:
Je déclare la séance ouverte.
Nous en sommes à la 133e séance du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration.
Nous poursuivons notre étude des enjeux liés à la migration auxquels nous devons faire face, ainsi que des possibilités que nous devons saisir au XXIe siècle. Dans le cadre de cette vaste étude, nous consacrons plusieurs de nos réunions aux deux pactes mondiaux qui font actuellement l'objet de discussions à l’échelle internationale, soit le pacte mondial sur les réfugiés et celui sur les migrations. Il s’agit également de l’objectif de cette réunion.
Nous accueillons deux groupes de témoins aujourd'hui.
Dans le premier groupe, nous avons un témoin en personne. Merci beaucoup d'être venu.
Nous accueillons également deux témoins par vidéoconférence.
Je pense que nous allons commencer par la témoin qui est la plus loin, puis nous passerons à la témoin qui est plus près de nous par la vidéoconférence. Nous terminerons ensuite ce premier groupe de témoins, avec la représentante d'ACT Alliance.
Chaque témoin dispose de sept minutes.
Nous allons commencer par Mme Michele Klein Solomon, de l'OIM, qui nous vient de Genève, en Suisse.
[Français]
Je vous remercie et vous souhaite la bienvenue.
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Merci beaucoup, monsieur le président. C'est un plaisir d'être parmi vous cet après-midi et je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant le Comité aujourd'hui.
Je suis très heureuse que vous vous penchiez sur ces questions et je suis ravie, au nom de l'Organisation internationale pour les migrations, d'avoir l'occasion de vous présenter un exposé et de discuter avec vous.
Comme le président l'a mentionné, je vais parler du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Ce Pacte est le fruit des négociations entre les États membres de l'Assemblée générale des Nations Unies qui ont eu lieu au cours des 18 derniers mois. Il sera déposé par les États membres aux plus hauts échelons des États et des gouvernements aux fins d’adoption le 10 décembre à Marrakech, au Maroc.
Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières vise surtout à améliorer la sécurité et la sûreté de la migration et à réduire les incidents et les répercussions de la migration irrégulière. Il s'agit de la première entente exhaustive sur la migration négociée entre les gouvernements.
Il est important de mentionner qu’il n'est pas juridiquement contraignant. Il s'agit d'un cadre de coopération entre les États qui vise à gérer plus efficacement l'un des grands enjeux de notre époque, non seulement au Canada et en Amérique du Nord, mais dans toutes les autres régions du monde, c'est-à-dire comment veiller à ce que les mouvements de personnes aujourd'hui soient plus sûrs, plus ordonnés et plus prévisibles et travailler ensemble pour réduire les abus et les risques pour les personnes et les collectivités associés à la migration irrégulière et dangereuse.
Tout d’abord, les principaux aspects de ce cadre de coopération ne sont pas juridiquement contraignants. Le Pacte respecte pleinement la souveraineté des gouvernements nationaux en leur permettant de prendre leurs propres décisions concernant leur politique nationale en matière de migration, y compris la sélection des non-nationaux qui sont admis sur leur territoire.
Parallèlement, il reconnaît qu'aucun État qui agit seul ne peut lutter efficacement contre la migration et que, par sa nature même, la migration est un phénomène transnational. Ce Pacte est conçu pour établir un cadre de coopération permettant aux États de travailler plus efficacement ensemble.
Pour ce faire, il stipule certains principes communs et établit 23 objectifs généraux touchant tous les aspects de la migration — des facteurs à l’origine de la migration jusqu’aux conditions de la migration en passant par la nécessité de mettre en place des mécanismes pour une migration sûre, notamment des possibilités de migration légale de la main-d'oeuvre, des possibilités de migration familiale, des possibilités de visa d'étudiant et autres choses du genre — sans imposer de quotas ou d'exigences particulières à quelque gouvernement que ce soit.
Il aborde également des questions comme l’introduction clandestine et la traite des personnes et une meilleure coopération en matière d'application de la loi, ainsi qu’une coopération concernant le retour et la réintégration des migrants qui ne sont plus autorisés à rester.
Ce ne sont là que quelques exemples du type d'objectifs prévus dans le Pacte. Comme je l'ai dit, il y en a 23. De grands objectifs ont été établis puis une série de pratiques exemplaires ou d'exemples de mesures à prendre pour les atteindre est énoncée pour chacun. Il appartiendra à chaque gouvernement de décider quels objectifs poursuivre, quelles mesures prendre ainsi que dans quel ordre. Il s’agit réellement d’un cadre discrétionnaire, mais il vise à créer un sentiment commun de solidarité et à susciter un engagement pour rendre le processus de migration plus efficace.
Enfin, une gestion plus efficace de la migration ne passe pas uniquement par les gouvernements. Bien que les États membres soient principalement chargés de gérer la migration non seulement sur leur territoire, mais de coopérer, ils doivent le faire avec un éventail d'autres parties prenantes, à savoir les employeurs, lesquels ont un rôle bien réel à jouer dans le processus de migration; les recruteurs de migrants; les communautés de migrants et les diasporas elles-mêmes; les organismes internationaux dans la mesure où ils peuvent aider; et, bien sûr, les administrations locales, parce qu'une grande partie de la migration se vit localement et est déterminée par les politiques et les processus locaux. Les maires et les fonctionnaires municipaux seront des acteurs essentiels.
Permettez-moi de conclure mes observations préliminaires en disant que ce cadre réclamé et élaboré par les gouvernements — les États membres de l'ensemble des Nations unies — est maintenant très médiatisé dans certains pays. Dans certaines sociétés, on s'est demandé si c'était une bonne idée et dans quelle mesure le cadre empiéterait sur la souveraineté des États.
Permettez-moi de souligner que le Pacte est très explicite à la fois sur le fait qu'il n'est pas juridiquement contraignant et qu'il reconnaît pleinement la compétence et la souveraineté des gouvernements de déterminer leurs propres politiques migratoires. Son objectif est de créer des politiques plus efficaces grâce à la collaboration entre les États, à l'apprentissage mutuel, à l'échange de bonnes pratiques et à la collaboration pour une meilleure gestion de la migration.
Merci beaucoup. J'ai hâte de répondre à vos questions.
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Monsieur le président, messieurs et mesdames les députés du Comité, bonjour.
