AANO Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 28 mai 2013
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte. Nous en sommes à la 75e réunion du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord.
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi S-8. Nous avons le privilège de recevoir des témoins provenant de différentes régions du pays. Nous leur sommes reconnaissants d'avoir bien voulu se déplacer jusqu'ici pour nous dire ce qu'ils pensent de ce projet de loi.
Chers collègues, je vous signale quelques changements mineurs quant à l'ordre des témoins que nous entendrons. Nous allons d'abord recevoir les représentants des communautés des Premières Nations, puis nous consacrerons les 45 dernières minutes de la séance à ceux de l'Association du Barreau canadien et de l'Association canadienne du droit de l'environnement. Nous allons donc séparer nos témoins en deux groupes bien distincts, ce qui nous permettra un examen plus cohérent du projet de loi. Les renseignements que nous vous avons transmis auraient pu être plus clairs à ce sujet; j'en suis désolé.
Sans plus tarder, nous allons donner la parole aux représentants des Premières Nations de différentes régions du pays. Nous allons débuter avec ceux du Conseil des Mohawks d'Akwesasne et je crois que c'est le grand chef par intérim, Brian David, qui va partir le bal. Chaque groupe aura droit à 10 minutes après quoi nous vous poserons des questions.
À vous la parole.
Sge:no swa:gwego. Bonjour.
Le président: Bonjour.
M. Brian David: Notre communauté d'Akwesasne a une population de 16 000 personnes. Pour ceux qui l'ignoreraient, elle est traversée par une frontière internationale et une limite provinciale. C'est pour cette raison que nous avons négocié au début des années 1990 un protocole d'entente avec le Canada pour tenir compte des circonstances et des problèmes particuliers découlant de cette cohabitation de plusieurs instances gouvernementales.
Depuis plusieurs années, nous participons activement aux discussions concernant l'élaboration d'une loi fédérale sur la salubrité de l'eau potable pour les Premières Nations. L'an dernier, le Conseil Mohawk d'Akwesasne a témoigné devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et soumis un mémoire écrit concernant le projet de loi S-8.
Les Premières Nations ont malheureusement perdu la possibilité d'exprimer leurs points de vue dans le contexte du groupe d'experts au moment de la rédaction du projet de loi S-8. Nous estimons que le gouvernement a négligé de procéder aux consultations et aux aménagement nécessaires. Je crois d'ailleurs que c'est l'une des raisons qui expliquent les lacunes que nous souhaitons soulever devant votre comité aujourd'hui.
Comme je l'ai mentionné, nous avons franchi différentes étapes dans nos négociations avec le Canada au sujet de l'autonomie gouvernementale. Il y a d'abord eu ce protocole d'entente, puis d'intenses négociations en vue d'une entente sectorielle sur les terres et les successions. Nous avons également conclu un accord de principe en matière de gouvernance et de relations intergouvernementales. Nous sommes donc très actifs sur le plan des négociations concernant l'autonomie gouvernementale avec le Canada.
Notre démarche s'appuie sur ce protocole d'entente dont je viens de vous parler. Les dispositions relatives à la réglementation touchant l'eau potable sont déjà prévues en annexe à ce protocole. Ce projet de loi vise à remplacer ces dispositions, ce qui nous préoccupe beaucoup. L'entente sectorielle sur les terres et les successions en cours de négociation portera sur bon nombre des questions dont traite le projet de loi fédéral. Nous estimons et nous avons toujours estimé que les Premières Nations ont la capacité d'établir leurs propres normes en matière de qualité de l'eau, et d'élaborer la réglementation nécessaire à cet effet. Nous avons d'ailleurs une tradition qui en témoigne. Nous devons toutefois procéder d'une manière qui respecte les normes établies par le gouvernement fédéral et les provinces. Toutes les mesures à prendre devraient être laissées à la responsabilité des Premières Nations, car chacune d'elle vit une situation bien particulière dans sa région du pays.
Nous nous préoccupons tout particulièrement de la clause dérogatoire, l'article 3 du projet de loi S-8. Cette clause permet d'empiéter sur les droits ancestraux ou issus de traités dans la mesure où cela est nécessaire pour assurer la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières Nations. Nous nous opposons vivement à cet article 3 qui permet de déroger à l'application de ces droits garantis aux Autochtones en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La protection de la nature, y compris les ressources aquatiques, est implicitement associée au respect des droits ancestraux et issus de traités. Ces droits sont fondés sur la volonté de vivre en paix et en harmonie avec l'environnement qui nous entoure. Les eaux sont considérées comme les artères vitales de notre terre mère, et notre survie dépend de notre capacité à en assurer la salubrité. Il n'est nullement nécessaire de prévoir une clause dérogatoire qui nous priverait de ces droits qui assurent déjà la protection des eaux et, par le fait même, la santé et la sécurité de nos gens.
Si les lois provinciales sur la gestion des eaux reconnaissent déjà et confirment les droits conférés aux Autochtones en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, la loi fédérale proposée en la matière devrait à la fois respecter les protections prévues dans la Constitution et les dispositions provinciales qui les reconnaissent. Il est donc fortement recommandé de réviser l'article 3 du projet de loi S-8 afin qu'il tienne compte de la Loi constitutionnelle et des lois provinciales sur la gestion des eaux en adoptant un libellé semblable à celui-ci:
Il est entendu que la présente loi et les règlements ne portent pas atteinte aux droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada visés à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Je vais maintenant laisser la parole à mon collègue, M. Jim Ransom.
Bonjour. Je vais vous parler plus particulièrement des règlements proposés dans le projet de loi S-8.
Je m'appelle Jim Ransom. Je suis directeur de Tehotiiennaakon et je supervise pour le compte du Conseil des Mohawks d'Akwesasne les mesures prises au chapitre de l'environnement, du développement économique et des situations d'urgence. Je vais traiter principalement des articles 4, 5 et 6 qui constituent l'essentiel du projet de loi S-8.
Bien que nous soyons favorables à l'application de normes appropriées pour assurer la salubrité de l'eau potable, nous ne pouvons pas appuyer le projet de loi S-8 dans sa forme actuelle. Pour ce qui est des normes à établir, nous avons préparé une proposition en vue de l'élaboration de notre propre cadre réglementaire en matière d'eau potable. Nous l'avons soumise à Affaires autochtones et Développement du Grand Nord Canada.
Il s'agit d'une proposition détaillée qui va au-delà des exigences prévues dans le projet de loi S-8. Elle a été préparée en collaboration avec les provinces de l'Ontario et du Québec. Il est important à nos yeux d'établir les relations nécessaires en s'appuyant sur nos intérêts communs en vue d'assurer la salubrité de l'eau potable pour tous les Canadiens. Nous avons d'ailleurs des lettres de soutien des ministres de l'Environnement de l'Ontario et du Québec qui appuient notre approche.
Cette approche n'est toutefois aucunement prise en compte dans le cadre du projet de loi S-8. Les articles 4, 5, 6 et 7 nous relèguent plutôt en marge du processus réglementaire. Le paragraphe 5(1) reconnaît que nous sommes propriétaires de nos systèmes d'alimentation en eau potable, mais ne nous donne pas le pouvoir d'assurer nous-mêmes la réglementation de ces systèmes. On nous en transfère plutôt la responsabilité sans tenir compte de la condition des actifs transférés, une opération vouée à l'échec en l'absence des ressources suffisantes pour veiller à ce que les systèmes transférés puissent être maintenus dans un état assurant la salubrité de l'eau potable.
Le projet de loi S-8 reconnaît les lois provinciales applicables, mais pas celles des Premières Nations. L'article 6 autorise le ministre des Affaires indiennes et le ministre de la Santé à conclure un accord « avec toute province, toute société ou tout autre organisme pour l'exécution et le contrôle d'application des règlements », mais ne permet pas la même chose avec les Premières Nations.
Nous avons une recommandation à formuler pour régler ces préoccupations. Il faudrait que les articles 4, 5 et 6 soient modifiés de manière à inclure les Premières Nations parmi les entités auxquelles il est possible de conférer les pouvoirs législatifs, administratifs, judiciaires et autres nécessaires pour assurer une réglementation efficace des systèmes d'alimentation en eau potable et de traitement des eaux usées. Autrement dit, il ne suffit pas de nous reconnaître comme propriétaires, il faut également nous confier la responsabilité de la réglementation de nos propres systèmes. Les règlements devraient être élaborés avec la contribution active des Premières Nations et en pleine reconnaissance de leur compétence et de leurs pouvoirs en la matière.
Nous nous inquiétons enfin du fait que le projet de loi S-8 donne préséance à la compétence des provinces à l'égard des systèmes d'alimentation en eau potable des Premières Nations. Cette approche ne tient tout simplement pas compte de la réalité. Les lois provinciales sur la gestion des eaux ont été élaborées en fonction d'une clientèle différente. Elles ont été conçues pour répondre aux besoins des municipalités. La réalité des Premières Nations n'a pas été prise en considération.
Les Premières Nations vivent des situations particulières que les provinces négligent de considérer. Nous avons des traditions culturelles qui ne sont pas prises en compte. Dans bien des cas, les opérateurs de nos systèmes locaux n'ont pas suivi une formation satisfaisant aux normes provinciales.
En outre, la façon de gérer les systèmes d'alimentation en eau potable et de traitement des eaux usées dans une réserve ou une collectivité éloignée est totalement différente de ce qui peut se faire, par exemple, à Toronto ou à Ottawa. C'est un autre élément qui n'est pas considéré.
Comme notre territoire est partagé entre deux provinces, vers laquelle devrons-nous nous tourner si vous conférez ces pouvoirs aux autorités provinciales? Voilà une autre question qui se pose dans notre situation tout à fait particulière.
Nous estimons que ce projet de loi pourrait être amélioré par l'ajout de dispositions permettant aux Premières Nations — ou à des regroupements de Premières Nations conjuguant leurs efforts — d'établir leur propre réglementation lorsqu'elles ont la capacité de le faire. C'est l'orientation que prennent actuellement les provinces du fait des compressions budgétaires. Elles essaient de se retirer du processus réglementaire. Et voilà que vous transférez soudain ces responsabilités à 133 Premières Nations ontariennes, sans y adjoindre les ressources suffisantes.
Nous avons parlé aux dirigeants de ces Premières Nations. Ils ne sont pas prêts à assumer ce fardeau. Nous sommes par contre tout à fait disposés à le faire, car nous considérons que c'est une responsabilité qui nous incombe.
Je vais maintenant laisser la parole à mon collègue, Micha Menczer.
Comme nous avons déjà dépassé le temps prévu pour l'exposé du premier groupe, il faudra que vous soyez très bref. Nous voulons entendre ce que vous avez à nous dire, mais il ne faudrait pas empiéter sur le temps des autres témoins.
Vous avez la parole.
Bonjour à tous. Je m'appelle Micha Menczer et je suis le conseiller juridique des Mohawks d'Akwesasne.
Je serai bref. Vous trouverez plus de détails dans le mémoire inclus dans la trousse que nous vous avons soumise, mais j'aimerais traiter avec vous de quelques-unes des solutions proposées par le Conseil d'Akwesasne. Mes collègues ont déjà abordé la question, mais je veux revenir sur deux points en particulier.
Vous trouverez également dans notre trousse une copie du protocole politique conclu entre Akwesasne et le Canada en 1998, et récemment renouvelé en 2012 pour une période de 10 ans. Ce protocole reconnaît vraiment la nature pluriterritoriale d'Akwesasne et les problèmes que nous cause la présence d'une frontière internationale et d'une limite interprovinciale sur notre territoire. Lorsqu'une seule collectivité tombe sous le coup d'aussi nombreuses administrations, la gouvernance devient bien difficile tant pour le Conseil Mohawk que pour ces instances extérieures.
Ce protocole témoigne en outre d'un engagement à rechercher des solutions novatrices pour cette problématique tout à fait particulière. Aucune autre Première Nation au Canada ne se retrouve dans des circonstances semblables.
On entend toutes sortes de choses dans les médias au sujet d'Akwesasne. Ceux d'entre vous qui ont eu l'occasion de nous visiter savez pertinemment que nous formons une collectivité forte et bien gouvernée, ce que ce protocole reconnaît pleinement. Il faut maintenant se demander dans quelle mesure le projet de loi en tient compte.
J'aimerais aussi vous parler des deux accords de principe conclus au printemps 2012 entre Akwesasne et les négociateurs en chef du Canada. Notre trousse renferme également des copies de ces accords portant respectivement sur les terres et les successions, ainsi que la gouvernance et les relations intergouvernementales.
Le ministre des Affaires autochtones a récemment reçu l'approbation du Cabinet, et nous allons amorcer cet été les négociations en vue d'un accord final qui reconnaîtra la compétence d'Akwesasne à l'égard de la réglementation et des normes applicables à la gestion des eaux et au traitement des eaux usées. En vertu de l'article 14 du projet de loi, celui-ci ne sera pas applicable à Akwesasne une fois cet accord conclu, à moins que le conseil demande que son nom soit ajouté à l'annexe, comme vous le savez.
