:
Merci, monsieur le président.
[Français]
Monsieur le président, membres du Comité, je suis heureux d'être parmi vous cet après-midi pour parler de ma nomination à titre de président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, la CISR.
Comme je l'ai dit à ma nouvelle équipe à quelques reprises déjà depuis mon arrivée, je suis vraiment fier d'avoir été nommé au poste de président de la CISR, tout particulièrement à l'heure actuelle.
[Traduction]
Je me suis joint à la fonction publique il y a plus de 25 ans, en partie parce que ma famille m'a inculqué l'importance de la fonction publique et en partie en raison de l'occasion qu'ont les fonctionnaires de contribuer au Canada pour les Canadiens. Je pense que peu d'enjeux de politique sont plus urgents ou plus importants à l'heure actuelle que la réaction de notre pays à la migration mondiale.
La CISR, en tant que tribunal administratif indépendant à qui le Parlement confie le règlement juste et efficace des cas d'immigration et de statut de réfugié, joue un rôle de premier plan dans l'approche qu'adopte le Canada à l'égard des défis et des possibilités que présente une telle migration.
La CISR fait partie d'un écosystème élargi de ministères et d'organismes qui influencent la confiance générale du public à l'égard de l'approche du Canada relativement à notre système d'octroi d'asile et d'immigration dans son ensemble. Bref, il est clair que, comme les membres du présent comité le savent sans doute pertinemment, la CISR fait partie intégrante de l'un des enjeux de politique publique les plus importants de notre époque.
La CISR jouit d'une réputation mondiale pour son modèle de détermination du statut de réfugié et est connue pour sa main-d'oeuvre dévouée, professionnelle et hautement compétente, une main-d'oeuvre qui, fréquemment, s'acquitte d'une lourde responsabilité, assume une lourde charge de travail, et tranche ou aide à trancher les cas les plus complexes et parfois les plus délicats sur lesquels on puisse être appelé à se prononcer.
Bon nombre des décisions que prennent au quotidien les membres de la CISR ont une incidence sur la vie ou la sécurité des personnes qui comparaissent devant eux, dont certaines ont vécu des douleurs et des souffrances inimaginables. Les décisions ont souvent des conséquences pouvant changer une vie, et il faut bien tenir compte d'importants facteurs relatifs à l'intégrité du programme. Peu d'organismes ont des responsabilités touchant aussi directement la vie, la liberté ou le bien-être des personnes qui font appel à eux. Il s'agit d'un établissement au mandat très sérieux.
[Français]
Diriger une organisation qui a de l'importance pour le bon fonctionnement de notre système d'octroi de l'asile, qui a une incidence considérable sur la confiance de la population à l'égard de notre système d'immigration dans son ensemble et qui influe directement sur la vie des gens au quotidien est un privilège et, franchement, une lourde responsabilité. C'est pourquoi je suis si fier de ma nomination.
J'aimerais dire brièvement quelques mots au sujet de mon parcours professionnel.
[Traduction]
Après avoir terminé mes études en droit, j'ai choisi de me joindre au ministère de la Justice pour travailler à des problèmes sociaux et j'ai amorcé ma carrière en pratiquant le droit autochtone. À l'époque, c'était un domaine relativement nouveau qui offrait des possibilités incroyables pour un jeune avocat comme moi.
Au cours des sept années suivantes, j'ai été avocat principal dans le dossier des pensionnats indiens ainsi que dans la négociation de diverses revendications territoriales et d'autonomie gouvernementale complexes, y compris la très délicate et politisée revendication territoriale d'Ipperwash. J'ai aussi comparu fréquemment devant des commissions d'enquête fédérales visant à régler des revendications historiques. C'était un travail très important et, bien franchement, j'ai adoré ça. Ensuite, j'ai accepté des postes de cadre supérieur dans quatre autres grands ministères.
Je crois comprendre que vous avez une copie de ma biographie, alors, par souci de respect du délai qui m'est imparti, je vais simplement dire deux choses.
Au cours des 25 dernières années, j'ai assumé avec brio un niveau croissant de responsabilités de direction dans des rôles juridiques, stratégiques et opérationnels au sein d'un éventail de portefeuilles relatifs aux services sociaux, à l'économie, à l'environnement, à la sécurité et à l'immigration. J'ai occupé des postes de haut dirigeant au sein du ministère des Pêches et des Océans, du ministère de la Sécurité publique et de l'Agence des services frontaliers du Canada. Plus récemment, j'ai été sous-ministre délégué du ministère de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Je ne veux pas monopoliser davantage de votre temps pour parler des résultats que mon équipe et moi avons pu atteindre dans ces postes, mais j'espère que, dans l'heure qui vient, j'aurai l'occasion de discuter de quelques-uns d'entre eux.
J'estime que mon expérience en direction d'organismes, combinée à ma formation en droit ainsi qu'à ma connaissance des portefeuilles de l'immigration et de la sécurité frontalière, me procurent l'ensemble de compétences voulu pour gérer les défis que doit relever notre système d'octroi de l'asile et gérer efficacement la CISR dans son ensemble. La CISR, et particulièrement le système de détermination du statut de réfugié, est actuellement mise à rude épreuve, en partie en raison de ce qui se passe à l'étranger. Il en résulte une hausse sans précédent du volume de cas. Par conséquent, en faisant fond sur le travail déjà amorcé, il sera important pour la CISR de trouver des pratiques novatrices et de faire valoir un programme discipliné et axé sur les résultats.
[Français]
J'assume mes nouvelles fonctions depuis à peu près deux mois seulement. Mon intention est de rencontrer le personnel et les intervenants au cours des semaines à venir pour avoir une meilleure vue d'ensemble, mais je tiens déjà à vous faire part de trois priorités initiales.
[Traduction]
Premièrement, il est clair qu'il faut remédier aux problèmes de capacités. Nous travaillons à trouver des options que nous soumettrons au gouvernement à savoir quelle est la meilleure façon d'éliminer l'arriéré actuel et de gérer la hausse du nombre de demandes à l'avenir. Ce travail est déjà amorcé et constituera une priorité pour nous au cours des prochains mois.