Je m'appelle Stéphane Vinhas, le coordonnateur des urgences de Développement et Paix-Caritas Canada. Au nom des membres de mon organisation, des partenaires locaux que nous soutenons et des populations vulnérables que nous aidons dans plus de 40 pays, je souhaite vous remercier de cette consultation.
Depuis 50 ans, Développement et Paix-Caritas Canada est l'organisme officiel de solidarité internationale de l'Église catholique du Canada. Nous nous appuyons sur l'engagement de 13 000 membres de partout au Canada déterminés à aider les plus pauvres dans leur lutte pour la justice dans les pays du Sud.
Nous sommes membres du réseau international Caritas Internationalis, et nous menons en ce moment même une campagne d'éducation et de plaidoyer sur la migration forcée intitulée « Partagez le chemin ».
Nous sommes inspirés par les paroles du pape François, et nos membres considèrent très important à la fois d'accueillir, de protéger, de promouvoir et d'intégrer les migrants et les réfugiés. Ils ont d'ailleurs participé activement à l'accueil des personnes réfugiées syriennes ici, au Canada.
Pour ce qui est des deux pactes, ils ont particulièrement à coeur le travail sur les causes profondes des migrations forcées. En tant que témoin, c'est aujourd'hui ce message, leur message, que je vous porte.
Chaque minute, 31 personnes sont forcées de fuir leur pays. Aujourd'hui, c'est environ le double de la population canadienne qui est en situation de migration forcée, soit environ 68 millions de personnes. La majorité de ces personnes proviennent de cinq pays: la Syrie, l'Afghanistan, le Soudan du Sud, la Birmanie et la Somalie, pays dans lesquels Développement et Paix-Caritas Canada soutient des partenaires locaux.
Au-delà des chiffres et des concepts, les personnes migrantes et réfugiées sont avant tout des personnes comme vous et moi, en quête de paix, comme le souligne le pape François. Elles aspirent à la liberté et à la sécurité pour elles-mêmes et pour leur famille. Elles souhaitent redevenir les acteurs et les actrices de leur propre vie.
Ces personnes ont certes pris la décision de partir, mais elles n'ont pas vraiment eu le choix de le faire. Personne ne choisit de fuir et de mettre sa vie ou celle de ses enfants en danger. On le fait par contrainte, par nécessité, par désespoir et par espoir aussi. Les personnes migrantes et réfugiées sont avant tout des êtres humains, avec leurs droits et leur dignité.
Comment pouvons-nous les aider? Comme il en est fait mention dans les pactes, c'est en s'attaquant aux causes profondes qui poussent les gens à partir, afin à la fois de prévenir les départs forcés et de faciliter les retours souhaités. Le retour est voulu par la majorité des migrants, quand les conditions s'y prêtent. Quand elles ne s'y prêtent pas, cela crée des situations comme celle du Bangladesh, où les Rohingyas fuient ou se suicident dès qu'on leur demande de retourner en Birmanie. En Syrie, les risques de recrutement forcé, les répressions politiques et l'instabilité sécuritaire bloquent toujours les retours.
Si nous souhaitons que les retours se fassent de manière informée, volontaire, digne et durable, il faut nous assurer que les raisons qui ont poussé les gens à partir ne soient plus. En ce sens, il faut absolument travailler à régler les causes profondes à l'origine des mouvements humains contraints. Le Pacte mondial sur les réfugiés et le Pacte mondial sur les migrations, qui ont d'ailleurs été construits par l'entremise d'une consultation de l'Église catholique, soulignent que l'élimination des causes profondes est le moyen le plus efficace de réaliser des solutions.
La migration forcée est avant tout une conséquence d'un maldéveloppement politique, économique et social. L'humanitaire et la gestion des migrations tentent juste de répondre à ces malheureuses conséquences.
Il est important de reconnaître les causes, les facteurs complexes, multiples et interreliés qui sont à l'origine de ces déplacements: les conflits armés, les persécutions, les causes économiques et politiques, les causes écologiques et d'autres qu'on aborde moins comme les mégaprojets dits de développement, l'exploitation minière, pétrolière et gazière, ou encore les grandes exploitations agroindustrielles.
À la lumière de cet exposé, les membres de Développement et Paix-Caritas Canada vous présentent les recommandations suivantes, qui font écho aux deux pactes mondiaux.
En tant qu'artisan de paix, le Canada peut s'appuyer sur son leadership pour approuver et mettre en oeuvre les deux pactes sur les réfugiés et sur la migration, en fidélité aux valeurs que porte le Canada à l'international. Il peut exercer son leadership en faisant la promotion de solutions diplomatiques et pacifiques aux conflits armés grâce à des processus de paix inclusifs, notamment avec la participation des femmes. Il peut aussi renforcer et protéger les organisations de la société civile qui travaillent à la paix, à la démocratie, à la défense des droits humains et à la responsabilisation des dirigeants dans les États fragiles du Sud. En l'absence de démocraties inclusives et participatives, protectrices des minorités, de la diversité et du droit, la migration forcée ne fera que s'aggraver.
En tant que bailleur de fonds reconnu, le Canada peut s'appuyer sur son financement pour donner des appuis prévisibles, flexibles et pluriannuels, afin d'atteindre les Objectifs de développement durable, notamment la réduction des inégalités, pour contribuer à réduire les risques de déplacements forcés. Cela peut se faire notamment en visant l'atteinte de l'objectif de l'OCDE, soit une contribution de 0,7 % du PNB dédié à l'aide publique au développement.
Son financement peut aussi servir à des initiatives de réduction des risques de catastrophe, de prévention des conflits et de promotion de la paix.
En tant que membre responsable de la communauté internationale, le Canada peut aussi s'appuyer sur ses valeurs pour s'assurer que les populations locales bénéficient de toutes les retombées économiques qui leur sont dues afin d'éviter les migrations économiques. Les bénéficiaires de l'aide internationale ne doivent pas être les mêmes personnes victimes de politiques internationales ou régionales, en vigueur ou manquantes, qui sont préjudiciables.
Par ses valeurs, le Canada peut aussi continuer à travailler à la réduction des émissions de gaz à effet de serre afin de préserver notre maison commune — c'est le terme qu'utilise le pape François pour qualifier la Terre — et ainsi réduire les risques de migrations environnementales.
