Bienvenue à la 141e réunion du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes.
Conformément à notre motion de régie interne, j'informe le Comité que tous les participants à distance ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 8 novembre 2023, le Comité reprend son étude de l'épidémie d'opioïdes et de la crise des drogues toxiques au Canada.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre groupe de témoins. Nous avons dans la salle Jennifer et John Hedican et, en ligne, le Dr Marc Vogel, médecin-chef, Division des troubles liés à l'utilisation d'une substance, University of Basel Psychiatric Clinics. Également par vidéoconférence, nous accueillons Kim Brière-Charest, directrice du projet en substances psychoactives de l'Association pour la santé publique du Québec, et Marianne Dessureault, avocate responsable des affaires juridiques de l'Association. Thai Truong, chef de police du London Police Service, est également présent.
Merci à vous tous d'être avec nous. Nous allons commencer par vos déclarations préliminaires d'une durée maximale de cinq minutes.
Nous allons commencer par M. et Mme Hedican.
Monsieur et madame Hedican, bienvenue au Comité. Vous avez la parole.
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Bonjour. Nous vous remercions de nous donner l’occasion de vous parler ici aujourd’hui.
Nous avons perdu notre fils aîné Ryan lorsqu’il avait 26 ans et notre neveu Justin lorsqu’il avait 38 ans à cause de l’approvisionnement en drogues toxiques du crime organisé. Aussi difficile que cela puisse être, essayez d’imaginer la perte de votre fils ou de votre fille; sachez que plus de 47 000 Canadiens sont morts exactement de la même manière et que la cause de leur décès est la même que celle de votre fils ou de votre fille. Imaginez que vous devez en plus entendre nos partis politiques choisir de ne pas reconnaître que ces décès auraient pu être évités si le gouvernement avait mis en place des politiques différentes.
Ryan et Justin ainsi que la grande majorité des Canadiens décédés à cause de drogues toxiques depuis 2016 seraient en vie aujourd’hui s’ils étaient alcooliques ou consommaient de l’alcool, car l’on fournit aux consommateurs de cette substance un produit de source sûre et légale, contrôlé par le gouvernement. Honte au leadership fédéral et aux députés qui ont choisi d’ignorer cette vérité et cette réalité. Honte aux élus qui continuent de politiser une crise sanitaire qui a tué plus de Canadiens que la Seconde Guerre mondiale.
Le fait que tous les partis politiques choisissent d’ignorer cette réalité constitue un manque de respect et banalise la mort de Ryan et de Justin, de la douleur de notre famille, sans compter les 47 000 vies perdues et de la douleur de leur famille. Ces empoisonnements massifs n’arriveraient pas à d’autres groupes démographiques; nous ne laisserions pas 22 personnes mourir chaque jour de la même cause, année après année, sans reconnaître ce qui pourrait sauver des vies.
L’interdiction des drogues est le principal facteur contribuant à tous les décès dus aux drogues toxiques, car elle garantit et soutient le crime organisé en tant qu’unique fournisseur dans chaque ville du pays. Nous avons gaspillé des billions de dollars en fonds publics pour financer une guerre contre les consommateurs de drogues — des membres de notre famille, des amis et des collègues. Depuis plus d’un siècle, c’est un échec total. L’interdiction ne peut même pas empêcher les drogues de prospérer dans les prisons. Elle a directement créé et soutenu un puissant marché noir multinational pour le crime organisé, qui approvisionne et empoisonne d’innocents consommateurs de substances.
L’interdiction des drogues est une politique fantaisiste, qui voudrait empêcher les drogues d’entrer dans nos collectivités, alors que le fait est que la consommation de substances est une impulsion neurobiologique normale qui existera toujours chez l’humain. La légalisation est la seule politique qui permette d’empêcher directement nos proches de mourir à cause de drogues toxiques et de faire face à la réalité, tout comme la légalisation de l’alcool et de la marijuana l’a fait. Les partis politiques se contentent de réclamer des collectivités plus sûres, davantage de lits pour la réadaptation et la santé mentale, des soins forcés dans des établissements de placement involontaire, et choisissent de ne pas reconnaître que tous ces problèmes graves et coûteux ne changeront rien tant que nous ne nous attaquerons pas à la cause, à savoir le crime organisé qui fournit des drogues toxiques.
Notre fils Ryan a été en réadaptation deux fois, la deuxième fois pendant huit mois dans un établissement de New Westminster appelé The Last Door, et il est retourné au travail comme électricien de troisième année. Ryan a fait une rechute peu après son retour au travail et est décédé pendant sa pause déjeuner sur le chantier. La rechute est une composante normale de la maladie de la dépendance et lorsque cela se produit, la politique fédérale en matière de drogues oblige ceux qui combattent une maladie à se tourner vers le crime organisé pour obtenir ce que leur corps réclame. Pour quelle autre maladie autoriserions-nous le crime organisé à exécuter l’ordonnance?
La plupart des centres de désintoxication se fondent uniquement sur l’abstinence plutôt que sur la réduction des risques, ce qui ne tient pas compte du fait que la dépendance n’est pas un choix, mais une maladie avec un taux de rechute de 92 % pour les personnes qui consomment des opiacés. La réadaptation a joué un rôle majeur dans la mort de Ryan, car sa tolérance à la drogue était faible en raison des huit mois d’abstinence qu’il venait de faire en centre juste avant sa rechute.
La réadaptation ne doit pas reposer uniquement sur un programme en 12 étapes fondé sur la foi et mis en place il y a plus de 90 ans. La science et l’intervention médicale doivent être financées pour traiter et guérir la dépendance. Quelles autres maladies traitons-nous de la même manière qu’il y a 90 ans?
Les politiciens qui considèrent la réadaptation comme la solution miracle choisissent d’en ignorer les vérités et les réalités. Elle ne règle pas et n’arrêtera pas les décès chez les jeunes, les personnes qui consomment de la drogue pour la première fois ou occasionnellement, car ces dernières ne sont pas dépendantes. C’est comme si ces milliers de personnes n’existaient pas. Pour de nombreuses raisons, la réadaptation ne permettra pas de traiter ou de sauver tous les consommateurs chroniques, de même que les alcooliques ne vont pas tous en réadaptation. Ne pas reconnaître ces vies est moralement répréhensible, c’est un manque de responsabilité. La situation montre une fois de plus que toutes les vies ne sont pas égales et qu’elles n’ont pas d’importance pour les politiciens. Les votes sont plus importants que les vies.
La directrice de la santé publique de la Colombie-Britannique, la Dre Bonnie Henry, a déclaré cet été que l’interdiction des drogues était responsable de la crise des décès actuelle et que la légalisation et la réglementation réduisaient au minimum les effets néfastes des drogues. En tant qu’épidémiologiste et professionnelle de la santé, ses recommandations sont fondées sur des données probantes et scientifiques. Les partis politiques fondent leurs politiques et leurs recommandations sur le gain net de voix.
Notre fils Ryan et plus de 47 000 Canadiens sont morts à cause de médicaments toxiques fournis par le crime organisé qui est soutenu par l’interdiction des drogues. Que faut‑il savoir de plus pour mettre un terme à cet empoisonnement massif et à ces décès évitables?
Merci.
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Je vous remercie de cette occasion de témoigner devant le Comité permanent. J’en suis très honoré, en particulier en raison de mes liens de longue date avec le Canada, qui remontent à l’époque où j’ai fréquenté pendant un an une école secondaire en Alberta, au début des années 1990.
En tant que clinicien et chercheur, je suis spécialisé dans la dépendance aux opioïdes et à la cocaïne ainsi que dans le traitement des troubles psychiatriques concomitants. J’occupe les fonctions de médecin-chef au département des toxicomanies de la Clinique de psychiatrie de l’Université de Bâle.
Mon département offre un traitement assisté par des médicaments à quelque 500 personnes. Par ailleurs, nous offrons des traitements avec hospitalisation, de la sensibilisation et des services médicaux aux deux sites de consommation supervisée à Bâle.