Alors, comment tenir compte de cette situation pluriterritoriale tout à fait particulière d'Akwesasne? Nous avons deux recommandations à ce sujet.
Tout d'abord, en vertu du paragraphe 5(4) du projet de loi, des règlements peuvent être pris afin d'exempter une Première Nation de l'application totale ou partielle du projet de loi. Du fait de notre nature pluriterritoriale dont Jim vous a déjà parlé et qui est expliquée plus en détail dans notre mémoire écrit, il devient difficile d'obtenir un système cohérent lorsque l'Ontario et le Québec cherchent à exercer leur gouvernance dans les portions de notre collectivité relevant de leurs responsabilités respectives. Nous recommandons donc que le paragraphe 5(4) prévoie aussi la prise d'un règlement qui établirait un régime particulier pour Akwesasne, une collectivité dont la situation est unique au Canada.
Par ailleurs, il y a aussi le fait que d'autres projets de loi, comme le projet de loi S-2 qui traite des biens matrimoniaux et immobiliers, prévoient une période de transition pour permettre aux Premières Nations ayant des codes fonciers d'élaborer leurs propres lois avant que le projet de loi entre en vigueur. Même la Loi sur la gouvernance des Premières Nations adoptée en 2002, qui était imparfaite à bien des égards, comportait une disposition intéressante — l'article 34, si je ne m'abuse — accordant aux Premières Nations une période de trois ans pour finaliser et ratifier des accords d'autonomie gouvernementale qui les exempteraient de l'application du projet de loi.
Nous aimerions retrouver la même chose dans ce projet de loi-ci pour Akwesasne. Nous allons entreprendre les négociations d'un accord final cet été. Je vais d'ailleurs rencontrer dès demain les négociateurs fédéraux afin d'établir le calendrier de ces négociations.
Il n'est pas vraiment logique d'effectuer tout ce travail pour voir le projet de loi entrer en vigueur et devoir ensuite revenir en arrière. Nous préconisons donc, conformément à ce que prévoit le projet de loi S-2 ainsi que la Loi sur la gouvernance, une période de transition de trois ans qui nous permettra de parachever ce travail avec les négociateurs canadiens en vue de reconnaître la compétence du conseil d'Akwesasne.
Il y aurait encore tant à dire, mais je veux aussi souligner que la situation particulière d'Akwesasne a été reconnue par le Canada, par les gouvernements libéraux et les gouvernements conservateurs, dans le cadre du protocole politique qui convient de la nécessité de chercher des solutions. La capacité en place a été bien établie. Nous avons des installations de toute première qualité. Lorsque le ministre Duncan était en poste, il a eu des commentaires extrêmement favorables à la suite d'une visite chez nous. Le grand chef a d'ailleurs invité les membres du comité à venir le constater par eux-mêmes.
Il y a donc une capacité en place, un fondement juridique découlant des négociations sur l'autonomie gouvernementale qui approchent d'une conclusion, et la reconnaissance de notre caractère particulier via le protocole politique.
Voilà pour l'essentiel de nos demandes.
Merci pour tous ces renseignements. Nous allons distribuer vos documents.
Écoutons maintenant le chef Weaselhead de la tribu des Blood en Alberta.
[Le témoin s'exprime dans la langue des Pieds-Noirs]
Bonjour à vous, monsieur le président, ainsi qu'aux membres du comité permanent. Au nom de la tribu des Blood, je vous remercie de me donner l'occasion de vous entretenir de projet de loi S-8.
Comme vous le savez, la tribu des Blood a une population d'un peu plus de 12 000 personnes occupant un assez vaste territoire. Le projet de loi S-8 va donc nous affecter non seulement du point de vue de notre constitution, mais aussi via son application par voie réglementaire dans notre collectivité.
Comme vous le savez, la tribu des Blood a déjà soumis des mémoires et des exposés pour exprimer ses préoccupations à l'égard de ces mesures d'abord présentées dans le cadre du projet de loi S-11. Malheureusement, nos efforts n'ont pas porté fruit, car le projet de loi S-8 actuellement proposé ne permettra pas d'assurer la salubrité de l'eau potable pour les Premières Nations. Il mettra plutôt en place un cadre législatif qui conférera les obligations et la responsabilité à l'égard des systèmes d'alimentation en eau potable aux chefs et aux conseils des Premières Nations sans toutefois leur donner les ressources financières et les capacités nécessaires pour s'acquitter de ces responsabilités. L'annexe A précise l'ampleur des ressources requises pour faire le nécessaire en matière d'alimentation en eau potable et de traitement des eaux usées.
En transférant ces responsabilités aux Premières Nations, le projet de loi S-8 libère les gouvernements fédéral et provinciaux de toute obligation. Nous ne croyons pas que la Couronne fédérale s'acquitte ainsi adéquatement de sa responsabilité fiduciaire envers les Premières Nations, une responsabilité reconnue par la Cour suprême. Je répète que le projet de loi S-8 n'assurera pas la salubrité de l'eau potable pour les Premières Nations. Il ne fera qu'imposer aux gouvernements des Premières Nations une responsabilité additionnelle sans leur fournir les ressources suffisantes à cette fin. Lorsque les Premières Nations ne parviendront pas à s'acquitter de cette responsabilité, on considérera qu'elles ont enfreint la loi et on pourra leur imposer des mesures punitives. C'est la situation dans laquelle nous nous retrouverons si le projet de loi S-8 est adopté.
Je suis déjà intervenu au sujet du projet de loi S-11, et c'est précisément ce qu'on cherchait à faire valoir, à savoir que la priorité principale consistait à offrir aux Premières Nations les ressources suffisantes avant l'application de la réglementation ou de la loi. En quoi ce qui est proposé ici pourra permettre de garantir la salubrité de l'eau potable pour les collectivités des Premières Nations? Comment peut-on y voir une solution à l'état désespérant et déplorable des systèmes d'alimentation en eau potable des Premières Nations qui a retenu l'attention à l'échelle internationale?
En mai 2003, l'évaluation menée par le ministère des Affaires indiennes lui-même, a déterminé que 75 p. 100 des systèmes de gestion des eaux des Premières Nations représentaient un risque et exigeaient des investissements majeurs à la suite de décennies de négligence. En 2006, l'étude du groupe d'experts sur la salubrité de l'eau potable dans les collectivités des Premières Nations, une étude financée par le gouvernement fédéral, a révélé que le problème principal résidait dans l'insuffisance des ressources consacrées à ces systèmes et recommandait l'octroi des ressources nécessaires comme condition préalable à toute loi. Nous l'indiquons d'ailleurs clairement à l'annexe A de notre mémoire.
Le groupe d'experts a conclu qu'un régime réglementaire n'était pas la solution. L'établissement et l'imposition d'un tel régime exigeraient du temps, de l'attention et des fonds qui seraient sans doute mieux investis si on les consacrait aux systèmes, aux opérateurs, à la gestion et à la gouvernance.
Dans son rapport final de 2007 sur la salubrité de l'eau potable pour les Premières Nations, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a recommandé que le manque de ressources à leur disposition pour leurs systèmes de gestion des eaux soit comblé préalablement à l'adoption de toute nouvelle loi, et que les Premières Nations soient consultées lors de l'élaboration de nouvelles mesures législatives.
Plus récemment, l'évaluation technique nationale des systèmes d'eau potable des Premières Nations qui a été commandée par le gouvernement fédéral a révélé qu'un investissement de 4,9 milliards de dollars est requis pour veiller à ce que les membres des Premières Nations aient droit à des services d'alimentation en eau potable de même qualité que les autres Canadiens. De ce total, on aurait besoin de 162 millions de dollars en Alberta et de 30 millions de dollars pour la tribu des Blood. Les Nations Unies ont reconnu le droit de chacun à l'accès à de l'eau potable salubre. En l'absence de l'investissement requis de 4,9 milliards de dollars pour les systèmes d'alimentation en eau potable des Premières Nations, ce projet de loi contreviendrait aux droits de la personne en la matière.
L'évaluation technique nationale a également permis de constater qu'en Alberta, 64 p. 100 des systèmes d'eau n'étaient pas sous la responsabilité d'opérateurs qualifiés, faute de moyens. Seulement trois des 82 systèmes d'eau des Premières Nations fonctionnent sans risque. Les systèmes d'eau d'environ 26 p. 100 des Premières Nations présentent un risque élevé et auraient besoin de correctifs immédiats.
Les rapports, les groupes d'examen et les comités sur les systèmes d'alimentation en eau potable des Premières Nations tirent tous la même conclusion: la seule façon de garantir la sûreté de l'eau potable des Premières Nations, c'est d'y investir les ressources. À elles seules, les lois ne peuvent garantir la salubrité de l'eau potable. Comment quiconque pourrait-il adopter ce projet de loi contre l'avis d'experts crédibles? Il faut combler le manque à gagner de 4,9 milliards de dollars. Ce n'est qu'à partir de là qu'on pourra commencer à garantir la sûreté de l'eau dans les communautés des Premières Nations.
Pour ce qui est des droits, certains prétendent que ce projet de loi ne porte pas sur des droits. Ce n'est pas vrai. Notre priorité est et a toujours été d'assurer la salubrité de l'eau potable pour notre population. Cependant, non seulement le projet de loi S-8 ne permettra pas de l'assurer, mais il soulève de graves problèmes juridiques à prendre en considération. Il n'y a notamment pas eu de consultations.
Le Canada est tenu par la loi de consulter de façon tangible la tribu des Blood lorsqu'il envisage de prendre des mesures susceptibles d’avoir une incidence sur les droits des Autochtones et les droits issus de traités protégés par la Constitution. Compte tenu que le projet de loi prévoit la dérogation à ces droits, le Canada est dans l’obligation de la consulter, mais la tribu des Blood n’a pas été consultée.
Au sujet des pouvoirs du conseil de bande, en vertu de la Loi sur les Indiens, le conseil de bande de la tribu des Blood a le pouvoir d'adopter des règlements encadrant la construction et la réglementation des puits, des citernes, des réservoirs et d'autres systèmes d'approvisionnement en eau. Le projet de loi prévoit que ses règlements peuvent avoir préséance sur n'importe lequel de nos règlements, y compris ceux que nous adoptons sur ces questions en vertu de la Loi sur les Indiens. Ainsi, les règlements en application du projet de loi usurperaient notre pouvoir statutaire d'adopter nos règlements.
Le groupe d'experts sur l'eau potable des Premières Nations a effectué une analyse juridique indépendante sur les droits découlant de l'article 35 et a conclu que les Premières Nations jouissaient du droit d'autonomie gouvernementale sur l'eau dans leurs communautés, un droit qui s'appuie sur une base juridique rigoureuse. Le Canada a refusé de nous consulter sur les incidences du projet de loi S-8 à cet égard.
Le projet de loi prévoit aussi conférer des pouvoirs législatifs, administratifs, judiciaires et autres très larges à des tiers inconnus, qui peuvent notamment confier à une personne ou à une entité indéterminée la gestion de notre système d'eau potable. En gros, il pourrait même nous pénaliser par l'imposition de peines d'emprisonnement, d'amendes ou les deux si nous ne respectons pas les règlements. Le projet de loi autorise également ces tiers à saisir et à détenir des biens au moment de la vérification de la conformité aux règlements et à obtenir des mandats de perquisition.
Sur l'imposition de responsabilités, le projet de loi donne le pouvoir de nous désigner comme les propriétaires d'un réseau d'alimentation en eau qui n'est pas le nôtre. Étant considérés comme des propriétaires, nous aurions incidemment certaines responsabilités qui, autrement, ne nous incomberaient pas. En même temps, le projet de loi accorde aux tiers, ainsi qu'aux représentants fédéraux et provinciaux, une protection étendue en matière de responsabilité.
Concernant la Déclaration de l'ONU sur les droits des peuples autochtones, le Canada a endossé cette déclaration, qui dicte que les lois de cette nature doivent être élaborées avec le consentement libre, préalable et informé des peuples autochtones. Une séance de mobilisation d'une demi-journée sur la loi ne répond pas à ce critère.
Que faire maintenant?
Nous avons élaboré un profil de la tribu des Blood que nous avons joint à titre d'annexe A au présent mémoire. En vertu de nos principes tribaux, exprimés dans Kainayssini, nous sommes dans l'obligation de protéger nos droits. Le projet de loi S-8 propose d'empiéter sur nos droits, et nous nous y opposons fermement pour ces raisons. Nous ne nous opposons pas à la salubrité de l'eau potable ni à une gestion judicieuse des eaux usées. Ces questions doivent être à l'avant-plan de nos préoccupations.
Bref, pour ces raisons, de même que pour les raisons sous-jacentes et fondamentales mentionnées ici, nous ne croyons pas que des amendements seuls permettront de régler les problèmes rattachés à ce projet de loi. Nous sommes d'avis que le projet de loi S-8 ne devrait pas aller de l'avant du tout parce que le Canada ne s'est pas acquitté de son obligation juridique de consulter de façon tangible les Premières Nations, y compris la tribu des Blood. Le Canada ne peut pas continuer à agir dans le mépris de son obligation.
