Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Je vous souhaite la bienvenue à la 105e réunion du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride, conformément au Règlement. Pour garantir le bon déroulement de la réunion, j'aimerais transmettre certaines consignes aux témoins.
Avant de prendre la parole, attendez que je vous nomme. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro. Veuillez mettre le micro en sourdine lorsque vous ne parlez pas.
En ce qui concerne l'interprétation, ceux qui participent à distance au moyen de l'application Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre le parquet, l'anglais et le français. Ceux qui sont dans la salle peuvent utiliser l'oreillette et choisir le canal désiré.
Je vous rappelle que toutes les observations des députés et des témoins doivent être adressées à la présidence.
Conformément à notre motion de régie interne concernant les tests de connexion, je souhaite informer le Comité que tous les témoins ont effectué les tests requis avant la réunion.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement, le Comité se réunit dans le cadre de son étude sur l'épidémie d'opioïdes et la crise des drogues toxiques au Canada.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue aux témoins qui se joignent à nous aujourd'hui.
Nous accueillons, à titre personnel, Mme Elaine Hyshka, professeure agrégée et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en innovation des systèmes de santé, École de santé publique, Université de l'Alberta.
Nous accueillons aussi M. Meldon Kahan, professeur agrégé, Département de médecine familiale, Université de Toronto.
Nous avons parmi nous M. Bohdan Nosyk, professeur et titulaire de la Chaire CANFAR en recherche sur le VIH-sida de l'hôpital Saint‑Paul, Faculté des sciences de la santé, Université Simon Fraser.
Nous accueillons aussi la Dre Marie‑Ève Goyer, médecin, Équipe de soutien clinique et organisationnel en dépendance et itinérance.
Nous allons maintenant procéder aux déclarations d'ouverture. Chaque témoin aura cinq minutes pour faire sa déclaration. Nous allons commencer par Mme Hyshka, qui sera suivie de M. Kahan, de M. Nosyk et de la Dre Goyer.
Madame Hyshka, vous avez la parole pour cinq minutes.
Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant le Comité aujourd'hui. Je m'appelle Elaine Hyshka, et je suis titulaire de la chaire de recherche du Canada sur l'innovation des systèmes de santé, de même que professeure agréée de l'École de santé publique de l'Université de l'Alberta. Je me joins à vous aujourd'hui depuis Edmonton, sur le territoire visé par le Traité no 6, c'est‑à‑dire les terres ancestrales des peuples des Premières Nations et des Métis.
Mon discours liminaire décrit la situation actuelle en Alberta, comment nous en sommes arrivés là et les mesures qui s'imposent à l'échelle provinciale et nationale pour réduire de manière durable la morbidité et la mortalité liées aux drogues.
En Alberta, 2023 sera la pire année jamais documentée au chapitre du nombre de décès dus à un empoisonnement aux opioïdes. Entre janvier et novembre, nous avons perdu cinq personnes par jour — pour un total de 1 706 personnes — à la suite d'un empoisonnement fatal aux opioïdes. Bien qu'il ne représente pas l'année complète, ce nombre de décès est près de 19 fois supérieur à celui observé au plus fort de la crise des opioïdes sur ordonnance en 2011, où 91 Albertains étaient décédés d'une surdose d'opioïdes. La situation est si grave qu'elle contribue au déclin de l'espérance de vie de la population.
Quelle est la cause de cette hausse considérable de la mortalité? Une prépondérance de preuves indique que l'augmentation exponentielle du nombre de décès en Alberta est attribuable à un changement fondamental et présumément permanent des drogues illégales en circulation, ce qui rend la consommation de drogues plus dangereuse que jamais auparavant. Elle n'est pas attribuable à une croissance importante de la prévalence de la dépendance ou des troubles liés à l'usage d'opioïdes. À l'heure actuelle, aucune donnée ne laisse croire que l'Alberta aurait connu, depuis 2011, une hausse énorme du nombre de personnes ayant développé une dépendance ou un trouble lié à l'usage d'opioïdes. Plutôt, les efforts visant à réduire la consommation d'opioïdes sur ordonnance déployés depuis 2012, qui partaient d'une bonne intention, ont entraîné une réduction rapide des ordonnances, si bien qu'en 2018, le nombre total des opioïdes sur ordonnance en circulation au sein de l'ensemble de la population avait baissé de moitié. Malheureusement, le taux de mortalité n'a pas diminué. Il a augmenté à mesure que le marché des drogues illégales a pris de l'expansion pour répondre aux besoins au moyen de nouveaux opioïdes synthétiques hautement toxiques produits clandestinement. Ce qui complique encore plus la situation, c'est le taux croissant de consommation d'opioïdes combinés à des stimulants ainsi que la contamination des produits d'opioïdes par des benzodiazépines et autres sédatifs.
À ce jour, les drogues toxiques ont coûté la vie à 10 060 Albertains. Pour mettre ce nombre en perspective, cette crise a fait 3 861 morts de plus que la COVID‑19 en Alberta. La plupart des victimes sont jeunes ou d'âge moyen. Beaucoup sont membres des Premières Nations. D'ailleurs, en raison du colonialisme, du racisme et de la discrimination, les membres des Premières Nations meurent à un taux sept fois plus élevé que les personnes qui ne sont pas membres des Premières Nations en Alberta, ce qui explique en partie pourquoi leur espérance de vie a diminué de sept ans rien qu'entre 2015 et 2021. Les années de vie potentielles perdues et l'incidence sur les enfants, les parents, les familles, les amis et les communautés des victimes sont énormes et dévastatrices.
Pour renverser cette tendance, il faut une intervention en santé publique fondée sur les données probantes comme le Canada n'en a encore jamais vu. La pandémie de COVID‑19 a démontré que les efforts coordonnés et adéquatement financés en santé publique peuvent rapidement mener à des percées scientifiques et prévenir une morbidité et une mortalité importantes à long terme. Une réponse sociétale comparable s'impose face aux drogues toxiques afin de sauver des vies, de favoriser l'égalité en matière de santé, de réduire la pression sur les systèmes de santé et d'éviter que des décès causés par des drogues toxiques n'entraînent une perte de productivité qui coûterait des milliards de dollars à l'économie.
Pour que cette réponse soit efficace, il faut d'abord estimer le nombre de Canadiens à risque de subir un empoisonnement causé par des drogues, puis utiliser ces données pour optimiser et étendre les mesures d'intervention éprouvées, telles que le traitement par agonistes opioïdes et la consommation supervisée, afin de répondre aux besoins de l'ensemble de la population. Il faut également reconnaître que la majorité des personnes à risque de subir un empoisonnement causé par des drogues au Canada ne satisfait pas aux critères relatifs aux troubles liés à l'usage d'opioïdes et ne cherche habituellement pas à obtenir un traitement pour toxicomanie. Ainsi, il faut continuer de mettre à l'essai de nouveaux modèles d'approvisionnement en drogues sûres, sur ordonnance ou non, dans le but de réduire l'exposition à des drogues toxiques. Il est tout aussi important de remédier aux facteurs sous-jacents qui augmentent la vulnérabilité aux méfaits liés aux drogues. Cela nécessite des efforts concertés pour améliorer la gestion de la douleur chronique et des troubles de santé mentale, améliorer la santé et le statut social des Autochtones et réduire les taux de précarité du logement et de pauvreté à l'échelle nationale.
Enfin, nous devons investir dans le déploiement et l'évaluation de programmes de prévention communautaires universels à l'intention des enfants, des jeunes et des familles qui ont de fortes chances de réduire les taux de consommation précoce de drogue chez les adolescents et qui auraient des effets bénéfiques dans bien des domaines de la vie sociale.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir invitée à comparaître devant le Comité aujourd'hui et je vous remercie de faire l'étude approfondie de cette crise.
Il y a présentement un vote à la Chambre. Je demande à mes collègues s'ils veulent poursuivre la réunion ou s'ils veulent faire une pause le temps du vote.
Nous avons trois autres témoins, c'est exact? Ils vont prendre la parole pendant 15 minutes, puis la sonnerie retentira pendant 30 minutes, c'est bien cela?
Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole au sujet de la crise des opioïdes. Mes observations porteront principalement sur le traitement par agonistes opioïdes, ou TAO, ainsi que sur l'approvisionnement en drogues sûres.
Les médicaments agonistes opioïdes, dont la méthadone, la buprénorphine et la morphine à résorption lente administrée par voie orale, sont habituellement administrés sous supervision à la pharmacie. Des doses à emporter sont données lorsque le patient réduit sa consommation d'opioïdes à risque élevé. Les quatre médicaments sont tous des opioïdes puissants à action prolongée. À dosage adéquat, ils soulagent les symptômes de sevrage et l'envie impérieuse durant 24 heures complètes.
