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Je suis heureux d'être un bon voisin et de discuter de la pratique canadienne, même si je ne suis pas expert en la matière.
Je commencerai par dire qu'en matière de budget, une bonne pratique n'est pas nécessairement une condition préalable à de bons résultats. Mon propre pays, les États-Unis, en est un exemple. Nous avons peut-être l'organisation budgétaire et législative la plus largement respectée au sein du Congrès et nous avons aussi les plus grands déficits du monde.
Sans vouloir lier les deux, il arrive souvent que la réforme budgétaire soit un substitut de politique. Or elle ne devrait jamais l'être. À la fin de mon exposé, je reviendrai sur la question de l'aide parlementaire ou de l'aide que l'on apporte à la préparation du budget parlementaire.
Je tiens à mentionner que tout ce qui a trait à un budget touche le cadre constitutionnel d'un pays — le rapport qui lie le gouvernement au Parlement, les parties au gouvernement, le système électoral. Il convient donc d'être prudent lorsque l'on importe d'un autre pays des pratiques qui pourraient ne pas convenir au sien. Cela est particulièrement vrai dans le cas du système de Westminster, dont fait partie le Canada, qui est à l'autre extrême du système du Congrès américain. Il faut donc faire attention de ne pas échanger des techniques qui pourraient s'avérer mal adaptées à un pays donné.
Cela dit, de mon point de vue d'observateur, le processus budgétaire canadien comporte quelques éléments qui méritent, je crois, qu'on s'y attarde. Le plus frappant d'entre eux est probablement l'écart qu'il y a entre le budget et le Budget principal des dépenses.
En fait, je suis un peu surpris de constater que ce que vous appelez le Budget principal des dépenses ne serait pas considéré comme tel par des dirigeants politiques. Le Budget principal des dépenses devrait être un énoncé de politique, si tant est qu'il s'agit d'un budget principal. Or il concerne davantage le travail du gouvernement qui se poursuit au quotidien que les changements apportés aux recettes ou aux politiques.
La question du calendrier est bien connue au Canada, à savoir que le Budget principal des dépenses précède, je crois, le dépôt du budget. En conséquence, le Budget supplémentaire des dépenses doit être déposé ultérieurement afin d'intégrer les changements de politiques recommandés par le gouvernement.
Il serait logique, et facile d'ailleurs, pour le gouvernement de modifier le calendrier afin de coordonner, voire de consolider, les prévisions budgétaires et le budget. En fait, le Royaume-Uni faisait à un moment donné une distinction entre le processus des prévisions budgétaires, qu'il appelait le « processus des dépenses » et le budget dont nous parlons, en particulier celui des recettes dans le cas du Royaume-Uni. Il figure désormais sur la même page. C'est une mesure que votre pays aurait intérêt à envisager.
Ce faisant, je ferai valoir que le fait d'avoir un processus divisé, par lequel les prévisions sont publiées à un autre moment que le budget, vous permet de restructurer l'ensemble du processus budgétaire. Je vous exhorterais donc, non seulement à les prévoir en même temps, mais à envisager que les deux séries différentes de mesures surviennent à des moments différents. La Suède est l'un des pays à avoir adopté avec succès la procédure qui consiste à diviser le processus budgétaire parlementaire en deux étapes distinctes, celle du cadre suivie bien après de celle des prévisions.
Le cadre relève de la politique, de la stratégie, des changements apportés aux recettes et aux programmes, des changements majeurs apportés aux prévisions et, le facteur le plus important de tous, de la prise en compte de l'environnement macro-économique, non seulement pour l'année correspondante aux prévisions, mais pour les trois à cinq ans à venir.
Si vous combinez stratégie et prévisions budgétaires, tableau d'ensemble et détail, il est fort à parier que l'un des deux, voire les deux, sera négligé. Le plus souvent, ce sont la stratégie et les politiques qui sont subordonnées aux détails du budget.