En conclusion, il est important de rappeler la vision exprimée par le pape François à l'occasion du premier Sommet mondial sur l'action humanitaire, qui s'est tenu à Istanbul en mai 2016. Il s'est exprimé ainsi:
[...] il ne doit pas y avoir de famille sans une maison, pas de réfugié sans un accueil, pas de personne sans sa dignité, pas de personne blessée sans soins, pas d’enfant sans son enfance, pas de jeune homme ou de jeune femme sans un avenir, pas de personne âgée sans la dignité due à son âge.
C'est surtout de cela qu'il faut s'assurer.
Je vous remercie de votre attention.
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Merci, monsieur le président. Merci de me permettre d’être avec vous aujourd’hui.
Comme vous l'avez souligné, je m'appelle Ida Kaastra-Mutoigo. Je suis directrice de World Renew au Canada. À titre d'information, il s'agit d'un organisme qui est signataire d'une entente de parrainage pour les réfugiés depuis plus de 40 ans.
Je suis aussi fille de parents immigrants qui ont quitté la Hollande après la Seconde Guerre mondiale, et j'ai épousé un immigrant de l'Ouganda qui a une fille qui est une immigrante de l'Ouganda.
Je suis très heureuse de parler au nom d'Action by Churches Together, ACT Alliance, où je siège au conseil d'administration et au comité directeur. ACT est une alliance internationale constituée d'environ 150 églises et organisations confessionnelles, dont World Renew, qui travaillent ensemble dans plus de 125 pays.
Pourquoi ACT Alliance a-t-elle participé à l'initiative du Pacte mondial? Global Alliance, comme ACT, a adopté une stratégie qui privilégie l'utilisation des ressources et le partage de l'expertise en vue de s’attaquer efficacement aux problèmes de migration et de déplacement, en particulier lorsqu’ils touchent aux droits de l'homme, aux niveaux de pauvreté et à la résilience aux catastrophes. C'est pourquoi le bureau du secrétariat mondial d'ACT Alliance a participé à chaque étape du processus d'élaboration du Pacte mondial. Nous avons également consulté nos membres partout dans le monde qui travaillent avec des migrants et des communautés d'accueil.
Pourquoi estimons-nous que le Pacte mondial est important? Comme il a été mentionné, la création de cet accord entre les États membres de l'ONU permet de mieux prévoir et gérer la migration, tout en protégeant les droits des migrants vulnérables de leur point de départ jusqu’au pays de destination, ainsi que pendant leur réinstallation.
Il s'attaque aux causes profondes ou aux facteurs à l'origine des mouvements intenables de migration qui se produisent. Il accroît les mesures de protection à disposition des personnes qui sont victimes de violations des droits. Il assure un meilleur accès aux services de base. Il prévient l’introduction illicite et la traite des personnes. Il favorise la collaboration dans le cadre de son application.
Comme Stéphane l'a très bien souligné, même si ces pactes mondiaux visent les flux de migrants et de réfugiés, il est impératif que nous déterminions les causes profondes actuelles des déplacements, des conflits, des catastrophes écologiques, du changement climatique et de la pauvreté et que nous nous y attaquions. Le parrainage et la réinstallation sont des volets importants de la solution à cette crise, mais il est essentiel d'approfondir le travail de justice pour s'attaquer aux causes profondes.
Les pactes mondiaux représenteront-ils une menace pour le gouvernement du Canada, particulièrement en ce qui concerne sa capacité d'assurer le respect des droits et le bien-être des Canadiens ou sa souveraineté? Les accords mondiaux ont été un processus entièrement dirigé par les États. La société civile ainsi que d'autres intervenants ont pris part aux discussions. Cependant, ils n'ont pas servi de moteurs à ce mouvement, pas plus que l'ONU ne l’a fait. Je pense qu'il est très important de le souligner.
Le paragraphe 15 du pacte mondial sur les migrations réaffirme également le droit à la souveraineté des États. Je vous invite à le lire pour en faire une analyse plus approfondie. Il ne s'agit pas d'un accord international ni d'un traité, et il n'aura aucun effet juridique sur les systèmes juridiques nationaux, comme l'a souligné Michele.
Le pacte mondial sur les migrations renforce et précise ce que les États se sont déjà engagés à faire dans d'autres traités et lois internationaux, comme la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que les objectifs de développement durable.
Le pacte mondial sur les migrations favorise une approche pangouvernementale plus efficace à la migration en encourageant les États à modéliser la coopération interministérielle pour atteindre les objectifs établis. Il appuie une initiative dans laquelle le Canada excelle et pour laquelle il a été à l'avant-garde, à savoir le renforcement d'une approche axée sur l'ensemble de la société.
Le pacte mondial sur les migrations alourdira-t-il le fardeau financier du gouvernement du Canada et de ses citoyens? Il y a plusieurs intervenants qui sont déjà bien outillés, dont des organismes de la société civile comme le nôtre, qui offrent d’excellents services de soutien aux nouveaux immigrants et aux réfugiés.
Il ne représente pas non plus un fardeau financier, puisque le gouvernement du Canada continue d'établir ses propres exigences en matière d'approbation et de vérification de la viabilité économique des immigrants.
Le Canada a toujours été un pays de migrants et de mesures multi-intervenants de soutien pour les réfugiés, et il a encouragé la réalisation de plusieurs objectifs clés remarquables. Par exemple, si vous comparez les réfugiés parrainés par le gouvernement à la population en général, vous constaterez qu'ils reçoivent à peu près le même montant d'aide sociale. Les réfugiés parrainés par le secteur privé ne reçoivent aucune aide gouvernementale pendant la période de parrainage de 12 mois. Au fil du temps, les réfugiés ont enregistré le même taux de réussite économique que les autres Canadiens en matière de revenu familial et d'accession à la propriété.
Permettez-moi de vous donner un excellent exemple. Dix ans après leur arrivée au Canada, les réfugiés vietnamiens affichaient un taux de chômage plus faible et comptaient moins sur l'aide sociale que la moyenne canadienne. Un réfugié sur cinq avait lancé sa propre entreprise. Ils paient des impôts, créent des emplois et rendent le Canada meilleur. J'ai des documents que je pourrai remettre à votre personnel plus tard.
