Il s'agit de la 106e séance du Comité permanent des finances. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement — en passant, la séance est télévisée —, nous poursuivons notre étude sur la fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux.
Nous recevons aujourd'hui six témoins. Nous avons une longue liste d'invités, et deux d'entre eux comparaissent par vidéoconférence; ce sera donc tout un défi du point de vue technologique. Je ferai de mon mieux, à titre de président, pour m'assurer que les interventions se font dans les limites du temps alloué et que chaque témoin et collègue a droit à un temps de parole approprié.
Nous accueillons aujourd'hui, tout d'abord, M. Walid Hejazi de la Rotman School of Management de l'Université de Toronto.
Nous sommes heureux de vous revoir ici.
Ensuite, il y a M. Robert Kepes, avocat-procureur.
Bienvenue à vous aussi.
Nous recevons également M. Claude Vaillancourt, président de l'Association québécoise pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens.
Bienvenue à ce comité.
Nous accueillons aussi Son Excellence Luis Carlos Delgado Murillo, ambassadeur de la République du Costa Rica au Canada.
Bienvenue au comité. Merci infiniment d'être des nôtres.
Nous allons également entendre deux témoins par vidéoconférence. D'abord, de Kuala Lumpur, en Malaisie, il y a M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales pour le Comité d'aide au développement de l'OCDE.
Bienvenue à ce comité.
Ensuite, du Royaume-Uni, il y a M. Paul Collier, professeur d'économie et de politique publique à l'Université d'Oxford.
Bienvenue à notre comité.
Nous allons commencer dans l'ordre où je vous ai présentés. Chacun de vous aura, tout au plus, cinq minutes pour faire ses observations préliminaires. Ensuite, nous passerons aux questions des membres du comité.
Commençons donc par M. Hejazi, s'il vous plaît.
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Permettez-moi, tout d'abord, de vous remercier pour l'occasion qui m'est donnée de faire part au comité de mes vues sur le rôle que jouent les centres financiers extraterritoriaux au sein de l'économie canadienne. Il s'agit d'une question très importante pour la compétitivité mondiale et la prospérité du Canada. Voilà pourquoi j'estime que la population et les décideurs doivent bien comprendre cette question afin de prendre les bonnes décisions stratégiques.
Comme vous l'avez dit, je suis professeur à la Rotman School de l'Université de Toronto. J'y enseigne depuis 1995. J'ai à mon actif de nombreux écrits sur la compétitivité canadienne et le rôle du commerce international et des investissements étrangers directs, ainsi que des centres financiers extraterritoriaux.
J'ai publié, en novembre 2012, un article dans la revue The Banker sur l'importance des centres financiers extraterritoriaux pour l'économie mondiale. Je crois que les membres du comité en ont reçu une copie. Comme le démontrent mes recherches, il y a d'importantes et de vastes retombées économiques pour le Canada lorsque des multinationales canadiennes entreprennent des projets d'expansion internationale par l'entremise de centres financiers extraterritoriaux. Les entreprises canadiennes continuent de prendre de l'expansion à l'étranger à un rythme qui dépasse celui de l'implantation au Canada d'entreprises étrangères. À l'heure actuelle, il y a plus d'investissements canadiens à l'étranger qu'il n'y a d'investissements étrangers au Canada.
Les preuves empiriques sont claires: aussi bien les investissements à l'intérieur du pays que les investissements à l'étranger procurent des avantages considérables à l'économie canadienne. Je peux parler de ces deux types d'investissements, mais permettez-moi de m'attarder sur les investissements à l'étranger.
Tout comme les investissements effectués par des entreprises étrangères au Canada, ceux effectués par des entreprises canadiennes à l'étranger génèrent d'importants avantages économiques pour l'économie canadienne. Il y a notamment un accroissement des activités internationales menées dans les sièges sociaux des entreprises canadiennes, une augmentation des exportations canadiennes et, par conséquent, une croissance de l'emploi et de la formation de capital au Canada. Tous ces effets supplémentaires contribuent à la création d'emplois au Canada et augmentent les recettes fiscales du gouvernement du Canada.
La question qu'on pourrait se poser tout naturellement est la suivante: quand une entreprise canadienne déploie une stratégie mondiale et se sert d'un pays intermédiaire comme la Barbade, ces avantages sont-ils maintenus? La réponse à cette question est oui, et mes recherches le confirment. D'ailleurs, non seulement ces avantages sont maintenus, mais ils sont rehaussés. Autrement dit, lorsqu'une multinationale canadienne accède directement à un marché étranger, les avantages pour le Canada sont moins élevés que si elle s'y implante par l'entremise d'un centre financier extraterritorial. Beaucoup de travaux théoriques appuient ce résultat empirique, et je pourrai entrer dans les détails, si cela vous intéresse.
Le tout signifie que si les multinationales canadiennes n'ont plus le droit de recourir à ces pays pour accéder à l'économie mondiale, cela nuira à leur compétitivité mondiale et, par le fait même, à la compétitivité de l'économie canadienne. J'irai même jusqu'à dire que toute manoeuvre de la part du gouvernement du Canada pour limiter le recours à ces territoires n'aura pas pour effet — et j'insiste là-dessus — d'accroître les recettes fiscales. Ce serait une politique contre-productive qui réduirait la compétitivité canadienne et, en même temps, les recettes fiscales du gouvernement du Canada.
Je comprends que le comité souhaite s'attaquer à l'abus fiscal. C'est là une initiative que tout bon citoyen canadien et toute bonne entreprise canadienne applaudissent, mais soyons clairs: il y a plus d'abus fiscal dans des établissements au pays que dans les centres financiers extraterritoriaux.
Je tiens également à souligner le point suivant. Mes recherches m'ont permis de conclure que le recours à des centres financiers extraterritoriaux a aidé les entreprises canadiennes à prendre de l'expansion à l'étranger, surtout dans les régions qu'on connaît moins et qui présentent plus de risques, comme Mark Carney, le gouverneur de la Banque du Canada, l'a soutenu à maintes reprises. Les entreprises canadiennes doivent se concentrer davantage sur des marchés nouveaux qui affichent des taux de croissance supérieurs à ceux des économies développées, mais qui présentent aussi plus de risques. Il faut encourager les entreprises canadiennes à investir, à prendre de l'expansion à l'étranger et à devenir des chefs de file mondiaux. Restreindre le recours aux centres financiers extraterritoriaux qui existent dans ces pays nuira à la capacité des entreprises canadiennes de livrer concurrence sur ces nouveaux marchés.
Par conséquent, je crois qu'on aurait tort de restreindre le recours aux centres financiers extraterritoriaux. Une telle mesure ne contribuera pas à la prospérité du Canada. Au contraire, elle nuira à la prospérité du Canada.
Merci.
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Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. C'est un honneur pour moi d'avoir été invité à témoigner aujourd'hui pour vous aider dans votre étude sur la fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux. Je suis fiscaliste à Toronto depuis plus de 25 ans. Nos clients sont principalement des sociétés privées, des entrepreneurs, des entreprises indépendantes, des professionnels ou des familles ou personnes fortunées.
Notre cabinet n'offre que trois types de services juridiques: la planification fiscale et successorale, le litige et le règlement de différends fiscaux, ainsi que la défense de causes de fraude fiscale au criminel et d'autres infractions financières ou réglementaires. L'évasion fiscale est très différente des stratégies légitimes d'évitement fiscal ou de réduction de l'impôt minimum. Essentiellement, l'évasion fiscale est une fraude. L'intention du fraudeur est de tromper la Couronne en ne déclarant pas des revenus ou en déclarant de fausses dépenses afin de réduire ses revenus. La loi exige que la Couronne prouve au-delà d'un doute raisonnable qu'il y avait de l'impôt à payer et que l'accusé le savait et a délibérément éludé le paiement. Les cas les plus graves de fraude fiscale, lorsque les montants de l'impôt éludé dépassent 250 000 $, font l'objet de poursuite par acte d'accusation en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu ou par acte d'accusation de fraude en vertu du Code criminel. L'infraction de fraude prévue par le Code criminel est souvent l'accusation criminelle préférée dans les grandes poursuites fiscales complexes. Dans mon mémoire, j'explique en détail certaines des raisons pour lesquelles la Couronne pourrait préférer invoquer le Code criminel plutôt que la Loi de l'impôt sur le revenu. En général, il est un peu plus facile de prouver une fraude que de prouver une évasion fiscale.
