avocat du ministère de la Défense qui ne connaissait pas le dossier aussi bien qu'il l'aurait dû.
Il m'avait semblé qu'il y avait eu une entente selon laquelle un des avocats de la commission qui connaissait le dossier sur le bout de ses doigts jouerait un rôle essentiel dans cette affaire; mais cet avocat n'a jamais été convoqué. Il a appris par les médias que la cause avait été entendue et que la décision avait été rendue.
Ce qui me préoccupe également... Il me semble que j'aurais dû être consulté à mesure que l'affaire progressait. Ce n'est pas seulement le rapport de la commission qui est en cause; en un sens, ma réputation en a souffert également.
La commission n'existe plus comme telle; il ne reste plus que trois anciens commissaires. En fait, la commission n'a plus aucune existence juridique. Comme je l'ai découvert pendant l'enquête, il y trois anciens commissaires, qui ont été nommés de façon indépendante chacun de leur côté. Il se trouve qu'un d'entre eux a été désigné comme président. En fait, il n'est même pas approprié que le gouvernement consulte l'ancien président de la commission dans cette affaire. Je pense qu'il doit consulter tous les commissaires qui y ont été mêlés de près.
Mais absolument personne ne m'a consulté. J'ai appris les résultats du procès par les médias. C'est tout à fait inacceptable, à mon avis.
• 1215
Et maintenant, le gouvernement cherche à décider s'il doit en
appeler de cette décision. Il ne m'a pas envoyé copie du jugement.
Il n'a pas communiqué avec moi, et la décision de porter ou non la
cause en appel va se prendre tout à fait en dehors de moi, alors
que cette affaire me touche de très près. C'est déplorable.
M. David Price: J'ai l'impression qu'il va laisser tomber. Si c'est le cas, j'imagine que nous allons voir très bientôt le colonel Labbé en uniforme de général?
M. Peter Desbarats: Je ne sais pas. Nous n'avons pas encore vu la fin de la controverse que je lance aujourd'hui, c'est certain. Je vous ai parlé en mon nom personnel, mais je pense que les autres commissaires sont eux aussi extrêmement mécontents de toute cette histoire.
M. David Price: Pour en revenir à ce que M. O'Reilly a dit tout à l'heure, la commission Dickson a conclu que le système de justice militaire devait fonctionner aussi bien en temps de paix qu'en temps de guerre. Pensez-vous que le projet de loi va permettre d'améliorer les choses à cet égard-là?
M. Peter Desbarats: Il semble tenir compte du fait qu'il n'y a eu aucun conflit mondial généralisé depuis la Seconde Guerre mondiale. Je suppose que l'abolition de la peine de mort, qui s'imposait depuis longtemps, en est une reconnaissance symbolique dans le projet de loi.
M. David Price: Nous nous rapprochons de plus en plus d'un système civil, et évidemment aussi de notre...
M. Peter Desbarats: C'est tout le processus qui va être réorganisé, en effet.
M. David Price: Êtes-vous d'accord pour dire, comme l'a mentionné M. O'Reilly, que nous avons un ensemble de règles pour les activités qui se déroulent au Canada et un autre pour ce qui se passe dans les théâtres d'opérations? Pensez-vous que les règles devraient être les mêmes partout?
M. Peter Desbarats: En principe, oui, dans une large mesure. Je pense que les progrès que nous constatons dans le projet de loi reflètent la réalité militaire d'aujourd'hui, et non celle d'hier.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci, monsieur Price. Nous allons maintenant laisser la parole à Mme Longfield, après quoi M. Clouthier pourra poser une dernière question.
Mme Judi Longfield (Whitby—Ajax, Lib.): Merci.
Merci, monsieur Desbarats. Je vous suis reconnaissante d'être venu aujourd'hui; j'avais un certain nombre de questions pour vous, mais plusieurs vous ont déjà été posées. Je voudrais toutefois revenir... Je ne veux pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais est-il juste d'affirmer que les mesures de réforme que le gouvernement adoptera ne seront efficaces à vos yeux que si elles établissent une séparation entre la justice militaire et la chaîne de commandement? Est-ce que j'ai raison de dire que c'est selon ce critère-là que vous allez évaluer notre réponse?
M. Peter Desbarats: Oui; dans la mesure du possible, oui.
Mme Judi Longfield: D'accord. J'aimerais donc vous poser des questions sur certaines des mesures que nous avons prises dans ce sens-là, même si nous n'avons pas suivi vos recommandations à la lettre.