Des études montrent que la thérapie par agonistes opioïdes réduit la consommation d'opioïdes, les infections liées aux injections et la mortalité par surdose, même chez les gens qui consomment du fentanyl. Malheureusement, seule une minorité de consommateurs de fentanyl se prévalent d'un traitement par agonistes opioïdes, et le taux de rétention des patients qui l'amorcent semble diminuer. Plusieurs stratégies pourraient permettre d'améliorer l'accès au TAO et les taux de rétention des patients qui l'amorcent.
Il faut offrir immédiatement le traitement par agonistes opioïdes sur place aux patients dans les urgences et les hôpitaux, dans les services de gestion du sevrage et dans les cliniques d'accès rapide. Pour ce faire, les urgences et les hôpitaux doivent être dotés d'un service de traitement des dépendances sur place.
Le traitement par agonistes opioïdes doit être mis à la disposition des gens, peu importe l'endroit où ils vivent. Il est possible de le faire par la voie de la prestation de soins à distance. Le programme de traitement à distance de la dépendance aux opioïdes de l'Alberta est un bel exemple de réussite et un modèle pour le reste du pays.
Il faut mettre à l'essai et évaluer les protocoles novateurs d'administration des médicaments qui procurent un soulagement rapide et important des symptômes de sevrage et de l'envie impérieuse, comme la méthadone combinée à la morphine à résorption lente administrée par voie orale.
Les cliniques communautaires qui offrent le traitement par agonistes opioïdes doivent offrir l'accès sur place à une gamme complète de services auxiliaires, notamment des soins primaires, des services de santé mentale et la gestion de cas.
J'aimerais maintenant discuter brièvement des programmes d'approvisionnement en drogues sûres. Dans le cadre de ces programmes, on distribue des comprimés d'hydromorphone aux consommateurs d'opioïdes à risque élevé en combinaison avec la prestation du traitement par agonistes opioïdes. Selon plusieurs études, ces programmes sont associés à un risque réduit de surdose. Toutefois, aucune comparaison directe n'a été effectuée entre l'approvisionnement en drogues sûres et le traitement par agonistes opioïdes en ce qui concerne les taux de surdose ou d'infection liée à l'injection. Les programmes distribuent habituellement les comprimés d'hydromorphone à titre de médicament à emporter. On prescrit parfois aux patients de 30 à 40 comprimés à emporter par jour. Les patients qui se prévalent de cet approvisionnement en drogues sûres peuvent vendre ces comprimés — on parle alors de « détournement » — ou peuvent se les injecter.
À en croire les cliniciens, les patients, les familles, les médias et les études qualitatives, le détournement des comprimés d'hydromorphone à emporter semble courant. D'ailleurs, il a contribué de façon majeure à d'autres épidémies de drogue, notamment à l'épidémie d'OxyContin dans les années 1990 et au début des années 2000. À ce qu'on dit, les comprimés d'hydromorphone ne seraient pas uniquement vendus aux consommateurs de fentanyl mais également à des jeunes et à des bénéficiaires de thérapie par agonistes opioïdes. Les comprimés d'hydromorphone ne coûtent pas cher; même les enfants qui fréquentent l'école secondaire ont les moyens de se les payer. De toute évidence, les gangs criminelles sont impliquées, et ces comprimés sont maintenant vendus dans les collectivités éloignées.
Les chercheurs au Canada n'ont pas étudié les méfaits du détournement des comprimés d'hydromorphone à emporter, mais selon les premières recherches effectuées à ce sujet, les jeunes qui consomment des comprimés d'opioïdes sur ordonnance détournés présentent un risque supérieur de s'injecter subséquemment les comprimés et de passer à l'héroïne. Personnellement, j'ai eu des patients qui sont passés de comprimés d'hydromorphone détournés au fentanyl. Le fentanyl aussi ne coûte pas cher et produit une euphorie et un soulagement des symptômes de sevrage plus prolongés que les comprimés d'hydromorphone.
L'injection non supervisée de comprimés d'hydromorphone constitue également un grave problème. Les preuves indiquent que l'injection d'opioïdes sur ordonnance augmente le risque d'infection bactérienne grave telle que l'endocardite.
Il existe plusieurs stratégies pratiques et fondées sur des données probantes que l'on peut adopter pour rendre les programmes d'approvisionnement en drogues sûres plus sécuritaires pour les patients et le public.
L'une de ces stratégies consiste à administrer sous supervision les comprimés d'hydromorphone. Des études montrent que l'administration supervisée de médicaments agonistes opioïdes réduit les méfaits du détournement et de l'injection non supervisée, tout en ayant peu d'incidence sur les taux de rétention des patients qui amorcent le traitement.
(1115)
Une autre stratégie consiste à combiner l'hydromorphone à des doses optimales de médicaments agonistes opioïdes. Les médicaments agonistes opioïdes ont un effet prolongé et sont, par conséquent, plus efficaces pour soulager les symptômes de sevrage que les comprimés d'hydromorphone. Le TAO réduit également le besoin de prescrire de grandes quantités de comprimés d'hydromorphone.
Bonjour. Merci de m'avoir invité à participer à cette réunion.
Je m'appelle Bohdan Nosyk. Je suis professeur et titulaire de la chaire de recherche sur le VIH‑sida de la Fondation canadienne de recherche sur le sida, ou CANFAR, et de l'hôpital St. Paul, au sein de la Faculté des sciences de la santé de l'Université Simon Fraser. Je suis également l'auteur principal d'une étude évaluant les lignes directrices de la Colombie‑Britannique en matière d'atténuation des risques, ultérieurement appelé le « programme d'approvisionnement en drogues sûres sur ordonnance », étude qui a été publiée dans le British Medical Journal en janvier 2024.
Mon discours liminaire portera principalement sur cette étude, puisque je sais qu'elle est d'intérêt pour le Comité.
L'étude a été réalisée à une échelle véritablement provinciale...
Bonjour. Merci de m'avoir invité à participer à cette réunion.
L'étude a été réalisée à une échelle véritablement provinciale au moyen des ensembles de données administratives liées de la Colombie‑Britannique en matière de santé. Mon équipe de recherche se spécialise dans l'utilisation de ces données depuis 17 ans et soutient la réponse de la province à la crise des surdoses depuis sa déclaration.
Près de 6 000 des 250 000 consommateurs estimés d'opioïdes et de psychostimulants de la Colombie‑Britannique ont accédé au programme dans les 18 mois suivant sa création, dont un peu plus de 5 000 personnes ayant un trouble lié à l'usage d'opioïdes. On estime qu'il y a 100 000 personnes ayant un trouble lié à l'usage d'opioïdes en Colombie‑Britannique.
En général, les personnes qui accèdent au programme possèdent de longs antécédents de troubles liés à l'usage d'une substance, vivent en marge de la société et présentent un risque élevé de décès par surdose. Étant donné que le programme a été conçu pour réduire le risque de surdose et de décès chez les bénéficiaires, nous avons mis l'accent sur ces résultats pour déterminer si l'initiative a l'effet désiré. Autrement, nous nous sommes concentrés sur les effets immédiats de la distribution de drogues sûres sur ordonnance étant donné que, comme pour les contraceptifs oraux, l'insuline pour diabétiques, voire le traitement par agonistes opioïdes, il est attendu que ces effets ne persistent que pour la durée de l'utilisation.
Puisque les lignes directrices ont été publiées à l'échelle provinciale et à titre de mesure d'urgence au début de la pandémie de COVID‑19, il a été impossible d'effectuer un essai contrôlé randomisé. Par conséquent, le meilleur modèle d'étude consistait en une étude fondée sur l'ensemble de la population au moyen d'un ensemble complet de données administratives liées en matière de santé. De plus, nous avons réalisé l'étude selon les normes les plus élevées qui soient en matière de méthodologie. Comme je l'ai mentionné, l'étude a récemment été publiée dans l'une des revues médicales les plus influentes.
L'intention derrière le programme d'approvisionnement en drogues sûres sur ordonnance était de distancer les personnes des drogues illicites toxiques en circulation. Nos conclusions laissent croire que cet objectif a été atteint. Les gens présentent un risque de décès inférieur lorsqu'ils se prévalent de la distribution de drogues sûres sur ordonnance, et plus ils s'en prévalent fréquemment, plus l'effet protecteur est fort. C'est un élément de preuve crucial. C'est ce qu'on appelle la « relation dose-effet », et c'est l'un des principaux facteurs recherchés pour prouver le lien de cause à effet en épidémiologie.