Parce que la fraude fiscale est un acte criminel, les enquêtes et les mesures d'exécution de la loi touchent aux droits de l'accusé prévus par la Charte, par exemple ceux énoncés à l'article 7 de la Charte, ainsi que le droit à la non-incrimination, le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, le droit d'avoir recours à un avocat et le droit d'être présumé innocent.
Le comité a déjà entendu que, contrairement à la fraude fiscale, l'évitement fiscal n'est pas un acte criminel. C'est vrai. Mais l'Agence du revenu du Canada adopte le vaste point de vue que l'évitement fiscal « consiste à réduire l'impôt minimum en contrevenant à l'objet et à l'esprit des lois fiscales canadiennes, mais non à la lettre de la loi. » Je dois dire que je n'appuie pas cette affirmation. Premièrement, la législation fiscale du Canada ne prévoit pas de critère concernant « l'objet et l'esprit ». Deuxièmement, l'ARC laisse croire que l'évitement fiscal est une zone un peu plus grise que la fraude. Ce n'est pas le cas. L'écart entre l'évitement fiscal et la fraude fiscale est plus large que le canal Rideau. N'en déplaise à l'ARC et au ministère des Finances, l'évitement fiscal, même agressif, est légal. Il n'y a pas d'actifs cachés, pas de déductions de fausses dépenses, pas de demandes de remboursement non justifiées, ni de faux documents. De fait, d'après mon expérience, toutes les opérations d'évitement fiscal sont déclarées correctement dans les états financiers et les déclarations de revenus aux autorités fiscales concernées.
Je porte à votre attention ces différences entre l'évitement fiscal et la fraude fiscale parce qu'il ne suffit pas de comprendre la distinction légale entre les deux concepts. Il importe aussi de comprendre les pouvoirs de l'ARC et les limites de ces pouvoirs, selon qu'il s'agit de trouver des opérations d'évitement ou d'enquêter sur la fraude fiscale. Le contribuable doit se soumettre à une vérification dans le cas d'un évitement, alors qu'il a le droit au silence en vertu de la Charte dans le cas d'une fraude fiscale.
Parlons maintenant un peu des paradis fiscaux et des comptes à l'étranger. Le comité a obtenu diverses estimations du montant détenu à l'étranger par des particuliers et des sociétés du Canada dans des comptes ouverts à l'étranger. S'il faut en croire ces chiffres, il s'agit de milliards de dollars. Mais personne ne semble savoir quel pourcentage de ces milliards constitue des placements probablement légitimes. Quoi qu'il en soit, supposons que le nombre soit élevé. Il est évident qu'il faut mener des enquêtes et intenter des poursuites relatives à la fraude fiscale. Toutefois, on ne peut pas gérer ce qu'on ne peut pas mesurer. En plus, on ne peut pas mesurer le produit total de la fraude fiscale parce que, par définition, le fraudeur fiscal le cache délibérément. Or, le gouvernement devrait pouvoir mesurer les efforts et les résultats de l'ARC dans la lutte contre les fraudeurs fiscaux.
À cette fin, j'ai mené une enquête non scientifique en effectuant une recherche à partir de l'expression « tax evasion » dans la base de données sur la jurisprudence de l'Institut canadien d'information juridique. La recherche a donné 670 résultats. Autrement dit, depuis 1900, 670 arrêts des tribunaux canadiens ont employé l'expression « tax evasion ». J'ai ensuite fait une recherche avancée en ajoutant le mot « offshore » et je n'ai obtenu que 21 résultats. C'est, me semble-t-il, très peu élevé. Ensuite, j'ai consulté le site Web de l'ARC parce que l'agence publie souvent des communiqués sur les condamnations pour fraude fiscale. Au cours des trois derniers mois, il y a eu 24 condamnations, mais aucune ne portait sur des comptes à l'étranger non déclarés.
Permettez-moi de passer en revue quelques-unes des recommandations. Entre autres, le comité ou le vérificateur général doivent vérifier tous les ans les progrès de l'ARC dans la lutte contre la fraude fiscale.
S'il n'y a aucun cas de fraude fiscale à l'étranger, alors de deux choses l'une: ou bien les Canadiens respectent davantage la loi qu'on le pensait, auquel cas les millions de dollars cachés à l'étranger sont une fiction, ou bien, selon ma théorie, nos lois sur la fraude fiscale ne sont pas examinées ou appliquées vigoureusement. Sans enquêtes et sans poursuites, il ne peut pas y avoir de condamnations et, par conséquent, pas de dissuasion.
À cette fin, je demande au comité d'envisager de créer peut-être une loi semblable à la FATCA aux États-Unis. Cette loi a suscité des critiques puisqu'il s'agit, au fond, d'une application extraterritoriale de la loi américaine. Toutefois, si on ne peut pas communiquer des renseignements de gouvernement à gouvernement, on peut faire ce que les États-Unis ont fait — à savoir, essayer d'obtenir des renseignements directement auprès des institutions financières.
Je me suis également demandé si l'ARC pouvait établir et encourager un programme de dénonciation semblable à celui de l'IRS, qui offre des récompenses à ceux qui lui fournissent des renseignements précis et crédibles si ces renseignements permettent de percevoir des impôts, des pénalités ou d'autres montants auprès des contribuables qui ne respectent pas la loi. La récompense peut représenter de 15 à 30 % du montant perçu.
Faute de temps, je vais m'arrêter ici. Je serai heureux de répondre à vos questions ou d'entendre vos observations.
Merci.
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ATTAC-Québec, l'Association québécoise pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne vous remercie de cette invitation à comparaître devant le Comité permanent des finances. ATTAC est une association non partisane présente dans une vingtaine de pays. Formée en l'an 2000, ATTAC-Québec s'applique à faire connaître les enjeux qui accompagnent la mondialisation financière, particulièrement ceux entourant la taxation des transactions financières, les paradis fiscaux et le libre-échange.
Nous nous réjouissons de l'attention portée à la fraude fiscale et aux paradis fiscaux par le gouvernement du Canada. Depuis sa création, notre association considère qu'il s'agit d'un problème majeur créant toujours plus d'injustices et provoquant d'importantes difficultés budgétaires que doivent compenser les citoyens et citoyennes qui paient honnêtement leurs impôts.
Nous nous permettons de souligner l'existence du rapport de l'OCDE intitulé Lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. Ce rapport démontre à quel point les fuites fiscales affaiblissent le bon fonctionnement des États et, par conséquent, de la démocratie.
Plusieurs enquêtes en Europe ont révélé que de grandes entreprises multinationales tel que Google, Apple, Amazon, Microsoft et Starbucks ne payaient pas leur juste part d'impôts grâce à des montages financiers complexes et au recours aux paradis fiscaux.
Rien ne permet de dire que le Canada échappe à de telles pratiques parce qu'il a signé des conventions fiscales semblables à celles conclues par les Européens. ATTAC-Québec a dénoncé à plusieurs reprises la convention de double imposition signée entre le Canada et la Barbade qui fait que les investissements canadiens directs dans ce pays sont de l'ordre de 53,3 milliards de dollars. Cette convention favorise, entre autres, les transferts de prix. Elle permet à des compagnies d'enregistrer leurs profits à la Barbade et de rapatrier ces montants sans payer d'impôt au gouvernement canadien.
Une convention semblable conclue l'automne dernier avec Hong-Kong permet dorénavant d'effectuer les mêmes manoeuvres en Asie. Connaissant l'importance des échanges commerciaux avec ce continent, tout nous porte à croire qu'une pareille entente favorisera le même type de manipulations financières qui nuiront aux intérêts des Canadiennes et des Canadiens.
Nous nous inquiétons aussi des accords d'échange de renseignements fiscaux conclus avec la Suisse et de nombreux pays des Caraïbes. Ces ententes peuvent sembler attrayantes, mais elles demeurent inefficaces et en viennent paradoxalement à faciliter l'évitement fiscal. Les conditions pour obtenir des renseignements sont d'abord trop exigeantes. Les renseignements sont donnés uniquement si on les demande dans un contexte où les exceptions sont trop étendues et nombreuses, ce qui permet aisément de refuser les demandes d'information.
Pour obtenir des conventions si peu fonctionnelles, le Canada a cédé beaucoup trop. En échange, les compagnies canadiennes implantées dans ces paradis fiscaux profitent d'une exemption d'imposition sur les revenus. D'autres pays comme les États-Unis et l'Australie n'ont pas conclu ce genre d'entente. Il nous semble évident que les conventions fiscales signées par le Canada contribuent à accentuer d'une façon significative les fuites fiscales.
