FINA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des finances
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 15 novembre 2011
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte. Il s'agit de la 29e séance du Comité permanent des finances.
Je tiens à remercier tous nos invités d'être ici.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous sommes heureux d'accueillir cinq témoins pour notre étude sur le régime de cibles d'inflation de la Banque du Canada.
Monsieur Scott Sumner, professeur d'économie de l'Université Bentley, sera des nôtres grâce à la vidéoconférence.
Nous essaierons de régler un problème technique.
Nous accueillons un professeur de la faculté de science économique de l'Université d'Ottawa, M. Mario...
Merci beaucoup.
Nous accueillons l'économiste Jim Stanford, du Syndicat des travailleurs et travailleuses canadiens de l'automobile. Merci d'être parmi nous.
Nous accueillons également M. Christopher Ragan, professeur agrégé d'économie à McGill et titulaire de la chaire David Dodge de politique monétaire, à l'Institut C.D. Howe, ainsi que M. Craig Alexander, premier vice-président et économiste en chef du Groupe financier Banque TD.
Nous allons commencer par M. Seccareccia. Pour votre exposé, vous disposez de cinq à sept minutes. Cela laissera beaucoup de temps pour la période de questions.
Je ferai de mon mieux.
Merci, monsieur le président, pour votre invitation. Je me sens privilégié et honoré de me trouver parmi mes confrères économistes, particulièrement ici.
J'ai lu l'information de base, le rapport publié sur Internet par la Banque du Canada, concernant la reconduction de l'entente relative à la cible d'inflation. Dès la première page, il est fait mention des avantages du régime de ciblage de l'inflation mis en place depuis 1991. La Banque affirme essentiellement qu'elle a atteint un certain nombre d'objectifs fondamentaux pour le Canada, c'est-à-dire, un taux d'inflation actuellement faible, stable et prévisible, ce qu'il n'était pas avant.
Quels étaient ces avantages? Il y a d'abord eu, d'après la Banque, l'existence, au Canada, de conditions où l'inflation était plus faible et plus prévisible, ce qui a permis aux consommateurs de gérer leurs finances avec un plus grand degré de certitude en ce qui concerne la valeur éventuelle de leurs économies et de leurs revenus. Ensuite, les taux d'intérêt nominaux et réels ont également été plus faibles, sur une large gamme de dates d'échéance, grâce au ciblage de l'inflation. Enfin, l'inflation a été plus faible et plus stable, ce qui a favorisé une croissance économique plus stable et a abaissé et stabilisé davantage le chômage.
À y regarder plus près, je dirais que ces avantages ne sont pas aussi concrets qu'ils semblent l'être. Commençons par le premier. Je le concède, il est évident, pour moi, que le taux d'inflation a été plus stable, mais nous avons également assisté, pendant toute cette période, à la baisse des taux d'épargne, qui sont devenus pratiquement nuls au Canada et, de façon concomitante, à l'endettement croissant des ménages.
En fait, ce à quoi les ménages peuvent s'attendre de la récession bilancielle actuelle, c'est simplement la stabilité de la charge réelle de leurs dettes, mais non celle de leurs économies. Elles ne sont pas aussi élevées qu'au début du régime. On peut donc se demander, tout simplement, si le régime a atteint ses objectifs à cet égard.
Fait encore plus important, si nous repassons le fil des événements des quelques dernières années, particulièrement en ce qui concerne les régimes de retraite et tout le reste, les amputations ont été très graves. Quand la Banque du Canada parle de stabilité des économies, nous essayons vraiment de savoir exactement de quoi il s'agit.
Si, en deuxième lieu, nous examinons les taux réels d'intérêt plus faibles, leur baisse vraiment rapide s'est faite en deux temps. Au Canada, nous n'avons pas vraiment connu de récession en 2000-2001, contrairement aux États-Unis, quand ils ont chuté. De toute évidence, au cours de la dernière crise financière au Canada, en 2008-2009, nous avons encore assisté à une baisse vraiment importante des taux d'intérêt, des taux nominaux et réels. En fait, certains pourraient prétendre que les taux réels ont diminué beaucoup moins, au début, disons, à cause des cibles d'inflation. Si, en fin de compte, les taux d'intérêt ont baissé, ils l'ont fait ici conformément à ce qui se passait à l'échelle de notre économie continentale ou même de l'économie mondiale en général plutôt que de baisser de façon spectaculaire ces 20 dernières années à cause de nos cibles d'inflation, mais par un mécanisme qui m'échappe.
Enfin, en ce qui concerne les conditions favorables à la croissance économique, encore une fois, je pense que cela dépend de la période précise dont on parle. Si, en effet, la croissance a été plus forte, disons avant la crise financière, je dirais que, à cause des cibles d'inflation, la Banque du Canada ne s'est pas montrée aussi déterminée à contrer le chômage que s'il avait en fait été une variable, disons, de son modèle d'intervention.
En outre, les faits démentent les arguments invoqués pour convaincre les Canadiens, à l'origine, des avantages des cibles d'inflation. Je suis assez vieux pour me rappeler les discussions qui ont eu lieu, dans les années 1980 et au début des années 1990, quand il était question d'instaurer des cibles pour l'inflation. Si on remonte à l'époque de John Crow, par exemple, l'idée, à l'époque, était de cibler l'inflation à un taux nul. Il s'agissait essentiellement de favoriser la croissance de la productivité, l'efficacité de l'économie et l'augmentation du taux de croissance de la productivité. Eh bien, si on examine la courbe de la croissance de la productivité nationale des 20 dernières années, il faut admettre qu'elle a très mauvaise allure, qu'elle présente un état lamentable.
Encore une fois, quand on s'arrête aux propos réellement tenus par la Banque du Canada, elle ne parle pas de croissance de la productivité, même si cela a été en quelque sorte son cheval de bataille, à une époque où, en fait, elle préconisait le ciblage de l'inflation.
À ce sujet, je rappelle que la Banque du Canada a toujours dit qu'elle ne pouvait pas vraiment influer sur les véritables variables telles que le taux de chômage ou le taux de croissance au fil du temps, du moins pas à long terme. N'est-il pas amusant qu'elle prétende maintenant que cette politique a créé plus d'emplois et augmenté la croissance de la production alors que, au début, elle niait continuellement les vertus de sa politique pour ces variables réelles?
Nous constatons comment elle a pu ajuster son discours récemment. Essentiellement, je dirais que nous devrions revenir à une méthode plus générale de fixation des taux d'intérêt au pays. Nous ne devrions pas nous engager à l'égard d'un seul objectif. Nous devrions plutôt envisager une autre variable économique comme le chômage ou la croissance réelle de l'économie. Nous devrions considérer ces variables au moins comme importantes, pour ne pas faire l'erreur de faire plus de tort que de bien, compte tenu, particulièrement, de la conjoncture actuelle, qui nous réserve probablement, à court terme, des taux de chômage plutôt élevés.
Merci.
Oui, ça va.
Si vous êtes prêt à livrer votre exposé, nous vous en saurions énormément gré. Merci d'être là aujourd'hui.
Merci de m'avoir invité.
D'abord, permettez-moi de dire que, à mon avis, le ciblage de l'inflation a amélioré considérablement les choses, particulièrement au Canada, mais que la récession actuelle révèle des lacunes dans cette stratégie, qui est perfectible. Je dois admettre, cependant, que, actuellement, les pays les plus avantagés seraient les États-Unis et la Grande-Bretagne, le Canada peut-être à l'avenir, lui aussi, même s'il est susceptible d'être un peu avantagé maintenant.
Le ciblage du PIB nominal me semble la prochaine étape logique du processus d'amélioration de notre maîtrise de la macroéconomie. Pendant les récessions, l'effet serait plus expansionniste que celui du ciblage de l'inflation. Pendant les booms économiques, l'effet de freinage serait plus grand. Cela tendrait à aplatir un peu le cycle économique. Et, ce qui est très important, vous pourriez continuer à maintenir le même taux moyen d'inflation à long terme. Si le taux réel de croissance du PIB au Canada était de 2,5 p. 100 par année, en moyenne, vous pourriez vous donner un objectif nominal de 4,5 p. 100 tout en maintenant le même taux d'inflation à long terme. C'est vraiment le taux d'inflation à long terme qui importe, quand on s'intéresse à ses effets sur la sécurité sociale.
Dans un cycle économique à court terme, on pourrait prétendre que le plus important est la stabilisation de l'emploi. En cela, le ciblage du PIB nominal est plus efficace. Il permet d'obtenir des résultats particulièrement meilleurs contre le déséquilibre du marché du travail, de sorte qu'une hausse brusque des prix du pétrole, dans un régime de ciblage de l'inflation, pourrait exiger une contraction, susceptible de nuire au secteur manufacturier de l'économie et d'y augmenter le chômage.
Le ciblage du PIB nominal permet plus de souplesse pour réagir aux phénomènes tels que les chocs d'offre. C'est également un meilleur moyen de déjouer les pièges à liquidités. Lorsque les taux d'intérêt tombent à zéro, il peut être difficile pour une banque centrale, à l'aide des techniques classiques, de stimuler l'économie. C'est alors que, en général, le PIB nominal chute plus brusquement que l'inflation. Cela offre donc un objectif de croissance nominal beaucoup plus audacieux. La banque centrale peut alors fixer les attentes de manière beaucoup plus musclée, ce qui peut être un moyen précieux d'échapper à un piège à liquidités.
Récemment, la Grande-Bretagne nous a offert l'exemple d'un avantage de taille par rapport au PIB nominal. D'après les rumeurs, c'est un objectif officieux de la Banque d'Angleterre et, actuellement, dans ce pays, l'inflation dépasse nettement l'objectif officiel de 2 p. 100. Pourtant, presque tout le monde là-bas pense que l'économie est encore déprimée et qu'elle a plutôt besoin d'être stimulée davantage. Pour cette raison, en fait, on conteste beaucoup l'austérité financière. Donc, le ciblage du PIB nominal — la croissance du PIB n'étant pas dans tous les cas inférieure à 5 p. 100 — autoriserait la Banque d'Angleterre à être expansionniste, une nécessité urgente, de l'avis général.
Un autre avantage du PIB nominal, c'est de constituer un objectif simple, unique. Il faut convenir que des formes souples de ciblage de l'inflation permettent d'absorber dans une certaine mesure les véritables chocs, mais elles conduisent à beaucoup d'ambiguïté dans l'établissement de la politique monétaire et, dans certains cas, elles permettent aux banques centrales de s'abriter derrière le paravent d'un mandat très vague. Il est vrai que cela pose davantage problème aux États-Unis qu'au Canada, mais cela arrive si le procédé risque d'être mal interprété.
Il est également plus facile d'informer le public sur ses actions. Ainsi, ici, aux États-Unis, au milieu de 2010, notre taux d'inflation est tombé bien au-dessous de l'objectif implicite d'environ 2 p. 100 de la Réserve fédérale, laquelle a annoncé une détente quantitative pour fouetter l'inflation. Mais il a été très difficile, politiquement, de convaincre les gens de la justesse de cette décision, parce que la plupart jugent nocif un coût élevé de la vie. Et la plupart des gens ne sont pas assez férus de macroéconomie pour comprendre que l'inflation peut, en fait, assurer, dans certaines situations, la macrostabilité.
En revanche, dans une stratégie de ciblage du PIB nominal, la Réserve fédérale aurait pu annoncer qu'elle n'essayait pas d'augmenter le coût de la vie des Américains, mais de revigorer leurs revenus déprimés par la récession. Le PIB, au fond, n'est pas entièrement attribuable au revenu national. Cela facilite l'annonce de ses intentions au public, dans un contexte de macrostabilisation.
Je pense que cette stratégie possède à la fois des avantages techniques et politiques, notamment dans des circonstances inhabituelles telles que les pièges à liquidités ou les chocs d'offre, où le ciblage de l'inflation pourrait ne pas donner d'aussi bons résultats.
Merci.
Merci monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis très reconnaissant de l'invitation que vous m'avez faite de participer à cette discussion.
Je vois que, la semaine dernière, le gouvernement a annoncé la reconduction, pour cinq années, de l'objectif. Je ne sais pas trop quel rôle nous jouons dans ce processus de décision, mais je pense que les questions de ciblage de l'inflation et de politique monétaire comptent parmi les questions économiques les plus importantes qui se posent au pays, et je suis très honoré de participer à cette discussion.
À mon avis, les faits économiques et financiers des trois ou quatre dernières années devraient nous conduire à questionner radicalement la théorie et la pratique du ciblage de l'inflation. Cette théorie s'énonce comme suit: l'économie réelle recherche automatiquement une sorte d'équilibre du plein emploi, souvent appelé « taux de chômage à inflation stationnaire », ou TCIS. La politique monétaire n'aurait aucun effet à long terme sur cet équilibre réel. Au mieux, d'après la théorie, elle favoriserait la stabilité des prix et, en conséquence, la certitude et l'exercice d'un meilleur jugement par les acteurs de l'économie réelle.
Les faits n'ont jamais confirmé ce credo. Après les événements des trois ou quatre dernières années, compte tenu particulièrement de plusieurs années de difficultés en perspective, ce credo semble carrément bizarre. Manifestement, les marchés privés ne sont pas nécessairement efficaces. Les économies de marché ne s'ajustent pas automatiquement pour recréer le plein emploi. Elles peuvent être bloquées longtemps dans des positions qui ne sont pas tout à fait optimales, où elles peuvent ne pas jouer à plein et où elles peuvent provoquer des dégâts sociaux.