Deuxièmement, je collabore avec les vice-présidents de la CISR et l'ensemble de l'équipe de direction afin de trouver des stratégies qui appuieraient mieux nos arbitres et aideraient à accélérer la prise de décisions sans compromettre l'équité et la qualité. Le travail va bon train et nous réalisons des progrès, mais il reste du pain sur la planche.
Troisièmement, il est possible d'améliorer la gestion globale des systèmes. Pour ce faire, il faudra renforcer la collaboration avec le ministère de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté ainsi qu'avec l'Agence des services frontaliers du Canada afin de relever les inefficacités dans le système et d'y remédier collectivement. Outre l'amélioration globale du système d'octroi de l'asile, nous avons relevé des préoccupations dans notre division de l'immigration, lesquelles s'inscrivent également dans notre ensemble initial de priorités de gestion.
[Français]
Comme je l'ai mentionné au début, monsieur le président, je suis fier et heureux d'assumer ce nouveau rôle. J'ai été et je demeure impressionné par le degré d'engagement et le talent du personnel de la CISR, ainsi que par le travail très difficile que les commissaires et leurs agents de soutien doivent effectuer.
Je m'engage à travailler avec le présent Comité pour contribuer à la réussite de la CISR, et je crois que la poursuite des travaux dans les domaines que j'ai déjà mentionnés il y a un moment est un bon début.
[Traduction]
Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant le Comité aujourd'hui pour la première fois en ma qualité de président de la CISR. Je suis convaincu que le Comité et moi aurons une relation productive au cours des années à venir. Je serais ravi de répondre aux questions des membres.
Merci beaucoup.
:
Monsieur le président, je remercie la députée de sa question.
J'ai mentionné trois choses. Tout d'abord, je me considère privilégié d'avoir participé à ce programme à mes débuts au ministère de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Je suis entré en fonction deux semaines après la découverte, sur une plage en Turquie, du corps d'Alan Kurdi, qui s'est noyé dans la mer Méditerranée. Les temps étaient difficiles et la contribution du Canada à la crise humanitaire faisait l'objet de bien des discussions. J'étais là dès le début, lorsque les choses ont commencé et lorsque nous avons lancé le programme des réfugiés syriens.
J'aimerais dire trois choses. Premièrement, le gouvernement, avec l'appui de la société civile, peut faire des choses incroyables si la volonté politique est là. Nous l'avons constaté dans le cadre de cette initiative.
Deuxièmement, je veux mentionner les communications. Nous avions, ainsi que le ministre de l'heure, le gouvernement de l'heure et les membres du présent comité, accès à de l'information et avons réussi à être très transparents par rapport au déroulement de ces choses, le bon comme le mauvais. Je crois que cela a inspiré confiance au public. Celui-ci savait ce que nous faisions et comment nous procédions. Je crois que nous avons ainsi appris une importante leçon. Nous publiions des statistiques quotidiennement, et nous parlions des difficultés auxquelles nous devions faire face, des capacités insuffisantes, et des problèmes d'intégration. Je pense qu'il importe d'apprendre que la communication et la transparence sont nécessaires pour gagner la confiance des Canadiens.
Troisièmement, il est important de gérer la relation avec les parties intéressées. C'est plutôt intéressant. Cette opération n'aurait pas été réussie sans l'appui de la société civile, ni sans l'appui de parties intéressées clés telles que l'Organisation internationale pour les migrations et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, sans oublier, bien sûr, tous les groupes d'aide à l'établissement et à l'intégration partout au pays. Ce que je veux dire, c'est que, lorsque le besoin se fait sentir, nous avons besoin de l'aide de l'Organisation internationale pour les migrations et du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. La leçon apprise, c'est qu'il est important de forger ses relations à l'avance et de les entretenir, même lorsque nous en avons pas nécessairement besoin.
Si j'applique cela à la CISR, je dirais simplement que nous devons surmonter des difficultés considérables en ce moment. Si la volonté est là, je crois que les conditions de la réussite se matérialiseront et que nous pourrons accomplir bien des choses.
Par ailleurs, j'ai l'intention de collaborer très étroitement avec les parties intéressées pour aider à éclairer la voie à suivre, car elles sont souvent les canaris dans la mine de charbon. Parfois, elles savent des choses avant l'organisme. J'ai l'intention de faire comme je l'ai fait par le passé et d'entretenir de solides relations avec nos parties intéressées afin de mieux éclairer notre programme à l'avenir.
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Monsieur le président, j'aimerais donner suite aux propos de mes collègues, M. DeCourcey et Mme Kwan.
Premièrement, M. DeCourcey a parlé d'un article du Règlement. Nous ne disposons que d'une heure pour examiner la question à l'étude. Or, il s'agit d'une question de politique assez lourde. J'ai réalisé des centaines d'entrevues d'emploi dans ma vie, et l'un des exercices que j'utilise souvent pour déterminer la compétence de la personne, surtout si elle est en poste depuis déjà deux mois, consiste à lui demander si elle a un plan ou ce qu'elle ferait dans une situation donnée.
Étant donné que près de 1 milliard de dollars de dépenses sont maintenant associées à la crise du chemin Roxham et à l'arriéré de la CISR, je rejette l'argument selon lequel il s'agit d'information confidentielle. Quoi qu'il en soit, même si c'était le cas, ce qui est ridicule, cette information doit être déposée auprès du Comité. Je veux cette information.
Monsieur DeCourcey, je ne suis pas d'accord avec vous. Bien franchement, je trouve hypocrite la tentative d'empêcher la divulgation de cette information au Comité alors que vous prétendez vouloir instaurer un véritable changement.
Je suis d'accord avec ma collègue, Mme Kwan, que nous devrions procéder à l'entrevue, mais parfois, certaines choses valent la peine que l'on se batte pour elles. Pourquoi ne pouvons-nous pas avoir un document de la CISR indiquant quel est le plan?
Je suis convaincue que M. Wex est tout à fait compétent. Je suis certaine qu'il aimerait avoir l'occasion de déposer auprès du Comité les prévisions quant au nombre de demandes attendues et aux ressources qui seront nécessaires pour réduire l'arriéré sur une période de temps donnée. Je ne comprends pas pourquoi, en tant que parlementaires, et en particulier à l'approche d'un cycle budgétaire, nous ne voudrions pas examiner cette information.
