HEAL Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON HEALTH
COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 25 octobre 2001
La présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)): Mesdames et messieurs, je déclare ouverte cette séance du Comité permanent de la santé qui se réunit pour discuter du même sujet que d'habitude, soit la recherche sur les cellules souches et la reproduction humaine assistée.
Nous accueillons ce matin plusieurs groupes. Le premier est l'Institut canadien d'information sur la santé, dont le porte- parole est Mme Joan Roch, responsable du Secrétariat du respect de la vie privée de l'ICIS. Madame Roch, vous avez la parole.
Mme Joan Roch (Secrétariat du respect de la vie privée, Institut canadien d'information sur la santé): Nous remercions les membres du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes de nous donner l'occasion d'exprimer aujourd'hui notre point de vue sur les propositions relatives au projet de loi régissant l'assistance à la procréation.
Je suis Joan Roch, responsable du Secrétariat du respect de la vie privée de l'ICIS, et je suis accompagnée du Dr John Millar, vice-président, Recherche et santé de la population, et de Karen Weisbaum, consultante auprès du Secrétariat du respect de la vie privée.
À titre d'information, je voudrais vous signaler qu'en décembre 1993, l'Institut a été constitué en personne morale à titre d'organisme indépendant à but non lucratif et à charte fédérale, conformément à une entente des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Santé. Ainsi l'ICIS fait office de mécanisme national de coordination de l'élaboration et du maintien d'une approche intégrée à l'égard du Système canadien d'information sur la santé. Il a aussi pour mandat de fournir et de coordonner la préparation d'information exacte et actualisée en vue d'établir une bonne politique de la santé, de gérer efficacement le système canadien de soins de santé, et de sensibiliser la population aux facteurs qui influent sur la santé.
En vertu de ce mandat, l'Institut recueille des résumés d'information sur la santé auprès d'organisations de soins de santé dans tout le Canada. Il analyse ces données et diffuse de l'information et des rapports sur la santé dans l'intérêt du public. Par exemple, grâce à la base de données sur les sorties des hôpitaux, nous préparons des rapports sur les causes d'hospitalisation, les interventions pratiquées et la durée des séjours à partir de résumés codés des données sur les séjours à l'hôpital.
Le Registre canadien de remplacement d'organes nous permet de suivre les tendances en matière de dialyse rénale et de transplantation d'organes, notamment les taux de survie des malades.
Le Registre ontarien des traumatismes établit des statistiques sur les causes d'hospitalisation liée aux traumatismes qui permettent de planifier les services dispensés aux victimes et de mettre au point des programmes de prévention des accidents.
C'est dans ce contexte que nous formulons nos observations au comité.
En ce qui concerne les pouvoirs conférés par la loi, l'ICIS a indiqué à plusieurs reprises que les citoyens, les administrateurs et les chercheurs auraient intérêt à ce que le projet de loi stipule clairement que l'on peut recueillir et utiliser des données sur la santé à des fins précises, notamment la recherche et l'analyse statistique. Nous sommes donc heureux de constater que le gouvernement a adopté cette même approche à l'égard de la collecte des «renseignements biologiques» dans cet avant-projet de loi. C'est donc dire que seules les personnes autorisées par la Loi peuvent recueillir ces données et que leurs responsabilités à l'égard de ces données sont définies.
Selon notre expérience des données sur la santé, le volume et la nature des «renseignements biologiques» qu'il faudra recueillir aux termes de la loi seront importants et diversifiés. Il y aura beaucoup de données directement identifiables, par exemple des données sur l'identité et le patrimoine génétique, de même que beaucoup de données susceptibles d'être identifiables, c'est-à-dire des données sur les antécédents médicaux et les caractéristiques personnelles. Les données sur les caractéristiques personnelles comprendront probablement divers éléments, tels l'origine raciale, l'invalidité ou l'orientation sexuelle.
• 1110
La divulgation d'identificateurs personnels est certes le
moyen d'identification le plus évident, mais certains éléments de
données qui ne révèlent pas en soi l'identité d'une personne
peuvent le faire une fois réunis. Il peut en découler une violation
de la protection des renseignements personnels au moyen de
l'identification d'un répondant par recoupements, même à la suite
d'une agrégation des données.
S'il est un aspect difficile du travail que nous faisons à l'ICIS, c'est bien de retirer les identificateurs des données au point qu'ils ne puissent pas être identifiés de nouveau tout en demeurant valables à des fins de recherche. Étant donné la nature des renseignements biologiques, il peut être très ardu de retirer les identificateurs des données, tout en conservant leur valeur aux fins de la recherche et des statistiques.
S'agissant de questions opérationnelles, la Loi énonce des exigences touchant la communication des renseignements. Il sera extrêmement difficile d'élaborer des procédures pour donner suite à ces exigences. Il faudra mettre au point des protocoles législatifs rigoureux pour la collecte et l'utilisation des renseignements biologiques, si l'on veut que des pratiques et des procédures cohérentes régissent l'obtention d'un consentement éclairé, la collecte uniformisée des données ainsi que la transmission, l'entreposage, la modification et la destruction des données en toute sécurité.
L'application cohérente des procédures permet d'assurer un traitement équitable aux particuliers et de protéger les renseignements personnels qui les concernent. Étant donné la nature des renseignements biologiques, nous croyons que l'étude détaillée de ces questions opérationnelles suscitera énormément d'intérêt avec la création du Registre.
À l'ICIS nous savons à quel point il est important de protéger les renseignements personnels, surtout lorsqu'il s'agit de renseignements biologiques, et parallèlement de mettre à la disposition des particuliers, des professionnels de la santé et des chercheurs des renseignements biologiques sûrs. Ainsi nous adoptons des mesures rigoureuses pour protéger la confidentialité et la sécurité des renseignements biologiques tout en répondant aux besoins en information des chercheurs en santé. Tous les renseignements biologiques personnels exigent un niveau élevé de sécurité, mais pour certains d'entre eux, la barre doit être placée encore plus haute.
Merci.
La présidente: Merci, madame Roch.
Je donne maintenant la parole à la représentante de la «Coalition for an Open Model in Assisted Reproduction». Cet organisme est représenté par Catherine Clute.
Mme Catherine Clute («Coalition for an Open Model in Assisted Reproduction»): Je m'appelle Catherine Clute. Je suis mère par adoption, coprésidente de l'Association des parents adoptifs de la Nouvelle-Écosse, et membre du conseil d'administration du Réseau de l'infertilité. Mais aujourd'hui, je ne porte aucune de ces casquettes.
[Français]
Aujourd'hui, je représente une coalition d'intérêts assez divers qui se sont unis pour aborder certains aspects de ce projet de loi.
[Traduction]
Je voudrais vous remercier de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant le comité. Notre coalition représente des gens d'une gamme de milieux différents. Nous avons parmi nos membres des parents, des enfants, des organismes à but non lucratif, des groupes de réunification de personnes touchées par l'adoption, des parents d'enfants adoptifs, des professeurs, et des déontologues. Laura Shanner et Phyllis Creighton, qui ont toutes les deux comparu devant le comité, sont membres de notre coalition.
Jusqu'à présent, ces particuliers et ces groupes n'ont pas vraiment été d'accord sur bien des questions. En fait, nous avons même adopté des positions contradictoires sur différents dossiers par le passé. Mais ce qui nous semble unique dans notre coalition, c'est qu'ayant demandé le point de vue de tous les groupes et personnes concernées, nous avons réussi à dégager un consensus—même si certains de nos membres ont déjà été des adversaires à divers moments. La préoccupation qui nous unit est le besoin d'information—et plus précisément, de l'information sur l'identité—des donneurs de gamètes et d'embryons et des mères porteuses, que ressentent toutes les personnes nées de la conception avec un tiers.
Ce matin, j'étais assise dans l'avion, en quittant la Nouvelle-Écosse, à côté d'un producteur de lait de Grafton, en Ontario. Je lui expliquais ce que je venais faire ici, alors j'ai commencé à parler de nos activités. Il m'a dit: «Mais mon Dieu, je possède toutes les données sur les origines de mes vaches, de l'information qui touche de nombreuses générations. Si on peut faire ça pour les vaches, on peut certainement faire ça pour les humains.» Ce monsieur était également sénateur; donc, il faut dire que ce n'est pas un producteur de lait typique.
Nous sommes tout à fait persuadés que l'expérience de l'adoption peut nous apprendre bien des choses. Pour les personnes qui y participent directement et intimement, et pour la personne issue de ce genre de procédure, les problèmes sont fort semblables. Autrement dit, une personne adoptée et celle conçue à l'aide d'un donneur manque d'information au sujet de leur passé; or il serait possible de combler ces lacunes en leur garantissant l'accès à l'information recherchée.
• 1115
Autrefois, les formalités d'adoption ne faisaient l'objet
d'aucune réglementation. Elles étaient fonction des besoins
individuels, et tout se faisait à la discrétion des praticiens
locaux. Les formalités d'adoption relevaient de maisons maternelles
qui avaient pour principale motivation de faire des bénéfices.
J'ai habité tout près de l'Ideal Maternity Home à Chester, où sont nés les fameux «bébés des boîtes à beurre». Le mandat de ces maisons consistait à répondre aux besoins des familles adoptives, comme c'est le cas actuellement de la reproduction humaine assistée. Toutes les formalités d'adoption se déroulaient dans une atmosphère de honte et de gêne. D'une part, les parents biologiques avaient honte, et d'autre part, les parents adoptifs étaient embarrassés. Par conséquent, les parties concernées tenaient absolument à ce que le tout reste secret. Lorsqu'il y avait des documents, ces derniers étaient mis sous clé pour protéger les mères biologiques contre le blâme public, contre la société, et pour permettre aux familles adoptives de bénéficier de la même considération que les autres et d'être protégées contre toute revendication future pouvant venir des parents biologiques. C'est à nos dépens que nous avons tiré certains enseignements du processus d'adoption.
Au fur et à mesure que des personnes adoptées atteignaient l'âge adulte, que les cas d'abus flagrants étaient exposés sur la place publique et que les personnes adoptées parlaient de leurs expériences, les formalités entourant l'adoption ont progressivement été modifiées.
À l'heure actuelle, dans tous les territoires et provinces du Canada, l'adoption est strictement réglementée, et même si la situation n'est toujours pas parfaite, il existe des restrictions. Les paiements et les contrats ne sont pas tolérés. De plus en plus, on semble favoriser la transparence. Une personne adoptée peut accéder aux dossiers le concernant, et surtout, les familles adoptives communiquent de l'information. Si des parents adoptifs potentiels au Canada disaient au travailleur social qu'ils ne comptent pas révéler à leurs enfants qu'ils ont été adoptés, on leur recommanderait du counseling intensif. L'évaluation familiale ne serait pas non plus positive. Par conséquent, le couple en question ne serait pas autorisé à adopter un enfant.
La philosophie de l'adoption a évolué. Il ne s'agit donc plus de protéger les filles-mères du discrédit social ou de trouver des bébés pour les couples touchés par l'infertilité. À l'heure actuelle, la grande priorité consiste à trouver la meilleure solution possible pour l'enfant concerné.
À notre avis, il faut reconnaître l'importance de ce même principe dans le contexte de la reproduction humaine assistée. Un nombre croissant de parents qui ont eu recours à la conception par don de sperme reconnaissent la nécessité d'être honnêtes vis-à-vis de leurs enfants. Mais cette responsabilité ne doit pas incomber uniquement aux parents. La société doit leur faciliter cette tâche et la rendre légitime. En l'absence d'un système centralisé de tenue des dossiers et d'un droit d'accès légal aux informations détaillées qui vous concernent, vous n'irez pas bien loin.
Les personnes nées de la conception avec un tiers ont le droit fondamental, sur les plans à la fois humain et pratique, de connaître la vérité au sujet de leurs origines biologiques—pour des raisons qui relèvent à la fois de la santé de base et du bien- être social et psychologique. Mais s'agissant de la consanguinité—le sénateur Tunney était particulièrement intéressé par cette question-là, puisqu'il est très important, quand on élève des vaches, de conserver des lignées distinctes, par exemple—il semble que les lois qui refusent aux enfants issus d'un don de sperme le droit d'accéder à l'information concernant leur identité soient contraires à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, ainsi qu'aux droits—et notamment les droits à l'égalité—reconnus dans la Charte.
Notre Charte prévoit que la loi s'applique également à tous; ainsi tous les Canadiens ont droit à un certificat de naissance exact. La déontologie...
La présidente: Avez-vous presque fini?
Mme Catherine Clute: Oui j'ai presque fini.
La présidente: Vous avez déjà dépassé d'une minute et demie votre temps de parole.
Mme Catherine Clute: Je n'aurais pas dû vous parler du sénateur Tunney.
La présidente: En effet.
Mme Catherine Clute: Je suis désolée.
Pour ce qui est de la déontologie de la procréation, il ne s'agit pas de régler le problème du traitement de l'infertilité; il s'agit plutôt de constituer des familles.
Voici donc nos recommandations: il faut exiger le consentement à la divulgation de l'information sur l'identité—autrement dit, si vous n'êtes pas disposé à divulguer l'information, vous ne serez pas accepté dans le programme; la mise sur pied d'un organisme national composé de personnes qui ont vécu l'expérience en question; des certificats de naissance comportant des renseignements précis et exacts; un registre national pour tous les dons de gamètes; nous tenons à ce que l'on tienne des dossiers à ce sujet, tout en respectant les dispositions de la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels; et nous souhaitons aussi que certains éléments soient ajoutés au préambule afin de reconnaître que les enfants ainsi conçus, plus que les parents ou d'autres personnes, sont directement intéressés par la divulgation de l'information.
Merci.
La présidente: Notre prochaine intervenante est Shirley Pratten, membre-fondatrice de la New Reproductive Alternatives Society.
Madame Pratten, vous avez la parole.
Mme Shirley Pratten (membre-fondatrice, New Reproductive Alternatives Society): Bonjour.
Je voudrais tout d'abord vous remercier de l'occasion qui m'est donnée ce matin de vous adresser la parole. Nous savons qu'en raison de votre matinée chargée, vous avez dû modifier votre emploi du temps. Je tiens aussi à remercier le comité de son travail et de son engagement vis-à-vis de ce processus. Enfin je voudrais remercier M. Sokolyk pour le temps qu'il a bien voulu nous consacrer et pour sa grande patience. Merci surtout de donner aujourd'hui l'occasion à la New Reproductive Alternatives Society de présenter ses vues sur la question.
Permettez-moi de me présenter: grâce à un don anonyme de sperme, je suis la mère d'Olivia, qui a maintenant 19 ans. Elle a été conçue lorsque j'étais mariée avec son père, qui avait un problème d'infertilité.
Je suis également la porte-parole auprès des médias de la New Reproductive Alternatives Society, créée il y a 14 ans en 1987. Il s'agit d'ailleurs du premier groupe canadien de soutien des familles issues d'une conception par don de sperme, et sa mission consiste surtout à défendre les droits et les besoins des enfants ainsi conçus, de même que la nécessité de procéder à une réforme du système des dons de sperme au Canada.
• 1120
En ce qui concerne mon activité professionnelle, je suis
infirmière. J'ai une formation médicale en psychiatrie, et je me
spécialise en psychiatrie et en santé mentale depuis une douzaine
d'années.
Je tiens donc à vous dire que les vues et préoccupations dont je vous ferai part à l'égard de l'insémination par don de sperme découlent principalement de mes sentiments très personnels, mais aussi de mon expérience de professionnelle qui comprend bien la nature des problèmes de santé à la fois physique et psychologique.