Des pays ont donc adopté un processus divisé par lequel, dans une première étape que j'appelle le cadre, ils ne s'intéressent pas au détail des prévisions budgétaires, mais plutôt à l'environnement économique, aux projections à moyen terme, aux grands changements de politiques du gouvernement, surtout par rapport au déficit, à la dette et à d'autres variables budgétaires clés.
Si les détails des dépenses ne sont pas publiés au cours de cette première étape du cadre, le gouvernement communique quand même, pour utiliser l'expression canadienne célèbre ou tristement célèbre, d'« enveloppe des dépenses » que l'on pourra utiliser pendant l'étape des prévisions — en d'autres termes, le montant des dépenses totales qui est ensuite divisé par secteur ou champ de politiques clé.
C'est là la première étape qui, dans certains pays, fait en fait l'objet d'un vote par le Parlement; dans d'autres, on se contente d'en discuter. Cette étape est présentée par le gouvernement et, en fonction du rôle que joue la législature, le Parlement en accuse réception ou en convient. Les ministères préparent ensuite leur budget conformément au cadre voté ou déposé.
Cela mène à la seconde étape, qui traite des prévisions et de l'affectation des dépenses autorisées. Selon la règle qui s'applique en l'occurrence, les prévisions doivent être conformes de deux façons au cadre qui a été précédemment établi. Premièrement, les détails des dépenses ne peuvent dépasser le montant total des crédits votés selon le cadre. Deuxièmement, les prévisions budgétaires doivent tenir compte des initiatives ou changements de politiques adoptés par le gouvernement.
Cette façon de procéder est très différente de celle qu'utilise actuellement Ottawa, mais elle est toutefois conforme à un système divisé et amène le Parlement à se pencher à deux moments différents de l'année sur les questions budgétaires. En un premier temps, il s'occupe de la stratégie et du tableau d'ensemble et, dans un deuxième temps, des détails des dépenses.
De mon point de vue d'observateur, il y a un autre aspect de la pratique canadienne qui était autrefois très courant dans le monde et qui persiste aujourd'hui encore dans de nombreux pays en développement, mais qui a pratiquement disparu dans d'autres pays avancés tels que le Canada. Je veux parler de la distinction que l'on fait entre les dépenses de fonctionnement et celles d'immobilisations. À une certaine époque, il était très courant dans le monde d'avoir deux budgets distincts; l'un pour les investissements du gouvernement et l'autre, pour les dépenses de fonctionnement courantes ou répétées.
Cette distinction a pour fondement historique que les deux séries de dépenses avaient des sources de financement différentes; l'une, les recettes courantes; l'autre, les emprunts. Une sorte de règle d'or voulait que le gouvernement ne puisse emprunter que pour financer les investissements. Et pour faire en sorte que cette règle soit respectée, on avait créé deux catégories, l'une pour le budget et l'autre pour les dépenses. Deux raisons principales expliquent la disparition de cette pratique dans les pays développés.
La première raison en est que dans la mesure où le gouvernement se soucie de sa position budgétaire, des principaux sous-ensembles — total des recettes, total des dépenses et total de la dette et du déficit —, il faut un relevé consolidé qui ne fasse pas de distinction entre les dépenses d'immobilisations et celles de fonctionnement.
La seconde raison en est que souvent, on ne fait pas de distinction entre les dépenses d'immobilisation et celles de fonctionnement parce qu'elles sont interchangeables, ce qui est le cas dans de très nombreux domaines des politiques gouvernementales. On peut ainsi concrétiser une politique par l'investissement — par exemple, en construisant des cliniques dans des régions rurales. Par contre, le gouvernement peut poursuivre le même but d'améliorer les services de santé dans les régions rurales en offrant des subventions aux médecins afin de les y attirer. Dans le premier cas de figure, il s'agit d'une dépense d'immobilisations; dans l'autre, d'une dépense de fonctionnement.