Mes collègues libéraux s'opposent à la motion. Pourquoi le Parlement ne voudrait-il pas examiner cette information? Je suis certaine que M. Wex fournira au Comité un document de routine adéquatement épuré, question d'apaiser les craintes de mes collègues d'en face.
C'est ce que je souhaite. Je suis convaincue que vous pourrez vous y vanter de ce que vous tentez d'accomplir. À mon avis, cet exercice n'a rien d'effrayant. La seule raison de s'y opposer c'est si l'on a des choses à cacher. Ne cachez pas cela; passons à autre chose.
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Merci beaucoup de la question, monsieur le président.
Je crois que j'ai déjà parlé de mes antécédents en général, notamment dans le domaine juridique, de ma vaste expérience dans la haute direction, ainsi que de ma plus récente expérience dans le domaine de l'immigration et de la sécurité frontalière, qui me permet de comprendre le contexte opérationnel lié à mon nouveau poste.
Pour ce qui est des arriérés comme tels, j'ai eu à composer avec des arriérés dans le cadre de différentes fonctions. Lorsque j'ai quitté le ministère de la Justice afin de devenir le premier directeur général de la division de l'aquaculture du ministère des Pêches et des Océans, je devais établir un bureau à Ottawa ainsi que des bureaux régionaux; ils n'existaient pas auparavant.
L'aquaculture était une priorité stratégique pour le gouvernement de l'époque. Il y avait des arriérés importants, notamment en ce qui concernait les personnes qui voulaient obtenir un permis pour occuper divers espaces océaniques et qui faisaient concurrence à d'autres utilisateurs de ces espaces. Il y avait d'importants arriérés dans ce domaine.
Les problèmes dans ce secteur étaient différents de ceux qui concernent la CISR. Il s'agissait de comprendre les règles du jeu. Il y avait un manque de clarté, à tel point que les dossiers n'étaient pas traités. Mon travail consistait alors à préciser les règles du jeu en établissant un cadre stratégique plus clair, en créant le tout premier cadre stratégique, et en élaborant des programmes destinés à l'industrie qui nous ont permis d'investir adéquatement, et enfin, de réduire cet arriéré. C'était le problème qui avait été cerné à l'époque.
Lorsque j'étais chargé du programme de l'habitat, ce qui était alors le plus important programme de réglementation environnementale du Canada, notre organisme de réglementation devait aussi gérer d'importants arriérés. Ce programme visait à gérer des projets qui touchaient les cours d'eau et leurs environs, y compris des projets à haut risque, comme les projets d'exploitation des sables bitumineux et les mines de diamant, ainsi que des projets à faible risque, comme la construction de quais. Encore une fois, il y avait un important arriéré à gérer dans le cadre de ce programme de réglementation. Dans ce domaine, le problème était également lié en partie au besoin de clarifier les règles.
Dans le cas du ministère de l'Immigration, nous avions aussi des arriérés dans différents secteurs d'activité, comme le sait très bien ce comité. Le problème était différent. Il était question non pas de clarifier les règles du jeu, mais de gérer les niveaux d'admission — ce que je n'ai pas à vous expliquer, car vous le comprenez bien — et les capacités, c'est-à-dire la capacité des ressources humaines à traiter les diverses demandes.
Je crois que, ce qu'il faut retenir, c'est d'abord que j'ai de l'expérience en gestion des arriérés. Malheureusement, ils ne sont pas rares. Par ailleurs, l'important, c'est de bien cerner le problème avant de se lancer et de tenter de le résoudre. Selon mon expérience, si on prend le temps de bien cerner le problème, on trouvera la bonne solution à adopter. C'est ce que je compte faire à la CISR.
J'aimerais souligner une dernière chose, monsieur le président. La CISR a déjà dû composer avec des arriérés auparavant, notamment en 2002 et en 2009. Dans ces deux cas, et tout au long de ses 30 années d'existence, la CISR a pu remédier à la situation.
Cela n'a rien de nouveau pour la CISR. Le problème est plus important que dans les autres exemples que j'ai cités précédemment. Cependant, les arriérés étaient assez considérables pendant ces périodes, et la CISR a su prendre des mesures adéquates pour les réduire.
Je serai très bref. Même s'il s'agit d'un très long rapport avec 65 recommandations, j'estime que ces recommandations se divisent en quatre grandes catégories.
Premièrement, on recommande d'améliorer la gestion du système de détermination du statut de réfugié, mais de façon horizontale. J'en ai discuté plus tôt. Il est très important que IRCC, la CISR et l'ASFC comprennent le fonctionnement de tout le système, du début à la fin, et que nous soyons tous conscients de la situation et de ce qui fonctionne bien ou moins bien, afin que nous puissions concentrer nos ressources et notre attention sur les aspects qui doivent vraiment être corrigés.
Deuxièmement, M. Yeates nous recommande d'envisager des changements organisationnels pour confier certaines fonctions du système de détermination du statut de réfugié à un nouvel organisme distinct qui s'occuperait en partie de la réception des demandes, de la prise de décisions de première instance, de décisions relatives à l’examen des risques avant renvoi, des retours volontaires et, fait intéressant, de certains aspects de la réinstallation depuis l’étranger.
Troisièmement, M. Yeates parle de l'aspect financier. Nous avons discuté de cela et de l'importance d'obtenir du financement pour traiter à la fois l'arriéré et les nouvelles demandes, car, pour traiter le nombre élevé de nouvelles demandes que nous recevons actuellement, la CISR a besoin d'un budget des services votés — c'est-à-dire le budget de base de la CISR — beaucoup plus important.
Enfin, il y a les améliorations à apporter au processus. Il s'agit de déterminer où sont les interférences, les chevauchements et les processus inefficaces afin de rationaliser le système.
Voilà les quatre volets principaux. Nous faisons déjà des progrès à l'égard d'un grand nombre de ces aspects.
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Merci beaucoup de me donner l'occasion de témoigner ici.
