Je m'appelle Bibe Kalalu et je suis président de l'Angels Refugee Support Group Association, une organisation qui a été créée en Ouganda en 2009 en raison de la discrimination et de la persécution exercées à l'égard non seulement des ressortissants LGBT en Ouganda, mais aussi des personnes LGBT des pays des Grands Lacs d'Afrique et de l'Est de l'Afrique.
Je suis un réfugié congolais faisant partie de la communauté LGBT qui vit en Ouganda.
J'aimerais vous dire pourquoi les réfugiés LGBT en Ouganda souffrent beaucoup en raison de leur identité de genre et des problèmes que cela occasionne.
Tout d'abord, l'Ouganda est un pays extrêmement homophobe, où les personnes LGBT vivent constamment sous tension et où elles font l'objet de poursuites.
Au cours des sept prochaines minutes, je vais aborder quatre points.
Premièrement, il s'exerce beaucoup de discrimination à l'endroit des LGBT dans le secteur de la santé. En Ouganda, les soins de santé donnés aux LGBT sont très médiocres et aucun hôpital n'accepte de soigner des réfugiés LGBT.
Deuxièmement, pour des raisons de sécurité, la communauté des réfugiés en Ouganda ne travaille pas ou ne collabore pas avec les réfugiés LGBT.
Troisièmement, les personnes LGBT ne trouvent pas de travail et ne reçoivent aucune assistance.
Quatrièmement, l'Ouganda refuse de conférer le statut de réfugié aux réfugiés LGBT vivant dans ce pays et rejette leurs demandes d'asile.Cela nous affecte vraiment beaucoup.
Je vais maintenant donner la parole à mon collègue et je reprendrai ma présentation après.
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Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée, ainsi qu'à la Rainbow Heritage Initiative, une organisation qui s'occupe des réfugiés et des demandeurs d'asile LGBTI ici en Ouganda, de prendre la parole aujourd'hui.
Pour des raisons de sécurité, je préfère qu'on m'appelle Témoin 1 dans cette salle de conférence. Je vais vous faire part des obstacles auxquels se heurtent les réfugiés et les demandeurs d'asile LGBTI comme nous ici en Ouganda.
Premièrement, je vais vous parler des demandes d'asile basées sur l'identité de genre ou l'orientation sexuelle. Il est essentiel de pouvoir présenter une demande d'asile basée sur l'identité de genre ou l'orientation sexuelle, mais il est difficile de le faire pour les réfugiés et les demandeurs d'asile LGBTI parce qu'ils risquent d'être arrêtés sur-le-champ en le faisant.
À l'heure actuelle, nous avons six membres du Burundi et du Rwanda dans notre organisation qui n'ont pas de documents d'asile ou de statut de réfugié. Nous avons parlé du problème au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et au bureau du premier ministre, mais nous attendons en vain. Nous éprouvons un sentiment de faiblesse et de frustration. Nous craignons de ne pouvoir rien faire pour nos membres si nous n'élevons pas la voix.
C'est un grave problème pour nous, car si nos membres se tournent vers la police pour demander l'asile en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle, ils risquent d'être arrêtés sur-le-champ. Nous avons des exemples concrets de membres qui ont été libérés après avoir été détenus. Ils sont retournés dans leur pays natal, et nous ne savons pas s'ils sont toujours vivants.
Deuxièmement, j'aimerais vous parler de mon expérience personnelle de réfugié LGBTI en Ouganda et d'homme transgenre venu du Rwanda. J'ai quitté mon pays natal en 2010 après avoir été détenu et torturé parce que je suis une personne LGBTI. J'ai été quatre ans sans avoir un document valide, et pendant cette période, je n'avais pas de… je n'ai pas pu obtenir de papier d'identité comme réfugié. J'ai ensuite été agressé physiquement et sexuellement plusieurs fois par un voisin. Bien sûr, il m'a été impossible de rapporter ces agressions, parce que je n'avais pas de papier et que je risquais d'être arrêté.
Je n'ai donc pas pu obtenir d'aide, et j'ai attendu plus de quatre ans avant d'être réinstallé. C'est une vie triste, misérable et pénible.
Troisièmement, j'aimerais vous parler de la réinstallation. En Ouganda, il existe trois solutions durables: le rapatriement volontaire, l'intégration locale ou la réinstallation. Le rapatriement volontaire comporte des risques, car nos membres ont fui la violence, la persécution et la discrimination, et ils risquent d'être tués en retournant dans leur pays.
La deuxième solution est l'intégration locale, ce qui est totalement impossible ici en Ouganda en raison du haut degré d'homophobie qu'on trouve partout au pays.