Plus vous privilégiez une option, par exemple la construction de cliniques, et moins vous aurez besoin de l'autre, et vice versa. Par conséquent, si vous voulez avoir une analyse solide des options stratégiques du gouvernement et des liens qu'il y a entre elles, il devient logique de fusionner les deux types de budget, sans oublier les données dont il faut disposer par rapport aux investissements.
Cela n'implique pas de retirer du budget les informations sur les investissements et les immobilisations, qui en constituent un chapitre. Reste à savoir ce que ce chapitre devrait être. Comment le cadre devrait-il être classé pour qu'y figurent à la fois les investissements et les dépenses de fonctionnement?
S'offrent alors deux grandes options, dont l'une est largement pratiquée et l'autre, largement recommandée. La première consiste en un classement par unité organisationnelle. Dans la mesure où une organisation assume à la fois les coûts de fonctionnement et ceux d'immobilisations, les deux coûts devraient être combinés dans son budget.
L'autre solution est ce que nous appelons un budget ou une structure de programme. Si les dépenses de fonctionnement et d'immobilisations contribuent au même objectif, elles devraient être inscrites dans le même programme, quel que soit l'endroit où se situe l'organisation. En d'autres termes, un budget de programme ne tiendra pas compte, dans certains cas, des limites organisationnelles ou ministérielles. La raison pour laquelle cette approche est hautement recommandée, mais rarement adoptée, est que le gouvernement souhaite, en plus d'élaborer de solides politiques qui exigent que les dépenses d'immobilisations et de fonctionnement contribuent au même objectif… Le gouvernement vise un autre but dans la gestion de ses finances, à savoir la responsabilisation.
Dans presque tous les cas, la responsabilisation suppose que l'organisation qui a procédé à la dépense ou mené l'activité qui en a fait l'objet puisse en rendre compte. C'est une pratique profondément ancrée dans la tradition de Westminster et à laquelle il pourrait être très difficile de renoncer.
Cette façon de procéder est appelée dans de nombreux pays budget de programme, mais le programme n'est qu'un simple écran à une instance organisationnelle. Un exemple qui me vient spontanément à l'esprit est celui d'un bureau des ressources en eau, qui est une unité organisationnelle, mais que l'on désignerait au lieu de cela comme programme de la qualité de l'eau. Les limites du programme et celles du bureau sont identiques et ce que vous avez désigné comme budget de programme n'est en réalité qu'un budget administratif et organisationnel.
Quelle que soit la solution que vous adoptez, vous auriez intérêt à réexaminer le lien qu'il y a entre le budget de fonctionnement et le budget d'immobilisations.
Cela m'amène au troisième point que je souhaite aborder, qui est celui du rôle du Parlement et, facteur encore plus important, de la façon dont on devrait aider celui-ci à jouer ce rôle de façon responsable et informée.
On constate aujourd'hui dans le monde, pas dans tous les pays cependant et encore moins dans ceux qui sont régis par le système de Westminster, u ne fausse tendance à élargir les capacités du Parlement à revoir et même à modifier le budget du gouvernement. Rappelez-vous ce que je vous ai dit au début de l'exposé, à savoir que la marge de manoeuvre qu'on laisse au Parlement pour modifier le budget participe d'un enjeu constitutionnel.
Dans de plus en plus de pays qui ne sont pas régis par le système de Westminster, on constate un large accroissement des amendements déposés au Parlement, aboutissant à l'adoption de certains sous-amendements. Mais la plupart des amendements sont spécifiques et détaillés, et s'inscrivent dans l'enveloppe budgétaire du gouvernement. C'est là un point très important.
Un pays qui élargit les pouvoirs discrétionnaires du Parlement sur le budget doit impérativement soumettre ce dernier à certaines contraintes. En effet, un Parlement qui pourrait mener une action sans limite sur le budget pourrait mettre en péril les finances du pays.