Je suis professeure à l'Université McGill. Mes travaux portent sur les questions relatives aux réfugiés et à la migration forcée. C'est la raison pour laquelle je suis très reconnaissante de pouvoir vous faire part de certaines de mes réflexions sur les mesures que le Canada peut prendre pour améliorer l'efficacité de ses méthodes et mieux répondre aux déplacements.
Comme on le dit souvent, il y a maintenant plus de personnes qui sont forcées de quitter leur foyer qu'à n'importe quelle période depuis la Seconde Guerre mondiale. D'habitude, nous entendons plus souvent parler de la très faible minorité de personnes qui réussissent à se rendre en Europe ou en Amérique du Nord, mais, comme vous le savez probablement, la grande majorité des réfugiés, soit quelque 86 % d'entre eux, demeurent dans des pays en développement.
Je serai ravie de répondre à des questions sur les réfugiés. Cependant, j'emploierai le temps dont je dispose à parler d'un groupe dont on discute encore moins souvent, un groupe qui devrait vraiment être au coeur d'une conversation comme celle-ci, c'est-à-dire les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, ou PDIP. Les PDIP constituent la majorité invisible des migrants forcés partout dans le monde. Comme ils restent dans leur propre pays, ils reçoivent habituellement moins de couverture médiatique et d'aide internationale.
J'estime qu'il est crucial d'améliorer les interventions internationales à l'égard des personnes déplacées si on veut résoudre efficacement la crise mondiale des réfugiés. Or, cette question a été presque entièrement mise de côté lors des négociations entourant les nouveaux pactes mondiaux sur les réfugiés et les migrants
Il existe des solutions prometteuses, mais encore inexploitées, qui pourraient aider le Canada à améliorer ses interventions à l'égard des PDIP. Je vais donc expliquer quelques-unes des principales difficultés auxquelles les PDIP doivent faire face, et faire des recommandations pour la suite des choses.
Juste pour faire une mise en contexte, je souligne que, parmi les quelque 68,5 millions de personnes qui sont déplacées partout dans le monde en raison d'un conflit et des violations des droits de la personne, bien plus de la moitié, soit quelque 40 millions de personnes, sont déplacées à l'intérieur de leur propre pays. Leur situation s'apparente souvent à celle des réfugiés, dans la mesure où ces gens ont perdu leur foyer et leur moyen de subsistance. Nombre d'entre eux ont subi une violence extrême et ont été séparés de leur famille. Cependant, contrairement aux réfugiés, ils n'ont pas franchi les frontières d'un autre pays.
Puisque les PDIP sont citoyens du pays dans lequel ils sont déplacés, en théorie, c'est principalement à leur propre gouvernement qu'il incombe d'assurer leur protection et de les aider. Cependant, pour nombre de PDIP qui vivent dans des pays comme la Syrie et le Myanmar, c'est leur propre gouvernement qui est responsable de leurs problèmes. Dans d'autres cas, les administrations nationales et locales ne sont pas en mesure d'intervenir efficacement.
En théorie, c'est dans de telles situations que la communauté internationale devrait offrir son soutien, mais il n'y a pas de haut fonctionnaire ou d'organisme international ayant clairement et expressément comme mandat de protéger et d'aider les PDIP. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a le mandat de protéger et d'aider les réfugiés et les apatrides, mais ses interventions auprès des PDIP sont beaucoup plus irrégulières. Dans les débats internationaux sur la crise mondiale des personnes déplacées, aucun intervenant ne s'est porté résolument à la défense des PDIP. Par conséquent, c'est une population qui a été souvent laissée pour compte.
D'ailleurs, on souligne en 2018 le 20e anniversaire des Principes directeurs de l'ONU relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays. Ce cadre international sert de référence dans les efforts de protection et de soutien des PDIP. Je crois donc que c'est une bonne occasion de faire un bilan et de déterminer la meilleure façon de poursuivre nos efforts.
Le Canada adhère depuis longtemps aux principes directeurs, mais son discours favorable ne s'est généralement pas traduit par l'adoption d'une stratégie claire et concrète pour améliorer les interventions auprès des PDIP. Ainsi, pour améliorer la stratégie du Canada à l'égard des PDIP, je crois qu'il faudrait tenir compte de trois volets importants, soit les ressources, la recherche de solutions à la situation des personnes déplacées et le leadership international.
Premièrement, en ce qui concerne les ressources, il faut les déployer de façon accrue, mais aussi de manière plus stratégique et équitable afin d'aider les migrants forcés. Évidemment, en cette période où les budgets d'aide humanitaire sont déjà très serrés, il est difficile de défendre l'idée qu'il faut plus de financement. Or, la réalité, c'est que les mesures qui sont prises à l'égard des PDIP sont régulièrement sous-financées, et les dépenses consacrées à l'aide aux PDIP sont nettement inférieures à ce qui est dépensé pour aider les réfugiés qui se trouvent dans des situations similaires.
Selon le Centre de surveillance des déplacements internes, à Genève, les pays donateurs comme le Canada accordent beaucoup plus de financement aux processus de détermination du statut de réfugié et de réinstallation des réfugiés — auxquels moins de 1 % des réfugiés ont accès dans le monde — qu'aux mesures d'aide destinées aux millions de personnes qui restent dans des pays en développement. À cause de ce manque de soutien, nombre de migrants forcés qui, en réalité, préféreraient rester plus près de leur domicile, n'ont guère d'autre choix que d'entreprendre un périple dangereux et souvent très ardu pour trouver refuge à l'étranger.
Évidemment, rien ne peut se substituer au droit d'un réfugié de demander l'asile. Le fait d'augmenter l'aide aux PDIP n'est certainement pas une raison de rejeter les demandes d'asile. Il s'agit plutôt de reconnaître la complexité des motivations, des capacités et des préférences dans les situations de déplacement de masse.
Certaines personnes doivent fuir leur pays pour se réfugier à l'étranger, mais bien des gens n'ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour quitter leur pays, ou ils ne sont pas en mesure de le faire, pour des raisons de santé ou de sécurité. Il faut offrir une protection et une aide de manière plus équitable à ceux qui restent dans leur pays. Je considère que le Canada devrait passer en revue l'aide qu'il fournit aux PDIP et publier les conclusions de son étude ainsi qu'un plan d'aide aux PDIP plus systématique, équitable et stratégique.