Ces effets sont indépendants de toute prescription de traitement par agonistes opioïdes ou de tout autre facteur de confusion potentiel présent dans les conditions de référence ou pouvant avoir changé au fil du temps après qu'une personne ait commencé à se prévaloir de l'approvisionnement en drogues sûres sur ordonnance. Autrement, ces effets se maintiennent, que nous examinions la mortalité liée aux drogues ou toutes causes confondues, et nous avons constaté des effets comparables pour la distribution de stimulants sûrs sur ordonnance, quoique beaucoup moins de personnes en aient reçus, ce si bien que le degré d'incertitude de ces conclusions est supérieur.
Les lignes directrices en matière d'atténuation des risques sont un programme controversé qui a été beaucoup critiqué en Colombie‑Britannique et dans l'ensemble du Canada depuis sa mise en œuvre, bien avant la publication de notre étude. Un débat d'érudits — c'est‑à‑dire un débat non pas fondé sur l'idéologie ou l'anecdote, mais sur les preuves scientifiques — est une composante utile et constructive du processus décisionnel. Dans cet esprit, notre équipe, en s'appuyant sur une analyse et des preuves supplémentaires, a systématiquement répondu à chacune des critiques que nous avons reçues après la publication de notre étude lors d'une présentation publique qui s'est tenue le 7 février dernier et que l'on peut consulter en ligne.
J'ai transmis au Comité cette présentation ainsi que tous les autres rapports et articles évalués par les pairs que je vais mentionner. Je crois qu'on attend la traduction.
En résumé, notre étude a démontré que, pour le nombre relativement peu élevé de personnes qui ont pu y accéder, le programme d'approvisionnement en drogues sûres sur ordonnance a sauvé des vies.
Nous espérons que l'on tiendra suffisamment compte de ces faits et de la vie de certains des Canadiens les plus vulnérables et que ceux‑ci éclaireront le débat et la prise de décisions concernant cette intervention, qui s'inscrit dans le continuum des divers services nécessaires pour lutter contre la crise des opioïdes.
Je vais présenter mon introduction en anglais, et le corps de ma présentation en français. Je répondrai ensuite volontiers aux questions en anglais ou en français, selon ce qui convient le mieux.
Premièrement, merci de m'accueillir parmi vous. Je vous remercie également au nom de mes patients, qui meurent très fréquemment.
Je suis heureuse de voir que nous joignons nos efforts pour trouver des solutions ensemble. C'est très important pour mes patients et moi.
Je me spécialise maintenant dans toutes les dépendances. Cela fait 20 ans que je suis médecin en milieu hospitalier et en consultation externe. Je possède une maîtrise en santé publique ainsi qu'un certificat de compétence additionnelle en médecine des toxicomanies.
Je suis cheffe médicale des services en dépendance et itinérance du centre-ville de Montréal et je travaille depuis de nombreuses années à la clinique à bas seuil d'exigences pour le traitement des troubles liés à l'usage d'opioïdes. Je prescris le traitement par agonistes opioïdes ainsi que des drogues sûres.
Je suis également directrice de l'Équipe de soutien clinique et organisationnel en dépendance et itinérance, ou ESCODI, qui est comparable au British Columbia Centre on Substance Abuse, ou BCCSU, ou encore à META:PHI, en Ontario. Notre équipe offre des outils cliniques et établit des lignes directrices pour l'ensemble de la province du Québec.
Par ailleurs, je suis coprésidente pour l'Initiative canadienne de recherche en abus de substance, ou ICRAS. J'ai eu l'occasion de travailler à l'étranger avec Médecins du monde pour aider à instaurer le traitement par agonistes opioïdes dans des pays à bas seuil d'exigences.
(1125)
[Français]
Ce que je souhaite vous dire aujourd’hui, en deux volets, est très proche de ce qui a été dit jusqu'à maintenant. Tout d’abord, comme médecin, j’aime bien que le diagnostic soit clair avant de discuter du traitement. Le diagnostic actuel, en 2024, n’est pas un diagnostic de détournement de drogues ni un diagnostic relatif aux produits pharmaceutiques, mais un diagnostic de contamination de drogues sur le marché illicite.
J’aimerais que vous imaginiez un iceberg. Sur le dessus de l’iceberg, il y a les décès par surdose d’opioïdes. Mes collègues ont très clairement énoncé les mesures à prendre. On connaît plusieurs choses qui fonctionnent. Il faut encore plus les mettre en avant, et il ne faut surtout pas reculer. Il faut avancer vers les choses qui fonctionnent, non seulement l’accès aux traitements et aux molécules, comme la méthadone, mais aussi l'approvisionnement plus sécuritaire. Nous pourrons en reparler si vous le voulez. Nous ne faisons pas de réel approvisionnement plus sécuritaire actuellement. Nous faisons de la prescription médicale encadrée par des ordres professionnels dans un contexte clinique hyper balisé et clair pour des patients particuliers après une évaluation rigoureuse.
Qu’est-ce qui fonctionne? Les services d’injection supervisée, l’accès à du matériel de consommation et à de la naloxone, et les services d’analyse de drogues. Nous devons avoir ces services maintenant et partout. En 2024, il n’est pas normal que, dans la majorité des services d'urgence du Canada, on n’ait pas accès à des traitements ni à de la naloxone à emporter. Il n'est pas normal que, dans la majorité des prisons provinciales, on n'ait pas accès aux traitements et qu’on puisse sortir d’une faculté de médecine canadienne sans être capable de prescrire de la méthadone. Il est donc vraiment urgent de mettre en place les choses qui fonctionnent. C’est la partie supérieure de l’iceberg.
Qu’est-ce qui se cache en dessous? Ma collègue, Mme Hyshka, en a bien parlé. Il faut se demander qui meurt actuellement. Il faut réfléchir aux inégalités sociales en matière de santé et aux déterminants sociaux de la santé. Notre système de santé n’est ni réellement accessible ni réellement universel. Notre système de santé est inversé, alors que ce sont les gens les plus malades et qui ont le plus de problèmes de santé comorbides, comme les gens qui ont des problèmes de santé mentale, les personnes sans domicile fixe et celles des Premières Nations, qui devraient être les premiers à recevoir des services intégrés et complets.
Il va falloir qu’on se demande comment il se fait que ce ne soit pas encore le cas, malgré la crise. Il va donc falloir qu'on parle de stigmatisation et d’encadrement, c'est-à-dire de politiques publiques de santé qui encadrent les substances. Il faut qu’on soit créatif et novateur pour réviser nos politiques publiques de santé. Il faut qu’on parle de décriminalisation. Il faut qu’on se rende compte qu'actuellement, nos politiques perpétuent les inégalités sociales en matière de santé et qu'elles perpétuent le cercle vicieux de la pauvreté et de la marginalisation. Il faut donc une réponse robuste qui vise en priorité, d’abord et avant tout, les personnes qui sont les plus susceptibles de décéder et qui sont les plus vulnérables.
Si vous le voulez bien, puisqu'il y a quorum, nous allons reprendre la séance. Monsieur Kitchen devrait arriver bientôt. Cela fait déjà plus de 25 minutes que nous avons interrompu la séance.
Avant de continuer, j'aimerais demander aux membres du Comité s'ils sont prêts à poursuivre jusqu'à 13 h 30, au plus tard. Je poserai aussi la question aux témoins.
Je remercie également les témoins d'être avec nous.
[Traduction]
Je remercie les témoins.
Comme vous le savez tous, il s'agit d'un sujet très important. J'ai quelques questions. À l'issue de notre étude, nous espérons produire un rapport comportant une série de recommandations. J'estime sincèrement qu'il est important de parler des mesures qui peuvent être prises.
Je vais commencer par le Dr Kahan. Vous avez parlé de l'importance des thérapies par agonistes opioïdes pour traiter la dépendance. Pourriez-vous nous en dire plus long sur le modèle de l'Alberta, notamment son programme de traitement à distance de la dépendance aux opioïdes, le fonctionnement de ce dernier et la manière dont on pourrait l'appliquer au reste du pays?
Oui. Je crois que le modèle albertain est un bel exemple de réussite. Le programme permet à des milliers de personnes d'amorcer le traitement par agonistes opioïdes le même jour, y compris des personnes qui vivent dans des collectivités éloignées et des personnes qui se retrouvent à l'urgence ou à l'hôpital. C'est la meilleure façon de faire.