Je n'ai pas l'impression que le Canada se dirige dans cette voie et qu'il va d'ailleurs rompre de façon fondamentale avec la tradition de Westminster. Il s'agit donc plutôt pour lui d'informer le Parlement plutôt que de lui donner d'autres pouvoirs qui lui permettraient d'apporter des changements significatifs au budget du gouvernement. Informer le Parlement signifie que celui-ci demande des comptes au gouvernement en débattant sans entrave des options contenues dans le budget, des prévisions budgétaires déposées, des hypothèses économiques et programmatiques qui les sous-tendent et de la viabilité à long terme de la position du gouvernement. Tout cela est clairement conforme au rôle que joue votre comité.
Dans vos remarques liminaires, monsieur le président, vous avez indiqué en fait que vous étiez député de l'opposition. Cela m'a rappelé le rôle historique que jouent depuis plus d'un siècle et peut-être même deux les comités des comptes publics pour demander des comptes au gouvernement, à savoir que c'est l'opposition qui présiderait ce comité, que ce dernier fonctionnerait de façon non partisane et entendrait les témoignages du gouvernement.
Peut-être que ce système est suffisant et il a certainement perduré bien longtemps. Mais moi qui vis à des centaines de kilomètres d'Ottawa, je me dis que si le Canada a créé il y a de cela des années un poste de directeur parlementaire du budget, c'est qu'il n'était pas sûr que le seul fait d'avoir un comité présidé par l'opposition soit suffisant pour demander des comptes au gouvernement et permettre un débat informé. Si cela avait été suffisant, on n'aurait pas ressenti le besoin de créer un tel poste.
Ce faisant, le Canada a suivi une pratique largement répandue dans le monde et qui consiste à créer au Parlement des postes lui permettant de mieux assumer ses fonctions liées au budget. Il faut remarquer toutefois que, dans la plupart des pays, ces postes sont créés au sein de comités pour étudier les prévisions budgétaires, proposer des options et contester, le cas échéant, les hypothèses avancées. Comme il s'agit de postes créés au sein de comités, leur action est peu visible et est assujettie au processus des comités en vigueur au Parlement.
Dans un nombre restreint de pays, dont les États-Unis, le Mexique et la Corée, on ne s'est pas servi de la structure des comités comme moyen principal d'améliorer le travail budgétaire du Parlement. On a préféré créer pour ce faire un organisme distinct et indépendant. C'est le cas en Grande-Bretagne où cet organisme n'est pas officiellement rattaché au Parlement, mais conseille ce dernier.
Cet organisme a souvent pour mandat d'examiner les prévisions budgétaires pour voir si elles sont fiables. Le travail budgétaire clé que l'on mène aujourd'hui dans le monde ne consiste pas simplement à déterminer s'il faut dépenser l'argent, mais à vérifier si les hypothèses sous-jacentes à ces prévisions sont solides et fiables.
Et n'oublions pas ce que sont ces hypothèses. Si la table qui est là-bas représente la ligne de flottaison, tout ce qui est au-dessus représente le budget et les prévisions. Ils sont ouverts et transparents. Ils peuvent être étudiés et publiés. Tout ce qui est au-dessous représente les hypothèses. Les hypothèses ne sont pas transparentes. Elles ne sont pas visibles. Mais les chiffres que l'on voit au-dessus de la table dépendent des hypothèses qui se trouvent au-dessous et qui sont très peu éclairées. Et c'est là qu'intervient la difficile tâche — et peut-être la tâche la plus importante d'un Parlement d'aujourd'hui — lorsqu'il s'occupe du budget.
Quant aux recettes, elles dépendent de différents facteurs et sont fonction du rendement économique du gouvernement. Or, ce rendement ne peut être connu d'avance et n'est fondé que sur des hypothèses, sur lesquelles doit se pencher le Parlement.