Je vous signale aussi, à titre d'information, que l'insémination par don de sperme est la plus ancienne technologie et serait même l'une des plus simples, tout en étant assez compliquée, si bien que nous ne l'avons pas encore parfaitement maîtrisée. Le premier cas d'insémination artificielle par donneur a été enregistré aux États-Unis en 1884 à Philadelphie, et que nous sachions, cette technique se pratique au Canada depuis plus de 50 ans.
Nous sommes aussi persuadés qu'il est possible de réformer le système actuel; pour nous le système peut être modifié et remis sur la bonne voie. Nous sommes convaincus qu'une fois que nous aurons réglé les problèmes liés à cette technique plus ancienne, il vous sera plus facile de savoir quelle orientation vous devez prendre vis-à-vis des techniques plus complexes élaborées depuis.
Je tiens à dire que l'objet de notre exposé aujourd'hui consiste à mettre en relief l'aspect humain de la reproduction assistée; ainsi je me disais que si je ne pouvais dire qu'une chose au comité, je devrais insister sur la nécessité de faire en sorte que les éléments humains, déontologiques, psychosociaux et juridiques—étant donné qu'ils influent directement sur la vie des gens—rattrapent les aspects médicaux et scientifiques des technologies. En ce qui nous concerne, il existe actuellement un grand déséquilibre entre les deux.
Les dimensions médicale et scientifique ont tout à fait leur place, bien entendu, mais si nous passons trop de temps à examiner des choses au microscope ou dans les boîtes de Pétri, nous aurons perdu de vue notre vrai objectif et la raison principale pour laquelle nous avons recours aux techniques de reproduction, à savoir la création de vie humaine. J'ai à mes côtés deux exemples, en chair et en os, de ce qu'elles nous permettent de faire, et il ne faut pas oublier que c'est cet élément-là qui prime.
Dans quelques instants, je voudrais vous passer deux très courts reportages sur l'insémination par don de sperme diffusés sur CBC, ces reportages constituant la majorité partie de notre communication aujourd'hui. Par le passé, nous avons déjà utilisé ces vidéos à titre d'outil éducatif pour éclaircir certains points, et elles sauront à mon avis mettre en relief les arguments avancés dans notre mémoire écrit. Nous y avons eu recours lors d'audiences privées devant la Commission royale. Nous nous en sommes servis également pour enseigner des décideurs provinciaux et fédéraux, des responsables gouvernementaux et les représentants d'autres organismes. Il nous semble particulièrement pertinent de les montrer aux membres du comité, étant donné que le processus législatif avance sans que la situation ait réellement changé. Autrement dit, les problèmes restent entiers.
Mais avant de vous montrer ces vidéos, je voudrais vous parler d'un article paru dans le journal il y a quelques semaines au sujet des nouvelles techniques. Cet article citait les propos d'un médecin qui disait ceci:
-
Il ne faut jamais mélanger la politique et la médecine; les élus
essaient de prendre des décisions politiques à l'égard d'actes
médicaux. Or les décisions à prendre ne sont pas d'ordre politique,
mais plutôt d'ordre médical et elles doivent donc être prises par
des médecins et leurs patients—et non pas par les élus.
Nous, aussi, nous avons entendu des observations de ce genre. D'ailleurs, nous entendons cela très souvent. Les membres de notre groupe ont une optique très différente. Nous estimons que le problème humain et fort pénible de l'infertilité relève de la médecine et que l'examen de techniques de reproduction de rechange nous amène à tenir compte de faits médicaux et scientifiques. Mais une fois qu'un enfant issu d'un don de sperme est né, le fait est que les questions complexes liées aux antécédents et au patrimoine génétiques de cet enfant, et à l'accès et la protection de cette information, n'ont plus rien à voir avec la médecine; il en va de même pour les questions d'ordre psychosocial qui, malgré tout, continuent de relever du contrôle strict des médecins. Mais toutes ces questions concernent plutôt les droits fondamentaux des personnes nées de la conception avec un tiers—en tant qu'enfant et qu'adulte—la justice sociale, l'identité et le bien-être affectif et social des familles concernées.
En ce qui nous concerne, c'est le fait de brouiller les distinctions entre ce qui est médical et ce qui ne l'est pas qui cause les nombreux problèmes qui entourent les pratiques d'insémination par don de sperme.
Pour personnaliser un peu plus le débat, je tiens à vous faire savoir à quel point c'est bouleversant pour nous qui sommes parents d'enfants issus d'un don de sperme d'apprendre que les documents touchant l'autre moitié du patrimoine génétique de notre enfant n'ont pas été conservés, ou que les renseignements pertinents n'ont jamais été enregistrés, que les dossiers ont été perdus ou jetés à la fin du délai de six ans normalement prévu pour la tenue de dossiers médicaux, ou encore, dans un cas, qu'ils étaient devenus la propriété de la femme du médecin qui a pratiqué l'insémination après la mort de ce dernier.
Voilà ce qu'a dit un représentant du Collège des médecins et chirurgiens à l'un des parents de notre groupe. C'est pour toutes ces raisons que nous ne nous contentons pas de demander l'aide du gouvernement; nous le supplions d'intervenir pour mettre de l'ordre dans un domaine où la situation est tout simplement catastrophique. Ainsi nous exhortons le gouvernement à reprendre le contrôle des aspects non médicaux des techniques de reproduction, notamment en ce qui concerne le bien-être de nos enfants, de mettre sur pied un nouveau registre ou d'adopter un modèle axé sur la transparence. Les parents de ces enfants veulent que des mesures soient prises avant que les dossiers ne soient détruits ou perdus.
• 1125
De nombreuses personnes infertiles constituent également des
familles grâce à l'adoption, mais les dossiers d'adoption ne
relèvent pas de l'autorité des médecins et on ne les laisse pas non
plus sur les étagères des banques de sperme; il n'est donc pas
normal que les documents et dossiers des personnes issues de la
procréation assistée soient traités différemment. C'est en raison
de la conviction des médecins, comme nous l'avons vu dans les
propos du médecin cité dans cet article, que ce sont des questions
médicales qui n'intéressent que le médecin et son patient, que
l'information touchant les antécédents et l'identité de nos enfants
a été si mal tenue et protégée jusqu'à présent.
Je propose maintenant de vous montrer nos vidéos. Je vous invite, cependant, à prendre bonne note d'un certain nombre d'éléments qui y sont explorés.
Dans la première vidéo, il convient de noter l'effet psychosocial du secret qui entoure cette question sur le couple et sur leur enfant. Même si les gens sont actuellement mieux renseignés, le fait est que la plupart des personnes qui envisagent de recourir à cette pratique ne bénéficient pas du genre de conseils non médicaux professionnels que nécessitent des expériences de la reproduction aussi complexes. Vous allez y voir le père d'Olivia et moi-même qui sommes filmés dans le noir, ne sachant pas vraiment si nous devrions cacher notre identité ou être complètement ouverts, et vous devriez savoir que le secret qui entoure ces questions est le résultat direct du système d'anonymat actuellement en place.
Veuillez également noter les propos des donneurs qui ont participé aux deux vidéos. Dans un cas, le donneur est anonyme, alors que dans l'autre, l'identité du donneur est connue. Les deux insistent sur la nécessité d'établir des registres et de limiter la quantité de sperme pouvant faire l'objet d'un don.
De plus, l'autre insiste sur la nécessite de réformer la législation pour protéger les donneurs, mais aussi pour clarifier le statut légal du père social. Comme le père d'Olivia l'a toujours dit, il n'avait pas l'impression que la loi lui reconnaissait le statut de père, étant donné que les seules modifications apportées aux lois du Yukon, de Terre-Neuve et du Québec avaient pour objet de protéger les donneurs contre des demandes de soutien financier. Le médecin que vous verrez aussi dans cette vidéo fait également remarquer que le système actuel de tenue de dossiers n'est ni suffisant ni approprié.
Ces vidéos marqueront la fin de notre exposé. Nous sommes toujours aussi résolus à lutter pour obtenir des changements, et surtout la création de normes nationales, afin de protéger la sécurité et le bien-être futur des enfants qui peuvent être conçus par ces procédures de même que leurs familles.
Merci de votre présence et de votre attention.
Vous allez voir que Rona Achilles est plus jeune dans ces vidéos. Elles remontent à il y a quelques années, ce qui vous indique depuis combien de temps nous militons pour obtenir des changements.
[Présentation de vidéos]
La présidente: C'était très intéressant. J'ai surtout aimé revoir Knowlton Nash, puisqu'il a complètement disparu de nos vies.
Je pense qu'Olivia voudrait ajouter quelque chose.
Mme Olivia Pratten (membre, New Reproductive Alternatives Society; et membre, Alliance of People Produced by Assisted Reproductive Technology (APPART)): C'est exact.
D'abord, je tiens à vous dire
[Français]
merci de m'avoir invitée ici. Je suis très contente de me trouver ici.
[Traduction]
Je voudrais me présenter, vous dire qui je suis, ce que je ressens en tant que personne issue d'un don de sperme anonyme, et de quelle façon le fait d'être issue de ce système de dons anonymes continue à influencer ma vie.
Je m'appelle Olivia Pratten. J'ai 19 ans, c'est-à-dire probablement le même âge que certains de vos enfants. Je suis étudiante à une université à Nanaimo, en Colombie-Britannique.
À titre d'information, je tiens à vous signaler que lorsque je vais parler d'insémination par don de sperme je vais utiliser l'abréviation anglaise «DI». C'est plus facile.
Même si mes témoignages s'articulent autour de mon expérience personnelle en tant que personne conçue par cette procédure, les enfants issus d'un don de sperme peuvent en réalité faire face aux mêmes difficultés en matière d'identité que ceux qui sont issus d'un don d'ovule ou d'embryon.
Je n'ai pas l'intention d'insister sur la nécessité, comme le prévoit l'avant-projet de loi, de garantir à tous les enfants issus d'un don de sperme, d'ovule ou d'embryon l'accès à leurs antécédents médicaux régulièrement actualisés. Je suis tout aussi sûre que vous conviendrez que le nombre d'enfants issus d'un même donneur doit être limité, et que les demi-frères et demi-soeurs doivent être inscrits dans les dossiers et faire l'objet de suivi pour éviter la possibilité que des demi-frères et demi-soeurs se marient. J'espère aussi que le règlement actuel touchant les dossiers médicaux, qui prévoit que ces derniers peuvent être détruits après six ans, sera modifié pour que le délai de conservation soit de 100 ans.
Ma situation illustre bien ce problème. Je n'ai jamais pu prendre connaissance de mes antécédents médicaux ou généalogiques. Je ne sais même pas si j'ai des demi-frères ou demi-soeurs. Je doute aussi que mon médecin ait jamais tenu de bons dossiers, et même s'il l'a fait, il est peu probable qu'ils existent encore. Que ce soit le cas ou non, le vrai problème en ce qui me concerne c'est qu'il ne soit pas tenu de le faire.
Si je comprends bien, les médecins sont tenus uniquement de tester le sperme en vue de dépister la présence de certaines maladies, mais ils n'ont aucune autre obligation et peuvent donc faire ce qu'ils veulent par la suite. Je sais qu'il existe des programmes qui offrent toutes sortes de possibilités, mais il n'y a pas de critères minimums que tout le monde doit respecter. Voilà ce que je voudrais voir. J'y reviendrai un peu plus tard.
Étant donné que je n'ai pas accès à mes antécédents médicaux, et qu'il est peu probable que je puisse jamais prendre connaissance de cette information, j'ai un peu l'impression d'avoir été conçu dans une ruelle obscure d'un quartier anonyme. C'est un peu comme si cela ne valait pas la peine de conserver les dossiers de quelqu'un comme moi.
J'ai su que j'étais issue de cette pratique de conception lorsque j'avais cinq ans. Ma mère me l'a dit quand je lui ai demandé d'où venaient les bébés. En grandissant et en prenant de la maturité, mes interrogations à ce sujet sont devenues de plus en plus nombreuses. En même temps, j'ai dû accepter qu'il est peu probable que je connaisse jamais mon père biologique ou que j'aie des réponses à la grande majorité de mes questions sur mes origines et mon identité.
Vu mes expériences personnelles, je suis persuadée qu'aucun argument déontologique, moral ou légal puisse justifier le maintien d'un système de dons de sperme ou de dons de gamètes anonymes. Mon désir le plus vif c'est que ce projet de loi mette un terme à l'anonymité pour tout ce qui concerne la procréation assistée.
Un système complet et transparent qui interdit l'anonymité a été mis en place dans divers pays du monde, tels que la Suède et l'Australie, et y a connu beaucoup de succès. Le Canada a maintenant l'occasion rêvée de voter une loi qui donnera la priorité aux droits des enfants issus de la procréation assistée et d'inscrire ce principe fondamental dans la loi du pays.
Après tout, un système anonyme viole nos droits fondamentaux, y compris celui énoncé à l'article 8 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, soit la nécessité «de respecter le droit de l'enfant de préserver son identité». Le Canada a ratifié cette convention en 1991.
Je suis membre d'un organisme appelé APPART, qui vous sera présenté par Barry. C'est un groupe composé d'enfants nés de la conception avec un tiers. Certains membres canadiens du groupe en question ont parlé de la possibilité de défendre ce principe devant les tribunaux. On peut espérer qu'un précédent serait créé ayant pour effet d'interdire les systèmes de donneurs anonymes créés au départ à cause des politiques adoptées par les cliniques—puisqu'ils enfreignent nos droits fondamentaux et n'ont aucune raison d'être légale.
De plus, très souvent on a tendance à confondre anonymat et protection des renseignements personnels, alors qu'il s'agit de deux choses complètement différentes. L'anonymat est un désir alors que la protection de la vie privée est un droit.
Moi-même qui suis issue d'un système de donneurs anonymes, je me trouve dans l'impossibilité de savoir quoi que ce soit au sujet du donneur dont je suis issue. Je ne pourrai jamais le trouver ni me renseigner sur lui. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. En fait, c'est un peu ça la protection de la vie privée, puisqu'on peut tout de même trouver l'aiguille; mais l'anonymat revient à chercher un brin de foin dans la botte—c'est complètement impossible.
• 1140
Comme je vous l'ai déjà dit, l'anonymat ne s'appuie sur aucun
argument ou principe juridique. Les donneurs ont des comptes à
rendre, et il faut donc qu'on puisse les trouver, de préférence en
passant par une tierce personne. Ils ne peuvent pas tout simplement
disparaître sans qu'on sache même leur numéro d'assurance sociale.
Nous devons être en mesure de les trouver, pour qu'ils assument
leurs responsabilités morales en tant que donneurs, c'est-à-dire
d'être à la disposition de l'enfant pour lui donner les
renseignements dont il pourrait avoir besoin. Que je sache, dans
aucun autre secteur de la vie canadienne, l'anonymat n'est aussi
solidement ancré dans les relations et les décisions que lorsque
ces dernières concernent les techniques de procréation assistée.
Dans le cadre de toutes les autres relations biologiques, la société ne permet pas qu'un parent fasse un don de gamètes pour ensuite disparaître et garder à tout jamais l'anonymat. Pourquoi donc l'autoriser pour les dons de gamètes?
Pour commencer, le donneur du sperme dont je suis issue n'est pas mon père. J'ai un père. Cependant, on ne peut minimiser le lien génétique que je partage avec mon père biologique, ni faire comme s'il n'existait pas. Je le porte en moi. On peut le voir en la personne que je suis et que je deviendrai. Il est clair que je tiens plutôt de ma mère pour ce qui est de mon teint et de mon physique. Il reste qu'au niveau de la personnalité et des intérêts, j'ai peu de points communs avec elle et ce côté-là de la famille—mais je l'aime quand même.