Les propositions d'ATTAC-Québec sont les suivantes. Le gouvernement du Canada doit prioriser la lutte contre la fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux. Il doit financer des études pour chiffrer les montants de l'évasion et de l'évitement fiscaux et pour mettre à jour les pratiques comptables qui permettent des fuites fiscales. Il doit aussi investir dans l'Agence du revenu du Canada afin que celle-ci puisse entreprendre des enquêtes nécessaires contre les fraudeurs et les planifications fiscales dommageables.
Le gouvernement du Canada doit mettre fin à toute négociation de convention fiscale selon le modèle actuel et il doit, de plus, réviser en profondeur les conventions actuelles pour qu'elles ne favorisent plus les fuites fiscales. Le gouvernement du Canada doit soutenir fermement la lutte fiscale contre les paradis fiscaux dans sa politique étrangère.
Il doit s'associer aux autres pays qui entreprennent une pareille lutte. Il doit appuyer en priorité le Comité d'experts de la coopération internationale en matière fiscale à l'ONU.
Finalement, le gouvernement du Canada doit redistribuer les montants éventuellement récupérés grâce à la lutte contre les fuites fiscales dans les services publics et les programmes sociaux qui ont été les principales victimes des baisses de revenus de l'État.
Je vous remercie de votre attention.
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Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, merci de m'avoir invité à témoigner devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes dans le cadre de cette séance consacrée à l'étude sur la fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux.
Aujourd'hui, j'ai l'occasion de vous montrer comment un petit pays a su élaborer une orientation stratégique qui lui donne à présent les atouts nécessaires pour promouvoir sa candidature à l'OCDE et ce, en toute confiance à l'égard d'un système financier solide, éthique et transparent. C'est ce qui a permis au Costa Rica d'attirer des milliards de dollars en investissements étrangers destinés au développement.
Au cours des 10 dernières années, le pays a connu une croissance constante des investissements étrangers directs, si bien que ces derniers sont devenus un complément important à l'épargne intérieure. Depuis 2000, le total des investissements étrangers directs qui entrent au pays augmente, en moyenne, de 10 % chaque année. À l'heure actuelle, ils représentent 5 % du PIB.
Par ailleurs, le pays a réussi à attirer des entreprises étrangères dans des industries innovatrices comme les services, la fabrication de pointe et les dispositifs médicaux. Par conséquent, l'investissement étranger contribue largement au développement du Costa Rica puisqu'il contribue à la diversification des exportations, à la création d'emplois plus nombreux et de meilleure qualité ainsi qu'à l'accroissement des occasions d'affaires.
Au cours des 30 dernières années, le Costa Rica a connu une croissance constante de ses exportations. On observe également une diversification accrue des produits exportés et de leurs destinations. Les exportations augmentent à un taux annuel moyen de 8 % depuis 2001. Nous avons des accords de libre-échange avec presque tous nos partenaires commerciaux pertinents, y compris le Canada.
À l'heure actuelle, le Costa Rica exporte plus de 4 000 produits vers 153 destinations. En raison de son engagement à l'égard de l'inclusion sociale, le Costa Rica est considéré comme un pays qui possède un des meilleurs bilans en matière de développement humain. Nos systèmes universels de santé et d'éducation sont, à coup sûr, les piliers de notre stabilité nationale. L'éducation est obligatoire depuis 100 ans, et nous investissons 8 % de notre PIB dans ce secteur. En même temps, nous consacrons presque 11 % de notre PIB aux soins de santé, d'où l'universalité du système.
Il y a, au Costa Rica, une tradition bien ancrée de démocratie et de respect des droits de la personne, et l'engagement solide du pays envers ces deux valeurs est reconnu à l'échelle mondiale. Le Costa Rica est l'une des démocraties les plus stables parmi les pays développés; en effet, il n'y a eu aucun effondrement depuis 1949, année à laquelle l'armée a été abolie. Ainsi, nous avons pu libérer des ressources afin de les investir dans l'éducation, les soins de santé, l'infrastructure, les routes et les télécommunications, renforçant ainsi notre démocratie et les libertés fondamentales. En outre, le Costa Rica démontre un engagement ferme à l'égard de la protection de l'environnement; à ce titre, il est résolu à renforcer l'innovation et à mettre en place des stratégies de croissance qui tiennent compte de l'environnement.
Grâce à ses richesses naturelles et à sa bonne intendance de l'environnement, le pays est l'une des principales destinations du monde, surtout pour l'écotourisme. Chaque année, nous recevons plus de 120 000 touristes canadiens; d'ailleurs, à cause de la qualité de vie élevée qu'on trouve au Costa Rica, plus de 13 000 Canadiens ont décidé de s'y établir.
Notre développement est viable et inclusif. Durant la grande crise financière de 2008, nous avons connu une courte période de récession, suivie d'une forte relance. Pourquoi avons-nous si bien réussi? Parce que notre système financier repose sur une réglementation prudente et efficace. Même avant le début de la crise financière, nous avons décidé de fixer nos normes réglementaires financières au-dessus des exigences minimales internationales.
En conséquence, nous avons une solide infrastructure institutionnelle qui supervise et surveille le système financier. Durant la crise financière, aucune banque n'a fait faillite ou n'a eu besoin d'être sauvée, et notre système financier a continué de prêter de l'argent aux ménages et aux entreprises. De plus, nous avons déployé un important plan de relance financière afin de stimuler l'économie.
Comme on peut le voir dans le graphique, le PIB a reculé en 2008, mais il a connu une reprise vigoureuse. On s'attend maintenant à ce qu'il augmente de 4 % au cours des deux prochaines années.
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Comme vous pouvez le constater dans le graphique suivant, au cours de la crise économique mondiale, les dépenses du gouvernement ont augmenté et ses revenus ont chuté, ce qui a entraîné un déficit équivalent à 5 % du PIB. Compte tenu de la situation, le gouvernement cherche en priorité à rétablir sa capacité de réagir de façon semblable à tout choc économique futur et de protéger ainsi sa viabilité financière. En outre, nous craignons que des déficits budgétaires élevés nuisent à notre stabilité économique.
En l’absence de l’approbation de la réforme fiscale, le gouvernement a déployé de grands efforts pour réduire considérablement le taux de croissance de ses dépenses, ce qui a entraîné une réduction du déficit budgétaire. Nous reconnaissons que nous avons encore de nombreux défis à relever, mais nous croyons avoir les antécédents nécessaires pour mettre en valeur notre candidature à l’adhésion à l’OCDE, adhésion qui pourrait servir de catalyseur de la promotion et de l’adoption de certaines réformes que le pays doit entreprendre. L’OCDE deviendra ainsi le partenaire du Costa Rica dans son cheminement vers le développement.
Au cours de la dernière année, le Costa Rica a accru sa participation à l’initiative étrangère des organes de l’OCDE. Nous intervenons dans des domaines, comme les finances, qui mettent en valeur le Costa Rica auprès des membres de l’OCDE, des domaines où nous pouvons apporter une bonne contribution.
Le Costa Rica communiquera à l’OCDE des points de vue qui ne sont pas représentés au sein de l’organisation à l’heure actuelle, soit ceux d’un petit pays en développement, unique en son genre, qui met en oeuvre des politiques judicieuses et obtient de bons résultats. De plus, notre pays a prouvé qu’il était résolu à prendre des mesures pour se conformer aux normes de l’OCDE, comme celles liées à la transparence fiscale et à la gestion des affaires publiques.
En 2012, le Parlement a approuvé des mesures législatives visant à réformer la structure fiscale afin d’y intégrer tous les éléments exigés par la communauté internationale et de permettre à celle-ci d’accéder aux renseignements financiers qu’elle désire. Ces mesures législatives sont la loi sur la conformité aux normes en matière de transparence fiscale et la loi sur le renforcement des procédures d’administration fiscale.
De plus, le Costa Rica a négocié 15 accords d’échange de renseignements à des fins fiscales avec divers pays, dont le Canada. Pour diverses raisons, nous aimerions demander que le Canada nous apporte son soutien continu lors des délibérations du Conseil de l’OCDE.
En outre, le Costa Rica pourrait représenter un excellent exemple de la façon dont on peut propager de meilleures pratiques et promouvoir la transparence auprès des petits et moyens…
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Merci beaucoup, monsieur le président.
[Traduction]
Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, pour des raisons techniques, je vais m’exprimer en anglais, puisque mes propos seront traduits par les interprètes de toute manière. Je m’en excuse auprès de vos collègues francophones. Ils vont devoir tolérer mon mauvais anglais.