Et qu'en est-il de la viabilité à long terme du budget? La réponse à cette question est critique pour la marche à suivre et la santé budgétaire et économique de votre pays. Mais cette réponse repose sur une foule d'hypothèses.
Et qu'arrive-t-il lorsque le gouvernement adopte un changement d'orientation? On veut en connaître les conséquences à moyen terme sur le budget. En effet, un changement n'entraîne que des coûts modestes la première année, mais qui peuvent s'accélérer par la suite. Le gouvernement a-t-il communiqué tout ce qu'il savait à ce sujet? Utilise-t-il des estimations fiables?
L'une des raisons pour lesquelles les hypothèses gisent au-dessous de la ligne de flottaison, au-dessous de la table, est que la lumière ne leur convient pas. Très souvent, les hypothèses… Comment les décrire? Les a-t-on établies à la va-vite? Sur la base de devinettes? Elles sont quelquefois le résultat de manipulations politiques, et même si elles ne le sont pas, la meilleure réaction que l'on peut avoir à leur sujet est de prendre une différente série d'hypothèses, de les soumettre à une analyse critique et de les mettre à l'épreuve pour voir si elles tiennent la route.
Le Parlement peut tirer profit d'un tel exercice et je conseillerais vivement au comité de l'envisager, que ce soit dans le cadre des fonctions assumées par le directeur parlementaire du budget, ou dans un cadre plus large — je ne connais pas suffisamment bien la situation pour être plus précis.
Mais vous avez déjà une organisation en place, celle du directeur parlementaire du budget, qui est très réputée à l'étranger et que vous pourriez avoir intérêt à étoffer. Je crois savoir qu'elle collabore étroitement avec les comités et que ce n'est donc pas une organisation laissée à elle-même. C'est quelque chose que votre comité pourrait envisager.
Voilà les commentaires que j'avais à faire. Je serai heureux de répondre à vos questions ou d'aborder d'autres sujets sur lesquels je pourrais vous être utile.
Merci.
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Je suis désolé, je ne voulais pas dire que le Canada était le seul pays en retard, mais il fait certainement partie de la minorité à ce sujet. La plupart des pays sont en grande partie passés à un budget consolidé.
Je n'en sais pas assez sur le Canada pour expliquer pourquoi il persiste à utiliser l'ancien système. Cela pourrait tout simplement être dû à l'inertie.
Plusieurs autres éléments font de la consolidation d'un budget un choix logique. J'ai mentionné le fait que la politique budgétaire devenait de plus en plus importante, ce qui vous force à examiner les agrégats du budget plutôt que ses différentes parties.
Il y a aussi un autre élément que je n'ai pas mentionné, et c'est le déclin dans l'investissement. Dans un pays développé, la composante budgétaire concernant l'investissement est à la baisse. C'est un autre facteur.
Un autre élément — et je l'ai mentionné plus tôt —, c'est le fait que les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'immobilisations sont interchangeables.
Enfin, il y a le fait que le gouvernement s'endette de plus en plus pour financer le budget. Si le gouvernement finance à la fois les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'immobilisations, alors il devient moins logique de les séparer.
Cela dit, j'aimerais soulever quelques points à surveiller.
Tout d'abord, dans le budget, vous avez toujours besoin de renseignements sur les dépenses en immobilisations.
Deuxièmement, vous devriez continuer à suivre une règle d'or en ce qui concerne la dette du gouvernement, afin de la limiter.
Troisièmement, dans la mesure où vous mettez sur pied un système budgétaire fondé sur la comptabilité d'exercice ou un système de comptabilité d'exercice, comme plusieurs pays du Commonwealth — la Grande-Bretagne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande — l'ont fait, vous devez être capable d'estimer la valeur du capital d'un pays, ce qui signifie que vous devez aussi avoir des comptes d'amortissement. Il s'agit d'une entreprise assez complexe à laquelle vous pourriez peut-être réfléchir.