Par exemple, j'ai toujours eu un excellent sens de l'orientation. Où que je sois, même sans compas, j'arrive toujours à savoir où je veux aller et je peux toujours trouver le Nord. Ni ma mère ni aucun autre membre de sa famille a cette capacité-là. C'est à des petites caractéristiques comme celles-là que je pense sans arrêt.
Au fil des ans, j'ai essayé d'imaginer les caractéristiques physiques du donneur dont je suis issue. Jusqu'à présent, on s'est dit que puisqu'elle est grande et que je suis petite, il a dû être petit. Nous pensons également qu'il a sans doute de grosses mains, parce que les gens me taquinent sans arrêt à cause de mes grosses mains d'homme—et de l'odeur de mes pieds.
Je pense sans arrêt à des choses de ce genre, en me posant sans arrêt des questions sur cet homme, sur ses caractéristiques, et en quoi c'est lié à la personne que je suis aujourd'hui. Si je pouvais connaître son identité, le fait d'avoir accès à cette information ne me changerait pas fondamentalement. Je sais ça déjà, mais il reste que cela changerait la façon dont je me vois. Le contexte de tout ce que je sais sur moi serait différent, et je pense que ma perception des choses ne serait plus la même.
C'est un peu la même chose pour celui qui doit porter des lunettes parce que sa vue n'est plus parfaite. C'est frustrant, parce que tout le monde voit les choses telles qu'elles sont, mais ceux d'entre nous qui avons été conçus par don de gamètes anonymes sommes sans cesse à la recherche d'une vérité qui nous échappe. Par conséquent, nous avons sans cesse l'impression d'être des victimes d'injustice et d'exclusion.
Je voudrais vous raconter une anecdote personnelle. Lorsque j'étais en 5e année, notre professeur nous a demandé de faire notre arbre généalogique et de préparer un bref rapport sur les origines de nos ancêtres. Je me souviens à quel point je me sentais exclue et attristée de voir que ma meilleure amie, Skye, avait pu établir son arbre généalogique en remontant jusqu'aux années 1600 et qu'elle avait pu déterminer, en se renseignant sur ses antécédents familiaux, que son nom de famille indiquait que ses aïeux étaient au départ des marchands. Quand c'était à moi de faire mon arbre généalogique, j'étais très envieuse de ce qu'elle avait pu faire. Je n'ai pas voulu y inscrire le nom des membres de la famille de mon père.
Voici un exemple du genre de chose qui peut se produire et qui vous rappelle à chaque fois ce qui manque à des gens comme moi et à d'autres personnes nées de la conception avec un tiers—par exemple, la possibilité de parler de génétique et d'hérédité en classe de biologie à l'école ou la réaction qu'on peut avoir quand on passe devant la section des livres généalogiques dans une librairie, ou encore lorsqu'une amie vous montre un bijou de famille qui a été transmis d'une génération à l'autre. C'est ce genre de choses que les personnes qui connaissent leur patrimoine génétique tiennent pour acquis et dont ils ignorent souvent la signification. Les enfants nés d'insémination artificielle par donneur se trouvent seuls à se demander qui sont les membres de leur famille dont ils ignorent l'identité.
Parfois quand je suis à Vancouver, je me demande si je ne vais pas le croiser dans la rue. Quand je rencontre quelqu'un qui étudiait à l'Université de la Colombie-Britannique à peu près à l'époque où j'ai été conçue, je le regarde et je me demande s'il peut être mon père biologique. Ce que je sais, c'est qu'il me manque une information essentielle que je cherche sans arrêt dans mon subconscient. Mais pourquoi serais-je réduite à cela, alors que d'autres citoyens canadiens tiennent pour acquis de connaître leurs antécédents génétiques? La plupart d'entre eux ne se rendent même pas compte de leur situation privilégiée par rapport à d'autres.
Face à cette réalité, continuer à permettre que des enfants soient conçus par ces procédures dans le contexte d'un système axé sur l'anonymat me semble tout à fait inadmissible et irresponsable. De plus, donner aux enfants des renseignements euphémiques qui ne leur apprennent rien sur l'identité du donneur est plutôt insultant; c'est ce que j'appellerais de l'information qui vous laisse sur votre faim. Le message qu'on nous communique est essentiellement celui-ci: On sait qui est le donneur mais on ne vous le dira pas. Imaginez l'humiliation que vous éprouveriez si vous vous présentiez à un bureau gouvernemental pour vous faire dire ce genre de chose par quelqu'un qui ne vous connaît pas. Bon nombre d'enfants estiment que cette information leur appartient et se demandent pourquoi ils devraient avoir à se justifier devant un parfait étranger, en sachant que ce dernier possède l'information essentielle qu'ils recherchent sur l'identité du donneur. Comme c'est atroce de savoir que vous êtes si près mais en même temps si loin de savoir qui était cet homme, votre père biologique.
En ce qui me concerne, des informations autres que l'identité sont parfaitement inutiles. C'est un peu comme si on me préparait un repas gastronomique et qu'on m'empêchait de manger une fois que j'aurais l'assiette devant moi. Si j'avais la possibilité d'obtenir ce genre d'information, je peux vous dire tout de suite qu'elle ne me suffirait pas. Ce serait quelque chose, mais le désir de connaître l'identité du donneur serait encore présent et ce n'est pas ça qui me rendrait ma dignité, puisque je n'aurais pas voix au chapitre. Le pouvoir décisionnel continuerait d'être détenu par le couple infertile et le donneur.
J'ai trouvé l'exemple le plus flagrant de ce genre de chose dans l'avant-projet de loi, puisqu'on y prévoit que le donneur pourra consentir à ce que l'information soit détruite. Personnellement, je trouve cela tout à fait répréhensible. Cette information n'est pas juste à lui, elle est également à moi. Je la porte en moi. Je la porte dans mes gènes. Elle va influencer ma famille. Par conséquent, lui donner ce pouvoir n'est pas normal; c'est tout à fait inadmissible.
• 1145
Ayant lu l'avant-projet de loi, je suis arrivée à la
conclusion que Santé Canada penche plutôt pour la création d'un
système double. En vertu d'un tel système, les couples pourront
décider s'ils veulent un donneur anonyme ou non, et les donneurs
pourront décider s'ils veulent ou non que l'enfant puisse connaître
leur identité à l'âge de la majorité.
Je trouve tout à fait déraisonnable de vouloir créer un système axé à la fois sur l'anonymat et la transparence. Ainsi on créera à dessein une catégorie de citoyens marginalisés—c'est-à- dire des enfants issus d'insémination par don de sperme qui ne connaîtront pas leurs origines génétiques, alors que d'autres enfants conçus par ces procédures et tous les Canadiens conçus par les méthodes classiques les connaîtront. Imaginez le sentiment de honte et d'isolement que ressentira l'enfant créé dans l'anonymat. Nous devrons donc nous demander comment nous pourrions imaginer qu'un tel régime soit acceptable?
Dans une telle situation, les sentiments de victimisation et d'exclusion seront d'autant plus vifs lorsque l'enfant saura que ses parents avaient l'occasion de choisir un donneur dont l'identité serait connue, mais qu'ils ont préféré le secret, la honte et la déception. Je peux difficilement imaginer à quel point je serais peinée d'apprendre que mes parents auraient pu opter pour une solution autre que l'anonymat. Dans mon cas, je sais que ce n'était pas le cas.
Je voudrais que nous créions un système prévoyant qu'aucun don ne sera accepté si le donneur n'est pas prêt à être identifié, si l'enfant demande à connaître son identité à l'âge de 18 ans. Quand cette personne, qui serait à ce moment-là un adulte autonome jouissant des mêmes droits que tout autre Canadien, se sentirait prête, elle pourrait s'adresser au bureau responsable ou à une autorité quelconque pour prendre contact avec le donneur. Le donneur participerait donc au programme en sachant que ce serait l'une des conditions. Après tout, il devient donneur tout à fait volontairement; en tant qu'enfants issus d'un don de sperme, nous n'avons jamais demandé à être mis dans une telle situation.
Ayant tenu de nombreuses discussions avec des enfants conçus par ces procédures ainsi qu'avec d'autres qui sont adoptés, je peux vous affirmer que nos problèmes et nos désirs sont les mêmes pour ce qui est de vouloir prendre contact avec le parent perdu. À notre époque, nous trouvons normal que les enfants adoptifs ressentent le besoin de connaître leur patrimoine génétique. Vu cette réalité et les nombreuses études menées sur l'adoption, je me demande pourquoi nous envisagerions de mettre sur pied un système de dons de gamètes qui repose sur l'anonymat. Je n'ai encore jamais rencontré une personne conçue par ces procédures qui me dise: «C'est fantastique. Comme je suis content de savoir que je ne connaîtrai jamais l'identité du donneur.»
Au contraire, ce sont ces mêmes personnes qui défendent avec le plus d'ardeur le besoin d'un système transparent. Dans tout débat sur la question, les médecins avancent souvent l'argument du droit de choisir ces moyens de procréation; cependant, je n'ai jamais choisi de ne pas connaître mon père biologique. Cela me met hors de moi de penser qu'on m'a enlevé la possibilité de choisir de connaître le donneur dont je suis issue. Que j'aie envie ou non de le rencontrer, il faut que j'aie la possibilité de le faire d'une manière qui respecte ma dignité humaine.
Selon le texte actuel de l'avant-projet de loi, le pouvoir de décider et de choisir reste entre les mains des donneurs et des parents; or ils ont conclu cette entente volontairement, en tant qu'adultes consentants, alors qu'on ne peut pas en dire autant des enfants qui en sont issus.
Je voudrais enfin soulever deux points avant de conclure. Il s'agit des excuses données par les médecins pour justifier un système non transparent—et je dois vous dire, en toute sincérité, que ce sont deux mythes qui circulent depuis longtemps et que j'en ai assez d'entendre. Le premier, c'est que nous allons tous frapper à la porte du donneur pour demander qu'on nous paie nos frais de scolarité. C'est parfaitement faux. Si j'avais la possibilité de rencontrer mon donneur, je le respecterai ainsi que sa vie privée. Je ne voudrais pas chambarder toute sa vie. Pour ce qui est de l'argent, pour éliminer ces difficultés, il suffirait d'inclure dans la loi une disposition simple—comme on l'a vu dans la vidéo—qui précise le statut légal du donneur afin qu'il soit protégé contre des obligations financières qu'on voudrait lui imposer.
La deuxième excuse qu'on entend souvent, c'est que tous les donneurs disparaîtront si on les force à accepter que l'information sur leur identité sera communiquée aux enfants à partir de l'âge de 18 ans. Je pense que Rona aura d'autres observations à vous faire à ce sujet-là. D'autres pays qui ont créé un système transparent n'ont pas eu de problème. De toute façon, même si ce problème devait surgir, il me semble préférable de créer un système de moins grande envergure qui repose sur la responsabilisation que d'en créer un qui serait impossible à réglementer à cause de son ampleur—un système dont le principe de base jusqu'ici a été que l'offre doit correspondre à la demande venant de couples infertiles, même si c'est aux dépens des besoins des enfants nés par ces procédures.
En tant que société, nous devons à mon avis trouver un juste équilibre entre notre compassion pour les couples infertiles et la nécessité d'éviter que des enfants soient fabriqués comme autant d'objets pouvant soulager la douleur qui accompagne l'infertilité sans tenir compte de l'impact sur l'enfant né par ces procédures pendant toute sa vie.
J'ai presque fini.
Bill Cordray, un adulte né de la conception avec un tiers et un ami personnel, a décrit mieux que moi ce sentiment de confusion génétique et je voudrais donc le citer ici:
-
Qui suis-je? Voilà une question de base que tout le monde se pose,
et la plupart des gens se crée une identité en voyant l'image qui
leur est renvoyée par les membres de leur famille, par
l'environnement qui les entoure et leurs relations sociales avec
autrui. Mais la clé de l'identité de chacun d'entre nous, c'est
notre code génétique, que la plupart des gens peuvent lire dans les
visages des membres de leur famille, et dans les photographies et
histoires de leurs ancêtres.
-
En tant que personnes issues de la procréation assistée, nous
menons la même lutte que les personnes adoptées pour ce qui est de
connaître notre identité intégrale. Les médecins vont rarement au-
delà des zygotes, gamètes, blastocytes et embryons qu'ils examinent
au microscope ou des images échographiques des foetus pour observer
le visage humain des personnes créées par ces procédures. Jusqu'à
présent, l'accent a toujours été mis sur la souffrance des patients
souffrant d'infertilité. On n'a pas tenu compte des besoins des
enfants alors qu'ils sont la raison d'être même des procédures
médicales qu'ils utilisent.
C'est la fin de la citation. Pour le médecin, c'est un travail comme un autre, en fin de compte. Pour lui, ces questions relèvent d'un débat purement professionnel. Mais pour les enfants issus d'un don de sperme et pour moi-même, c'est notre vie qui est en jeu; c'est nous qui devons subir les conséquences des décisions prises pour nous avant notre naissance.
Vous, aussi, vous avez un travail à faire. En tant que membres du comité vous avez l'occasion d'influencer l'identité des futurs enfants canadiens issus de la procréation assistée. Mais avant de prendre une décision, peut-être pourrais-je demander à chacun d'entre vous d'essayer de votre mettre à ma place. Pourriez-vous dire honnêtement que vous seriez satisfaits de jamais connaître l'identité de l'autre personne qui vous a conçu?
• 1150
Voilà. Merci encore une fois de m'avoir invitée à comparaître
et de m'avoir écoutée.
La présidente: Merci beaucoup, Olivia.
Mme Olivia Pratten: Je vous en prie.
La présidente: Notre prochaine intervenante représente également la Coalition for an Open Model in Assisted Reproduction, soit Rona Achilles, dont il a été question tout à l'heure.
Mme Rona Achilles (Coalition for an Open Model in Assisted Reproduction): Je tiens à dire qu'Olivia n'avait que trois ans quand j'ai rencontré sa mère pour la première fois, et je suis donc très émue d'être là avec elle. Je ressens presque des sentiments maternels à son égard.
Je suis professeure adjointe à la Faculté de médecine de l'Université de Toronto et analyste indépendante des politiques sanitaires. Ma thèse de doctorat, que j'ai commencé à rédiger en 1981, était une étude qualitative des participants à un programme d'insémination par donneur et s'intitulait «Les perceptions sociales des liens biologiques». J'y défendais le droit des personnes issues d'ID de connaître l'identité de leur père biologique.
J'ai également été la principale consultante sur la question de l'insémination par don de sperme auprès de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction. En 1996, Santé Canada m'a commandé un plan de mise en oeuvre relatif à un système ouvert de dons de gamètes.
J'ai eu l'occasion d'observer de nombreuses percées dans ce domaine au cours des 20 dernières années. En 1981, il n'existait qu'une poignée de livres et d'articles traitant des aspects psychosociaux de l'insémination par donneur (ID). Il existe à présent une quantité appréciable d'études, de même qu'un réseau international de chercheurs dans ce domaine.
J'ai vu aussi se former des groupes de soutien de parents d'enfants conçus par ID et des groupes de pression parlant en leur nom dans plusieurs pays, de même que des associations de personnes conçues par ID. Je constate que de plus en plus de personnes qui songent à recourir à l'ID s'inquiètent de la possibilité que leur enfant puisse connaître l'identité du donneur. Par ailleurs, une banque de sperme de Toronto constate l'augmentation rapide du nombre de couples désireux de faire appel à l'ID qui amènent leur propre donneur pour éviter le problème de l'anonymat.
Durant cette période, plusieurs États du monde ont par ailleurs adopté des lois qui garantissent, d'une part, l'abolition des droits et des responsabilités légales du donneur de sperme, et d'autre part, le droit de leurs enfants biologiques d'avoir accès à des renseignements sur leur identité, s'ils le souhaitent. La Suède, la Hollande, la Suisse, l'Autriche et l'État de Victoria en Australie ont tous adopté de telles lois. Des projets de loi analogues sont à l'étude en Nouvelle-Zélande et dans trois autres États de l'Australie.