Nous sommes en outre d'avis qu'une consultation valable doit avoir lieu avant que ce projet de loi n'aille de l'avant à la Chambre des communes. Nous recommandons en conséquence que ce projet de loi ne soit pas adopté ou qu'il n'entre pas en vigueur avant qu'une telle consultation ait eu lieu. En outre, toute solution proposée à la question de l'eau potable salubre, qu'elle soit inscrite dans une loi, une politique ou autre, devra prévoir des solutions pratiques pour que nos peuples aient, au bout du compte, accès à de l'eau potable salubre. Toutes les actions entreprises par le gouvernement du Canada devraient être orientées en ce sens au lieu de violer nos droits et de nous imposer une approche paternaliste et punitive à l'égard de ce problème.
Notre mémoire ne constitue pas une consultation. Nous soumettons respectueusement nos préoccupations relativement au projet de loi S-8 au Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord. Au nom du chef et des conseillers de la tribu des Blood, je vous remercie de nous avoir permis de vous présenter le mémoire de la tribu des Blood.
Merci, grand chef. Nous vous sommes reconnaissants d'être parmi nous ce matin.
Nous allons maintenant donner la parole au grand chef Makinaw. Bienvenue de nouveau parmi nous. Nous vous avons entendu récemment, nous aimerions entendre votre présentation de ce matin. Merci.
Merci, monsieur le président.
Merci et bonjour, mesdames et messieurs les députés, les membres du personnel, les chefs et les techniciens qui sont ici aujourd'hui.
Je suis le chef Craig Makinaw de la Nation crie Ermineskin et le grand chef de la Confederacy of Treaty 6 First Nations, qui représente 17 Premières Nations.
J'aimerais vous présenter l'une des conseillères de la Nation Ermineskin. Il s'agit de Laurelle White, qui est assise à côté de moi.
Nous déposons un mémoire écrit devant le comité. Je n'ai pas l'intention de le lire, mais plutôt de mettre en relief les éléments les plus importants de notre argumentaire contre ce projet de loi.
Nous avons parcouru le pays depuis Ermineskin et le territoire du traité numéro 6 pour venir comparaître devant ce comité sur le projet de loi S-8. Nos ancêtres ont conclu ce traité avec la Couronne britannique afin de permettre aux sujets de la Reine de vivre sur notre territoire. Quand nos ancêtres ont signé ce traité avec la Couronne britannique, l'eau était incluse dans les termes du traité pour aussi longtemps que les rivières couleraient. C'était les mots utilisés à l'époque lorsqu'on rédigeait un traité. Ainsi, nos traités doivent être pris en compte dans toute discussion sur l'eau et l'utilisation de l'eau. Nos ancêtres n'ont jamais cédé l'eau. Nos ancêtres ont veillé à ce que le traité s'applique aux eaux qui coulent. La Couronne n'a pas demandé l'accès aux eaux.
Lorsque nous parlons de l'eau et des mesures que prend le Parlement du Canada, l'honneur de la Couronne est mis en jeu. Les traités sont des documents constitutionnels importants pour l'État du Canada. Selon le droit international, les lois du Commonwealth et les lois canadiennes, le Canada n'existerait pas si ce n'était des traités conclus avec nos ancêtres. Ces traités sont l'épine dorsale de l'État du Canada.
Dans ce contexte, de quel droit constitutionnel le Canada peut-il imposer un cadre législatif à des Premières Nations régies par un traité? Où est l'honneur de la Couronne?
Dans l'affaire Haida, la Cour suprême du Canada a écrit ce qui suit:
L’honneur de la Couronne imprègne également les processus de négociation et d’interprétation des traités. Lorsqu’elle conclut et applique un traité, la Couronne doit agir avec honneur et intégrité, et éviter la moindre apparence de « manoeuvres malhonnêtes ».
Les traités servent à concilier la souveraineté autochtone préexistante avec la souveraineté présumée de la Couronne et à définir les droits autochtones protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
La jurisprudence montre clairement que la Cour suprême du Canada est compétente pour interpréter les droits issus de traités et l'honneur de la Couronne, et ce, même lorsque les droits en question n'ont pas été prouvés. L'affirmation d'un droit oblige le gouvernement à consulter les Premières Nations. Le Parlement ne peut pas déroger à cette obligation.
Le gouvernement a l'obligation positive d'agir de manière honorable dans ses rapports avec les peuples régis par des traités. Il n'a pourtant rien fait de tel avec les Premières Nations pour la rédaction et le dépôt au Sénat du projet de loi S-8, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières Nations.
Ce projet de loi ne changera en rien les droits constitutionnels des Premières Nations découlant de traités, ni ne mettra nos collectivités en danger selon divers régimes provinciaux. Il y a constamment des avis d'ébullition de l'eau en pays autochtone. Ce projet de loi ne propose aucune solution à cette situation. Il met plutôt les Premières Nations sur la voie directe d'une collision imminente.
Parallèlement à cela, le gouvernement s'affaire à miner tous les programmes qui auraient pu aider les Premières Nations à éviter ces mesures. Nous venons d'être informés de l'annulation du programme de qualité de l'eau potable. Les représentants du gouvernement ont écrit que:
Grâce à l'engagement et au soutien continus qu'il reçoit, ce programme est devenu un projet de recherche très fructueux et respecté des Premières Nations à la grandeur du Canada.
Est-ce parce qu'il connaissait autant de succès que le gouvernement y a mis un terme?
Je cite le paragraphe suivant:
Je regrette de vous informer que Santé Canada ne poursuivra pas le Programme de la qualité de l'eau potable au-delà du 31 mars 2014. Ce programme visera dorénavant à permettre aux collectivités de surveiller elles-mêmes la qualité de leur eau potable, conformément aux Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada.
Comment y parviendront-elles? Ce projet de loi pousse les Premières Nations vers les provinces et les sociétés privées. Cela va à l'encontre de notre traité. Les programmes et les services que les fonctionnaires ont mis en place, puis qu'ils laissent tomber n'honorent pas les intentions de la Couronne. Ces décisions contreviennent à tout semblant de processus démocratique. Le projet de loi a déjà été rédigé. Nous sommes invités à nous exprimer, mais rien de ce que nous disons n'est pris en considération. Il n'y a pas d'amendements. Il n'y a pas de consultations.
Nous nous plaignons aux Nations Unies que nous devons nous battre pour faire respecter l'honneur de la Couronne, mais l'État moderne du Canada entache quotidiennement la réputation de la Couronne avec ce genre de projet de loi. Cela n'honore en rien la Couronne. Nous ne donnons pas notre consentement libre, préalable et informé à ce projet de loi.
J'aimerais vous remercier de nous avoir permis de nous exprimer aujourd'hui. J'ai également d'autres motions de l'AoTC à vous présenter, qui ont été approuvées par nos chefs.
Merci. Nous en prenons bonne note. Nous allons les prendre et nous assurer que tous les membres les reçoivent. Je vous remercie, grand chef.
Nous allons finalement entendre le grand chef Twinn. Je vous remercie d'être de nouveau parmi nous, au nom du comité et de ma province, l'Alberta.
Chef Laboucan, je vous remercie infiniment de vous joindre également à nous ce matin. Nous allons vous laisser la parole, après quoi nous passerons à la période de questions.
Bonjour. je vais essayer d'être bref. L'essentiel de ce que je voulais dire a déjà été mentionné par d'autres témoins aujourd'hui. Je vais partager une partie de mon temps avec la chef Rose.
Tout d'abord, je tiens à dire que l'Assembly of Treaty Chiefs of Treaties 6, 7 and 8, en Alberta, fait des efforts considérables depuis le tout début pour travailler avec le gouvernement Harper afin de remédier à l'état déplorable des systèmes d'eau potable des Premières Nations. Nos efforts ont été récompensés par des pirouettes politiques, des promesses brisées et un projet de loi insensé qui ne fera rien pour assurer la salubrité de l'eau potable des Premières Nations.
Nous avons exactement les mêmes préoccupations que les membres du Conseil des Mohawks d'Akwesasne, bien que j'aie une perspective légèrement différente. Je ne crois pas qu'un accord d'autonomie gouvernementale puisse nous soustraire à cette loi. Je pense aussi qu'il y a un article qui dicte que la loi va s'appliquer également aux Premières Nations qui ont un accord d'autonomie gouvernementale. Ce projet de loi ne respecte pas nos droits découlant de l'article 35, et notre nation, la Première Nation Sawridge exerce ses droits découlant de l'article 35 à l'autonomie gouvernementale et à l'autodétermination. Nous nous sommes dotés de notre propre constitution, de nos propres lois et nous avons nous-mêmes 15 domaines de compétence.
À mon avis, ce projet de loi va rendre beaucoup d'avocats très riches, et c'est tout ce qu'il va accomplir. Nous allons devoir multiplier les poursuites et les injonctions pour demander des examens judiciaires ou des opinions. Il y a 25 Premières Nations régies par le traité 8 de l'Alberta, et nos situations sont toutes complètement différentes.
La Première Nation de Sawridge n'a pas son propre système d'eau potable. Nous sommes une petite nation. Nous demandons depuis une vingtaine d'années au gouvernement fédéral de pouvoir gérer notre propre système d'eau potable et de traitement des eaux usées. Le gouvernement a rejeté toutes nos demandes. Nous sommes approvisionnés en eau par la Ville de Slave Lake. Nous bénéficions du programme de surveillance de la salubrité de l'eau potable. Les normes fédérales en matière d'eau sont plus élevées, c'est ce que nous constatons. Certains contaminants sont présents dans l'eau à des concentrations élevées selon les normes fédérales; cependant, lorsque j'écris aux représentants de Santé Canada, ils me répondent que c'est une municipalité qui nous approvisionne en eau et qu'elle est assujettie aux normes provinciales.
Je ne suis pas certain que les membres de la Première Nation de Sawridge vont être d'accord pour que nous soyons assujettis aux normes inférieures qui relèvent du gouvernement provincial.
Nous ne sommes pas les seuls à le dire. Il y a plusieurs groupes d'experts qui ont souligné qu'il fallait investir des ressources avant d'adopter un règlement législatif. Ce genre de mesure finit tellement souvent par passer.
Au sujet de l'article 35, le groupe d'experts sur l'eau potable des Premières Nations a effectué une analyse juridique indépendante des droits découlant de l'article 35 et a conclu que les Premières Nations jouissaient d'un droit d'autonomie gouvernementale sur l'eau fondé en droit dans leurs communautés. Le Canada a refusé de nous consulter sur les répercussions du projet de loi S-8 à cet égard.
Nous sommes au XXIe siècle. On serait porté à croire que le radicalisme est révolu depuis longtemps dans les relations du Canada avec ses Premières Nations, mais il semble se porter très bien.
En outre, la seule partie du projet de loi S-8 à avoir une incidence concrète, c'est la série de dispositions sur les responsabilités, qui soustraient le Canada de toutes ses responsabilités liées à la salubrité de l'eau potable des Premières Nations. Il serait plus juste de nommer ce projet de loi « Loi sur le non-respect du devoir fiduciaire envers les Premières Nations, sur la non-responsabilité du gouvernement du Canada et sur l'abdication de ses responsabilités morales et juridiques d'assurer la salubrité de l'eau potable des Premières Nations ». C'est notre sentiment.
Je vais céder la parole à la chef Rose. Elle a quelques mots à vous dire.
Merci.
Premièrement, bonjour à tous. Je suis heureuse d'être ici.
Chris, je suis censée vous dire que Richard Kappo vous salue. Il est dans votre circonscription, mais il aimerait être ici.
J'aimerais commencer par vous lire l'article 2 de la déclaration de l'ONU: « Les Autochtones, peuples et individus, sont libres et égaux à tous les autres... » Je vais le relire, tellement c'est doux à mes oreilles: « Les Autochtones, peuples et individus, sont libres et égaux à tous les autres et ont le droit de ne faire l'objet, dans l'exercice de leurs droits, d'aucune forme de discrimination... »
Je n'irai pas plus loin.
En tant que chef de ma nation élue pour un sixième mandat consécutif, j'en ai marre du racisme et du traitement bigot qu'on sert aux Autochtones au Canada. Il est temps que cela change.
Je viens d'une communauté où un avis d'ébullition de l'eau est resté en vigueur pendant 10 ans. Il a fallu 10 ans avant que nous recevions enfin une usine de traitement de l'eau — et à mon avis, nous avons gaspillé 6 millions de dollars des contribuables parce que nous n'arrivons même pas à fournir de l'eau de qualité à notre peuple avec cette usine. C'est un gaspillage d'argent. Nous recevons encore des avis d'ébullition de l'eau de temps en temps. Un n'a pas sitôt été levé qu'un autre est émis. Cela n'arrête jamais.
Il faut nous attaquer au problème d'infrastructure, de l'entretien de l'usine, et il nous faut de l'argent pour payer des opérateurs qualifiés dans notre région et arriver à répondre à tous les critères pour maintenir la qualité de service à laquelle nos membres sont en droit de s'attendre.