Le dernier point que j'aimerais soulever, c'est que certaines personnes ont soutenu qu'en raison de la consolidation du budget, les pays avancés, y compris le Canada, n'investissent pas assez dans l'infrastructure. Puisqu'elle diminue en importance, elle n'a pas son budget distinct, elle n'est pas protégée séparément, et par conséquent, dans la course aux fonds, les dépenses en immobilisations — qui peuvent être très coûteuses — sont parfois reportées, afin de régler les dépenses courantes.
Vous devriez donc bien y réfléchir.
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Merci de m'avoir présenté. Il ne me reste plus qu'à vous remercier tous de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. C'est un immense privilège que de témoigner.
Vous avez en main un texte que je vous ai distribué. Je m'efforcerai de le suivre, tout en l'abrégeant un peu.
J'aimerais reformuler légèrement le sommaire pour indiquer que ce que j'essaie essentiellement de faire dans ce texte, c'est réagir au fait qu'une bonne partie de notre façon de voir le Parlement s'appuie fortement sur des présomptions non avérées, qui sont en bonne partie des vestiges de la tradition. Quand on tente d'examiner quelque chose comme le processus budgétaire, l'une des difficultés consiste à déterminer comment le Parlement fonctionne vraiment aujourd'hui, en tenant pleinement compte de l'incidence que les partis politiques disciplinés ont sur lui, puis en s'interrogeant sur ses besoins réels, sans nécessairement lui imposer tout simplement ce que nous considérons comme la bonne façon de faire, en s'appuyant sur les présomptions qui ne cadrent plus avec la réalité.
Le mécontentement exprimé par les observateurs et les députés eux-mêmes à l’égard du rôle du Parlement dans l’examen approfondi des dépenses gouvernementales ne date pas d’hier. Le principal argument que je ferai valoir aujourd’hui, c’est que les attentes irréalistes, ainsi que très probablement la mauvaise compréhension de notre système parlementaire de type Westminster, sont grandement à l’origine de ce mécontentement. Si les attentes étaient plus réalistes, la frustration serait sans doute moindre, et il pourrait en découler des changements pouvant véritablement faire une différence.
Il faut remonter aux débuts de l’ère moderne du Parlement canadien, soit le milieu des années soixante, pour trouver les premières remises en question au sujet de la capacité du Parlement d'examiner efficacement les dépenses gouvernementales. La structure des comités permanents a été mise sur pied en 1965 et établie de façon définitive en 1968, en partie parce que les débats sur les prévisions budgétaires à la Chambre étaient devenus chaotiques et largement partisans, et la plupart des dépenses finissaient souvent par être approuvées lors de séances d'urgence se terminant tard la nuit à la toute fin de la session. Il est donc intéressant de comprendre qu'initialement, on considérait que la structure des comités permanents avait comme rôle principal de jouer éventuellement un rôle dans les prévisions budgétaires.
Les vagues successives de réformes apportées dans les années qui ont suivi ont doté les comités de pouvoirs et de ressources supplémentaires, qui devaient théoriquement leur permettre d’effectuer les examens financiers avec plus d’efficacité. Néanmoins, il est paradoxal de constater que 45 ans de réformes — petites et grandes — semblent n’avoir nullement remédié aux problèmes à l'origine même de ces mesures. Aujourd’hui encore, le Parlement est perçu comme un examinateur financier inefficace. Les députés continuent d’exprimer de grandes frustrations à l’égard du processus des prévisions budgétaires et des crédits. En fait, les frustrations semblent avoir grandi approximativement au même rythme que les réformes entreprises pour y remédier.
Mais pourquoi? C’est surtout parce qu’au cours des 45 dernières années, lorsque vient le temps de l’année où il faut se pencher sur les prévisions budgétaires, les membres des comités se trouvent essentiellement devant les mêmes incitatifs. Les députés membres du gouvernement qui soulèvent des questions susceptibles de déranger le pouvoir apprennent rapidement que cela n’aide en rien leur carrière politique à Ottawa.
