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Je déclare la séance ouverte.
Bonjour, mesdames et messieurs.
Il s'agit de la 35e séance du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires. Nous allons nous consacrer aujourd'hui au processus d'examen des prévisions budgétaires et des crédits.
Nous sommes ravis et très privilégiés d'accueillir deux témoins fort intéressants. Tout d'abord, nous recevons Ned Franks, professeur émérite au département d'études politiques de l'Université Queen's, et expert de ces questions. Monsieur Franks, soyez le bienvenu.
Nous sommes également très reconnaissants de pouvoir compter sur la présence de M. Joachim Wehner, qui s'est joint à nous par vidéoconférence, depuis Le Cap, en Afrique du Sud. Nous vous remercions de comparaître à une heure aussi tardive. Si je ne me trompe pas, il est actuellement 21 h 30 au Cap. Nous sommes très heureux que vous soyez des nôtres aujourd'hui et nous sommes très impatients d'entendre votre témoignage.
Habituellement, nous demandons à nos témoins de faire un bref exposé sur le sujet, de cinq ou dix minutes, après quoi nous enchaînons avec des séries de questions de la part des députés des trois partis représentés ici.
Si vous êtes d'accord, nous pourrions commencer par le professeur Franks.
Cette question m’intéresse grandement. J’ai acquis beaucoup d’expérience dans le domaine des finances parlementaires et gouvernementales en travaillant pour le Bureau du budget du gouvernement de la Saskatchewan. Je me suis notamment intéressé à la forme du Budget des dépenses et aux méthodes comptables établies à l’Assemblée législative. C’est d’ailleurs de là que vient mon intérêt pour l’approche de l’administrateur des comptes. Les prévisions budgétaires sont également d’un grand intérêt pour moi, puisque je les ai étudiées pendant de nombreuses années.
Tout d’abord, vous savez sans doute que les comités permanents ont été réformés dans les années 1960. Par suite des réformes, on leur a entre autres confié l’examen des plans de dépenses à court, à moyen et à long terme des ministères et de l’efficacité de leur mise en oeuvre. On aurait pu penser que les comités disposeraient des pouvoirs nécessaires pour examiner les finances et la planification financière des ministères et les intentions incarnées dans le Budget des dépenses, mais il s'avère que les députés ont souvent exprimé leur insatisfaction relativement à ce processus.
En fait, peu après les réformes des années 1960, un comité a produit un rapport de fond sur le Budget des dépenses, rapport qui, toutefois, n’a pas été accepté par le Président, qui a jugé que les comités ne pouvaient présenter des rapports de fond sur le Budget des dépenses; ils peuvent seulement approuver, réduire ou éliminer des dépenses. Rien de plus.
Les comités n’ont donc été guère portés à examiner le Budget des dépenses, y consacrant, en fait, seulement une soixantaine d’heures cette année, selon le directeur principal du budget.
Par le passé, les comités parlementaires ont réalisé deux études sur les budgets des dépenses et le processus budgétaire. En 1995, la Chambre a demandé au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre d’entreprendre un examen complet. Le résultat de cette étude a été un rapport de 90 pages. De même, en 2003, le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires a produit un rapport de 60 pages, Pour un examen valable: Améliorations à apporter au processus budgétaire.
J’aimerais citer une observation qui figure dans le rapport du comité de 1995: « L’un des témoins, M. Franks — c’est moi — a exprimé des doutes… »
Le président: Je me disais que c’était peut-être votre père.
Des voix: Oh, oh!
M. Ned Franks: Non, je suis le coupable.
Le rapport se lit donc comme suit:
L’un des témoins, M. Franks, a exprimé des doutes quant à l’amélioration que pourraient apporter les modifications du système des comités ou des techniques utilisées par les comités quand ils examinent le Budget des dépenses.
J’ai donc exprimé mes doutes, et le comité a poursuivi en disant ceci:
Même si nous comprenons son point de vue, nous ne le partageons pas entièrement. Oui, certaines conditions limitent l’efficacité des comités, mais elles ne sont pas nécessairement paralysantes. Nous croyons qu’il est possible que l’étude du Budget des dépenses effectuée par les comités devienne plus efficace et nous sommes convaincus que les suggestions suivantes donneront des résultats.