Je vous remercie de votre invitation. Je suis très heureux de pouvoir vous communiquer ce que l’OCDE fait en ce moment. C’est un honneur d’être parmi vous sinon physiquement, du moins virtuellement. Je me trouve actuellement en Malaisie pour assister à une réunion du groupe de révision par les pairs. La réunion porte précisément sur ce dont vous discutez en ce moment. Le groupe de révision par les pairs du Forum mondial est chargé de vérifier la transparence dont les pays font preuve et la façon dont ils mettent en oeuvre les normes de l’OCDE en matière de transparence et d’échange de renseignements.
Si vous me le permettez, j’aimerais commencer par dire quelques mots sur le travail que l’OCDE accomplit relativement aux enjeux fiscaux. Je suis directeur du Centre de politique et d’administration fiscales. Au centre, nous élaborons certaines politiques fiscales, des politiques qui favorisent la croissance et l’emploi afin de réduire les inégalités, etc.
Nous favorisons également les investissements transfrontaliers en éliminant la double imposition. Je pense que l’OCDE est célèbre pour son modèle de convention fiscale qui a fourni un cadre pour l’élimination de la double imposition et engendré de nombreuses conventions bilatérales. J’estime qu’environ 3 000 conventions fiscales reposent sur le modèle de convention fiscale de l’OCDE.
En ce qui concerne le domaine sur lequel vous enquêtez, j’aimerais faire valoir deux principaux arguments.
Le premier concerne la fraude fiscale, le manque de transparence et la nécessité d'échanger des renseignements. On dit que la fraude fiscale est une question de fraude. Selon moi, elle consiste à omettre de rendre compte de certains de ses revenus, à les cacher dans des pays où les impôts sont faibles et la transparence, inexistante.
Je ne sais pas vraiment en quoi consiste un « paradis fiscal ». Tous les gens définissent ce terme à leur façon. Il s'agit parfois d'une petite île éloignée, dotée de palmiers, ou d'un petit pays aux nombreux lacs perdus dans les montagnes. Tout dépend de son point de vue, mais celui-ci n'a jamais un caractère juridique. Ce qui importe, c'est le consensus atteint au sein de l'OCDE dans les années 1990, selon lequel, par « paradis fiscal », on entend un État qui ne perçoit aucun impôt, ne fait preuve d'aucune transparence, n'échange aucun renseignement et n'exerce aucune activité réelle. C'est la seule définition offerte par une organisation internationale. Mais, encore une fois, cela importe peu.
Ce qui importe, c'est le fait que nous soyons tous d'accord pour dire — et par « nous », j'entends les pays membres de l'OCDE ainsi que la communauté internationale maintenant — qu'un manque de transparence est problématique, parce qu'il permet de cacher de l'argent dans un pays où l’on ne réside pas, afin d'éviter de rendre compte de certains revenus réalisés dans des pays où l'on réside. C'est à ce moment-là qu'un problème de fraude fiscale survient.
Depuis 2008, l'attention de la communauté internationale et, en particulier, des pays membres du G20 et de l'OCDE se porte précisément sur la lutte pour obtenir une plus grande transparence et un meilleur échange de renseignements. Le 2 avril 2009, au cours du sommet du G20, les pays membres se sont entendus pour établir une liste des pays qui coopéraient ainsi qu'une liste de ceux qui refusaient de le faire. Par « coopération », ils entendaient l'échange de renseignements sur demande. Si un partenaire vous demande de lui fournir des renseignements, vous devez obtempérer, même s'il s'agit de renseignements bancaires.
Depuis, des progrès importants ont été réalisés. Plus de 800 accords bilatéraux d'échange de renseignements à des fins fiscales ont été signés. De plus, une convention multilatérale sur l'assistance mutuelle a été signée par plus de 50 pays, dont le Canada qui doit encore ratifier cet instrument. Je vous le mentionne parce que vous êtes des députés. Toutefois, des progrès majeurs ont été accomplis dans ce domaine. Il y a cinq ans, le secret bancaire était pratiquement la norme dans de nombreux pays. Maintenant, il s'agit d'une exception. Aucun pays n'appuie le secret bancaire.
Ce qui est intéressant et ce qui a été mentionné par l'un de mes prédécesseurs au sein du groupe d'experts, c'est qu’un certain nombre de pays s'emploient à négocier des accords bilatéraux afin de mettre en oeuvre un échange automatique de renseignements, surtout en raison de la FATCA, la mesure législative adoptée par les Américains.
J'aimerais parler très rapidement du second pilier qui concerne le nouveau problème que nous avons surnommé « la double exonération d'impôt ». Les règlements de l'OCDE ont été établis pour éliminer la double imposition. En effet, une entreprise ne devrait pas voir ses mêmes revenus imposés deux fois, parce qu'elle est établie dans deux différents pays.
Toutefois, les règlements que nous avons établis — le modèle de convention fiscale, les directives sur les prix de transfert et les autres normes — ne devraient pas permettre à des entreprises de ne payer aucun impôt où que ce soit, de verser des impôts dans des pays où les impôts perçus sont faibles, comme ceux que nous avons mentionnés, grâce à des intermédiaires, d'autres entreprises ou d'autres mécanismes leur permettant de réaliser des profits à un endroit différent de celui où leurs activités véritables se sont déroulées. Par exemple, si leurs activités véritables étaient exercées au Canada et que leur argent était investi en Europe, il ne serait pas acceptable que tous leurs profits soient réalisés aux Bermudes, à la Barbade ou dans d'autres États de ce genre, et que les inventions appartiennent à ces États.
Dernièrement, l'OCDE a lancé une initiative, dont vous avez peut-être entendu parler dans le contexte du G20, qui vise à signaler ce qu'on appelle « l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices » et à lutter contre ces problèmes. Cette lutte a pour objet de rétablir au moins l'une des impositions. Nous devons éliminer la double imposition, tout comme la double exonération d'impôt. Pourquoi est-ce nécessaire? Je vais conclure en abordant cette question.
En fait, il s’agit d’un enjeu budgétaire. Comme vous le savez, de nombreux pays d'Europe et d'ailleurs sont aux prises avec des déficits budgétaires et doivent percevoir l'argent qui leur est dû. Deuxièmement, c'est un enjeu économique, parce que, si l'on privilégie certains types d'investisseurs par rapport aux investisseurs purement nationaux, les petites et moyennes entreprises canadiennes qui n'effectuent pas de transactions internationales seront soumises à un taux d'imposition effectif plus élevé que celui des sociétés multinationales. Une telle situation serait dénaturée et nuirait aux investissements.
Enfin, il s’agit d’un enjeu politique. En raison des contraintes budgétaires, les gouvernements haussent les taxes à peu près sur tout, et on ne peut expliquer aux gens que la TVA ou les taxes de vente augmentent, que l'impôt sur le revenu des particuliers augmente et que l'impôt sur le revenu des sociétés pourrait augmenter, alors que certains acteurs ne versent pratiquement aucun impôt grâce à des stratagèmes d'évitement fiscal, qui sont reconnus comme étant une planification fiscale abusive s'appuyant sur des cadres légaux.
Merci.
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Je vous remercie beaucoup de m’avoir invité à parler au comité.
En ce qui concerne mes propres antécédents, je suis professeur d’économie à l’Université d’Oxford. Je me spécialise dans les enjeux économiques internationaux, en particulier ceux des pays les plus pauvres. Le premier ministre Cameron m’a demandé de jouer le rôle de conseiller en matière de questions fiscales dans le cadre du sommet du G8 qui aura lieu en Grande-Bretagne. Celle-ci est l'hôte du G8 cette année. En fait, l'OCDE m'a invité à parler de ces mêmes questions vendredi.
Soit dit en passant, je vous recommande de consulter le numéro de la semaine dernière de la revue The Economist qui contient un article de 12 pages traitant de cette même question. Au cas où vous l'auriez manqué, je tiens à préciser que cet article vous donne une vue d'ensemble assez complète des paradis fiscaux et de leur importance.
L'article traite de l'évitement fiscal ainsi que de la fraude fiscale. L'évitement fiscal découle de l'emploi abusif de la loi, alors que la fraude fiscale est le résultat d'une dissimulation. Tout comme les autres pays de l'OCDE, le Canada est maintenant victime de ces deux phénomènes.