Des voix: Oh, oh!
M. Jack Stillborn: Les députés de l’opposition peuvent recueillir une certaine gloire des questions essentielles qu’ils soulèvent, mais l’inattention des médias et du public accordée aux débats sur les prévisions budgétaires est telle que les électeurs n’en entendent jamais parler. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est absurde de croire que l’électorat peut être influencé par le travail de son député sur les prévisions budgétaires à Ottawa.
Le fait que le gouvernement fasse des prévisions budgétaires une question de confiance — puisqu’elles traduisent les intentions financières du gouvernement — est à la base du problème des incitatifs, tout comme, je le suppose, le degré de discipline des partis. Lorsque le gouvernement est majoritaire, les comités n’ont pas la marge de manoeuvre voulue pour modifier les plans des dépenses. En cas de gouvernement minoritaire — un scénario que nous avons connu récemment —, les changements deviennent une possibilité théorique tributaire de calculs stratégiques visant à renverser le gouvernement au lieu de toucher à l’essence des prévisions budgétaires.
Je traiterai plus sommairement de la section intitulée « Réformes récentes ». Il en ressort essentiellement que la principale réforme apportée récemment a pour but de restructurer la présentation de rapports au Parlement et de conférer une perspective d'avenir théorique aux RPP, que les comités peuvent examiner afin de formuler des recommandations sans être soumis aux contraintes afférentes au processus des prévisions budgétaires. C'est là la principale évolution qui est intervenue depuis. Les comités ont pourtant montré bien peu d'enthousiasme pour les études de ce genre, tiédeur que j'attribue au fait que les éléments incitatifs et dissuasifs que je viens de nommer n'ont pas changé. En outre, le nouveau concept voulant que les études soient orientées vers l'avenir — qui vient en fait du Secrétariat du Conseil du Trésor — oblige les comités à entreprendre des travaux dont ils ne récolteront les fruits que plus tard. C'est se montrer très optimiste au sujet de l'horizon politique qui inspire le comportement des députés, car les études entreprises dans une perspective d'avenir n'entreront en jeu que des années plus tard. Ce n'est qu'à ce moment que les résultats se manifesteront.
Mais que peut-on faire?
Avec la dynamique que suppose notre système parlementaire de type Westminster, on peut s’attendre à ce que même si l’information sur les dépenses gouvernementales devenait plus conviviale et intéressante, elle continuerait en large partie d’être accueillie avec tiédeur par les parlementaires.
Néanmoins, malgré l’indifférence manifeste, on continue — dans les comités et ailleurs — à se préoccuper des situations d’exception, comme les commandites et les F-35, qui ont de graves répercussions sur la scène politique. Lorsque le Parlement est mis au courant de situations de ce genre, il fait preuve d’un appétit d’information sans pareil, qui dépasse rapidement l'information contenue dans les rapports officiels.
Voilà qui me mène à ma première recommandation: les tentatives visant à améliorer l’examen, par le Parlement, des dépenses gouvernementales devraient focaliser sur ce que le Parlement fait concrètement plutôt que sur ce que nous avons toujours pensé qu’il devrait faire.
Le Parlement s’intéresse aux dépenses gouvernementales au gré des dossiers du jour, de façon très épisodique. Ainsi, l’amélioration qui s’impose, c’est de rendre l’information nécessaire accessible au Parlement lorsqu’il en a besoin. Ce n’est ni le peaufinage des rapports officiels ni l’amélioration du processus officiel des prévisions budgétaires par des changements à la procédure.
Au sein des comités, l’examen des prévisions budgétaires demeurera axé sur la détection des problèmes plutôt que sur la modification de la façon de dépenser du gouvernement. Il faudrait en priorité offrir aux députés et à leur personnel un outil électronique souple leur permettant d’obtenir un portrait précis des activités individuelles ainsi qu’une idée concrète des coûts prévus ou des activités en cours et de leurs coûts actuels.