Si le régime des cibles d'inflation au Canada coïncide manifestement avec une inflation plus faible et plus stable, comme le document d'information de la Banque du Canada le démontre, cette réussite dépend de l'effet de la stabilité de l'inflation sur l'économie réelle. Je ferai également remarquer que la désinflation et les taux plus faibles et plus stables de l'inflation que nous avons observés au Canada le sont également dans de nombreux pays qui n'ont pas adopté le même régime.
En tout cas, le but final de l'activité économique n'est pas un taux d'inflation faible et stable. Son but est de maximiser l'emploi, la productivité et la production. Le ciblage de l'inflation a-t-il permis de faire mieux? Le document d'information de la Banque du Canada, les propres données de la banque semblent dire que ce n'est pas si évident. D'après le tableau 1 du document, la croissance moyenne du PIB réel a, en fait, été plus lente pendant le régime des cibles d'inflation que sous le régime antérieur. Le taux officiel moyen du chômage a à peine changé. Les taux d'intérêt réels à long terme n'ont pas du tout baissé. On ne lit pas cela dans le tableau, mais la croissance de la productivité au Canada a notablement ralenti sous ce régime. Donc, on peine à distinguer les avantages économiques réels d'une inflation faible et stable, mais je pense que, ces deux ou trois dernières années, nous sommes devenus plus conscients des coûts qu'entraînent l'atteinte et le maintien de l'objectif d'une inflation presque nulle.
Les taux très faibles d'inflation rendent difficiles les ajustements des prix relatifs, y compris de la main-d'oeuvre. Ces ajustements peuvent exiger des réductions des prix nominaux, ce qui est toujours difficile.
Les taux d'inflation très faibles imposent un plancher contraignant à la politique monétaire, parce que les taux d'intérêt ne peuvent pas devenir négatifs. En conséquence, dans un monde où l'objectif est fixé à 2 p. 100, les taux réels d'intérêt ne peuvent pas tomber à moins de moins deux. Mais, en temps de crise, on peut vouloir des taux réels d'intérêt beaucoup plus faibles.
Les taux très faibles d'inflation augmentent le risque de déflation, parce qu'il n'y a pas beaucoup de jeu avant de se trouver en zone d'inflation négative, laquelle peut causer toutes sortes de résultats dangereux et explosifs sur la charge des dettes et les décisions de dépenser.
Un taux très faible d'inflation augmente la dette réelle des consommateurs et des États et il réduit la charge fiscale réelle, résultats également indésirables dans le contexte actuel.
Ces problèmes amènent de plus en plus d'économistes à penser que le taux optimal d'inflation n'est pas de 2 p. 100 et qu'il devrait peut-être être supérieur, aux alentours, peut-être, de 4 ou de 5 p. 100.
Mes propres conclusions sont différentes. Je découvre dans la logique fondamentale du ciblage de l'inflation une incohérence. Il y a des moments où une politique monétaire préventive est nécessaire pour cibler notamment la croissance de l'emploi, augmenter la production et aider l'économie à se sortir de la récession ou même de la dépression. Le fait de fixer à l'inflation un objectif paralyse inutilement la politique monétaire à l'égard de ces cibles.
Je reconnais entièrement que, ces dernières années, la Banque du Canada a appliqué la politique monétaire de façon plus souple que ce que la stratégie des cibles d'inflation, à elle seule, montre. J'applaudis à cette souplesse, qui a été importante pendant la crise actuelle. Dans une certaine mesure, je pense que nous maintenons une fiction polie, qui veut que la Banque du Canada ne se soucie que d'inflation. En réalité, elle s'est souciée de nombreuses choses et elle s'est comportée en conséquence.
Pourquoi ne pas simplement reconnaître que la Banque du Canada a la tâche difficile et nécessaire de trouver un équilibre entre les différentes cibles? L'objectif prééminent devrait être de maximiser la production et l'emploi de façon à favoriser une croissance à long terme et durable de la productivité. Mais cela ne doit pas être fait au détriment, notamment, de la viabilité de l'inflation, de la balance des paiements courants du pays, et de la performance sociale et environnementale.
Le but ultime est de maximiser la production réelle et l'emploi. La Banque du Canada devrait disposer d'un mandat suffisamment diversifié et flexible pour lui permettre de respecter cette priorité.
Merci.
La politique monétaire du Canada influe énormément sur le niveau de vie des Canadiens, et je suis très heureux de pouvoir en discuter avec mes pairs, pour parfois aborder des détails de nature litigieuse.
Je devrais d'abord apporter une précision au sujet de mon affiliation. Je vois qu'il est indiqué que Mario témoigne à titre personnel, et que je représente l'Université McGill. J'ai probablement mal rempli le formulaire. Même si je serais ravi de rapporter le point de vue officiel de l'Université McGill à propos de l'inflation et de la politique monétaire, j'ai l'impression qu'on ne me demandera jamais de le faire. Je devrais donc mentionner que je suis ici à titre personnel seulement.
Le président: Parfait.
Au cas où mes commentaires ne le dénoteraient pas clairement, je précise d'emblée que je vais largement contredire certains des propos de Jim et de Mario, mais pas tous, et peut-être quelques-uns des points abordés par Scott.
Quand il est question de politique monétaire, je crois qu'il est important de reconnaître dès le départ que les banques centrales ne peuvent avoir qu'un modeste impact sur l'économie à long terme. En fait, là où mon opinion diffère de celle Jim et de Mario, et peut-être de celle de Craig, c'est de savoir quel genre d'effet la banque centrale peut avoir sur l'économie à court terme, et quel effet elle peut avoir à long terme, et sur quelles variables.
Je pense que le cadre de ciblage de l'inflation du Canada s'est avéré très efficace. Le régime a été instauré en 1991, comme vous le savez. La cible d’inflation est fixée à 2 p. 100 depuis 1995, et le taux d’inflation n’avait jamais été aussi bas et aussi stable au cours des 30 années précédentes. Je crois que la stabilité de l’inflation contribue à la stabilité de l’économie. Je pense que c’est aussi bon pour la planification. L’efficacité du ciblage de l’inflation dépend largement de la mesure dans laquelle il aide à ancrer les anticipations — des foyers, des entreprises, des participants aux marchés financiers — face aux diverses perturbations qui peuvent secouer notre économie.
Comme vous le savez, la banque et le gouvernement ont récemment annoncé que leur entente serait prolongée de cinq ans, ce qui signifie que nous allons essentiellement conserver le statu quo. Tout compte fait, j’estime que c’était une bonne décision. Permettez-moi donc de défendre le statu quo aujourd’hui, même si la banque et le gouvernement auraient pu adopter une des autres options qu’ils avaient envisagées.
Le ciblage du PIB nominal, comme Scott l’a indiqué, était une option. Scott l’a expliqué, mais un avantage perçu du ciblage du PIB nominal est qu’il offre la marge de manœuvre voulue pour que la banque centrale, la Banque du Canada dans ce cas-ci, puisse détourner son attention de l’inflation, afin de surveiller de plus près la croissance du PIB réel à court terme.
À mon avis, le problème que cela pose, c'est que la banque peut officiellement négliger, si je peux m'exprimer ainsi, différentes combinaisons de la croissance du PIB réel et de l'inflation. La somme de ces deux éléments détermine l'augmentation du PIB nominal. Donc, si la banque met davantage l'accent sur la croissance du PIB réel à court terme, elle doit forcément en mettre moins sur l'inflation. L'inflation sera ainsi fort probablement moins stable, selon moi, au cours du cycle économique.
Le danger, c'est qu'on risque de bousculer les anticipations qui étaient jusque-là bien ancrées. C'est une possibilité qui me préoccupe, car il faut beaucoup de temps avant qu'une politique monétaire arrive à bâtir la crédibilité nécessaire pour établir et ancrer ces anticipations.
Scott a aussi mentionné qu'il était possible de retrouver une tendance inflationniste tout aussi soutenue dans un contexte de ciblage du PIB nominal. C'est vrai, mais dans certaines circonstances. Au Canada, plus qu'aux États-Unis, la population se fait vieillissante. Les États-Unis sont aussi aux prises avec une population vieillissante, mais leur profil démographique est plus favorable que le nôtre. Ici, le taux de croissance du PIB réel sera en chute au cours des 15 prochaines années, simplement à cause du vieillissement de la population et du départ du marché du travail des Canadiens à la retraite. Les autres facteurs demeurant inchangés, cette réalité aura pour effet de ralentir la croissance du PIB.
Si nous devions préférer le ciblage du PIB nominal à partir de maintenant, dans un contexte où la croissance du PIB réel serait en baisse selon la tendance établie, la tendance inflationniste serait quant à elle à la hausse. Je ne vois pas pourquoi il faudrait entrevoir avec optimisme une augmentation des coûts attribuable à une telle inflation.
Une autre option consisterait à cibler le plein emploi. Mario a indiqué tout à l'heure que la banque n'avait pas déployé suffisamment d'efforts pour abaisser le taux de chômage, et Jim a parlé de la façon dont la banque pourrait davantage tenir compte d'autres variables, et pas seulement de l'inflation. Donc, cibler le plein emploi semble être une option intéressante, du moins en surface.
Cependant, la notion de plein emploi est plutôt vague. On aura beau fouiller dans les données publiées un peu partout par Statistique Canada, on ne trouvera pas de mesure du plein emploi. Pourquoi? Parce que ce n'est pas quelque chose de mesurable directement. C'est une notion très utile qu'emploient les économistes pour organiser leurs idées sur le fonctionnement de l'économie, mais elle n'est pas observable dans les données. Seuls nos modèles nous permettent d'étayer les estimations sur le plein emploi, mais les modèles ne font évidemment pas l'unanimité.
Le modèle que Mario va privilégier sera sans doute différent de celui de Jim, du mien, et de celui de Craig. Donc, si nous n'employons pas les mêmes modèles, nous n'arriverons pas aux mêmes estimations de plein emploi. Et si la banque centrale cible une variable dont la mesure ne fait pas l'unanimité, est-ce là un bon départ pour le ciblage de la politique monétaire?
J'aimerais souligner un autre point concernant le ciblage du plein emploi, qui revient à ce que je disais plus tôt au sujet du modeste impact que peut avoir la politique monétaire. Plus le temps passe, plus on reconnaît que les banques centrales ont beaucoup de mal à influencer les variables réelles de façon systématique et à long terme. Le bilan de la banque centrale, son seul instrument, constitue fondamentalement une variable nominale. Il est question de dollars. Il ne fait pas état de variables réelles comme la productivité ou l'emploi. Il est donc difficile pour la banque centrale d'influer sur les variables réelles de façon systématique et soutenue. Il vaut bien mieux qu'elle se concentre sur le contrôle de l'inflation.
Je veux aussi parler de la souplesse de la politique de la banque centrale. Jim l'a mentionné, et je pense qu'il a entièrement raison. Le système actuel offre cette souplesse, que la banque et les économistes appellent « discrétion contrainte ». Si ce terme vous intrigue, nous pourrons y revenir lors de la période de questions.
Merci beaucoup.
C'est un réel plaisir pour moi de pouvoir discuter avec vous de ce sujet extrêmement important.
Le but de la politique monétaire est en définitive la gestion et l'offre de la monnaie et la fixation des taux d'intérêt, de façon à favoriser la croissance économique et l'atteinte du plus haut niveau de vie possible. C'est ce que nous voulons faire. Pour arriver au meilleur niveau de vie possible, il faut aussi arriver le plus près possible du plein emploi.
Je suis d'avis que le mandat central de la Banque du Canada comporte déjà une approche multidimensionnelle, qui vise à établir l'environnement idéal souhaité. Il faut comprendre que la Banque du Canada ne représente qu'un élément du système économique global, et son influence est limitée.
Il existe différents moyens pour atteindre cet objectif. Honnêtement, il faut reconnaître que toutes les options présentent des pour et des contre, et qu'aucune n'est parfaite. Quel était donc le mandat précédent, et en quoi consiste le mandat qui vient tout juste d'être renouvelé? Depuis 1991, la Banque du Canada cible l'inflation. Depuis la fin de 1993, l'inflation se situe à 2 p. 100, le point milieu de la tranche de 1 à 3 p. 100.
Selon la théorie économique, la politique monétaire à court terme peut avoir d'importantes répercussions sur l'économie. Nous avons vu l'effet qu'a eu la diminution des taux d'intérêt sur le marché de l'habitation canadien au début de 2009, qui a permis de stimuler la demande nationale et de réprimer la récession.
À très long terme, la politique monétaire influe principalement sur le niveau des prix. Si on crée un contexte d'inflation faible et stable à long terme, s'étendant sur plusieurs cycles économiques, on devrait constater une croissance économique suivant la tendance à long terme, de même qu'un taux de chômage plus bas et plus stable.
Quels sont les signes? Eh bien, au cours des 20 dernières années, le taux d'inflation moyen s'est maintenu à presque exactement 2 p. 100. La Banque du Canada mérite donc des félicitations pour avoir atteint son objectif à la quasi-perfection sur une période de 20 ans.