Si je comprends bien, une des choses qui vous irrite le plus—ou plutôt, pour employer un terme plus juste, qui vous déçoit le plus—c'est que le gouvernement ne créera pas de poste d'inspecteur général, en particulier parce que vous aviez prévu que cet inspecteur général aurait le pouvoir d'intenter des poursuites.
M. Peter Desbarats: En effet.
Mme Judi Longfield: Bien.
Le Service national d'enquête, qui existe déjà, par suite des suggestions du groupe Dickson et de l'autre groupe consultatif, dispose de pouvoirs indépendants. Il ne relève pas directement de la chaîne de commandement, et il est habilité à intenter des poursuites et à porter des accusations. Est-ce que ce changement répond dans une certaine mesure à votre recommandation sur la nécessité d'avoir quelqu'un qui puisse porter des accusations en dehors de la chaîne de commandement?
M. Peter Desbarats: J'ai bien peur de ne pas connaître assez bien tous les détails concernant le SNE pour vous donner une réponse éclairée. De qui relève-t-il?
Mme Judi Longfield: Il est indépendant. D'après ce que je comprends, il relève directement du ministre, mais il faudrait que je vérifie. Je ne connais pas très bien le SNE moi non plus. J'espérais que vous pourriez m'aider. Peut-être que si nous essayons tous les deux de trouver cette information, si vous vous renseignez sur ce qu'il est censé faire et si ça répond jusqu'à un certain point à vos préoccupations... parce qu'on m'avait laissé entendre que oui, alors j'aimerais...
On me dit qu'il relève du VCEMD.
M. Peter Desbarats: Eh bien, ce n'est pas en dehors de la chaîne de commandement.
Mme Judi Longfield: Mais ce serait au-dessus de la chaîne de commandement opérationnel.
M. Peter Desbarats: Ça ne ressemble donc pas, sur ce point très important, à ce que nous proposions au sujet de la création d'un poste d'inspecteur général.
Mme Judi Longfield: D'accord. Merci.
• 1220
Passons maintenant à la question du JAG. Il relève
actuellement du chef d'état-major de la Défense et, selon les
modifications proposées, il relèverait désormais du ministre de la
Défense nationale. En ce sens, à votre avis...
M. Peter Desbarats: Je pense que c'est une amélioration, effectivement.
Mme Judi Longfield: D'accord. Un des témoins précédents estimait que nous devrions préciser encore plus clairement que le JAG ne... Je pense que le projet de loi dit seulement qu'il relève du ministre de la Défense nationale, mais ce témoin voulait que nous précisions qu'il n'avait absolument aucun compte à rendre au CEMD ni au sous-ministre. Pensez-vous que cette clarification soit nécessaire ou si le texte actuel est suffisant...
M. Peter Desbarats: Je dois dire que je n'ai pas beaucoup réfléchi à cet aspect de la question. Mais il me semble qu'il est bon d'insister sur le fait que le JAG relève du ministre et qu'il est indépendant de la chaîne de commandement; c'est un bon principe à suivre, en effet.
Mme Judi Longfield: M. Bland a également laissé entendre que nous devrions décrire très clairement les fonctions du sous-ministre, peut-être dans le projet de loi.
M. Peter Desbarats: Oui. Nous en avons beaucoup discuté à la commission, particulièrement avec Doug Bland, qui était un de nos conseillers, comme vous le savez; un conseiller très précieux, d'ailleurs. Nous avons beaucoup discuté de la confusion des rôles et des responsabilités du chef d'état-major de la Défense et du sous-ministre. Je pense qu'il y a eu un certain progrès depuis la parution de notre rapport, pour essayer de démêler les choses. Par exemple, quand il y a des ordres à signer, ils ne les signent plus nécessairement ensemble; ils les signent à titre individuel. Nous avons certainement eu l'impression qu'il y avait des chevauchements et une confusion des responsabilités en haut de la pyramide, ce qui entretien la confusion à tous les échelons.
Donc, je serais probablement du même avis que Doug Bland sur bien des points. Ses arguments nous ont paru très valables.
Mme Judi Longfield: Mais pensez-vous qu'il soit nécessaire de préciser tout ça dans le projet de loi ou si ça pourrait se faire ailleurs?
M. Peter Desbarats: Ce serait probablement plus efficace si c'était précisé dans le projet de loi. Étant donné qu'il s'agit de postes de haut niveau, il ne serait pas inapproprié d'en parler dans la loi.
Mme Judi Longfield: Croyez-vous également, par conséquent, comme l'a dit M. Bland, que nous devrions préciser très clairement quel devrait être le rôle du VCEMD en l'absence du CEMD? Je pense que M. Bland a dit que le VCEMD prendrait la relève du CEMD quand ce dernier serait empêché ou qu'il pourrait agir temporairement selon ses directives.