Le Canada est actuellement aux prises avec une grave crise de surdoses d’opioïdes qui fait des ravages dans les communautés partout au pays. En 2015, j’ai eu l’occasion de passer quelques mois à l’Université de la Colombie-Britannique grâce à une bourse de recherche et j’ai été frappé par l’ampleur des répercussions de cette crise sur les personnes et l’ensemble de la société.
La Suisse a elle aussi fait face à une crise de santé publique liée aux opioïdes dans les années 1980 et 1990. L’utilisation d’héroïne par voie intraveineuse a été un facteur important de l’épidémie de VIH, qui a frappé la Suisse plus durement que n’importe quel autre pays d’Europe. On trouvait dans toutes les grandes villes suisses des lieux où les stupéfiants étaient consommés ouvertement. Le taux de décès par surdose par habitant est devenu le plus élevé au monde,
Le régime politique de la Suisse repose sur le compromis: entre les régions linguistiques, entre les régions urbaines et rurales et entre les partis politiques de tous les horizons qui doivent partager les responsabilités gouvernementales. Les lois font souvent l’objet de référendums. De façon générale, nos processus décisionnels politiques sont lents.
Toutefois, au début des années 1990, la situation est devenue si pressante que les politiciens, les forces de l’ordre, les intervenants du système de traitement et les utilisateurs de drogues, ainsi que leurs familles, ont uni leurs efforts afin de complètement remanier la politique de la Suisse en matière de stupéfiants. Résultat: un quatrième pilier, soit la « réduction des méfaits », a été ajouté à la prévention, la thérapie et l’application de la loi. Des mesures de réduction des méfaits ont été mises en œuvre à grande échelle. Mentionnons par exemple des services de consommation supervisée, la distribution d’aiguilles et de seringues et des initiatives sociales offertes sans conditions, comme le logement subventionné, l'emploi et les repas gratuits. Surtout, ces mesures étaient accompagnées d’une stratégie de traitement de la dépendance aux opioïdes axée sur les patients et offerte sans conditions. Le traitement par agonistes opioïdes, avec méthadone, est devenu facilement accessible, en plus d’être couvert par l’assurance-maladie obligatoire et d’être offert partout au pays, surtout dans les cabinets d’omnipraticiens, mais aussi dans des établissements spécialisés comme le nôtre.
Les patients ont toujours participé aux décisions concernant leur traitement, et la plupart des règles et restrictions inutiles ont été abolies. La méthadone à apporter chez soi a été proposée à la grande majorité des patients. Malgré ces mesures, il est devenu manifeste qu’une partie des personnes dépendantes aux opioïdes ne recevaient toujours pas de traitement. Pour régler la situation, la Suisse a lancé, en 1994, le traitement par prescription médicale d’héroïne, qui consiste à fournir de l’héroïne de qualité pharmaceutique sous supervision médicale dans un cadre thérapeutique qui comprend le traitement de la dépendance, des soins psychiatriques et des mesures de soutien social. L’héroïne prescrite est injectable, mais est aussi offerte sous forme de comprimés. À l’heure actuelle, nous menons une étude multicentrique nationale sur la prescription d’héroïne par voie nasale.
Il est important d’insister sur le fait que ce traitement va bien plus loin que simplement offrir de l’héroïne. Il s’agit d’un traitement global, interdisciplinaire et rentable qui tient aussi compte des comorbidités psychiatriques comme la psychose, la dépression ou les traumatismes, des facteurs qui contribuent souvent à la dépendance. Jusqu’à 80 % des patients qui suivent un traitement par agonistes opioïdes en Suisse ont des troubles psychiatriques concomitants. Je suis convaincu que ce traitement n’est pleinement efficace que si ces troubles sont aussi traités.
Toutes ces mesures ont été mises en œuvre à grande échelle et offertes dans tout le pays. La Suisse, un pays montagneux d’une superficie inférieure à celle de la Nouvelle-Écosse, compte désormais 16 services de consommation supervisée et plus de 1 800 patients dans 24 centres de traitement par prescription médicale d’héroïne. En quoi est‑ce important? Nous savons que seuls les patients qui reçoivent le traitement peuvent en retirer un avantage. Chaque jour en Suisse, environ 80 % des patients ayant une dépendance aux opioïdes suivent un traitement par agonistes opioïdes, où ils ont le choix entre divers médicaments.
Au Canada, cette proportion est beaucoup plus faible. Seulement dans notre clinique externe à Bâle, nous traitons plus de 200 patients avec de l’héroïne de qualité pharmaceutique. À Toronto, cela équivaudrait à environ 3 000 patients. Toutefois, selon le témoignage de la Dre De Villa que j’ai examiné en vue de ma comparution, l’unique programme de traitement par agonistes opioïdes injectables à Toronto a 35 patients.
La population dépendante aux opioïdes en Suisse est désormais vieillissante, et il faut de nouvelles solutions pour traiter des patients âgés.
Depuis les années 1990, le nombre d’utilisateurs d’opioïdes a chuté. Le traitement par prescription médicale d’héroïne a été approuvé dans le cadre de cinq référendums politiques et l’utilisation problématique d’opioïdes est considérée comme un problème médical, ce qui réduit les préjugés concernant son traitement. Nous sommes convaincus que cette situation s’explique par les mesures de réduction des méfaits prises à grande échelle ainsi que par le recours à la thérapie sans conditions par agonistes opioïdes, notamment par voie injectable, et le traitement des troubles concomitants.
Je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les membres du Comité permanent de la santé, merci de nous accueillir dans le cadre de cette consultation.
Le Canada vit une crise de santé publique massive, principalement causée par la contamination des drogues non réglementées qu'on trouve sur le marché illégal. Plus de 47 000 décès sont survenus dans nos communautés depuis le mois de janvier 2016, ce qui dépasse désormais le nombre de soldats canadiens décédés durant la Seconde Guerre mondiale. Une telle ampleur appelle à une réponse urgente, adaptée et appliquée uniformément d'un bout à l'autre du pays.
Des membres de la Commission globale de politique en matière de drogues ont désigné le Canada comme un pays s'étant distingué par sa poursuite audacieuse de politiques basées sur la santé publique et les droits de la personne. Cependant, les solutions ne suffisent plus à répondre à l'ampleur des besoins et à atténuer cette crise. Nous devons multiplier les actions pour prévenir davantage de décès prématurés et évitables, élargir l'accès au traitement volontaire, rehausser la prévention, assurer un approvisionnement réglementé et réduire le fardeau judiciaire.
Bien que le Québec soit moins touché que d'autres provinces par la crise des surdoses, celle-ci y est bien présente aussi. Plusieurs indicateurs démontrent son aggravation. La province mise sur un continuum en dépendance alliant prévention, recherche, réduction des méfaits et traitement. Le filet communautaire a certainement contribué à atténuer le bilan des surdoses et à éviter une pression supplémentaire sur le système de la santé et des services sociaux. Agir sur les déterminants sociaux de la crise est un incontournable. Le manque de logements sociaux et de ressources dans certains secteurs accentue les problèmes de santé et de cohabitation sociale.
En plus de nous attaquer aux facteurs aggravants, à la toxicité des drogues et à la réponse immédiate sur le terrain, nous devons rehausser la prévention en amont. Nous devons à la fois stopper l'hémorragie et gérer les urgences.
La judiciarisation aggrave la stigmatisation, ce qui entraîne une consommation cachée et freine l'accès aux ressources et aux traitements. Elle accroît la pression sur le système judiciaire sans s'attaquer réellement à la toxicité des substances. En 2020, les coûts de justice pénale attribuables à l'usage de drogues autres que l'alcool, le tabac et le cannabis s'élevaient à plus de 10 milliards de dollars.
L'Association pour la santé publique du Québec estime que les récents débats politiques partout au pays mettent à risque la continuité des ressources en réduction des méfaits. Ces ressources constituent parfois le dernier rempart pour rebâtir un lien avec les milieux de soins et de traitement, un rôle central pour les personnes désaffiliées des ressources en santé, qu'on ne réussirait pas à aller chercher autrement.
Les lésions cérébrales dues à la privation d'oxygène au cerveau durant les surdoses peuvent aggraver les troubles de santé mentale et de dépendance et réduire l'accès aux services de consommation supervisée. Non seulement cela alourdirait le bilan des décès, mais cela pourrait entraîner davantage de complications permanentes de santé.