Le Canada est composé de collectivités très dispersées et éloignées géographiquement. Nous devons offrir le traitement par agonistes opioïdes dans toutes les collectivités, dans les hôpitaux et dans les urgences, et les soins à distance sont un moyen efficace d'y parvenir. Ces services sont offerts 24 heures par jour, sept jours sur sept. Il ne s'agit pas uniquement d'une prestation de soins à distance. Ces services mettent les patients en liaison avec des personnes autorisées à rédiger des ordonnances, des infirmiers praticiens, des médecins, ainsi que des pharmacies, alors je crois que c'est un excellent modèle pour donner aux habitants des collectivités éloignées, aux personnes qui n'ont pas de moyen de transport et aux patients dans les urgences et les hôpitaux accès à des soins.
J'ai récemment visité le centre de traitement des arrestations du service de police de Calgary. Ce centre est en mesure d'offrir directement aux personnes récemment arrêtées accès au Virtual Opioid Dependency Program. On m'a raconté des exemples de réussite de ce service intégré vraiment fantastique.
[Français]
Docteure Goyer, vous avez également parlé du traitement par agonistes opioïdes, ou TAO.
[Traduction]
Selon vous, quels sont les obstacles à l'accès au traitement par agonistes opioïdes au pays et comment rendriez-vous ce traitement plus accessible?
Comme je l'ai dit, il faut en faire une priorité et se baser un peu sur les modèles que l'on suit pour traiter les maladies chroniques. La dépendance aux opioïdes est évidemment beaucoup plus complexe, mais les modèles d'organisation des services et de formation des professionnels pour le traitement des maladies chroniques, comme le diabète et les maladies cardiovasculaires, sont très intéressants, à mon avis.
Comme je l'ai dit dans ma présentation, on part de loin. Parmi les mesures les plus faciles à mettre en place, d'abord, on pourrait rendre obligatoire la formation en dépendance dans toutes les facultés de médecine, non seulement pour les médecins, mais aussi pour les pharmaciens, les infirmières et les gens qui accompagnent les patients sur le plan psychosocial. La formation des professionnels de la santé est donc la première chose à faire.
La deuxième chose à faire concerne la responsabilité éthique. Si je vous accueille à l'urgence alors que vous faites une crise cardiaque et que je ne fais que vous donner un choc électrique et vous renvoyer à la maison sans médicaments, sans prise en charge et sans suivi, je vais perdre mon permis d'exercice. Nous savons ce qui fonctionne pour la dépendance aux opioïdes. Lorsqu'un patient se présente à l'urgence à cause d'une surdose, on ne peut plus simplement lui donner de la naloxone et lui donner son congé. On doit lui offrir un traitement immédiatement. Il doit y avoir des spécialistes en dépendance dans les hôpitaux qui peuvent conseiller les médecins, les équipes, voire les patients, puis assurer un suivi adéquat...
Je dois malheureusement vous interrompre, car j'ai très peu de temps de parole et je veux poser d'autres questions.
[Traduction]
Monsieur Nosyk, quels sont les obstacles à l'accès au traitement par agonistes opioïdes en Ontario?
On m'a dit, dans le cadre de conversations officieuses, que le coût élevé de la thérapie par agonistes opioïdes et son paiement sont un problème. Est‑ce le cas en Ontario?
Nous avons énormément étendu l'accès au traitement par agonistes opioïdes depuis 10 ou 15 ans. On a réduit les restrictions et les exigences de l'agrément, si bien que de plus en plus de médecins peuvent maintenant prescrire ce traitement et de plus en plus de patients peuvent y accéder. On entend toujours parler d'obstacles à l'accès dans les régions rurales. Je crois que c'est le symptôme des obstacles à l'accès aux soins primaires. Il y a une pénurie de soins primaires, et je crois que la population rurale en souffre particulièrement.
Le montant exigé pour le traitement par agonistes opioïdes sert en grande partie à payer les pharmacies, les frais d'observation directe de l'ingestion et les frais d'ordonnance.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les témoins.
Je vais commencer par Mme Hyshka. Dans votre discours liminaire, vous avez parlé d'un changement dans les drogues en circulation. J'aimerais que vous clarifiiez une chose, et peut-être que vous nous donniez un peu plus de détails.
Le changement dans les drogues en circulation est‑il un phénomène indépendant? Est‑il attribuable, disons, à l'accès à un approvisionnement en drogues sûres et au fait que ces drogues ne sont peut-être pas aussi accessibles? Le changement est‑il propre à l'Alberta ou l'avez-vous observé partout au Canada?
Dans mon discours liminaire, j'ai mentionné l'énorme différence observée entre 2011 et 2023. En 2011, au plus fort de la crise des opioïdes sur ordonnance — à l'époque où, selon certains sondages, non moins d'un Canadien sur cinq déclarait consommer des opioïdes de qualité pharmaceutique — 91 Albertains sont décédés d'un empoisonnement causé par des drogues, et ces drogues étaient principalement des opioïdes. De toute évidence, à l'heure actuelle, les statistiques sont astronomiquement supérieures à cela.
À compter de 2012 environ, à la suite d'une série de mesures prises avec de bonnes intentions pour limiter l'accès de la population aux opioïdes sur ordonnance, on a observé une nette diminution des opioïdes sur ordonnance en circulation au sein de la population, tant ceux obtenus sur ordonnance par les patients que ceux détournés et vendus dans les marchés illicites.
À Edmonton, d'où je viens, dans le cadre de mes travaux de recherche sur les enquêtes épidémiologiques en vue de l'obtention de mon doctorat en 2012, tous les consommateurs d'opioïdes avec qui je me suis entretenue consommaient des comprimés d'hydromorphone qu'ils avaient achetés ou qui leur avaient été prescrits. De nos jours, cela ne se voit pratiquement plus. Très peu de gens consomment ces médicaments maintenant. Tout le monde consomme du fentanyl.
D'après les éléments de preuve que nous avons réussi à recueillir, nous croyons que la diminution de la prescription d'opioïdes a coïncidé avec une transition fondamentale du marché illicite vers les opioïdes synthétiques. Essentiellement, on a réduit les ordonnances, mais on n'a pas réduit la demande. Résultat: le marché illicite a innové et maintenant, nous avons le fentanyl, ses analogues, le carfentanil, les opioïdes de la classe des nitazènes, les fausses benzodiazépines et toute une panoplie d'autres drogues hyper dangereuses qui forment les principaux opioïdes en circulation, et cela contribue à un nombre ahurissant de décès jamais vu auparavant.
Cette tendance s'observe dans tout le Canada, en particulier en Colombie‑Britannique, mais, bien qu'elle soit arrivée plus tard en Ontario et dans le reste du pays, il ne fait aucun doute qu'elle s'y observe également à l'heure actuelle.
Donc ce phénomène prend de l'ampleur au Canada. Merci.
Si je comprends bien, vous vous penchez sur les options de traitement actuellement disponibles et l'approvisionnement en drogues sûres. En quoi ces solutions régleraient-elles le dilemme actuel?
Comme tous les autres témoins, je crois qu'il est essentiel d'offrir aux gens un large éventail de médicaments agonistes opioïdes et d'options différentes. Il faut étendre de manière importante l'accès à ces médicaments à titre de traitement de premier recours pour les troubles liés à l'usage d'opioïdes.
Nous savons également que, pour certains patients, ces médicaments ne sont pas une option, notamment s'ils les ont essayés sans succès. Je ne crois pas qu'il soit correct de simplement dire « Désolés, mais c'est tout ce que nous avions à vous offrir. » Selon moi, il est raisonnable de prescrire aux gens des opioïdes sur ordonnance dans le but de les stabiliser, de les soutenir et de réduire le risque extrême de décès par surdose auquel ils s'exposent en consommant du fentanyl et d'autres drogues toxiques qui circulent dans les rues.
Je ne crois pas que ces deux choses s'opposent. Selon moi, l'offre sur demande d'un traitement de haute qualité fondé sur les données probantes s'impose, et ce, par toutes les modalités possibles, y compris le traitement par agonistes opioïdes injectables, une option qui s'offre vraiment très peu au pays.
Cela dit, quelle que soit la raison, il y a des personnes pour qui ces médicaments ne sont pas une option ou ne fonctionnent pas. On ne peut abandonner cette population. Nous devons réellement aider toutes les personnes que nous pouvons à demeurer en vie. Il est tout simplement inacceptable qu'autant de personnes décèdent au pays de causes qui, en fin de compte, sont évitables.
Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé de la réponse que la société doit mettre en œuvre. Vous avez également parlé de certains des services dans la gamme de services nécessaires. En une minute environ, pouvez-vous donner plus de précisions sur ces questions?
Je sais que vous avez parlé de certaines mesures. Quels seraient les trois principaux éléments qui devraient faire partie de la réponse de la société face à la crise actuelle?