La troisième solution, qui demeure la seule véritable solution durable pour sauver les réfugiés LGBTI, est la réinstallation.
Le gouvernement de l'Ouganda et la police sont contre l'homosexualité. Si les membres d'une organisation humanitaire tentent de les aider, le gouvernement les réduit au silence, car il considère qu'ils font la promotion de l'homosexualité.
Je vais passer rapidement à mon dernier point, soit les recommandations.
Nous demandons, premièrement, au Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration du Canada d'avoir des discussions avec les autorités gouvernementales de l'Ouganda et d'insister pour qu'elles changent leurs pratiques actuelles, car si on réduit l'aide internationale, les autorités se vengent sur nous et deviennent très homophobiques, en prétendant ainsi défendre les valeurs africaines.
Nous demandons, deuxièmement, au comité permanent d'exercer des pressions sur les pays ayant des missionnaires qui se rendent en Afrique, des chefs religieux comme Scott Lively, par exemple, pour promouvoir la haine. Même lorsqu'ils se trouvent dans d'autres pays, ces gens doivent obéir aux lois des États-Unis. Nous demandons donc au Canada d'entamer le dialogue avec les États-Unis pour trouver des solutions à ce problème.
Nous demandons, troisièmement, au comité permanent d'engager à nouveau le dialogue avec le bureau du premier ministre pour demander que les réfugiés LGBTI se voient accorder le statut de réfugié. Ils doivent pouvoir bénéficier des mêmes droits et libertés aux termes de la loi de 2006 que les autres groupes.
Enfin, nous demandons au comité permanent de demander à divers pays d'ouvrir leurs frontières aux réfugiés LGBTI qui vivent en Ouganda, parce que nos vies sont en danger. Nous tenons à dire au Canada et au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés que nous ne sommes pas en sécurité et que le fait de passer plus de deux ans — et certains d'entre nous ont déjà passés 10 ans et plus ici — est une forme de torture et que c'est risqué pour nous. On quitte l'Ouganda après avoir été harcelé, arrêté à maintes reprises, et certains y laissent leur peau. Ils quittent lorsque leur vie est déjà chamboulée.
Merci beaucoup de nous avoir écoutés.
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Aucun des pays d'Afrique n'encourage l'homosexualité. C'est faux et archi-faux de dire que certains pays sont tolérants. Dans tous les pays d'Afrique, on enseigne que l'homosexualité est une question taboue. Quand on utilise le mot « tabou », cela signifie qu'une chose est impure. On observe cette attitude partout en Afrique: un homosexuel n'est jamais considéré comme une personne morale et physique. Tous les LGBT qui quittent leur pays sont exposés à de la discrimination, et cela commence au sein de leur famille. Cela se manifeste ensuite au gouvernement, puis dans la population.
Ce que nous recommandons aux grandes puissances, comme le Canada et les États-Unis, c'est de définir ce qu'est une personne LGBT et de protéger notre communauté. Il faut continuellement parler de la question des personnes LGBT aux gouvernements africains. Ce sont eux qui encouragent la population à rejeter les personnes LGBT. Les institutions, comme les gouvernements et les églises, disent que tous les homosexuels sont soumis au tabou. On peut se poser la question: qu'est-ce qu'un tabou?
Un homosexuel, comme tout être humain, est la création de Dieu. Ce n'est pas l'individu qui choisit d'être homosexuel. Pourtant, il est l'objet d'un tabou. Même si on demande à 1 000 docteurs, à 1 000 pasteurs et à 1 000 chefs d'État de changer l'identité de genre de quelqu'un, cela ne peut pas se faire. C'est impossible.
Il faut que les grandes puissances, comme le Canada, qui se rendent en Afrique profitent de cette visite pour éduquer convenablement les gouvernements de l'Afrique en ce qui concerne la communauté LGBT. Il faut expliquer qui nous sommes et ce que nous sommes.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais souligner que mon collègue Randall Garrison, qui est porte-parole du NPD dans ce dossier depuis de nombreuses années et un ardent défenseur de la cause, assiste aujourd'hui à la réunion en tant qu'observateur.
J'aimerais remercier nos témoins de leur courage et des efforts que vous déployez sans relâche en Ouganda.
Je comprends mieux aujourd'hui les difficultés auxquelles vous vous heurtez. Le 17 octobre, lors de la 139e Assemblée de l'Union interparlementaire, une motion a été déposée dans le but de reconnaître les droits des membres de la communauté LGBTQI. La motion a soulevé l'hostilité, et le mot est sans doute faible, du représentant de l'Ouganda. Je vais citer ses propos pour le compte rendu. Il a dit: « Nous allons continuer de nous opposer à toute discussion sur la scène internationale des LGBT jusqu'à ce que les gens ici se rendent compte que les relations homosexuelles sont inhumaines et anti-culturelles. » Je cite ici les paroles du représentant Francis à la rencontre.