On a ensuite formulé quelque 90 recommandations, mais peu de changements ont été apportés. Ensuite, en 2003, j’ai comparu devant un comité dans le cadre d’une autre étude sur le même sujet. Le rapport de cette étude renfermait 23 recommandations, mais il ne s’est pas non plus traduit par des changements importants.
Cela pourrait donc être de ma faute, en tant que conseiller auprès des comités, mais compte tenu de la situation, je n’ai pas l’impression que je suis bien placé pour proposer des changements extraordinaires en disant que cela va arriver, parce que ce n’est pas le cas.
D’autre part, il y a des problèmes constitutionnels, dans la façon dont la Constitution est interprétée au Canada. Les principes fondamentaux du gouvernement parlementaire de cabinet limitent le rôle du Parlement dans le processus du Budget des dépenses. Nous avons un système de gouvernement dont le Parlement est un rouage important certes, mais non un système de gouvernement dirigé par le Parlement. C’est dans les processus financiers que cela apparaît le plus clairement. Le gouvernement est responsable de l’établissement du budget et des prévisions des dépenses.
Le Parlement approuve le budget des dépenses et autorise le gouvernement à dépenser, mais uniquement les montants autorisés aux fins et selon les processus prévus par le Parlement. C’est le gouvernement, et non le Parlement, qui engage les dépenses. Le Parlement participe aux processus financiers comme troisième acteur, dans l’exercice de reddition de comptes, après que l’argent a été dépensé, avec la vérification par le vérificateur général et l’examen du rapport du vérificateur général par le comité des comptes publics.
Même dans le processus du budget des dépenses, le rôle du Parlement est limité. Il ne peut prendre qu’une des trois décisions suivantes relativement à un poste budgétaire: il peut abaisser le montant proposé par le gouvernement; il peut rejeter entièrement la proposition; il peut approuver le montant sans le modifier. Le Parlement ne peut pas augmenter une dépense parce que cela exigerait une recommandation royale. La réduction ou la suppression d’une dépense serait normalement considérée comme une question de confiance. Il n’est donc pas surprenant que cela se produise rarement.
Je vais maintenant parler de la structure des crédits, qui est essentielle au contrôle parlementaire des dépenses gouvernementales.
Le budget des dépenses est divisé en crédits. Le gouvernement ne peut dépenser plus que ce que le Parlement a autorisé dans un crédit sans demander son approbation et ne peut transférer de fonds d’un crédit à l’autre. Les crédits sont divisés en sous-catégories appelées « affectations » au Canada. Le gouvernement peut transférer des fonds d’une affectation à l’autre sans devoir demander l’approbation du Parlement. Au Royaume-Uni, les affectations sont des « sous-crédits », et le processus de transfert est un « virement ». Nous avons donc adopté notre propre terminologie.
Je vais consacrer le reste de mes observations à six des grandes questions dont ont été saisis ce comité et les comités précédents.
Tout d’abord, devrait-on utiliser la comptabilité de caisse plutôt que la comptabilité d’exercice?
Comme bon nombre d’entre vous le savent, la comptabilité d’exercice est surtout utilisée dans le secteur privé. Au gouvernement, évidemment, on a recourt à la comptabilité de caisse.
L’utilisation de la comptabilité de caisse devrait être maintenue puisqu’elle constitue une méthode simple. Les entrées et les sorties de fonds sont relativement simples à mesurer, alors que le lien entre l’avenir et le présent que l’on retrouve dans la comptabilité d’exercice est plus complexe et plus susceptible de manipulations. Au sein des gouvernements, on a toujours privilégié le système de comptabilité et d’établissement de budget de caisse. Les dossiers internes sont souvent tenus selon la méthode de comptabilité d’exercice. Cette différence m’importe peu. La comptabilité de caisse d'année en année assure la présentation de budgets et de comptes clairs, ce qui est dans l'intérêt du Parlement. Il sait ainsi de combien d'argent dispose le gouvernement, combien il en a dépensé et où exactement cet argent a été investi. C’est mon avis, et je n’irai pas plus loin.