Il faut ensuite jeter un coup d'oeil à la croissance économique, qui se situe à 3 p. 100. La plupart des estimations économiques diraient que dans les années 1990, 3 p. 100 était probablement le taux potentiel de croissance, ou la tendance à long terme du taux de croissance. À l'heure actuelle, je crois que le taux tendanciel a diminué, alors nous serions choyés en réalité d'obtenir une croissance de 3 p. 100 de façon soutenue au cours des prochaines années. Ce n'est toutefois pas le résultat de la politique monétaire, mais plutôt du profil démographique et de la productivité. La Banque du Canada ne peut contrôler la productivité. Elle peut simplement favoriser l'investissement en réduisant les taux d'intérêt. On peut conduire un cheval à l'abreuvoir, mais non le forcer à boire.
Nous avons connu de longues périodes à faible taux de chômage au Canada. À un certain moment, le taux de chômage a atteint son plus bas niveau en 30 ans. En fait, cela a même engendré des problèmes pour d'autres secteurs de l'économie. C'est un bouleversement externe à l'économie canadienne qui a entraîné une hausse du taux de chômage au cours des dernières années. L'économie nationale n'était pas du tout en cause, et c'est tout ce que peut influencer une politique économique nationale.
J'estime que le mandat actuel a très bien servi le pays. Pourrions-nous changer la cible? Oui, nous pourrions la réduire. Mais si nous la réduisons, nous allons devoir nous attaquer aux défis liés à la mesure. Quand on s'approche de 1 p. 100, les gens commencent à craindre une déflation, alors peut-être que c'est un peu trop bas. L'augmenter serait, à long terme, réduire le pouvoir d'achat du dollar de façon accélérée. Donc, la cible de 2 p. 100 me paraît très raisonnable.
Maintenant, il faut se demander si un autre modèle pourrait être plus avantageux. Le dernier modèle s'est avéré efficace. Devrions-nous le changer? Je pense qu'il est très raisonnable et sain de renouveler le mandat périodiquement et de discuter du modèle approprié à adopter. Quand je pense aux autres options et à la cible actuelle, une citation de Winston Churchill me vient en tête: « La démocratie est le pire des régimes, si on fait abstraction de tous les autres. »
Pour ce qui est du contexte de ciblage de l'inflation, je pense qu'il existe beaucoup d'autres options. Peut-être que la cible de 2 p. 100 suscitera de nombreuses critiques, mais cela demeure probablement la meilleure solution parmi toutes les autres. Nous pourrions cibler le plein emploi, sauf que nous n'avons pas d'idée précise de ce qui constitue le plein emploi. Les estimations se situent entre 6 et 8 p. 100. Je ne crois pas qu'il soit utile d'avoir une cible qu'on ne peut pas établir clairement.
Je dirais que la Banque du Canada tient compte du taux de chômage dans son processus décisionnel, car elle prend en considération plusieurs autres variables lorsqu'elle établit sa politique monétaire. Une des variables fondamentales qu'elle examine est l'ampleur du ralentissement économique et de l'écart de production, qui reflètent assez bien ce qui se passe sur le marché de l'emploi. Implicitement, le taux de chômage fait partie de la réflexion entourant l'établissement de la politique monétaire à la Banque du Canada, sans pour autant être une cible explicite du taux d'inflation.
En ce qui a trait au ciblage du PIB nominal, je dois avouer que c'est une option intéressante pour la Réserve fédérale américaine. Je ne crois toutefois pas qu'elle soit appropriée pour le Canada. Le principal problème est que l'économie américaine se trouve actuellement dans une trappe à liquidité, et les faibles taux d'intérêt ne parviendront pas à stimuler la croissance économique ni à favoriser une croissance supérieure à la tendance, mais il s'agit d'une situation exceptionnelle. Je ne suis pas convaincu qu'il faille adopter une politique exceptionnelle adaptée à un autre pays comme cible courante pour la politique monétaire canadienne.
Je pense que le ciblage du PIB nominal pourrait s'avérer efficace aux États-Unis pour différentes raisons. Je ne suis pas sûr que nous devrions faire de même, pour bon nombre des raisons données par Chris. Au bout du compte, je ne pense pas qu’il y ait indifférence entre le ciblage d’une croissance du PIB nominal de 4,5 p. 100, ou plutôt d’une inflation de 4,5 p. 100 et d’une croissance réelle nulle d’un côté, et le ciblage d’une inflation de 0 p. 100 et d’une croissance économique réelle de 4,5 p. 100 de l’autre côté. Nous avons ainsi affaire à un défi fonctionnel.
Je pense que le ciblage du niveau des prix offre de nombreux avantages, la Banque du Canada aime beaucoup cette approche. Ma principale réserve à cet égard est que cette option peut engendrer des problèmes de communication. Autrement dit, si on se retrouve avec un taux d'inflation à 1 p. 100 sur une longue période, il faudrait probablement le grimper à 3 p. 100 pendant un certain temps, de façon à le ramener à la cible de 2 p. 100. Là où cela se complique, c'est que lorsque le taux demeure à 3 p. 100 assez longtemps, on risque de faire croire aux médias et aux marchés que nous n'avons pas encore atteint le sommet, et cela pourrait mener au désancrage des anticipations inflationnistes.
Finalement, en ce qui concerne un double mandat, je crois qu'il est beaucoup plus simple de caractériser le rôle de la banque si elle n'a qu'une seule cible. Quand on a deux objectifs et qu'on en perd un de vue, on risque de créer un problème d'inflation.
Merci beaucoup, monsieur Alexander.
Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité, et c'est M. Julian qui va commencer.
J'aimerais simplement rappeler aux députés et aux témoins que chaque intervenant n'aura que cinq minutes par tour, environ. Il serait bien de formuler des questions et des réponses concises pour simplifier les délibérations des membres du comité.
Allez-y, monsieur Julian.
Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier nos témoins de nous avoir autant donné matière à réflexion.
Monsieur Stanford, j'aimerais commencer par vous poser trois questions.
Tout d'abord, les chiffres du mois d'octobre sur l'emploi ne sont pas vraiment encourageants, comme vous le savez. En effet, le Canada a perdu plus de 72 000 emplois à temps plein. Vous avez mentionné les mesures prises par la Banque du Canada, et M. Ragan a parlé de « discrétion restreinte », je crois. J'aimerais savoir ce que vous pensez de la reconduction de l'entente relative à la cible d'inflation entre la Banque du Canada et le gouvernement fédéral. Croyez-vous que c'est une erreur, ou bien que la discrétion restreinte donne à la politique monétaire de la Banque du Canada la souplesse nécessaire pour remédier aux problèmes de chômage qui commencent à poindre au pays?
En deuxième lieu, vous avez souligné dans votre exposé que notre taux d'inflation est aussi stable que celui de certains pays qui ne ciblent pas l'inflation. Est-ce que d'autres pays ont réussi à stabiliser leur taux d'inflation et à mieux cibler l'emploi grâce à leur politique monétaire?
Ma troisième question porte sur la définition du plein emploi, que MM. Ragan et Alexander semblent tous deux avoir du mal à établir. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Merci, monsieur.
Il est vrai que les chiffres du mois passé relatifs à l'emploi étaient particulièrement préoccupants. On ignore toujours s'il s'agissait d'une fluctuation éphémère — ces indices varient parfois d'un mois à l'autre — ou bien d'un signe d'un scénario bien pire. Mais c'est la première fois de l'histoire récente que nous obtenons des chiffres semblables en matière d'emploi sans être en récession, et c'est d'autant plus inquiétant.
Je pense que la Banque du Canada a pris des mesures ambitieuses, souples et musclées pour faire face à la crise. Mais je crois aussi qu'elle s'est trouvée dans l'obligation de poser au moins un geste symbolique — si l'on veut — pour montrer qu'elle cible toujours l'inflation, ce qui est manifestement insensé. Actuellement, l'inflation tendancielle du Canada grimpe à cause du cours des produits de base. Ainsi, le marché du travail n'est pas l'unique responsable, ce qui constitue l'un des problèmes du ciblage de l'inflation.
Par conséquent, je ne pense pas qu'il soit utile de reconduire rapidement le mandat pour cinq années supplémentaires. Je reconnais tout de même la créativité et la souplesse dont a fait preuve la Banque du Canada, et j'espère qu'elle poursuivra sur cette voie.
Le taux d'inflation de bien des pays n'ayant pas adopté de cible officielle a suivi une courbe semblable à celui du Canada. De plus, beaucoup de pays ont obtenu de meilleurs résultats que nous sur le marché de l'emploi. Le taux de chômage de certains pays développés de l'Asie et de l'Europe est demeuré invariablement inférieur au nôtre. Reste à savoir si ce résultat découle d'une politique monétaire différente... Je présume qu'il reflète une foule de mesures économiques.
Je trouve moi aussi qu'il est difficile de définir la notion de plein emploi. Je dirais qu'il en va de même de l'inflation, ce qui n'a pas empêché la Banque du Canada de sélectionner une définition dans le cadre du ciblage de l'inflation et de s'y limiter aux dépens des autres objectifs de la politique monétaire.
En ce qui a trait au calcul de l'inflation, le choix du prix à la consommation par rapport à l'indice implicite du PIB constitue un enjeu empirique et théorique fondamental. Faut-il mesurer tous les éléments, ou bien seulement les éléments fondamentaux? Le principal problème du ciblage de l'inflation en fonction de l'indice des prix à la consommation, c'est qu'on ne tient pas compte de l'inflation du prix des actifs et des dangers que cela comporte. Lorsque la politique monétaire cible exclusivement l'inflation selon l'IPC, les décideurs ne tiennent jamais compte des bulles de prix des actifs tout à fait insoutenables, comme celles qu'ont connu le marché immobilier américain et les actions point-com, même si elles reflétaient manifestement les conditions de crédit. Toute bulle spéculative s'accompagne d'une hausse importante des conditions de crédit, qui constituent une variable monétaire. On pourrait essayer d'éviter ce genre de scénario au moyen de la politique monétaire — ce qui serait loin d'être simple.
Quel que soit l'objectif choisi, il sera difficile à mesurer, et nous devrons tout simplement faire de notre mieux à cet égard. Mais ces difficultés sont également un facteur du ciblage de l'inflation.
Très bien.
J'aimerais poser une petite question à M. Seccareccia. Compte tenu des incertitudes de la situation actuelle, vous avez dit que nous devrions tenir compte d'autres variables, comme l'emploi. Étant donné la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons, croyez-vous que nous avons besoin, aujourd'hui plus que jamais, d'un mandat différent ou d'un autre type d'entente?
Dans son exposé, Jim a dit que la Banque du Canada ne s'est pas véritablement limitée à la cible d'inflation. En avril 2009, par exemple, elle a fixé le taux du financement à un jour à sa limite inférieure, et elle l'y a maintenu jusqu'en juin 2010, ce qui reflète probablement sa grande inquiétude face à la crise. Je dirais qu'elle a pris les mesures appropriées dans ce cas, tout comme la Réserve fédérale américaine le fait actuellement. Dans les faits, même si le mandat de la banque ne vise que le taux d'inflation, elle ne s'y limite pas.
De plus, il est absurde d'affirmer qu'on ne peut définir le plein emploi ou un haut niveau d'emploi. L'inflation pose aussi problème, mais en plus, la banque centrale se préoccupe du taux de chômage à inflation stationnaire depuis 20 ans ou de la croissance possible du PIB. C'est un problème similaire.
Je suis ravie des compétences spécialisées de nos témoins d'aujourd'hui. Leurs témoignages nous confirment que le sujet est loin d'être simple.
Pour commencer, j'aimerais donner l'occasion à M. Ragan de nous en dire un peu plus sur la « discrétion contrainte ».
Merci. Ma réponse se rapporte à ce que Jim et Mario viennent de dire.
Dans le document d'information sur l'entente de la Banque du Canada, vous remarquerez qu'il est question de la souplesse du régime de cibles d'inflation. Même si ce mot était moins fréquent ces dernières années qu'il ne l'est aujourd'hui, le concept a toujours été au coeur du ciblage de l'inflation, selon le document. Je trouve que la souplesse correspond tout à fait à l'engagement conditionnel qu'a pris la Banque du Canada en avril 2009, et que Mario a décrit.
À mes yeux, l'expression « discrétion contrainte » est synonyme de souplesse. La banque vise un objectif très précis, c'est-à-dire maintenir le taux d'inflation à un niveau bas et stable d'environ 2 p. 100; il s'agit de sa contrainte. Parfois, on précise que 2 p. 100 se situe à mi-chemin entre 1 et 3 p. 100, tandis qu'on insiste d'autres fois sur le taux de 2 p. 100, sans mettre en valeur la fourchette. La discrétion, quant à elle, correspond à la marge de manoeuvre de la banque. À la suite d'un choc, peu importe sa force et son origine, la banque exerce sa discrétion ou son discernement, si vous préférez, pour trouver comment revenir à la cible.
En ce qui a trait au ciblage de l'inflation, on a toujours su que les actions des banques centrales n'influencent pas immédiatement l'inflation. Les effets des mesures prises aujourd'hui, par exemple au moyen du taux de financement à un jour, se feront sentir dans trois ou quatre trimestres sur l'emploi, et sur l'inflation, dans six ou huit trimestres. Dans un système de discrétion contrainte, la banque peut donc diminuer ses taux en cas de chocs négatifs ou positifs, comme c'est arrivé en 2008-2009. Dans ce cas, elle a pris un engagement conditionnel, c'est-à-dire qu'elle a promis de maintenir ses taux bas à condition que l'inflation demeure basse. Si celle-ci finissait par grimper, la banque se réservait le droit d'augmenter ses taux, comme elle a fini par le faire.