Je pense que cela nous donne une bonne idée de l'hostilité, des difficultés et des risques auxquels doit faire face la communauté dans ce pays.
Pour revenir à ce que le Canada peut faire pour défendre vos droits sur la scène internationale, je pense qu'il est assez juste de dire que tous les membres du Comité vont défendre vos droits et souhaitent que notre pays et notre gouvernement le fassent également.
Pour ce qui est des mesures précises à prendre, avez-vous des idées? Vous avez parlé d'un dialogue avec les États-Unis. Le dialogue est un peu difficile avec les États-Unis, et je ne vais pas m'étendre sur la question. Y a-t-il des mesures précises que nous pouvons prendre, comme participer à une rencontre, ou adopter une motion à la Chambre des communes, ou toute autre mesure du genre, qui vous aideraient et vous appuieraient dans vos efforts?
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Je vais aussi commenter sur cela.
Vous vous souvenez peut-être que nous travaillions auparavant avec le Refugee Project. Cet organisme défendait les cas des personnes LGBT en Ouganda, mais cette protection a conduit à la fermeture des bureaux d'aide aux réfugiés pendant toute une année. Cela a choqué, et le Refugee Project a connu beaucoup de problèmes. Le Refugee Project a essayé de faire davantage pour les personnes LGBT vivant en Ouganda. Auparavant, nous travaillions beaucoup et sérieusement avec cet organisme, mais c'est difficile à l'heure actuelle.
Le Refugee Project déploie notamment des efforts en matière de santé et de protection. Auparavant, si une personne était arrêtée, l'organisme pouvait envoyer un avocat pour l'aider. Le Refugee Project ne peut actuellement pas fournir les services d'un avocat à une personne arrêtée de façon arbitraire. Nous souffrons de maladies transmissibles sexuellement, comme le VIH, et d'autres problèmes de santé. Or, si une personne LGBT se présente dans un hôpital, quel qu'il soit, et qu'elle reconnaît être une personne LGBT, elle se fait chasser. On nous chasse partout. Nous travaillions beaucoup avec le Refugee Project, avec qui nous collaborions dans 80 % des cas. Cette collaboration se limite à seulement 3 % des cas auxquels nous travaillons maintenant.
Nous commençons à souffrir sur le plan de la sécurité et sur celui de la santé.
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Je vais poser une dernière question, avant de manquer de temps.
Lorsque le Comité s'est rendu en Ouganda, j'ai demandé à un représentant du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés si l'Ouganda était un pays sûr pour les membres de la communauté LGBTQI, et il m'a répondu, et c'est un des problèmes, que c'était le cas lorsqu'ils n'affichaient pas leur homosexualité.
Compte tenu de la réponse, je ne sais pas trop… de toute manière, je ne vais pas discuter de ce commentaire.
Au sujet de la réinstallation, comment pouvez-vous, dans les circonstances, faire une demande auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés? Vous avez parlé des difficultés à cet égard.
Recommanderiez-vous que le Canada mette en place une initiative spéciale afin d'accorder la priorité aux gens qui sont persécutés dans leur pays ou déplacés à l'intérieur de leur pays, comme la communauté des LGBTQI, pour en faire un volet particulier de la réinstallation au Canada, afin que nous puissions nous en occuper d'une façon différente auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et, espérons-le, venir en aide aux gens qui s'y trouvent?
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Au nom de notre pays natal, je vous remercie beaucoup.
La secrétaire générale de l'Organisation internationale de la Francophonie, ou OIF, vient de notre pays. Il y aura des discussions à propos de cela et on pensera peut-être aux personnes LGBT. Ce n'est pas de notre faute si nous sommes ce que nous sommes, c'est ainsi que nous avons été créés.
J'ai été prise en Amérique il y a plus de quatre ans. J'ai été victime de la politique actuelle de l'Amérique. Pendant plus de quatre ans, j'ai vécu d'autres menaces. Il y a le cas de l'incident qui a eu lieu au Club Venom, en 2016. J'ai été touchée par cela et c'est pour cette raison que j'ai eu le courage de ne pas baisser les bras. J'ai créé le Rainbow Heritage Network à cause de l'injustice dont sont victimes les personnes réfugiées en Ouganda.
Cela fait plus de quatre ans. Je vais peut-être aller en Amérique bientôt, ou pas. Je ne sais pas ce qui se passera là-bas.