Les services de consommation supervisés sont essentiels pour offrir un cadre sécuritaire, sanitaire et légal. Bien que la désintoxication et les thérapies soient essentielles, elles doivent s'inscrire à travers un continuum de ressources. Le traitement forcé n'a pas démontré son efficacité et expose à des risques accrus de surdoses. Nous devons commencer par rendre les traitements accessibles, gratuits, adaptés et offerts sur une base universelle, dans un souci d'équité territoriale.
La prescription de substances réglementées réduit considérablement le risque de décès accidentel. Cependant, compte tenu de la puissance des substances sur le marché illégal, l'offre de médicaments ne suffit plus à compenser les signes de sevrage. L'accès à des molécules réglementées est nécessaire pour réduire les effets de la toxicité des drogues. Il ne faut pas oublier que les surdoses sont avant tout attribuables aux drogues contaminées plutôt qu'aux médicaments prescrits.
La réponse des surdoses est complexe et ne peut pas se résoudre par des solutions simples. Un rapport du haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme souligne que la guerre à la drogue entraîne des effets disproportionnés pour les personnes pauvres et les groupes vulnérables. Cette crise de santé publique nécessite une approche transpartisane, basée sur des données probantes, pour éviter d'instrumentaliser à des fins politiques les problèmes entourant les surdoses.
Je laisse maintenant ma collègue Marianne Dessureault terminer notre présentation.
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Bonjour, monsieur le président et bonjour aux membres du Comité permanent de la santé. Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui pour discuter de l'épidémie d'opioïdes et des défis auxquels nous faisons face à London, en Ontario, en ce qui concerne le programme d'approvisionnement sécuritaire et ses conséquences imprévues.
Au cours des derniers mois, la ville de London a été sujette à beaucoup d'attention en lien au programme d'approvisionnement sécuritaire. Bien que le programme soit bien intentionné, nous constatons des répercussions préoccupantes liées au détournement de médicaments fournis dans le cadre de l'approvisionnement sécuritaire. Le détournement de médicaments réglementés, y compris l'hydromorphone, est un sujet d'inquiétude croissant. Ces drogues détournées sont revendues dans notre collectivité, vendues dans d'autres collectivités et même utilisées comme monnaie d'échange pour obtenir du fentanyl, ce qui perpétue le commerce illégal des drogues. Plus précisément, nous constatons une augmentation importante de la disponibilité des comprimés de 8 milligrammes de Dilaudid détournés, qui sont souvent prescrits dans le cadre d'initiatives d'approvisionnement sécuritaire. Des personnes vulnérables sont ciblées par des criminels qui échangent ces ordonnances contre du fentanyl, ce qui exacerbe la dépendance et le tort causé à la collectivité. Ce problème ne se limite pas aux personnes qui ont des problèmes de toxicomanie. Cela a également une incidence sur la sécurité et le bien-être de toute notre collectivité.
Le coût humain de la crise des opioïdes est dévastateur. En 2019, 73 personnes ont perdu la vie à London en raison d'une surdose de drogue. Ce nombre est monté à 123 en 2020 et a atteint 142 en 2021. Bien que le nombre de décès ait légèrement diminué depuis, passant à 123 en 2023, nous restons bien au‑dessus des niveaux d'avant la pandémie. Malheureusement, plus de 80 % des décès par surdose liés aux opioïdes à London sont liés au fentanyl.
Nos données issues de l'application de la loi mettent l'accent sur le problème croissant des médicaments détournés. Les saisies d'hydromorphone ont augmenté considérablement au cours des cinq dernières années. En 2019, nous avons saisi 847 comprimés, dont 75 comprimés de 8 milligrammes de Dilaudid. En 2023, les saisies sont montées à plus de 30 000 comprimés, dont près de la moitié étaient des comprimés de 8 milligrammes de Dilaudid. Ces augmentations ne peuvent être attribuées aux braquages de pharmacies, car il n'y en a eu qu'un seul à London depuis 2019. Notre service de police travaille avec diligence pour mettre fin au trafic de fentanyl et au détournement de médicaments issus de l'approvisionnement sécuritaire. Nous ciblons des individus et des groupes du crime organisé qui exploitent des populations vulnérables et alimentent le commerce de la drogue.
Toutefois, l'application de la loi à elle seule ne suffit pas. Nous collaborons avec des partenaires en santé communautaire pour régler les problèmes systémiques qui contribuent au détournement de médicaments. Ces efforts doivent être holistiques et intégrer la prévention, la réduction des préjudices et le traitement. Je ne suis pas ici pour critiquer le programme d'approvisionnement sécuritaire, mais pour m'attaquer aux graves problèmes associés à son détournement. Nous avons besoin d'innovation pour atténuer les risques. Nous avons besoin d'une application rigoureuse de la loi pour tenir les trafiquants responsables. Nous avons besoin d'une collaboration continue entre les secteurs de la santé, des services sociaux et de la sécurité publique pour répondre efficacement à cette crise. Il s'agit d'une question complexe qui nécessite une action collective. Je tiens à souligner les efforts énormes déployés par les partenaires des services de santé et des services sociaux qui travaillent en première ligne dans les domaines de la prévention, de la réduction des préjudices et du traitement en réponse à cette crise des opioïdes. Cependant, pour faire face à cette crise, il faudra une solide collaboration et une application rigoureuse de la loi.
Merci du temps que vous m'accordez. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Je remercie tous les témoins d'être ici aujourd'hui.
J'adresse mes condoléances aux époux Hedican pour la perte de leurs enfants.
Chef Truong, vous avez dit que cette nouvelle politique radicale d'approvisionnement sécuritaire qui a été mise en place et mise à l'essai dans votre collectivité de London avait clairement des conséquences imprévues.
Lorsque vous avez tenu votre conférence de presse et parlé de l'approvisionnement sécuritaire, dans quelle mesure étiez-vous convaincu que les médicaments que vous saisissiez provenaient de ces programmes d'approvisionnement sécuritaire?
Revenons à ce que certains de nos autres témoins ont dit, à savoir que nous ne pouvons pas faire fi des données probantes...
Je vais maintenant donner la parole au chef Truong.
Chef Truong, merci beaucoup d'être ici.
Le 16 octobre, vous avez fait un commentaire dans le London Free Press. Vous avez dit: « Nous savons que nous ne pouvons pas nous en sortir en procédant à des arrestations [mais] il arrive qu'il soit approprié de procéder à des arrestations quand des personnes consomment ouvertement des drogues dangereuses dans la collectivité. »
Pouvez-vous nous dire quel serait le service approprié pour procéder à ces arrestations pour consommation publique de drogues? À votre avis, quels services d'application de la loi sont nécessaires pour répondre adéquatement à cette crise de surdoses dans notre collectivité, surtout à London, compte tenu du contexte et des collaborations qui ont eu lieu entre les différentes pratiques?
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Merci, monsieur le président.
Je vais profiter du fait que nous avons parmi nous des gens qui nous font voir la situation sous des angles totalement différents. Certains nous parlent de l'application de la stratégie, de l'application de la loi ou de la réduction des méfaits. Nous avons aussi le point de vue des intervenants et des parents endeuillés.
Je vais poser une première question à Mme Brière‑Charest et à M. Vogel, à qui je demanderais de fournir une réponse courte.
Dans le contexte de la crise des drogues toxiques, s'il n'y avait pas d'approvisionnement sécuritaire, cette crise serait-elle plus grande ou moins grande, selon vous? Quelle solution pourrait-il y avoir à ce détournement de l'approvisionnement sécuritaire?
J'aimerais connaître vos points de vue rapidement.
Je m'adresserai ensuite au chef de police M. Truong ainsi qu'à M. et Mme Hedican.
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Tout d'abord, je tiens à souligner qu'on ne sait pas vraiment ce qu'on entend par approvisionnement sécuritaire. Il existe des programmes très différents, pour autant que je sache, qui se définissent comme de l'approvisionnement sécuritaire. Parfois, il peut s'agir simplement d'une ordonnance d'hydromorphone, sans rien d'autre, et je ne suis pas convaincu que cela va fonctionner.