Quels sont les coûts potentiels pour le Canada s’il décide de ne pas appuyer le pacte mondial sur les migrations? Il convient de noter que les approches isolées et très disparates des gouvernements à l'égard des migrants peuvent potentiellement causer du tort aux États voisins, alors que certains États pourraient se retirer du Pacte mondial en évoquant des raisons comme des menaces à la souveraineté, à la paix, à l'ordre et à la bonne gouvernance, leur manque de coordination avec les États voisins en matière de migration risque vraisemblablement d'accroître la fréquence des désordres et des manifestations ainsi que la détresse chez les migrants.
Une autre conséquence est une occasion manquée pour le Canada de faire des projections à long terme des besoins en main-d'œuvre et de planifier les migrations pour répondre à ces besoins. La santé économique du Canada dépend de cette prévisibilité de la migration permanente et temporaire.
Le fait de ne pas adhérer à ce Pacte mondial pourrait aussi entacher la réputation du Canada à l’étranger en qualité de chef de file du dialogue sur les questions d’intérêt commun, comme la migration internationale et les droits de la personne, ainsi que pour ce qui est de trouver un équilibre sain entre ces préoccupations et les intérêts nationaux.
Enfin, il convient de mentionner que notre système de points d'immigration apporte une contribution importante à notre tissu social et économique. Cependant, compte tenu de la crise des déplacements que nous vivons dans le monde aujourd'hui, et qui s'aggrave probablement, le Canada a un rôle essentiel à jouer en respectant son engagement à l’égard de la réinstallation compatissante et humanitaire. Nous aimons nous féliciter de nos efforts de réinstallation et de parrainage des réfugiés, mais en regardant les statistiques, nous nous arrêtons et nous demandons si l’image que nous avons de nous-mêmes est exacte. Nos statistiques sur la réinstallation des personnes qui ont été forcées de fuir sont nettement inférieures à celles de nos migrants volontaires, lesquels sont souvent très qualifiés et riches.
Y a-t-il un meilleur équilibre, particulièrement en ce qui concerne la crise actuelle, soit le déplacement de 68 millions de personnes dans le monde? Voilà ce que souhaitent très sincèrement les organismes de bienfaisance et groupes confessionnels comme ACT Alliance. Nous travaillons en première ligne et nous entendons les gens parler de leurs expériences douloureuses et traumatisantes. Je prie Dieu pour qu’il accorde sa miséricorde et éveille la générosité des Canadiens.
Merci beaucoup.
Vous avez demandé précisément quelles seraient les conséquences pour le Canada s’il se retire. Je pense qu'il y a trois grandes conséquences.
Tout d'abord, il perdrait la coopération, dont il a désespérément besoin, et la confiance qui lui permettent de s’attaquer à ce qui est fondamentalement un phénomène transfrontalier national. Je ne parle pas seulement avec son voisin du Sud, mais avec les pays dans le monde entier. Le risque réel est une perte de coopération.
Deuxièmement, le Canada perdrait sa réputation sur la scène internationale et, comme il a si bien été dit auparavant, son engagement historique à l'égard de politiques justes et équitables en matière d'immigration et de réfugiés, ainsi que son leadership à l'échelle internationale.
Troisièmement, le Canada aura des besoins très précis découlant de la migration réelle, laquelle ne disparaîtra pas, qu’il fasse partie ou non de ce cadre. Vous perdrez la capacité d'avoir des outils qui peuvent vous aider à travailler ensemble pour rendre votre intervention plus efficace.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être parmi nous.
Les migrations mondiales sont un sujet très intéressant, et les gens partout dans le monde font beaucoup d'efforts pour avoir une plateforme où s'exprimer, ce qui permet de discuter des migrations mondiales, d'en connaître les causes et d'agir sur celles-ci.
J'ai l'impression que deux réalités s'affrontent dans la façon de regarder cela. On peut en faire abstraction et ne pas y participer, mais on sait que les absents ont toujours tort. La meilleure façon de favoriser la réintégration des réfugiés, que ce soit dans leur pays d'origine ou dans leur pays d'accueil, est de participer à l'élaboration d'un plan. C'est ce que les pactes mondiaux semblent faire. Les personnes récalcitrantes à ces plans trouveront toutes sortes de raisons pour ne pas y adhérer. Elles ont peur et se replient sur elles-mêmes. Il y a deux réalités qui s'affrontent.
Les États-Unis ne participeront pas à l'élaboration d'un plan. Or le Canada est un voisin important des États-Unis, et sans nécessairement vouloir devenir un leader mondial en matière d'immigration, il veut avoir une politique qui favorise l'acceptation et prône la compassion et l'équité. Comment peut-on faire connaître tous les détails de la politique migratoire à la population canadienne afin de la convaincre du bien-fondé d'une telle politique? Comment peut-on faire pour que le gouvernement Trudeau soit un leader et continue à avoir de la compassion? Le Canada a une grande histoire de compassion, mais il y a une sorte de courant conservateur dans la façon d'agir. Comment peut-on convaincre nos amis conservateurs que c'est la bonne chose à faire?
Les témoins peuvent répondre dans l'ordre qui leur convient. Monsieur Vinhas, voulez-vous commencer?
:
La séance reprend. Merci beaucoup.
Nous allons souhaiter la bienvenue à nos témoins qui se joignent à nous par vidéoconférence.
Monsieur Elie, de la Suisse à nouveau, je me rends compte qu'il est très tard pour vous. Merci de vous joindre à nous.
Monsieur Axworthy, du Manitoba, merci de vous joindre à nous.
Je remercie M. McArthur et Mme Singh, de CARE Canada, qui sont présents.
Je crois que nous allons commencer par M. Elie, du Conseil international des agences bénévoles à Genève.
Chacun des témoins dispose de sept minutes, après quoi nous leur poserons des questions.
La parole est à vous, monsieur Elie.
[Français]
Vous pouvez parler en français ou en anglais.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
C'est pour un moi un privilège de m'adresser au Comité.
[Traduction]
Je vais continuer en anglais, mais je serai heureux de répondre aux questions en français.
Je travaille à Genève pour un réseau mondial d’ONG, le Conseil international des agences bénévoles. En conséquence, j’ai suivi de près le processus du Pacte mondial, j’ai assisté à des réunions et j’ai eu de longs échanges avec des ONG, le HCR et les États membres. Je vais m’inspirer de cette expérience pour vous présenter quelques réflexions au sujet du Pacte sur les réfugiés et de la façon dont il pourrait être mis en oeuvre.