Je considère que la structure des crédits est essentielle au contrôle parlementaire des deniers publics. Le Parlement accorde des fonds, sous la forme de crédits, de sommes globales. Le budget des dépenses est divisé en crédits. Le gouvernement ne peut pas dépenser plus que ce que le Parlement a autorisé sans devoir lui demander son approbation. C'est une règle absolue. Le gouvernement revient ensuite avec un budget supplémentaire des dépenses bien équilibré, et j'aime bien cette idée.
Par ailleurs, les crédits devraient-ils être comptabilisés sur une base nette?
Je ne pense pas. Aux fins du contrôle parlementaire, l'ensemble du budget, qu'on pourrait qualifier d'intrusion du gouvernement dans l'économie, doit être examiné. La seule façon de voir la totalité des dépenses du pays, c'est au moyen d'un budget qui n'est pas comptabilisé sur une base nette.
Il y a d’autres raisons, mais ce que je dis ici, c’est que la façon dont le gouvernement recueille des fonds et la façon dont il engage des dépenses sont deux choses bien distinctes. Il n’y a pas de raison logique pour laquelle les programmes gouvernementaux devraient atteindre le point d’équilibre, encore moins déboucher sur un profit. Le gouvernement n’est pas une entreprise. La façon dont il perçoit des revenus pose un ensemble de questions, et la façon dont il effectue des dépenses, un autre ensemble de questions fort intéressantes. Autant que possible, je crois qu’il faut séparer ces deux éléments.
Faudrait-il établir une distinction entre les dépenses d’immobilisations et les dépenses de fonctionnement dans le budget des dépenses? Lorsqu’une distinction est établie entre ces types de dépenses, c’est inquiétant, car encore une fois, le budget d’immobilisations reliera des dépenses actuelles à des besoins et à des dépenses futurs, et vice versa. À mon avis, on s’engage dans une comptabilité plus complexe que ce que peut gérer le Parlement.
Le budget des dépenses devrait-il être considéré comme adopté à une certaine date? Je n’aime pas la pratique consistant à considérer le budget des dépenses comme adopté par les comités à une certaine date, peu importe que les comités les aient approuvés ou non. Toutefois, compte tenu de la capacité des comités parlementaires et du Parlement lui-même à faire de l’obstruction et à retarder les travaux, l’expérience a démontré que cette pratique est nécessaire pour que le budget soit adopté dans un délai raisonnable. C’est malheureux, mais bon…
Enfin, je suis en faveur d’un discours du budget qui porte sur les crédits et la présentation du budget des dépenses au Parlement plutôt que sur les voies et moyens, comme c’est le cas actuellement. Le budget des dépenses donne une meilleure idée des intentions du gouvernement et explique mieux comment elles toucheront les gens, les familles et le pays en général que ne le font les voies et moyens. J’estime que les intentions du gouvernement exprimées dans les propositions de dépenses sont plus significatives pour le Parlement et pour le public qu’elles ne le sont actuellement avec la pratique orientée vers les voies et moyens.
En outre, ce que je n’ai pas écrit dans mon mémoire, c’est que la procédure des voies et moyens prévoit une date fixe pour le dépôt du budget à la Chambre des communes. On se retrouverait donc avec une date bien établie pour le discours sur le budget et la présentation du budget. À mon avis, c’est un changement qui devrait être apporté.
Merci.
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Tout d'abord, Je tiens à vous remercier de me donner cette occasion de m'exprimer devant le comité. J'aimerais aussi remercier votre équipe administrative pour m'avoir aidé à organiser tout cela.
Je vais commencer par vous présenter des données comparatives. Je ne vais pas m'attarder sur la situation au Canada, mais plutôt établir des comparaisons avec les autres assemblées législatives des pays de l'OCDE.