Il faut vraiment traiter la crise comme une crise de santé publique. Il faut des investissements correspondant aux besoins de la population pour les traitements efficaces déjà en place, comme les traitements par agonistes opioïdes, les services d'injection supervisée et la naloxone. Je dirais que les investissements sont insuffisants à l'heure actuelle et que ces services n'arrivent plus à répondre aux besoins de la population.
Je pense également qu'il faut étudier les facteurs qui mènent au décès provoqué par une intoxication par la drogue, comme les problèmes liés au logement, à la pauvreté et aux troubles de santé mentale comorbides qui prennent tous de plus en plus de place. Par exemple, présentement dans ma province, un peu moins de 40 % des décès provoqués par une intoxication par la drogue surviennent dans des endroits publics. Cela nous révèle que beaucoup de gens sont itinérants ou n'ont pas de logement stable. Ces gens meurent à cause de leur consommation de drogue, bien sûr, mais aussi à cause de la précarité qui vient avec l'itinérance et le manque de soutien.
Je pense que, avant tout, le gouvernement doit vraiment augmenter le financement et bonifier l'offre de services dans l'ensemble du pays en partenariat avec les provinces. L'accroissement des services n'a tout simplement pas suivi les besoins pour nous permettre de réduire de façon soutenue la morbidité et la mortalité à l'échelle du pays.
Si on veut vraiment avoir une réponse adéquate de la santé publique en ce qui concerne les données qui circulent un peu partout, il faut s'entendre sur le problème. Je comprends très bien l'histoire canadienne et nord-américaine au sujet de la surprescription. Mme Hyshka vient de l'illustrer très clairement.
Aujourd'hui, les décès sont majoritairement causés par des substances non prescrites qui sont produites par le marché illicite. Compte tenu de cette situation, il faut effectivement se demander ce qu'on peut faire. Je veux quand même mettre les gens en garde contre quelque chose. Comme médecin, je suis tout à fait d'accord sur ce que mes collègues viennent de dire. Il faut vraiment augmenter les interventions qui fonctionnent, comme les traitements. Toutefois, on ne peut pas porter sur ses épaules la crise liée à la contamination du marché illicite. Un grand nombre de personnes n'auront jamais accès aux traitements, soit parce qu'elles n'en ont pas besoin, soit parce qu'elles ne souffrent pas de dépendance aux opioïdes, soit parce qu'elles n'en veulent pas ou qu'elles ne sont pas rendues là dans leur vie, soit parce qu'elles consomment de façon récréative ou bien parce qu'il y a très peu de médecins au Canada.
Comme on l'a dit, l'accès à un médecin de première ligne, c'est compliqué pour tout le monde. L'accès à un médecin de première ligne qui est un prescripteur formé en matière d'opioïdes, c'est encore plus compliqué. Bien sûr, il faut faire davantage de bonnes interventions comme celles-là, mais on dirait qu'on est en train d'oublier ce qu'il y a sous l'iceberg.
Il faut s'interroger et chercher à savoir ce qui se passe. Pourquoi y a-t-il autant de personnes qui souffrent de dépendance? Comme Mme Hyshka le disait, que va-t-on faire en ce qui concerne la pauvreté? Que va-t-on faire pour régler les problèmes liés à un traumatisme dans l'enfance, pour régler des problèmes de santé mentale et d'accès au logement?
Ensuite, comment va-t-on s'occuper du marché illicite? Comment va-t-on contrecarrer le marché illicite et lutter contre lui? Comment va-t-on utiliser la science et l'expérience que nous avons acquise en ce qui a trait à l'alcool, au tabac et, plus récemment, au cannabis pour nous en inspirer et faire de la lutte contre le marché illicite une priorité? Comment va-t-on le faire dans le contexte actuel pour ces substances?
Lors d'une séance précédente, certains témoins nous ont dit que le quatrième pilier du plan d'intervention, au sujet de l'application de la loi et de la lutte contre le crime organisé, avait très peu d'effets et qu'il fallait envisager des moyens un peu plus radicaux sur le plan de la légalisation.
Est-ce bien ce que vous voulez dire quand vous soulevez, par exemple, le fait que l'approvisionnement sécuritaire, les injections supervisées et les centres de supervision ne sont pas suffisants pour limiter les décès et lutter contre cette crise incroyable en matière de santé publique qui sévit actuellement?
Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il n'y aura pas une solution unique à un problème aussi complexe et aussi lourd, une crise qui entraîne autant de morts. Plusieurs d'entre nous ont parlé des solutions existantes qui ne sont pas suffisamment mises en place. C'est la partie qui me semble la plus facile à régler, car on connaît les solutions. Il faut juste mettre en œuvre plus de solutions, verser plus d'argent et former les professionnels de la santé.
Je vais répéter pour une dernière fois qu'on vit présentement une crise liée aux opioïdes. On peut sortir d'une école de médecine sans savoir prescrire de la méthadone. Cela me semble inexplicable et cela démontre l'ampleur de la stigmatisation de ces clientèles qui ne reçoivent pas les soins dont elles ont besoin. C'est la fin de ma parenthèse.
Pour répondre à votre question, il y a cette partie, qui semble assez claire pour moi, en haut de l'iceberg. Cependant, sous l'iceberg, on touche effectivement aux limites de la guerre contre la drogue. On essaie de la régler depuis des années. On a investi des milliers de dollars dans la lutte contre la drogue et on perd encore plus de terrain. Je ne suis pas une spécialiste des politiques publiques, mais, selon moi, il est temps qu'on fasse les choses autrement et qu'on réfléchisse de façon créative.
Certaines personnes prétendent qu'il faudrait mettre fin à l'approvisionnement sécuritaire, car cela peut mener au détournement de drogues vers le marché illicite. Ce n'est pas ce que vous soutenez. Ce n'est pas parce qu'il y a un problème collatéral qu'il faut nécessairement mettre fin à l'approvisionnement sécuritaire. En même temps, vous critiquez l'approvisionnement sécuritaire en disant que ça ne va pas comme il le devrait.
Vous me posez plusieurs questions. Je vais essayer d'y répondre brièvement.
Je pense qu'il y a plusieurs fausses équations relativement à l'approvisionnement plus sécuritaire.
Tout d'abord, je veux réitérer que le recours à cette pratique est actuellement minime. Peu de médecins y ont recours, et peu de patients reçoivent un tel service. Si nous voulons vraiment mettre en œuvre une mesure favorisant l'approvisionnement sécuritaire, il va falloir aussi que nous puissions en avoir beaucoup plus, comme c'est le cas pour les traitements.
Ensuite, je souhaite dire deux choses.
Premièrement, il y a quand même des exemples de légalisation de drogues dures au Canada dont nous pourrions nous inspirer.
Deuxièmement, avant même de le faire, rappelons-nous que la criminalisation vise actuellement des gens hyper vulnérables, qu'on repousse dans des prisons, qui perdent leur logement et qui ont des problèmes de santé mentale.
Je veux juste vous dire que nous continuons à précariser des gens qui le sont actuellement de façon importante. Il faudrait quand même tenir compte des étapes préliminaires, comme revoir le volet de la criminalisation.
Merci, monsieur le président. Je remercie tous les témoins des importants témoignages qu'ils nous ont offerts et du travail qu'ils accomplissent.
Madame Hyshka, vous avez dit qu'il était nécessaire que le gouvernement fédéral déclare une urgence nationale de santé publique. Le NPD aussi le demande. Le gouvernement fédéral a récemment tenu un sommet sur le vol de voitures. Or, il n'a rien fait de tel pour la crise dont nous parlons. Vous avez dit qu'il y a eu plus de décès attribuables à la crise des drogues toxiques en Alberta qu'à la COVID. Pourtant, les dépenses et les efforts consacrés par le gouvernement fédéral à la crise des drogues toxiques représentent moins de 1 % de ceux consacrés à la COVID.
Croyez-vous que le gouvernement fédéral en fait assez en ce qui concerne la mise en œuvre d'un plan doté d'un échéancier et de ressources? Selon vous, que faut‑il à court terme pour répondre à la crise?
Je ne veux pas m'aventurer dans les méandres d'un débat sur les différents mécanismes légaux de la justification de la déclaration d'une urgence. À l'évidence, il faut reconnaître la situation telle qu'elle est, soit une urgence de santé publique.
Il faut considérablement augmenter le financement du fédéral. Il faut également regarder du côté de... À l'heure actuelle, près de 60 % du financement du fédéral dans le cadre de la Stratégie canadienne sur les drogues et autres substances est consacré au maintien de l'ordre. Il faudrait vérifier si c'est la meilleure façon de dépenser cet argent si l'objectif est d'améliorer la santé de la population. Les programmes sociaux, le système de santé et toute une gamme d'autres solutions qui pourraient être plus efficaces pour empêcher les gens de mourir et leur permettre de se rétablir et d'aller mieux ne sont pas assez financés par les provinces et par le fédéral.