Tout d’abord, les origines du Pacte sur les réfugiés se trouvent dans la crise de 2015, qui a mis en lumière les grandes faiblesses du régime des réfugiés, en particulier l’absence de lignes directrices claires pour favoriser la coopération internationale dans ce domaine et la responsabilité disproportionnée assumée par quelques États, comme bailleurs de fonds ou comme pays d’accueil.
Tout cela a démontré notre incapacité collective d'intervenir de manière prévisible, équitable et durable face à la situation des réfugiés.
En réaction, les États membres des Nations unies ont appelé à l’élaboration d’un pacte sur les réfugiés et ont également demandé au HCR de mettre en œuvre le Cadre d'action global pour les réfugiés, le CRRF, qui fait maintenant partie intégrante du Pacte.
Le Pacte a été élaboré en 2017 et 2018 dans le cadre d’un processus inclusif réunissant les États membres, le HCR et d’autres intervenants, y compris des ONG. Il y a donc propriété collective de ce document.
Au cœur du processus, une série de six consultations formelles tenues cette année sur la base des textes provisoires. Chaque État membre a eu l’occasion de commenter, de signaler ses préoccupations et de suggérer des changements aux textes au cours du processus.
Je crois que les ONG canadiennes ont apporté leur contribution, et le Canada a participé activement au processus dès le début, par exemple, lorsque l’ambassadeur McCarney présidait l’organe directeur du HCR, et plus tard aussi, dans le cadre de diverses initiatives.
Comme vous le savez peut-être, l’adoption du Pacte est maintenant prévue à l’Assemblée générale le mois prochain. Déjà, la semaine dernière, les États membres de l’ONU se sont montrés très favorables à ses objectifs.
En quoi consiste le Pacte? On peut considérer qu’il s’agit d’un plan visant à revigorer le régime des réfugiés et à mettre en oeuvre, de façon plus efficace et prévisible, les engagements déjà pris dans le cadre de la Convention de 1951 et d’autres instruments juridiques.
Ainsi, le Pacte est un document pratique plutôt que normatif. Il réaffirme des obligations existantes comme le principe fondamental du non-refoulement et détaille les dispositions que les États et les autres acteurs peuvent mettre en œuvre pour améliorer leurs interventions.
Parmi les principales caractéristiques du Pacte, j'aimerais souligner les trois suivantes.
Il y a d’abord les dispositions visant à élargir la base de soutien et à étendre le partage des responsabilités, principalement par l'entremise d’un Forum mondial sur les réfugiés, conçu comme une nouvelle forme d’engagement régulier. Il s’agira d'un forum à multiples intervenants, c’est-à-dire qu’il ne reposera pas seulement sur des contributions de l’État, et il tentera d’aller au-delà des contributions financières, en appelant également à l’engagement, par exemple, de lieux de réinstallation, d’assistance technique et de changements de politique. La reddition de comptes sera assurée au moyen d'un processus de suivi des engagements pris et le forum sera également l’occasion de mettre en valeur de saines pratiques.
Deuxièmement, le Pacte fait progresser la tendance mondiale qui s’éloigne de l’approche du camp de réfugiés pour promouvoir l’autonomie des réfugiés et leur inclusion dans les collectivités qui les accueillent, dans les systèmes nationaux et dans les plans de développement. Il appelle également à la mise en place d’une coopération constructive entre les acteurs humanitaires et ceux du développement.
Enfin, la troisième caractéristique principale du Pacte veut qu'il accorde une grande importance à l’appropriation et au leadership nationaux dans la planification et la mise en œuvre des interventions en faveur des réfugiés.
Je pense que l’adoption du Pacte ne marquera pas la fin du processus, mais le début d’efforts collectifs pour en réaliser le potentiel. Je dis cela tout d’abord parce que des éléments du texte nécessiteront d’autres précisions. La façon d’organiser le Forum mondial sur les réfugiés en est un exemple, mais il y en a d’autres, comme la définition de moyens de renforcer des réseaux nationaux, comme ceux de la santé et de l’éducation, pour inclure les réfugiés.
N’oublions pas non plus que le Pacte est déjà mis en oeuvre par l'intermédiaire du CRRF. Au cours des deux dernières années, une nouvelle volonté politique et des partenariats ont été mobilisés dans de nombreux pays en vue d’améliorer la vie des réfugiés. Bien sûr, il reste de nombreux défis à relever, mais nous pouvons poursuivre sur notre lancée.
De ce point de vue, je pense que les partenariats seront au centre de la mise en oeuvre du Pacte, ce qui aura l’effet multiplicateur nécessaire pour accroître notre capacité collective d’intervention. Le Pacte vise vraiment à développer des approches multipartites, avec la participation des réfugiés eux-mêmes, et c’est très important.
Enfin, en évaluant l’incidence que le Pacte peut avoir sur le Canada et sur nous tous, je pense qu’il est important d’analyser les risques associés aux lacunes actuelles du régime d'aide aux réfugiés. Échouer dans notre intervention auprès des réfugiés ne peut que mener à la radicalisation et à la perte de générations, ce qui n’est dans l’intérêt de personne.
Nous pouvons également dire que les attentes envers les États hôtes sont élevées, et nous avons donc besoin du Pacte et d’autres efforts pour rétablir la confiance et la crédibilité du régime d'aide aux réfugiés.
De ce point de vue, nous savons qu'à l’échelle mondiale, le Canada est considéré comme un chef de file en matière de politique relative aux réfugiés. Le Canada est reconnu pour ses principales contributions en matière de réinstallation et de voies complémentaires. Il est également un chef de file de l’éducation des réfugiés et de la protection et de l’autonomisation des femmes et des filles. Nous en sommes tous reconnaissants et nous serions ravis de voir d’autres efforts.
Compte tenu des besoins criants, nous espérons que le Canada contribuera grandement au Forum mondial sur les réfugiés en prenant des engagements, mais aussi en mettant en valeur les saines pratiques. Les contributions ne se traduiront pas nécessairement par des niveaux de financement plus élevés ou davantage de lieux de réinstallation, même si cela serait aussi formidable, bien sûr; elles signifieront aussi que votre pays continuera de prêcher par l’exemple, de partager son expérience et son expertise, d'utiliser ses bons offices et son pouvoir rassembleur.