[Traduction]
Je ne sais pas ce que l'avenir me réserve,
[Français]
parce que les personnes LGBT sont toujours menacées.
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J'aimerais intervenir aussi.
Nous aimerions dire que les priorités, pour votre pays, devraient être ce qui suit.
Premièrement, il faut voir comment vous pouvez donner la priorité à la réinstallation des personnes LGBT, parce que nous souffrons, ici.
Deuxièmement, il vous faut investir dans des initiatives visant à assurer la sécurité et la santé des personnes LGBT réfugiées.
Troisièmement, il vous faut essayer de parler avec le gouvernement ougandais pour essayer de faire diminuer la souffrance des personnes LGBT, d'aider à régler les problèmes. Elles reçoivent des menaces, mais pas seulement en Ouganda, mais aussi au Congo, au Nigeria et dans tous les pays d'Afrique. Vous pourriez en faire des priorités.
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Merci beaucoup pour cette invitation.
Le Comité central mennonite du Canada, ou CCM, est un ministère d'églises anabaptistes qui répond aux besoins humains fondamentaux et travaille pour la paix et la justice. Notre ministère a commencé en 1920 avec l'aide aux réfugiés qui cherchaient à fuir l'ex-Union soviétique. Aujourd'hui, le CCM est présent dans le monde entier. Rien que l'an dernier, nous avons aidé plus de 300 000 personnes en déplacement.
Le CCM se réjouit de l'occasion qui lui est donnée de faire part de ses expériences au Comité et de formuler des recommandations au sujet des migrations forcées qui ont lieu un peu partout dans le monde.
Les membres du Comité sont peut-être mieux informés que d'autres au sujet du travail du CCM sur la réinstallation des réfugiés, puisque c'est nous qui avons aidé à la réinstallation du tiers des réfugiés désignés par le bureau des visas du Canada en 2017. Le travail de réinstallation au Canada et le rôle de chef de file que joue le Canada pour encourager la réinstallation à l'échelle mondiale sont d'une importance capitale.
Cela dit, le CCM entend constamment dire par ses partenaires internationaux que, quelle que soit la solution adoptée, il faudra toujours qu'elle ait une composante de lutte contre les causes profondes de la migration forcée.
Alors que le CCM travaille sur le thème de la migration dans le monde entier, notre travail régional le plus rigoureux se déroule actuellement en Amérique latine, où j'ai récemment travaillé. Je vais vous décrire plusieurs facteurs qui incitent les populations à migrer, avant de vous parler de la réponse de nos organisations partenaires et de nos recommandations à l'intention du gouvernement canadien. Je mettrai surtout l'accent sur nos partenaires en Amérique centrale, au Mexique et en Colombie, des organismes qui nous tiennent au courant des tendances migratoires à mesure qu'elles se développent.
Nous entendons dire que la migration dans cette région est forcée par des environnements hostiles qui sont le terreau de la violence. On pense notamment aux graves inégalités socioéconomiques, aux économies illicites associées à la corruption et à la faiblesse des institutions, ainsi qu'à la progression de la militarisation.
L'Amérique latine est la région du monde où les inégalités sont les plus prononcées. Plus de la moitié des terres productives de la région sont détenues par le 1 % des plus grandes exploitations agricoles. Cette situation s'accompagne d'une dépendance économique croissante à l'égard de l'extraction des ressources, notamment dans le secteur agro-industriel, dans le secteur minier et dans celui des hydrocarbures. Cet état de fait a entraîné une diminution de la production alimentaire locale et un resserrement de l'accès à l'eau potable, facteurs qui encouragent la migration, en particulier lorsqu'ils s'accompagnent de menaces de violence pour le contrôle des terres ou du développement.
Bien que la Colombie soit parmi les pays du monde qui comptent le plus de personnes déplacées — avec sept millions —, les déplacements internes sont à la hausse en Amérique centrale et au Mexique.
Ces inégalités déstabilisent la région puisqu'elles contribuent à la croissance des activités économiques illicites. Même lorsque le crime organisé n'est pas directement responsable de la violence, il peut avoir une incidence indirecte sur la violence en gangrenant les institutions étatiques et en restreignant l'accès aux mécanismes de sécurité et de justice ainsi qu'à la santé et à l'éducation. Le chômage élevé et l'exclusion poussent les jeunes à devenir membres de gangs, ce qui entraîne une augmentation de la violence urbaine. Cela dit, la migration elle-même alimente elle aussi l'instabilité. Dans les régions frontalières, l'économie illégale entourant la migration est devenue plus rentable que le trafic de drogue.