En 2006, le groupe d'experts sur la salubrité de l'eau potable a recommandé l'octroi de ressources adéquates. Dans son rapport, il a précisé que c'était une condition préalable à l'élaboration de toute loi. Je demande aux membres du comité de s'ouvrir l'esprit à des idées différentes pour que les membres de notre peuple aient enfin accès à de l'eau de qualité.
Je suis déjà venue comparaître devant des comités, et je me demande s'il y a quelqu'un qui nous écoute vraiment ou si ce n'est qu'un spectacle. Vous savez pourtant que l'eau est une ressource vitale pour notre peuple, pour la survie de n'importe qui, pas seulement la mienne. Tout le monde a besoin d'eau de qualité, et les projets de loi qui sont déposés ne proposent absolument rien pour protéger notre eau.
Il y a d'autres projets de loi, et vous savez qu'il y a des lacs et des rivières qui ne sont pas protégés en ce moment, mais c'est permis. C'est permis par les gens au pouvoir, par le gouvernement du jour, donc nous ne pouvons pas exprimer à quel point il est important d'avoir de l'eau de qualité et ce, pour les 10 prochaines générations, pas seulement pour demain.
Je regarde tout ce processus, et j'ai l'impression qu'il n'y a que le gouvernement du jour qui en profite. C'est lui qui est protégé. Je suis responsable envers ma communauté. Quel est le but? Pour quelle raison accepterions-nous d'être chefs de nos communautés? Nous allons être coincés et être responsables envers n'importe qui voudrait nous poursuivre, comme l'ont fait les gens de Walkerton. Je sais bien que le gouvernement fédéral s'en est sorti indemne dans cette histoire, comme de raison.
Vous auriez maintenant l'occasion de financer adéquatement des mesures pour que nous puissions produire la qualité d'eau dont nous avons besoin, parce que ce n'est pas tout de construire une usine. Vous ne vous souciez pas de tous les autres facteurs, comme des sources d'eau que cette usine va traiter pour produire l'eau qui coule dans le robinet. Il y a des problèmes de mécanisme internes. Je pense qu'il faut les régler.
Ce projet de loi s'appelle la loi sur la salubrité de l'eau potable. Personne n'est contre cela. Cette partie se limite à de belles paroles. Au bout du compte, ce n'est pas ce qu'elle nous donne.
Le comité doit se pencher sur cette question. J'espère que vos oreilles sont grandes ouvertes — excusez-moi, mais j'étais enseignante, et ce sont les mots que j'avais l'habitude d'utiliser — et que vous ferez vraiment quelque chose à ce sujet. J'espère que le gouvernement conservateur qui est actuellement au pouvoir pourra faire en sorte que nous aurons de l'eau potable dans nos collectivités. Ne gaspillez pas l'argent en nous dotant d'installations de traitement des eaux dont nous ne pouvons même pas assurer l'exploitation ni l'entretien. C'est ridicule. C'est un gaspillage d'argent.
Voilà les choses dont je voulais vous parler. Peu importe comment on voit la situation et peu importe d'où on vient dans ce pays, la protection de notre eau est la priorité. Sans eau, on ne peut survivre.
Je voulais simplement vous dire ces quelques mots. Je remercie tous les gens de l'Alberta qui sont venus pour parler de ce projet de loi sur l'eau... et nos amis de l'Est qui sont ici pour parler de ce processus, mais je remercie en particulier les autres de garder un esprit ouvert afin de faire changer les choses à long terme. Autrement, nous aurons perdu notre temps.
Merci.
Merci beaucoup, chef.
Nous savons qu'il est tôt en Alberta; je compatis, croyez-moi.
Nous allons commencer par Mme Crowder pour le premier tour de cinq minutes.
Madame Crowder.
Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier chacun et chacune d'entre vous de comparaître devant le comité.
J'aimerais pouvoir dire que j'avais la certitude que le comité pourrait modifier le projet de loi, mais je dois dire, selon mon expérience des deux dernières années, que presque toutes les modifications proposées au projet de loi dont nous sommes saisis n'ont pas reçu l'appui de tous les membres du comité. L'opposition a tenté de changer ces projets de loi, mais nous n'avons pas eu tellement de succès.
Nous entendons invariablement parler de questions concernant la compétence, la disposition de non-dérogation, la responsabilité, la consultation et les ressources. C'est le message que nous entendons constamment au sujet de ce qui cloche dans ce projet de loi.
Le chef Twinn a dit que cela pourrait se retrouver devant les tribunaux. J'ai ici un article paru récemment qui indique qu'en 2012, le total des frais juridiques payés par Affaires autochtones dépassera 110 millions de dollars. Donc, le gouvernement est prêt à dépenser de l'argent pour se défendre dans ces affaires plutôt que de s'assurer que le projet de loi est adéquat.
Je pense que le chef Weaselhead a posé une question très importante: étant donné tout ce que nous avons entendu, comment pouvons-nous adopter ce projet de loi?
Je ne dispose que de cinq minutes, et cela inclut votre réponse, alors je vais poser ma question. Dans le préambule, on dit que le ministre de la Santé et le ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien « se sont engagés à travailler avec les Premières Nations afin d'élaborer des propositions en vue de la prise de règlements ».
Je pense que vous savez tous que les règlements sont élaborés à l'extérieur du cadre de surveillance du Parlement et du comité. Qu'aimeriez-vous voir au chapitre du processus? Comment définiriez-vous un processus qui parle de « travailler avec les Premières Nations afin d'élaborer des propositions en vue de la prise de règlements »? À quoi cela ressemblerait-il?
Chef Twinn.
Je crois qu'il ne nous faut pas seulement participer; il nous faut entreprendre de véritables négociations. Nous devons avoir notre mot à dire au sujet de ces règlements afin de savoir si nous pouvons ou non les respecter.
D'abord et avant tout, si des ressources ne sont pas allouées à la Première Nation Sawridge, il serait très étrange, selon moi, que des règlements s'appliquent à nous. Nous ne faisons pas fonctionner d'usine de traitement de l'eau. Je suis sûr que bien des petites Premières Nations n'ont pas d'usine de traitement de l'eau.
Comment voulez-vous que nous respections la réglementation si nous n'avons rien à réglementer? Nous n'avons pas de ressources pour développer une capacité. Vous voulez que je sois responsable de l'eau potable, alors que la ville de Slave Lake gère intégralement l'usine de traitement de l'eau. Si quelqu'un tombe malade, on ne poursuivra pas la ville. Cela décharge la ville, les municipalités, les gouvernements provincial et fédéral de la responsabilité et la fait carrément retomber sur mes épaules. Je ne vois pas comment cela peut être juste sur le plan constitutionnel. N'enfreint-on pas les droits qui me sont garantis par la Charte des droits et libertés, en ce qui concerne la persécution indue? Je doute que ce soit possible...
Je vais en rester là.
Je sais que dernièrement, nous avons eu des réunions et des séances, mais je suis d'accord avec le grand chef Twinn pour dire que nous ne devrions pas avoir de consultations d'une journée et de conférences téléphoniques. Ce n'est pas de la consultation. Je pense moi aussi qu'il nous faut beaucoup de temps pour discuter de ces projets de loi, afin que nous puissions nous occuper des articles qui nous posent problème. Autrement, je dirais, comme le chef Laboucan et tous les autres chefs qui sont ici, que nous devrons probablement faire appel aux tribunaux. Nous devons nous pencher sérieusement sur la question de l'eau.
Il y a une autre question que je n'ai pas abordée; j'aurais peut-être dû le faire plus tôt. AADNC s'était engagé à nous verser 15 millions de dollars pour notre réseau d'alimentation en eau, mais près de 10 ans plus tard, nous attendons toujours. Avec les quatre nations de Maskwachees à Hobbema, en Alberta, nous attendons toujours de recevoir ces 15 millions de dollars pour notre réseau d'alimentation en eau. Nous n'avons encore rien reçu et nous demandons quand nous recevrons cet argent. J'en suis arrivé au point où je parle en mon nom; nous devons faire quelque chose à ce sujet, car si nous ne nous avançons pas pour réclamer au gouvernement ces 15 millions de dollars, il va tout simplement nous écarter du revers de la main.
Nos problèmes d'eau à la maison s'aggravent, et nous manquons d'eau. Je veux simplement que les membres du comité en soient conscients; c'est l'un des autres problèmes que nous avons chez nous. Nous manquons d'eau, et il y a plus de maisons qui ont des citernes. Nous en sommes au point où bientôt, le problème sera majeur.
Merci.
Oui, je veux simplement insister — sans répéter ce que les autres ont dit — sur l'importance de faire une évaluation globale de chaque collectivité. Comme on l'a mentionné, nos collectivités sont différentes notamment en raison de leur taille et de leur population.
L’autre point important est le renforcement de la capacité des opérateurs. En Alberta, on offre un programme de formation itinérante à nos opérateurs. Je crois que c’est très important de le faire, parce que les membres de notre collectivité connaissent nos enjeux et nos défis quotidiens. En misant sur la capacité dès le départ, on évite certains problèmes en matière de responsabilité.
Nos propositions forment un tout. Il faut tenir compte de la capacité de nos opérateurs, parce qu’on n’acceptera pas que des opérateurs de l’extérieur viennent dans notre collectivité. Nous avons formé des gens. Je ne parle pas de compétence, de constitution ou de consultation. Tous ces éléments font partie de la trousse. Le processus en soi fait défaut à cet égard. Je crois qu’il faut néanmoins accroître la capacité de nos opérateurs sur le terrain. Je crois que la plupart de nos trousses d’information parlent du processus de consultation, de notre constitution, de notre capacité de fournir de l’eau potable, ce genre de choses.
Les autorités provinciales sont tenues de nous consulter à ce sujet. Si on nous ignore — si nous ne faisons pas partie du processus de réglementation — nous ne pourrons pas réussir. Je crois qu’il est donc important de tenir des consultations dès le départ. Il faut étudier la situation dans les collectivités et savoir exactement ce que signifie le règlement, qui en est responsable et quelles sont les protections offertes.
Merci.
Merci, monsieur le président.
J’aimerais vous remercier d’avoir pris le temps d'échanger avec nous, malgré votre horaire chargé. Nous reconnaissons votre engagement et votre expertise.
En parlant d’expertise, comme vous êtes des experts en matière de gestion de l’eau et des déchets, accepteriez-vous de prendre part à des discussions sur l’élaboration des règlements et de partager vos pratiques exemplaires de sorte que les autres collectivités des Premières Nations puissent tirer profit de votre expérience? Tous les experts peuvent répondre à la question.
Bonjour à tous. Je m’appelle Dorothy First Rider, de la Tribu des Blood. Pour répondre à votre question et à la question précédente sur la réglementation, les règlements doivent respecter la compétence des Premières Nations. Il faut comprendre et réaliser que les Premières Nations manquent de ressources.
La plupart d’entre elles n’ont pas la capacité nécessaire pour traiter des cadres réglementaires. Je crois que certaines Premières Nations comme la Tribu des Blood ont entamé des discussions sur la gestion de l’eau avec la province de l’Alberta. Elles entameront la discussion sur le cadre juridictionnel et réglementaire selon les critères de la réserve.
Par exemple, notre territoire a une superficie de 548 milles carrés, et compte 1 600 résidences. Cinq grandes collectivités forment la réserve. Il nous faudra dépenser 30 millions de dollars pour mettre à niveau les usines de traitement de l’eau et des eaux usées dans chacune de ces collectivités, et environ 78 millions de dollars au cours des 30 prochaines années pour l’exploitation et l’entretien continus des installations. Donc, avant d’étudier les règlements ou d’en discuter, il faut pouvoir traiter des capacités de chacune de ces Premières Nations et modifier les règlements pour répondre à leurs besoins actuels et futurs.
C'est une erreur de penser que les provinces ont toutes les réponses. Je vais vous donner un exemple concret.
Au début des années 1990, les opérateurs des Premières Nations avaient uniquement accès à une formation provinciale. Cela ne fonctionnait pas. Lorsque j'étais à l'Assemblée des Premières Nations, nous avons mis sur pied un programme de formation des Premières Nations en Ontario et au Manitoba, je crois. Nous avons fait venir le formateur dans la collectivité plutôt que d'en sortir les opérateurs. Cela a été une réussite, et nous avons réalisé des économies.
Ce projet est devenu le Programme de formation itinérante d'Affaires autochtones dont on a parlé. C'était une solution des Premières Nations, qui émanait de notre engagement et de notre participation. Ce projet de loi ne sollicite pas notre participation. Nous serions très heureux de partager nos pratiques exemplaires, d'échanger sur les mesures à prendre, mais personne ne nous écoute.
J'aimerais qu'on s'attarde à une autre partie de la question.
Comme le paragraphe 5(4) du projet de loi offre une certaine souplesse relative au processus d'élaboration des règlements et permet de tenir compte de la géographie multiprovinciale et internationale d'Akwesasne, êtes-vous prêts à travailler avec le gouvernement pour traiter de ce territoire unique?