La plupart de mes travaux portent sur les pays pauvres, qui sont aux prises avec ces problèmes depuis très longtemps. En fait, ils en souffrent depuis beaucoup plus longtemps que nous. Il est rare qu'en réglant nos problèmes et en mettant de l'ordre dans nos affaires, nous ayons également l'occasion de rendre service aux pays les plus pauvres de la planète. Ces questions sont encore plus problématiques pour eux que pour nous. Par conséquent, je félicite le comité de se pencher sur ces questions.
Je vais commencer par formuler quelques observations concernant l'évitement fiscal. Les lois ont bien entendu une raison d'être, des objectifs, ainsi qu’un libellé. Il s’ensuit que les brillants avocats de l'autre camp trouveront des façons de respecter la lettre de la loi, mais non son esprit. Il s'agit là d'un processus continu que les tables d'impôt illustrent. En effet, des avocats très intelligents et grassement rémunérés ont réussi à devancer considérablement l'esprit de la loi. Il est maintenant important que nous rattrapions notre retard.
Aucune solution ne peut régler à tout jamais le problème. C'est comme un corps humain qui lutte contre la maladie. Il faut modifier constamment les verrous à mesure que les microbes évoluent et que le corps se défend. Voilà ce qu'un système juridique doit faire pour essayer de contrer ces brillants avocats qui font preuve d’innovation.
Sur la scène internationale, l'évitement fiscal prend surtout la forme d'un détournement d'une activité économique de manière à ce que, sur papier, elle semble relever d'un endroit où aucun impôt n'est prélevé, alors que l'activité a, en réalité, lieu à un autre endroit. Certes, cela se produit très fréquemment en Grande-Bretagne, comme le prouve le cas récemment découvert de Starbucks. Jusqu'à maintenant, cette entreprise n'a versé pratiquement aucun impôt en Grande-Bretagne. Elle semble fonctionner comme un organisme de bienfaisance qui, toutefois, verse des sommes substantielles à une filiale établie dans les Antilles néerlandaises, un endroit où les entreprises ne font l'objet d'aucune imposition.
La société Starbucks verse des impôts sur les activités qu'elle exerce en Grande-Bretagne dans un pays qui ne perçoit aucun impôt. Starbucks a volontairement offert de payer davantage d'impôt au cours du prochain exercice financier en dépit du fait ou, plutôt, en raison du fait qu'elle a vendu moins de café. Le fait qu'elle offre de verser davantage d'impôt sur une quantité inférieure de café vendu démontre le peu de liens qui existent entre les profits que réalise une société et ses véritables activités. Pour les entreprises internationales, les profits pourraient devenir une activité facultative.
Comme le témoin précédent l'a déclaré, les sociétés comme Starbucks entrent en concurrence avec des entreprises locales qui, comme Costa Coffee, en Grande-Bretagne, ne bénéficient pas de ces avantages. Les tables d'impôt apportent un élément déloyal à la concurrence.
Il y a plus de 700 pays sur la planète qui sont indépendants sur le plan fiscal. La plupart de ces endroits ne sont pas en mesure d'engendrer d'importantes activités économiques. Le fait que de nombreuses activités semblent s’y dérouler démontre simplement que des sociétés abusent de la loi afin d'éviter de payer des impôts.
Passons maintenant de l'évitement fiscal à la fraude fiscale. La fraude fiscale se fonde sur la dissimulation, et cette dissimulation repose surtout sur l'établissement d'entreprises dont la propriété bénéficiaire, c'est-à-dire les véritables propriétaires, ne peut être déterminée. Ce phénomène relativement récent a pris des proportions spectaculaires. Il tourne autour d'avocats qui exercent leurs activités dans des pays avancés, mais qui collaborent avec des succursales établies dans des paradis fiscaux.
Dans le cadre d'une étude menée récemment, une université britannique établie en Australie a envoyé 7 000 courriels à des fournisseurs de services juridiques, c'est-à-dire des organisations qui sont en mesure d'établir des entreprises légales. Ces 7 000 courriels demandaient à des cabinets d'avocats du monde entier d'établir des entreprises dont la propriété bénéficiaire ne pourrait être vérifiée, et ces courriels contenaient divers nombres de renseignements compromettants. Par exemple, certains d'entre eux indiquaient que le client était prêt à payer des frais supplémentaires pour que la transaction soit gardée complètement secrète. Le taux de réussite de ces courriels, c'est-à-dire le pourcentage de réponses affirmatives reçues, s'élevait à 40 % et dépassait ce pourcentage lorsque les courriels indiquaient que le client était disposé à payer davantage pour bénéficier du secret le plus absolu. Par conséquent, le problème est très grave. Il est extraordinairement facile d'établir ces sociétés fictives, qui peuvent ensuite ouvrir des comptes bancaires où des fonds peuvent être cachés…
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Merci, M. le président.
Bonjour et bienvenue à tous nos témoins. Merci de votre présence.
Je suis la porte-parole en matière de finances de l'opposition officielle, le Nouveau Parti démocratique. Nous demandons cette étude sur la fraude fiscale et les paradis fiscaux depuis un certain temps, car nous sommes engagés à protéger l'intégrité de notre système fiscal et à veiller au grain en ce qui concerne les impôts qui ne sont pas perçus à juste titre par notre pays.
Manifestement, nous sommes conscients qu'il existe des raisons légitimes d'investir à l'étranger. M. Hejazi et l'ambassadeur Delgado Murillo nous en ont fait la démonstration et nous leur en sommes reconnaissants. Mais, de mon point de vue, il est difficile d'imposer ce qu'on ne peut pas mesurer et nous savons qu'un quart de tous les investissements directs des Canadiens à l'étranger va vers des paradis fiscaux ou des pays offrant des refuges fiscaux.
En 2011 seulement, les Canadiens ont investi 53,3 milliards de dollars aux Barbades, 25,8 milliards de dollars aux îles Caïman et 23 milliards de dollars en Irlande, pour ne donner que quelques exemples, et les services bancaires et financiers représentent aujourd'hui 51 % des investissements directs du Canada à l'étranger. Les fonctionnaires du ministère des Finances et de l'Agence du revenu du Canada nous ont qu'ils ne mesurent pas l'écart fiscal international, à la différence des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'Australie.
Ma question s'adresse à M. Collier et à M. Saint-Amans. Le Canada devrait-il mesurer l'écart fiscal afin de nous aider à contrer l'évasion fiscale et les refuges fiscaux de manière aussi efficace que possible?
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Merci, M. le président.
Je ne suis pas sûr qu'il faut le mesurer pour l'imposer. Je crois qu'on peut l'imposer sans le mesurer.
Dans le rapport que nous venons de publier, Lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, nous reconnaissons ou admettons que nous ne connaissons pas les montants et que leur calcul est presque impossible. Dans le cas de la fraude fiscale, on dispose de certaines méthodes qui vous en donneront une idée. Vous avez indiqué que les États-Unis ou le Royaume-Uni calculent l'écart fiscal, mais c'est par rapport à la fraude fiscale. En ce qui concerne l'évasion fiscale, je crois qu'il est presque impossible d'en arriver à un chiffre et c'est pourquoi nous conseillons de l'imposer, puis de mesurer ce que vous imposez. C'est ainsi que vous obtiendrez l'écart.
Donc, pour tenter de résumer, je crois que calculer l'écart fiscal est une piste que vous pouvez explorer, et l'OCDE n'a pas d'opinion tranchée sur le mérite ou non de cette option, mais je peux vous dire que vous pouvez l'imposer même si vous ne le mesurez pas et que vous devez l'imposer. Je vous renvoie au rapport sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices qui pourra vous fournir d'autres indicateurs pour mesurer. Par exemple, en ce qui a trait aux investissements étrangers directs, vous pouvez constater que certains très petits pays comptent pour plus de 25 % des investissements en Inde; c'est le cas de Maurice ou des îles Vierges britanniques, qui sont parmi les dix plus importants investisseurs en Russie ou en Chine. On se rend compte que quelque chose ne va pas et il faut remonter la piste au moyen d'une analyse.
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Merci, M. le président.
Merci à tous de votre présence. Il s'agit d'un débat très intéressant.
Si je venais d'arriver, j'aurais l'impression que nous sommes devant un énorme problème mondial de fraude des entreprises à l'égard des gouvernements. Un de nos témoins a estimé la semaine dernière qu'il s'agissait au Canada d'un montant allant de cinq à sept milliards de dollars. C'est beaucoup d'argent bien sûr, mais si nous comparons ce montant à notre budget global, ou à quelque chose comme les ventes de tabac, par exemple, un revenu que nous avons perdu en grande partie en raison du prix élevé du tabac ou de la taxation élevée, c'est à peu près du même ordre. Je crois que les ventes de tabac s'élèvent à environ quatre milliards de dollars.