Cela peut aussi ressembler presque à un contexte de traitement et c'est là que je veux en venir. Je pense que nous devrions offrir les médicaments contenant des opioïdes comme une ordonnance dans un contexte thérapeutique, c'est‑à‑dire contrôlé. Cela suppose la supervision régulière d'un médecin. Cela suppose un contexte thérapeutique. Cela suppose une relation avec les patients et les fournisseurs de soins. Je pense que cela ne devrait pas se faire sans une thérapie qui l'accompagne.
J'ai entendu dire que l'hydromorphone sert de monnaie d'échange pour obtenir du fentanyl. Mme Hedican parlait des gens qui sont obligés de vendre de l'hydromorphone, et c'est exactement ce que je veux dire. Ils vendent de l'hydromorphone parce qu'ils cherchent du fentanyl. Si vous voulez faire l'analogie avec le traitement à l'héroïne en Suisse, pourquoi ne pas traiter ces gens avec du fentanyl dans un contexte thérapeutique vraiment intensif, pour qu'ils obtiennent la substance qu'ils recherchent et probablement la substance dont ils ont besoin à ce moment‑là?
Je ne peux pas répondre à votre question quant à savoir si la crise serait plus grande ou moins grande.
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Ryan était notre spécialiste de l'informatique dans la famille. Ryan détestait sa maladie. Il éprouvait de la honte, de la stigmatisation et des remords. C'est notre système politique qui l'a rendu comme cela, avec la prohibition des drogues.
Quand il a voulu combattre sa maladie, il a lutté avec acharnement pour se rétablir. La deuxième fois, il a passé huit mois en maison de rétablissement. On ne reste pas abstinent pendant huit mois si ce n'est pas quelque chose qu'on veut dans la vie. En fin de compte, Ryan a rechuté peu après cela, en faisant un travail qu'il aimait. Il avait des rêves. Qu'on lui enlève cela, alors qu'il devrait être en vie aujourd'hui...
Comme je l'ai dit, s'il était alcoolique, il serait ici aujourd'hui, parce qu'il aurait eu la chance d'aller vers une source légale et sûre pour obtenir ce qu'il voulait et se remettre en selle ensuite. Il aurait réussi, mais nous ne lui avons jamais donné une autre chance, parce que la prohibition des drogues pousse directement dans les filets du crime organisé ceux qui rechutent en combattant une maladie; ils n'ont nulle part ailleurs où aller. Nous ne le reconnaissons pas, et c'est inacceptable à tous les niveaux. Quand je parle de « politisation », c'est ce qui arrive. Nous fermons les yeux sur les vérités et les réalités.
En Colombie‑Britannique, 150 jeunes sont morts entre 2018 et 2023, et la grande majorité n'étaient pas toxicomanes. Ils ont perdu la vie parce qu'ils ont commis l'erreur d'essayer la drogue d'introduction, l'alcool, et nous évitons de parler de ce qui les a tués.
Si vous pouviez tous les deux arrêter de parler pendant que je parle... C'est impoli. Je parle du décès de mon fils et des 150 jeunes qui sont morts dans notre province et qui seraient encore en vie aujourd'hui s'ils avaient eu accès à une source légale où s'approvisionner en toute sécurité.
Les parents de ces 150 jeunes seraient dégoûtés.
Je suis désolé. J'ai perdu le fil de la question.
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Lorsque vous ramenez un enfant de l'hôpital à la maison, vous ne le regardez pas en pensant qu'il va se battre contre quelque chose que vous ne pourrez pas l'aider à vaincre. J'ai entendu la députée parler de ses enfants atteints d'angine à streptocoque. Je comprends cela, parce que mon fils avait été malade lui aussi. Lorsque les jeunes commencent à consommer des substances qu'ils combattent... Nos autres enfants aussi ont consommé des substances, mais ils ne les combattent pas.
M. Johns a posé une question. Je vais faire vite.
Mon point de vue a complètement changé. John est alcoolique, mais il est sobre depuis 38 ans. Nous avons parlé ouvertement de la consommation de substances. J'étais certaine que nos enfants n'emprunteraient pas la même voie difficile. J'ai vraiment lutté contre la consommation de drogue de Ryan, même si j'étais la mère qui le ramassait quand il avait trop bu, en évitant de le réprimander, parce que mes frères et sœurs et mes cousins et cousines avaient tous fait la même chose à l'adolescence. Je sais maintenant que la consommation de substances, lorsqu'elle devient chronique, n'est pas un choix. Le nombre de personnes que nous avons rencontrées dans les maisons de rétablissement de Ryan... Certains en étaient à leur huitième séjour. Imaginez la souffrance qu'ils ont vécue. Ce n'est pas la faute de la personne, même si c'est l'impression qu'elle a quand nous portons ce jugement sur elle.
J'aimerais vraiment qu'on arrête de parler de « surdose », parce qu'il ne s'agit pas d'une surdose. Quand Ryan avait 16 ans, il est allé à une fête de la veille du jour de l'An, où il a fini par s'empoisonner à l'alcool. Cela s'appelle « l'intoxication à l'alcool », mais tout le reste s'appelle une « surdose ». Le coroner a modifié le certificat de décès de Ryan pour indiquer qu'il avait succombé à l'ingestion d'une substance toxique. On ne peut pas parler de surdose, parce que les gens n'ingèrent pas ce qu'ils croient ingérer. La toxicité des drogues est tellement élevée et irrégulière que les consommateurs ne savent pas ce qu'ils mettent dans leur corps. J'entends le mot « fentanyl ». Le fentanyl n'est pas la seule drogue qui tue nos proches.
La toxicité est aussi lourde de conséquences pour les personnes en itinérance, parce qu'elles sont constamment en sevrage de la maladie. Si le café que vous avez bu ce matin n'avait pas la bonne teneur en caféine, qui aurait été remplacée par d'autres substances qui vous rendent malade, votre corps en aurait toujours envie. Vous auriez sans doute envie d'en boire encore et encore durant la journée, comme cela arrive actuellement avec les substances toxiques.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins de contribuer à notre discussion d'aujourd'hui.
Chef Truong, j'ai quelques questions à vous poser au sujet du crime organisé.
C'est un problème qui touche tous les Canadiens, tant dans les centres urbains que dans les régions rurales du pays et dans toutes les provinces. J'ai été stupéfié de voir un communiqué récent de la section des armes à feu et des gangs du Service de police de London, qui portait 62 accusations. Les objets saisis étaient une arme de poing Smith & Wesson de neuf millimètres, une arme de poing Glock, une arme de poing Glock chargée, une autre arme de poing Glock, des comprimés d'oxycodone, de la cocaïne et de la méthamphétamine en cristaux. On voit comment, au Canada, les décès par arme à feu ont pu augmenter de 116 % depuis 2015, et les homicides attribuables à des gangs, de 78 %. Nous faisons face à une crise qui est liée au crime organisé.
Dans votre témoignage, vous avez parlé du détournement par le crime organisé de ce qu'on appelle l'approvisionnement sécuritaire. Je me demande si vous pourriez nous en dire un peu plus sur le fait que quelqu'un puisse vouloir se départir de l'approvisionnement sécuritaire qu'il a reçu. J'emploie l'expression « approvisionnement sécuritaire » parce que c'est celle que nous avons entendue dans les témoignages au Comité. La façon dont on abuse de cet approvisionnement fait encore augmenter la criminalité et le chaos. Comme nous le savons tous, il y a eu plus de 40 000 décès par surdose depuis 2015.
Pourriez-vous nous dire en termes concrets comment ce détournement se pratique dans votre propre collectivité?
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Merci de cette explication.
En 2022, le projet de loi a été adopté, ce qui a entraîné l'élimination des peines d'emprisonnement obligatoires. Je ne parle pas ici des personnes qui avaient une dépendance quelconque, mais de celles qui faisaient partie du crime organisé, qui étaient reconnues coupables d'avoir produit, importé ou exporté des drogues prévues à l'annexe 1, comme le fentanyl, la méthamphétamine, l'héroïne et la cocaïne. L'élimination de la peine d'emprisonnement obligatoire a eu pour résultat que les personnes impliquées dans le crime organisé ont la possibilité de purger leur peine dans le confort de leur propre domicile, assujetties à une ordonnance de sursis ou assignées à résidence, plutôt que d'être incarcérées.