Premièrement, sachez qu'il n'existe pas de modèle standard. Il n'y a pas qu'un seul bon modèle pour examiner les budgets des dépenses. On retrouve toute une variété de modèles au sein des pays industrialisés qui varient de l'approche Westminster traditionnelle, en vertu de laquelle le Parlement joue un rôle très passif, jusqu'au Congrès américain, qui prend huit mois pour examiner le budget des dépenses du président et formuler ses recommandations et qui, parfois, n'est même pas en mesure de l'adopter à temps pour le début de l'exercice financier. Les méthodes varient grandement entre les pays de l'OCDE, allant de la simple approbation des plans de dépenses gouvernementales à l'élaboration du budget. De nombreux systèmes se situent entre ces deux extrêmes.
Chaque système repose sur un choix normatif. Il reflète la mesure dans laquelle les législatures nationales veulent surveiller les dépenses gouvernementales et exercer une influence à cet égard. Par conséquent, il n'y a pas qu'un seul bon modèle. Je veux que ce soit clair. Cependant, si votre but est de renforcer l'examen parlementaire des finances publiques, à mon avis, il y a quelques facteurs dont vous devez tenir compte, si on se fie aux données comparatives.
Je vais seulement en aborder six. Ces facteurs sont également décrits dans mon mémoire, auquel vos attachés de recherche ont probablement accès. Peut-être que certains d'entre vous ont eu le temps d'y jeter un coup d'oeil.
Dans ce document, je compare plusieurs assemblées législatives de pays industrialisés. Je me suis penché sur six aspects en particulier. Il s'agit ici des caractéristiques institutionnelles du processus budgétaire.
Parmi les facteurs, mentionnons le pouvoir du Parlement d'apporter des modifications concernant les propositions de dépenses et de revenus de l'exécutif; l'incidence qu'entraîne le fait de retarder l'approbation au-delà du début de l'exercice; la mesure dans laquelle l'exécutif peut transférer, retenir et augmenter les fonds une fois que le Parlement a approuvé les crédits; le temps dont dispose le Parlement pour examiner le budget avant le début de l'exercice concerné; la capacité du comité d'examiner le budget et son exécution; et la capacité du Parlement de mener une analyse budgétaire indépendante.
Si vous avez des questions sur des facteurs en particulier, je serai ravi de vous donner plus de détails. Je vais toutefois m'abstenir pour l'instant afin de rendre cet exposé le plus bref possible.
Dans le document que je vous ai remis, j'ai établi des comparaisons entre diverses législatures en fonction de ces variables. J'ai attribué les notes les plus élevées aux arrangements institutionnels favorisant un meilleur contrôle parlementaire du budget, et les notes les plus basses à ceux qui font en sorte qu'il est plus difficile pour le Parlement d'examiner le budget et de façonner les choix budgétaires.
Si vous regardez cette évaluation qui, je l'espère, figure dans le mémoire que vous avez reçu, vous constaterez que les systèmes parlementaires inspirés de l'approche de Westminster se trouvent au bas de la liste, car de façon générale, ces systèmes ont des institutions qui ne maximisent pas le potentiel de l'examen parlementaire.
N'empêche qu'au cours des 10 dernières années, plusieurs assemblées législatives, notamment dans des pays ayant hérité d'un régime parlementaire inspiré du système de Westminster, ont commencé à prendre des mesures en vue de renforcer leur rôle respectif dans le domaine des finances publiques. Cela dit, j'aimerais vous offrir quelques réflexions sur la situation au Canada relativement aux variables dont je viens de parler.
En se fondant sur les expériences internationales, plusieurs changements seraient possibles. Je ne dis pas que ce sont des changements que vous devriez nécessairement apporter, mais que vous devriez envisager afin de renforcer le rôle du Parlement en ce qui a trait à l'examen des dépenses du gouvernement.
Premièrement, à mon avis, il faut protéger et améliorer le rôle du directeur parlementaire du budget. Plusieurs pays sont à créer des institutions semblables, et le Parlement du Canada est véritablement sur la bonne voie. Le travail du directeur parlementaire du budget a reçu des éloges à l'échelle internationale, et cela constitue un changement majeur, selon moi, ne serait-ce que pour l'accès du Parlement à une capacité de recherche indépendante et hautement professionnelle.