Lorsque la banque se fixe une cible, mais qu'elle peut encore exercer sa discrétion, l'inflation moyenne devrait correspondre à la cible; c'est ce qui est arrivé. Par contre, l'inflation pourrait dévier de sa cible en fonction des aléas du cycle économique; c'est aussi ce qui s'est passé. Je pense qu'il est important de connaître la discrétion contrainte pour comprendre le régime de cibles d'inflation du Canada.
La banque se soucie bel et bien du PIB réel, ainsi que du taux de chômage. L'estimation de l'écart de production que la Banque publie correspond à la différence entre le PIB réel et le PIB lié au plein emploi. Elle arrive à maintenir le taux d'inflation cible en diminuant l'écart entre la production et le potentiel. C'est en quelque sorte la raison pour laquelle cela fait partie de ses activités.
Je sais que certains arguments soutiennent différentes priorités ou mesures, mais croyez-vous que 2 p. 100 constitue une cible d'inflation adéquate pour les cinq prochaines années? La fourchette de 1 à 3 p. 100 est-elle convenable? Je sais qu'il existe des arguments pour et contre d'autres mesures. Il me semble que M. Alexander s'est dit d'accord à propos de cette cible et cette fourchette.
Y a-t-il des commentaires là-dessus?
Comme je l'ai dit, je pense que le régime de cibles d'inflation ne convient pas, mais quoi qu'il en soit, la cible devrait à mon avis être supérieure compte tenu des données économiques des deux ou trois dernières années, comme l'impossibilité de diminuer les taux d'intérêt sous la barre du zéro, même si l'économie a besoin d'une stimulation accrue. Je crois que dans le cadre du ciblage de l'inflation, il est justifié de fixer une cible plus élevée.
Tout comme Jim, je pense moi aussi que la fourchette devrait être plus large, mais nous devrions également tenir compte d'une autre variable. Aux États-Unis, par exemple, c'est la loi Humphrey-Hawkins de 1978 sur le plein emploi qui prévaut. Encore aujourd'hui, le pays et le gouverneur de la Réserve fédérale américaine sont tenus de suivre ces principes généraux, qui portent notamment sur le chômage. C'est ce que je voulais dire tout à l'heure: il faut élargir la fourchette du taux d'inflation et envisager de fixer des cibles liées à l'emploi.
Je crois qu'il faut conserver le ciblage de l'inflation, et je trouve que 2 p. 100 est raisonnable. Je ne pense vraiment pas que nous devrions augmenter la cible, car je n'y vois aucun avantage véritable ou probable. Nous pourrions toutefois envisager de la diminuer, mais on peut se demander si l'intérêt d'abaisser la cible à 1,5 ou 1 p. 100 l'emporte sur les coûts. Je crois que le débat est légitime, mais il n'y a certainement pas lieu d'augmenter le taux d'inflation ciblé.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie tous de votre participation. C'est très utile.
Monsieur Sumner, vous connaissez bien le blogue de Nick Rowe, qui siège au Conseil de la politique monétaire de l'Institut C.D. Howe. Sur son blogue, M. Rowe a récemment mis en contraste la ligne de tendance de l'IPC et celle du PIB nominal du Canada depuis 2008. D'après vous, si le Canada avait ciblé le PIB nominal plutôt que de maintenir le ciblage de l'inflation, quel aurait été l'effet sur le niveau de chômage canadien?
J'ai justement les données sous les yeux. Il me semble que le Canada aurait même pu faire un peu mieux à l'aide du ciblage de l'inflation. Mais en ciblant le PIB nominal, la Banque du Canada aurait été bien plus ferme au cours des trois dernières années, et nous aurions probablement aujourd'hui un taux de chômage inférieur.
Comme je l'ai dit plus tôt, il n'y a rien de miraculeux là-dedans. Pour l'instant, je pense que les avantages sont probablement plus considérables aux États-Unis et au Royaume-Uni. Mais à la lumière de ces données — j'ai aussi examiné des données sur le marché du travail, comme le revenu —, il me semble qu'une politique monétaire un peu plus expansionniste aurait été profitable au Canada ces trois dernières années.
La Banque d'Angleterre n'a pas réussi à atteindre ses cibles d'inflation, en plus de la faible croissance économique du pays. À la lumière de ce qui se passe là-bas, quels sont les avantages et les inconvénients possibles de cibler le PIB nominal ou bien l'inflation? En période de stagflation, lorsque les taux de chômage et d'inflation sont tous les deux élevés, quels sont généralement les effets de cibler le PIB nominal par rapport aux autres options?
C'est une excellente question. Dans le cas de la Grande-Bretagne, je crois qu'on estime assez généralement qu'il lui faut plus d'impulsion en ce moment. L'économie est très faible et le problème de la Banque d'Angleterre, c'est qu'elle souhaite le faire mais ne veut pas enfreindre son mandat relatif à l'inflation. Elle tourne donc autour du pot, sans réagir aussi énergiquement qu'elle le voudrait, je crois, en raison de son mandat relatif à l'inflation.
Pour ce qui est de la stagflation, la politique monétaire ne peut pas vraiment servir à résoudre les problèmes de croissance à long terme, mais je pense qu'elle peut donner lieu à un meilleur rendement en cas de choc d'offre temporaire ou de problème de productivité. Pour ce qui est de la croissance à long terme, je veux réagir à ce qu'ont dit Chris et David. Il y a problème en cas de changements démographiques. On peut entre autres résoudre ce problème en utilisant le PIB nominal par habitant ou, même, en fonction de la population d'âge actif. Les résultats seront ainsi vraisemblablement meilleurs, car ce qui compte vraiment, c'est la production nominale par travailleur ou travailleur éventuel dans l'économie, et c'est ce dont on veut le plus possible assurer la stabilité.
Quand surgit un problème d'offre dans un contexte de ciblage d'inflation, ce sont les salaires qui accusent le coup de tous les ajustements, et les salaires ne sont généralement pas très flexibles, ce qui entraîne des fluctuations dans l'emploi. Le ciblage du PIB nominal laisse place à une certaine fluctuation de l'inflation, ce qui contribue à assurer l'équilibre du marché de l'emploi. Les résultats seront légèrement meilleurs sur le plan de l'emploi, encore là sans changement à long terme du taux d'inflation.
À cause de tout ce qui se dit à propos de la récession, les gens ont tendance à croire que le ciblage du PIB nominal est une démarche plus expansionniste que le ciblage de l'inflation ou qu'il ouvre la voie à une certaine perte de contrôle de l'inflation, mais je crois que c'est très trompeur. À long terme, le taux d'inflation sera le même. Il est aussi vrai qu'en période de grande prospérité, par exemple quand les États-Unis ont connu une forte croissance de la construction résidentielle, la politique monétaire est alors probablement un peu plus restrictive. Le taux d'inflation à long terme ne changera donc pas, et je dirais que c'est vraiment le taux d'inflation à long terme qu'il faut contrôler, et non pas les fluctuations d'une année à l'autre.
En août, le Canada a connu une croissance du PIB de 0,3 p. 100, dans une grande mesure du fait de la croissance de 2,8 p. 100 du secteur de l'énergie. Le Canada a une économie essentiellement primaire; c'est du moins le cas de certaines régions de notre pays. Les provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan profitent nettement de la croissance du cours des produits de base, mais cela fait grimper les chiffres relatifs à l'inflation, tout en causant la concentration des emplois dans d'autres régions du pays et dans le secteur de la fabrication. À la lumière de cette économie à deux vitesses, de cette économie bifurquée que nous pouvons attribuer aux questions de produits de base, est-il maintenant plus intéressant d'au moins envisager le ciblage du PIB?
Je crois que oui. Les régions du Canada qui sont axées sur la fabrication, comme l'Ontario et d'autres, y trouveraient un coussin plus efficace. J'ajouterai aussi brièvement que le Canada a été un peu chanceux, avec le cours des produits de base des dernières années. Normalement, en période de récession mondiale, le cours des produits de base est bien pire, et je pense que le Canada a mieux fait que les Amériques et la Grande-Bretagne parce qu'il a eu la chance de bénéficier d'un cours des produits de base élevé malgré la léthargie de l'économie des pays développés à l'échelle mondiale.
Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs, d'être venus ce matin.
C'est un débat intéressant, et particulièrement pour le Canada, car il compte une si grande diversité de secteurs et de régions. J'en arrive à ma première question, et je crois que c'est à vous que je vais l'adresser, monsieur Ragan.
Quand vous envisagez un modèle qui vous servira à établir la politique monétaire de l'ensemble du pays, comment tenez-vous compte du fait qu'au pays, certaines régions connaissent une grande prospérité alors que d'autres sont en récession?
Merci. C'est une excellente question, et c'est une constante au Canada.
Nous comptons de nombreux secteurs et de nombreuses régions. Les secteurs sont souvent associés à des régions, et nous devons donc très souvent nous demander s'il serait préférable d'adopter un taux de change flexible, par exemple, puisqu'il s'agit d'un élément important de la politique monétaire canadienne.
Je reviens au dernier commentaire de Scott. Le problème —et je vais m'approprier une expression connue et dire qu'il ne s'agit que d'une vérité qui dérange — c'est que notre économie comporte divers secteurs, diverses régions, et qu'ils subissent des chocs très différents. Le meilleur exemple est celui de l'Ouest, ou même de l'Ouest et de l'Est, qui sont exposés au cours mondial des produits de base, aux prix mondiaux de l'énergie en particulier, et aux producteurs et exportateurs d'énergie de partout dans le monde, alors que le centre du Canada est essentiellement un utilisateur d'énergie. Eh bien, quand les prix mondiaux de l'énergie grimpent, c'est généralement très bon pour les régions et secteurs qui produisent de l'énergie, et c'est tout le contraire pour les secteurs et régions qui en sont les utilisateurs.
C'est un simple fait. La question qui se pose alors, c'est de savoir quel genre de politique monétaire il faut adopter. En ce moment, le système est axé sur le ciblage de l'inflation: nous laissons le taux de change monter et descendre en réponse aux chocs, et il y en a eu, de ces ajustements. À moins d'avoir au Canada de multiples zones monétaires — et personne, d'après moi, ne proposerait cela sérieusement, que ce soit sur le plan politique ou économique —, il faut accepter que nous sommes, en réalité, une fédération qui forme une zone monétaire unique.
Je ne pensais pas que nous aborderions l'Europe, mais ce pourrait très rapidement être le cas.
Nous acceptons que nous formons une zone monétaire unique qui comporte des régions subissant des chocs fort différents, et nous nous arrangeons avec cela. C'est ce que nous faisons. Cela ne veut pas dire que tout se fait sans douleurs et sans ajustements en fonction de ces chocs, mais il y a tout un monde entre la simple reconnaissance de ces chocs et la conviction selon laquelle la politique monétaire peut y changer quelque chose.
Tant que nous aurons une zone monétaire unique appelée le Canada, la Banque du Canada doit appliquer à l'ensemble du Canada une seule et unique politique monétaire. Cette politique a donc tendance à s'appuyer sur les moyennes nationales plutôt que sur les développements régionaux. Je crois que c'est ce qui convient.
Quand nous regardons le rendement du Canada des trois ou quatre dernières années et le modèle que nous avons utilisé et sur lequel nous avons fondé nos décisions pendant la crise de 2008 et par la suite, y a-t-il eu des changements structurels qui vous indiqueraient que nous devons changer quelque chose?
J'aimerais que M. Alexander réponde d'abord à ma question, puis M. Ragan.
Je crois que la Banque du Canada a géré la politique monétaire avec une remarquable efficacité pendant la crise de 2008 et la reprise. Elle a énergiquement relâché la politique monétaire au moment du choc financier. Elle a abaissé les taux d'intérêts à des niveaux encore jamais vus, des niveaux qu'aucun économiste n'aurait pu prévoir cinq ans d'avance. Elle est véritablement sortie des sentiers battus pour réagir au contexte.
L'engagement conditionnel est un bon exemple de mesure qui n'avait jamais été essayée auparavant et qui, je crois, s'est révélée utile. Je crois que c'est l'une des raisons pour lesquelles la réserve fédérale a choisi de suivre la même voie, en cherchant à ancrer les anticipations relatives aux taux d'intérêt, optant pour des taux encore plus bas que ceux qu'elle aurait normalement adoptés dans le but de soutenir l'économie.
Je crois qu'il était sensé de ne pas laisser les taux d'intérêt à zéro. Honnêtement, je crois qu'un taux d'intérêt de 0 p. 100 peut même contribuer aux problèmes des États-Unis, car le système financier ne fonctionne pas comme il se doit avec un tel taux. Quand vous avez un compte chèque portant des intérêts, il faut que vous fassiez des intérêts, sans quoi ce n'est plus un compte chèque portant intérêt. Cela contribue probablement au problème de circulation de la monnaie.
Vous savez, on peut toujours soulever des questions sur ce qui a été fait dans le passé, sachant ce qu'on sait aujourd'hui, mais je crois qu'ils ont fait un travail remarquable avec l'information dont ils disposaient alors.