Pour prendre un exemple concret, votre Initiative mondiale de parrainage de réfugiés vise à aider d’autres pays à ouvrir de nouvelles voies pour la protection des réfugiés. C’est exactement l’esprit du Pacte.
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Merci, monsieur le président.
Je suis heureux d’être ici au nom du Conseil mondial pour les réfugiés et de dire tout d’abord que nous appuyons avec conviction l’importance du Pacte. Nous soulignons qu’il est essentiel de pouvoir commencer à mobiliser le soutien, la reddition de comptes, la participation directe et, bien entendu, le financement, qui sont tous des éléments cruciaux du bon fonctionnement d’un système d'aide aux réfugiés.
Même dans son sens le plus large, le Pacte représente un engagement continu à trouver des solutions internationales, multilatérales, collaboratives et coopératives, par opposition au grand mal de notre époque, qui consiste à faire cavalier seul pour revenir à une forme de nationalisme du XIXe siècle symptomatique du « chacun pour soi ». Comme nous le savons, cette approche est tout simplement irréaliste face à un phénomène mondial.
Maintenant, selon les derniers chiffres, il existe entre 26 et 27 millions de réfugiés dans le monde, et un nombre presque égal de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, un phénomène qu’il est essentiel d’intégrer à tout processus de réforme, soit dit en passant. Il y a des millions d’apatrides à qui on a refusé toute forme d’ancrage, de crédibilité ou de légitimité.
Ce que nous disons, c’est que nous appuyons le Pacte. Comme l’a dit un intervenant précédent, c’est un début. C’est un cadre qui doit maintenant être développé en fonction des outils de travail qui sont mis en place. Je suppose que c’est comme la transition des architectes aux plombiers et aux charpentiers, qui doivent maintenant commencer à construire, ou à reconstruire, un système d'aide aux réfugiés qui se trouve vraiment dans une situation très précaire.
Commençons par un exemple très clair, soit le système de financement. C’est un système de dons entièrement volontaire. Les négociateurs du Pacte n'ont pas été autorisés à inclure cela dans leurs négociations; ce n’était pas leur mandat. En conséquence, les propositions très importantes concernant un cadre global pour les réfugiés dépendront toujours de la bonne volonté et de la charité des autres pays et donateurs. Or, comme nous le savons, ce groupe ne cesse de rétrécir.
L’une des choses sur lesquelles nous voulons insister comme conseil, c’est que nous devons maintenant commencer à examiner un ensemble beaucoup plus précis de trousses d’outils. Dans le domaine financier, nous nous sommes vraiment penchés sur la façon d’appliquer certaines des pratiques exemplaires en matière de préférences commerciales pour assurer conjointement le développement économique des gens dans les pays d’accueil et des réfugiés qui les rejoignent. Nous allons commencer à envisager la capitalisation au moyen d’une forme d’obligation pour les réfugiés, une sorte d’obligation à impact social. Je vais vous donner tous les détails à ce sujet, et nous les retrouverons dans notre rapport.
Il faut certes tenir responsables les voyous, les dictateurs et tous ceux qui sont à l’origine des conflits qui créent des réfugiés. Ils deviennent les victimes de cette période de malveillance dans laquelle l’argent et la cupidité mènent désormais le monde.
C’est l’une des raisons pour lesquelles nous militons très activement pour amener les pays à appuyer l’idée d’une réaffectation des actifs bloqués afin qu’il n’y ait pas d’impunité pour ce qui est de protéger les trésors mal acquis, alors qu’en fait, ils peuvent être rattachés par le processus juridique qui s'impose et être remboursés pour aider à remédier aux graves lacunes de financement que connaissent actuellement les groupes de réfugiés. Nous en sommes maintenant à une étape où les conférences de donateurs ne permettent de recueillir que des engagements allant jusqu’à 30, 40 ou 50 %, et même ces engagements ne sont pas respectés.
Il ne s’agit pas seulement d'obliger les pays qui sont à l’origine des conflits et qui créent des réfugiés à rendre des comptes. Il s’agit aussi de tenir responsables les gens qui font des promesses et qui ne les respectent pas à l’autre bout du spectre. Il doit y avoir un système de reddition de comptes. C’est un aspect qui a été très difficile à négocier dans le cadre du processus du Pacte.
Le système de leadership en est un autre exemple clair. Il y a un grave manque de femmes à la tête des activités d'aide aux réfugiés, tant au niveau local que par l’entremise des organisations. Il y a aussi, je crois, cette dichotomie qui a été établie entre le rôle international et le rôle national. J'estime que les organismes régionaux ont également un rôle très important à jouer en vue d’avoir une plus grande participation et d'exercer plus de pouvoirs afin de commencer à s’attaquer aux problèmes.
Je vais prendre un exemple. Notre conseil s’est rendu en Colombie il y a à peine deux mois pour constater l’augmentation du nombre de réfugiés en provenance du Venezuela. À l’heure actuelle, il n’y a pas de réponse au niveau régional, même si 5 000 personnes par jour traversent la frontière du Venezuela pour aller en Colombie, au Pérou, en Bolivie, en Équateur et au Brésil. À l’heure actuelle, nous nous efforçons notamment de reformuler une intervention régionale.
Le retour des Rohingyas en Asie est semblable aux problèmes de migration que nous observons en Amérique centrale. En notre qualité de conseil, nous sommes allés en première ligne. Nous étions exactement là où les problèmes des réfugiés étaient les plus évidents et nous avons rencontré les gens qui pouvaient discuter de cette situation en toute connaissance de cause. Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’une prochaine étape, d’une deuxième série d’actions organisées par des réseaux formés de gouvernements engagés aux vues similaires, du secteur privé, d'ONG et d'universités.
C’est le genre d’initiative de réforme que certains d’entre vous au Parlement canadien savent que nous avons prise dans le passé, comme la question de la responsabilité de protéger et celle des mines terrestres. On peut réunir des réseaux actifs qui peuvent se regrouper autour de cibles très précises et les atteindre. Le Conseil était d’avis qu’une fois que l’on commence à trouver des solutions directes qui font une réelle différence pour les collectivités de réfugiés ou les personnes, l'on arrive à rétablir la confiance.