Cependant, je crois qu'on pourrait effectuer certains ajustements au cadre juridique du directeur parlementaire du budget. Il serait possible d'accroître l'indépendance de cette précieuse institution, par exemple en haussant le statut du directeur pour qu'il devienne un haut fonctionnaire du Parlement à part entière. De plus, des mesures doivent être prises pour veiller à ce que le directeur ait un accès complet à tous les renseignements pertinents. Il est arrivé par le passé que des ministères soient plus ou moins disposés à communiquer l'information au directeur parlementaire du budget. Mais dans l'ensemble, je considère qu'il s'agit d'un changement très positif et qu'il y a possibilité de renforcer son rôle, selon les données internationales.
Ensuite, j'estime qu'il faut se pencher sur la structure des crédits. M. Franks a également abordé cet aspect. Au Canada, si je comprends bien, les fonds sont affectés à un haut niveau d'agrégation, c'est-à-dire dans le cadre de crédits parlementaires, et ces crédits sont divisés en diverses catégories de dépenses. Chose certaine, le Parlement n'approuve pas les crédits individuellement pour chaque programme.
Par conséquent, si vous voulez exercer un contrôle plus rigoureux sur le processus budgétaire et les budgets, il faudrait cesser d'approuver les budgets en fonction des crédits et plutôt les approuver en fonction des programmes. Vous avez déjà un Budget principal des dépenses qui renferme des objectifs stratégiques et des programmes; il serait donc très facile de structurer les crédits parlementaires ainsi. Un certain nombre de pays occidentaux ont justement pris cette mesure au cours des dernières années. La Nouvelle-Zélande a adopté une approche fondée sur les résultats, qui est plus détaillée qu'une approche fondée sur les crédits. Il y a environ 10 ans, l'Afrique du Sud, par exemple, a cessé d'approuver ses budgets en fonction des crédits pour les approuver en fonction des programmes. Cela permet de mieux contrôler le budget et de limiter en quelque sorte la très grande flexibilité dont jouit l'exécutif dans la mise en oeuvre du budget.
J'aimerais aborder trois autres points rapidement. À mon avis, il est possible de modifier le choix du moment du processus budgétaire. Si vous comparez avec les autres pays de l'OCDE, vous verrez que le Parlement du Canada est l'une des rares instances à approuver le budget après le début de l'exercice financier. Cela se fait régulièrement. Les meilleures pratiques en matière de transparence budgétaire de l'OCDE recommandent de déposer le budget au plus tard trois mois avant le début de l'exercice concerné. Cette norme figure également dans le Code de bonnes pratiques en matière de transparence des finances publiques mis au point par le FMI. Il s'agit donc d'une recommandation largement reconnue.
Cet échéancier dans l'approbation des prévisions budgétaires et des crédits est vraiment dépassé. Par contre, il est possible soit de modifier les dates de l'exercice financier, soit de devancer le dépôt du budget. L'une ou l'autre solution mettrait fin à ce processus dépassé et, à mon avis, inefficace, qui nuit au contrôle parlementaire.
Je voudrais faire valoir deux autres points très brièvement. Nous pourrions renforcer l'examen en comité. Bien des pays, dont le Parlement étudie exhaustivement les budgets, ont adopté un processus en deux étapes, dans le cadre duquel le Comité des finances ou un comité responsable des affectations doit tout d'abord se pencher sur les dépenses totales — c'est-à-dire les sommes prévues dans le budget et leur répartition entre les secteurs — et les comités sectoriels examinent ensuite les crédits destinés à leurs secteurs stratégiques respectifs.
Ces dernières décennies, la Suède et les États-Unis, notamment, ont modifié leurs processus pour renforcer l'examen des affectations générales et ne pas miser uniquement sur les comités sectoriels pour étudier les affectations et les budgets ministériels.
Enfin, je voudrais aborder un aspect susceptible d'être un peu plus controversé, qui mérite néanmoins d'être souligné: notre Parlement dispose d'un pouvoir assez restreint de modifier les propositions budgétaires de l'exécutif. Par « propositions budgétaires », j'entends « propositions de dépenses ». Veuillez excuser cette précision terminologique, mais je suis habitué à employer cette expression.