De plus, en 2019, le projet de loi est entré en vigueur. On a qualifié cela de système de capture et de remise en liberté, les juges étant de plus en plus susceptibles... C'est presque une simple formalité pour les personnes accusées d'infractions graves liées aux drogues, y compris d'infractions liées aux gangs et aux armes à feu, de retourner dans la rue pour victimiser de nouveau leurs concitoyens canadiens.
Pouvez-vous nous parler un peu des répercussions de l'adoption de cette loi et de la capacité de votre organisation de perturber le commerce des drogues illicites?
Je suis dégoûté d'entendre cela. C'est un véritable coup de poing. Les décès ne feront qu'augmenter si cela se produit, et une politique qui entraîne une augmentation des décès ne fait pas de sens pour de nombreuses raisons. C'est tout simplement dégoûtant. Le rétablissement, qu'ils préconisent comme la seule solution possible, est une utopie. Ils vivent dans un monde imaginaire. Les risques de rechute sont de 92 % dans les faits. Lorsque cela se produit, comme je l'ai dit, ces personnes se tournent vers le crime organisé.
Tant que nous ne nous attaquerons pas à la réalité des drogues toxiques fournies par le crime organisé, des réunions comme celle‑ci pourront être tenues pendant des années à venir, les chefs de police pourront continuer à mettre des gens en prison — il y aura toujours des gens à mettre en prison —, nous continuerons à dépenser des milliards de dollars de l'argent des contribuables et nos enfants continueront à mourir.
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Je voulais vous remercier de votre question.
Selon ce que j'entends, personne ne se réjouit du fait que le crime organisé fournit des drogues toxiques. Dans les faits, deux choix s'offrent. Le premier, c'est qu'on laisse cela entre les mains du crime organisé, comme cela se produit depuis des années. Je pourrais vous demander à tous, ainsi qu'à vos parents, la même chose: avez-vous déjà consommé des drogues illicites étant jeunes? Avez-vous déjà fait cela? Si oui, ces drogues étaient fournies par le crime organisé.
Deux choix s'offrent, monsieur Moore. Soit on laisse cela entre les mains du crime organisé, soit on adopte des règlements et on veille à ce que l'approvisionnement soit sécuritaire, afin d'éviter que des gens meurent. Il sera alors temps de parler de toutes les autres choses. Entretemps, vous gaspillez de l'argent et vous sacrifiez des vies.
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Merci beaucoup de votre réponse.
[Français]
J'aimerais maintenant m'adresser à vous, madame Brière‑Charest. Si nous avions plus de temps, je chercherais à savoir si nous avons un lien de parenté, mais je vais plutôt vous poser une autre question.
Pendant votre allocution d'ouverture, vous avez mentionné qu'il était important d'évaluer et d'analyser les déterminants sociaux et les facteurs aggravants. Vous avez aussi recommandé qu'on clarifie les déterminants sociaux de la santé ainsi que les inégalités sociales et sanitaires propres à la consommation de substances psychoactives et à la crise des surdoses, en tenant compte des particularités provinciales, régionales et locales.
J'aimerais vous entendre nous en parler plus en détail.
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Effectivement, on voit que les déterminants sociaux de la santé sont étroitement liés à plusieurs éléments de la crise des surdoses. Des recherches ont commencé à démontrer des liens avec des conditions socioéconomiques difficiles, par exemple. Entre autres, les problèmes de logement sont criants partout au Canada actuellement, comme vous le savez. On établit également des liens avec les situations de pauvreté, les troubles de santé mentale et les troubles de santé physique. C'est donc une accumulation de facteurs qui contribuent à accentuer les problèmes liés à l'usage de substances.
Plusieurs éléments sont en cause actuellement. Au Québec, notamment, on voit que le Comité Maison de chambres de Québec ne suffit plus à répondre aux besoins, bien qu'il demeure un rempart pour éviter à certaines personnes d'être à la rue. Malheureusement, les difficultés de cohabitation sociale qu'on peut observer sur divers plans relèvent parfois davantage de ces déterminants sociaux que de la consommation à proprement parler. C'est sans compter le manque d'espaces dans les ressources vouées à l'accueil de ces gens.
Il faut vraiment aborder tous ces aspects du problème pour véritablement voir la crise dans son ensemble, de façon globale, comme cela a été soulevé aujourd'hui. On doit assurer cette réponse aux besoins de base, en plus de faciliter l'accès aux traitements et aux suivis et de continuer la recherche en ce sens.
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En fait, les intervenants qui offrent des services en réduction des méfaits sont là pour accompagner les personnes qui consomment des drogues. Ils peuvent notamment les diriger vers des traitements ou vers des centres de désintoxication. Les personnes qui souhaitent réduire ou cesser leur consommation établissent donc un lien de confiance avec les intervenants, dont les intervenants de première ligne, avec lesquels ils interagissent au quotidien.
C'est donc un ensemble de services qui visent à assurer la santé et la sécurité de ces personnes, avant tout pour les maintenir en vie, compte tenu de la quantité de décès qu'on voit actuellement.
Nous partons du postulat que des personnes consomment des drogues depuis des millénaires. Il faut aussi considérer l'aspect humain, comme l'ont mentionné M. et Mme Hedican, à qui j'offre d'ailleurs toutes mes condoléances. On voit que les programmes basés sur la seule abstinence, autant sur le plan de la consommation de drogues qu'en matière de santé sexuelle, présentent malheureusement des lacunes et ne sont pas efficaces. Ils peuvent même avoir l'effet adverse.
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Nous savons que la guerre contre la drogue est menée à l'échelle de l'Amérique du Nord et qu'elle est un échec. C'est évident.
Les chefs de police de la Colombie‑Britannique nous l'ont dit, tout comme le sous-commissaire de la GRC. Selon eux, il y a détournement de produits pharmaceutiques, l'hydromorphone et l'approvisionnement plus sécuritaire ne constituant qu'une fraction de ce qu'ils trouvent dans la rue par rapport au fentanyl. Ils disent aussi que les drogues toxiques tuent des gens et plaident pour un plus grand nombre de centres de consommation supervisée, un approvisionnement plus sécuritaire et, bien sûr, une intensification des mesures de traitement, de rétablissement, de prévention et d'éducation.
N'êtes-vous pas d'accord avec leur analyse?
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Merci, monsieur le président.
Je veux d'abord remercier nos témoins de leur présence.
Monsieur et madame Hedican, je sais que nos condoléances ne vous réconfortent pas beaucoup, mais sachez qu'elles viennent de... Je partage votre colère. Je partage votre frustration, ayant vu mon frère vivre cette crise dans la rue pendant trop longtemps. J'ai également perdu un beau-frère à cause d'une surdose.
Même si nous avons des points de vue différents, je peux vous dire que ma frustration réside dans le fait que des milliards de dollars ont été dépensés, mais que nous continuons de perdre des gens comme mon beau-frère, votre fils et votre neveu. Je veux simplement que vous sachiez que je partage votre colère et votre frustration. Je pense que nous devrions faire mieux.
Je vais adresser mes questions au chef Truong.
Chef Truong, la Colombie‑Britannique a abandonné son expérience de décriminalisation. Nous avons reçu le surintendant de la GRC à la retraite Wright il y a quelques semaines. Selon lui, l'expérience de décriminalisation a été la pire décision de politique publique de l'histoire de la Colombie‑Britannique pour ce qui est de la criminalité et du désordre. Êtes-vous d'accord avec cela?
Seriez-vous d'accord pour dire que si London allait de l'avant avec la décriminalisation, cela augmenterait la criminalité et le désordre dans votre communauté?
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Docteur Vogel, je suis très heureux que vous soyez ici. Il y a longtemps que je voulais que quelqu'un vienne parler du modèle suisse.
Je pense que ce que nous observons dans cette salle aujourd'hui est un microcosme du débat sur l'approvisionnement sécuritaire, la famille Hedican le défendant passionnément parce que c'est l'approvisionnement en drogues toxiques qui tue des gens, alors que le chef Truong parle du détournement des médicaments et de la crainte que cela crée un approvisionnement très bon marché de narcotiques, qui pourraient jouer le rôle de narcotiques d'initiation.