Dans tous ces pays, les programmes de dons de sperme sont en plein essor. Contrairement à d'autres témoignages que vous avez pu entendre, il est tout à fait possible de mettre sur pied un système ouvert tout en conservant un contingent suffisant de donneurs. Selon l'expérience vécue ailleurs, il semble indéniable que les mesures législatives dans ce domaine doivent s'accompagner de stratégies éducatives ciblant particulièrement les médecins, puisque ceux-ci doivent comprendre que la procréation faisant appel à un tiers n'est pas simplement une solution à l'infertilité, mais qu'elle comporte la nécessité de créer des familles saines. Les spécialistes du traitement de l'infertilité sont brillants lorsqu'il s'agit de trouver des solutions à l'infertilité, mais ce ne sont pas des spécialistes des sciences sociales et la création d'un milieu familial sain n'est pas un projet médical, mais bien social.
La Suède s'est dotée d'une loi dans ce domaine en 1985. Les médecins s'y sont opposés, et le passage de donneurs diminuait provisoirement. Cette diminution était en fait attribuable à plusieurs facteurs, dont l'instauration du dépistage du VIH, l'utilisation de sperme congelé et la fermeture des cliniques privées. Cette situation était néanmoins temporaire et depuis le début des années 90, les donneurs de spermes sont même plus nombreux qu'ils ne l'étaient avant l'adoption de la loi. D'après les données sur les programmes d'ID recueillies par les hôpitaux de 1989 à 1993, le nombre des donneurs a augmenté de 65 p. 100.
En revanche, la transition à un système ouvert s'est faite presque sans heurts en Nouvelle-Zélande. En 1987, ce pays a modifié son droit de la famille pour clarifier les droits et les responsabilités légales des donneurs de sperme et du mari de la mère. Les responsables ont collaboré avec les intervenants des cliniques d'infertilité pour les amener à changer d'attitude face à un système ouvert de donneurs. Aujourd'hui, les cliniques de traitement de la fertilité en Nouvelle-Zélande n'acceptent plus les donneurs de gamètes qui refusent que leur identité soit dévoilée à leurs enfants biologiques lorsque ceux-ci atteindront l'âge de 18 ans. La Nouvelle-Zélande continue d'avoir accès à un nombre suffisant de donneurs de gamètes.
Il ne faut pas non plus supposer que même lorsqu'un système est axé sur l'anonymat, les hommes qui font des dons de sperme ne s'intéressent aucunement à leurs enfants conçus par ID. Plusieurs études ont en effet été réalisées auprès de donneurs pour savoir s'ils consentiraient à révéler leur identité à leurs enfants biologiques nés par ID, lorsque ceux-ci seraient majeurs. Les résultats de ces études sociaux, varient considérablement: le pourcentage de donneurs disposés à donner leur consentement varie de 12 à 73 p. 100.
Or, ces donneurs ont été recrutés dans des conditions d'anonymat, si bien que les conclusions de ces études ne devraient pas être considérées comme transposables à un système ouvert. Nous devrions au contraire nous étonner de constater que certains donneurs recrutés dans le cadre d'un système fondé sur l'anonymat soient prêts à révéler leur identité.
J'ai une amie qui étudiait la médecine au cours des années 70 et qui m'a dit que bon nombre des hommes qu'elle connaissait n'étaient pas disposés à donner du sperme justement parce que le système reposait sur l'anonymat. Ne pourrait-il pas exister un bassin d'hommes qui seraient prêts à donner du sperme seulement dans le cadre d'un système où leur identité serait divulguée? Nous avons en effet des données qui indiquent qu'il en est ainsi.
• 1155
Aux États-Unis, la Banque de sperme de la Californie gère
depuis 18 ans un programme fondé sur la divulgation de l'identité
des donneurs. Les responsables de cette banque constatent à présent
que de 70 à 80 p. 100 des parents choisissent l'option de
divulgation de l'identité et que 40 à 60 p. 100 des donneurs sont
prêts à révéler leur identité. Cette proportion est récemment passé
à 75 p. 100, dans le cas des donneurs. Une banque de sperme
américaine du nom de Xytex a établi une franchise canadienne à
Toronto. Au cours de l'automne dernier, ses dirigeants ont commencé
à recruter des donneurs prêts à révéler leur identité et n'ont
aucun mal à trouver des hommes disposés à le faire.
Le préambule de l'avant-projet de loi qui nous a été présenté énonce une série de principes fort louables, dont celui de protéger et de promouvoir avant tout les intérêts des enfants mais les intérêts des enfants—et ceux des familles—ne seront pas protégés par un système de consentement facultatif des donneurs. Un tel système protège plutôt les intérêts présumés des donneurs.
Cette attitude repose sur l'idée erronée que les donneurs n'éprouvent aucun intérêt pour leurs enfants biologiques conçus par ID et que le système tout entier s'effondrerait si l'on instaurait un système comportant la divulgation de l'identité des donneurs. L'hypothèse selon laquelle les donneurs ne seraient nullement intéressés à savoir ce qu'il advient de leurs dons a été remise en question par plusieurs études. Ainsi, une étude rétrospective a révélé que les donneurs recrutés dans le cadre d'un système fondé sur l'anonymat étaient très intéressés à avoir de l'information de leurs enfants biologiques, et que cet intérêt semblait augmenter au fur et à mesure que leurs enfants grandissaient. Les deux tiers des donneurs souhaitaient ou souhaitaient fortement faire la connaissance de leurs enfants conçus par ID. Sur 39 donneurs interrogés, seulement un ne souhaitait pas rencontrer son enfant.
Au cours des dernières décennies, la société a beaucoup évolué, si bien qu'à notre avis il convient d'aplanir les obstacles à l'information dans beaucoup de sphères de la vie pour privilégier un accès libre aux données. L'exemple le plus frappant est celui de l'adoption: dans ce domaine, notre attitude est passée de «il ne faut jamais dire à l'enfant qu'il est adopté» à «il faut dire à l'enfant qu'il a été adopté», et enfin, à l'attitude actuelle où nous estimons que les personnes adoptées doivent avoir accès à des renseignements sur l'identité de leurs parents biologiques.
Nous ne disions jamais non plus aux patients atteints de maladie en phase terminale qu'ils allaient mourir. Nous ne voyions pas l'utilité de le faire, mais nous le leur disons maintenant. Nous partons du principe que l'ouverture et la franchise sont toujours préférables.
Trouver le juste équilibre entre le droit à l'information et le droit au respect de la vie privée est une tâche complexe, d'autant plus que nous sommes davantage inondés d'information sur tous les sujets que nous ne l'avons jamais été. Cela vaut pour l'assistance à la procréation comme pour les autres sphères de la vie.
Le Commissaire à la protection e la vie privée de la Nouvelle- Zélande a exprimé son opinion sur ces questions dans un rapport paru en 1999. Selon lui, l'anonymat des donneurs n'est probablement plus applicable en vertu de la Loi sur la protection de la vie privée de 1993 de la Nouvelle-Zélande, qui porte sur l'information de nature privée et publique. Il émet également l'opinion que les renseignements sur les donneurs, y compris sur leur identité, peuvent probablement être considérés comme de l'information sur la santé. Il ajoute que même les hommes qui avaient donné du sperme dans des conditions d'anonymat ne pourraient pas nécessairement conserver l'anonymat, puisque—et là je cite—«le désir de leurs enfants biologiques de connaître leurs origines génétiques pourrait l'emporter sur le droit des donneurs de protéger leur vie privée».
Cependant, nous ne revendiquons pas un système rétroactif. Nous demandons seulement que tous les enfants nés à l'avenir par ID aient accès à des renseignements sur l'identité de leurs parents biologiques et génétiques lorsqu'un tiers est intervenu dans la procréation.
Nous ne savons pas combien d'enfants nés au Canada chaque année sont issus d'un don de sperme, ce qui, en soi, est aberrant, puisque les méthodes de tenue et de suivi des dossiers laissent toujours à désirer. On pourrait estimer grosso modo leur nombre à environ 1 000, mais ce chiffre n'inclut pas les enfants nés à la suite d'un don d'ovule ou d'embryon. Si ces statistiques sont exactes, au moins trois enfants qui naissent chaque jour au Canada n'auront pas accès à des renseignements sur l'identité de leurs parents biologiques. À mon avis, il est urgent d'agir à cet égard.
Je travaille également dans un autre domaine, celui des médecines complémentaires et des médecines douces. Il y a deux ans, le Comité permanent de la santé a fait une étude des produits de santé naturels. Six mois après le dépôt de son rapport, un bureau fédéral des produits de santé naturels était mis sur pied. Deux ans plus tard, nous nous sommes dotés d'une réglementation qui semble satisfaire tous les principaux intervenants. Ce n'était pourtant pas une mince tâche, mais les travaux du comité permanent ont permis de la mener à bien. En l'occurrence, nous savons que ce que nous vous demandons n'est pas non plus une mince tâche. Mais c'est une tâche possible et importante.
La présidente: Merci beaucoup.
Notre prochain intervenant se présente devant le comité à titre individuel. Je donne donc la parole à Barry Stevens.
M. Barry Stevens (Alliance of People Produced by Assisted Reproductive Technology (APPART)): Merci.
Je suis également membre de la Coalition, mais ce matin je représente APPART, l'Alliance of People Produced by Assisted Reproductive Technology. APPART est le seul organisme qui représente les enfants issus de la procréation assistée au Canada et à l'étranger. Olivia en est également membre.
Pour ma part, je suis issu d'un don de sperme anonyme. J'ai été conçu en Angleterre, pas au Canada. À l'époque, ce genre d'intervention ne se pratiquait pas au Canada.
Je vais essayer de ne pas répéter ce que d'autres ont déjà dit, ce qui devrait me permettre de raccourcir mon exposé.
Nous sommes contents du fait que l'avant-projet de loi reconnaisse qu'il importe avant tout de protéger les intérêts des enfants et de veiller à la protection et à la promotion de la santé, de la sécurité, de la dignité, et des droits des êtres humains. Mais nous trouvons décourageant que par la suite, la loi ne semble pas du tout en tenir compte. D'après ce que j'ai pu voir, la loi ne nous reconnaît aucun droit vraiment exécutoire. Les droits qu'on peut invoquer en fonction du pouvoir discrétionnaire des autres ne sont pas des droits bien utiles.
Nous estimons surtout que le ministre a fait vraiment fausse route. Il perpétue des pratiques qui permettent de créer à dessein des personnes qui ne connaîtront jamais leurs origines biologiques et personnelles, comme on vous l'a déjà expliqué.
Nous proposons par conséquent que l'avant-projet de loi soit modifié de manière à prévoir que les donneurs de sperme, d'ovule et d'embryon ne pourront garder l'anonymat. Encore une fois, je vais insister sur la distinction dont on vous a déjà parlé, mais elle est bien importante parce qu'elle entraîne souvent de la confusion. Nous ne parlons pas ici de personnes qui ont fait des dons de sperme aux termes d'un contrat d'anonymat. Nous ne préconisons pas l'identification rétrospective des donneurs contre leur volonté—autrement dit, nous ne voulons forcer personne à révéler ce qu'il n'a pas envie de révéler.
Par contre, nous voulons que les mesures législatives proposées soient modifiées de manière à prévoir qu'à l'avenir, au Canada, seuls les donneurs d'ovule, de sperme ou d'embryon qui consentiront à ce que l'on révèle leur identité à leurs descendants, lorsque ceux-ci auront atteint l'âge de la majorité ou seront mûrs—et là, on ne sait pas trop de quel âge il s'agit—seront acceptés comme donneurs.
On entend souvent dire que ce que nous préconisons suppose un conflit sans issue de droits: le droit du donneur de gamètes de garder l'anonymat et notre droit à nous de connaître nos origines génétiques. Bien sûr, ces droits ne seront pas conflictuels si le Parlement légifère de manière à réserver aux seules personnes consentant à révéler leur identité la possibilité de fournir des gamètes ou un embryon.
Trois raisons en particulier rendent l'anonymat non souhaitable: d'abord, l'anonymat nous prive d'une information médicale essentielle; deuxièmement, l'anonymat favorise au sein des familles une culture du mensonge et du secret qui s'avère destructrice; et troisièmement, l'anonymat ouvre une brèche dans la formation de l'identité.
Premièrement, en ce qui concerne l'aspect médical, l'anonymat peut en fait être la cause de décès prématuré. À l'ère de la médecine génétique, il est évident que ceux qui ne connaissent pas la moitié de leurs origines biologiques sont désavantagés. Plusieurs assureurs, publics et privés, n'exigent des examens médicaux pour telle ou telle maladie que compte tenu des antécédents familiaux. Pas d'antécédents familiaux connus, pas d'examens médicaux. Partant, des décès prématurés inutiles chez ceux et celles qui sont issus de la procréation assistée de même que chez leurs enfants. Récemment, j'ai eu du mal à obtenir qu'on me fasse une colonoscopie pour cette même raison.
Il est tout à fait anormal de nous priver de cette information. À notre avis, la meilleure solution consiste à prévoir que les antécédents médicaux du donneur pourront être connus des familles bénéficiaires jusqu'à l'âge de la majorité de l'enfant qui en est issu, et que l'identité du donneur soit connue après l'âge de la majorité.
Si je comprends bien, l'article 18 de l'avant-projet de loi porte sur la collecte auprès du fournisseur de gamètes d'information sur la santé. Il y est question d'un registre qui «pourrait» être accessible aux enfants selon que le ministre, qui jouit évidemment d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, le juge nécessaire. En ce qui nous concerne, cela ne suffit pas.
Par exemple, le ministre lui-même s'est montré courageux en déclarant publiquement avoir été traité pour un cancer de la prostate; il doit sa guérison à un diagnostic précoce, résultant d'un examen qu'il a subi parce que son père est décédé des suites de cette maladie. Il est clair que si le ministre Rock était issu du sperme d'un donneur anonyme, il aurait appris trop tard qu'il était atteint de ce cancer.
En effet, la majorité des donneurs de gamètes—hommes et femmes—sont jeunes au moment où ils font ce don. Très souvent, leurs parents et grands-parents sont encore vivants. Mais l'information médicale ponctuelle obtenue d'un jeune homme dans de telles circonstances est tout à fait inadéquate. Cette information doit être mise à jour tout au long de la vie d'un donneur de gamètes. Et il faut par ailleurs que les enfants ou les parents puissent y accéder sur demande.
Personnellement, je ne me donnerais même pas la peine d'inclure dans la loi une disposition prévoyant l'accès à cette information-là si le donneur a le droit de la détruire. Cela ne servirait plus à rien. Il faut que l'information soit disponible. C'est essentiel, même si les donneurs sont anonymes. Le fait de ne pas nous communiquer de l'information essentielle sur notre santé contrevient au principe de l'égalité, qui est l'un des fondements de notre système de soins, de notre société, et de notre nation. Il contrevient aussi au principe concernant la nécessité de prendre des mesures visant à protéger les intérêts des enfants.
En ce qui concerne le deuxième point, c'est-à-dire le secret qui entoure cette information, les familles où se dissimule un grand secret sont des familles qui communiquent mal. Il est difficile d'en parler. Il faut que je vous fasse part de mon expérience personnelle à cet égard, mais c'est difficile à expliquer.