Deuxièmement, il y a la question des solutions durables. Partout dans le monde, il est de plus en plus fréquent que des réfugiés et des PDIP se retrouvent pendant longtemps dans une situation difficile. Ils ne trouvent aucune solution à leur problème de déplacement, qu'il s'agisse de retourner dans leur foyer, de s'intégrer dans la région où ils ont trouvé refuge, ou de se réinstaller ou se déplacer ailleurs.
Étant donné que les PDIP ne sont pas aussi visibles que les réfugiés, les efforts pour trouver des solutions durables à leurs problèmes sont largement sous-financées, et la recherche de solutions ne tient pas compte des liens entre les réfugiés et les PDIP. Par exemple, en 2016, quelque 6,5 millions de PDIP sont retournés dans leur foyer, souvent dans des circonstances précaires, notamment dans des pays comme l'Irak, la Syrie et le Soudan du Sud. En réalité, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a appuyé moins de la moitié de ces gens qui sont retournés chez eux, ce qui nuit gravement aux chances de trouver une solution durable.
On constate trop souvent que les efforts visant à trouver des solutions pour les réfugiés se concentrent seulement sur les réfugiés comme tels et ne tiennent pas compte des liens avec d'autres groupes concernés par ce processus, y compris les PDIP. C'est une approche qui est tout simplement déconnectée de la réalité. Ces groupes ne sont pas isolés les uns des autres; ils sont unis par des liens familiaux et touchés par des forces politiques et des problèmes socioéconomiques. Nombre de réfugiés risquent eux-mêmes d'être déplacés dans leur propre pays s'ils retournent dans leur pays d'origine, et c'est une autre raison de réfléchir de manière plus globale aux liens entre ces groupes.
Il est nécessaire de mieux coordonner le soutien politique et l'aide au développement afin d'élargir l'accès à des solutions durables tant pour les réfugiés que pour les PDIP. Je crois que le Canada devrait collaborer avec des intervenants clés, y compris le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, d'autres donateurs ainsi que d'autres États touchés par des situations de déplacement interne, afin de s'assurer que les stratégies pour trouver des solutions durables tiennent compte de tous les facteurs, et que des ressources adéquates y sont consacrées. Lorsqu'il s'agit de trouver des solutions pour les réfugiés, le Canada devrait insister pour que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés tienne compte expressément des problèmes de déplacement interne connexes.
Enfin, en ce qui concerne le leadership international, à l'heure actuelle, au sein du système de l'ONU, il n'y a pas de haut responsable influent pour se porter à la défense des PDIP et exiger des comptes aux États, aux organismes de l'ONU et à d'autres intervenants au sujet des efforts qu'ils font ou ne font pas pour aider les PDIP. Par ailleurs, aucun État n'est prêt à défendre la cause des PDIP. À l'heure actuelle, il y a un rapporteur spécial sur la situation des droits de la personne pour les PDIP. C'est un rôle important, mais qui est rempli de façon volontaire et sans rémunération. Par ailleurs l'influence du rapporteur et les ressources dont il dispose ne sont pas à la hauteur du problème.
Pour répondre à ces préoccupations, le Canada devrait inclure explicitement l'amélioration des mesures de protection et d'aide pour les PDIP dans ses priorités en ce qui concerne ses interventions dans le système d'aide humanitaire. Parmi les mesures clés de sa stratégie, le Canada devrait réclamer la nomination rapide d'un nouveau représentant spécial du secrétaire général des Nations unies qui aurait expressément comme mandat d'aider les PDIP. Ce représentant pourrait promouvoir la collaboration et la reddition de comptes à l'égard des PDIP, à l'échelle tant nationale qu'internationale, et je crois que le Canada devrait voir à ce que le nouveau bureau obtienne des ressources adéquates et examiner le mécanisme pour s'assurer de son efficacité.
En conclusion, je crois que, avec sa contribution à la réinstallation des réfugiés, le Canada a démontré très concrètement sa capacité à contribuer de manière efficace et novatrice à la protection et au soutien des migrants forcés. En agissant de manière plus stratégique et concertée pour aider les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, qui passent souvent inaperçues, le Canada peut faire fond sur ses efforts précédents et contribuer davantage à l'amélioration des interventions à l'égard des millions de réfugiés et de PDIP qui ne pourront pas atteindre les frontières d'un riche pays occidental comme le Canada.
Merci.
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Effectivement. Je ne pourrai pas révéler mes sources, évidemment.
Merci, monsieur le président.
Je suis heureux de voir ce comité entreprendre cette importante étude sur les enjeux et les possibilités liés à la migration, en se penchant plus particulièrement sur les causes de la migration forcée et de la migration volontaire, puisque c'est à ce sujet qu'on m'a invité à témoigner.
Je suis ici pour parler plus précisément des problèmes liés aux passages irréguliers à la frontière, en me fondant sur ce que j'ai observé en Europe au cours des 15 dernières années. Je crois que le problème des passages irréguliers à la frontière qui touche actuellement le Canada ressemble à bien des égards à ce que l'Union européenne a connu de façon sporadique au cours des 15 dernières années. Évidemment, l'ampleur n'est pas du tout la même, mais les populations migrantes en cause et les raisons pour lesquelles elles tentent de traverser la frontière de façon irrégulière sont semblables. Je dirais également que les solutions qui se sont avérées les plus efficaces en Europe sont très pertinentes dans le contexte canadien.
Comme je l'ai dit, j'ai observé ce problème pendant 15 ans. Depuis 2003-2004, j'ai fait des entrevues avec des migrants qui s'apprêtaient à monter dans des bateaux et sur des radeaux en Tunisie, en Égypte et en Libye. J'ai discuté avec eux à leur arrivée en Espagne, en Grèce, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. J'ai aussi passé beaucoup de temps avec des décideurs, des agents d'immigration et des spécialistes qui étudient ces questions.