J'ai entendu cela, par exemple, de la part de psychiatres de la Colombie‑Britannique qui s'occupent de la population dans la rue. Je leur ai demandé pourquoi les jeunes commencent à prendre du Dilaudid, et ils m'ont répondu: « Parce que c'est bon marché. » Alors que le prix était de 20 $ à un moment donné, il est passé à 1 $ après l'arrivée de l'approvisionnement sécuritaire, un joint se vendant 5 $ dans la rue. Si vous avez le choix, allez-vous acheter un joint ou du Dilaudid?
Les jeunes commencent par le Dilaudid. Non, le Dilaudid ne les tue pas, mais le problème avec les stupéfiants, c'est qu'ils créent une dépendance et obligent à opter pour quelque chose de plus fort. Ce qui se passe, et ce qui est préoccupant, c'est que les gens vendent du Dilaudid, puis consomment du fentanyl, et c'est le fentanyl qui les tue.
Quelle est la solution pour établir un équilibre? Je pense que c'est en grande partie celle adoptée par la Suisse.
Docteur Vogel, êtes-vous d'accord pour dire que tout le fondement du modèle suisse est le traitement supervisé? Pour la grande majorité des gens qui consomment des drogues plus fortes, comme l'héroïne, les comprimés oraux ne suffisent pas de toute façon. Vous leur fournissez donc un produit injectable, mais ils doivent venir dans des centres pour l'obtenir. La grande majorité du programme de doses à emporter consiste en un traitement supervisé. Est‑ce exact?
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Vous avez tout à fait raison. Il n'y a plus de consommation ouverte de drogues. L'an dernier, il y a eu une résurgence en raison du crack, mais c'est un autre problème.
Pour ce qui est de l'héroïne et des opioïdes, il n'y a plus de consommation ouverte. Nous n'avons plus de consommation en public, alors ce n'est pas un problème. Je pense que cela est attribuable au traitement à l'héroïne et à l'étendue de ce traitement, auquel j'ai fait allusion dans ma déclaration préliminaire.
Nous avons également mis en place d'autres services, comme les services de consommation supervisée, de logement et des choses de ce genre. Il y a plusieurs mesures, mais je tiens à souligner que toutes ces mesures représentent un enjeu complexe. Nous avons d'ailleurs entendu cela aujourd'hui et nous devons unir nos efforts.
En tant que médecin, je crois que le traitement est un élément important.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais poursuivre dans la même veine que M. Powlowski. Je pense qu'il est important de corriger certaines idées fausses que nous avons entendues ici, au Comité.
Par exemple, le traitement par agonistes opioïdes et l'administration de doses supervisée, comme l'a dit M. Powlowski, ne sont évidemment pas la même chose que l'absence de relation thérapeutique avec une personne qui consomme des drogues et le fait de simplement la renvoyer chez elle avec 30 comprimés de 8 milligrammes de Dilaudid.
Docteur Vogel, je vais commencer par vous, si vous le permettez.
Quand vous avez participé au modèle suisse, ce type d'approvisionnement sécuritaire avait‑il déjà été mis à l'essai en Suisse, à savoir remettre aux patients des comprimés de 8 milligrammes de Dilaudid en quantités importantes?
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Je dirais qu'il s'agit d'un éventail de mesures, et la fourniture de médicaments est à la base du traitement par agonistes opioïdes, mais comme je l'ai souligné, je pense que la thérapie ne doit pas se limiter à cela et doit comprendre, comme vous l'avez dit, l'accès à un logement, mais aussi un traitement psychiatrique, un traitement des troubles psychiatriques concomitants et d'autres options.
Je veux que vous me compreniez bien. Vous êtes médecin, n'est‑ce pas? Vous êtes un médecin généraliste.
M. Stephen Ellis: Oui.
Dr Marc Vogel: Beaucoup de traitements ici sont administrés par des médecins généralistes, mais ils le sont aux patients les plus stables. Ces personnes ont une relation longue et continue avec leur médecin généraliste. Cela fonctionne bien, et des doses à emporter peuvent être offertes à la plupart d'entre eux, sans problème.
Nous avons aussi des établissements spécialisés qui sont responsables, disons, des patients qui ont plus de problèmes, des problèmes psychiatriques et des comorbidités. Nous avons aussi une vaste gamme d'établissements qui traitent environ 45 % des patients. Les autres sont traités par les omnipraticiens.
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Merci beaucoup, docteur Vogel.
Je pense qu'il est important que les Canadiens comprennent que ce genre de traitement et ces autres formes de soutien n'existent pas au Canada. Je crois que l'autre point important, c'est que, comme je l'ai dit, le simple fait de donner des comprimés de 8 milligrammes de Dilaudid à des personnes qui luttent activement contre la toxicomanie — jusqu'à 30 à la fois — est l'équivalent, si l'on veut être réaliste, à des soins palliatifs: « Prenez ces médicaments et utilisez-les comme vous le voulez ou vendez-les de façon détournée. » Nous savons aussi que ce n'est pas très utile.
Il est certain que dans le modèle dont vous parlez, comme cela était le cas au Canada par le passé avec la méthadone, les gens développent une relation thérapeutique avec les praticiens et ont ensuite la capacité d'avoir accès à des doses à emporter, lorsqu'ils deviennent plus stables dans leur dépendance et qu'ils ont cette relation thérapeutique.
Je pense que l'une des autres choses — et je sais que vous me corrigerez si je me trompe —, c'est que le fentanyl ne pose pas de problème important en Europe. Est‑ce vrai, docteur Vogel?
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Je ne dirais pas pour toute l'Europe. Il y a des pays où c'est un problème.
En Suisse, cela n'a pas encore été un problème. Nous avons des nitazènes qui commencent à arriver et qui sont tout aussi puissants que le fentanyl ou plus puissants. Nous devrons adapter nos traitements.
C'est ce que j'ai souligné dans mon dernier commentaire. Je pense que lorsqu'il n'y a pas de données probantes, il faut en recueillir. C'est quelque chose que les Suisses ont fait aussi. Ils ont mené une vaste étude sur le traitement à l'héroïne, qui a montré que ce traitement fonctionne et qu'il est rentable.
C'est probablement quelque chose que nous ferions si les nitazènes commençaient à circuler à une plus grande échelle. C'est que nous commencerions à faire avec des opioïdes plus puissants, comme le fentanyl, parce que nous savons que la méthadone n'est pas un bon médicament pour de nombreux patients, et que ceux‑ci doivent pouvoir choisir parmi une variété de substances disponibles. L'héroïne — l'héroïne pharmaceutique — en fait partie, et elle est très forte. Elle peut être injectée, mais pour les patients qui consomment du fentanyl, ce n'est peut-être même pas suffisant, et nous devons fournir du fentanyl à ces patients dans le cadre d'un traitement.
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Merci, monsieur le président.
Merci à tous les témoins.
Je tiens à vous offrir mes sincères condoléances à vous, monsieur et madame Hedican, pour la perte de votre fils.
Ma première question s'adresse à vous.
Pouvez-vous nous parler de la stigmatisation des personnes aux prises avec une dépendance? À votre avis, quels types de programmes de sensibilisation pourraient être mis en œuvre? Ensuite, si quelqu'un a un problème, comment peut‑il utiliser les services de réduction des méfaits?
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Il y a deux choses qui me passionnent.
Je crois qu'il n'y a pas eu suffisamment de recherche sur les composantes neurobiologiques et les méthodes de traitement. La recherche sur la toxicomanie est très restreinte. Comme nous l'avons dit dans notre discours, le modèle des AA est fondé sur le principe de la « non-consommation ». Cependant, nous ne dirions jamais à quelqu'un qui a le cancer ou le diabète: « Arrêtez tout simplement de manger du sucre. Vous n'aurez plus de problème. » Toutes les possibilités doivent être examinées. Je dirais qu'il faut vraiment améliorer la recherche.