La militarisation accrue de la lutte contre le crime organisé conjuguée à l'absence de réaction des institutions étatiques face aux violations des droits de la personne exacerbe la violence. Le renforcement des politiques de sécurité donne lieu à des exécutions extrajudiciaires et à la répression de manifestations non violentes.
L'Amérique latine est actuellement l'endroit le plus dangereux au monde pour les défenseurs des droits de la personne ou de l'environnement. La militarisation des frontières et des routes, en particulier près des frontières du Mexique, contribue à l'augmentation du nombre de décès et de disparitions de migrants. Les migrants et les demandeurs d'asile empruntent en effet des itinéraires moins connus pour éviter la détection officielle et se retrouvent fréquemment entre les mains de cartels ou dans des régions désertiques aux conditions extrêmes.
Dans ces scénarios fort complexes, les efforts de développement et les interventions économiques de l'étranger peuvent, par inadvertance, faire plus de mal que de bien. Partout dans la région, cependant, le CCM travaille avec des organismes partenaires locaux qui s'efforcent de remédier à cette complexité.
Permettez-moi de vous donner un modeste aperçu de ce travail diversifié et créatif.
Par exemple, en Colombie, notre partenaire Sembrandopaz accompagne plus de 40 communautés agricoles déplacées et rapatriées dans le cadre d'un projet de réconciliation et de droits de la personne. Notre partenaire s'efforce avant tout de rassembler les jeunes de communautés divisées en recourant au sport comme outil de développement du leadership et de résolution non violente des conflits. Dans un processus parallèle, les dirigeants communautaires ont formé un mouvement de réparation et de défense qui cherche à leur permettre collectivement de rester sur leurs terres et de mettre au point des solutions de rechange sur le plan économique.
Le travail de lutte contre la corruption au Honduras, dirigé par l'Association pour une société plus juste, utilise des mécanismes de suivi fondés sur des données probantes pour surveiller les contrats et les dépenses du gouvernement en matière d'éducation et de santé. Or, l'association rapporte que ce travail s'est traduit par une augmentation du nombre de jours que les enfants passent en classe.
Dans le sud du Mexique, Voces Mesoamericanas fait partie d'un réseau d'organismes — réseau qui s'étend à l'Amérique centrale — qui surveille la violence aux frontières. Ce réseau documente également les déplacements internes et fait le suivi de signes avant-coureurs permettant de repérer les zones où les conflits sont susceptibles d'éclater et où les flux migratoires risquent d'augmenter.
En réponse à cette dynamique contextuelle et à ces facteurs d'incitation à la migration, le Comité central mennonite du Canada offre les recommandations suivantes au gouvernement canadien, non seulement pour l'Amérique latine, mais pour toutes les régions du monde où il y a des migrations forcées. Premièrement, augmenter les investissements consacrés à la prévention des conflits; deuxièmement, envisager les choses dans une optique de « ne pas nuire »; troisièmement, établir des partenariats avec divers acteurs; et quatrièmement, continuer à jouer un rôle de premier plan dans les accords mondiaux.
Nous encourageons un investissement accru dans les initiatives de prévention des conflits, en particulier les initiatives locales de consolidation de la paix et de médiation entre différents secteurs et différentes confessions. Au moment de cartographier les facteurs de conflit, il est crucial de recenser les forces et les capacités qui existent déjà localement et qui peuvent être utilisées pour construire une paix durable.
Nous encourageons également le gouvernement à tenir compte dans tous ses programmes de l'aspect de propension aux conflits — c'est-à-dire de faire attention à ne pas nuire — afin d'assurer que les mesures prises n'exacerbent pas par inadvertance la dynamique des conflits ou les inégalités socioéconomiques. Pour lutter contre l'insécurité dans le monde, le Canada devrait prioriser l'affectation de ressources à des moyens non militaires. Le CCM encourage également le Canada à accroître ses efforts diplomatiques en matière de prévention des conflits et à appuyer les solutions de rechange non violentes au recours à la force.
En outre, nous encourageons le Canada à établir des partenariats avec divers acteurs, en mettant particulièrement l'accent sur le soutien aux partenaires locaux, sur le renforcement des réseaux locaux de solidarité et sur la promotion de mécanismes de coopération entre acteurs de différents échelons, en particulier dans les situations de déplacement interne prolongé. Reconnaissant le rôle important que jouent les organisations locales pour répondre aux besoins des déplacés internes, nous encourageons la multiplication des possibilités de financement.