J'aurais deux choses à ajouter aux propos de Craig.
Premièrement, je crois que les dernières années montrent à quel point la souplesse d'un régime de cibles est importante. Grâce à des anticipations inflationnistes bien établies, la Banque du Canada a pu réagir de manière très énergique. Elle a pu réduire les taux et adopter d'autres mesures créatives sachant que cela n'aurait aucune incidence sur les anticipations.
Deuxièmement, sans parler d'un changement structurel, les banques centrales se sont concentrées davantage sur la stabilité financière au cours des trois ou quatre dernières années qu'il y a huit ans. Cela cadre tout à fait avec un régime de cibles. La souplesse du régime, ou le pouvoir discrétionnaire limité, permet à la banque de se concentrer sur cet aspect.
Chers collègues, j'aimerais que tous ceux qui désirent intervenir puissent le faire. J'apprécierais que vos questions soient plus brèves.
Monsieur Mai.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Seccareccia, vous avez parlé de la cible du plein emploi. Je comprends la thèse selon laquelle une cible unique d'inflation a une incidence positive sur la confiance et la stabilité.
Pourriez-vous nous dire quel serait pour vous le modèle ou la cible qui permettrait aux gens de comprendre ce que la Banque du Canada tente de faire?
Ce n'est pas que la Banque du Canada ne dispose pas d'une cible de chômage implicite. Elle en a une, puisqu'elle croit qu'il existe un TCIS, un taux de chômage à inflation stationnaire. Ce qu'elle veut, c'est de maintenir l'économie à l'intérieur d'une certaine marge de fluctuation, laquelle a empêché le taux de chômage au Canada de baisser sous les 6 p. 100 au cours des 20 dernières années. À cet égard, la Banque du Canada a une cible implicite.
Ce que je dis, c'est qu'il faudrait une cible explicite et que celle-ci soit sous le TCIS. C'est cela qui m'inquiète. Il faudrait aussi élargir cette marge pour permettre au taux de chômage de diminuer, s'il y a bel et bien un TCIS.
À mon avis — et je suis convaincu que certains seront d'accord avec moi —, le travail et la recherche effectués sur ce sujet montrent qu'aucun TCIS ne constitue une constante. Celui-ci varie selon le taux de chômage. C'est la raison pour laquelle le problème s'accentue. La banque centrale croit qu'un taux de chômage qui se situe autour de 6 ou 7 p. 100 empêche le taux d'inflation d'augmenter. Mais d'autres affirment que ce TCIS n'est pas une constante. Donc, selon les données qui existent sur le sujet, la Banque du Canada semble avoir un problème avec sa cible implicite, mais elle n'en parle pas officiellement.
Maintenant, quelle devrait être la cible du chômage? Je suis assez vieux pour me rappeler la mise en place du Conseil économique du Canada, en 1965. Ce dernier a publié des cibles bien précises sur le plein emploi au Canada. Si je ne m'abuse, en 1966, le taux de chômage au Canada s'élevait à 3,5 p. 100 ou moins. Nous savons que le taux de chômage a été de beaucoup inférieur aux 6, 7 ou 8 p. 100 que nous avons connu au cours des 20 dernières années. Ce que je dis, c'est que la banque centrale devrait se demander si le taux de chômage ne devrait pas être beaucoup plus bas que celui qu'elle croit acceptable en raison des tensions inflationnaires liées au TCIS.
Quel devrait être ce taux? Peut-être le 3,5 p. 100 dont je parlais plus tôt. Mais, chose certaine, il devrait être inférieur à 6 p. 100.
Je crois que Mario souligne un problème important dans la façon dont la Banque du Canada évalue le taux de chômage. Elle sait que le chômage existe, elle s'en soucie et elle en tient compte lorsqu'elle prend des décisions. Je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point. Mais, dans un régime de cibles d'inflation, le taux de chômage influence de façon très particulière les décisions de la Banque du Canada.
La banque a sa propre opinion sur la production potentielle de notre économie. Elle n'établit pas, pour ainsi dire, de prévisions relatives à un TCIS, mais il y a un TCIS implicite dans ses prévisions de la production potentielle. La banque croit également que la principale cause de l'inflation, c'est la différence entre la production réelle et la production potentielle, c'est-à-dire une sorte d'inflation par la demande ou par les pressions du marché du travail. C'est ce qui la préoccupe le plus. Elle comprend également que les conséquences de la politique monétaire ne se font sentir que de quatre à huit trimestres plus tard. C'est ainsi qu'elle concrétise sa cible d'inflation. Elle imagine une production potentielle et tente ensuite d'influencer la demande de façon à ne pas dépasser cette production potentielle, évitant ainsi une montée de l'inflation.
Le problème, c'est que cela peut facilement avoir un effet Pygmalion, car si tout le monde comprend ce que la banque tente de faire, les marchés du travail, les anticipations et la capacité du capital réel s'ajustent. Ainsi, le TCIS présumé devient le TCIS réel, pour la simple et bonne raison que nous n'avons pas la capacité de le dépasser.
Si la banque avait deux mandats, c'est-à-dire maintenir un taux d'inflation raisonnable et créer de l'emploi, elle pourrait faire des essais afin de découvrir exactement à quel moment l'inflation montera, car elle tenterait de profiter des conséquences de la création d'emplois.
Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins de s'être présentés.
J'aimerais d'abord m'adresser à M. Alexander. Vous avez dit plus tôt que, en vertu de sa politique de faibles taux d'intérêt, la Banque du Canada a grandement contribué à la reprise économique. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
Lorsque l'on regarde la façon dont la politique monétaire a été ajustée pour réagir à la crise financière de 2008, il ne faut pas oublier que l'économie canadienne se portait bien au moment où cette crise est survenue. En réalité, le Canada a été victime de conséquences économiques externes importantes.
C'est simple: la politique budgétaire et la politique monétaire du Canada n'ont aucune incidence sur les conditions économiques externes. Le Canada est une économie ouverte de petite taille. Plus du tiers de son économie repose sur l'exportation. Nous dépendons beaucoup de ce qui se produit à l'extérieurs du pays.
Lorsque l'économie a connu une forte chute pour ensuite sombrer dans une profonde récession, la politique monétaire a été assouplie de façon musclée. Les taux d'intérêt ont été réduits et le taux du financement à un jour a atteint 0 p. 100.
Cela a eu un impact positif sur la demande intérieure, comme le montre la situation que nous avons connue en mars 2009. À l'époque, le taux de chômage montait rapidement, tout comme la vente de maison. C'était du jamais vu. C'est une des raisons pour lesquelles les prévisionnistes comme moi se sont trompés dans leurs prévisions relatives au marché de l'habitation.
Le crédit d'impôt pour la rénovation domiciliaire a influencé cette situation, car il a encouragé les consommateurs à dépenser. Mais, qu'est-ce qu'on essayait de faire avec la politique budgétaire et la politique monétaire? Lorsque la demande a ralenti dans le secteur privé, on a encouragé les Canadiens à engager des dépenses qu'ils n'auraient pas faites autrement dans un tel contexte économique. Ces décisions ont eu un impact positif sur l'économie et ont limité la sévérité de la récession.
Toutefois, cela pose un autre problème, car l'endettement des ménages a beaucoup augmenté. Mais, une des leçons que nous avons tirées de cette crise, c'est que la politique monétaire doit s'accompagner d'une politique budgétaire et d'une politique de réglementation rigoureuses. Une des principales différences entre le Canada et les États-Unis, c'est que le système financier canadien était mieux réglementer, qu'il a pris moins de risques et qu'il était moins endetté. Donc, je crois que notre politique monétaire a été très payante, même si le fait d'avoir gardé les taux d'intérêt si bas pendant si longtemps a entraîné une augmentation des dépenses des consommateurs et de l'endettement des ménages, un problème auquel nous serons confrontés lorsque les taux d'intérêt remonteront.
Comme je l'ai dit, je crois que la politique budgétaire et la politique monétaire ont toutes deux limité la sévérité de la récession.
D'accord.
Vous avez également mentionné que la Banque du Canada avait fait preuve de créativité. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
Je crois que le meilleur exemple serait la décision de la Banque du Canada de garder les taux d'intérêt bas pour une période déterminée. C'était nouveau, et cela a eu un impact sur les marchés des capitaux.
Un des principaux problèmes, c'est que les banques d'investissement, les courtiers en placement et les spéculateurs réagissent quotidiennement aux données économiques. Si celles-ci sont positives, mais que les marchés se remettent d'une chute récente, ces derniers anticiperont une augmentation des taux et l'intègreront. Ainsi, ils seront fébriles à l'idée que la Banque du Canada puisse augmenter ses taux d'intérêt plus tôt que prévu.
L'engagement pris par la Banque du Canada de maintenir les taux d'intérêt bas a permis de stabiliser les taux à court terme, entraînant à la baisse le rendement des placements à plus long terme. Par exemple, selon moi, cet engagement a aussi permis de limiter la hausse des taux hypothécaires de cinq ans. Cela a donc eu un effet positif sur tous les autres taux.
Le niveau de confiance des entreprises constitue un problème... Il y a une limite à ce que l'on peut faire avec une politique. Le Canada a été victime de conditions économiques externes sérieuses. On ne pouvait rien faire d'autre que tenter d'en limiter l'impact sur notre économie.
Merci, monsieur le président. Il est intéressant de constater le ton de la discussion à cette extrémité de la table. J'aime ça.
Il y a de nombreuses années, dans les années 1980, je siégeais au comité du conseil syndical local sur le plein emploi. D'un point de vue syndical, si j'avais dit à l'époque à un travailleur en chômage que 3, 4 ou 5 p. 100 constituaient le plein emploi, je vous fait grâce de la réaction qu'il aurait eue, mais ça n'aurait pas été joli. À mon avis, l'utilisation du terme « plein emploi » dans ce contexte est une erreur, car dans la tête des gens, cela signifie que tous ceux qui sont aptes à travailler ont un emploi. C'est loin d'être le cas. Comme l'a souligné Mario, on a fini par accepter que 7 et 8 p. 100 constituaient le plein emploi, ce qui est un problème.
L'autre chose, c'est que... Je suis tout à fait d'accord avec la cible d'inflation. Je suis un de ceux qui a vécu la montée vertigineuse du taux d'intérêt de 10,25 p. 100 à 21,75 p. 100 dans les années 1980. Donc, je ne m'en plaindrai certes pas.
Kevin Page est venu témoigner devant le comité récemment. Il a dit que le gouvernement estimait avoir créé 600 000 nouveaux emplois nets. D'accord, sauf que c'est encore 300 000 travailleurs de moins qu'avant la récession. Nous avons appris aujourd'hui — je crois que c'est M. Stanford qui nous a fourni cette information — que près de 70 000 travailleurs avaient perdu leur emploi selon les dernières données recueillies. On prévoyait créer 100 000 emplois cette année, et nous en avons déjà perdu 70 000. Nous sommes aux prises avec un problème très sérieux.
Je voulais simplement apporter ces quelques précisions. Maintenant, ma question: La cible d'inflation limite-t-elle la capacité de la Banque du Canada à réagir à la crise économique mondiale?
Monsieur Stanford, voulez-vous répondre? Avons-nous tiré les leçons de cette crise? La banque a-t-elle changé sa façon de faire ou doit-elle changer sa façon de faire?
Premièrement, monsieur Marston, vous avez raison de dire que nous avons un sérieux problème. Bien que la politique monétaire et la politique budgétaire du Canada aient été des outils extrêmement importants au début de la crise, fin 2008 début 2009, nous faisons du surplace depuis le printemps 2010. Ni le taux d'emploi, ni le revenu par habitant n'ont continué de progresser. Les gouvernements et les consommateurs ont tous deux atteint leur limite en matière d'achats à crédit. Le secteur des affaires n'a pas pris la relève comme il aurait dû. Sans rien enlever aux efforts de stimulation du gouvernement, nous avons encore un problème. Nous ne sommes pas encore sortis de l'auberge. Nous aurons encore besoin d'aide.
En ce qui concerne le régime de cibles, celui-ci a clairement limité la capacité de la Banque du Canada à réagir, car le taux d'inflation était déjà bas au moment où la crise a sévi. Donc, nous avons rapidement atteint 0 p. 100. Si la cible d'inflation et le taux d'inflation avaient été plus élevés ou si nous n'avions pas eu de cibles, la banque aurait eu une plus grande marge de manoeuvre. Un des arguments les plus percutants contre la cible de 2 p. 100, si ce n'est contre une cible de façon générale, c'est le problème qui survient lorsque les taux d'intérêt atteignent 0 p. 100.
Je crois que c'est le point que M. Sumner soulevait. Si la cible avait été un taux de PIB au lieu d'un taux d'inflation, la banque aurait pu réagir de manière plus énergique. Cela dit, je crois que celle-ci a fait preuve de beaucoup de créativité et qu'elle croyait en ce qu'elle faisait. Je ne pense pas que la cible d'inflation l'a aidée, même que c'est probablement le contraire.
D'abord, nous ne savons pas où se situe le plein emploi. Il y aura toujours du chômage de transition. Lorsque le taux de chômage en Alberta est tombé à 4 p. 100 et qu'il se situait entre 3 et 4 p. 100 à Calgary, c'était déjà le plein emploi, car on donnait des primes à la signature pour embaucher dans les Tim Hortons et les McDonald. C'est ce qu'on a pu observer. Le taux de chômage très bas, situé entre 3 et 4 p. 100, a causé des problèmes exceptionnels sur le marché du travail.