J'aimerais répondre aux questions suivantes: quelles sont les personnes susceptibles de devenir des migrants irréguliers? Qu'est-ce qui amène quelqu'un à choisir des voies et des points d'entrée irréguliers, même si c'est un choix plus risqué et plus coûteux? Quelles sont les politiques qui ont permis de stopper ou de réduire la migration irrégulière? J'ai cinq observations à faire à ce sujet.
Premièrement, qu'ils demandent l'asile ou non, les migrants irréguliers sont habituellement des gens qui se renseignent, qui ont des ressources, qui font un investissement à haut risque et qui risquent gros pour leur famille et leur communauté. Ils ne viennent pas des pays les plus pauvres, ni même des communautés les moins fortunées de leur pays d'origine. Les passages irréguliers coûtent cher; il faut payer plus de 2 000 euros par personne pour monter sur un de ces radeaux. De plus, selon certains témoignages, ceux qui veulent passer la frontière canadienne ou américaine doivent payer une somme assez importante à des passeurs et à d'autres intervenants. Nombre de migrants empruntent beaucoup d'argent pour faire le voyage. Ils espèrent au moins que cet investissement portera fruit. Si on comprend cette réalité, on peut mieux adapter les politiques de renvoi et de dissuasion.
Les migrants irréguliers apprennent par des messages textes et les médias sociaux qu'ils ont de bonnes chances de pouvoir subvenir aux besoins de leur famille et de récupérer leur mise. Dans certains cas, ils consultent des renseignements fiables sur l'économie et sur le marché du travail; les migrants ont tendance à aller là où il y a une pénurie de main-d'oeuvre, et à éviter les pays où l'économie est faible. Parfois, ils ont des attentes irréalistes. Dans d'autres cas, ils prennent connaissance des failles du système. Prenons comme exemple ce dont on a discuté plus tôt dans cette réunion. On a soulevé la possibilité que les délais de traitement bien connus puissent faire augmenter la demande. Il semble que cela fait souvent partie des raisons qui motivent les migrants. J'ai certainement eu des échos de cette situation, et des études tendent à confirmer cela.
Deuxièmement, les gens qui se tournent vers la migration irrégulière le font généralement, parce qu'on a fermé les voies légales pour des séjours qui sont habituellement de courte durée. La crise des migrants en Europe a commencé au début des années 2000, après l'adoption de l'Accord de Schengen, lorsque l'Union européenne a cessé de délivrer des visas de travail agricole à court terme aux Africains. Ainsi, un régime légal de migration temporaire a été soudainement remplacé par une industrie illégale de passage de clandestins à long terme pour répondre à la demande. Au lieu de payer 150 $ pour un billet d'avion et de récupérer ce montant en une seule saison de travail, les gens devaient payer 2 000 ou 3 000 euros pour passer la frontière, et rester plus longtemps en Europe pour récupérer cette somme. Cette industrie a pris de l'ampleur. Selon les données d'une analyse effectuée récemment par des chercheurs de l'Université d'Oxford, chaque fois que le nombre de demandes de visa rejetées augmente de 10 %, on observe une hausse de 4 % à 7 % du nombre d'entrées irrégulières à la frontière. Il y a un lien direct entre le resserrement de l'admission temporaire et l'augmentation de la demande pour les passages irréguliers.
Troisièmement, lorsqu'on augmente la sécurité à la frontière, il n'y a pas de baisse des entrées irrégulières; on observe même une hausse des entrées irrégulières dans certains cas. Cet effet a été observé à maintes reprises en Europe et aux États-Unis. Il peut y avoir des raisons d'accroître la sécurité à la frontière, mais cela n'entraîne presque jamais une baisse importante des passages irréguliers. Selon Hein de Haas, chercheur à l'Université d'Oxford, les restrictions à la frontière ont tendance à interrompre la circulation et à pousser les migrants à s'établir de façon permanente, souvent en empruntant des voies plus irrégulières, ce qui criminalise encore davantage le processus.
Quatrièmement, il a été démontré que le fait de créer des voies légales, même si elles sont très limitées et restreintes, fait diminuer le nombre d'entrées irrégulières, souvent de façon considérable. L'exemple le plus étudié est celui de l'Espagne. De 2004 à 2006, des dizaines de milliers de personnes ont traversé la Méditerranée pour entrer en Espagne. L'Espagne a mis en place un ensemble de politiques qui ont réduit ce nombre à un niveau mimine. La principale de ces mesures était la création d'une voie légale. Les mesures n'étaient pas nombreuses, mais elles étaient mises en oeuvre en collaboration avec les pays d'origine et les pays intermédiaires, et en coordination avec les programmes de normalisation.
On a découvert que, lorsqu'un processus légal est en place, les gens qui veulent migrer considèrent qu'il vaut mieux se soumettre à ce processus, même s'ils ont une chance sur 20 de le passer avec succès, que de dépenser 3 000 euros et de courir le risque élevé de mourir pendant la traversée de la Méditerranée. C'est notamment en raison de ces politiques que l'Espagne ne fait toujours pas partie des principales destinations. C'est une option qui mérite d'être étudiée. Il est à noter que le Pacte mondial sur les réfugiés contient également des dispositions qui permettent à des demandeurs en situation irrégulière d'accéder à un processus légal.
Cinquièmement, l'accélération du processus, pas seulement le système de détermination du statut de réfugié et le système d'appel, peut réduire la demande. Comme nous l'avons souligné, parmi les choses dont les migrants discutent, notamment par message texte, il y a le fait que les gens savent qu'un pays prend trois ans pour terminer le processus de détermination du statut de réfugié, puis le processus d'appel. Les migrants se disent alors que cela peut notamment leur donner le temps de gagner suffisamment d'argent pour récupérer leur investissement. Ce sont des faits connus.
Il importe également de se pencher sur le système des renvois. Des pays européens ont commencé à payer des personnes inadmissibles qui sont entrées de façon irrégulière pour qu'elles retournent dans leur pays d'origine. Cela peut sembler illogique et paraître risqué sur le plan politique. Prenons cependant l'exemple d'une personne qui entre au Canada de façon irrégulière et qui demande l'asile. Sa demande est rejetée. Il appelle de la décision, et son appel est rejeté. Après être passé par tout le processus, il finit par être renvoyé par avion, sous escorte de la GRC. On peut dépenser 100 000 $ pour régler ce genre de dossier. En revanche, si, par exemple, on donne à ce migrant un montant de 3 000 $ et on conclut une entente avec le pays d'origine pour qu'il reçoive le migrant — à condition de ne pas le placer dans une situation plus dangereuse —, on peut régler le dossier beaucoup plus rapidement. L'Allemagne a obtenu un succès raisonnable avec ces programmes de renvoi depuis la crise de 2015-2016. C'est une option qui mérite d'être étudiée.