Enfin, le Comité central mennonite du Canada souhaite voir une coopération accrue entre Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et Affaires mondiales Canada afin de renforcer les capacités qu'ont les deux ministères de répondre de façon créative à l'ensemble des questions internationales complexes auxquelles notre monde actuel est confronté au chapitre des migrations forcées. Nous encourageons le Canada à continuer de faire preuve de leadership dans la mise en oeuvre du Pacte mondial sur la migration et du Pacte mondial sur les réfugiés en tenant compte des causes profondes et de la prévention, et en accordant une attention soutenue à la réinstallation à l'échelle mondiale.
Il y aura plus d'informations sur tous ces sujets dans la soumission écrite que nous sommes en train de faire traduire.
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Bonjour. C'est formidable d'être en contact avec vous, monsieur le président et honorables membres du Comité. Je tiens à remercier le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre des communes de m'avoir donné l'occasion de parler des problèmes associés à la migration forcée, le sujet dont il a été convenu de traiter.
C'est la deuxième fois que je comparais devant ce comité. Je tiens à vous remercier, ainsi que le gouvernement du Canada, d'avoir pris des mesures pour aider les yézidis dont nous avons parlé précédemment.
Je suis ici pour représenter La Bourse du Samaritain Canada, un organisme de bienfaisance enregistré à Calgary. Nous faisons partie d'une organisation chrétienne internationale qui est en première ligne des pires tragédies qui se produisent dans le monde. Or, dans presque toutes ces tragédies, il y a une part de migration forcée.
D'entrée de jeu, je voudrais formuler quatre observations. Premièrement: la politique canadienne doit se concentrer sur les causes profondes, comme nous l'avons déjà entendu. Cela réduira au minimum les migrations forcées et permettra aux déplacés de rentrer chez eux en toute sécurité.
Deuxièmement: la réinstallation doit se faire en toute impartialité. Cela doit être une ligne directrice.
Troisièmement: le processus de renvoi du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés exige la vigilance du Canada pour assurer la reddition de comptes.
Quatrièmement: des politiques d'immigration sûres, ordonnées et régulières peuvent être impopulaires, mais l'alternative est également inhumaine.
En lisant le communiqué de presse concernant l'étude actuelle de ce comité, je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer les parallèles qui existent entre l'ordre du jour de la présente séance et celui des réunions que l'ONU tiendra en décembre prochain, lorsque le Pacte mondial sur la migration sera sans doute ratifié. Le pacte mondial est un accord non contraignant, mais il façonne la volonté politique et les visées de la communauté internationale. Avec cette ratification, le Canada sera mis devant des décisions stratégiques s'alignant sur le pacte mondial et la nécessité de mettre au point ses propres politiques en la matière.
Avec des dizaines de millions de personnes déplacées de force, l'ampleur de la crise actuelle à l'échelle mondiale est ahurissante. Nous constatons qu'il s'agit en grande partie d'un phénomène d'origine humaine attribuable à une mauvaise gouvernance ou à une gouvernance corrompue, et que ce sont des dynamiques qui, dans une vaste mesure, pourraient être évitées dès le départ. À juste titre, le pacte mondial désigne la lutte contre les causes profondes des mouvements de réfugiés comme une priorité pour toutes les nations du monde.
Pour le Canada, si j'ai bien compris, la lutte à ces causes profondes est du ressort de la politique étrangère. Le Canada a besoin d'une politique qui cible l'aide et le développement économiques canadiens pour réduire les facteurs qui incitent les populations à migrer. Cette focalisation des ressources permettra aux personnes déplacées de retourner dans leur pays d'origine en toute sécurité et dans la dignité, ce qui est l'option la plus souhaitable de toutes.
J'ai été témoin du succès de ces interventions et de ces efforts à la source. J'ai passé les premières années de ma carrière à La Bourse du Samaritain en Croatie et en Bosnie. J'ai été à même de constater le succès de l'accord de paix de Dayton, en 1995, qui, même s'il n'était pas parfait, a permis aux réfugiés et aux déplacés de rentrer, à tout le moins, dans leurs pays respectifs, sinon dans leurs foyers.
Deuxièmement, depuis le milieu des années 1990, notre organisme participe activement aux efforts de secours au Soudan du Sud. L'accord de paix global de 2005, qui a été précédé par le Protocole de Machakos, en 2003, a été largement facilité par une initiative et un financement de la politique étrangère canadienne. Cela a permis à des millions de personnes de rentrer chez elles.
J'espère que le pacte mondial et les travaux de votre comité aideront à clarifier les priorités de la politique étrangère du Canada et à axer ces priorités sur les causes profondes. La triste réalité est que le pacte mondial et la politique ne peuvent pas remédier à toutes ces causes profondes, et que la migration forcée va continuer. Certains problèmes sont insolubles et laissent des millions de personnes dans une situation désespérée. J'ai été particulièrement impressionné par les observations du témoin précédent, Anna, parce qu'elles faisaient écho à ma propre histoire.