L'on peut parler de réforme et la demander, mais il faut la gagner et la mériter. Pour la mériter, il faut montrer que les gouvernements peuvent collaborer et travailler ensemble afin de trouver des solutions, comme nous l’avons fait dans les années 1980 pour les réfugiés de la mer lorsque j’étais ministre de l’Immigration au Canada. C’est cette absence de rendement et ce manque de capacité de gérer le système, tant au niveau de la frontière qu’au niveau général, qui crée véritablement un problème.
J’espère que le Comité appuiera fermement les pactes comme tel, mais j'ajouterais qu’il y a aussi beaucoup d’engagements très précis qui devront être pris par des gouvernements comme le nôtre, par le secteur privé et par des sources non gouvernementales, pour élaborer des initiatives très précises qui nous permettront d'apporter des changements réels au chapitre de la protection et de la défense des intérêts des réfugiés.
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CARE Canada est honorée de contribuer aux délibérations du comité aujourd’hui.
CARE est une ONG internationale fondée sur les droits. Nous appuyons l’aide humanitaire vitale et la consolidation de la paix, ainsi que le travail de développement à long terme en mettant l’accent sur les femmes et les filles. L’an dernier, notre travail a atteint près de 60 millions de personnes dans 95 pays, y compris dans des pays accueillant des réfugiés comme la Jordanie, le Bangladesh et le Kenya.
Je vais commencer par vous donner un exemple de la façon dont nous travaillons avec les réfugiés et les communautés d’accueil dans de tels contextes, puis mon collègue vous présentera notre point de vue au sujet du Pacte mondial sur les réfugiés.
CARE est en Jordanie depuis 1949. Au cours des dernières années, la Jordanie a accueilli près de 700 000 réfugiés syriens, dont plus de 85 % vivent sous le seuil de la pauvreté. Les services gouvernementaux et les collectivités où les réfugiés essaient de se bâtir une nouvelle vie subissent des pressions considérables. En Jordanie, nous avons établi quatre centres urbains pour les réfugiés qui couvrent l'ensemble du pays. Ce sont essentiellement des centres communautaires, comme on en trouve dans n’importe quelle ville du Canada, où vous avez des enfants qui chantent faux et beaucoup d’animation. Ces centres urbains innovent en ce sens qu'ils offrent leurs services et leur aide aussi bien aux réfugiés qu'aux Jordaniens vulnérables sous la forme d'une aide financière immédiate, d'un soutien psychosocial et d'une formation professionnelle.
Cela permet d’accomplir un certain nombre de choses. Premièrement, nos centres complètent les services offerts par le gouvernement jordanien. Deuxièmement, ils atténuent la pression exercée sur le système humanitaire actuel en renforçant les capacités des femmes et des hommes à générer des revenus et à devenir autonomes. Troisièmement, ils favorisent la cohésion sociale en fournissant des services qui, autrement, ne serait pas à la disposition de la population jordanienne locale. Enfin, ils offrent aux réfugiés un espace sûr où ils peuvent parler à d’autres réfugiés, partager leur expérience et retrouver un sentiment de normalité et de dignité.
Comme en Ouganda, nous aidons les réfugiés à s’aider eux-mêmes. Selon notre évaluation annuelle la plus récente, la Jordanie devient de plus en plus autosuffisante et moins dépendante de l’aide. À une époque où les besoins humanitaires sont sans précédent, où les conflits s’éternisent et où les ressources sont de plus en plus rares, des solutions comme celles-ci nous aident à étirer nos budgets d’aide et à favoriser des impacts à plus long terme et plus durables.
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C’est pourquoi les États, les ONG et les organismes multilatéraux se sont réunis, en 2016, pour veiller à ce que la mise en œuvre complémentaire des pratiques exemplaires ne soit plus laissée au hasard, mais plutôt intégrée dans le système mondial de réfugiés. Au bout du compte, le défi mondial des réfugiés est tout à fait gérable.
Les réfugiés ne représentent que 0,3 % de la population mondiale. Le problème, comme on vous l’a déjà dit, c’est que 88 % des réfugiés dans le monde sont concentrés dans une poignée d’États de première ligne. Il s’agit en grande partie de pays à revenu faible ou intermédiaire qui sont déjà aux prises avec la pauvreté, de mauvaises infrastructures, l’insécurité alimentaire et l’instabilité politique. Ce sont des pays qui, dans une large mesure, ont dû assumer seuls, pendant des décennies, la responsabilité d'accueillir des réfugiés.
C’est pourquoi, dans la déclaration de New York, les dirigeants mondiaux ont exprimé leur détermination à sauver des vies, à protéger les droits et à partager la responsabilité du plus grand nombre de réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale. CARE a participé activement à l’articulation de la déclaration de New York, et nous sommes demeurés engagés tout au long des deux années de consultations intensives en vue d'un pacte mondial sur les réfugiés le plus fort possible. Je suis convaincu que c’est ce que nous avons accompli.
Le Pacte mondial sur les réfugiés n’est en aucun cas parfait, mais il s’agit d’un document qui reconnaît que le défi mondial des déplacements forcés est intrinsèquement politique, que les pays de premier asile servent grandement l'intérêt public, que les femmes et les filles font face à des obstacles particuliers en raison de leur sexe et apportent des capacités et des contributions uniques, que les politiques de main d'oeuvre qui soutiennent l’autosuffisance des réfugiés les aident à devenir un avantage net pour les communautés d’accueil, et qu’il faut en faire davantage pour s’attaquer aux causes profondes comme les conflits, les violations des droits de la personne et du droit humanitaire international, l’exploitation, la discrimination et la pauvreté.
Je suis ici aujourd’hui pour vous dire que CARE appuie le Pacte mondial sur les réfugiés, qui, à notre avis, peut contribuer à assurer une réponse internationale plus prévisible, constante, efficace et cohérente aux flux importants de réfugiés.
Ce qui manque dans le Pacte mondial sur les réfugiés, ce sont des dispositions contraignantes ou une façon claire de tenir les États et les autres parties prenantes responsables de sa mise en oeuvre. Le paragraphe 4 du pacte indique qu’il sera « opérationnalisé par des contributions volontaires pour la réalisation des résultats et des progrès collectifs vers l’atteinte de ses objectifs ». C’est là que le monde a besoin de plus de pays comme le Canada.
CARE recommande que le Canada prenne deux moyens clés pour aider le Pacte mondial sur les réfugiés à établir une nouvelle norme quant à la façon dont le monde réagit aux crises des réfugiés.