Plusieurs parlements inspirés de l'approche de Westminster entre autres ont modifié le pouvoir d'apporter des modifications ces dernières années, afin de mieux pouvoir établir les priorités dans le budget. Je vous donne trois exemples. Dans les années 1990, le Parlement de la Nouvelle-Zélande a changé son règlement pour pouvoir modifier la ventilation des crédits. C'est différent du pouvoir de modification que M. Franks a abordé à propos du Parlement canadien, qui ne peut autoriser que des réductions.
Le Parlement sud-africain s'est doté de très vastes pouvoirs à cet égard, des pouvoirs essentiellement illimités. Autre fait susceptible d'être intéressant, la France a modifié la Loi organique relative aux lois de finances en 2001, autorisant le Parlement à modifier la répartition des affectations entre les programmes dans le cadre de ce qu'on appelle les « missions ». Une mission regroupe plusieurs programmes.
Plusieurs parlements ont apporté récemment des modifications pour étendre leurs pouvoirs afin, notamment, de pouvoir modifier la répartition des affectations entre différents programmes.
Je vous remercie.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais remercier les professeurs Franks et Wehner pour leurs présentations. Il s'agit vraiment de présentations savantes. Celles-ci vont beaucoup nous aider dans le cadre des travaux et de l'étude que nous sommes en train de réaliser.
J'ai beaucoup apprécié que le rapport de M. Wehner parle des avantages d'avoir un directeur parlementaire du budget et de pouvoir profiter du travail qu'il accomplit. J'espère que tout le monde a pris ça en note. C'est important.
En ce qui concerne les crédits, d'abord dans le cadre du Budget principal des dépenses, puis dans celui du budget et des comptes publics, le processus est vraiment très long. Il dure environ 18 mois. Quand on reçoit le Budget principal des dépenses, on est incapable de le comparer au Budget principal des dépenses de l'année précédente parce que les Budgets supplémentaires des dépenses ne sont évidemment pas pris en considération. En outre, le Budget principal des dépenses est soumis bien avant que le budget ne soit annoncé. Il n'y a donc pas de lien entre le budget et le Budget principal des dépenses. Bref, il est difficile de comparer des pommes, des oranges et des bananes. Je pense que vous avez tous deux fait des propositions qui auraient pour effet de modifier le processus.
Monsieur Wehner, vous soulignez qu'il devrait y avoir trois mois d'étude avant le début de la prochaine année financière. Or j'attire votre attention sur le fait que cette année, c'est de trois jours que nous disposons.
Monsieur Franks, vous avez suggéré qu'on modifie la présentation du discours sur le budget de façon à ce que ce ne soit pas présenté dans le cadre des voies et moyens, mais à un autre moment.
J'aimerais que vous me parliez un peu plus du timing et que vous nous disiez quel processus serait, à votre avis, le plus logique, le plus apte à nous permettre d'accomplir avec sérieux notre travail de parlementaires pour ce qui est de l'étude des chiffres. Il faudrait aussi faire en sorte que le gouvernement rende des comptes aux parlementaires.
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Je n'ai pu entendre l'interprétation et mon français n'est pas parfait, mais j'essaierai de répondre à votre question.
Ce qui m'intéresse, c'est la question des renseignements dont dispose le Parlement sur le budget et la manière dont il peut formuler des critiques.
J'aurais quelques observations à faire à ce sujet. Le processus budgétaire commence dans les ministères, où, corrigez-moi si je me trompe, on ne trouve pas seulement 10 pages d'information pour chaque page des prévisions en matière de dépenses, qui comptent bien plus de 500 pages, mais probablement 100 pages ou même davantage. C'est avec ces documents que le Conseil du Trésor et les ministères travaillent pour établir le budget. C'est une opération d'envergure, qui exige des milliers d'heures de travail.
Le Parlement a ici un problème, qui comprend deux facettes.