En 1920, mes grands-parents mennonites ont fui la persécution en Union soviétique et sont arrivés dans une ferme des Prairies. L'Ukraine a récemment ouvert ses archives du KGB, révélant le sort de ceux qui n'ont pas fui: ils ont été rassemblés pour des simulacres de procès, puis on les a exécutés ou envoyés au goulag.
Les situations impossibles et terribles de ce monde me touchent énormément. Je crois que lorsque l'on examine ces situations, des priorités émergent. Ce ne sont pas tous les migrants forcés de ce monde qui se retrouvent dans des situations dangereuses, voire impossibles, et le principe humanitaire d'impartialité nous impose de donner la priorité à ceux qui ont le plus besoin d'être réinstallés sans discrimination. Ce principe humanitaire d'impartialité doit guider les politiques et les priorités du Canada.
Le Canada a agi comme il se doit à l'égard des yézidis, et j'en suis particulièrement fier. Je pense que les yézidis continuent d'être un exemple patent de migration forcée et que leur situation est l'une des pires au monde. Ils sont les victimes d'un génocide désigné en tant que tel par l'ONU. Il s'agissait d'un groupe minoritaire vilipendé déplacé de son pays d'origine avec peu de chances de trouver la sécurité ou une certaine forme de liberté pour l'avenir. Le Canada a fait preuve d'impartialité lorsque les yézidis ont été amenés ici. Je crois que nous devrions ouvrir nos portes à un plus grand nombre d'entre eux.
Les Rohingyas du Myanmar sont un autre groupe de personnes qui méritent une attention prioritaire.
J'ai également observé votre comité examiner les processus de détermination et d'aiguillage du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l'engagement du Canada dans ces processus. Le Haut Commissariat s'est engagé à respecter de très nobles principes humanitaires. Toutefois, il est évident que certains groupes culturels dominants au sein du Haut Commissariat peuvent faire preuve de racisme systémique, d'intolérance ou de partialité à l'égard de groupes minoritaires en leur sein.
Je crois que le Canada a été sage d’envoyer des représentants dans le nord de l'Irak pour prêter main-forte à l'immigration des yézidis et assurer l’impartialité du procédé. La vigilance à l'égard des partis-pris ou des préjugés du Haut Commissariat et la possibilité d'intervenir en faveur des groupes minoritaires qui ne sont pas traités de façon impartiale devraient également faire partie de la politique canadienne. La transparence doit être saluée et priorisée à cet égard.
Lorsqu'ils tenaient de définir leurs politiques en matière de migration et d'immigration, le Canada et la communauté internationale ont pendant des décennies utilisé les adjectifs « sûres », « ordonnées » et « régulières ». Tout écart par rapport à ces principes directeurs a des conséquences. Ces écarts ouvrent la porte à la traite des êtres humains et à la criminalité. Ils encouragent la prise de risques qui mettent des vies en danger. Ils permettent d'éventuels compromis en matière de sûreté et de sécurité à l'intérieur du Canada, et ils transmettent par inadvertance aux nouveaux arrivants la notion que la primauté du droit au Canada n'est pas importante et qu'ici, les voies légitimes et l'application régulière de la loi ne sont pas respectées. Enfin, ces écarts réduisent l'efficacité de la coordination des services canadiens de soutien à la réinstallation des réfugiés. C'est ce qui me fait dire que ces conséquences sont vraiment inhumaines.
Le Comité se réunit pour discuter de l'avenir de la politique canadienne. Le pacte mondial conclu avec le système des Nations unies s'appuie sur une action humanitaire intentionnelle et fondée sur des principes. Cependant, notre culture est de plus en plus séduite par le populisme, par les attitudes vertueuses et par la nécessité d'être perçue comme admirable lorsqu'il s'agit d'aider, sans égard pour les répercussions et l'incidence que ces attitudes pourraient avoir sur les citoyens et les procédés canadiens. Il faut s'y opposer. Les politiques canadiennes sur la migration forcée doivent rester fondées sur des principes solides.
Merci beaucoup de nous avoir donné l'occasion de vous parler.
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Merci, monsieur le président.
Merci à tous les témoins d'être là.
J'ai eu l'occasion de rencontrer beaucoup de gens. Je me souviens très bien des nombreuses fois où je me suis entretenu avec des représentants du CCM, notamment avec Rebekah Sears.
Anna, vous avez formulé des recommandations, entre autres, celle d'augmenter les investissements consacrés à la prévention des conflits — ce qu'a également recommandé notre témoin par vidéoconférence — et vous avez ajouté que les causes profondes sont liées, en grande partie, aux conflits et aux individus qui sèment le chaos.