C'est ce que l'on voulait en élaborant le protocole. C'est une question inhérente au processus. Le protocole que nous avons conclu avec le gouvernement fédéral dans les années 1990 et celui que nous avons signé l'année dernière témoignent déjà de notre approche et des négociations sur l'autonomie gouvernementale.
Mon seul autre commentaire est qu'Akwesasne est prête à le faire. Elle demande un engagement parallèle. Si le projet de loi est adopté et est associé à un ensemble de règlements généraux, Akwesasne sera balayée. Le protocole et le paragraphe 5(4) que vous venez de citer visent exactement à éviter cela.
Nous sommes prêts à travailler à l'élaboration de ce règlement, en fonction des directives que nous avons reçues des conseils. Mais, comme l'ont dit d'autres chefs, il faut que ce soit un projet de collaboration, et non un règlement présenté à des fins de consultations. Il doit être élaboré dans un esprit de coopération et entrer en vigueur en même temps que le projet de loi. Autrement, nous ne réussirons pas.
Merci beaucoup.
Je sais que la plupart d'entre vous ont déjà témoigné devant notre comité. Les témoignages d'aujourd'hui sont à mon avis les plus émouvants que nous ayons entendus. Qu'il s'agisse d'Akwesasne, de la Tribu des Blood ou des petites collectivités, personne ne veut de ce projet de loi. Tout le monde convient qu'il ne garantira pas l'accès à l'eau potable, et qu'il ne fera que dégager le gouvernement fédéral de ses responsabilités.
Votre présence aujourd'hui est très importante. Tous les Canadiens devraient être tenus de vous écouter, et d'entendre la réponse du gouvernement. C'est une leçon de base en matière de civisme, c'est la raison d'être du mouvement Idle No More et cela montre comment les Canadiens réagissent à une autre loi imposée aux personnes concernées. La chef Laboucan et beaucoup d'autres ont fait un long chemin pour venir à nous. Vos témoignages étaient unanimes et convaincants. J'espère que les Canadiens feront comprendre aux conservateurs que ce projet de loi n'a rien de bon. Tous les experts, y compris un comité sénatorial, ont convenu que sans les ressources nécessaires, on ne pouvait pas faire son travail. Ils ont fait valoir que les ressources étaient une condition préalable à toute loi. Il faut comprendre qu'il n'existe pas de solution universelle. Les histoires que vous nous avez racontées aujourd'hui montrent qu'une approche descendante ne fonctionnera pas, et que seule une approche ascendante et adaptée sera efficace, qu'elle soit élaborée par une collectivité voisine comme celle du grand chef Twinn, ou que vous l'élaboriez vous-mêmes.
Grand chef Twinn, j'aimerais que vous déposiez l'ensemble de vos observations auprès du greffier. Je comprends pourquoi vous avez dû expliquer comment vous perceviez ce projet de loi, du point de vue d'une personne responsable de la salubrité de l'eau consommée par un grand nombre de personnes. J'aimerais également que le grand chef Makinaw dépose la lettre qu'il a reçue du ministère, expliquant qu'il n'est plus responsable de la salubrité de l'eau. C'est important. Lorsque j'étais députée d'arrière-ban du gouvernement libéral, je me souviens avoir débattu pendant plus d'un an au sujet d'un mauvais projet de loi sur les espèces en voie de disparition. Nous refusions de l'adopter sans que le gouvernement le modifie.
Ce que je comprends, c'est que vous voulez qu'on renonce à ce projet de loi parce qu'il ne peut être corrigé. Or, à moins d'une révélation, ou qu'on injecte du titane dans la colonne des députés du camp adverse, ce mauvais projet de loi sera adopté, et si je me fie à leurs antécédents, il ne sera probablement pas modifié. De notre côté, toutefois, nous nous engageons à les convaincre d'ajouter une disposition de non-dérogation ou de retirer l'article 3 du projet de loi, conformément à vos droits en vertu de l'article 35. L'Association du Barreau canadien est d'avis qu'il faut prendre cette mesure pour protéger vos droits.
Nous avons écrit une lettre au ministre pour lui expliquer que nous ne pouvions pas appuyer quoi que ce soit sans les ressources et les consultations nécessaires, et nous maintenons notre position. Mais le fait que vous craigniez que vos préoccupations tombent dans l'oreille d'un sourd nous touche. Je tiens à vous dire que votre présence ici est très importante. Même si nous n'arrivons pas à réparer ce projet de loi, nous aurons compris que le paternalisme et le recours à une approche descendante ne font qu'empirer les choses. Ils ne font que permettre à l'État de se dégager de ses responsabilités, comme il l'a fait avec les droits de la personne, alors qu'il n'y avait pas suffisamment d'argent pour construire des rampes ou faire le nécessaire pour respecter les exigences.
Je ne saurais assez vous remercier de nous avoir expliqué vos diverses situations. Nous ferons tout notre possible pour convaincre les membres du camp adverse d'expliquer au ministre à quel point ce projet de loi est mauvais et ne fera qu'empirer votre situation.
Merci, Madame Bennett.
La parole est maintenant à M. Rathgeber. Vous pouvez poser vos questions, monsieur.
Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins de nous avoir présenté leur point de vue.
J'aimerais qu'on se concentre sur la question de la responsabilité. Je me demande si les chefs et les grands chefs qui craignent que la responsabilité des autorités fédérales et provinciales à l'égard des Premières Nations ne diminue ont pris connaissance de l'article 11 du projet de loi, en particulier le paragraphe 11(3).
Êtes-vous d'accord avec le fait que ces dispositions ne réduisent pas la responsabilité à l'égard des Premières Nations, mais imposent des responsabilités restreintes à toutes les parties visées par la réglementation, y compris les Premières Nations? Est-ce que quelqu'un peut répondre?
Le paragraphe 11(3) traite des actes et des omissions du ministre fédéral ou des employés. Le paragraphe 11(2) traite de la responsabilité des fonctionnaires provinciaux et le paragraphe 11(3), des actes et omissions de toute personne ou de tout organisme. Selon mon interprétation, ces dispositions visent aussi les Premières Nations qui sont régies par la réglementation créée en vertu du projet de loi S-8.
Je sais que nous nous entretiendrons avec des avocats au cours de la prochaine heure, et que nous connaîtrons peut-être leur opinion, mais du point de vue des chefs et des grands chefs, pouvez-vous commenter cette interprétation de l'article 11 du projet de loi?
Je crois que ces dispositions donneront lieu à des débats. Il faudra diverses interprétations et opinions juridiques.
Cependant, les Premières Nations, les chefs et les conseils qui représentent les diverses collectivités sont d'avis que nous ne devrions pas être perçus comme étant « toute autre personne ». Il est clair que cet article et que le paragraphe 3 omettent la responsabilité du gouvernement fédéral et des provinces. On ne nous désigne que comme « toute autre personne ». Il faut octroyer les fonds nécessaires aux Premières Nations afin d'améliorer les capacités, les infrastructures et les ressources, et d'assurer l'exploitation et l'entretien continus des infrastructures tout au long de leur cycle de vie de 30 ans, afin de veiller à ce que les Premières Nations n'aient pas à assumer cette responsabilité.
Si le projet de loi est adopté sans qu'il y ait un engagement quelconque en matière de financement ou de capacité, alors les Premières Nations devront assumer cette responsabilité, qu'elles le veuillent ou non. Nous devons nous protéger et veiller à ce que le gouvernement fédéral ne se dégage pas de cette responsabilité.
N'oubliez pas que l'article 3 protège les Premières Nations et que le gouvernement fédéral a pris un engagement envers elles lorsqu'il a signé les traités. Le projet de loi force les Premières Nations à assumer cette responsabilité et dégage le gouvernement de ses obligations fiduciaires.
J'aimerais vous renvoyer à l'alinéa 5(1)q), qui dit que « toute première nation ou toute personne ou tout organisme est réputé, pour l’application de la présente loi, propriétaire [...] » Je crois qu'il s'agit de la seule phrase qui confère un pouvoir à une Première Nation. L'article 11 ne mentionne pas de façon spécifique la protection des Premières Nations relative à la responsabilité, mais dans cet alinéa, nous sommes désignés à titre de propriétaires; cela ne correspond pas au reste de la loi. À chaque mention d'une « province » ou d'un autre « organisme », on devrait également mentionner les « Premières Nations ».
J'espère que vous comprenez qu'on utilise le verbe « pouvoir »; c'est une permission, et non une obligation.
Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup.
Avant que je commence, monsieur Twinn, j'ai remarqué que vous aviez une présentation que vous n'avez pas utilisée à cause des contraintes de temps. Je me demande si vous voudriez, tout comme les autres qui n'auraient pas eu la chance de lire la leur pour le compte rendu, nous la remettre pour que nous puissions nous en servir dans le cadre de nos délibérations.
Je vous suis très reconnaissant de nous avoir communiqué aujourd'hui tous ces renseignements.
Je peux également citer un passage qui exprime la position de l'Assemblée des chefs du Manitoba. Celle-ci souhaite en effet « que le projet de loi S-8 soit abandonné ou, s’il est déposé, que ce soit dans le but d’établir un processus de bonne foi et honorable qui tiendra compte du droit coutumier relatif à l’eau, une option proposée par le Groupe d’experts sur la salubrité de l’eau potable. »
Encore une fois, c'est une position qui va dans le même sens.
Madame Laboucan, vous avez parlé de l'infrastructure, du fait que vous devez suivre un avis d'ébullition d'eau. Je sais que la situation est semblable dans certaines des Premières Nations de ma circonscription.
Prenons par exemple Kashechewan, dans la circonscription de Charlie Angus. Le ministre a comparu devant nous à un moment donné. Dans son exposé, il a essentiellement dit qu'ils avaient un système de pointe, mais regardons la situation dans laquelle ils se trouvent. Il a tenté de jeter le blâme sur quelqu'un qui n'était pas adéquatement formé. Pourtant, à ce que je sache, Northern Waterworks exploite l'usine depuis 2006.
Après l'inondation, la collectivité a recommandé la construction d'égouts pluviaux et l'installation d'un clapet antirefoulement dans toutes les maisons. Le gouvernement a refusé. Cela fait partie de ce que vous dites. Vous avez un système à la fine pointe de la technologie, mais vous n'avez pas tous les éléments complexes nécessaires à son bon fonctionnement. Vous pourriez peut-être éclaircir ce point pour moi.
J'ai également une lettre que le chef Shining Turtle a adressée au ministre à propos de l'infrastructure communautaire. Il dit:
... voyons un peu les chiffres:
155 millions de dollars répartis sur 10 ans, donc 155/10 = 15,5 millions de dollars/par année à l'échelle nationale.
AINC a huit régions donc
15,5/8 régions = 1,94 million de dollars/par année/par région.
La région de l'Ontario comprend 133 Premières Nations.
1,94/133 Premières Nations = 14 567,67 par année par bande.
Il dit également à propos des coûts:
La construction d'une conduite d'eau principale dans notre région coûte 300,00 $/mètre, tandis que celle d'un bâtiment s'élève à plus de 300,00 $/pi2.
Il a aussi ajouté qu'il n'était pas certain de ce qui pourrait être accompli avec ce type d'infrastructure.
Je regarde tous ces montants, et je me pose des questions sur le besoin d'infrastructure et l'information que vous avez communiquée au sujet du passage concernant une période de transition de trois ans. Compte tenu de tout cela, je ne pense pas que ce soit suffisamment long.
Avez-vous des commentaires sur l'approche par étapes du gouvernement qui est censée permettre aux collectivités de satisfaire aux conditions nécessaires pour se conformer aux normes législatives? À votre connaissance, comment pourra-t-on déterminer si une Première Nation est capable de respecter la réglementation, pourquoi devra-t-on le faire et qui s'en chargera?
Je vais parler de la période de transition de trois ans. Elle n'est pas liée au respect des règlements. Conformément à l'article 14 et à la définition de Première Nation, une Première Nation autonome, ou régie par un accord ou un traité définitif qui comprend des dispositions sur l'autonomie, n'est pas visée par la loi à moins qu'elle ne décide de l'être.
Akwesasne a achevé un accord de principe qui sera signé par le ministre à une date officielle d'ici un mois ou deux. Les négociations finales commenceront à la fin de l'été.
Je devrais dire qu'il s'agit d'un accord global, qui n'est donc pas limité, sans vouloir manquer de respect à d'autres. Peu de points devront être complétés dans le cadre des négociations finales. C'était la consigne du conseil: si vous le faites, faites-le sérieusement.
Selon moi, nous avons déjà préparé de 85 à 90 p. 100 de l'accord, et il ne faudra donc pas attendre encore 10 ans avant qu'il soit terminé. On prévoit que le processus de négociations prendra environ deux ans et qu'il faudra une autre année avant qu'il soit ratifié et qu'un projet de loi soit adopté par le Parlement.
J'ai représenté la Première Nation de Westbank tout au long de ce processus. Nous avons donc une bonne idée du temps nécessaire pour franchir les différentes étapes.