De nombreux médecins font la promotion de la dissimulation. Plusieurs conseillent régulièrement aux couples qui envisagent de recourir à ces procédures de ne pas s'inquiéter et qu'ils n'ont pas à révéler à leurs enfants que leurs origines biologiques diffèrent des leurs. Si je me rappelle bien, l'un des médecins qui a témoigné devant vous a dit quelque chose de semblable. Le médecin qui s'est chargé des modalités de ma conception assistée a dit à mes parents qu'ils devaient mentir.
Mais s'il n'y a pas lieu de s'inquiéter, pourquoi mentir? N'est-ce pas ironique? L'anonymat du donneur est un élément clé de ce climat de dissimulation. De nombreux parents qui souhaiteraient révéler à leurs enfants leurs origines biologiques ne le font pas parce qu'ils craignent d'avoir à répondre à leurs questions sur le donneur de gamètes, questions auxquelles ils ne pourront pas répondre puisqu'il faut préserver l'anonymat du donneur. C'est ainsi qu'ils préféreront mentir à leurs enfants. Et comme on le sait, cela peut compromettre notre état de santé. Cela peut également éloigner les membres de la famille les uns des autres, susciter de l'angoisse et causer de la peine aux gens inutilement. Comme le dit ma mère, il faut toujours surveiller certains sujets de conversation, pour éviter que la discussion ne puisse déboucher sur la question tabou. C'est ainsi que des barrières à la communication sont créées au sein des familles.
• 1205
Souvent les enfants sentent la présence d'un secret. Ils sont
conscients d'être très différents de leurs parents non biologiques,
comme l'expliquait Olivia. Souvent ils soupçonnent d'avoir été
adoptés ou pensent que leur mère a eu une aventure avec un autre
homme.
Les secrets de famille sont comme des mines. Il faut marcher sur la pointe des pieds pour les éviter, mais des fois elles explosent. Les études montrent en effet que la plupart des parents se confient à quelqu'un, si bien que les secrets finissent par être dévoilés, souvent en pleine crise familiale, ou encore les enfants apprennent la vérité de quelqu'un d'autre, et tout cela finit par être très destructeur.
Le Canada applique depuis longtemps une définition de la santé qui englobe la santé psychologique. Continuer de permettre l'anonymat compromet à la fois la santé psychologique et la santé physique des personnes conçues par le truchement d'un don de gamètes.
APPART est d'avis que personne ne devrait recevoir de gamètes d'un tiers sans s'engager à révéler à ses enfants leur origine biologique. On vous dira qu'il s'agit d'une grave atteinte à la liberté de choix, mais en réalité, cela ne fait qu'aligner les pratiques en matière de procréation assistée sur celles de l'adoption, car dans ce domaine, comme nous l'avons déjà entendu, le secret et la honte ne sont plus tolérés. De nos jours, aucun service d'adoption n'accepterait des parents adoptifs éventuels qui n'auraient pas le dessein de révéler à leurs enfants adoptifs leur origine biologique, et nous ne méritons rien de moins.
Le dernier point concerne l'identité, mais c'est aussi celui qui est le plus difficile à expliquer clairement. Presque toutes les personnes issues de procréation assistée avec lesquelles notre organisme a communiqué jusqu'à présent ont exprimé de la colère parce qu'on les a privés délibérément de la connaissance de leurs origines biologiques. C'est un peu comme si l'on se trouvait devant un miroir qui vous permet de voir une partie de vous-même seulement, ou de constater qu'un chapitre manque dans l'histoire de votre vie. Pour caractériser cela, Olivia a parlé tout à l'heure, en citant Bill, de confusion généalogique.
Cela peut sembler démodé de s'en faire au sujet de la paternité biologique, et pis encore, l'ombre du racisme et du nazisme est toujours présente dès lors qu'il est question de liens génétiques. Mais nous avons toujours été d'avis que la seule chose qui compte vraiment c'est la tendresse, l'affection, l'appui moral. À mon avis, aucun être raisonnable ne pourrait réellement soutenir que la génétique n'a pas d'importance dans le développement de notre personnalité. Pour moi, cela ne veut pas dire qu'on ne tient pas non plus compte de l'importance du milieu social, de l'affection et de l'appui moral dans le développement de la personnalité.
Un coup d'oeil sur la biologie, à l'histoire et à la culture indique que l'être humain a toujours voulu connaître ses origines. Même les organismes dits unicellulaires sont en mesure de voir s'ils sont parents ou étrangers. Les humains, en tant qu'animaux sociaux, ont appris à sentir qui est de la famille et qui ne l'est pas. En tant qu'humains, nous sentons cela. Les scientifiques peuvent expliquer cette réalité, mais nous sentons cela et nous l'exprimons dans nos mythes et dans notre littérature. Par exemple, depuis Moïse, en passant par Oedipe, le roi Arthur et Shakespeare, de même que Luke Skywalker, qui finit par apprendre que Darth Vader est son père, les histoires de héros trouvant le mot de l'énigme dans la révélation d'une paternité cachée ont captivé notre imagination. Nier l'importance du lien biologique revient à nier notre culture, notre histoire et la plupart des croyances religieuses.
Mais c'est très personnel, et il faut entendre des récits personnels pour bien comprendre ce phénomène. D'aucuns diront qu'ils se sentent incomplets, d'autres parleront d'un traumatisme. D'autres encore sont tout simplement très curieux. Mais je tiens à dire que ce n'est pas simplement le fait que cela nous fasse mal et que puisque nous sommes traumatisés, vous devez... Nous estimons que nous ne devrions pas être obligés d'étaler nos blessures pour nous prévaloir d'un droit que tous les Canadiens ont de naissance. Il est tout simplement inadmissible de priver les personnes issues de la procréation assistée du droit de savoir qui sont leurs parents biologiques, car cette information nous revient de droit.
Je voudrais passer rapidement en revue quelques arguments contre qui ont été avancés jusqu'à présent. Si le fait de nous donner des droits cause du tort à d'autres personnes, est-ce raisonnable de nous accorder ces droits? Les deux autres arguments invoqués le plus souvent à l'encontre de l'identifiabilité des donneurs sont, d'abord, qu'il n'y aurait plus de donneurs, et deuxièmement, que les enfants poursuivraient leurs parents en justice pour obtenir un soutien financier. Mais ces deux arguments ne tiennent pas debout.
Bien sûr, si l'anonymat est inadmissible, il est inadmissible, et la possibilité que le nombre de fournisseurs de sperme diminue dès qu'ils ne pourront plus garder l'anonymat n'est pas une raison valable pour que nous cessions timidement de réclamer leur identifiabilité. Santé Canada a déterminé récemment que les réserves de sperme devaient faire l'objet d'examen additionnel en raison d'inquiétudes liées à la chlamydia. Cette décision a effectivement eu pour résultat de réduire le nombre de grossesses dues à l'ID l'année dernière. Comme la santé des femmes prime, à juste titre, Santé Canada a pris cette mesure. Donc, si notre santé prime aussi, nous insisterons également sur l'identifiabilité des donneurs. Mais je pense que le docteur a déjà avancé de très bons arguments indiquant qu'il est très peu probable qu'on assiste à une réduction du nombre de donneurs. Par conséquent, je ne vais pas répéter ce qu'elle a déjà dit.
En ce qui concerne les mesures législatives qui déchargeraient clairement les donneurs de toute responsabilité parentale, nous rejetons la position adoptée par Santé Canada à cet égard, puisque le ministère prétend qu'aucun progrès ne saurait être réalisé sur le front de l'identification des donneurs tant que toutes les provinces n'auraient pas voté une loi prévoyant que les parents récepteurs sont les parents légaux, de manière à protéger les donneurs contre la possibilité de poursuites. Mais en l'absence d'une loi ontarienne dans ce domaine, une banque de sperme de Toronto a pris la décision d'offrir des dons de personnes identifiables. Selon son conseiller juridique, les fournisseurs ne courent pas de risque de poursuites, pas plus que les parents ne courent le risque de se faire poursuivre pour un soutien financier par les enfants qu'ils ont confiés à l'adoption. Nous n'avons pas de craintes à cet égard quand il s'agit d'adoption, et il n'y a pas non plus eu lieu de craindre une telle conséquence dans ce cas-ci.
• 1210
Nous savons aussi que certains médecins vous diront qu'ils
sont tout à fait contre la position que nous avons adoptée. Ça,
c'est certain. Les médecins canadiens sont brillants lorsqu'il
s'agit d'aider les gens éprouvant des problèmes d'infertilité à
avoir un enfant, comme vous le disait Rona, mais nous ne devrions
pas nous attendre à ce qu'ils définissent notre politique sociale
en la matière pas plus que nous ne demanderions conseil à notre
mécanicien pour savoir où nous devrions aller passer nos vacances.
J'espère que vous ne verrez pas dans cette analogie un manque de
respect envers quiconque. Mon propre père était médecin—et par là
je veux dire mon vrai père. Le père qui a été mon parent, et qui
est pour moi mon vrai père. Les médecins ne se spécialisent pas
dans l'édification d'une famille, et on ne devrait pas leur
permettre de prétendre que cela fait partie de leur expertise.
Pour ce qui est des arguments spécifiques qui sont avancés, on entend dire que bien des gens sont nés sans connaître leurs origines biologiques—d'ailleurs, on nous dit que ce groupe représente de 10 à 30 p. 100 de la population, alors que ces chiffres sont parfaitement faux étant donné ce que révèlent les études. Cela laisse supposer qu'il n'y a pas de mal à ce qu'il y ait d'autres pères méconnus. Qu'y a-t-il de mal à cela? À part le fait que l'adultère deviendrait une sorte de norme pour la distribution des soins, c'est un faux argument. Chaque année, des milliers d'enfants dans le monde sont atteints de cécité à la naissance. Cela ne nous autorise pourtant pas à leur crever les yeux à la naissance.
Certains prétendent que les parents qui constituent la famille doivent avoir la préséance. Mais c'est hypocrite, et qui plus est, c'est un peu curieux que des gens invoquent des arguments liés à la génétique pour cautionner ce genre d'hypocrisie. Après tout, ce sont les médecins qui permettent aux couples infertiles d'avoir des enfants avec qui ils ont certains liens génétiques. Si ce n'était pas important, les parents pourraient envisager l'adoption. Quand les parents décident d'avoir un deuxième enfant, on leur offre souvent le même sperme ou le même fournisseur d'ovule pour que le deuxième enfant soit le plein frère ou pleine soeur du premier. Ma propre soeur, par exemple, est ma pleine soeur. Si le lien génétique est si important pour les médecins et les parents, pourquoi le serait-il moins pour nous?
Un médecin que je connais, le Dr Art Leader, m'a dit que les personnes issues de l'insémination par donneur n'ont pas le droit de connaître leurs origines biologiques, étant donné que les foetus n'ont pas de droits. Pour moi, c'est un argument facile. Je ne suis pas un foetus. Il est peut-être vrai que les foetus n'ont pas de droits. Ça c'est un tout autre débat. Mais après avoir été des foetus, nous devenons des bébés, et ensuite des enfants, et enfin des adultes. Et nous avons des droits.
On nous a également dit que la comparaison avec la procédure d'adoption, dont vous a parlé Catherine et d'autres, ne tient pas debout. On dit que les bébés confiés à l'adoption le sont le plus souvent en raison d'une crise ou d'un événement traumatique. Par contre, nous, nous naissons par suite d'un don généreux. Ainsi notre besoin de connaître nos origines n'est pas aussi légitime. Mais cet argument repose sur la méprise de celui qui n'a jamais vécu notre expérience. Le désir des enfants adoptés, tout comme pour nous, de connaître leurs origines ne découle pas nécessairement des circonstances de leur conception. Ce désir est plutôt le résultat de notre confusion généalogique et de l'absence d'informations essentielles qui nous sont requises pour former notre identité.
Donc, pourquoi ne pas tout simplement prévoir le choix? Nous sommes un pays qui reconnaît la liberté de choix. Pourquoi donc ne pas permettre aux parents de choisir entre des donneurs anonymes ou des donneurs identifiables? Cela semblerait être la meilleure solution, et c'est effectivement celle qu'a retenue le ministre Rock.
On dit souvent de nous que nous sommes contre la liberté totale de choix, et c'est vrai. Dans ce domaine, il arrive très souvent que les choix que font les médecins, les donneurs et les parents enlèvent complètement aux enfants la possibilité de choisir. Un système à deux volets créerait deux catégories de personnes, comme vous l'expliquait Olivia. Ce serait injuste et inacceptable. Je vous rappelle aussi que du moment qu'il s'agit de procréation assistée, les choix sont souvent limités pour des raisons liées à la santé des parents ou au bien-être de l'enfant. Par exemple, les gens n'ont pas le droit de conclure des contrats commerciaux de maternité de substitution, de choisir le sexe de leur enfant, de faire introduire des gènes animaux pour que leur enfant soit plus athlétique, etc. Comme nous l'avons déjà vu, les gens n'ont même pas le droit d'utiliser du sperme dans les tests de dépistage de la chlamydia. Donc, les limites que nous revendiquons sont à notre avis essentielles au bien-être psychologique et physique des enfants qui naîtront par de telles procédures. Nous sommes mieux placés que n'importe qui d'autre pour le savoir.
Les responsables de certaines banques de sperme ont déclaré que cela coûte plus cher de passer par des donneurs identifiables. D'ailleurs, je pense que cet argument-là est sans doute le plus convaincant de tous ceux qu'avancent les médecins pour condamner notre position. Nous parlons là de médecine privée. Il va sans dire que cela coûte moins cher de traiter des dons de tissu anonymes que d'avoir à gérer des relations avec autrui.
La présidente: Excusez-moi de vous interrompre, monsieur Stevens, mais vous parlez déjà depuis 14 minutes et demie.
M. Barry Stevens: Ah, bon. Excusez-moi. Me permettriez-vous de résumer rapidement les autres points? Je vais simplement les énumérer, et nous pourrons en parler plus tard.
Il est certain que l'anonymat coûte moins cher et que le fait d'avoir à identifier les donneurs suppose certaines dépenses. Mais si tout le monde est sur un pied d'égalité, les cliniques qui offrent des dons anonymes n'auront pas d'avantages concurrentiels par rapport aux autres. En fin de compte, ce serait avantageux.
• 1215
L'autre raison pour laquelle bon nombre de médecins s'opposent
à cela, c'est qu'eux-mêmes ont été forcés de faire des dons de
sperme par ceux qui leur enseignaient la médecine de la fertilité.
Ils ne faisaient pas cela volontairement. Je suis au courant de
certains cas où c'était vrai. Ils sont donc intéressés à ce que le
système ne change pas.
Mais l'anonymat comporte aussi un autre problème, celui de la honte. Mon père, par exemple, savait qu'on pourrait se moquer de lui si les gens savaient qu'il était infertile. Nous aurions été considérés comme des bâtards. Par conséquent, il a préféré garder son secret. À mon avis, il avait peur aussi que moi, son fils, le rejette si j'apprenais la vérité sur mes origines. Je suis désolé pour lui qu'il ait porté ce secret en lui aussi longtemps, et j'aurais voulu lui dire que je le voyais comme mon vrai père. Il en est ainsi pour la plupart d'entre nous. Nous ne recherchons pas un nouveau père; nous voulons simplement connaître nos origines.
Il est impossible de faire disparaître la honte par le truchement de mesures législatives. Nous vous demandons toutefois de mettre fin à l'expression douloureuse et dangereuse que la honte prend dans l'anonymat. Pour citer mon demi-frère nouvellement trouvé, «La honte, c'est comme un champignon; il se développe le mieux dans le noir. Si on fait entrer de la lumière, il meurt.»
Pour la plupart d'entre nous qui sommes issus de la procréation assistée, il est déjà trop tard, mais nous insistons sur la nécessité de mettre un terme à des procédures qui font naître des enfants à qui l'on empêche ensuite de connaître leurs origines. C'est cruel, inadmissible et surtout inutile.