M. Peter Desbarats: À mon avis, il est important que la description des tâches soit aussi précise que possible pour les postes de ce niveau-là; pourtant, quand nous avons examiné certains de ces postes, nous avons eu l'impression qu'il y avait une certaine confusion à cet égard. Pour ce qui est de savoir jusqu'à quel niveau de la hiérarchie il faudrait inclure une description détaillée des tâches dans le projet de loi, je n'en suis pas certain. À part pour les postes de très haut niveau, il serait peut-être préférable de procéder par règlement. Mais je ne peux vraiment pas vous dire à partir de quel niveau.
Mme Judi Longfield: Merci.
Le vice-président (M. Bob Wood): Monsieur Clouthier, une dernière question.
M. Hec Clouthier: Monsieur Desbarats, je ne vous poserai pas la question que j'avais l'intention de vous poser parce que Judi vient de mentionner le nom de Doug Bland. Il nous a dit ce matin que, en définitive, la responsabilité devrait reposer sur les parlementaires, c'est-à-dire sur nous, les députés élus. Vous avez mentionné vous aussi ce matin... Vous avez dit qu'à votre avis, la transparence était primordiale. Seriez-vous d'accord pour dire que notre comité, qui se compose de parlementaires de tous les partis, assurera effectivement cette transparence au moment du dépôt du projet de loi C-25 parce que nous devrons rendre des comptes à nos électeurs?
Vous, par exemple, monsieur Desbarats, et les deux autres commissaires chargés de l'enquête sur la Somalie... Il y a une dichotomie entre votre opinion et la mienne à ce sujet-là. J'ai peut-être un préjugé, mais j'aurais préféré que ce soit notre comité qui soit chargé de l'enquête sur la Somalie parce que nous devons rendre des comptes à la population canadienne, tandis qu'en définitive, Peter Desbarats n'a de comptes à rendre qu'à lui-même. Vous n'avez pas à vous faire réélire.
Donc, je ne sais pas si vous serez d'accord avec moi, mais il me semble qu'un comité comme le nôtre aurait dû être chargé de l'enquête sur la Somalie, ou d'autres enquêtes d'ailleurs. À toutes fins utiles, c'est essentiellement... En un sens, nous parcourons le pays pour recueillir les dépositions de militaires de tous les niveaux. Nous allons soumettre notre rapport, et il y aura fort probablement des différences d'opinion entre nous-mêmes et les députés de l'autre côté. Mais pour finir, nous allons soumettre le projet de loi C-25 et nous allons avoir des comptes à rendre parce que, si la population canadienne juge que nous avons fait une erreur, eh bien, aux prochaines élections, comme on dit à Ottawa, nous sommes cuits.
M. Peter Desbarats: Je souhaite que le Parlement joue un aussi grand rôle que possible, en effet. Mais je pense qu'il y aura toujours des situations très délicates, très difficiles...
M. Hec Clouthier: Nous en avons l'habitude.
M. Peter Desbarats: ... à confier à des parlementaires; dans ces cas-là, la tenue d'une enquête publique indépendante est le seul mécanisme qui semble à la fois satisfaire la population et répondre aux impératifs politiques. Il y a aura sûrement encore des enquêtes publiques comme la nôtre. Il sera beaucoup plus difficile de recruter des gens pour s'en occuper, à cause de notre expérience, mais c'est une toute autre histoire.
M. Hec Clouthier: Monsieur Desbarats, laissez-moi vous dire qu'il n'y a pas de groupe plus indépendant d'esprit que celui qui est assis autour de cette table parce que nous avons cinq partis politiques représentés ici. Donc, il y a nécessairement quelques divergences d'opinion.
M. Peter Desbarats: Si un comité parlementaire pouvait fonctionner avec l'unité nécessaire et s'il pouvait obtenir des ressources suffisantes—et elles sont substantielles—pour procéder à une enquête approfondie, il pourrait constituer une tribune appropriée. Mais ce ne sont pas des conditions faciles à remplir.
M. Hec Clouthier: Bon. Donc, vous appuyez notre comité. C'est bien.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci beaucoup, monsieur Clouthier.
Monsieur Desbarats, je vous remercie d'être venu nous rencontrer ce matin. Nous avons certainement apprécié votre franc-parler. Nous sommes heureux que vous soyez venu.
M. Peter Desbarats: Plus j'ai couvert la politique, moins j'ai voulu en faire.
Le vice-président (M. Bob Wood): Je vais maintenant lever la séance. Nous nous réunirons à nouveau cet après-midi à la pièce 536 de l'immeuble Wellington. Merci.