Cet outil pourrait parfois se révéler utile pour l’examen des prévisions budgétaires, mais permettrait surtout d’examiner les dépenses gouvernementales à l’extérieur du processus des prévisions budgétaires, c’est-à-dire dans le cadre normal de la plupart des activités parlementaires. Cet outil devrait être conçu à cette fin.
Sachez que les fondements de cet outil existent déjà en bonne partie au Secrétariat du Conseil du Trésor sous la forme de ce qui s'appelle l'architecture des activités de programme, dont des témoins précédents vous ont peut-être déjà parlé. Selon ce processus, les ministères doivent essentiellement organiser leurs programmes de manière hiérarchique. Partant du haut, avec les résultats auxquels ils contribuent, ils passent aux programmes, puis aux activités, aux sous-activités et aux sous-sous activités, selon le cas.
En théorie, ce processus descendant est déjà en place. Il faut simplement permettre au Parlement de s'en prévaloir.
De plus, bien que l’idée apparaisse traditionnellement comme un anathème pour les gouvernements, il faudrait également que cet outil permette d’établir, circonscription par circonscription, les activités et les dépenses. Certes, il en résultera bien des tentatives visant à gagner du capital politique sur la base d’iniquités réelles ou imaginaires; mais des questions aussi seront posées, des questions que la population canadienne est en droit d’entendre, tout comme l’information et les explications qui suivront. En fin de compte, il s’agit d’un processus sain.
Je propose également de remplacer la structure actuelle des prévisions budgétaires par un mécanisme cadrant avec ce que fait le Parlement et, si mon argumentation tient la route, continuera de faire.
Pourquoi ne pas regrouper les crédits parlementaires en un seul portant sur un plan des dépenses gouvernementales? Après tout, n'est-ce pas ce que fait le Parlement? Chaque année, il approuve les dépenses du gouvernement. Pourquoi a-t-on besoin de multiples et, dans bien des cas, très obscurs votes pour en arriver à ce résultat?
Ce plan de dépenses pourrait également comprendre des limites sur les transferts d'autorisations de financement pour des dépenses actuellement couvertes par des crédits distincts afin d'empêcher le gouvernement de réaffecter des fonds comme bon lui semble. Il pourrait aussi se fonder sur certains des principes ou lignes directrices que le Secrétariat du Conseil du Trésor utilise pour évaluer les présentations des ministères en vue de réaffecter des fonds pendant l’exercice. Cette façon de faire traduirait la réalité moderne, c’est-à-dire que ce sont les gouvernements qui effectuent la plus grande part du contrôle des dépenses, et non pas le Parlement — comme le veut l'expression encore populaire « celui qui tient les cordons de la bourse ». De plus, un tel plan permettrait au Parlement et au public d’en connaître davantage sur la façon dont s’effectue ce contrôle.
Un processus moderne d’examen des crédits devrait reconnaître le sérieux du rôle du Parlement et retirer aux députés les tâches qu’ils ne saisissent pas. La responsabilisation politique n’a pas la nature d’un processus systématique; elle est plutôt très sélective et dépend de l’importance politique accordée aux dossiers du moment.
Le Parlement est la seule institution qui puisse s’acquitter de cette tâche: déterminer les questions d’importance pour le public, tenir les gouvernements responsables de leurs actes ou de leur inaction et, par le choc des idées entre la pensée du gouvernement et celle de l’opposition, fournir un contrepoids public à la tendance à la pensée unique, qui constitue une caractéristique insidieuse de la vie institutionnelle moderne.
Je pense que nous devrions mieux apprécier la responsabilisation politique que rend possible notre système parlementaire de type Westminster et moins nous attarder à l’absence d’un mécanisme de responsabilisation plus systématique et non partisan au sein des comités.
Merci beaucoup.