En effet. On constate donc que le plein emploi ne se traduit pas par un taux de chômage de 0 p. 100. Mais soyons très clairs: nous ne savons pas quel taux correspondrait au plein emploi. C'est peut-être entre 6 et 8 p. 100 ou entre 5 p. 100 et quelque chose d'autre.
Concernant la politique monétaire de la Banque du Canada, il faut aussi se demander dans quelle mesure l'économie se porterait mieux si les taux d'intérêt étaient plus bas. Les consommateurs ont atteint leur limite d'endettement. Le problème du point de vue des affaires, ce n'est pas le coût de l'emprunt. C'est la volonté de dépenser et d'investir, parce qu'on nage dans les surplus.
Merci, monsieur le président.
Je pense que vous serez tous d'accord pour dire que les choses ont changé du tout au tout dans les années 1960. À l'époque, seul un des deux parents gagnait un salaire. Les femmes d'aujourd'hui ont en moyenne 1,7 enfant par rapport à je ne sais trop combien dans ce temps-là, et la population est vieillissante. Les choses ont changé.
Par contre, on a dit que le taux d'inflation parfait était 1 p. 100, mais n'êtes-vous pas d'accord pour dire que le taux parfait se situe à 0 p. 100? Bon nombre de problèmes ne sont-ils pas causés par le fait que les décisions reposent sur des forces extérieures au marché? Par exemple, nous intervenons beaucoup de nos jours, que ce soit une bonne chose ou non. Nous nous occupons de la production d'énergie, qui ne dépend plus des forces du marché. On pourrait aussi parler du salaire minimum. Toutes ces questions sont de nature sociale. Nous avons mélangé toutes sortes de choses différentes. Par conséquent, ce qui devrait être un sujet très simple, l'économie, est maintenant devenu un des sujets les plus complexes qui soient.
Je dois dire que, plus je vous écoute, plus les choses deviennent compliquées. Je me souviens d'avoir lu le livre Paper Money de Goodman. Il y disait que seulement quelques sénateurs et un ou deux membres du Congrès comprenaient les politiques de prêts entre les banques. Je ne sais pas si les choses vont si mal de nos jours, mais c'est bel et bien compliqué.
N'êtes-vous pas d'accord pour dire que bien des problèmes sont causés par le fait que nous avons mélangé toutes sortes de choses différentes qui ne relèvent pas de l'économie, au sens classique? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Votre observation reste très générale.
Si vous permettez, la cible idéale est peut-être de 0 p. 100, mais le problème, c'est que l'inflation fluctue. Il faudrait aussi s'occuper de la déflation, qui est extrêmement dommageable, parce que...
Mais nous avons ce qu'il faut. Voici où je veux en venir: nous discutons du bien-fondé de la politique, alors qu'elle me semble être la meilleure dans ce monde imparfait.
Dans un monde parfait où la stabilité serait totale, l'inflation pourrait se situer à 0 p. 100. Mais dans le contexte d'aujourd'hui, on ne peut pas cibler une inflation de 0 p. 100, parce qu'elle pourrait entraîner la déflation et causer des dégâts. C'est pourquoi j'ai dit que, si on établit la cible à 1 p. 100, on court un risque, en raison de certaines imperfections dans la mesure de l'inflation. On pourrait engendrer un climat déflationniste.
Pour ce qui est de votre autre observation, l'économie, ce n'est pas sorcier selon moi. En fait, je pense que c'est assez simple.
Une partie du problème, c'est les termes que nous employons. Nous parlons malheureusement de plein emploi et de taux de chômage à inflation stationnaire. Ce dont il est vraiment question, c'est la stabilisation des prix pour connaître une croissance économique et améliorer le niveau de vie des Canadiens.
Vous avez raison, la politique monétaire ne fonctionne pas en vase clos. En fait, la politique fiscale est très importante pour établir la structure et favoriser la compétitivité de l'économie. La structure de l'économie compte beaucoup. La politique monétaire peut seulement influencer les taux d'intérêt ou la masse monétaire et leur impact sur l'économie intérieure. À mon avis, les gens estiment à tort que la Banque du Canada peut microgérer l'économie. De même, les investisseurs et bien des gens pensent que le gouvernement a un meilleur contrôle sur le taux de change qu'il n'en aura jamais.
L'inflation de 0 p. 100 présente un grand avantage: l'argent conserve sa valeur. Je m'inquiète moins que Craig de la déflation suivie par l'inflation. Ma préoccupation, c'est que la cible d'inflation de 0 p. 100 peut entraîner des conséquences, comme l'incapacité du marché du travail de s'adapter. Les économistes se demandent à juste titre s'il y a des avantages nets à faire passer la cible d'inflation de 2 à 1 p. 100 et de 1 à 0 p. 100, mais il est clair que l'inflation de 0 p. 100 présente un avantage brut. Cela dit, il faut déterminer si des désavantages annulent cet avantage.
Je vais en rester là.
Je voudrais faire remarquer à l'ensemble des intervenants que la Banque du Canada a plusieurs munitions, notamment le taux de change, la valeur du dollar canadien, le contrôle de l'inflation à 2 p. 100 et les droits de tirage spéciaux.
Je crois qu'il y a un problème de traduction simultanée.
[Traduction]
[Français]
Il semble bien que la Banque du Canada ait quelques munitions à sa disposition, c'est-à-dire le taux de change, le contrôle de l'inflation et les droits de tirage spéciaux.
Elle agit dans un pays qui est immense sur le plan géographique, mais qui l'est encore davantage sur le plan économique. Il y a de grandes disparités économiques régionales, des économies différentes. De plus, on fait face à un manque d'investissements majeur alors que, paradoxalement, 500 milliards de dollars en crédit sont immobilisés.
On souffre aussi de ce qu'on peut appeler le syndrome hollandais. Le syndrome hollandais est, essentiellement, ce qui se passe quand un pays qui exporte des richesses naturelles, comme le pétrole, connaît une baisse massive de son emploi industriel. Il y a aussi l'influence des pays étrangers.
Quand on considère l'ensemble de ces éléments, on peut toujours expliquer le contrôle de l'inflation à 2 p. 100. Cependant, avec un contrôle de l'inflation à 2 p. 100, comment peut-on faire face au syndrome hollandais? Comment peut-on faire face au manque d'investissements et aux disparités économiques régionales?
Je ne suis pas satisfait de ce que vous me dites, car vous expliquez ce que vous faites présentement, alors que je veux savoir dans quelle direction ira l'économie canadienne dans 10 ans ou 15 ans. Le gouverneur de la Banque du Canada nous a dit d'oublier le marché américain et d'aller voir ailleurs. Pour moi, c'est un problème.
Dans 15 ans, quelle sera l'économie canadienne si nous continuons de perdre nos emplois industriels au rythme de 35 000 postes par mois? C'est ma question. Comment le Canada pourra-t-il conserver son statut de pays industriel prospère? Je ne veux pas d'un modèle iranien ou d'un modèle saoudien.
Qu'est-ce qu'on fait pour que le Canada conserve son statut de pays industriel pendant les 15 prochaines années, s'il se contente d'un contrôle quotidien de l'inflation à 2 p. 100?
Ces questions s'adressent à l'ensemble des intervenants.
[Traduction]
[Français]
Je vous remercie de vos questions. Je vais y répondre brièvement.
Tout d'abord, je connais très bien le syndrome hollandais. En fait, on a un problème, celui d'un taux de change flexible qui réagit fondamentalement à ce qui se passe, puisque le dollar canadien est devenu une sorte de devise pétrolière, comme c'est le cas en Arabie Saoudite. Cela est dû au succès de l'accroissement de nos exportations, non seulement de matière brute en général, mais du pétrole en particulier.
C'est un problème très spécifique, mais je ne crois pas que la politique monétaire puisse vraiment faire quelque chose directement. Sinon, une autre possibilité serait de chercher à contrôler le taux de change simplement pour essayer, dans la mesure du possible, de nous rendre plus concurrentiels, au chapitre de l'industrie manufacturière, dans ce cas. On pourrait peut-être jouer là-dessus, mais ça pourrait aussi créer d'autres problèmes.
D'ailleurs, si on prend l'exemple d'autres pays qui ont eu des taux de change fixes — ce n'est pas le cas en Europe présentement, mais, historiquement, cela a déjà été le cas —, on peut voir qu'il y a eu des crises particulières. Selon moi, ce n'est pas la voie qui nous permettra de sortir du marasme auquel fait face l'industrie manufacturière. On devrait d'abord agir du côté fiscal.
[Traduction]
C'est inhabituel, mais je suis d'accord avec Mario. Nous devons relever bien des défis, et la plupart ne concernent pas la politique monétaire. Il faut comprendre que cette politique est un outil radical qui ne peut pas servir à régler un grand nombre de problèmes. La politique monétaire peut seulement influencer les prix à long terme. Je suis d'accord avec Mario sur tout ce qu'il a dit.
... un des principaux problèmes qui se posent actuellement selon moi, c'est que, même si les entreprises ont tout avantage à investir et à prendre de l'expansion, la confiance fait défaut. Le manque de confiance s'explique par le climat extérieur et par les préoccupations sur la crise des banques européennes et l'économie américaine.
Les compagnies ont la capacité d'investir et d'embaucher des travailleurs au Canada. Le vrai problème, c'est qu'il faut de la confiance et qu'elle fera défaut jusqu'à ce que les choses se clarifient concernant les risques externes sur lesquels nous n'avons aucun contrôle.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Merci de votre présence aujourd'hui.
Tout d'abord, je veux simplement faire un commentaire sur ce qu'a dit M. Seccareccia. Je ne suis pas d'accord avec vous. Notre économie connaît du succès grâce au pétrole, mais c'est aussi grâce aux sables bitumineux de ma circonscription, à l'innovation et aux brevets. On enregistre plus de brevets dans ma région que dans toutes les autres régions du Canada réunies.
C'est donc une question de persévérance et de travail acharné concernant une ressource de production; on ne parle pas seulement d'extraction comme cela se fait en Arabie saoudite. Je pense que c'est très différent. Notre production coûte de 10 à 15 fois plus cher qu'en Arabie saoudite. Selon moi, c'est une question de persévérance des Canadiens et c'est un franc succès.
Je veux poser une question sur le régime de cibles d'inflation, compte tenu des deux choses.
Tout d'abord, quelle politique fiscale pouvons-nous adopter pour réduire la dette des Canadiens? C'est bien sûr sans parler de la hausse des taux d'intérêt, qui encourage les gens à rembourser leurs dettes plus rapidement, mais qui augmente évidemment les sommes à rembourser.
Ensuite, l'adoption d'une politique fiscale pour équilibrer... Je viens de Fort McMurray et, s'il y a 3 p. 100 de chômeurs, je ne peux pas les trouver. Il y a des différences régionales partout au Canada sur les plans de la fiscalité et du chômage. Compte tenu de ces différences, comment peut-on établir une politique fiscale, surtout concernant le régime de cibles d'inflation?
En Saskatchewan, d'où vient M. Hoback, et en Alberta, d'où je viens, nous n'avons pas de problèmes de chômage. C'est presque impossible de trouver des travailleurs. Je dirige des entreprises en Alberta depuis 30 ans et je vous assure que les primes comme celles que je dois accorder — environ 10 000 $ pour garder un employé de lave-auto — rendent les choses très pénibles. Concernant le régime de cibles d'inflation de la Banque du Canada, comment pouvons-nous équilibrer la politique fiscale?
Très brièvement, j'ai simplement parlé de l'Arabie saoudite et de ce genre de chose, puisque le dollar canadien est devenu en grande partie une devise pétrolière. Bien sûr, je n'entends pas par là que la transformation du pétrole au Canada s'apparente à celle en Arabie saoudite.
Concernant la politique fiscale, je suis toutefois un de ceux qui croient vraiment aux finances fonctionnelles. Le principe, c'est qu'il faut laisser les autorités fiscales accumuler un déficit lorsque nous tombons en récession et lorsque la croissance ralentit...
Oui, sauf les dernières mesures. Depuis 2010...
M. Brian Jean: Je comprends. Ma question porte...
M. Mario Seccareccia: Ce que le gouvernement a fait tout de suite après...
Veuillez m'excuser. Je cherche des suggestions pour la politique fiscale compte tenu de ces deux choses et mon temps est limité. Donc, si vous permettez... ?
Très brièvement, je viens de répondre à la question sur les mesures que nous devons prendre pour réduire la dette. Je pense qu'il faut fixer les taux d'intérêt pour toute l'économie. Les préoccupations ne portent pas sur la dette des entreprises, mais sur celle des consommateurs.
La croissance de la dette des consommateurs concerne en grande partie l'immobilier. Le ratio dette-revenu au Canada est maintenant supérieur à celui aux États-Unis, soit 147 p. 100 par rapport à 146 p. 100. Selon mes calculs, si le gouvernement n'avait pas resserré les règles d'assurance hypothécaire, notre ratio dette-revenu serait de 160 p. 100. Nous aurions atteint le même niveau record qu'ont connu les États-Unis.
À mon avis, si l'endettement des ménages accélérait, il faudrait examiner si nous devons resserrer encore les règles d'assurance hypothécaire pour réduire l'endettement. Je pense que, si les consommateurs contractent trop de dettes à cause de taux d'intérêt qui restent bas, nous devrons envisager une telle solution.