Tout d'abord, il dispose de renseignements très limités sur les prévisions en matière de dépenses comparativement à l'information qu'a le gouvernement. De plus, pour dire les choses très simplement, il faut tenir compte du temps et des ressources humaines. Comme je l'ai souligné, il s'agit d'un vaste processus qui exige bien des va-et-vient entre les ministères et les organismes centraux afin d'élaborer un budget des dépenses. Ce dernier comprend des engagements financiers considérables quand il est soumis au Parlement.
Le système a évolué. Nous en faisons partie intégrante. Le gouvernement, les ministères eux-mêmes, ainsi que les personnes qui y oeuvrent sont très hermétiques aux changements émanant des parlementaires, au point où on en entend pratiquement pas parler.
Si le Parlement — la Chambre des communes, bien entendu — veut réaliser un examen plus approfondi et agir, il devrait établir un calendrier afin de demander à un comité de passer beaucoup ou un peu de temps à l'étude d'un budget pendant quelques années afin d'essayer d'en arriver au point où il pourrait l'influencer.
La structure des crédits ne pose aucun problème. Le Parlement peut recommander et proposer des changements pour certains crédits. Il doit cependant donner son approbation. Rien dans la Constitution ne l'en empêche, si ce n'est la forte impression qu'ont le gouvernement et les ministères qu'il s'agit de leur argent et de leur budget et non de ceux du Parlement.
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Je ne veux pas devenir trop normatif. J'ai indiqué, dans mon exposé, que certains des éléments relatifs au juste équilibre entre l'exécutif et la législature sont en fait des questions normatives qui témoignent d'un certain point de vue sur la manière dont la politique devrait être structurée. Permettez-moi néanmoins de vous donner quelques idées qui, je crois, cadrent avec l'esprit de votre question et qui vous donneront de quoi réfléchir.
Je ferais tout d'abord remarquer que dans les régimes inspirés du modèle de Westminster, les assemblées législatives pouvaient modifier le budget et participer plus activement à la prise de décisions sur les dépenses publiques. Même au Royaume-Uni, par exemple, qui est peut-être le pays membre de l'OCDE ayant le parlement le plus faible au chapitre de l'examen des dépenses publiques, les parlements apportaient régulièrement des changements aux plans de dépenses. Vers 1920, toutefois, cette pratique a disparu.
Il n'y a rien d'inhérent dans le modèle constitutionnel de Westminster qui interdise au Parlement de jouer un rôle plus actif dans l'examen des budgets ou même d'y apporter des modifications. En fait, il l'a, de toute évidence, fait pendant longtemps.
En outre, même dans un contexte inspiré du modèle de Westminster, qui est, comme vous l'avez dit avec beaucoup de justesse, très partial concernant l'autorité et le pouvoir exécutifs dans l'établissement de politiques économiques, nous observons une certaine évolution. Cette tendance ne se fait pas sentir que dans un ou deux pays, mais dans plusieurs d'entre eux. Elle se manifeste, par exemple, par la création de postes de directeurs de budget législatifs en Australie, en Afrique du Sud et au Canada, tous des pays ayant adopté un modèle semblable à celui de Westminster. Ils renforcent les mesures d'examen législatif. On assiste notamment à l'instauration de nouveaux comités ou aux changements dont j'ai parlé plus tôt, lesquels visent à modifier les pouvoirs en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud, qui ont également des régimes s'inspirant du modèle de Westminster.
Par le passé, donc, les parlementaires ont joué un rôle plus proactif dans le processus d'élaboration de politiques économiques. Il n'y a rien d'inhérent au modèle constitutionnel qui l'en empêche. En outre, une tendance généralisée en ce sens se fait jour à l'échelle internationale, et je ne vois pas pourquoi le Parlement du Canada ne pourrait pas au moins se ménager un plus grand rôle dans l'examen législatif et l'établissement des budgets.
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Pour y parvenir, il faut, à mon avis, qu'une rébellion éclate au sein du caucus, même si je peux proposer quelques solutions modérément sérieuses.