Nous avons raconté l'histoire de Ryan, au moyen d'une présentation en PowerPoint, dans les écoles, à des infirmières et à toutes sortes de gens pour qu'ils comprennent que ce n'est pas une question de choix. Il faut éduquer les gens et réduire la stigmatisation liée à la consommation d'une substance, celle‑ci ne signifiant pas nécessairement que vous êtes une mauvaise personne. Les gens qui fument des cigarettes ont une dépendance. La nicotine crée une forte dépendance. Certaines méthodes de traitement sont médicales, mais personne — maintenant — ne blâme les gens qui fument. Si nous pouvons présenter cela d'un point de vue médical, avec les composantes neurobiologiques qui entrent en jeu, et faire savoir aux gens que la consommation de substances est une chose normale qui se produit...
Comment pouvez-vous entretenir une relation saine avec vous-même? Comment pouvez-vous reconnaître que votre consommation de la substance que vous choisissez n'est pas saine, puis déterminer où aller pour obtenir de l'aide? Notre médecin n'a pas été en mesure de fournir de l'aide à Ryan lorsqu'il en avait besoin, alors il ne s'agit pas seulement d'éduquer les utilisateurs. Il faut aussi éduquer les gens qui offrent du soutien pour qu'ils comprennent que les gens ne choisissent pas d'être dépendants.
Cependant, je tiens aussi à dire que j'ai l'impression que les médias présentent les personnes qui consomment des substances comme des personnes qui sont à la source de problèmes, étant donné qu'elles sont très visibles à l'heure actuelle lorsqu'elles n'ont pas de domicile. Ce n'est pas représentatif. Cela ne concerne pas la grande majorité des consommateurs de substances. Ce ne sont pas eux qui soutiennent à eux seuls l'industrie d'un milliard de dollars du crime organisé. Il y a beaucoup d'autres consommateurs de substances, mais nous ne le reconnaissons pas.
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Monsieur le président, par votre entremise, je peux vous dire que dans notre secteur de compétence, l'accusation de possession d'une substance désignée au cours des dernières années a été réduite à près d'une fraction de ce qu'elle était au cours des années précédentes. Même si nous n'avons pas décriminalisé la possession de substances désignées, en particulier pour les personnes qui les utilisent dans des espaces ouverts, le fait de ne pas intervenir, de ne pas faire d'arrestations et de laisser passer les choses lorsque cela est approprié a entraîné une décriminalisation de facto de la possession d'une substance désignée.
Nous voyons les répercussions que cela a sur notre communauté à l'heure actuelle à London. Si nous ne nous attaquons pas au problème, nous causons de graves dommages, et cela a des répercussions sur les entreprises, les communautés et l'ensemble de la collectivité.
Madame, vous avez cité des commentaires que j'ai faits dans ma collectivité, devant notre commission de services policiers et devant le conseil municipal. Je vais simplement vous répéter que nous avons écouté la communauté et que c'est une question d'équilibre. Nous devons nous assurer d'avoir un équilibre. Lorsqu'il est approprié de le faire, surtout dans le contexte des répercussions sur l'ensemble de la population, les agents de police doivent avoir la capacité d'intervenir. Nous cherchons à collaborer efficacement avec notre communauté.
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Merci, monsieur le président.
J'aurai une question pour Mme Brière‑Charest, mais, avant de la lui poser, j'aimerais revenir sur des propos que je viens d'entendre de la part du chef de police M. Truong et qui me chicotent.
Monsieur Truong, vous avez répondu à une question sur la décriminalisation, tout à l'heure. Vous êtes un spécialiste de l'application de la loi, alors je tiens pour acquis que vous ne confondez pas légalisation, décriminalisation et déjudiciarisation. Or, vous avez dit que, quand des gens consommaient des drogues dans un endroit inconvenant, il n'y avait pas de règlement municipal qui vous permettait d'intervenir, étant donné la décriminalisation. Cependant, la décriminalisation touche la possession simple de drogue. Cela évite que la personne soit amenée au poste de police et qu'elle passe par le processus judiciaire. Cela ne vous empêche pas de faire appliquer les règles élémentaires de civisme dans votre ville.
N'avez-vous pas ce pouvoir, contrairement à ce que vous venez de dire?
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Merci de la question, monsieur.
Monsieur le président, par votre entremise, je veux mentionner que j'ai manqué une partie de la traduction. Je m'excuse, monsieur.
Si je vous ai bien compris, j'ai dit qu'en Ontario et à London, il est encore illégal de posséder et d'utiliser des substances désignées. Toutefois, de facto, notre service de police n'est pas intervenu auprès des personnes qui consommaient des drogues dans des espaces ouverts parce que nous avons adopté une attitude de compassion. Nous avons adopté une position conforme aux principes découlant des changements apportés à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, à savoir que les agents appliquent des solutions de rechange aux arrestations.
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Cette question prend de l’ampleur chaque jour parce que personne ici ne parle des personnes non toxicomanes. Des enfants meurent. C’est comme s’ils n’existaient pas. Ce sont les gens qui n'iront jamais en désintoxication qui meurent et qui n’existent pas pour vous. Je ne comprends pas comment vous pouvez ignorer ces vies qui sont perdues par milliers, à jamais. C’est comme si elles n’existaient pas pour vous.
Vous manquez à votre responsabilité de protéger tous les Canadiens. Il est dur à avaler de savoir que chaque jour, il y a cinq ou sept décès en Colombie-Britannique et 22 dans notre pays. Vous ne vous occupez pas de la majorité de ces cas. Vous ne reconnaissez pas le problème. C’est dur à avaler.
Notre gouvernement manque à sa responsabilité. Nous devons cesser de parler des atrocités commises dans d’autres pays parce qu’il y en a une dans notre foutu pays. Aujourd’hui, 22 personnes vont mourir et la majorité d’entre elles ne sont pas toxicomanes. Elles ne parlent pas d’approvisionnement sécuritaire et vous ne le reconnaissez pas.
Tant que nous ne nous attaquerons pas aux drogues toxiques fournies par le crime organisé, vous manquerez à votre responsabilité de protéger tous les Canadiens. Faites votre travail.
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À l’heure actuelle, si nous devions procéder à une arrestation selon les circonstances, nos agents peuvent arrêter le contrevenant, saisir sa drogue et le libérer sans condition.
La deuxième option qui s’offre à nos agents est l’arrestation et l’inculpation, le cas échéant, la saisie de ces drogues conformément aux règles de la preuve et la comparution de ces personnes ou de cette personne devant les tribunaux.
Nous reconnaissons que nous ne voulons les traduire en justice que lorsque c’est justifié et que, dans certaines circonstances, il est nécessaire de le faire. Dans certains cas, la compartution devant le tribunal leur donne l’occasion de recevoir des soins à ce titre. Bien souvent, lorsque nos agents interviennent — nous examinons la question en ce moment —, y a‑t‑il d’autres options pour que la population participe et soutienne cette personne?
Dans certaines circonstances, nos agents doivent intervenir pour des raisons de sécurité publique et ces circonstances dicteront soit la judiciarisation, soit d’autres voies d'accès à des soins.
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Je tiens à remercier tous les témoins pour leurs témoignages très importants.
Docteur Vogel, j’aimerais commencer par vous. Je suppose que vous connaissez bien l’essai NAOMI de 2008 qui visait à déterminer qui serait les meilleurs candidats pour le traitement à l'héroïne dans le contexte canadien. En bref, cette étude mentionnait que les utilisateurs chroniques d’opioïdes par injection de longue date qui ont de graves problèmes de santé et d'ordre social et qui ont suivi plusieurs cures de désintoxication feraient partie de ces candidats. L'étude révèle également que les participants sont en grande partie des polytoxicomanes, la cocaïne étant la deuxième drogue de prédilection, après l’héroïne.
L'étude date de 2008, donc les temps ont changé, mais j'oserais affirmer que ce traitement est encore sous-utilisé au Canada comme vous l’avez laissé entendre, je crois. Il est difficile d’obtenir du financement et un soutien général pour ce traitement ainsi que pour la production locale, comme dans le cas de Fair Price Pharma dans le quartier Downtown Eastside.
Cette description d'un patient correspond-elle à la personne qui accède à un traitement en Suisse? Selon vous, qu’est‑ce qui nous manque dans notre approche, à part peut-être une augmentation massive de la disponibilité de ce traitement?