Je veux garder ce comité sur la bonne voie et je veux m'assurer que, en tant que comité en général, nous conservons le sens de la proportion des choses. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas ou ne devrions pas coïncer les fraudeurs du fisc, et je crois que plusieurs d'entre vous l'ont dit très clairement, mais je me demande...
Je suppose que je veux poser ma première question à M. Saint-Amans. Du point de vue de l'OCAE, tout d'abord, existe-t-il une estimation des impôts perdus à l'échelle mondiale en raison de l'évasion fiscale? A-t-on effectué des études pour établir quels pays étaient les plus efficaces? Enfin, a-t-on mené des études pour vérifier s'il existait une corrélation entre ce phénomène et ce qui se produit quand on hausse les impôts?
Dans notre pays, nous avons diminué l'impôt des entreprises et je crois que la plupart des entreprises, et encore là certains des témoignages que nous avons entendus le confirment, comprennent qu'elles doivent payer de l'impôt. Y a-t-il une corrélation entre le fait que les pays haussent leurs impôts et le fait que les gens fraudent davantage?
Tout d'abord, à l'OCAE.
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Merci beaucoup, M. le président. Merci à chacun de vous de s'être joint à nous aujourd'hui.
Plus tôt dans la journée, on a mentionné le rapport de The Economist intitulé Tax havens: The missing $20 trillion. Ce rapport contient un article intéressant intitulé The OFCs’ economic role: The good, the bad and the Ugland. Havens serve clean as well as dirty money. J'apprécie vos conseils à ce propos parce que les investissements à l'étranger du Canada sont une importante source d'influence économique et politique pour notre pays et il est vraiment important que nous, à titre de législateurs, comprenions comment faire la différence entre, par exemple, les transactions qui visent à atteindre la neutralité fiscale et celles qui visent la fraude fiscale.
Votre Excellence, les investissements dans des endroits tels que le Costa Rica, l'Amérique latine et les Caraïbes sont très importants pour le développement, la diversification et la croissance de ces économies.
En décembre 2011, la Chine a investi 900 millions de dollars dans la modernisation d'une seule raffinerie de pétrole. On assiste à une croissance des investissements chinois à travers l'Amérique latine et les Caraïbes dans plusieurs de ces pays réputés être des centres financiers extraterritoriaux. Il est important que nous puissions distinguer ce qui est un investissement canadien légitime effectué pour les bonnes raisons, c.-à-d. développer une économie et constituer un bon placement pour les investisseurs canadiens, et ne pas y nuire ou créer des obstacles qui pourraient effectivement réduire notre influence et notre rôle dans ces économies en développement très importantes, laissant peut-être la place à d'autres investisseurs qui pourraient être moins transparents que les nôtres en fin de compte. Je mentionne les Chinois comme faisant possiblement partie de cette catégorie.
Votre Excellence.
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Parmi les obligations que les avocats ont envers leurs clients, il y a tout d'abord et principalement celle de les défendre dans les litiges ou les affaires pénales. Nous avons l'obligation d'être francs envers nos clients et de leur fournir des conseils juridiques; en d'autres mots d'interpréter la loi, par exemple.
Les avocats ont un devoir moral à l'égard de l'État; nous avons des obligations relativement aux tribunaux. Nous sommes réputés être des officiers de justice. Nous ne pouvons pas induire en erreur un tribunal ou un juge. C'est essentiellement notre obligation à l'égard de l'État.
Cependant, le privilège du secret professionnel et la confidentialité empêcheraient l'avocat de signaler à l'ARC un client venu au bureau. Nous ne pouvons manifestement pas conseiller un client sur la manière d'enfreindre la loi; nous devons dire au client « Ceci est la loi ». Mais je n'ai pas l'obligation à l'égard de l'État de m'assurer que le client remplit sa déclaration d'impôt ou déclare ses revenus.
C'est la même chose lorsque quelqu'un demande si on peut boire et conduire. Je peux dire aux gens quelles sont les pénalités prévues pour la conduite en état d'ébriété et je peux leur déconseiller de le faire, mais je ne peux pas empêcher quelqu'un de conduire après avoir bu.
C'est pareil pour l'évitement fiscal. Je peux légitimement concevoir un plan pour un client et conseiller le client en ce qui a trait à la légalité du plan, mais je ne peux pas contribuer à une fraude ou à une évasion fiscale ou me laisser duper par un client.
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Je vous remercie de cette question. Encore une fois, pardonnez-moi de répondre en anglais, mais j'ai entendu la question en anglais grâce à l'interprétation.
J'ai quelques observations à formuler. Nous avons fait des progrès considérables en ce qui a trait à une meilleure transparence grâce à l'échange de renseignements sur demande, qui protège très bien la vie privée et la confidentialité, puisque l'une des conditions pour échanger des renseignements est de s'assurer que la confidentialité sera protégée par la partie requérante.
Contrairement à ce qu'a indiqué M. Colier, l'échange de renseignements sur demande fonctionne. Les preuves l'indiquent. Je suis ici en Malaisie pour en évaluer l'efficacité, et nous avons publié des rapports à ce chapitre. Les preuves sont là.
Pour ce qui est des autres formes d'échange de renseignements, comme l'échange automatique de renseignements — et c'est ce que prévoit la FATCA —, les États-Unis ont pu convaincre des dizaines de pays d'accepter un échange automatique de renseignements avec eux, ou quelque chose d'équivalent. Il est à noter que le G20 s'oriente actuellement dans cette direction.
Au sein de l'OCDE, nous nous employons à élaborer une plateforme afin de faciliter l'échange automatique de renseignements entre les pays. L'un des défis consiste à nous assurer qu'un pays qui reçoit automatiquement des renseignements respectera la confidentialité de ces renseignements. Nous travaillons à établir des normes afin de pouvoir vérifier la capacité d'un pays de respecter cette confidentialité.
Mais la vie privée est respectée. L'échange de renseignements se limite à des fins fiscales, et les renseignements demeureront au sein de l'administration fiscale — ou bien ils pourraient être envoyés, si les deux pays sont d'accord, à d'autres organismes d'application, mais sans être divulgués publiquement.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, messieurs, d'être avec nous ce matin.
Monsieur Saint-Amans, vos observations au sujet des études sont très intéressantes. Je suis d'accord avec vous à bien des égards. Je suis producteur de grains. Quand je vais examiner mon champ, en août, j'aimerais bien savoir quelle quantité de blé s'y trouve. Mais je vais consacrer mon temps et mes efforts à la récolte plutôt qu'à l'étude de mon champ.
Je crois qu'il est très important que nous reconnaissions que la meilleure chose à faire, comme vous l'avez dit, c'est de continuer l'imposition et de poursuivre ceux qui commettent des fraudes fiscales, au lieu de consacrer trop d'efforts à tenter de cerner la nature du problème. Les deux sont importants, mais je pense que celui qui l'est davantage, c'est d'obtenir des résultats.
Êtes-vous d'accord sur ce point, monsieur Saint-Amans?
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Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins qui ont comparu.
Mes questions s'adresseront essentiellement à M. Collier et à M. Kepes; je vais parler un peu plus du prix de transfert.
Monsieur Collier, vous avez parlé des multinationales qui font des profits sur des activités de bénévolat, si j'ai bien compris. Le magazine The Economist, que vous nous avez recommandé, traite longuement de possibles réformes liées à la manipulation des prix de transfert, et offre deux solutions. La première est ce qu'on appelle l'imposition unitaire, qui viserait à ce que les activités soient assujetties à l'impôt à l'endroit où elles ont lieu, dit-on, et non à l'endroit où un conseiller fiscal les a transférés. Les sociétés produiraient une série de comptes sur leurs profits à l'échelle mondiale et c'est à ce moment-là que les impôts seraient perçus, dans le pays où les activités ont eu lieu. C'est une des idées proposées.
La deuxième solution sur laquelle j'aimerais avoir votre opinion, c'est l'exigence selon laquelle les multinationales seraient tenues de divulguer le nom, l'emplacement, le rendement financier et les obligations fiscales de chacune de leurs filiales et d'indiquer le rôle joué par les paradis fiscaux.
Pensez-vous que l'une ou l'autre de ces idées pourrait nous aider à régler la question de la manipulation des prix de transfert?
J'aimerais d'abord avoir la réponse de M. Collier, puis celle de M. Kepes, s'il vous plaît.