À court terme, il y a aussi de nombreuses choses que le gouvernement fédéral pourrait faire immédiatement pour essayer de faire diminuer le nombre de décès. D'abord et avant tout, il ne faut absolument pas réduire le financement actuel des programmes d'approvisionnement sûr. Les données issues de différentes études sur les traitements, ainsi que les données émergentes sur l'approvisionnement sûr, ont montré que, si on retire abruptement l'accès d'une personne à ses médicaments sur ordonnance, son risque de décès augmente considérablement.
Il faut maintenir ce financement et continuer d'innover dans ce secteur afin de trouver de nouvelles solutions plus efficaces, comme les modèles d'approvisionnement sûr sans prescription. Un club compassion de la Colombie‑Britannique vient de publier une étude qui montre des résultats préliminaires très prometteurs pour la réduction de la mortalité.
Nous pourrions également chercher à améliorer les programmes d'approvisionnement sûr en travaillant avec les entreprises pharmaceutiques et les autorités de réglementation en vue de trouver des médicaments qui répondraient mieux aux besoins des gens et qui pourraient comporter un risque moins grand de détournement.
Il faut vraiment envisager la création d'un projet national de décriminalisation. Je ne crois pas qu'il existe une forme de stigmatisation plus grande que la judiciarisation. Il est souvent question de la nécessité de mettre fin à la stigmatisation, mais nous poursuivons la judiciarisation des personnes qui ont des problèmes de santé. Le projet pilote de décriminalisation en cours en Colombie‑Britannique est imparfait. Il faut une conversation à l'échelle nationale pour trouver un modèle qui pourrait être appliqué à l'ensemble du pays. Il faut avant tout affirmer qu'il s'agit d'un problème sanitaire. Il faut arrêter la judiciarisation des gens à l'échelle du pays. Il est injuste qu'une personne qui consomme de la drogue en Colombie‑Britannique ne risque pas de poursuites pénales, alors qu'elle en risquerait partout ailleurs au pays.
J'aimerais également qu'on procède à une refonte du Programme sur l'usage et les dépendances aux substances. La façon dont les investissements sont faits présentement n'est pas aussi efficace qu'elle pourrait l'être. Il faut envisager l'établissement d'un financement opérationnel continu pour des services fondés sur les données probantes faisant partie d'un ensemble de solutions offert à la population partout au pays. Le financement du fédéral pourrait jouer un rôle de premier plan pour assurer l'accès égal aux traitements dans l'ensemble des provinces, comme les services de consommation sûre et d'autres solutions éprouvées.
Je voudrais également souligner que — et j'ignore si le Comité en a déjà été informé —, en Alberta et en Colombie‑Britannique, la majorité des personnes qui meurent d'une intoxication par la drogue avaient fumé la drogue. Pourtant, très peu de centres de consommation supervisée au pays permettent aux gens de fumer de la drogue. Une solution qui pourrait être rapidement mise en œuvre serait une subvention du fédéral pour aider les centres de consommation supervisée à effectuer les rénovations nécessaires pour permettre l'inhalation.
Cette solution présenterait également l'avantage de déplacer une plus grande partie de la consommation de drogue qui se fait dans les lieux publics — un problème à l'échelle du pays provoqué par une série de facteurs, dont le manque de logements — vers des locaux à l'intérieur. Au lieu de se faire dans des lieux publics, la consommation se ferait à l'intérieur. C'est assurément un grave problème à Edmonton, où j'habite. Beaucoup de gens fument de la drogue devant les centres de consommation supervisée, parce qu'il leur est interdit de le faire à l'intérieur. Ils savent que, s'ils font une surdose, le personnel du centre se précipitera à l'extérieur pour leur porter secours. Ce n'est pas une façon efficace de répondre à la crise. Il s'agit d'une solution qui pourrait être déployée assez rapidement à court terme et qui sauverait des vies.
On a beaucoup entendu parler des bienfaits du modèle albertain qui repose sur le rétablissement et les traitements. Or, des données récentes indiquent que le taux de surdoses en Alberta augmente rapidement depuis l'établissement de ce modèle, beaucoup plus rapidement qu'en Colombie‑Britannique.
Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Vous avez environ 60 secondes.
Je pense qu'il y a toujours de multiples facteurs qui entrent en ligne de compte lorsqu'il est question de tendances en matière d'intoxication par la drogue. Il y a des choses inquiétantes qui se passent dans ma province. Le nombre de personnes qui ont recours aux centres de consommation supervisée a chuté drastiquement. Ce nombre n'est que de la moitié de celui observé avant la pandémie. Je pense que c'est dû à l'interdiction d'inhaler dans ces centres, ainsi qu'à la fermeture et au déménagement de centres qui ont rompu le lien des consommateurs de drogue avec les services qu'ils utilisaient.
Comme je l'ai mentionné, il y a également beaucoup plus de décès qui surviennent dans des lieux publics. Il faut régler les problèmes d'itinérance et d'instabilité du logement. Je pense que, si les gens avaient un endroit sûr où vivre et un accès à des services complets adéquats, ils ne mourraient pas de surdose dans les rues.
En outre, la couverture des traitements aux agonistes opioïdes est relativement faible pour une province de la taille de l'Alberta. Au troisième trimestre de 2023, seulement 14 000 Albertains ont reçu des agonistes opioïdes. C'est un taux qui semble passablement faible. Je pense qu'il faut en faire plus pour élargir l'accès aux traitements par agonistes opioïdes dans la province.
Évidemment, je ne comprends pas pourquoi l'Alberta n'a pas essayé l'approvisionnement sûr. C'est une solution qui peut être très efficace, comme l'a mentionné M. Nosyk, pour réduire la mortalité parmi la population des consommateurs de drogue. Nous devons utiliser tous les outils à notre disposition pour endiguer cette crise d'une ampleur jamais vue depuis des générations.
Je remercie les témoins d'être avec nous. Je suis désolé que nous ayons été obligés de nous occuper de ce qui se passe à la Chambre et des malheureuses interruptions que cela a provoquées, mais je suis heureux que vous soyez avec nous. Vous avez tous soulevé des points importants que nous voulions tous entendre dans vos déclarations préliminaires respectives.
Docteure Goyer, vous avez dit une chose sur laquelle je suis entièrement d'accord avec vous: le diagnostic doit se faire en premier et, ensuite, viennent les traitements. Je suis heureux que vous l'ayez affirmé, parce que je pense qu'il faut que plus de gens en soient conscients.
Au bout du compte, je pense que, ce qu'il faut réaliser, c'est la nécessité de mettre les efforts du côté du rétablissement. Je pense qu'on oublie cette facette. Notre priorité doit être d'axer les efforts sur le rétablissement. Je vis en Saskatchewan. J'habite dans une région très rurale. J'ai en main les normes du College of Pharmacy Professionals en matière de traitements par agonistes opioïdes, ainsi qu'une carte des endroits dans la province où se trouvent les médecins formés pour administrer ces traitements. C'est un enjeu immense: comment faire pour assurer l'accès à ces traitements dans les régions rurales? D'après ce que je vois, les efforts semblent concentrés sur les grandes villes, au détriment des régions rurales du Canada. C'est important.
Monsieur Kahan, vous avez parlé un peu des régions rurales. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? En ce qui concerne les meilleures pratiques et les solutions qu'il faut envisager, est‑il utile de mettre en place un approvisionnement sûr ou encore d'offrir un programme de traitement par agonistes opioïdes?
Je crois qu'il est malheureux qu'on oppose de façon manichéenne l'approvisionnement sûr et l'absence d'approvisionnement sûr. Je ne crois pas que cela devrait être au centre des discussions. Je pense qu'il faudrait plutôt faire en sorte que l'approvisionnement sûr soit sûr pour les patients et pour la population.
Prescrire un grand nombre de comprimés que les gens peuvent rapporter à la maison est en fait une mauvaise solution. Cela entraîne des infections bactériennes mortelles qui auraient pu être évitées. Il y a aussi, entre autres, le problème du détournement, qui entraîne une augmentation de la consommation d'hydromorphone et, ultimement, de fentanyl chez les jeunes et chez les personnes qui reçoivent des traitements par agonistes opioïdes. Cette situation pourrait être rendue plus sûre de façon pratique si l'hydromorphone était consommée sur place. Si on laisse les gens en emporter avec eux, comme ils sont, de toute évidence, en contact avec le milieu du trafic de drogue, les comprimés risquent d'être détournés. C'est une solution dangereuse. Il faut des thérapies comprenant la consommation supervisée d'hydromorphone et de méthadone et des centres d'injection supervisée d'agonistes opioïdes. C'est la solution.