Cependant, étant donné qu'il y a tellement d'incertitude en Europe et aux États-Unis, je ne recommande pas une telle option dans le contexte actuel. Cette solution pourrait causer un nouveau choc externe. Mais on pourrait recourir à des politiques pourvu que les risques externes ne se concrétisent pas.
Lorsque vous avez parlé de la politique fiscale pour réduire la dette, je n'étais pas sûr de savoir à qui appartenait la dette.
Merci, monsieur le président.
Bienvenue à tous les témoins.
Je plains M. Summer, en quelque sorte. Il n'a pas vraiment eu l'occasion de répondre.
Oui, je vous vois. Merci d'être des nôtres, monsieur.
Je vais poser une question à M. Ragan. De temps à autre, nous entendons un témoin qui laisse une impression durable ou qui dit quelque chose qui reste. Vous avez parlé « d'ancrer les anticipations » et dit qu'en définitive, c'était la clé pour relancer notre économie et maintenir l'avantage fiscal du Canada dont nous profitons maintenant. Vous avez dit qu'il fallait conserver cet avantage. M. Alexander en a aussi parlé concernant la confiance.
J'aimerais savoir ce que vous entendez exactement par l'ancrage des anticipations. Dans quelle mesure est-ce important de les ancrer, si nous devions encore subir les conséquences de ce qui se passe en Europe et aux États-Unis?
Merci. C'est une excellente question.
Je crois que s'il est une chose que les économistes et ceux qui élaborent les politiques monétaires ont apprise au cours des 30 dernières années, c'est que pour garder le cap sur la cible de l'inflation, quelle qu'elle soit, il importe de maintenir les anticipations bien ancrées. Voilà pourquoi la communication de la politique monétaire importe tant.
Si on observe l'évolution de la politique monétaire du Canada ou d'autres pays, on constate que la communication, autrefois sciemment obscure, est maintenant intentionnellement transparente. Les économistes s'efforcent d'énoncer très clairement leurs objectifs et les mesures qu'ils prendront pour les atteindre.
Quand j'indique que les anticipations sont ancrées, c'est que comme vous pouvez le voir en examinant les données des enquêtes sur l'inflation à ce sujet, ces anticipations ne semblent pas évoluer beaucoup à la suite de chocs. Si un choc positif ou négatif considérable survient dans l'économie, les anticipations d'inflation pour les deux à cinq prochaines années ne sont pas parfaitement constantes, mais elles demeurent remarquablement stables, plus qu'elles ne l'ont été par le passé ou qu'elles ne le sont dans des pays qui n'ont pas établi de cible de l'inflation. Voilà l'un des grands avantages du ciblage de l'inflation.
Comme je l'ai déjà indiqué, je crois, l'établissement d'anticipations ancrées est fort avantageux, car si un choc survient et que la banque centrale veut réagir énergiquement, elle peut le faire tout en conservant sa crédibilité quant aux engagements pris à l'égard de sa cible. Ceux qui sont sur les marchés financiers croient que l'on reprendra le chemin de la cible; c'est pourquoi les anticipations ne changent pas. La banque centrale dispose ainsi de la marge de manoeuvre nécessaire à court terme pour prendre des mesures plus énergiques qu'elle pourrait le faire autrement.
Vous évoquez l'avantage fiscal. Or, je crois que les anticipations jouent un rôle à cet égard également. Je ne crois pas que nous voulions nous engager dans un débat sur la pertinence de notre orientation fiscale — j'en doute —, mais je n'en pense pas moins que les anticipations jouent un rôle prépondérant dans ce domaine. Dans des situations extrêmes comme celles qu'on observe dans certaines régions d'Europe, ce sont elles qui sont au coeur de la tourmente fiscale.
Je vous ai aiguillé dans cette direction parce que je vais maintenant vous demander d'établir une comparaison. Si on envisage de cibler plutôt le PIB nominal, comme le propose M. Sumner, ou le plein emploi, quels effets cette démarche peut-elle avoir sur l'ancrage des anticipations?A-t-elle une incidence quelconque?
Merci. Je suis heureux d'aborder cette question.
Selon moi, pour solidement ancrer des anticipations inflationnistes, il faut fixer un objectif très simple et facile à comprendre. Aujourd'hui, et depuis 20 ans, cet objectif est on ne peut plus clair: on vise une inflation de 2 p. 100, point final. On utilisait l'inflation globale pour évaluer la situation. La banque recourt à l'inflation mesurée par l'indice de référence afin d'établir les faits à court terme, mais il est absolument clair que la cible est de 2 p. 100. Si on cible le revenu nominal, cette clarté disparaîtrait. Il y aurait une cible pour le PIB nominal...
... mais il n'y aurait plus de cible pour l'inflation ou le PIB réel. Ce serait la somme des deux.
Pour ce qui est de cibler le plein emploi, comme Mario l'a fait remarquer avec justesse, nos mesures du plein emploi ou du taux de chômage à inflation stationnaire évoluent au fil du temps, c'est bien évident. Une foule de variables réelles changent avec le temps, en fonction de l'évolution des politiques relatives au marché du travail, de la croissance de la productivité, de la technologie, etc.
Le fait que tous ces facteurs fluctuent avec les années signifie-il que la banque centrale doit revoir sa cible? Si c'était le cas, ce ne serait pas une mince tâche que de communiquer un tel changement. Pour ma part, je considère qu'il y a un grand avantage. Si l'on accepte qu'il importe d'ancrer les anticipations, il n'y a qu'un petit pas à accomplir pour adhérer à l'idée que le ciblage de l'inflation est tout aussi pertinent, en raison de la simplicité des communications.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
La discussion est fort intéressante. Étant originaire de la Colombie-Britannique, je trouve souvent que les débats que nous tenons ici, à Ottawa, sont déconnectés de la réalité des citoyens et des collectivités des diverses régions du pays. La réalité, c'est que les chiffes sur la situation de l'emploi en octobre dont nous avons parlé plus tôt sont passablement catastrophiques. Le secteur manufacturier a perdu quantité de bons emplois — et je sais que M. Stanford en est conscient — et près d'un demi-million de postes ont disparu au cours des dernières années. À peine 200 000 nouveaux emplois ont été créés, malgré le fait que le marché du travail a pris beaucoup d'expansion depuis mai 2008. En moyenne, ces nouveaux emplois paient environ 10 000 $ de moins que ceux qu'ils remplacent. Bien des familles de ma région ont vraiment de la difficulté à arriver en raison de leur niveau d'endettement et de l'inégalité de revenus croissante qui touche le pays.
J'aimerais demander à M. Stanford et M. Seccareccia s'ils jugent que la politique monétaire peut contribuer à résoudre certains de ces problèmes ou s'il s'agit avant tout d'un échec fiscal, les gouvernements n'ayant pas instauré des politiques fiscales pour régler les problèmes que vivent les gens de la classe moyenne.
Je pourrais peut-répondre brièvement.
Il va sans dire que je considère que c'est surtout un problème de politique fiscale. Comment peut-on réussir à atteindre un niveau de revenu permettant de réduire sa dette? Dans l'environnement actuel, un ménage devrait, rendu à ce point, réduire quelque peu son endettement. Mais comme je l'ai souligné, c'est surtout une question fiscale. Il faut déterminer comment on veut générer des revenus pour les particuliers, et c'est en passant par une politique fiscale que l'on peut intervenir en période de récession, comme nous l'avons vu ces derniers temps.
Cela dit, je considère que la politique monétaire a également un rôle à jouer. Il est assez intéressant que nous ayons mis l'accent sur l'importance d'ancrer des anticipations par rapport à l'inflation, alors qu'au bout du compte, nous devrions tenter d'en faire autant pour l'emploi. C'est, après tout, ce qui intéresse les ménages quand il est question de leur situation financière. Comment se fait-il que nous nous préoccupions tant d'une question qui n'est pas si importante aux yeux de ceux qui s'efforcent de joindre les deux bouts ou qui perdent leur emploi? Il y a de plus en plus de gens dans cette situation, comme on peut le constater.
Là où je veux en venir, c'est que la politique monétaire a un rôle à jouer, mais cela devrait être au sujet des questions d'emploi ou de chômage. Ce sont ces questions qui devraient primer, directement et officiellement, au lieu d'être simplement implicites. À ce sujet, je crois qu'il y a quelque chose, mais c'est une facette macroéconomique, en quelque sorte. La politique fiscale pourrait nous aider à intervenir auprès des particuliers en nous permettant de fournir des transferts à ceux qui sont, dans un certain sens, dans le besoin, et de créer des emplois en appliquant des mesures fiscales ici, comme nous l'avons fait il y a quelques années grâce aux mesures de stimulation économique.
Merci.
Selon moi, la politique monétaire a vraiment accru les inégalités sociales en visant explicitement la maîtrise de l'inflation. Pareille mesure a pour effet de gonfler la valeur réelle de la richesse, comme Chris l'a expliqué, au détriment des efforts déployés pour atteindre le plein emploi afin de permettre au travailleur moyen, même celui qui travaille dans un Tim Hortons, d'atteindre un meilleur niveau de vie. À Fort McMurray, les employés de Tim Hortons ont une chance d'y parvenir, mais la Banque du Canada veille à ce que cela ne se produise que dans quelques petites régions isolées.
Voilà pourquoi la part salariale dans le revenu national régresse à long terme, pas seulement en raison du ciblage de l'inflation, mais du fait que la priorité passe en quelque sorte à la maîtrise de l'inflation. Cette part a diminué. Le pourcentage du revenu qui va dans les poches des nantis s'est accru, comme l'illustre l'écart grandissant entre les revenus personnels dans la société. Si nous voulons corriger la situation, les transferts fiscaux sont effectivement importants, mais nous devons également donner aux citoyens une chance raisonnable de trouver un emploi et de gagner un revenu plus élevé.
Je vous remercie.
Merci, M. Julian.
Je voulais aborder deux questions. Tout d'abord, M. Alexander a proposé d'abandonner le ciblage de l'inflation au profit d'autres modèles. Je m'inquiète des répercussions d'une telle mesure sur le pouvoir d'achat, les économies et les revenus des particuliers.
Monsieur Alexander, il s'agit de votre proposition, mais peut-être laisserais-je M. Stanford... C'est ce qui me préoccupe le plus si nous abandonnons le modèle actuel. Évidemment, il faut également se préoccuper des gens qui gagnent un revenu fixe. Pourriez-vous nous expliquer ce qui arriverait au pouvoir d'achat des particuliers si nous abandonnions le modèle actuel?
Tout d'abord, de la panoplie de risques qui menacent le pouvoir d'achat réel dont disposent les Canadiens avec leurs économies, je considère que l'instabilité du taux d'inflation se situe loin derrière la situation des marchés financiers et la valeur des actifs.
Mais ce qui compte davantage, c'est de savoir d'où les Canadiens tirent leurs économies. La plupart d'entre nous occupons un emploi suffisamment bien rémunéré pour nous permettre de payer les factures et de se constituer un petit pactole. Il me semble donc qu'il est plus important de réduire le chômage —et d'augmenter ainsi les revenus d'emploi —pour aider les Canadiens à épargner, puisqu'ils ont plus d'argent à la banque.
De plus, les taux d'intérêt nominaux vont augmenter si le taux d'inflation global le fait aussi, ce qui peut être avantageux.
D'accord.
Monsieur Alexander, voulez-vous répondre brièvement? J'aborderai ensuite mon deuxième point.
Je suppose qu'on en revient aux répercussions qu'aurait une politique monétaire plus favorable que celle que nous avons actuellement. Cette dernière a déjà un effet très stimulant. Une intervention à cet égard pourrait fouetter la croissance économique dans une certaine mesure, mais aurait également pour effet de faire augmenter bien plus rapidement le prix des maisons et la dette des ménages. Nous nous retrouverions donc avec un déséquilibre encore plus grand au chapitre de la dette des ménages, que nous devrions régler dans l'avenir.
Comme l'a montré la situation aux États-Unis, ce ne serait pas prudent d'agir de la sorte.
D'accord.
J'aimerais également aborder avec M. Sumner la question du ciblage du PIB nominal, car vous avez également parlé du taux d'inflation à long terme. Vous avez indiqué que vous pourriez résoudre ces deux questions. J'aimerais bien que ce soit vrai, mais j'avoue que je doute qu'on puisse cibler le PIB nominal tout en s'attaquant au taux d'inflation à long terme.
Pourriez-vous m'expliquer comment vous réussiriez à faire les deux? Il me semble que si vous changez de modèle, vous laissez tomber le ciblage de l'inflation. Je ne suis pas certain de voir comment vous pourriez faire les deux si vous adoptez le modèle de ciblage du PIB nominal.
La croissance du PIB nominal est évidemment la somme de l'inflation et de la croissance du PIB réel. Dans la plupart des pays, y compris les États-Unis et le Canada, la croissance du PIB réel est demeurée remarquablement stable pendant de longues périodes. Bien entendu, il varie en fonction des cycles économiques.
Si, par exemple, nous ciblons un PIB nominal de 5 p. 100, la croissance réelle serait d'environ 3 p. 100 et l'inflation, d'environ 2 p. 100 pendant plusieurs décennies, voire un siècle. On peut rectifier le tir en fonction des données démographiques, mais je n'entrerai pas dans les détails.