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Je pense que le point de départ est en effet la transparence de la présentation de rapports. Je pense que cela nous permettrait de faire de grands progrès.
Permettez-moi de citer la profession comptable britannique, qui a récemment présenté un rapport à ce sujet. On a conclu qu’en fin de compte, la pratique exemplaire en matière d’application était la transparence, c’est-à-dire que les entreprises ont dû se placer dans une situation où elles pourraient défendre et justifier publiquement ce qu’elles avaient fait, et que si elles ne pouvaient pas le faire, cela signifiait alors qu’elles ne devraient probablement pas agir ainsi. Donc, si l’on étudie la transparence ou des rapports de la société indiquant une correspondance raisonnable entre la répartition des bénéfices déclarés et la répartition de l’activité économique légitime, c’est quelque chose que la transparence en soi pourrait permettre de contrôler.
Si la transparence ne suffit pas, alors quelle est la solution de rechange? Essentiellement, ce serait un système qui aurait priorité sur l’entreprise quant au choix relatif à la répartition des profits dans divers pays et qui, en fin de compte, permettrait de répartir les profits en fonction d’un autre critère. Y parvenir est très difficile. Obtenir un accord en ce sens est très difficile.
Là où vous pourriez parvenir à un accord, à mon avis — et c’est là que le G8 et le G-20 sont importants —, c’est en ce qui a trait à cette distinction entre la concurrence fiscale raisonnable entre le Canada et les États-Unis, par exemple, deux centres d’activités économiques réelles, et l’usage abusif des tables d’imposition, qui ne sont pas des normes liées aux activités économiques réelles, mais qui a pour résultat une imposition nulle. L’exonération mutuelle d’impôt est une situation que nous voulons très certainement éviter, tandis que la concurrence relative aux taux d’imposition entre les centres d’activités économiques légitimes est tout à fait légitime et, en fait, saine.
Je pense que l’approche d'une imposition unitaire complète ne sera pas mise en oeuvre de sitôt. Cependant, je pense qu’il y a peut-être une solution intermédiaire qui, d’une part, permet d’avoir la transparence, permettant un certain contrôle et, d’autre part, en cas d’utilisation abusive flagrante — malgré la transparence —, les principaux centres d’activités économiques réelles auraient un accord selon lequel ils surveillent conjointement l’utilisation abusive du système, où l’on transfère les profits dans des endroits où il n’y a pas d’activités réelles.
M. Murray Rankin: Merci.
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Vos questions sont excellentes. L’imposition unitaire nécessiterait une refonte exhaustive des fondements du système fiscal international. Je pense qu’il vaut la peine d’examiner la question, mais que ce serait difficile à mettre en oeuvre. À mon avis, pour pouvoir déterminer la répartition entre les pays plutôt que laisser à chaque pays s’en charger, il faudrait presque avoir une entité internationale de perception des taxes. La Californie a essayé de mettre en place quelque chose du genre pour la taxe de l’État, et permettez-moi de vous dire que cela a provoqué un tollé.
En ce qui a trait au prix de transfert dans le cas de Glaxo, cette affaire représente deux choses. D’une part, ce fut une perte énorme pour l’Agence du revenu du Canada. D’autre part, cela a fourni aux entreprises canadiennes et aux multinationales une certaine certitude par rapport à la loi canadienne. C’est parce qu’essentiellement, la Cour suprême du Canada a décidé que le ministre du Revenu national ne doit pas compléter ou remplacer le motif d’ordre commercial d'un homme d’affaires pour justifier un prix de transfert ou pour conclure une transaction commerciale par celui de l’Agence du revenu du Canada.
Autrement dit, le problème fondamental du cas Glaxo, c’est que le Zantac, son médicament contre les maux d’estomac, contenait un adjuvant qu’il était possible d’acheter auprès d’un fabricant de médicaments génériques pour le dixième du prix, disons. L’Agence du revenu du Canada a réévalué le dossier Glaxo et a déclaré que la juste valeur marchande doit être fixée au prix auquel le fabricant de médicaments génériques a vendu le produit. La société Glaxo s’est rendue jusqu’en Cour suprême, qui a déclaré que c’est faux, malgré le fait que le fabricant de médicaments génériques pourrait vendre un adjuvant au prix de 10 ¢ la livre. Le fait est que les sociétés liées de Glaxo ont apporté une valeur ajoutée supplémentaire par rapport à cet adjuvant, ce qui justifiait le prix fixé à la juste valeur marchande. Comme je l’ai dit, c’est une perte pour l’Agence du revenu du Canada, mais cela a fourni une certaine certitude sur la question des prix de transfert.
En soi, le prix de transfert s’applique seulement aux transactions entre sociétés apparentées, comme, par exemple, une société mère canadienne ou une filiale canadienne d’une société mère américaine, habituellement. Il s’agit d’une décision sur le prix de transfert adéquat. Il y a des mécanismes entre le Canada et les États-Unis pour déterminer ce qui se passe si le Canada décide que le prix devrait être plus élevé et que les États-Unis sont d’avis que le prix devrait plutôt être plus élevé de leur côté. Il existe des mécanismes pour étudier ces questions.
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D'accord. Je vous remercie du travail que vous faites, car il nous aidera à élaborer quelques pratiques exemplaires.
Je veux maintenant m'adresser à M. Kepes. Vous avez soulevé entre autres deux points aujourd'hui, dont un qui me plaît beaucoup, à savoir la suggestion 5 de votre document qui consiste à encourager la mise en oeuvre d'un programme de dénonciation. J'inciterais le comité à examiner sérieusement votre suggestion, que je trouve bonne. J'ai travaillé dans les services de police et, chaque fois que nous pouvons mettre en place un programme de la sorte, je pense que c'est une bonne chose.
Je suis néanmoins contre les observations que vous avez faites. Vous avez clairement dit que vous n'êtes pas vraiment convaincu et vous ne savez pas quoi répondre en ce qui concerne les poursuites et les condamnations pour les enquêtes sur des comptes à l'étranger. Comme vous le savez sans doute, le seuil est beaucoup plus élevé pour ce qui est de la preuve nécessaire afin de procéder à une enquête criminelle et à une condamnation. La preuve doit être hors de tout doute raisonnable. D'après les vérifications, c'est selon la prépondérance des probabilités. Le gouvernement actuel a mis de l'avant plusieurs mesures stratégiques pour s'assurer que nous nous attaquons au problème des comptes à l'étranger de différentes façons.
Ce que vous n'avez pas abordé, et je crois que vous devez en parler, c'est que nous avons un programme de divulgations volontaires. Le nombre de divulgations volontaires a triplé depuis 2007 grâce aux mesures mises de l'avant par le gouvernement. Nous avons également réalisé des vérifications, lesquelles sont menées — pour revenir au seuil — parce que nous confions entre 150 et 200 dossiers au Service des poursuites pénales. Il faut également déterminer s'il y a des motifs raisonnables de procéder à une condamnation.
Vous ne pouvez donc pas mesurer le succès de l'ARC en fonction du nombre de condamnations. Vous devez prendre en considération — vous en conviendrez sans doute — les divulgations volontaires, les vérifications et le fait que le Service des poursuites pénales décide au bout du compte s'il y a une possibilité d'obtenir une condamnation. J'ai été policière pendant longtemps. Nous savons que des gens commettent des crimes. Le Service des poursuites pénales dit qu'il le sait, mais comme il n'en a pas la preuve, il ne peut pas intenter de poursuites criminelles. Ne convenez vous pas que c'est une façon plus pondérée de mesurer le succès de l'ARC, en tenant compte de tous les facteurs, et non pas seulement des condamnations?
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La liste de 2009 devait disparaître rapidement. Si l'on veut qu'une liste donne de bons résultats, elle doit disparaître. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi.
En 2000, l'OCDE a dressé une liste des paradis fiscaux, c'est-à-dire des pays qui correspondaient aux quatre critères que j'ai mentionnés tout à l'heure. En 2002, l'OCDE a établi la liste des paradis fiscaux non constitués en personne morale, c'est-à-dire ceux qui ne se sont pas engagés à appliquer les normes.
En 2008, lorsque le scandale de Liechtenstein a éclaté au grand jour, ce qui a relancé les travaux sur les paradis fiscaux, tous les pays s'étaient engagés à appliquer les normes mais, dans la pratique, ils n'ont rien fait. Donc, la liste de 2009 a été conçue pour cerner les pays qui ne s'étaient pas engagés à échanger des renseignements, ce qui était déplorable, ainsi que ceux qui s'étaient engagés à le faire mais qui n'avaient rien fait. Nous avons ensuite fixé un seuil à 12 accords d'échange de renseignements fiscaux, seuil qui était arbitraire mais sur lequel toutes les parties s'étaient entendues et que nous pouvions donc utiliser.