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Eh bien, je ne suis pas un expert de la prévention. Je suis un expert du traitement.
En Suisse, très peu de jeunes commencent à consommer des opioïdes. Nous pensons que c'est dû en partie au fait que — et j'ai déjà essayé de l'expliquer — l'élargissement du traitement a montré très clairement qu'il est très dangereux de consommer des opioïdes. Il y a un risque élevé de surdose et de dépendance. Il y a aussi un risque élevé que vous vous retrouviez en désintoxication.
Je ne sais pas si on peut dire la même chose pour le Canada en ce qui concerne l'option de traitement que je connais, mais en Suisse, c'est très clair. Si vous êtes dépendant aux opioïdes, vous devez suivre un traitement. C'est une perspective très peu reluisante. Nous sommes certains que cela a eu un effet dissuasif. Un autre facteur de prévention tient au fait que, de toute évidence, moins d'opioïdes sont vendus dans la rue, parce que nous offrons un traitement plus efficace que ce qui se fait ailleurs.
Je pense aussi que la plupart des adolescents sont conscients des dangers. Ils pourraient probablement se procurer de la codéine, des choses du genre, mais il est plus difficile de se procurer de l'héroïne pharmaceutique, entre autres, dans la rue. C'est évident.
Ce qui est intéressant, bien sûr, c'est que comme le fentanyl n'est pas vraiment une drogue de prédilection en Suisse — nous avions évoqué ce constat — cela rend l'environnement canadien un peu différent. Je pense qu'il vaut la peine de le répéter.
Parmi les autres éléments qui sont extrêmement importants, il y a le fait que les études scientifiques qui ont porté sur le traitement sont toutes fondées en réalité sur la prise devant témoin, ou au minimum, sur le traitement par agonistes opioïdes. Il est certain que votre idée selon laquelle il faut une multitude de substances différentes aidera certainement à adapter le traitement à la personne. Ici au Canada, il est certain que la méthadone n'est plus aussi populaire, même si on l'utilise dans le traitement depuis très longtemps.
Comme M. Hedican l'a dit, le gouvernement néo-démocrate-libéral ne fait pas son travail puisqu'il a proposé un approvisionnement sécuritaire sans aucune forme de soutien. C'est aberrant. Alors que nous commençons à envisager de former le prochain gouvernement, nous devons vraiment nous pencher sur d'autres aspects de la prévention, de la résilience, de la perturbation continue et d'une réadaptation efficace. Les Canadiens ont besoin de ce genre de connaissances pour réfléchir à la façon dont nous pouvons améliorer le système au Canada, de pair évidemment avec le logement.
Docteur Vogel, avez-vous un dernier mot à dire sur les améliorations que nous pourrions apporter au Canada? Si vous ne connaissez pas suffisamment le système pour faire des commentaires à ce sujet, je comprendrai.
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Merci, monsieur le président.
Je vais me tourner tout de suite vers M. Truong.
Ma question fait suite à certaines questions qu'on vous a posées ici ainsi qu'à votre observation sur le fait que nous ne pourrons pas sortir de cette crise en faisant des arrestations ainsi qu'au contexte de notre collectivité, la ville de London, qui a connu bon nombre de ces surdoses au cours de la dernière décennie, même dans des endroits comme les prisons.
Je suis curieuse: si nous parvenions à faire disparaître de nos rues la crise actuelle liée à la consommation de drogues toxiques, pensez-vous que d'autres drogues surgiraient dans nos rues?
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À juste titre, étant donné les remarques de M. Hedican, je vais traiter du sujet dont il souhaite traiter, c'est‑à‑dire l'utilisateur occasionnel. Nous n'avons pas abordé cette question. Oui, nous parlons de toxicomanes de longue date, mais qu'en est‑il des très nombreuses personnes — comme votre fils, semble‑t‑il — qui consomment de façon intermittente? On entend aussi parler d'une pilule et d'un enfant ou d'un joueur de hockey. Ils prennent une pilule et ils meurent.
Je pense qu'il est très difficile de trouver une solution. Je pense que cet enjeu doit être l'objet d'un de nos rapports, mais...
Monsieur Hedican, vous semblez suggérer de légaliser l'approvisionnement sécuritaire. On achèterait tout autant de l'alcool que des stupéfiants, mais il faudrait que ce soit assez bon marché. Dans le cas de la marijuana, il y a toujours un marché noir parce qu'elle est moins chère dans la rue que dans les magasins de marijuana. De la même façon, dans le cas des stupéfiants, il y aurait un marché noir, alors il faudrait que ce soit bon marché. Donc, ne courrions-nous pas le risque que comme mes enfants qui achètent de la bière, des gens achètent alors aussi des stupéfiants, puis en deviennent dépendants, ce qui créerait un problème social plus grave avec cette vaste population de toxicomanes?
Je ne sais pas. Je veux dire, si vous avez des suggestions, le sujet est vraiment important, alors je vous cède la parole et probablement les dernières minutes.
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C'est tout à fait la réalité. Nous n'avons pas le choix d'avoir ou non de la drogue dans notre collectivité. Notre seul choix, c'est qui la contrôle, le gouvernement ou le crime organisé.
Oui, quelqu'un peut essayer une autre substance parce qu'on en vend à côté du magasin de boissons. C'est la drogue d'introduction que nous rendons disponible à tous les coins de rue. Les gens vont toujours essayer des drogues et la grande majorité d'entre eux le font après avoir bu. C'est la réalité, et nous n'en tenons pas compte.
La réalité, c'est que tant que nous avons de l'alcool — et les gens consomment des substances et de l'alcool pour différentes raisons —, les gens vont essayer des drogues. Je me répète. C'est soit le crime organisé, soit le gouvernement.
Nous pouvons voir aujourd'hui — nous disposons de plus de 80 ans de données probantes — comment nous nous en tirons avec le crime organisé. Ce n'est pas près de changer.
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Selon le Surgeon General des États-Unis, plus de gens ont des problèmes d'alcool que le cancer. J'aimerais revenir à ce que nous devons faire. Nous devons parler des réalités.
En 2016, alors que Ryan attendait une place au centre Last Door, nous avons dû lui trouver de l'héroïne jusqu'à ce qu'il puisse faire une cure de désintoxication. Il y avait environ 43 piqueries dans notre collectivité selon les policiers... On ne les voit pas, alors on pense qu'il n'y en a pas. Ce n'est pas parce qu'on peut en trouver qu'on doit l'utiliser. C'est déjà là. C'est dans tous nos quartiers. Il ne s'agit pas seulement de ce que l'on considère comme une piquerie. Cela s'étend à toute la société.
Ce fut le point de départ de ma mission. Je ne voulais pas que mes enfants consomment de substances. Ce n'est pas la réalité. Même la stigmatisation de « J'ai vu une transaction de drogue » ou bien « J'ai vu quelqu'un se procurer ce dont il a besoin ». Il n'y a pas de stigmatisation, circulez, il n'y a rien à voir. Plutôt que « J'ai vu deux personnes du même sexe se tenir par la main », circulez. Renseignez-vous.
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Oui, je le ferai avec plaisir.
Au Québec, le réseau est assez établi en ce qui concerne le continuum de services en dépendances. Je dirais même qu'un consensus se dégage parmi toutes les personnes et tous les organismes qui agissent en première ligne sur le terrain, mais également en matière de prévention, de recherche et de traitement. Nous sommes vraiment dans une approche axée sur la diversité des ressources accessibles.
Je souhaite pousser plus loin les commentaires au sujet des services en réduction des méfaits, en vous donnant un exemple personnel. La dernière fois que j'ai eu à intervenir dans le cas d'une surdose, la personne n'avait pas de problème de dépendance aux opiacés. Elle a tout de même eu besoin de trois doses de naloxone. Elle avait été informée des risques. Malgré tout, elle a eu besoin de notre soutien. Autrement, elle serait probablement décédée en pleine nuit, dans une ruelle.
Il est donc essentiel de maintenir en place l'ensemble de ces services, pour toutes ces personnes à risque. Il faut aussi décupler les mesures de prévention, en complément à ces interventions.