La période de transition de trois ans est prévue pour terminer les négociations et pour ratifier l'accord, ce qui permettrait d'exempter la Première Nation. Il ne s'agit pas du temps accordé pour se conformer à l'autre règlement.
Notre mémoire concernant un règlement sur l'exemption s'appuyait davantage sur la nature plurigouvernementale d'Akwesasne et sur le fait qu'elle ne cadre pas avec le projet de loi. Un des membres y a fait allusion. Si le règlement est correctement établi, en collaboration avec Akwesasne et en tenant compte de tous les éléments, les deux pourraient aller de pair.
Merci beaucoup.
Chers collègues, nous n'avons plus de temps.
J'aimerais noter que nous avons reçu un certain nombre de mémoires en format papier. S'il y en a d'autres que vous n'avez pas encore remis, n'hésitez surtout pas à le faire pour que nous puissions les distribuer.
Chers collègues, compte tenu de nos échéanciers et de l'importance de ces documents, nous devrons nous soustraire à l'obligation de les traduire avant de vous les remettre. Je me demande si nous pouvons consentir à ce qu'ils soient distribués sans être complètement traduits.
Je suis désolée, monsieur le président, mais avec tout le respect que je vous dois, nous avons une politique selon laquelle nous ne pouvons pas distribuer de documents à moins qu'ils soient traduits dans les deux langues officielles. Je m'opposerais également au comité si tous les documents étaient rédigés en français. Beaucoup de membres ne lisent pas l'anglais. Je pense que ce serait injuste.
Nous limitons notre capacité de distribuer des documents si nous ne consentons pas à nous dispenser de l'obligation de les traduire, comme nous l'avons déjà fait dans le passé. Nous ne nous sommes pas entendus à l'unanimité.
Chers témoins, je crains que nous ne puissions pas distribuer vos documents, car nous n'avons pas les ressources nécessaires pour qu'ils soient immédiatement traduits. Vous pouvez les remettre vous-mêmes aux membres du comité, mais pas par l'entremise du greffier.
Chers collègues, je vous recommande de vous adresser directement à eux pour les obtenir.
Madame Crowder.
Il y a une autre solution. Vous pouvez nous donner le temps nécessaire pour examiner les témoignages que nous avons entendus avant de faire l'étude article par article du projet de loi. Nous n'avons aucune raison de procéder autrement.
Madame Crowder, nous pouvons entendre les témoignages. Les membres de notre comité connaissent bien les problèmes liés à la traduction, qui demanderait beaucoup de temps dans le cas de la documentation que nous avons reçue. De toute évidence, nous ne pourrions pas respecter les délais.
Chers collègues, si vous désirez consulter ces documents, veuillez les demander directement aux témoins.
Nous allons maintenant suspendre brièvement la séance avant d'entendre un autre témoin.
La séance est suspendue pendant que nous faisons la transition.
Chers collègues, nous pouvons reprendre nos travaux. Nous remercions nos témoins d'attendre le prochain tour de questions. Nous nous excusons de la confusion que cela a causée.
Cela dit, nous avons parmi nous des représentants de l'Association du Barreau canadien. Christopher Devlin se joint encore une fois à nous. Nous avons aussi Terry Hancock. Merci beaucoup d'être venus témoigner.
Nous accueillons également Ramani Nadarajah, par vidéoconférence. Je m'excuse si je n'ai pas bien prononcé votre nom. Nous vous donnerons bientôt la parole.
Nous allons commencer par la déclaration liminaire des représentants de l'Association du Barreau canadien avant de passer à l'Association canadienne du droit de l'environnement.
[Français]
Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs membres du comité.
L'Association du Barreau canadien est très heureuse de comparaître devant vous ce matin au sujet du projet de loi S-8, un projet de loi important pour les Autochtones du Canada.
L'Association du Barreau canadien est une association nationale qui représente plus de 37 000 avocats dans toutes les régions du Canada.
[Traduction]
La lettre que vous avez reçue a été préparée par notre section du droit des Autochtones, qui est formée d'un groupe d'avocats spécialistes en la matière provenant de partout au pays.
[Français]
L'un des objectifs de l'Association du Barreau canadien est d'améliorer le droit et l'administration de la justice. C'est de ce point de vue que nous avons examiné le projet de loi S-8.
[Traduction]
Cela dit, je suis très heureuse de vous présenter M. Christopher Devlin, spécialiste reconnu du droit des Autochtones que les membres de votre comité connaissent bien.
M. Devlin est venu de Victoria pour nous parler des principaux points du projet de loi.
Merci.
Merci. J'aimerais faire remarquer qu'il est déjà plus de 6 ou 7 heures à Victoria, et que je ne suis donc pas trop fatigué pour le moment. Il n'est pas aussi tôt que la dernière fois.
Aujourd'hui, nous allons surtout mettre l'accent sur la disposition de non-dérogation du projet de loi, mais je veux commencer par dire que la salubrité de l'eau dans les réserves est essentielle. L'ABC appuie donc les démarches en ce sens. De par sa conception, le projet de loi est une loi-cadre; il accorde le pouvoir d'établir des règlements connexes. Cela paraît assez évident. Il donne aussi beaucoup de souplesse, en particulier dans les paragraphes 4(1) et 5(4) et dans l'article 7. Je vais y revenir à la fin de ma déclaration.
C'est maintenant le contenu de l'article 3 du projet de loi S-8 qui nous préoccupe — c'était déjà le cas lors de son dernier dépôt quand il s'agissait du projet de loi S-11. On y trouve une exception ou plutôt une disposition qui permet aux règlements de porter atteinte aux droits ancestraux protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle et de les abolir dans la mesure où c'est nécessaire pour assurer la salubrité de l'eau sur les terres des Premières Nations.
Nous voulons simplement indiquer au comité que nous ne pensons pas que l'efficacité du projet de loi dans sa forme actuelle en dépende et que rien ne nous laisse croire que c'est essentiel à sa mise en oeuvre. Nous nous demandons également si ce genre de formulation est constitutionnellement valide. Dans nos interventions précédentes, nous avons parlé du critère de transgression établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sparrow. Des témoins ont sûrement abordé le sujet. En cas de violations potentielles, la sécurité et la préservation des ressources sont en tête de liste. On retrouve ensuite la fourniture de biens de subsistance et les pratiques cérémoniales et traditionnelles des Premières Nations, les droits commerciaux et, enfin, d'autres types d'utilisation des ressources.
J'aimerais m'étendre un peu sur la question parce que les droits ancestraux et ceux issus de traités doivent nécessairement être exercés de manière sécuritaire, ce qui a peut-être échappé aux rédacteurs du projet de loi. En effet, la sécurité et la préservation des ressources sont inhérentes à l'exercice des droits ancestraux. Les tribunaux ont d'ailleurs abordé la question dans divers contextes. On ne peut pas chasser de manière dangereuse ni tirer des coups de feu à partir d'une camionnette sur le bord de la rue. Il faut adopter des pratiques sécuritaires, et je pense que c'est ainsi que tous les droits ancestraux liés à l'eau et à sa gestion doivent être exercés.
À notre avis, cette disposition n'est pas du tout nécessaire parce que la gestion sécuritaire, qui vise à s'assurer de la gestion et de l'utilisation sécuritaires de la ressource, est inhérente aux droits ancestraux et à ceux issus de traités.
L'autre point que je veux aborder est que le comité n'a pas accès aux règlements étant donné qu'il s'agit d'une loi-cadre. Nous ne savons pas vraiment en quoi ils consisteront. J'ai mentionné que c'est un projet de loi très flexible qui prévoit divers régimes réglementaires d'un bout à l'autre du pays. Un seul pourrait être utilisé ou bien un très grand nombre — nous l'ignorons à ce stade-ci. Cela nous préoccupe non seulement parce qu'il pourrait y avoir une multitude de règlements fédéraux sur l'eau, mais aussi parce que ceux des provinces pourraient être incorporés par renvoi à leur place. Nous ne savons pas vraiment dans quelle mesure les droits des Premières Nations concernées prévus par l'article 35 seront respectés dans le cadre des régimes provinciaux. Pour être franc, la plupart ne contiennent pas de renvoi à l'article 35. Nous ne savons donc pas vraiment comment tout cela s'imbriquera.
J'aimerais revenir sur les commentaires de M. Twinn. Il anticipait la possibilité d’une importante contestation. Je crois qu’il y a un risque réel que cela se produise ici, notamment en ce qui a trait à la dérogation aux droits confirmés à l’article 35 par l’intermédiaire d’une incorporation par renvoi des modes de gestion de l’eau provinciaux.
Je crois que la façon idéale de procéder est d’élaborer des règlements au cas par cas avec les Premières Nations des réserves touchées par des problèmes de salubrité de l’eau. Ainsi, les règlements seront rédigés en fonction de ces Premières Nations, dont celles qui sont représentées ici aujourd’hui et d'autres qui l’ont déjà été.
Nous n’avons pas besoin d’une clause dérogatoire pour faire cela, ni de l’exception consignée à la fin de l’article 3 du projet de loi.
C’était là mon exposé.
Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à Mme Nadarajah, par vidéoconférence.
Vous attendez depuis un certain temps et nous vous remercions de votre patience. La parole est à vous. Merci.
Merci, monsieur le président, et merci aux membres du comité.
Je m’appelle Ramani Nadarajah, et je suis avocate pour l’Association canadienne du droit de l’environnement.
L’Association canadienne du droit de l’environnement, ou ACDE, est un organisme d’intérêt public sans but lucratif qui a été fondé en 1970. C’est une clinique juridique axée sur l’environnement, qui vient en aide aux personnes à faible revenu et aux collectivités désavantagées en procédant à des poursuites et en travaillant à la réforme du droit pour faire en sorte que la protection de l'environnement soit plus rigoureuse.
Nous convenons tous que de nombreuses collectivités des Premières Nations ont un urgent besoin d’un meilleur accès à l’eau potable. La nécessité d’un cadre réglementaire approprié pour l’eau et les eaux usées dans les collectivités des Premières Nations a été soulignée dans de nombreux rapports, rapports auxquels les témoins qui m’ont précédée ont, je crois, fait référence.
L’ACDE a examiné le projet de loi et nous croyons que, pour que celui-ci atteigne son objectif de permettre aux collectivités des Premières Nations d’avoir accès à de l’eau potable tout en protégeant les droits constitutionnels des Autochtones et ceux qui leur sont conférés par traité, trois enjeux importants devront être pris en considération.
Tout d’abord, les Autochtones protégés par la Constitution et en vertu de traités doivent se voir accorder une protection aux termes du projet de loi. Deuxièmement, le projet de loi devrait contenir une approche à barrières multiples pour la gestion des ressources en eau des Premières Nations. Troisièmement, les structures de gouvernance des Premières Nations doivent être respectées.
Je vais d’abord vous parler de la première question, c’est-à-dire de la disposition de dérogation consignée à l’article 3, une question qui a déjà été soulignée par l'Association du Barreau. L’ACDE fait remarquer que, dans l’arrêt Sparrow, la Cour suprême du Canada a établi le critère justifiant atteinte aux droits ancestraux et issus de traités confirmés pour les objectifs législatifs légitimes. Étant donné la jurisprudence, la disposition contraignante de l’article 3 du projet de loi n’a pas sa raison d’être.
Par conséquent — et c’est ce que nous avons souligné dans l’exposé que nous avons présenté plus tôt —, nous sommes d’avis que cette question est semblable à celle qui a été traitée auparavant. Nous ne croyons pas que cette section soit nécessaire, mais nous précisons que, s’il devait y avoir une disposition de non-dérogation, c’est celle de la Loi ontarienne sur l’eau saine qui serait la mieux appropriée puisqu’elle a été conçue précisément pour la protection des sources d’eau potable.
Cette disposition est simplement énoncée comme suit, à l’article 82 de la Loi ontarienne sur l’eau saine:
Il est entendu que la présente loi ne porte pas atteinte à la protection des droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada découlant de leur reconnaissance et de leur confirmation au titre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle...
La deuxième chose que le projet de loi doit chercher à faire est de fournir une description plus détaillée de la façon d’améliorer la gestion des ressources en eau sur les terres des Premières Nations. Dans une large mesure, la mise en oeuvre de la loi sera dictée par ses règlements. Or, nous remarquons que la liste des pouvoirs de réglementer figurant aux articles 4 et 5 du projet de loi n’assure pas clairement l’instauration d’une approche à barrières multiples pour les réseaux d’approvisionnement en eau potable des Premières Nations, telle que recommandée par les rapports d’enquête de Walkerton et de North Battleford.
Une approche à barrières multiples devrait comporter les éléments suivants: une certification fiable donnée par des laboratoires, des responsabilités claires en matière de surveillance et de production de rapports, la délimitation claire des rôles des responsables en matière de santé et d’environnement, dont ceux des Premières Nations et de leurs gouvernements, le signalement des événements indésirables, la délimitation des responsabilités dans le cadre des événements indésirables, et la mise en place de protocoles clairs, l’engagement public des membres des collectivités, le recours à l’obligation de divulguer et à la transparence, une définition des façons de recevoir des conseils de tierces parties expertes — comme, en Ontario, l’Ontario Drinking Water Advisory Council, une explication détaillée des ressources et des mécanismes de financement, et des dispositions sur la planification à long terme des infrastructures. L’ACDE estime qu’une approche à barrières multiples doit être intégrée au projet de loi, faute de quoi, nous nous retrouverons encore avec une loi habilitante aux contours flous.