Or, dans les jours qui ont suivi le Sommet du G20 du 2 avril 2009, les pays qui figuraient sur la prétendue liste noire se sont immédiatement engagés à appliquer les normes. Quant à ceux qui étaient inscrits sur la liste grise, les pays qui s'étaient engagés mais qui comptaient moins de 12 accords, ils ont commencé à négocier des ententes. Si l'on veut qu'il y ait un échange de renseignements, il faut des accords.
Cette liste s'est révélée très fructueuse. La Suisse a dit qu'il lui faudrait 10 ans pour conclure 12 accords. Elle y est parvenue en six mois. Voilà pourquoi la liste a disparu. Nous avons immédiatement mis sur pied le forum mondial et établi de nouveaux critères.
Conformément aux nouveaux critères, si vous voulez respecter les normes, vous devez avoir une loi en place, c'est-à-dire un accord non pas avec 12 pays, mais avec tous les pays qui vous demandent de leur fournir des renseignements. Donc, si vous avez 30 accords en place et que le Canada veut conclure un accord avec vous et que vous refusez, vous ne respectez pas les normes.
Il est bon d'avoir des accords, mais il est préférable de pouvoir les mettre en oeuvre. Pour ce faire, il faut pouvoir accéder aux renseignements. Nous vérifions que l'information sur la propriété, les comptes et les banques est disponible. Si vous avez conclu un accord, mais que vous n'avez pas accès à l'information et que vous êtes l'administration fiscale, il y a alors une lacune. Le forum mondial a mis en place un mécanisme d'examen par les pairs en deux étapes.
La première étape consiste à vérifier si tous les éléments sont en place et, s'ils ne le sont pas, les pays ne passent pas à la deuxième étape, à laquelle je reviendrai dans un instant. Ce n'est donc pas une liste, mais nous ciblons les pays qui négligent d'échanger des renseignements en vertu de la loi. Si la loi est en place, cela ne veut pas forcément dire que vous réussissez.
Nous allons vérifier — et c'est ce que nous faisons aujourd'hui en Malaisie — si vous le faites dans la pratique. Nous demandons à tous les partenaires du pays faisant l'objet d'un examen s'ils sont satisfaits de l'échange de renseignements dans la pratique. À la fin de la seconde étape — la vérification —, on accordera une cote globale par pays selon qu'il est très conforme, conforme, partiellement conforme ou non conforme aux normes.
Vous voyez que si ce n'est pas une liste, cet examen permettra d'évaluer si un pays fait le travail ou non.
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Je vous remercie de votre indulgence, monsieur le président.
Ma question s'adresse à M. Kepes et porte sur l'application.
Dans l'une de vos interventions précédentes, vous avez repris ce que l'un de nos témoins précédents a dit concernant une étude publiée par l'ARC en octobre 2010 qui révélait que « les fiscalistes estiment que l'ARC n'en fait pas assez pour arrêter ou poursuivre les fraudeurs ». Je pense que vous avez fait valoir ce point dans vos déclarations. Vous avez présenté plusieurs idées utiles liées à l'application dans votre mémoire et, comme Mme Glover, l'idée du programme de dénonciation me plaît beaucoup, notamment.
Je veux vous poser deux autres questions rapidement. Premièrement, a-t-on établi la portée, comme c'est le cas dans d'autres domaines de la réglementation, des sanctions administratives pécuniaires — et en droit environnemental, c'est pratiquement tout ce qu'on utilise à l'heure actuelle — pour éviter ce dont vous avez parlé entourant la Vharte et le droit pénal, et toutes ces difficultés?
Deuxièmement, adhérez-vous à ce que le sénateur Levin aux États-Unis a dit, à savoir qu'il faut infliger des peines sévères aux promoteurs d'abris fiscaux et aux personnes qui facilitent et encouragent la fraude fiscale en augmentant l'amende maximale de 150 % sur tous les gains acquis illégalement? Que pensez-vous d'ajouter cette idée à vos suggestions?
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D'accord. Je vais seulement répondre à la première partie de votre question — et c'est une excellente question.
Dans l'éventualité où il est difficile de procéder à des poursuites et de trouver l'information, je pense que le gouvernement doit décider s'il veut pourchasser les automobilistes qui roulent à 110 ou 120 kilomètres à l'heure sur l'autoroute ou ceux qui conduisent à 200 kilomètres à l'heure. S'il est difficile d'intenter une poursuite et que le gouvernement décide d'imposer des sanctions pécuniaires, cette décision lui revient.
Ce que j'en pense, c'est que l'État ne devrait pas se soustraire à sa responsabilité de faire respecter la loi. La fraude fiscale est un crime. Qu'il soit difficile de mettre la main sur les fraudeurs n'est pas une excuse, à mon avis.
Pour répondre à votre question, des sanctions administratives sont prévues en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il y a donc une sanction pour négligence grave équivalant à 50 % de l'impôt. Pour les revenus non déclarées, l'ARC évaluera le dossier d'une personne qui n'a pas déclaré des revenus.
Des sanctions sont prévues pour les conseillers, qu'il s'agisse d'un avocat, d'un comptable ou d'un conseiller en planification financière, qui participent ou consentent à la présentation d'une fausse déclaration. C'est donc une façon de coincer les conseillers. Malheureusement pour le gouvernement, la Cour de l'impôt considère cette sanction comme étant de nature criminelle parce qu'il n'y a essentiellement pas de limites. Quoi qu'il en soit, je suis heureux d'en parler. Cette sanction existe, et si elle est appliquée en tant que sanction civile, elle sera très sévère envers les promoteurs d'abris fiscaux et tous ceux qui participent à la production d'une fausse déclaration pour aider essentiellement un contribuable à mentir au sujet de la déclaration de ses revenus.
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Vous pouvez évidemment remettre d'autres documents au comité, monsieur Kepes, cela est également valable pour tous les témoins.
J'aimerai conclure en soulevant deux points. Monsieur Kepes, je répète que votre sixième recommandation mentionne la FATCA. Je suis sûr que vous êtes au fait des préoccupations qu'ont exprimées des institutions financières canadiennes quant à ce qu'elles doivent divulguer au gouvernement américain. Je vais vous demander peut-être d'en parler. Comment fonctionne l'échange automatique? Je crois que tout le monde hoche la tête et dit que ça semble être une bonne idée jusqu'au moment de sa mise en oeuvre, puis il y a des répercussions que nous devons prendre en compte. Vous pourriez peut-être nous dire un mot à ce sujet.
Mon deuxième point concerne l'exemple de Starbucks utilisé par le professeur Collier. Il me semble que c'est quelque chose que nous devons considérer sérieusement, peut-être pas sous l'angle de l'évasion fiscale, mais sous celui des politiques publiques. Quand une compagnie utilise un pays exempt de taxes — évidemment pour ne pas payer d'impôts et être plus compétitive —, nous nous devons d'être inquiets du point de vue des politiques publiques. Son Excellence en a certainement parlé à propos des investissements dans un pays comme le Costa Rica plutôt que de choisir d'investir dans un pays en raison de sa situation fiscale. M. Brisson en a aussi parlé.
Vous pourriez peut-être parler de la question de la FATCA, monsieur Kepes, et un autre témoin — M. Hejazi peut-être — peut, s'il le souhaite, revenir sur l'exemple de Starbucks.
Monsieur Kepes, je vous en prie.
:
D'accord. Les analystes et la greffière le distribueront aux membres du comité.
Je tiens à vous remercier tous d'avoir été des nôtres aujourd'hui. Si vous avez quoi que ce soit d'autre à ajouter en réponse aux questions qui ont été posées ou à propos de l'un des sujets et que vous souhaitez remettre au comité dans le cadre de nos délibérations, je vous prie de passer par la greffière. Mais, encore une fois, je vous remercie infiniment.
[Français]
Je vous remercie de vos présentations.
[Traduction]
Chers collègues, nous avons deux petits points concernant les travaux du comité. Je demande donc aux membres du comité de rester assis et j'invite les témoins à quitter la salle.
Merci beaucoup d'être venus aujourd'hui.
Chers collègues, brièvement, nous avons le cinquième rapport du sous-comité. Le seul changement apporté au point numéro 1 est le report au 28 mars, et pas au 28 février, de l'étude article par article du projet de loi.