En résumé, nous devons comprendre que la migration irrégulière est une décision que les migrants prennent en fonction de facteurs économiques. Il y a un pourcentage de réfugiés légitimes parmi ces gens. En Europe, il semble qu'il était de 40 % à 50 %, au plus fort de la crise. La proportion semble être la même au Canada.
Il est injuste pour les réfugiés légitimes qu'un système les force à passer la frontière de façon irrégulière. Cette situation présente un danger physique pour les réfugiés tout en mettant le système à rude épreuve. Évidemment, c'est une situation qui risque de nuire à l'appui du système de la part de la population. De plus, cela fait augmenter la demande de la part de personnes qui ne sont pas des réfugiés légitimes, qui ne sont pas au fait des processus légaux en place, qui pourraient profiter des processus légaux, s'ils existent, et qui pourraient par ailleurs être admissibles en tant qu'immigrants de la catégorie économique.
La principale leçon à retenir des 15 années d'expérience de l'Europe, c'est qu'il est possible de réduire la fréquence des passages irréguliers en créant des voies légales et en changeant les facteurs économiques qui encouragent la migration.
Je vous remercie, monsieur le président, et je suis prêt à répondre à des questions.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence.
Les deux parties de votre témoignage étaient très intéressantes, et on vous demandera peut-être de revenir au Comité, mais je vais quand même essayer d'utiliser le mieux possible la période de sept minutes qui m'est allouée.
Monsieur Saunders, vous venez de dire qu'il y a un impact économique important, ce qui finit par avoir des conséquences sur les politiques des pays et sur leur façon de gérer la migration légale, illégale ou irrégulière, selon la façon dont on veut l'appeler.
C'est sûr qu'on peut se servir de ce qui se passe en Europe, dans les pays du Moyen-Orient et d'Afrique, mais ce qui m'intéresse particulièrement, c'est le Canada. On a l'impression qu'au Canada on choisit les immigrants, quoique cela semble être moins le cas dernièrement. Le Canada est bordé par trois océans et par un grand pays, les États-Unis. Il y a eu de récents changements de politique relativement à l'immigration. Il y a une migration irrégulière. En tout cas, elle ne semblait pas régulière ou habituelle dans le temps.
Selon les articles que vous avez cités, on devrait en accepter encore plus. Sans en faire tout le résumé, cela remonte à 2017. Comment fait-on pour gérer cette migration? Comment le gouvernement pourrait-il se baser sur l'expérience passée? Vous avez cité le cas de l'Espagne. Je veux bien, mais j'ai l'impression que, lorsqu'on prend une mesure, il y a une contre-mesure et c'est toujours en mouvance. Les gens s'adaptent et c'est normal.
Quelle solution suggérez-vous? Que conseillez-vous au gouvernement canadien?
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C'est la question cruciale.
Il faut comprendre que le problème des passages irréguliers au Canada — c'est-à-dire les passages qui se font entre les points d'entrée officiels à la frontière canado-américaine — est semblable aux problèmes qui ont touché l'Europe et la région méditerranéenne. Ce n'est pas un flot de migrants qui arrivent constamment et qui vont submerger le système. C'est l'impression qu'on peut avoir, puisqu'il y a eu beaucoup de migrants en 2017. Nous n'avions pas vraiment vu ce genre de situation auparavant, et c'est inquiétant pour les Canadiens.
Il faut comprendre que les politiques fonctionnent. La crise en Europe et dans la région méditerranéenne, qui a été particulièrement remarquée lors de la montée soudaine du nombre de migrants, en 2015 et en 2016, n'était pas un problème constant. Comme je l'ai dit, le problème a commencé autour de 2003 et 2004, lorsqu'on a cessé de délivrer certains visas et que le marché a été créé. Ensuite, le flot s'est arrêté pendant quelques années après 2006, parce que les politiques mises en place en collaboration avec les pays d'origine et les pays intermédiaires ont permis d'arrêter le flot et de rediriger les migrants vers les processus plus réguliers et légaux.
Le problème a ressurgi aux alentours de 2011, pendant les soulèvements du printemps arabe, lorsque ces ententes se sont effondrées, puisque les gouvernements avec lesquels on les avait négociées étaient sur le point de se faire renverser; il y a donc eu une légère hausse du nombre de migrants. Ensuite, ce nombre est redescendu à un niveau négligeable.
Il y a eu soudainement une forte augmentation en 2015 et en 2016, à cause de la guerre en Syrie, mais aussi d'autres événements qui se déroulaient de l'autre côté de la Méditerranée. Le niveau est redescendu de nouveau en 2017, et il est maintenant de retour à la normale.
Il s'agit quand même d'un niveau migratoire que nous trouvons insoutenable au Canada, mais il faut comprendre que certaines politiques ont fait leurs preuves et ont permis de réduire la migration, notamment grâce à la création de divers incitatifs et à des ententes négociées avec les pays d'origine. Il est faux de croire que les pays concernés ne peuvent pas trouver de solution et de mesures de contrôle ou d'adaptation à l'égard de ce problème.
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L'Entente sur les tiers pays sûrs est à l'origine de la migration irrégulière entre les points d'entrée officiels à la frontière canado-américaine. Il n'y a aucun autre facteur. Si les gens pouvaient se présenter à un point d'entrée officiel pour présenter une demande d'asile, ils le feraient. Comme je l'ai déjà dit, les gens ne franchissent pas la frontière à des points d'entrée non officiels parce que c'est une façon facile d'entrer au Canada. Au contraire, c'est la façon la plus difficile et la plus coûteuse d'entrer au Canada. Ils le font parce que c'est le seul moyen de faire que l'Entente sur les tiers pays sûrs s'applique.