J'ai ici un rapport de l'Observatoire des situations de déplacements internes, qui appuie, en gros, ce que vous avez dit au sujet des conflits. Selon le rapport, les déplacements qui ont eu lieu entre janvier et juin 2018 provenaient principalement de cinq pays: l'Éthiopie, la Syrie, la République démocratique du Congo, le Nigeria et la Somalie. Voici le nombre de personnes déplacées, dans le même ordre: 1,4 million, 1,2 million, 946 000, 400 000 et 300 000, grosso modo. Il s'agit là du nombre de personnes déplacées, durant cette période, en provenance de ces pays.
Un autre point que j'aimerais mentionner et aborder, c'est que nous observons beaucoup de déplacements dus aux changements climatiques. Permettez-moi de vous énumérer quelques endroits qui ont été touchés par des désastres entre janvier et juin 2018, et c'est de là que proviennent bon nombre des personnes déplacées. En Inde, les inondations de mousson ont causé le déplacement de 373 000 personnes. La Somalie a également été frappée par des inondations, et environ 300 000 personnes ont été déplacées. Au Kenya, c'est le même bilan, soit 300 000 personnes déracinées. Aux Philippines, il n'y a pas si longtemps, 150 000 personnes ont dû quitter leur domicile. Je peux vous citer bien d'autres exemples.
Nous pouvons accomplir beaucoup de choses grâce à la diplomatie. Nous pouvons essayer d'injecter plus de fonds dans des mesures de prévention afin d'éliminer les conflits dans les quelques pays que j'ai mentionnés au début. Quelles sont certaines des mesures que nous devons prendre pour aider ces réfugiés climatiques? Que recommanderiez-vous au gouvernement de faire pour que ces chiffres cessent d'augmenter continuellement?
Je vous remercie de ces questions.
Pour en revenir à l'autre exposé et aux mécanismes mondiaux, comme le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le Pacte mondial, il y a un manque de représentation de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays. Bon nombre des groupes dont vous avez parlé se classeraient dans cette catégorie, et cela comprend aussi les groupes de la séance précédente. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés s'occupe de ces groupes un peu par défaut.
Je crois que j'ai déjà entendu des experts en matière de déplacements internes témoigner devant le Comité; ils ont affirmé qu'il n'y a aucun organisme chargé de ce groupe de personnes, malgré la représentation des personnes déplacées à l'intérieur de leur pays. La Colombie enregistre l'un des chiffres les plus élevés. On y trouve presque deux fois plus de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays que de réfugiés au sens de la convention.
Par ailleurs, les déplacements internes sont de bons signes avant-coureurs qui montrent que quelque chose ne tourne pas rond dans un pays. En effet, avant que les réfugiés commencent à traverser les frontières, on observe un nombre croissant de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, ce qui comprend souvent des minorités et d'autres groupes ciblés par leurs propres gouvernements.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Clayton et mesdames Vogt et Sears, je reconnais que vos deux organisations font un excellent travail dans le domaine de la réinstallation de réfugiés, et je vous remercie des exposés que vous avez donnés aujourd’hui.
L’un des faits que nous avons appris et que j’ai eu l’occasion d’observer en juin, c’est que, lorsque vous visitez des camps de réfugiés et que vous parlez à ses occupants, ils vous indiquent qu’ils souhaiteraient se réinstaller, mais que leur dernier choix serait de le faire dans un tiers pays. Ils aimeraient se réinstaller dans leurs propres régions d’origine.
Ce qui m’a poussé à poser la question suivante, madame Vogt, c’est le fait que vous avez mentionné qu’il y avait 7 millions de personnes déplacées en Colombie et que vous l’avez appuyée, madame Sears, en déclarant qu’il y avait deux fois plus de personnes déplacées que de réfugiés dans le monde et que le nombre de réfugiés s’élevait à 64 millions. Cela m’amène à vous demander quel est, selon vous, le plus important besoin à satisfaire pour nous assurer que, malgré tous les succès que chacun de vous a connus ainsi que les réussites enregistrées par les programmes de réfugiés du gouvernement, nous sommes en mesure d’en réaliser au moins un pourcentage, autant ou davantage, en partageant les possibilités qui existent au Canada?
Les réfugiés ont-ils des besoins linguistiques ou d’autres besoins lorsqu’ils arrivent ici, ou devons-nous simplement nous assurer de disposer d’un processus robuste pour déterminer qui, parmi les occupants des camps de réfugiés, peut venir au Canada, et quelles autres ressources financières il serait bon d’utiliser?