En dernier lieu, l'ACDE admet qu'il importe de reconnaître et de protéger les droits qu'ont les Premières Nations de régir l'eau sur les territoires des réserves. À cet égard, nous avons des préoccupations au sujet de l'alinéa 5(1)b) du projet de loi, qui stipule que ces règlements peuvent « conférer à toute personne ou à tout organisme tout pouvoir, notamment législatif, administratif ou judiciaire, que le gouverneur en conseil juge nécessaire afin de régir efficacement les systèmes d’alimentation en eau potable et les systèmes de traitement des eaux usées ».
L'aspect générique de cette disposition inquiète puisque le savoir-faire et les compétences professionnelles de « toute personne » ne sont pas définis. Cette disposition pourrait faire en sorte que les Premières Nations perdent leur capacité de contrôler et de gérer leurs terres et leur eau.
De plus, nous remarquons que l'article 7, qui est l'article sur l'incompatibilité du projet de loi S-8 , stipule que les règlements de la présente loi peuvent l’emporter sur tout texte législatif ou règlement administratif incompatible adopté par une Première Nation pour protéger l'eau potable.
Outre l'article 3 dont je parlais tantôt, ces deux articles ont le potentiel de miner le droit des Premières Nations à s'autogouverner. Par conséquent, le comité devrait envisager d'apporter des amendements à ces dispositions pour veiller à ce que ce ne soit pas le cas. Voilà l'essentiel de ce que j'avais à dire. Vous pouvez me poser les questions que vous voudrez.
[Français]
Bonjour, consoeurs et confrères juristes.
Mes questions porteront essentiellement sur l'alinéa 5(1)h) du projet de loi. Je vous invite à en prendre connaissance rapidement. On y dit ce qui suit:
h) conférer à toute personne le pouvoir de vérifier le respect des règlements et, notamment, celui de saisir et retenir toute chose trouvée dans l’exercice de ce pouvoir;
J'aimerais entendre votre avis sur la signification des mots « toute personne ».
Selon vous, quelles qualifications devraient être associées à cette notion de personne dans le cadre de cet article précis?
[Traduction]
Merci pour votre question.
Puisqu'il s'agit du cadre d'une loi, nous ne disposons pas encore des règlements. Nous présumons que « toute personne » sera quelqu'un avec un pouvoir légitime conféré par quelque autorité juridique. Mais nous ne savons pas s'il pourrait s'agir d'un fonctionnaire des Affaires autochtones, d'un agent de la paix ou d'un inspecteur provincial de la gestion de l'eau.
Je pensais que votre question allait plutôt porter sur le pouvoir de saisie et sur la conformité possible de ce pouvoir aux termes de la Loi sur les Indiens. Il me semble que ce règlement ne peut avoir préséance sur la Loi sur les Indiens, mais je crois que cette question devra être débattue ultérieurement.
[Français]
Vous m'avez un peu devancé.
Toujours selon votre propre appréciation, qu'entend-on par le pouvoir de « saisir et retenir »? Au final, quels objets peuvent être saisis et retenus et quelle est la portée du pouvoir conféré par cet article?
[Traduction]
Je le répète, comme nous n'avons pas les règlements devant nous, nous ne savons tout simplement pas de quoi il retourne. C'est l'une des choses que les règlements permettront de préciser.
Une des choses qu'il serait bon de préciser est ce qui arrive si le bien faisant l'objet de la saisie appartient à une Première Nation ou pas. Dans la négative — prenons l'exemple d'une usine de filtration appartenant à une municipalité locale située sur le territoire d'une réserve — les choses pourraient être différentes. Si l'usine appartient en fait à la Première Nation, alors il pourrait y avoir conflit entre l'article 89 de la Loi sur les Indiens — qui ne dit rien sur la saisie, sur les réserves, de biens appartenant à des Premières nations — et les règlements.
Je ne suis pas certain que ce soit récupéré par l'article 3, car il s'agit d'une disposition législative. On peut se demander s'il s'agit d'un droit autochtone, mais, à première vue, il s'agit d'une partie d'une loi fédérale qui dit que l'on ne peut saisir des biens appartenant à des Indiens, sur une réserve. Il faudra tirer cela au clair, et ce sera à la personne qui rédigera les règlements de trancher. Cette personne devra également établir comment cela s'appliquera dans une réserve donnée.
[Français]
Ma prochaine question est un peu plus large.
Les témoins qui vous ont précédés ont indiqué que le résultat créerait fort probablement une brèche dans la relation fiduciaire entre la Couronne et les Premières Nations compte tenu de cette délégation aveugle des paramètres d'approvisionnement en eau et de l'assurance de la qualité de l'eau. Au final, cette obligation incomberait aux Premières Nations sans qu'elle soit nécessairement assortie d'une enveloppe budgétaire.
J'aimerais connaître vos impressions sur cette situation.
[Traduction]
Je m'excuse, mais je n'ai pas très bien saisi la question. Cherchez-vous à savoir si le règlement est en contravention de l'obligation fiduciaire de l'État?
[Français]
L'application de ces dispositions pourrait-elle constituer une brèche dans la relation fiduciaire compte tenu que ces obligations sont déléguées aux Premières Nations, mais qu'une enveloppe budgétaire n'est pas nécessairement prévue pour assurer un suivi adéquat de ces mesures?
[Traduction]
Merci.
Cette question sort du cadre de notre exposé, alors il faut que je sois prudent. Étant donné le caractère facultatif de cette disposition, à savoir que les règlements peuvent faire ces choses ou pas, il nous faudra vraiment attendre que des règlements précis soient rédigés au sujet de ce pouvoir statutaire avant d'établir de prime abord si cela constitue ou non une atteinte.
Pour l'instant, je ne suis pas prêt à dire que l'application de ces dispositions constitue à elle seule une atteinte à la relation fiduciaire .
Merci, monsieur le président.
Christopher, merci pour votre témoignage.
Je veux parler de deux choses. Tout d'abord, vous avez dit que ce projet de loi était très souple, et je pense que c'est le cas. Au fil de notre étude du projet de loi, l'une des choses que j'ai constatées est que les gens ont tendance à oublier que la loi visée est une loi habilitante, ce qui signifie qu'elle fournit un cadre. Voilà un autre mot que vous utilisez.
Lorsque vous rédigez un cadre ou une loi habilitante, vous devez rassembler une pléthore d'éléments, car vous cherchez à couvrir tous les aspects susceptibles d'être réglementés. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?
Je conviens tout à fait qu'il s'agit d'une loi habilitante. C'est un cadre, et le projet de loi a été conçu en tant que tel.
Si c'est ce que vous cherchez à faire, vous allez tenter de couvrir tous les scénarios possibles et imaginables sur lesquels vous pourriez réglementer. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?
Je l'ai vu faire des deux façons. J'ai vu que l'on pouvait commencer avec une pléthore d'éléments, comme vous le dites, mais j'ai aussi vu des projets de loi qui se réduisaient à presque rien, auquel cas, l'adoption des règlements était confiée au gouverneur en conseil, ce qui constituait un très vaste pouvoir. Les deux façons sont bonnes.
Il y a une chose que je tiens à commenter. Beaucoup ont laissé entendre ou présenté comme un fait que cette loi transférera le pouvoir de réglementer aux provinces et les responsabilités, aux Premières Nations.
Or, la disposition indique clairement qu'il ne s'agit que d'une possibilité. C'est l'une des choses qui pourraient résulter des consultations effectuées auprès des Premières Nations au sujet des règlements. J'estime qu'il n'est pas nécessairement exact de dire que ce projet de loi aura cet effet. Il sera plus juste de dire qu'il pourrait mener à cela. Êtes-vous d'accord avec l'espèce de cadre d'interprétation que je propose?
Oui. Nous ne savons tout simplement pas ce qui arrivera puisqu'il s'agit d'une loi-cadre. Ce qui arrivera dépendra pour une large part des règlements qui seront rédigés après l'entrée en vigueur de la loi.
L'une des choses que le groupe d'experts sur la salubrité de l’eau dans les collectivités des Premières Nations a dites c'est qu'il fallait un cadre de réglementation. Convenez-vous qu'un cadre de réglementation est l'une des choses qu'il faut préconiser pour assurer que les Premières Nations aient de l'eau potable?
Selon moi, il s'agit là d'une sorte de condition préalable nécessaire ou d'une première étape. Vous établissez ce que le cadre de réglementation sera, puis vous évaluez l'ampleur de l'enveloppe budgétaire qu'il faudra pour appuyer la mise en oeuvre de ces règlements. Je crois que c'est la façon logique de procéder.
Certains sont d'accord avec moi et d'autres, non. Je serais heureux de savoir si vous allez vous ranger dans le camp de ceux qui sont d'accord avec moi ou dans le camp de ceux qui ne le sont pas.
Je ne crois pas que c'est le propre du barreau de se ranger de quelque côté que ce soit.
Notre lettre au comité indique effectivement que des ressources adéquates devront être affectées. Vous avez entendu une quantité d'autres témoignages, et l'on pourrait dire la même chose de n'importe quelle infrastructure municipale: au bout du compte, le résultat est toujours proportionnel au prix payé. Si vous ne mettez pas l'argent qu'il faut pour avoir de bonnes routes, vous vous retrouvez avec des trous dans la chaussée. Si vous ne payez pas ce qu'il faut pour avoir de bons réseaux et de la formation de bonne tenue, vous vous retrouvez avec des réseaux d'aqueducs insalubres.
Il faut des ressources, surtout lorsqu'il est question d'infrastructures municipales. Beaucoup dépendra de la façon dont la loi sera mise en oeuvre. Il est difficile de prédire l'avenir, mais, dans un monde idéal, nous aurions des règlements taillés sur mesure pour épouser parfaitement les conjonctures particulières des Premières Nations prises une à une ou à l'échelle d'une région, si cela est possible. L'adduction d'eau dans une région donnée — à l'intention d'une Première Nation particulière ou d'une série de Premières Nations —, serait par conséquent encadrée par ses propres règlements adaptés au contexte.
Mais si nous faisons ce que vous suggérez pour établir le financement requis pour la mise en oeuvre de ce plan, vous devrez d'abord connaître ledit plan, c'est-à-dire: en quoi les règlements consisteront-ils? Ne reconnaissez-vous pas que c'est la façon sensée de procéder?
Eh bien, laissez-moi ajouter une dernière chose.
Mon collègue, M. Genest-Jourdain, parlait de l'alinéa 5(1)h) ainsi que de la saisie et de ce qu'elle fera. Encore une fois, nous ne sommes pas dans l'obligation, mais bien dans le facultatif, n'est-ce pas? L'article stipule que les règlements « peuvent » faire ceci et cela.
Alors, de la même façon, cette préoccupation peut exister ou ne pas exister, parce que tel ou tel règlement pourrait entrer en vigueur ou ne jamais entrer en vigueur. Diriez-vous que cela est exact?
Merci beaucoup.
Je ne crois pas qu'il revienne à votre association de se prononcer là-dessus, mais je pense comme mon collègue de l'autre côté qu'il existe des évaluations très claires des coûts nécessaires pour fournir de l'eau potable. Et c'est ce qui compte ici: l'eau potable.
Il semble qu'il faille 1,2 milliard de dollars de toute urgence et 4,6 milliards de dollars sur 10 ans, alors je ne crois pas que la condition préalable, comme il a été énoncé dans l'évaluation, dans le rapport du Sénat et votre troisième paragraphe, est respectée pour ce qui est de... Je ne pense pas que la réglementation soit nécessaire pour faire les investissements dont les gens disent avoir besoin, tant pour l'infrastructure que la formation et le fonctionnement.
Je me préoccupe de ce que les témoins précédents ont dit concernant la responsabilité et ce qui se passera dans les faits. Nous avons entendu parler de trois situations différentes: une plurigouvernementale, une grande réserve s'agissant de la Tribu des Blood, et ensuite la petite Première Nation Ermineskin, qui doit puiser son eau quelque part.
Si vous vous retrouviez avec un Walkerton, une situation où les gens tombent malade ou meurent même, qu'arrive-t-il après l'adoption de cette mesure législative au plan de la responsabilité?
Cela nous ramène à l'article 11 du projet de loi. Lorsque ces questions ont été soulevées tout à l'heure, j'ai épluché le projet de loi. Dans les faits, il prévoit les mêmes moyens de défense pour les gens. On se préoccupait notamment qu'il y ait transfert de responsabilité entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations.
J'aimerais dire deux choses. La première est qu'il n'y est pas question de « transfert de responsabilité ». Il y est dit que tout fonctionnaire ou organisme concerné « bénéficient, sauf disposition contraire des règlements, des mêmes limites de responsabilité, moyens de défense et immunités que ceux dont ils bénéficieraient s’ils exerçaient ces attributions selon le droit de la province ». Il prévoit donc les mêmes moyens de défense dans la réserve dans le contexte fédéral qu'à l'extérieur de la réserve dans la province visée. C'est le premier commentaire...