Pour ce qui est des collectivités rurales, la situation est désastreuse, du moins en Ontario. Certains fournisseurs de traitements par agonistes opioïdes font partie de grandes chaînes commerciales qui n'offrent pas de soins de haute qualité. Même les médecins qui voudraient offrir des soins de qualité n'ont qu'un accès limité aux ressources de gestion de cas et de santé mentale. Dans certaines régions rurales, il n'y a tout simplement pas de service de traitement par agonistes opioïdes. C'est un problème. Je crois qu'il est très malheureux que le Programme sur l'usage et les dépendances aux substances ait consacré toutes ses ressources à l'approvisionnement sûr et à d'autres initiatives au détriment du traitement par agonistes opioïdes. Je crois qu'il faut changer de cap. Nous avons besoin d'une approche équilibrée.
Merci. J'ai apprécié vos réponses. J'ai aimé la clarté et le caractère éducatif de votre présentation. Contrairement aux chercheurs, vous employez un langage que les Canadiens peuvent comprendre. Je crois que c'est ce que veulent les gens qui regardent cette réunion. Ils veulent qu'on emploie un langage de tous les jours, pas du jargon de chercheur ou de technologue. J'arrive à comprendre ce type de jargon, mais ce n'est pas le cas de tout le monde, alors j'apprécie vos interventions.
Un des points soulevés lors de la dernière réunion concernait les problèmes relatifs au traitement de la douleur. J'ai appris il y a de très nombreuses années qu'il y avait trois angles pour aborder le problème: pharmacologique, psychologique et physique. Il faut aborder ces trois aspects lorsqu'on traite un patient.
Je sais que vous avez peu de temps, docteure Goyer, mais pourriez nous donner votre avis à ce sujet?
Quand on veut s'attaquer à des problèmes complexes, comme la dépendance ou la douleur, la pharmacologie a bien sûr sa place. Les problèmes complexes appellent des réponses complexes. Cela revient à ce qu'on disait tout à l'heure, soit l'importance d'avoir un ensemble complémentaire de services et de soins pour traiter la douleur chronique et la dépendance.
Il faut aller plus loin que la simple approche pharmacologique, notamment en recourant à la physiothérapie ainsi qu'à la mise en place de services psychologiques et d'équipes multidisciplinaires pour prendre en charge...
Que le Comité invite le ministre de la Santé et la ministre de la Santé mentale et des Dépendances à comparaître, chacun pour une réunion d'une heure, dans le cadre de l’étude du Budget supplémentaire des dépenses (C) 2023‑2024 et que les ministres comparaissent avant la fin de la période des subsides se terminant le 26 mars 2024.
Chers collègues, le problème, c'est que, bien sûr, j'ai moi-même proposé la motion initiale. Il serait incroyablement difficile de continuer.
Nous sommes tous au courant que la sonnerie retentit présentement. Pour poursuivre la réunion, il faudrait le consentement unanime. Ce qui me préoccupe, c'est que, sans ce consentement, ce sera la fin de la réunion, parce qu'il faut compter le temps pour se rendre à la Chambre, voter et revenir.
En tant que président, je suis à votre service. Est‑ce la volonté du Comité?
Des députés: Oui.
Le vice-président (M. Stephen Ellis): Je remercie les témoins de leur compréhension; nous avons des questions à régler sur la marche à suivre. Je vous remercie.
Pour que tout le monde sache ce qui se passe, la sonnerie retentit présentement à la Chambre et, lorsqu'elle s'arrêtera, le vote aura lieu. D'après le temps qu'il reste, je pense que ce sera probablement la fin de la réunion une fois le processus de vote terminé, mais nous verrons le temps venu.
Chers collègues, je pense que vous avez entendu l'amendement proposé par M. Kitchen. Le problème, bien sûr, c'est que c'est moi qui avais proposé la motion initiale, mais s'il y a consentement unanime, le Comité est maître de sa destinée et, s'il... Je vois des membres du Comité faire oui de la tête. Le consentement unanime est‑il accordé?
Merci, monsieur Kitchen.
[Français]
Madame Brière, vous avez la parole pour cinq minutes.
De toute évidence, je suis un très mauvais président et je m'excuse de ne pas avoir demandé le vote. La motion a été proposée, mais elle n'a pas été mise aux voix. La procédure compte beaucoup d'étapes.
La greffière a fait une excellente suggestion.
Monsieur Kitchen, pourriez-vous relire la motion, ce serait très utile.
Que le Comité invite le ministre de la Santé et la ministre de la Santé mentale et des Dépendances à comparaître, chacun pour une réunion d'une heure, dans le cadre de l’étude du Budget supplémentaire des dépenses (C) 2023‑2024 et que les ministres comparaissent avant la fin de la période des subsides se terminant le 26 mars 2024.
Le Comité a entendu la motion. Elle semble conforme. Le Comité a donné son consentement unanime à la présentation de la motion. Tout le monde est d'accord pour dire que tout est en ordre?
Des députés: D'accord.
(La motion est adoptée.)
Le vice-président (M. Stephen Ellis): La motion est adoptée. Merci beaucoup.
Maintenant que toutes ces questions ont été réglées, nous pouvons reprendre nos travaux.
[Français]
Pour la troisième fois, madame Brière, je vous cède la parole pour cinq minutes.
Merci beaucoup à tous les témoins d'être avec nous.
Docteure Goyer, depuis que nous avons commencé cette étude, nous avons entendu dans les différents témoignages que le détournement de substances désignées était dû à des besoins non satisfaits.
J'aimerais que vous me parliez des raisons de ce détournement. Cela a-t-il des conséquences quant à la liste des médicaments assurés ou qui sont remboursés par le système public?
Je vais essayer de revenir sur l'équation cognitive relative au détournement pour qu'on s'entende tous sur le diagnostic et sur le plan de traitement.
La première chose que j'entends dire, c'est que si on prescrit de l'approvisionnement sécuritaire, il va y avoir nécessairement du détournement. Je rappelle à tout le monde qu'il y a très peu de programmes d'approvisionnement sécuritaire et très peu de médecins qui le prescrivent. S'il y avait du détournement, cela se produirait de façon très limitée.
À mon avis, cela participe aussi à la stigmatisation des personnes qui y ont recours. On cible l'approvisionnement sécuritaire, alors que les médecins prescrivent beaucoup de médicaments aux patients. Certains patients reçoivent des ordonnances pour des médicaments antidouleur pour un mois, par exemple. Pourquoi cible-t-on l'approvisionnement plus sécuritaire? Ce n'est pas clair pour moi, outre le fait peut-être que l'on associe la toxicomanie au détournement. Certains préjugés sont tenaces: un toxicomane va nécessairement faire du détournement. C'est une association sur laquelle je ne suis pas d'accord.
Deuxièmement, comme la Dre Sereda l'a déjà dit, parmi les personnes qui consomment, s'il y a du détournement, c'est souvent parce qu'il n'y a pas assez de traitements disponibles. Les gens tentent de s'entraider quand ils sont en sevrage, quand les médicaments sont en rupture de stock ou lorsque leur pharmacie est fermée la fin de semaine. Je rappelle que, dans plusieurs pharmacies, on refuse de donner les traitements. Pour moi, ce n'est pas clair que ce détournement a lieu.
On suppose que le détournement de substances visera des enfants. Cela reste encore une fois lié à la peur. Je trouve cela dangereux de baser des décisions politiques sur la peur au lieu de se fier à la science et aux faits.
Supposons qu'il y ait du détournement vers des enfants. Qui sont ces enfants et de quoi a-t-on peur? On a peur qu'ils consomment et qu'ils meurent ou on a peur qu'ils finissent par souffrir de dépendance.
Qu'est-ce qu'on sait sur les enfants qui consomment actuellement des opioïdes et qui en meurent? Ces enfants ont consommé des opioïdes contaminés provenant de marchés illicites. Les données du coroner de la Colombie‑Britannique le montrent. Tout récemment au Québec — et cela a été traité dans les médias —, un enfant est mort après avoir consommé ce qu'il croyait être un comprimé quelconque. Or, ce comprimé contenait de l'isotonitazène. Actuellement, ce ne sont donc pas des médicaments d'ordonnance qui se retrouvent dans les mains des enfants.
On peut même se demander qui sont les gens qui vendent ces substances à des enfants. S'il ne s'agit pas de comprimés prescrits par un médecin, qu'est-ce qu'ils vendent à nos enfants? Ce qui est vendu et consommé, actuellement, ce sont des comprimés illicites. Il s'agit de faits.
