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Mesdames et messieurs, bonjour. Je vous remercie de l'invitation.
Considérant l'ampleur du projet de loi et des courts délais pour me permettre de l'analyser, il m'a été permis de concentrer mon opinion sur une section spécifique du projet de loi.
J'ai donc choisi les règles relatives aux prêts en amont parce qu'elles ont été qualifiées par des fonctionnaires du ministère des Finances, durant une réunion précédente de ce comité, comme étant l'un des principaux éléments du projet de loi qui est à l'étude.
Pour comprendre ces règles, il faut savoir que les multinationales canadiennes qui brassent des affaires dans des paradis fiscaux sont imposées selon les principes de base suivants, que je présente d'une façon très sommaire. Si les multinationales réalisent un revenu, l'impôt canadien est appliqué dès que ledit revenu est réalisé. Si les multinationales réalisent un revenu d'entreprise, c'est dans l'année du rapatriement du revenu en question au Canada que l'impôt canadien devient applicable.
Pour contourner cet impôt de rapatriement, les multinationales et leurs filiales établies dans des paradis fiscaux avaient coutume de mettre en place des stratégies impliquant des prêts, c'est-à-dire qu'au lieu de payer des dividendes imposables pour rapatrier les revenus au Canada, lesdites sommes étaient tout simplement prêtées aux multinationales canadiennes.
Les règles relatives aux prêts en amont, initialement proposées en 2011, ont pour objectif de mettre un frein à ces stratégies en considérant ledit prêt comme un dividende tel qu'il a été expliqué à quelques reprises devant ce comité durant les semaines précédentes. Prises isolément, ces règles sont très sensées, à un tel point qu'on pourrait se demander pourquoi les autorités fiscales ont attendu si longtemps pour les proposer. Lorsqu'elles sont analysées en considérant la Loi de l'impôt sur le revenu dans son ensemble et ses récentes modifications, ces règles perdent toutefois leur pertinence et, bien qu'elles puissent paraître musclées, leur effet sur les finances publiques risque d'être peu important.
En effet, pendant que ces règles relatives aux prêts en amont étaient proposées pour coincer les multinationales canadiennes qui tentent de contourner l'impôt de rapatriement, les modifications au paragraphe 5907(11) du Règlement de l’impôt sur le revenu entraient en vigueur. Rappelons que c'est en vertu de ces modifications que les multinationales canadiennes n'ont plus à payer d'impôt sur les revenus d'entreprise qu'elles réalisent par l'intermédiaire de filiales établies dans un pays avec lequel le Canada a signé un entente d'échange de renseignements fiscaux, c'est-à-dire Anguilla, Aruba, les Antilles néerlandaises, les Bahamas, les Bermudes, le Costa-Rica, la Dominique, l'Île de Man, les îles Caïmans, les îles Turks et Caicos, l'île de Jersey, Saint-Kitts-et-Nevis, l'île de Saint-Martin, Saint-Vincent-et-les-Grenadines et Sainte-Lucie. La liste risque de continuer de s'allonger puisque des négociations sont présentement en cours avec d'autres paradis fiscaux incluant Antigua-et-Barbuda, Bahreïn, le Belize, le Brunei, Gibraltar, l'île de la Grenade, les îles Cook, les îles Vierges britanniques, le Libéria, le Liechtenstein, le Panama, l'Uruguay, etc.
Cette défiscalisation totale des revenus réalisée par les multinationales canadiennes dans ces paradis fiscaux, qui représentent la majorité de ceux avec lesquels les entreprises canadiennes font des affaires, remet en question la pertinence de mettre en place des règles fiscales dont l'objectif est de s'assurer du respect de l'impôt de rapatriement puisque cet impôt est présentement en voie de disparition. D'ailleurs, depuis le 1er janvier 2013, il n'existe déjà plus sur les revenus canadiens exportés dans plusieurs paradis fiscaux.
En conclusion, malgré la portée limitée en pratique des règles relatives aux prêts en amont et malgré la complexité dangereuse de l'ensemble du projet de loi C-48, je recommande, dans les circonstances actuelles, d'adopter ledit projet de loi parce qu'il est franchement temps, en temps de crise ou de précrise, que nos fonctionnaires fassent autre chose. Ils doivent repenser les lois fiscales et les adapter à la réalité du XXIe siècle. Pour y arriver, il faut éviter de les mobiliser sur ce projet de loi technique dont l'adoption ou la non-adoption ne changera rien face à la puissance du mouvement mondial de défiscalisation légale des grandes richesses corporatives et personnelles.
Je vous remercie. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.