Merci.
La présidente: Merci, monsieur Stevens.
Il nous reste environ 45 minutes, et je vais donc devoir vous limiter à cinq minutes chacun.
Notre premier intervenant sera le Dr Lunney, puisqu'il n'a pas eu tout son temps de parole à la dernière réunion. C'est lui et Mme Thibeault qui seront nos premiers intervenant cette fois-ci.
M. James Lunney (Nanaimo—Alberni, Alliance canadienne): Merci, madame la présidente.
Je voudrais remercier tous nos témoins pour leurs excellents exposés. Ils mettent en relief l'importance de cette question, et notamment les liens qui comptent le plus pour nous en tant qu'humains. Et c'est quelque chose qui pose vraiment problème pour les enfants de la société lorsque les familles éclatent, se reconstituent, etc. Il y a beaucoup d'enfants qui ne savent plus où est leur place.
Là nous avons peut-être l'occasion, grâce à ces nouvelles techniques, de répondre aux graves préoccupations de ceux qui voudraient avoir accès à certaines informations. Donc, vous soulevez aujourd'hui une question à la fois significative et importante.
C'est d'ailleurs quelque chose qui nous intéresse au plus haut point. J'ai beaucoup aimé l'exposé de Shirley et Olivia Pratten. Je constate que vous êtes de Nanaimo. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Selon que vous êtes du nord ou du sud de Nanaimo, je suis peut-être votre député.
Mme Shirley Pratten: Vous êtes à Port Alberni, n'est-ce pas?
M. James Lunney: Je représente la circonscription de Nanaimo—Alberni.
Mme Olivia Pratten: Je pense que vous êtes effectivement notre député.
M. James Lunney: Si vous êtes dans le nord, je le suis effectivement.
Mme Olivia Pratten: Non, nous sommes plutôt dans le sud.
M. James Lunney: Ah, bon; dans ce cas-là, Reed Elley est votre député. Quoi qu'il en soit, votre situation nous intéresse toujours autant.
Dans un premier temps, je voudrais vous demander...vous avez mentionné dans vos témoignages...qu'environ 1 000 personnes chaque année sont nées de l'insémination par donneur. C'est bien ça?
Mme Rona Achilles: À mon avis, le nombre est plus élevé encore. Ce chiffre correspond sans doute à une sous-estimation. Nous avons parlé des problèmes liés à la collecte d'information sur la santé. Le fait est que les dossiers sont incomplets, et qu'il en va de même pour le suivi. Donc, nous ne savons tout simplement pas.
M. James Lunney: C'est intéressant ce que vous dites.
Je voudrais aussi vous demander de m'expliquer comment votre groupe s'est organisé. Êtes-vous associée à un groupe de personnes sur l'île de Vancouver, par exemple, qui sont issues d'insémination par donneur?
Mme Olivia Pratten: Dans le cas du groupe que représente ma mère, au départ, il s'agissait simplement de créer une sorte de groupe de soutien pour notre famille. Quand j'étais plus jeune, nous avions l'habitude d'organiser un barbecue l'été, si bien que j'ai fait la connaissance d'autres enfants issus d'ID quand je grandissais. J'en connais plusieurs qui habitent la région de Vancouver. Ils habitent tout près.
M. James Lunney: C'est intéressant.
Mme Shirley Pratten: Ils habitent l'île de Vancouver, de même que Vancouver.
M. James Lunney: M. Stevens a organisé un rassemblement national de personnes issues d'ID...
M. Barry Stevens: C'était un rassemblement international.
M. James Lunney: Pourriez-vous nous parler un peu de ce rassemblement?
M. Barry Stevens: Oui, si je ne me trompe pas, ce rassemblement marquait la première fois que des personnes conçues par des moyens scientifiques, plutôt que les relations sexuelles, se réunissaient pour parler de leur situation.
Mme Catherine Clute: L'Infertility Network a également participé à l'organisation de ce rassemblement.
M. Barry Stevens: Oui, c'est exact. L'Infertility Network en a organisé un à Toronto en août dernier. Nous avancions alors les mêmes arguments que ceux nous avons fait valoir aujourd'hui.
M. James Lunney: Très bien. C'est excellent.
Par rapport à ce que disait Mme Roch et Catherine Clute, l'avant-projet de loi actuel contient des dispositions touchant l'anonymité et la communication d'information. Les représentants de l'Institut canadien d'information sur la santé, voudraient-ils nous dire si, à leur avis, l'adoption d'un système ouvert poserait des problèmes?
Mme Joan Roch: Nous n'avons pas pris position sur l'opportunité d'un système ouvert pour ce type d'information, à condition qu'on adopte des règles très strictes à l'égard de la collecte, les utilisations possibles et la divulgation subséquente de cette information.
• 1220
Nous avons la responsabilité d'établir un grand nombre de
rapports comparatifs nationaux visant à évaluer l'efficacité de
certains traitements et ce genre de chose. Étant donné que c'est
nous qui sommes chargés de garder cette information, je suppose
qu'en ce qui nous concerne, il ne serait probablement pas
souhaitable que des données permettant d'identifier les personnes
concernées soient publiées dans des rapports. Il est déjà assez
difficile de faire en sorte que les données soient suffisamment
précises pour être communiquées dans des rapports, sans pour autant
identifier accidentellement les intéressés. Voilà notre point de
vue sur la question. Cela n'a rien à voir avec le rôle ou l'objet
du registre. Il s'agit là d'objectifs bien différents.
M. James Lunney: En ce qui concerne les principes qui sous- tendent un système ouvert, il est clair que la responsabilisation en fait partie. Étant donné les exemples internationaux qui ont été cités, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas mettre en place un système de documentation et un cadre de responsabilisation suffisants, comme on nous l'a fait comprendre aujourd'hui, pour permettre que l'information soit communiquée aux parents durant la période où l'enfant n'est pas majeur, et à l'enfant par la suite, s'il le demande.
Plusieurs personnes ont dit que les médecins allaient certainement exprimer leur opposition à ce genre de chose et insister plutôt sur la nécessité de conserver un système axé sur l'anonymat. D'autres membres du comité, ou peut-être la présidente, pourront me corriger si je me trompe, mais je ne pense pas que nous ayons reçu beaucoup de témoignages jusqu'à présent qui militent pour la protection de la vie privée dans ce contexte.
La présidente: Lorsque les représentants des associations médicales ont comparu devant le comité, ils nous ont fait part d'autres priorités. D'après mon souvenir, ils n'ont pas vraiment abordé cette question-là. Nous n'avons pas encore terminé notre étude, mais jusqu'à présent les observations faites devant le comité n'ont pas tellement porté sur cet aspect-là de l'avant- projet de loi. Vous êtes les premiers à...
M. Barry Stevens: On peut supposer qu'ils sont satisfaits du texte actuel de l'avant-projet de loi.
La présidente: On pourrait peut-être tirer cette conclusion- là, surtout qu'ils nous ont fait part de leur réaction à d'autres articles de l'avant-projet de loi qui ne leur plaisaient pas. Donc, on peut supposer que s'ils n'ont pas parlé de cet article-là, c'est parce que le texte actuel leur paraît tout à fait satisfaisant.
M. James Lunney: J'aimerais remercier les témoins pour les arguments très convaincants qu'ils ont fait valoir ce matin, arguments que nous voudrons examiner avec le plus grand sérieux.
Je cède ma place à d'autres membres du comité, puisque notre temps est limité.
La présidente: Merci beaucoup. Peut-être pourrez-vous intervenir après que nous aurons entendu une autre question.
Je donne maintenant la parole à Mme Thibeault.
[Français]
Mme Yolande Thibeault (Saint-Lambert, Lib.): Merci, madame la présidente. Bonjour tout le monde.
Tout d'abord, est-ce que quelqu'un peut me dire en quelle année approximativement a été produit le clip télévisé qu'on a vu tout à l'heure?
[Traduction]
Mme Shirley Pratten: La première vidéo a été produite en 1985, et la deuxième, en 1989.
[Français]
Mme Yolande Thibeault: Merci beaucoup, parce qu'il est important de savoir pendant combien de temps il faut attendre pour connaître les bonnes choses.
[Traduction]
Mme Shirley Pratten: Oui. Ça remonte assez loin.
[Français]
Mme Yolande Thibeault: Je ne sais pas par où commencer tellement j'ai de choses à aborder.
Je voudrais vous parler d'un sujet que vous avez à peine touché, celui du coût que doit payer un couple qui va voir un médecin en lui disant qu'il veut un enfant et qui demande combien il va devoir payer pour que ce médecin l'aide à avoir des enfants?
[Traduction]
Mme Shirley Pratten: Je n'ai pas bien compris la première partie de votre question.
[Français]
Mme Yolande Thibeault: Combien est-ce que ça vous a coûté pour produire une belle fille comme Olivia?
[Traduction]
Mme Shirley Pratten: Très bien. Merci.
Quand nous avons eu recours à cette procédure, il y a presque 20 ans, nous avons payé chaque insémination 50 $. Il a fallu sept mois pour concevoir Olivia, et la procédure était pratiquée deux ou trois fois par mois. Je ne sais pas combien cela coûte à l'heure actuelle. Je pense que ça dépend des provinces. Mais le coût est certainement plus élevé maintenant.
[Français]
Mme Yolande Thibeault: C'est que j'entends dire aujourd'hui, par des gens qui m'en ont parlé, que c'est beaucoup plus cher que ça. On parle de dizaine de milliers de dollars actuellement.
[Traduction]
Mme Shirley Pratten: Pour l'insémination par donneur? Non, je ne crois pas.
[Français]
Mme Yolande Thibeault: Non. Excusez-moi. Je parlais de in vitro. C'est une erreur de ma part.
De toute façon, j'en arrive à ce point-ci: est-ce que vous pensez que les frais encourus pour de telles interventions devraient être couverts par notre système médical? Autrement, je trouve que ces techniques sont réservées aux gens qui ont beaucoup d'argent. Quant aux gens moins riches, c'est dommage, mais ils n'ont pas d'enfant.
Allez-y.
Mme Catherine Clute: Puis-je répondre, s'il vous plaît, madame la présidente?
La présidente: Oui.
Mme Catherine Clute: Je suis de la Nouvelle-Écosse. Il y a un avocat à Halifax, Alex Cameron, qui a intenté une action contre le gouvernement provincial afin de se faire rembourser ses frais d'infertilité. Il a perdu sa cause en cour d'appel et a demandé à porter l'appel jusqu'en Cour suprême, et sa demande a été rejetée. C'est une situation qui nous trouble beaucoup, nous, qui travaillons avec les personnes qui souffrent d'infertilité parce que, en effet, nous nous trouvons devant deux classes de personnes.
Je rencontre souvent des gens qui me disent que le docteur leur dit qu'ils devraient faire telle chose, mais comme ils n'ont pas assez d'argent pour cela, ils vont faire telle autre chose qui n'est peut-être pas aussi efficace, mais qui est en rapport avec leur budget.
Le prix du sperme, depuis qu'Olivia a été conçue, est maintenant de quelques centaines de dollars pour chaque traitement, je crois. Cela a augmenté de façon phénoménale.
Mme Yolande Thibeault: En effet, le danger, c'est de créer deux classes de gens, ce qui, au point de vue de la confidentialité, existe déjà à ce que je peux voir.
Madame Pratten, quand vous vous êtes présentée chez un médecin avec votre mari, il y a 19 ou 20 ans, est-ce que le médecin vous a conseillé, à ce moment-là, de ne rien dire, de garder tout le procédé secret?
[Traduction]
Mme Shirley Pratten: Oui, absolument. Je me souviens de lui avoir demandé comment on pourrait dire tout cela à notre enfant. Il nous a répondu que la plupart des gens n'en parlaient pas du tout, et qu'il était même préférable que nous ne lui en parlions pas. Il ne nous a pas vraiment dit de ne rien dire, mais nous ne pouvions pas non plus nous adresser à d'autres personnes pour nous faire conseiller. Nous ne connaissions personne qui soit dans la même situation que nous, et par conséquent, nous lui avons demandé conseil. À mon avis, il nous a donné le meilleur conseil qu'il croyait pouvoir nous donner étant donné ce qu'il savait à l'époque.
Encore une fois, comme je l'ai indiqué dans mon exposé, ce ne sont pas des questions médicales. Les médecins ne sont pas qualifiés pour conseiller les parents sur ces questions de procréation complexes. Certains estiment qu'il faut mettre à la disposition de ceux qui ont recours à de telles techniques des services de soutien et de counseling. Mais comme vous l'avez vu dans la vidéo, il s'agit plutôt de psychothérapie.
Mon opinion à cet égard s'appuie sur mon expérience de professionnelle se spécialisant dans la santé mentale de même que sur mon expérience personnelle. Ce n'est pas le genre de situation où l'on doit s'attendre à ce que le médecin joue le rôle de conseiller auprès des parents; les intéressés ont besoin de bénéficier des conseils d'un spécialiste qualifié qui connaît à fond la nature des problèmes. C'est quelque chose qui doit être disponible toute la vie.
La présidente: Excusez-moi, madame Thibeault, mais vous n'avez plus de temps.
Mme Yolande Thibeault: Je n'ai plus de temps?
La présidente: C'est le tour de M. Merrifield. Je dois être très stricte parce que je sais à quel point les gens sont fatigués. Nous avons déjà siégé une heure et demie avant de recommencer. Et il nous reste une autre heure et demie de séance.
M. Rob Merrifield (Yellowhead, Alliance canadienne): Vous nous rappelez que nous avons commencé tôt ce matin.
La présidente: En effet.
M. Rob Merrifield: Oui, c'est vrai.
J'ai trouvé vos propos très intéressants et assez rafraîchissants également, parce que vous nous avez permis de faire connaissance avec certaines des personnes qui sont visées par cet avant-projet de loi. Mais pour moi, nous n'avons pas réussi, dans ce texte législatif, à voir au-delà de la boîte de Pétri.
Les scientifiques et les légistes qui sont venus nous parler de cette mesure législative nous ont fait oublier qu'il y a un visage humain derrière chaque embryon. Je crains justement, par rapport à ce texte et aux mesures que nous allons adopter dans ce domaine, que nous oublions les visages d'Olivia, de Shirley, etc. Donc, je tiens à vous remercier de votre présence aujourd'hui. Vous avez rappelé à ce comité que nous parlons ici de vie humaine.
Pour ce qui est d'un système axé sur la transparence, vous n'avez pas besoin de me convaincre de l'utilité de la chose. Par rapport aux témoignages du producteur laitier, je tiens à vous dire que j'ai grandi dans ce métier, si bien que je comprends très bien de quoi il s'agit. En fait, je suis technicien accrédité d'insémination artificielle, et je suis donc au courant des enjeux en matière d'identification.
Sans vouloir traiter la question à la légère, je constate qu'il y a eu des conséquences psychologiques pour mes bovins. Il n'y en a pas un qui soit intelligent. Ce n'est pas du tout lié, mais ça nous amène tout de même à constater ce qui arrive chez les bovins. On choisit les huit meilleurs bovins en Amérique du Nord et on examine 70 caractéristiques différentes. On choisit la meilleure femelle et le meilleur mâle et on les met ensemble. Donc, sur huit mâles jugés être les meilleurs, seulement un est sélectionné et c'est uniquement le sperme de cet animal-là qui est prélevé pour la réserve.
• 1230
Je ne voudrais pas que cela se produise ici—c'est-à-dire que
nous cherchions des Wayne Gretzkys et des top modèles qu'on puisse
mettre ensemble pour garantir la bonne évolution de la génération
future en Amérique du Nord. Ce serait encore plus grave que ce qui
s'est produit en Allemagne.