On revient donc toujours aux deux mêmes questions. Premièrement, qu'est-ce qu'on va faire pour contrer les marchés illicites? C'est ça, le problème. C'est ce qui entraîne des décès, actuellement.
Deuxièmement, s'il y avait du détournement de substances illicites vers les enfants, ce qui reste à démontrer, comment faire pour que ces enfants ne finissent pas par souffrir de dépendance?
Qui finit par souffrir de dépendance aux opioïdes? Ce ne sont pas les utilisateurs d'opioïdes à des fins récréatives. L'usage d'opioïdes tombe dans un terreau fertile lorsqu'il s'agit de personnes souffrant de traumatismes ou de troubles de santé mentale, de personnes qui vivent dans la marginalité et qui ont des problèmes liés à la pauvreté et à l'accès au logement.
On revient toujours aux deux mêmes faits. Visons donc un plan de traitement qui cible les vrais problèmes, soit les marchés illicites et les déterminants sociaux de la santé. C'est ce que je propose.
Mon autre question concerne l'utilisation à des fins récréatives du fentanyl. Nous en avons entendu parler par les députés de l'opposition, lors de notre rencontre de lundi dernier.
Docteure Goyer, vous avez étudié le concept d'approvisionnement sécuritaire, et vous utilisez ce traitement. Pensez-vous qu'il y a des médecins qui prescriraient du fentanyl à quelqu'un qui ne souffre pas déjà de dépendance aux drogues contaminées ou dont le contenu est imprévisible en raison de la façon dont il se les procure?
Chers collègues, à l'évidence, je n'étais pas là la dernière fois qu'il y avait eu un vote. Ma question est la suivante. Il reste 15 minutes avant le vote et, si je ne m'abuse, la dernière fois, vous avez quitté la salle alors qu'il restait 10 minutes avant le vote.
Souhaitez-vous qu'on refasse la même chose?
Des députés: D'accord.
Le vice-président (M. Stephen Ellis): Je vois que tout le monde est d'accord. Monsieur Thériault et monsieur Johns, cela vous laisse deux minutes et demie chacun.
[Français]
Monsieur Thériault, vous avez la parole pour deux minutes et demie.
En résumé, il y a une crise sans précédent, qui est liée aux drogues illicites contaminées. Celles-ci donnent lieu à des surdoses et à de la mortalité, comme on l'a vu dernièrement.
Docteure Goyer, vous avez dit qu'il fallait prendre conscience que ceux qui mouraient étaient les plus vulnérables. Vous avez mentionné qu'il fallait travailler sur les déterminants sociaux de la santé, car ce sont des vulnérabilités structurelles. Cela m'a frappé. Il faut également mener une lutte contre les marchés illicites. Pour ma part, j'ai l'impression qu'on n'en fait pas assez de ce côté-là.
Selon le modèle actuel, on semble vouloir que l'individu se rende à la ressource. Or, s'il y a effectivement une crise sans précédent en matière de santé publique et que des gens meurent, pour intervenir sur le plan social, il faut aller au front, là où sont les gens, et multiplier les interventions complètes sur le terrain. Les équipes multidisciplinaires doivent se déplacer là où sont les problèmes. On ne doit pas attendre que les gens se présentent à un bureau de médecin pour se faire traiter.
Ce que vous dites correspond un peu aux grands principes de l'approche à bas seuil. Il s'agit de savoir qui est la population qu'on veut servir, où elle se trouve, quels sont ses besoins et comment on peut réduire les barrières qui font que ces personnes n'arrivent pas à se rendre au réseau de la santé. Il peut s'agir d'aller vers les gens, comme vous l'avez dit, ou de recourir aux organisations communautaires, qui connaissent très bien le terrain, ou encore à la téléconsultation.
Il y a toutes sortes de barrières, elles peuvent être géographiques ou financières. Il y a des services qui sont couverts et d'autres qui ne le sont pas, par exemple. Toutefois, il y a aussi des barrières morales et d'autres qui sont liées à la stigmatisation. On veut que les gens se sentent bien reçus dans les services de santé, et on veut les prendre en charge là où ils sont, ici et maintenant. Cela inclut des personnes qui ne sont pas prêtes tout de suite à arrêter de consommer des substances et qui ne le seront peut-être jamais.
Je peux vous dire aussi que certains de mes patients ne seraient plus ici aujourd'hui s'ils n'avaient pas consommé des substances pour apaiser les souffrances terribles qu'ils ont vécues à répétition au fil des années.
Il faut donc reconnaître aussi que ce ne sont pas toutes les personnes qui sont prêtes maintenant à arrêter complètement de consommer des substances. Il faut leur offrir un spectre complet de services, allant de l'abstinence, bien sûr, jusqu'à la réduction de la consommation. Il faut aussi leur offrir un approvisionnement plus sécuritaire. Toutes ces modalités doivent coexister. On veut aller chercher tout le monde.
Monsieur Nosyk, nous avons entendu de nombreuses histoires au sujet du détournement, notamment des histoires impliquant des enfants. Les forces de l'ordre ne nous ont rien dit à ce sujet.
Pourriez-vous nous parler de ce phénomène en votre qualité de chercheur sur l'approvisionnement sûr prescrit en Colombie‑Britannique?
Il y a eu différentes déclarations et histoires au sujet du détournement. Or, en Colombie‑Britannique, les incidents liés aux troubles de consommation des opioïdes sont demeurés constants depuis 2020, année de la mise en œuvre du programme d'approvisionnement sûr. Cette constance a été observée chez les moins de 19 ans et dans l'ensemble de la population.
De plus — je tiens à le souligner de nouveau —, de l'hydromorphone a été détectée dans seulement 3 % de tous les décès par surdose survenus en 2022 et elle ne représentait qu'une des différentes substances dépistées en toxicologie et n'était pas la principale drogue ayant provoqué la surdose.
Par contre, le fentanyl était présent dans plus de 80 % des décès par surdose et était le plus souvent la substance principale indiquée dans les rapports toxicologiques. Il faut bien comprendre une chose: la crise des surdoses en Colombie‑Britannique est causée par le fentanyl et ses analogues de plus en plus puissants.
Quelle est l'ampleur du déploiement du programme d'approvisionnement sûr en Colombie‑Britannique? D'après ce qu'on entend dans les médias, on peut avoir l'impression que c'est un grave problème, mais est‑ce vraiment le cas? La capacité est-elle suffisante?
Il ne reste environ qu'une minute au Comité pour entendre votre réponse.
Non, le déploiement est très limité. Bon nombre des prescripteurs ont décidé de ne pas faire de prescriptions et ceux qui ont fait des prescriptions l'ont fait en ajout au traitement par agonistes opioïdes plutôt que de façon séparée. C'est surtout à Vancouver et à Victoria que des médicaments ont été prescrits en vertu du guide d'atténuation des risques, au cours des 18 premiers mois du moins. Les prescripteurs dans ces régions desservent un plus grand volume de cas plus lourds de troubles de consommation de substances. Des infirmières prescriptrices aussi ont participé au programme. Les prescripteurs ayant une formation en psychiatrie étaient moins enclins à participer au programme. À la fin de l'étude, en août 2021, on constatait déjà une diminution du nombre de prescriptions.
En ce qui concerne les recherches qualitatives, je souligne que je travaille avec des chercheurs de différents domaines de l'Université de Victoria et du Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique. Une étude qualitative menée par notre équipe a mis en évidence les obstacles à l'accès dans les régions rurales et les problèmes de la judiciarisation et a révélé que, dans bien des cas, les substances prescrites étaient insuffisantes et ne permettaient pas au patient d'arrêter complètement sa consommation de drogue du marché illicite.
Chers collègues, si nous allions voter et que nous revenions ici, le temps prévu pour la réunion serait probablement écoulé. Le Comité souhaite‑t‑il lever la séance? Si c'est ce que veulent les membres du Comité, c'est parfait. Sinon, je vous prie de me l'indiquer.
Je vais vous aider. Je préférerais que nous votions à distance afin de poursuivre la réunion. Nous menons une étude importante. La réunion pourrait se poursuivre jusqu'à 13 h 30, ce qui nous donnerait l'occasion de poser de nombreuses questions à nos importants témoins.
Chers collègues, comme je l'ai dit, comme certains d'entre nous iront voter en personne, je ne crois pas que nous ayons assez de temps pour revenir et poursuivre les témoignages.
Quelqu'un propose‑t‑il l'ajournement?
M. Robert Kitchen: Je propose d'ajourner la séance.