Je considère qu'il ne devrait pas y avoir autant de membres associés au sein des comités. Votre comité compte parmi les meilleurs au Parlement, et la plupart de vous assistez à la majorité des séances. Je crois toutefois avoir raison en affirmant qu'il comprend trois membres associés du NPD, très peu du Bloc et du Parti libéral, et plus de 120 du Parti conservateur. Tous les députés du caucus qui ne sont pas membres du comité ou ministres du Cabinet, y compris les secrétaires parlementaires, sont membres associés d'un comité.
Il conviendrait d'examiner les règles de la Chambre des communes pour s'assurer, de façon raisonnable, que les membres des comités ne risquent pas d'être destitués de leurs fonctions s'ils déplaisent au whip ou s'ils n'agissent pas comme on leur dit, et qu'ils sont en poste pour toute la durée de leur mandat et peut-être même pour toute une législature; et que le nombre de membres associés soit limité au lieu d'inclure tous les membres du caucus. Voilà ce que je voudrais qu'il se passe depuis longtemps.
Quand j'observe les comités et leurs activités, je trouve que le vrai problème vient du fait qu'il y a toujours de nouveaux membres, même dans ceux que j'ai déjà rencontrés trois fois au cours de l'année. Pour qu'un comité soit efficace, il faut qu'il ait un esprit de corps et que ses membres ne soient pas là pour défendre les intérêts de leur parti, mais ceux de la population canadienne et des électeurs; ils doivent travailler avec leurs collègues pour donner leur meilleur au pays, sans égard aux prises de position de leurs partis respectifs. Dites à vos chefs de parti de ne pas s'en mêler.
C'est un idéal. Les Britanniques l'ont fait dans leurs comités de moindre envergure, comme ils l'ont démontré de façon étonnante au cours de l'histoire. Mais le contexte est totalement différent. Au Canada, le mandat moyen d'un député au Parlement est d'un peu plus de sept ans, entre sept à dix ans, alors qu'en Grande-Bretagne, c'est presque trois fois plus. J'ignore ce qu'il en est en Afrique du Sud. Mais il se pose un problème bien réel au chapitre des ressources et de la pression qui s'exerce sur les ressources humaines et les députés, qui tend à nuire à la capacité de constituer un comité uni, sauf en quelques cas très précis.
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Vous soulevez un point important. On peut discuter des caractéristiques institutionnelles, mais au bout du compte, les activités du Parlement font partie du système politique et de la dynamique politique, et cela donne lieu à certains comportements. On peut assister à de grands élans de partisanerie, comme cela peut être moins marqué dans certains pays.
J'ai toutefois vu ailleurs dans le monde des systèmes parlementaires qui préconisent des approches beaucoup plus interpartisanes, notamment pour leurs comités. C'est donc possible d'adopter une telle approche dans les comités. C'est la principale chose que je soulignerais, et j'abonde également dans le même sens que le professeur Franks à cet égard.
Je peux vous donner un exemple, que j'aime beaucoup, du comité chargé de l'examen du budget du Parlement allemand. Le comité tenait ses séances budgétaires il y a quelques années, et il est venu aux oreilles des membres que le ministre des Finances flânait dans la tribune des journalistes au lieu de prendre part à la séance du comité. Le comité a donc décidé de réduire le budget du ministre de 500 millions de deutsch marks, la devise de l'époque — un demi milliard de deutsch marks, c'est beaucoup —, une somme qu'il voulait utiliser pour rénover ses bureaux de douane.
Une approche comme celle-là ne vise pas à gagner des faveurs politiques, mais bien à exiger des comptes du gouvernement. On peut voir que la chose est mue par des motivations interpartisanes.
Je crois que c'est possible uniquement dans le contexte des comités. Un des moyens employés par certains comités pour permettre ce genre d'approche est le système de rapporteur, qui consiste à donner la tâche à un groupe de députés de suivre de près une partie du budget en particulier, et ces députés sont issus de différents partis politiques et tentent d'arriver à un consensus. Certains comités de pays de l'OCDE fonctionnent à peu près de cette façon.
Mais comme vous l'avez dit dans votre introduction, ces grandes dynamiques politiques sont difficiles à changer, alors elles demeurent souvent les mêmes, et c'est parfois malheureux.