Donc, pour ce qui est de permettre à l'enfant d'accéder à cette information et de reconnaître que c'est sont droit, vous n'avez pas besoin de me convaincre. À mon avis, il faut absolument prévoir des mesures dans ce sens.
Cela m'amène à vous poser une question. En ce qui concerne le sperme et l'information à ce sujet—d'ailleurs, nous avons reçu plusieurs témoins qui nous ont entretenus de la question—il semble qu'une quantité importante de sperme nous vient des États-Unis. Quelles informations accompagnent ce sperme-là? Est-ce que l'un d'entre vous le saurait?
Mme Catherine Clute: La clinique à laquelle ont recours la plupart des patients qui font partie de nos groupes de soutien est en fait la seule clinique dans toute la province de la Nouvelle- Écosse. Ils traitent uniquement avec Xytex, la compagnie de Géorgie qui offre apparemment des vidéos, des photos et toutes sortes de choses intéressantes. Je n'ai encore rencontré personne qui ait vu une vidéo présentant son donneur. En fait, j'ai rencontré plusieurs personnes qui ont demandé à d'autres de leur choisir un donneur. Autrement dit, l'infirmière vous dit: Voilà les donneurs potentiels; vous devriez peut-être choisir entre ces deux-là. Disons que s'il existe de l'information, elle n'est pas toujours communiquée au patient—du moins, pas en Nouvelle-Écosse.
M. Rob Merrifield: L'autre élément important, c'est que ce genre de pratique tombe sous le coup des lois provinciales puisqu'il s'agit de cliniques provinciales. Je me demande par conséquent ce qu'il faut faire. Est-il préférable que ces questions soient réglées par le biais de normes provinciales ou fédérales, et est-ce vraiment important à condition que le système soit vraiment ouvert et que les intéressés puissent accéder à l'information qui les concerne? Ce sera un système d'envergure internationale, comme on le disait en discutant des mesures prises dans d'autres pays. Je ne sais pas si vous voulez répondre.
La présidente: Madame Roch.
Mme Joan Roch: Étant donné que notre mandat consiste à recueillir de l'information sur la santé, nous recommanderions vivement que des normes nationales s'appliquent à l'information communiquée à autrui, et notamment ce genre d'information. Sinon, il peut être difficile de la contrôler. Il est déjà très difficile d'établir des rapports qui présentent des données et des analyses fiables.
M. Rob Merrifield: Devrions-nous envisager d'harmoniser nos règlements avec ceux des États-Unis, si ce pays représente une source importante de sperme?
Mme Joan Roch: Je sais que dans certains cas, nous essayons d'établir des structures qui, sans être tout à fait parallèles, sont semblables à celles qui caractérisent les systèmes de codage internationaux—si c'était bien cela votre question.
M. Rob Merrifield: Merci.
Mme Joan Roch: Mais je comprends très bien que c'est une question épineuse, étant donné que les soins de santé relèvent surtout des autorités provinciales.
La présidente: Merci, monsieur Merrifield.
Monsieur Alcock.
M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.): Merci beaucoup. Je suis ravi d'être là.
Je voudrais commencer par vous féliciter, Shirley; je tiens aussi à remercier Barry, Olivia et vous-même, mais surtout vous.
Pour vous expliquer un peu mes antécédents professionnels, j'étais directeur de la Protection de l'enfance au Manitoba au début des années 80 et j'ai donc été chargé de piloter le projet de révision de la Loi sur les services à l'enfant et à la famille. C'est dans ce contexte, que nous avons examiné la possibilité d'un système ouvert d'adoption. Les personnes qui sont les premières à revendiquer ce genre de chose sont celles qui courent le plus de risques, si bien qu'ils jouent un rôle de chef de file pour ce qui est de faire évoluer les valeurs de la société.
Personnellement, je n'ai absolument rien contre l'idée d'un registre ouvert et d'un système qui prévoit la communication de l'information aux intéressés; d'ailleurs, les arguments avancés par ceux qui s'y opposent ne me semblent pas valables. À mon avis, mettre en place un tel système ne devrait poser aucun problème.
Je voudrais cependant vous interroger au sujet d'une question plus générale—une question dont le comité est susceptible d'être saisi à plusieurs reprises au cours des deux prochaines années. Pour moi, la plus importante mesure que nous pourrions prendre pour améliorer la qualité des soins de santé et la gestion du système de soins consisterait à créer une base de données nationales des dossiers de santé. À mon avis, aucun autre instrument que nous pourrions envisager d'élaborer ne nous apprendrait davantage sur la façon d'administrer les soins de santé et de mieux faire comprendre les enjeux dans ce domaine. Les éventuels obstacles sont au nombre de deux: d'abord, l'ignorance, et deuxièmement, les craintes inévitables, liées à la responsabilisation, qui accompagnent tout projet visant à créer des systèmes de collecte et d'organisation des données.
J'ai parlé d'ignorance par rapport aux nombreux changements que nous avons subis dans le contexte de notre société. De mon temps—et je ne suis malheureusement plus très jeune, Olivia, comme le fait remarquer ma fille, d'ailleurs—lorsqu'une jeune fille tombait enceinte, on l'envoyait dans une autre localité à cause de la honte que ressentaient les personnes concernées. Mais les attitudes ont changé de façon radicale de mon vivant, et elles changeront de façon encore plus radicale au fur et à mesure que nous serons davantage conscients des enjeux. Des questions liées au patrimoine, au rôle des parents, etc. sont toutes très importantes.
Catherine, vous avez parlé d'autre chose que nous devrons examiner en comité, à savoir que nous ne parlons pas ici uniquement de la procréation proprement dite; le processus décisionnel englobe toutes sortes d'autres éléments importants. Nous parlons de pratiques telles que la maternité de substitution où il convient de bien réfléchir à tous les facteurs, de tenir des consultations et de confier ces dossiers à des professionnels qui ont une expertise dans le domaine des liens familiaux, le rôle des parents, etc., car sinon... Nous avons déjà trop attendu. À l'heure actuelle, des avocats au Canada se chargent d'adoptions privées. Mais ils n'ont pas l'expertise et les qualifications nécessaires pour aider les parents à mieux comprendre la question de la formation des liens affectifs avec un enfant. Nous avons créé des services et des connaissances spécialisés au cours des dernières décennies au fur et à mesure que nous avons fait face aux graves problèmes qui découlent de mauvaises décisions.
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Autrefois des enfants adoptés venaient se plaindre de ce
que...et c'était pareil pour des choses très simples, comme les
dons de moelle osseuse. Nous ignorions l'identité de l'autre
parent. À l'époque, j'aurais eu le droit d'examiner les dossiers,
mais c'était toujours assez pénible, en raison des questions que ça
soulève—par exemple, le fait que les documents n'ont pas été
conservés adéquatement, qu'on n'assure aucun suivi, etc. Souvent on
avait recours à des agences de recherche pour trouver les parents,
puisqu'il n'existait aucun autre mécanisme.
À mon avis, si le comité prenait fermement position sur ces questions, ce serait bien utile, et nous pourrions plus facilement répondre aux besoins en matière de structures d'information—on pourrait ainsi réagir aux préoccupations d'Olivia concernant la perte des données, parce que cela se produit—et d'avoir accès à des données qui sont vraiment utilisables. Je pense que nous devrions aussi nous prononcer en faveur d'une politique qui renverse le modèle actuel et met l'accent sur la transparence. Pour moi, cet aspect-là est primordial; il ne faut pas que la gêne que nous ressentons dès lors qu'il s'agit de sexualité ou notre réticence à accepter tout ce qui est nouveau nous empêche d'adopter de bonnes pratiques dans ce secteur.
Joan, si je peux me permettre, je pense que nous devrons à un moment donné contester les privilèges des médecins en matière de responsabilité et de contrôle. Le monde a évolué dans ce secteur, tout autant que dans les autres.
Je n'ai pas vraiment de question à poser. Je suis tout simplement très content d'avoir pu être présent pour vous écouter.
Merci infiniment. Le travail que vous faites est très important.
Mme Shirley Pratten: Merci.
La présidente: Je donne maintenant la parole à
[Français]
Madame Picard.
Mme Pauline Picard (Drummond, BQ):
Je tiens à vous dire, Olivia, que j'ai trouvé votre témoignage vraiment éprouvant. En tout cas, je suis très sensible à ce que vous nous avez dit.
Je voudrais savoir, madame Pratten, comment ça s'est passé quand vous êtes allée rencontrer le médecin en ce qui concerne le... Est-ce qu'on vous a laissé un certain choix? Est-ce que le médecin vous a donné le choix quant au donneur de sperme? Est-ce que le médecin vous a fait un portrait du donneur ou est-ce qu'il vous a communiqué certaines données le concernant?
[Traduction]
Mme Shirley Pratten: Non, il nous a dit qu'il essaierait de trouver un donneur dont les caractéristiques physiques correspondraient le plus possible à celles du père d'Olivia. Il ne nous a jamais réellement dit qu'il ne fallait pas poser de questions, mais nous avions tout de même la très nette impression qu'il ne voulait pas qu'on essaie d'aller plus loin: autrement dit, les choses devaient se faire de cette façon-là, et si nous étions intéressés, il fallait bien qu'on accepte que ce soit ainsi. Voilà tout.
Mme Olivia Pratten: Je voudrais ajouter un élément de réponse. Vous parliez d'information... Plus tard, quand j'avais six ou sept ans, ma mère a écrit au médecin pour lui demander de nous communiquer de l'information au sujet du donneur. Il nous a répondu qu'il devrait vérifier auprès de sa secrétaire, mais qu'à son avis, le donneur mesurait 5 pieds 10 et avait des cheveux blonds et des yeux bleus. Eh bien, à mon avis, ce n'est pas vrai.
Je n'ai pas vu ce médecin. J'ai pris rendez-vous avec lui lundi, puisque nous serons de retour en Colombie-Britannique à ce moment-là. Je sais qu'il ne voudra rien me dire. Et si je me fonde sur les expériences d'autres personnes qui ont traité avec ce médecin-là, il me semble peu probable que l'information existe encore. Sa réponse classique est de dire: «J'ai l'habitude de garder l'information pendant six ans, alors pourquoi l'aurais-je encore?» Mais quand j'irai le voir, je me mettrai en face de lui et je lui dirai: «Je veux que vous me disiez vous-même que vous n'avez plus rien.» C'est ce que je soupçonne. Il me dira peut-être qu'il n'arrive pas à trouver le dossier, ou quelque chose de ce genre, mais au moins il devra répondre à mes questions. Le processus continue, et quand ce sera fini, j'aurai la certitude que ce médecin ne détient aucune information qui puisse m'être utile.
C'est pour ça que je suis si contente d'être là—pour pouvoir aider les futures enfants issus de la procréation assistée. J'espère qu'à l'avenir, vous ne vous retrouverez pas face à une autre personne comme moi, qui vous dit: «Je n'ai aucune information.» Il y a une leçon à tirer de nos expériences.
Mme Shirley Pratten: On m'a dit qu'une femme qui nous a appelés—il arrive fréquemment que les gens s'adressent à notre groupe—expliquait qu'elle habitait une petite localité éloignée de la Colombie-Britannique et qu'elle supposait que la réserve de donneurs était moins importante là-bas. Tout ce que le médecin lui a dit, c'est le donneur était de sexe masculin, et qu'elle devrait s'estimer heureuse d'avoir pu obtenir ce renseignement-là. C'est tout.
Voilà le seul renseignement que peuvent obtenir certaines personnes, et même si ce n'est pas grand-chose, nous avons dû vraiment nous battre pour en arriver là. Grâce à la publicité entourant cette question et au travail de sensibilisation du public qui a été réalisé, nous constatons dans certaines localités qu'il y a plus d'information qui est donnée dans certains cas, et surtout une conscientisation du public, mais comme vous l'expliquaient Barry et Olivia, ce que nous recevons n'est pas suffisant. Il faut que les restrictions disparaissent.
La présidente: Si Mme Picard a une autre question à poser, elle devrait la poser maintenant.
Avez-vous une autre question à poser?
[Français]
Mme Pauline Picard: J'ai une autre question à poser rapidement.
Monsieur Stevens, quel est votre point de vue sur l'identification? Je veux parler de registre national. Par rapport à l'identification des donneurs, à la collecte des données ou à l'analyse de leurs propriétés sur le plan médical, est-ce que ça devrait être un organisme national indépendant qui s'en occupe ou bien le ministère fédéral? Qu'est-ce qui serait le mieux?
Avez-vous déjà réfléchi à la façon de conserver ces renseignements tout en respectant la loi qui touche la protection de la vie privée des gens, une loi qui contienne des normes et une réglementation? Comment voyez-vous ça?
[Traduction]
M. Barry Stevens: Je ne peux pas vous dire si cette responsabilité devrait relever d'un organisme indépendant, du ministère ou d'un organe tout à fait distinct. C'est à des gens mieux renseignés que moi de déterminer ce qui convient le mieux. Je ne sais vraiment pas ce qui serait préférable.
Par contre, j'estime que le gouvernement devrait tenir un registre national de toutes les personnes nées de la conception avec un tiers, de même qu'un registre des donneurs. À mon avis, leurs renseignements médicaux doivent être sollicités et mis à jour régulièrement lorsque l'enfant est encore jeune et accessibles aux parents. Lorsque l'enfant est d'âge mûr—et je ne sais pas exactement de quel âge il s'agit: dans certains pays, c'est 14 ans; en Suède, c'est 16 ans; en Californie, c'est 18 ans—l'information sur l'identité du donneur peut être communiquée à l'enfant s'il le demande. Voilà le genre de système qui devrait à notre avis être instauré ici.
Je voudrais préciser, cependant, que la question de la protection des renseignements personnels est complexe. Mais pour rejoindre de que disait Olivia tout à l'heure, la protection de la vie privée et l'anonymat sont deux choses complètement différentes. À mon avis, nous avons le droit d'entretenir une relation avec un donneur. Lui a le droit—comme tout citoyen—de nous dire non et de fermer la porte. Il n'est pas obligé d'entretenir des relations avec moi. À mon avis, c'est là qu'intervient son droit à la protection de la vie privée. Il est donc protégé sur ce plan-là. Mais ce n'est pas la même chose que l'anonymat.
Il y a aussi la question de la consanguinité, bien entendu. Les personnes nées par ces procédures doivent avoir la garantie qu'elles ne vont pas épouser une autre personne issue du sperme du même donneur; il ne faut pas oublier que certaines familles continueront à mentir à leurs enfants, même si le climat est beaucoup plus ouvert.
J'attire votre attention sur un autre point: à mon avis, tous les Canadiens ont droit, puisqu'il s'agit du premier contrat qu'ils concluent en tant que particulier avec l'État, à un certificat de naissance. Pour moi, ce certificat doit être exact et ne pas colporter des mensonges. C'est le cas non seulement des personnes adoptées mais des gens comme nous.
La présidente: Merci.
Madame Beaumier.
Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.): Je suis vraiment épatée! Votre message a vraiment suscité beaucoup d'empathie de la part des membres. J'ai des milliers de questions à vous poser, mais dans bien des cas, il conviendrait sans doute davantage d'en parler avec vous en privé pour mieux comprendre votre situation.
Il reste que j'ai deux questions précises à vous poser. Premièrement, quand vous avez dit que le droit à la protection de la vie privée protégerait le donneur contre l'obligation d'entretenir des rapports personnels avec vous, si vous vouliez à tout prix le harceler, je dois dire que j'en suis moins sûre que vous... Mais comprenez-moi bien: je suis en faveur d'un système ouvert et j'estime que chacun doit assumer ses responsabilités. Je tenais à vous le dire.