Sachez toutefois que si ce mécanisme ne fonctionnait pas parfaitement, cette souplesse pourrait vraiment nous aider dans certaines situations. Le Canada pourrait à cet égard s'inspirer de l'Australie. Selon les critères stricts de ciblage de l'inflation, ce pays n'a pas fait aussi bonne figure que le Canada, mais il a ainsi pu conserver une plus grande souplesse et évité le piège de la liquidité, en partie parce que son inflation était légèrement supérieure à la croissance du PIB nominal.
Pourtant, l'Australie serait quand même considéré comme un pays affichant un assez bon rendement au chapitre de la stabilité des prix et a presque complètement échappé à la récession cette fois-ci. Il existe évidement des différences entre nos deux pays, mais je voulais vous donner un exemple de pays assez semblable au Canada quant à la composition de son industrie, lequel a aussi réussi à mieux s'en tirer en étant un peu plus énergique concernant la croissance du PIB nominal pendant la dernière récession.
Mais à long terme, la croissance du PIB réel est remarquablement stable, et si le paysage démographique évolue, on peut adapter le modèle en conséquence. En agissant ainsi, on verra l'inflation fluctuer d'une année à l'autre, mais on se tiendra très près du taux d'inflation moyen recherché.
Il me reste du temps pour une autre intervention. Est-ce que M. Ragan ou M. Alexander souhaiteraient répondre?
Monsieur Ragan.
Pour ce qui est du ciblage du PIB nominal, je crois qu'au Canada —et, dans une moindre mesure, aux États-Unis —, la croissance du PIB ralentira considérablement au cours des 25 prochaines années en raison du vieillissement de la population. C'est, à dire vrai, presque inévitable. Le ciblage du PIB nominal devrait alors avoir pour effet une augmentation régulière du taux d'inflation, ce qui ne me semble guère souhaitable, ou des ajustements constants des cibles officielles, ce qui, du point de vue des communications, confinerait au cauchemar sur le plan de la politique monétaire.
En outre, je ne suis pas convaincu qu'il y a des avantages à court terme au cours du cycle économique, compte tenu de la souplesse qu'octroie le régime de ciblage de l'inflation actuel. C'est, je crois, une qualité qu'il faut accorder au régime canadien: il offre une souplesse, qui a fait merveilleusement ses preuves au cours des dernières années.
Je vous mettrais également en garde si vous envisagez de prendre exemple sur l'Australie. Nos deux pays sont fondamentalement différents, puisque nos principaux partenaires commerciaux sont les États-Unis, alors que ceux de l'Australie sont l'Asie et la Chine.
D'accord. J'aimerais poursuivre la discussion, mais mon temps est écoulé.
Je vais maintenant laisser la parole à M. Brison.
En ce qui concerne l'Australie, M. Sumner a soulevé une question intéressante, étant donné que ce pays doit relever bon nombre de défis similaires aux nôtres, si on peut dire, soit ceux liés à une économie basée sur les ressources et comportant une grande disparité entre les régions qui en sont pourvues et les autres. J'aimerais donc faire le lien avec le contexte canadien.
Là est toute la question, encore une fois. Compte tenu des grandes disparités qui existent entre les régions pourvues de ressources, celles qui possèdent du gaz ou du pétrole en particulier, et les régions axées sur les secteurs traditionnels ou à valeur ajoutée de l'économie, est-ce que cette situation ne prêche pas en faveur du ciblage du PIB nominal? Étant donné que la flambée des prix des matières premières pousse l'inflation à la hausse, d'une certaine façon de manière artificielle si on tient compte de l'incidence sur l'économie réelle, et que cela nuit beaucoup aux emplois dans le secteur manufacturier traditionnel, en raison de la hausse du dollar, est-ce que cela ne prêche pas en faveur du ciblage du PIB nominal, compte tenu du morcellement de l'économie canadienne?
M. Sumner pourrait sans doute répondre en premier.
C'est le cas, à mon avis. Cela permet un meilleur équilibre, en quelque sorte, entre croissance réelle et inflation et entre les disparités régionales.
Je suis tout à fait d'accord avec l'idée que l'Australie a eu la chance d'avoir un marché d'exportation en Asie. Je pense toutefois qu'il ne faut pas négliger le problème des taux d'intérêt qui descendent à zéro. C'est une situation qui est moins susceptible d'arriver lorsqu'on utilise le ciblage du PIB nominal.
Au Canada, si on avait pu faire juste un peu plus de stimulation monétaire, facilement réalisable en réduisant les taux d'intérêt, cela aurait été, à mon avis, plus profitable, mais c'était difficile en raison de la cible d'inflation. Lorsqu'on regarde les taux d'inflation au cours des trois dernières années au Canada, on s'aperçoit qu'ils ont été relativement bas. Ce n'était peut-être donc pas le taux d'inflation en soi qui limitait les efforts, mais le fait qu'il aurait fallu recourir à des outils non conventionnels. Il aurait sans doute été plus facile de le faire avec le ciblage du PIB nominal qu'avec les taux d'intérêt, comme l'a fait l'Australie.
Toutefois, en dépit des différences entre le Canada et l'Australie, je crois que les disparités régionales, les disparités entre secteur traditionnel et secteur des ressources, etc., se ressemblent. Je crois qu'il faut à tout le moins examiner la question pour savoir si cela s'applique au Canada. À mon avis, le ciblage du PIB nominal offre plus de souplesse pour réagir aux secousses régionales ou sectorielles.
Très brièvement, en ce qui concerne le niveau de stimulation fourni, le taux de financement à un jour est descendu à 0,25 p. 100, soit le seuil fonctionnel des taux d'intérêt nominaux. La Banque du Canada aurait pu procéder alors à un allégement quantitatif pour injecter plus d'argent, mais honnêtement, nous pourrions avoir tout un débat sur la question de savoir si une plus grande stimulation aurait eu, en fait, plus de répercussions concrètes sur l'économie.
Je ne suis pas convaincu que la cible d'inflation a restreint la marge de manoeuvre de la Banque du Canada. Je crois qu'on a mis beaucoup l'accent sur la partie souple de l'équation. En fait, on en revient à la question de l'ancrage des anticipations. On peut s'offrir le luxe d'une bonne stimulation, car le marché s'attendra à ce que l'inflation revienne à 2 p. 100.
Vous êtes en train de dire, en quelque sorte, que parce que nous avons réussi à atteindre nos cibles d'inflation par le passé, nous pouvons ne pas tenir compte des cibles d'inflation en ce qui a trait...
Exactement, car l'objectif est en fait d'avoir un taux d'inflation de 2 p. 100 à moyen terme, et non pas pour une année donnée; le système offrait donc une certaine souplesse pour réagir.
De plus, je ne suis pas convaincu que la Banque du Canada aurait eu une plus grande marge de manoeuvre en ayant recours au ciblage du PIB nominal dans une économie très axée sur les ressources comme la nôtre. Si tous les autres éléments demeurent les mêmes et qu'il n'y a que le prix du pétrole qui augmente, le PIB nominal augmenterait et cela entraînerait un resserrement de la politique monétaire. Il faudrait alors...
Le président: D'accord...
M. Craig Alexander: ... une mesure en quelque sorte du PIB nominal de base pour éliminer les répercussions temporaires de l'augmentation du prix de l'énergie sur la cible du PIB nominal. On pourrait sans doute y parvenir, mais c'est l'une des raisons pour lesquelles la Banque du Canada utilise l'IPC de base comme...
D'accord. Merci.
Merci, monsieur Brison. Nous allons devoir poursuivre la discussion après la réunion, malheureusement.
Nous entamons une nouvelle série de questions. Madame Glover, s'il vous plaît.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Je voudrais simplement corriger une chose qu'a dite M. Giguère. En effet, M. Giguère a affirmé qu'un des outils dont disposait la Banque du Canada était le taux de change, mais ce n'est pas possible.
Monsieur Seccareccia, pouvez-vous corriger ce qui a été dit?
Ce n'est pas une question de... Ce peut-être un outil, cela dépend de ce qu'on veut dire par « outil ».
Présentement, on a un taux de change flexible, un taux de change flottant. En fait, la Banque du Canada n'a pas de cible liée au taux de change, ce n'est pas un instrument qu'on utilise. D'ailleurs, comme je le disais auparavant, ce qui est visé par ce qu'on appelle la fonction de réaction de la Banque du Canada est le taux d'inflation, point.
Cependant...
Excusez-moi, c'est mon tour. Vous pouvez vous arrêter là. Je voulais simplement corriger ce qui avait été dit.
[Traduction]
Je vais revenir à quelque chose que M. Julian a mentionné au sujet des pertes d'emplois dans le secteur manufacturier. Les statistiques indiquent clairement que 600 000 emplois nets ont été créés en raison de divers facteurs. Il est vrai que nous avons connu un mauvais mois, mais nous ne sommes pas à l'abri de ce qui se passe en Europe et aux États-Unis.
Mais lorsqu'il parle des pertes d'emplois dans le secteur manufacturier, ce que je veux dire, c'est qu'il est question ici de politique monétaire. Il y a aussi la politique budgétaire, comme vous l'avez dit, qui y est liée, mais mon collègue est catégoriquement contre le commerce, et les ententes commerciales sont en grande partie le moteur de la reprise économique dans le secteur manufacturier...
Merci, monsieur le président. J'invoque le Règlement pour corriger ma collègue. Je ne suis pas contre le commerce, naturellement. Je suis contre les mauvaises ententes commerciales...
Le président: Monsieur Julian...
M. Peter Julian: ... que le gouvernement...
Monsieur Julian, vous êtes un parlementaire d'expérience et vous savez très bien que ce n'est pas un rappel au Règlement, mais un point de discussion.
Madame Glover, continuez s'il vous plaît.
Comme je viens de le mentionner, il est catégoriquement contre les ententes commerciales.
Le fait est qu'en tant que gouvernement, nous avons des décisions difficiles à prendre, notamment choisir entre une augmentation modérée de l'AE ou l'augmentation de 35 p. 100 réclamée tant par les libéraux que par les néo-démocrates, avec la clé une facture de 4 milliards de dollars. L'ancrage des attentes en ce qui a trait aux taux d'imposition des sociétés est une autre façon pour nous de tirer parti de notre avantage financier.
Je trouve donc très intéressant que M. Julian parle des pertes d'emplois, car il faut dire bien honnêtement que si nous avions endossé le plan des gens d'en face — hausser l'impôt de 10 milliards et l'AE de 4 milliards de dollars, doubler les prestations du RPC —, cela aurait eu, à mon avis, des répercussions terribles sur l'emploi.
Cela étant dit, je vais maintenant demander à M. Ragan et à M. Alexander de changer de chapeau un instant pour nous dire si l'inflation a eu quelque avantage. Si nous avions emprunté cette voie, y aurait-il eu plus de pertes d'emplois?
Je vais répondre en vous disant que nous avons eu une politique monétaire expansionniste massive au cours des trois dernières années, et je ne peux pas imaginer... Eh bien, oui, je peux imaginer à quoi ressemblerait une politique plus expansionniste; il y aurait eu un allégement quantitatif comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Mais nous avons eu une politique monétaire expansionniste. C'est encore le cas. Je ne suis pas convaincu que cela aurait fait une grande différence que la Banque du Canada ait eu recours à un autre type de cibles.
De plus, je suis parfaitement d'accord avec Craig lorsqu'il dit que les cibles d'inflation n'ont pas limité le pouvoir d'action de la Banque du Canada.
Il y a certainement eu un affaiblissement du secteur manufacturier, mais il est en grande partie lié au marché extérieur, à la baisse de la demande des exportations. L'économie américaine est anémique et le pays est en train de connaître, à mon avis, une décennie perdue. Malheureusement, c'est là où aboutissent 73 p. 100 de nos exportations, dont bon nombre sont des produits manufacturés. Cet affaiblissement est donc un reflet du marché extérieur.
En ce qui a trait à la politique budgétaire, je crois que ce que le gouvernement avait de mieux à faire était de fournir aux entreprises les bons incitatifs pour investir, et c'est ce qui s'est produit à mon avis. La confiance a toutefois empêché les entreprises d'en profiter pleinement. Comme je l'ai déjà dit toutefois, le problème de la confiance est lié au marché extérieur.
Lorsqu'on jette un coup d'oeil aux trois derniers trimestres, on constate que les entreprises ont investi beaucoup, en dépit de la volatilité des marchés financiers. On peut imaginer ce que cela aurait été si la confiance avait été au rendez-vous.
Très bien. Merci.
Je tiens à vous remercier tous, messieurs, de votre présence aujourd'hui et de vos réponses à nos questions. Nous avons eu une discussion très intéressante et nous vous en savons gré.
Nous retiendrons sans doute la suggestion de M. Ragan de convoquer un groupe d'experts sur l'importance de l'Europe pour l'économie canadienne. Nous aurions là un sujet également très intéressant.
Monsieur Sumner, merci de vous être joint à nous par vidéoconférence. Nous sommes heureux de vous avoir eu parmi nous.
Chers collègues, j'aimerais vous rappeler que vous devez remettre vos recommandations prébudgétaires sur clé USB à la greffière avant demain matin, 9 heures.
Je vous remercie encore une fois tous de votre présence.
La séance est levée.
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