J'ai l'impression que le gouvernement croit qu'il serait dangereux de suspendre l'Entente sur les tiers pays sûrs, non pas seulement parce que cela signifie suspendre une entente avec les États-Unis à un moment où il tente de conclure des accords avec eux, mais également parce qu'il craint que l'éliminer soudainement entraîne une ruée vers la frontière et une hausse du nombre de personnes arrivant.
À mon avis, cela ne sera pas le cas à moyen terme, en raison de ce dont j'ai parlé plus tôt, soit la demande de voies de migration. On pourrait ainsi passer du passage irrégulier, qui comporte des risques et qui profite des retards du système pour permettre aux gens de rester au Canada longtemps, au passage régulier, avec des chances connues d'être accepté. Le fait est qu'en plus d'être causée par les politiques dont nous parlons, cette crise est en grande partie également causée par un manque d'information chez les migrants et les migrants putatifs.
Nous savons, notamment au Canada, que le fait de rendre disponible l'information au sujet des voies légales de migration peut réduire le nombre de personnes qui empruntent des voies illégales.
Je dois dire qu'il y a eu une baisse du nombre de personnes traversant la frontière illégalement chez certaines populations... Les Haïtiens étaient fortement dominants lors de la première année de ce problème. Aujourd'hui, ils ne représentent qu'environ 5 % du nombre total de personnes qui le font. Je crois que c'est en partie grâce à l'information qui a été distribuée dans ces communautés au sujet des voies légales à emprunter qui sont moins risquées et coûteuses.
Ainsi, selon moi, suspendre l'Entente sur les tiers pays sûrs n'entraînerait pas forcément une ruée vers la frontière. En fait, cela pourrait faire partie d'une solution qui pourrait faire baisser la demande.
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Je vous remercie tous les deux.
C'est encourageant, surtout pour l'étude sur la migration, que vous compreniez la situation. Nous voulions, entre autres, nous pencher, sur les pratiques exemplaires d'autres pays. Vous en avez présenté tous les deux. Vous en avez été témoins, surtout en Europe, comme l'a dit M. Saunders.
Quand je vous écoute, je crois comprendre qu'un meilleur accès aux visas de courte durée permet une réduction du nombre de demandes. C'est ce que j'ai remarqué, surtout dans la communauté sud-asiatique. Dans cette communauté, le nombre de visas obtenus a augmenté tandis que celui de demandes d'asile a baissé. S'ils prennent connaissance d'une étude d'impact sur le marché du travail qui leur correspond, ils peuvent y donner suite. Ils n'ont pas à se tourner vers des voies illégales lorsqu'ils ont accès à des voies légales. J'ai été témoin de l'effet profondément positif de cela ainsi que de la réduction des demandes d'asile.
Comme l'a dit M. Saunders, je crois que le fait qu'un certain nombre de députés sont allés parler aux communautés haïtiennes à New York et à Miami a contribué à modifier la façon dont les Haïtiens migrent. On cherchait à ce moment-là à clarifier les choses. On sait que cela fonctionne.
Selon ce que vous avez dit, c'est dans le traitement des demandes de réfugiés qu'il y a des lacunes. Je crois que nous sommes toujours un peu lents à cet égard. On doit faire mieux pour que les gens aient des informations exactes.
Selon vous, quels pays en Europe ont le mieux réussi à avoir un processus équitable de traitement des demandes de réfugiés qui soit efficace?
Madame Bradley, vous pouvez répondre en premier, puis M. Saunders.
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Étant donné le peu de temps qui nous reste, vous aurez probablement 30 secondes pour faire des commentaires sur deux changements potentiels. J'aimerais que le débat porte sur les politiques à venir.
Ce que nous devons faire, au Canada, à mon avis, en ce qui concerne les gens qui essaient d'entrer au Canada en ayant recours au système d'octroi d'asile, mais qui n'ont pas de raison légitime de demander l'asile, c'est de réformer complètement le Programme des travailleurs étrangers temporaires. Son titre est péjoratif, selon moi. Ce programme mène à des abus contre les travailleurs, et je ne crois pas qu'il réponde adéquatement aux besoins en main-d'oeuvre de l'économie canadienne.
Je propose que nous le réformions de sorte que les migrants faiblement qualifiés puissent entrer au Canada en suivant un processus plus formel au lieu de faire une demande d'asile. Prenons l'exemple d'un migrant qui, sur quatre ans, en a travaillé trois. Supposons qu'il ait travaillé pendant cette période de temps au Canada. Mettons en place un mécanisme qui prenne en compte les règles relatives à la mobilité de la main-d'oeuvre; ce migrant peut demander la citoyenneté canadienne. Encourageons donc les gens à venir de cette manière et supprimons le Programme des travailleurs agricoles saisonniers et le Programme des aides familiaux résidants, qui sont franchement ridicules et non viables. Je pense qu'ils ne sont pas justes. C'est ma première proposition.
Quant à ma deuxième proposition, j'aimerais que nous changions la manière dont nous choisissons les immigrants que nous accueillons pour des raisons humanitaires afin que le gouvernement jouisse d'une plus grande marge de manoeuvre et puisse axer ses efforts sur les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, en particulier sur les communautés marginalisées. Je vois deux moyens d'y parvenir. Le gouvernement du Canada devrait inciter les Nations unies à modifier leur processus de détermination afin que les personnes qui n'ont pu accéder à un camp de réfugiés des Nations unies puissent toujours participer au processus de sélection. Pour cela, il faudra un certain temps et il faudra aussi admettre l'existence du problème. Je propose aussi que le gouvernement du Canada réserve le parrainage gouvernemental à des cas qui, par exemple, concernent un des quatre crimes d'atrocités de masse. Faisons en sorte qu'il y ait un peu plus de flexibilité dans cette sélection, comme nous l'avons fait dans le cadre du programme pour les réfugiés yézidis, puis, petit à petit, commençons à faire sauter les seuils imposés aux programmes de réfugiés parrainés par le privé afin de laisser libre cours au public canadien pour qu'il parraine des réfugiés.
J'aimerais que vous preniez le temps qui reste pour nous dire ce que vous pensez de ces idées.