Mon autre point concerne ce que vous disiez tout à l'heure, à savoir qu'un médecin n'est pas en mesure de donner des conseils. À votre avis, faut-il exiger que les personnes qui envisagent de recourir à cette procédure se fassent conseiller par des professionnels au préalable, tout comme pour une famille qui envisage d'adopter un enfant?
M. Barry Stevens: Oui, je serais tout à fait d'accord là- dessus.
Mme Shirley Pratten: Oui, moi aussi. À mon avis, le médecin doit faire partie d'une équipe multidisciplinaire. Il doit jouer son rôle de spécialiste des aspects médicaux du problème de l'infertilité, mais toutes sortes d'autres éléments exigent l'intervention d'autres professionnels, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent puisque le tout a toujours relevé de la responsabilité des médecins.
Mme Colleen Beaumier: Je voulais aussi que vous m'expliquiez ce que vous entendez par le droit à la protection de la vie privée.
M. Barry Stevens: Pour ma part, j'ai cherché activement à connaître l'identité de mon donneur, et j'ai fini par retrouver l'un des 100 ou 200 demi-frères et demi-soeurs avec lesquels j'ai un lien génétique. J'en ai trouvé un, et nous sommes en fait très proches. Mais si David—il s'appelle David—m'avait dit: «Oui, et alors; qu'est-ce que ça peut me faire que nous soyons demi- frères...» De toute façon, ce n'est pas tout à fait pareil, puisque pour moi, les demi-frères et demi-soeurs ne devraient pas jouir des mêmes droits.
Mais si j'avais trouvé le donneur, à mon sens, il n'aurait pas été dans l'obligation de me faire des cadeaux pour Hanukkah—parce que j'ai su qu'il était juif—ou pour Noël ou pour aucune autre occasion. À mon avis, il n'aurait été aucunement obligé à entretenir quelque relation que ce soit avec moi. Pour ma part, je voulais simplement me renseigner sur mes origines.
Donc, je fais tout de même une distinction entre son droit de me fermer la porte au nez et mon droit de connaître son identité. Je ne sais pas si c'est bien clair.
Mme Colleen Beaumier: Oui, je comprends.
La présidente: Avez-vous d'autres questions?
Mme Colleen Beaumier: Oui, des centaines, mais non...
La présidente: Madame Sgro.
Mme Judy Sgro (York-Ouest, Lib.): La séance de ce matin m'a complètement anéantie.
La présidente: Oui, nous devrions tous rentrer chez nous maintenant pour faire la sieste.
Mme Judy Sgro: Je dois vous dire—et à cet égard, je m'associe aux remarques de mes collègues d'en face—que les médecins nous exposent depuis un moment les raisons pour lesquelles il devrait y avoir le moins de contrôle possible et nous exhortent donc à ouvrir les vannes et à permettre à la science de faire ce qu'elle fait de mieux, etc. Donc, je tiens à vous remercier d'être venus nous faire part de vos expériences aujourd'hui, parce que vous nous avez permis de bien comprendre le côté humain de la chose en bien insistant sur la nécessité de prendre les bonnes décisions.
Je me demande des fois si la science ne progresse pas trop vite dans certains domaines; et je me pose aussi des questions au sujet des donneurs—qu'est-ce qu'on fait à leur sujet? De façon générale, on parle de... Est-ce qu'on leur paie leurs dons? Est-ce qu'ils font un don de sperme parce que le principe du partage leur tient à coeur? Comment sont-ils, les donneurs? Je sais qu'il n'y a pas une seule réponse à cette question, mais...
Mme Rona Achilles: Les résultats des études menées jusqu'à présent sont contradictoires jusqu'à un certain point. La motivation des donneurs varie. Il y en a qui prétendent faire des dons pour des raisons altruistes. Or la plupart d'entre eux ne sont pas prêts à renoncer aux honoraires, ce qui met en doute la véracité de leurs déclarations.
M. Barry Stevens: À l'époque où j'ai été conçu, ils n'étaient pas payés...
Mme Rona Achilles: Ah, bon?
M. Barry Stevens: ...donc, ceux qui acceptaient de le faire le faisaient généralement pour des raisons altruistes.
Mme Rona Achilles: Oui, il est tout à fait possible de recruter des donneurs qui sont motivés par l'altruisme. À l'heure actuelle, la réserve de donneurs à Toronto—ça change tout le temps—est surtout composée de jeunes étudiants. Aucun service de counseling n'est offert.
Les recherches que j'ai menées en préparant ma thèse de doctorat m'ont permis de constater que plus le donneur était jeune au moment du don, plus il était susceptible de remettre en question son geste plus tard dans la vie. C'est comme si l'on demandait à un jeune de 18 ans de savoir ce que c'est que d'avoir un enfant. Combien d'entre nous auraient pu comprendre les conséquences de la procréation avant d'avoir nous-mêmes un enfant? On ne peut pas s'attendre à cela. Par conséquent, il faut que ceux qui envisagent de le faire bénéficient de counseling pour bien comprendre les conséquences à long terme de leur décision. Après tout, il ne s'agit pas d'une simple piqûre pour se protéger contre ses allergies. Là il est question de créer une vie humaine.
M. Barry Stevens: Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, il y a aussi des questions particulières qui entrent en ligne de compte quand il est question de dons d'ovule et d'embryon. Demander à un homme de se masturber, ce n'est pas bien compliqué, mais une femme qui veut produire un ovule viable doit subir des changements physiques assez considérables, si bien qu'il y a des questions bien distinctes—entre autres celle de la rémunération—qui entourent les dons d'ovule.
Mme Rona Achilles: Oui, et si je ne m'abuse, ils reçoivent des honoraires allant de 40 $ à 75 $ par échantillon.
M. Barry Stevens: Vous parlez des donneurs de sperme?
Mme Rona Achilles: Oui, les donneurs de sperme.
M. Barry Stevens: Les donneurs d'ovule se font payer...
Mme Rona Achilles: ...beaucoup plus.
M. Barry Stevens: Oui, des milliers de dollars.
Mme Judy Sgro: Mais est-ce que ce genre de chose devrait être autorisée?
Mme Rona Achilles: Voilà justement le genre de chose qu'on peut envisager d'aborder dans le projet de loi. Convient-il d'autoriser le versement d'honoraires—en fait, quelque paiement que ce soit qui pourrait servir d'incitation aux gens—ou faut-il plutôt se contenter de rembourser les dépenses. Après tout, stationner une voiture à Toronto peut revenir très cher.
Mme Shirley Pratten: Le donneur que vous avez vu dans la vidéo, Wayne, celui qui a parlé ouvertement de ce qu'il a fait, fait partie de notre groupe, et s'il a commencé à faire des dons de sperme, c'est parce qu'il vivait avec des musiciens qui faisaient ça. Il ne nous a pas caché qu'ils s'en tiraient assez bien. Pour eux, c'était comme un deuxième emploi—les dons, je veux dire—et leurs gains leur permettaient de prendre des vacances ou de faire des choses comme ça.
M. Barry Stevens: Et ils ne mentaient pas au sujet de...
Mme Shirley Pratten: Si ce sont de pauvres étudiants...
Personnellement, je n'ai rien contre l'idée de leur payer leurs dépenses. Mais à mon avis, cela ne coûte pas 50 $ pour garer sa voiture, même à Toronto. En ce qui me concerne, ce n'est pas le genre d'activité qui devrait permettre aux gens de faire de l'argent.
M. Barry Stevens: Aux États-Unis, où le marché est plus ouvert, je crois savoir que le prix le plus élevé obtenu pour un don de sperme était de 15 000 $. Que je sache, le prix le plus élevé jamais obtenu pour un don d'ovule était de 150 000 $ mais je sais aussi que des contrats d'une valeur de 50 000 $ ont déjà été signés.
Mme Rona Achilles: Un fait intéressant que j'ai oublié de mentionner tout à l'heure concerne justement les systèmes ouverts qui ont été instaurés un peu partout dans le monde; on a constaté dans ces pays que les donneurs qui se portent volontaires sont souvent plus âgés et plus réfléchis et comprennent mieux l'enjeu de leur décision. Évidemment, les médecins vous diront que puisqu'ils sont plus âgés, leurs spermatozoïdes sont moins motiles, mais...
Mme Catherine Clute: On s'attend à ce que les gens fassent des dons de sang, mais on ne leur donne que des biscuits et une tasse de café. Et ils ne s'attendent pas non plus à ce qu'on leur paie leurs dépenses ou autres choses.
La présidente: À mon avis, c'est à Mme Achilles qu'il faut attribuer l'une des observations les plus profondes qu'on a entendues aujourd'hui. Elle nous dit que les spécialistes de la fertilité, aussi qualifiés soient-ils pour régler des problèmes d'infertilité, ne savent pas grand-chose sur les conditions qui permettent de créer des familles saines. Je me demande si tout cet avant-projet de loi n'est pas défini en fonction des priorités de ceux qui mènent le jeu, c'est-à-dire essentiellement les scientifiques, les médecins et les couples infertiles.
M. Barry Stevens: Oui, absolument.
Mme Rona Achilles: C'est tout à fait ça.
La présidente: Si on dit quoi que ce soit de critique devant un médecin ou un scientifique, ils nous répondent toujours: «Mais rappelez-vous ces pauvres gens qui veulent à tout prix avoir un enfant, par quelque moyen que ce soit». Là on parle surtout de fécondation in vitro.
Mais je commence à me dire que le gouvernement a surtout intérêt à s'assurer que les familles canadiennes sont saines. Pour éviter de faire intervenir le droit des contrats—qui est toujours visé du moment qu'une personne est rémunérée pour les services qu'elle a rendus—et pour nous assurer que toutes ces questions pourront être réglées dans le cadre du droit de la famille, je me demande si nous ne devrions pas justement envisager de nous limiter à ce contexte-là en examinant les procédures relatives à l'adoption.
Par exemple, je n'ai jamais pensé jusqu'à aujourd'hui qu'il pourrait être approprié d'organiser une visite à domicile ou de faire faire une évaluation psychologique des parents qui présentent la demande. Autrement dit, nous ne permettons pas aux gens d'adopter un enfant à moins qu'on les juge aptes à lui offrir un milieu familial approprié, mais nous permettons aux gens de recourir à la fécondation in vitro alors que personne n'est jamais allé chez eux—non pas pour voir qu'ils ont qu'un meuble, mais pour connaître un peu l'atmosphère, l'état de préparation psychologique des parents, etc.
Vous qui êtes spécialiste de la protection de l'enfance, vous devez savoir si nous procédons à ce genre de visites à domicile, n'est-ce pas? Est-ce qu'on exige des visites à domicile pour...
M. Reg Alcock: Oui, absolument. En même temps, je me dis qu'on doit essayer de contrôler ce qui est contrôlable. Par le passé, on essayait d'empêcher les jeunes filles d'avoir des rapports sexuels en refusant de leur donner des anticonceptionnels—jusqu'au moment de nous rendre compte que si on ne peut pas contrôler le corps, il s'agit d'essayer de gérer l'environnement. C'est certainement problématique. Ce n'est pas comme pour les enfants adoptifs, où on peut ou non leur confier l'enfant. Là ce sont des gens qui décident de procréer par d'autres moyens.
La présidente: Oui, mais c'est justement ça le problème. Si nous continuons de mettre l'accent sur tout ce qui précède la conception—comme le fait l'avant-projet de loi, d'ailleurs—nous continuerons d'oublier qu'à la fin de tout cela, il y aura un bébé qui a certains besoins.
M. Reg Alcock: Si je vous comprends bien... Vous semblez dire que ce projet de loi devrait peut-être être scindé en deux: une première partie touchant la recherche scientifique sur les cellules souches, et ce genre de choses—c'est-à-dire le traitement du matériau génétique inutilisé et toutes les questions qui l'entoure; et une deuxième partie qui toucherait plutôt les nombreuses conséquences de ces procédures pour toutes sortes de personnes.
La présidente: Oui, exactement.
M. Reg Alcock: Il ne sera peut-être pas possible d'aborder ces deux questions dans un même projet de loi, mais il faut absolument les traiter adéquatement. Si ce véhicule est le seul que nous ayons au niveau fédéral pour atteindre cet objectif, eh bien...
La présidente: Il faut réfléchir aux deux volets.
M. Reg Alcock: À mon avis, nous avons peut-être l'occasion de faire quelque chose. Pourrais-je...
La présidente: Il m'a demandé il y a quelque temps la permission de poser une toute petite question.
M. Reg Alcock: Je voudrais mentionner une dernière petite chose. Barry, vos commentaires concernant la protection de la vie privée m'ont beaucoup intéressé et je voulais donc vous dire ceci. Nous réfléchissons beaucoup à la question de la protection des renseignements personnels. À mon avis, notre façon d'encadrer et d'administrer les mesures de protection de la vie privée au gouvernement—surtout depuis que nous avons un nouveau commissaire—est tout à fait honteuse. En ce qui me concerne, les principes qui sous-tendent notre politique dans ce domaine sont stupides et ridicules.
Quand on parle de la notion de protection de la vie privée... Par exemple, j'ai le droit de mener une vie en dehors de mes autres activités. Je peux pratiquer ma propre religion; je peux pratiquer la sexualité qui me convient—je pourrais être homosexuel. Ce sont des choses que je ne pouvais pas faire autrefois. Le fait est qu'à un moment donné, on a confondu protection de la vie privée et confidentialité. Comme c'était risqué de dire aux gens que j'étais homosexuel, je n'en parlais à personne, n'est-ce pas? Dans un sens, vous nous dites essentiellement la même chose.
Là où les préoccupations de certains sont fondées—cela a moins à voir avec l'altruisme qu'avec l'ensemble de droits qui existent dans d'autres secteurs—c'est pour savoir si j'accepte nécessairement certaines obligations légales si je décide de faire un don de sperme. Et il y a certainement moyen de prévoir dans la législation le droit d'une personne de protéger sa vie privée.
M. Barry Stevens: Oui.
M. Reg Alcock: Mais cela ne veut pas dire que j'aurais le droit de refuser de communiquer des informations secrètes qui pourraient être bénéfiques pour d'autres personnes.
M. Barry Stevens: Non, ce n'est pas tout à fait ça. Quand vous conduisez une voiture, par exemple, vous signez un contrat en quelque sorte, puisque vous vous soumettez à des règlements qui prévoient, par exemple, que vous devez être en mesure de produire des pièces d'identité si vous êtes conducteur. Cela ne veut pas dire que quand vous rentrez chez vous à pied le soir, vous devez être à même de présenter des pièces d'identité, mais en tant que conducteur, vous devez pouvoir le faire. Et si vous décidez de faire un don de sperme, j'estime que vous devriez être tenu de vous identifier.
M. Reg Alcock: Très bien. C'est très intéressant.
La présidente: Permettez-moi donc de vous exprimer nos profonds remerciements, car jusqu'ici, nous avons été assaillis par des gens qui veulent nous parler de boîtes de Pétri et de toutes les merveilleuses choses qui pourront se produire s'ils ont un accès libre à ces boîtes de Pétri, parce que c'est là qu'ils seront en mesure d'aider tous les malades, etc.
Tout cela est possible, mais vous, vous nous avez permis de voir la réalité en face, de savoir comment ça se passe vraiment. Quand toutes les discussions ont pris fin, le fait est que des enfants naissent et des familles sont constituées grâce à ces procédures. Pour moi, votre contribution tombe à point nommé, puisque nous devons constamment avoir à l'esprit le juste équilibre et continuer à nous dire que ce qui compte vraiment dans tout cela, ce sont les enfants et les familles. Tout le reste est secondaire.
Merci donc infiniment pour votre contribution. Vous avez clairement exprimé votre position.
La séance est levée.