En effet, et alors la question serait de déterminer laquelle des deux lois en conflit s'applique dans ce cas. La réponse est que nous l'ignorons. Je pense qu'Akwesasne aimerait disposer de son propre régime de gestion de l'eau, et ensuite, ses membres vous diraient s'ils ont des limites et des moyens de défense.
Le deuxième point que j'aimerais faire valoir est que dans les trois sous-divisions à l'article 11, il est noté que ces limites de responsabilité, moyens de défense et immunités sont sujets à modification dans le règlement. Alors, encore une fois, nous ne savons vraiment pas la mesure de ces limites de responsabilité et des moyens de défense qu'aurait une Première Nation ou une société des Premières Nations qui gère un système de traitement ou de gestion des eaux.
Pour ce qui est de savoir s'ils existeraient comme ils existent à l'extérieur des réserves dans la province, nous ne le saurons pas avant que la réglementation soit élaborée, car elle pourrait prévoir des moyens de défense et des limites de responsabilité supplémentaires ou en retrancher. Nous l'ignorons à ce stade.
L'alinéa 11(3)a) dispose que « nul ne peut recevoir d’indemnité ou autre réparation de Sa Majesté du chef du Canada ».
Il semble que cette partie ait été déplacée.
Le Canada a été protégé, mais quel que soit l'autre partie dont il est question au paragraphe 11(3), elle dispose aussi des mêmes moyens de défense auxquels elle aurait droit en dehors des réserves dans la province, sauf celles qui pourraient être modifiées, rehaussées ou retranchées dans le règlement. Au bout du compte, nous ne saurons pas vraiment de quoi il s'agit avant que les dispositions figurent dans le règlement.
Prenons par exemple une situation dans laquelle ils attendent depuis 10 ans d'avoir une usine et le ministère ne leur a pas donné ce dont ils avaient besoin pour ce faire, et ensuite... L'île Christian, où je me suis rendue et où l'on attend une nouvelle usine géniale, la membrane dont on a besoin, n'a pas reçu les ressources du ministère. Je pense que ce que les chefs et grands chefs disent est que lorsque le gouvernement, l'État, ne leur donne pas ce dont ils ont besoin pour offrir de l'eau potable, sans crier gare, comme par miracle, c'est la bande qui est fautive.
C'est une préoccupation. Et encore une fois, c'est un des problèmes associés à des lois-cadres. Tant que nous n'aurons pas vu la réglementation qui s'appliquerait à cette réserve en particulier, nous ne savons vraiment pas dans quelle mesure cette communauté des Premières Nations est responsable, ou si c'est la municipalité avoisinante qui est tenue responsable par le gouvernement fédéral, par exemple. Nous l'ignorons. C'est l'une des limites des discussions relatives à une loi-cadre: cela dépendra vraiment de la réglementation qui s'appliquera à cette Première Nation en particulier.
Merci, monsieur le président.
Merci à nos deux groupes de témoins d'être venus aujourd'hui. Je vous sais vraiment gré de votre témoignage.
Je voulais revenir sur un commentaire que vous avez fait, monsieur Devlin, concernant les ressources, et en particulier qu'elles doivent être affectées. J'avais espoir d'en parler pendant les témoignages du premier groupe. Étiez-vous présent à ce moment-là? Oui. Puisqu'on a beaucoup parlé de ressources inadéquates, j'ai vérifié les investissements fédéraux depuis 2006 dans l'infrastructure de gestion des eaux et des eaux usées des Premières Nations. En gros, les investissements se chiffrent à 2,5 milliards de dollars. En avril 2008, le gouvernement a annoncé un investissement de 330 millions de dollars sur deux ans dans un plan d'action sur la gestion des eaux et des eaux usées, ainsi qu'un autre de 193 millions sur deux ans pour la réalisation de projets relatifs à l'infrastructure. Les services votés continus du ministère s'élèvent à 197,5 millions de dollars par année. Dans le budget de 2010, le Plan d'action pour la gestion de l'eau potable et des eaux usées des Premières Nations a été reconduit pour deux ans avec un investissement supplémentaire de 330 millions de dollars. Il y en a probablement davantage; c'est tout ce que j'ai pu trouver.
On s'est aussi engagé, dans le contexte de l'élaboration du cadre réglementaire, à hausser ce financement, sachant qu'une mesure législative doit prévoir des ressources supplémentaires dans les réserves pour qu'il soit possible d'offrir de l'eau potable. J'ignore si vous avez entendu la chef Rose Laboucan parler de l'investissement dans une usine de 6 millions de dollars dans sa réserve et qu'elle ne fonctionne pas suffisamment bien. Dites-moi, lorsque vous parlez de ressources adéquates, croyez-vous qu'il y a d'autres mesures que le gouvernement pourrait prendre?
J'aime ces questions à développement. Pour ce qui est du plan d'action, je remarque dans le résumé législatif qu'il n'a pas été renouvelé après le 31 mars 2012.
Le budget 2010 y a affecté 330 millions de dollars, et dans le budget 2012, 330 millions de dollars y ont été consacrés sur deux ans, mais le plan d'action lui-même n'a pas été reconduit officiellement. Je n'ai rien vu depuis, mais je l'ai remarqué dans le résumé législatif.
Encore une fois, le Barreau se préoccupe vraiment des questions de réformes législatives soulevées par le projet de loi. Nous voulons veiller à ce que le projet de loi trouve un juste équilibre s'agissant des questions relatives aux droits conférés en vertu de l’article 35.
Il vous faut le financement adéquat pour avoir l'infrastructure municipale, et cela variera d'une communauté à l'autre. C'est difficile à évaluer. Honnêtement, il y a des personnes bien mieux placées pour l'évaluer que la Section des affaires autochtones du...
Même si je suis d'accord avec vous, de toute évidence, lorsque vous avez formulé ce commentaire, c'était un peu en marge du reste de vos remarques. Je voulais simplement m'assurer que vous en étiez conscient, car nous prenons la chose au sérieux nous aussi.
Ma collègue, Mme Bennett, a parlé de l'article 11. Pour y revenir un instant, vous avez soulevé deux points à ce sujet. Je me demandais si vous pouviez parler plus en détail du deuxième point, car vous avez mentionné que nous ne le savions pas encore.
Pourriez-vous nous dire ce que les options pourraient être pour que, dans le cadre réglementaire que nous élaborons, la responsabilité légale soit attribuée à qui de droit pour permettre à toutes les parties d'assumer leur juste part de responsabilité en cas de pépin? Comment pourrions-nous le faire?
C'est un exercice de rédaction législative en ce sens que cela dépend vraiment de l'entité qui sera chargée de la propriété de l'installation, de celle qui sera chargée de son exploitation, ce dont cela aura l'air pour la Première Nation en particulier. S'agit-il de la Première Nation même? Est-ce que ce sera l'administration municipale locale qui leur fournira l'eau?
Ce sera tellement au cas par cas que pour être juste, je pense que vous devriez examiner le contexte de chaque situation lorsque vous rédigez le règlement qui s'appliquera à une situation donnée pour savoir qui devrait assumer sa juste part. Étant donné que nous n'avons pas vu le règlement, je l'ignore. Cela dit, je pense que le paragraphe 11(3) envisage une situation dans laquelle le gouvernement du Canada n'est plus le propriétaire-exploitant et ne fait plus vraiment partie du système de distribution de l'eau ou de gestion des eaux usées, alors il ne veut plus en être responsable.
La question que le paragraphe 11(3) soulève est la suivante: qui en sera le propriétaire et l'exploitant? Je pense que le grand chef Roland Twinn se préoccupait du fait que si c'est la Première Nation, notamment si elle l'exploite ou en est responsable légalement, elle doit assumer toute la responsabilité sans garantie de recevoir les ressources. Si cela vient de la municipalité à côté de la réserve, la Première Nation ne sera même pas propriétaire du système dont elle est maintenant potentiellement responsable.
Il s'agit dans tous les cas de situations très précises et contextuelles qui doivent être traitées dans le cadre de la réglementation qui s'applique à cette Première Nation en particulier.
Merci, madame Ambler. Je m'excuse, mais votre temps est écoulé.
M. Bevington posera les dernières questions.
Merci aux témoins. C'est une discussion très intéressante. Vous avez parlé d'incorporation par renvoi, point à l'étude au Parlement par le truchement du projet de loi S-12. Ce projet de loi contient une disposition concernant le renvoi dynamique. Autrement dit, la réglementation modifiée par d'autres organes s'appliquera à la réglementation adoptée.
Que pensez-vous d'une situation où la réglementation provinciale peut être modifiée sans discussion avec le gouvernement fédéral, sans discussion avec les Premières Nations sous le régime de l'article 35? Que pensez-vous de la réunion de ces deux projets de loi qui contiennent maintenant des dispositions concernant le renvoi dynamique? En quoi cela influe-t-il sur les droits des Premières Nations?
J'aimerais que vous répondiez tous les deux.
Je vais laisser à M. Devlin le soin de parler de la façon dont cela influerait sur les droits autochtones en ce qui concerne l'incorporation par renvoi. Ce qui me préoccupe est vraiment la question de l'uniformité des normes, c'est-à-dire que l'incorporation par renvoi pourrait permettre l'utilisation de normes inégales sur les terres des réserves en ce qui concerne la qualité de l'eau potable. Ce serait notre principale préoccupation à cet égard.
J'aime qu'on me demande mon avis, car j'ai bien des opinions au sujet des incorporations par renvoi qui découlent de l'article 88 de la Loi sur les Indiens. Je n'ai jamais beaucoup aimé cet article, mais il figure depuis longtemps dans la Loi sur les Indiens. Dans ce cas, les provinces peuvent modifier leur loi régissant les véhicules automobiles sans en avertir le gouvernement fédéral, et cette loi et son règlement peuvent s'appliquer aux réserves sous le régime de l'article 88 de la Loi sur les Indiens.
Dans ce cas, je pense que vous avez la même capacité: la réglementation, par opposition à la disposition législative, peut regrouper les régimes provinciaux en vigueur. Les provinces peuvent l'adapter de temps à autre. La seule clause conditionnelle dans la disposition relative à l'incorporation par renvoi est que, contrairement à la situation prévue dans la Loi sur les Indiens, le gouverneur en conseil peut adapter ces lois provinciales, ce qui, selon moi, est une amélioration par rapport à l'article 88 de la Loi sur les Indiens.
Je ne connais pas le projet de loi S-12, alors je ne sais pas s'il en est question dans le libellé. Mais si un projet de loi contient des incorporations par renvoi, même si je n'aime pas ces clauses en général, je pense qu'il s'agit d'une meilleure clause si elle permet au gouverneur en conseil d'adapter les lois de la province pour traiter la situation précise dans la réserve.
Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question. La réglementation pouvant contenir des incorporations dynamiques est alors déterminée par ceux qui définissent le règlement. S'il s'agit d'un organe autre que le gouvernement fédéral, il peut alors rajuster les normes relatives à l'eau potable. Il peut changer la perspective quant à la façon... Vous élaborez un plan relatif à l'eau potable en fonction de certains règlements, de certaines normes que vous devez respecter. Si la province les modifie sans consultation avec les Premières Nations, j'y vois un problème potentiel.
Je peux, mais sauf votre respect, ce n'est pas tout à fait la façon d'interpréter la disposition. Bien qu'elle incorpore les lois provinciales par renvoi, et les provinces peuvent toujours modifier leurs lois sans en avertir le gouvernement fédéral, le gouverneur en conseil est toujours habilité à apporter des ajustements aux lois provinciales au besoin. Alors il y a un pouvoir résiduel.
La question que cela pose, par contre, est celle de savoir si le gouverneur en conseil exercera ce pouvoir. Nous ne le savons simplement pas. Encore une fois, cela sera au cas par cas. Mais si un projet de loi contient des incorporations par renvoi, je préférerais que le gouvernement fédéral se réserve le pouvoir de néanmoins adapter ces lois provinciales d'application générale comme il juge bon de le faire. Je pense que c'est une meilleure façon de faire que de simplement donner carte blanche pour ce qui est des incorporations par renvoi comme on le voit à l'article 88 de la Loi sur les Indiens.
Merci beaucoup.
Merci aux témoins d'être venus ce matin. Nous vous savons gré de vous être adaptés à notre horaire, d'avoir présenté des exposés et d'avoir répondu de bonne grâce à nos questions.
Chers collègues, je fais simplement remarquer que nous croyons que la vaste majorité des amendements ont été présentés. On nous informe que d'autres continuent de l'être. Nous vous les communiquerons d'ici demain matin pour que vous puissiez examiner les suggestions de vos collègues. Notre prochaine réunion, celle de jeudi, se tiendra dans l'édifice de l'Est. Nous vous enverrons un avis, mais prenez-en bonne note.
Merci beaucoup.
La séance est levée.
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