Premièrement, le Canada devrait offrir d’être l’hôte du premier forum mondial sur les réfugiés. Le Forum mondial sur les réfugiés, établi dans le cadre du pacte, représente une occasion cruciale de calibrer les progrès, de partager les meilleures pratiques et de s’engager à contribuer aux objectifs du Pacte mondial sur les réfugiés. Le Canada est considéré comme un intermédiaire honnête et se trouve dans une position unique parmi les pays pour participer à l’organisation du premier Forum mondial sur les réfugiés.
Deuxièmement, le Canada devrait appuyer une réponse globale et sexospécifique en cas de situation de réfugiés de grande envergure ou de longue durée. Cela se ferait en partenariat avec un pays d’accueil des réfugiés et en collaboration avec le HCR et les organisations locales de la société civile. La réponse devrait inclure l’activation de la plate-forme d'appuie prévue dans le Pacte mondial sur les réfugiés, y compris les efforts visant à galvaniser l’engagement politique; mobiliser une aide financière, matérielle et technique; faciliter la cohérence entre les interventions humanitaires et de développement; et soutenir les initiatives politiques qui peuvent aider à alléger la pression sur les pays hôtes, à renforcer la résilience et l’autonomie et à trouver des solutions.
Le Pacte mondial sur les réfugiés offre un plan d’action pour un système mondial d’intervention plus cohérent, prévisible et efficace en faveur des réfugiés, un système capable de rétablir la confiance et la coopération entre les pays. CARE croit fermement que l’opérationnalisation du pacte et notre capacité, en tant que communauté internationale, de rendre compte de ses progrès au cours des prochaines années représentent pour le Canada une opportunité exceptionnelle sur le plan de la migration au XXIe siècle.
Sur ce, nous sommes prêts à répondre à vos questions.
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Je pense qu’il y a toujours eu des personnes déplacées. Nous avons toutefois établi certaines distinctions juridiques, de sorte qu’un réfugié doit être quelqu’un qui traverse une frontière en quête de protection contre la persécution.
Les personnes déplacées à l’intérieur du pays sont touchées exactement par les mêmes conditions — conflits, famine, extermination, brutalité policière, etc. — mais elles ne vont pas jusqu'à la frontière. C’est pourquoi nous pensons qu’il est vraiment important que le processus de réforme, pour lequel le Pacte sera, nous l’espérons, un catalyseur, commence à intégrer la question des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays.
Je dois dire que la première fois que j’ai entendu parler de la notion de responsabilité de protéger, c’était lorsque Francis Deng était le représentant spécial de l'ONU pour les personnes déplacées au milieu des années 1990. Il a avancé l’idée que si les pays n'étaient pas capables ou désireux de protéger les citoyens et leurs droits, la communauté internationale devait assumer cette responsabilité.
En fait, nous avons été en mesure de transposer ce concept et de l’appliquer rapidement à quelque chose qui est maintenant ancré dans le système de l'ONU, sinon toujours appliqué, et cela montre simplement que le problème des personnes déplacées nous ramène à ce que m’a dit M. Deng quand j’étais aux Affaires étrangères, à savoir qu’il faut vraiment intervenir.
Malheureusement, comme le processus de négociation tourne autour du pacte, cela n’a pas vraiment été l’un des points centraux du programme. C’est pourquoi nous disons, maintenant que nous avons une plate-forme, que le Pacte peut fournir, que nous devons nous en inspirer et élaborer des réponses plus adaptées aux problèmes très précis et concrets que l’on trouve partout dans le monde, mais qui ont aussi des répercussions très différentes.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J’aimerais poursuivre dans la même veine, monsieur Axworthy. J’apprécie particulièrement le travail que vous faites, surtout à ce titre, même si vous étiez l’ancien ministre du Parti libéral et que je suis néo-démocrate. Cela dit, j’apprécie le travail que vous faites, parce que ce n’est pas une question partisane quand on parle d’une crise humanitaire, quand on parle de vies. Ce n’est pas un spectacle non plus. Il ne s’agit pas de leurrer les gens.
Je veux parler de l’entente sur les tiers pays sûrs, parce qu’il est tellement facile de dire simplement: « Oh, oh, les États-Unis sont un pays sûr, parce que l’ONU envoie des gens vers ce pays en ce moment », mais nous essayons d'oublier que les États-Unis, comme vous l’avez mentionné, monsieur Axworthy, enlèvent des enfants à leurs parents. Nous ne tenons pas compte du fait que les États-Unis déclarent que les personnes transgenres, c’est-à-dire les membres de la communauté LGBTQ, doivent être dépouillées de leur identité, comme si c'était sûr pour les demandeurs d’asile. C’est tellement facile d’être clair et net. En réalité, cependant, lorsque cela a une incidence sur la vie des gens, ce n’est peut-être pas si noir ou blanc.
À ce propos, j’apprécie les commentaires que vous avez faits, monsieur Axworthy, selon lesquels le Canada doit suspendre l’Entente sur les tiers pays sûrs en raison de ces agissements des États-Unis.
Cela dit, en ce qui concerne le Pacte mondial, vous avez mentionné diverses mesures que le Canada peut prendre. Même si vous faites partie d’un centre d'études et de recherche, j’aimerais particulièrement savoir ce que vous pensez, compte tenu de votre expérience en tant qu’ancien ministre, des mesures que le Canada devrait prendre pour contribuer à faire face à cette crise mondiale à laquelle nous sommes tous confrontés en tant qu’êtres humains sur la planète.
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Merci beaucoup. J’apprécie vos propos.
Puis-je faire un commentaire? Je pense qu’un des résultats importants de cette discussion est que les parlementaires joueront un rôle beaucoup plus actif. Cela ne devrait pas faire l’objet de divisions partisanes. C’est quelque chose qui touche vraiment la vie des gens de la façon la plus grave et la plus directe, de sorte que le Comité et d’autres peuvent promouvoir la capacité du Canada d’offrir ce genre d’initiatives générales là où les crises se produisent.
Il faut vraiment commencer par la question fondamentale de la reddition de comptes. Les organisations internationales, les gens qui travaillent dans la communauté, doivent être soumis à une forme quelconque de jugement ou d'évaluation de leurs actions. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous travaillons avec un certain nombre de gouvernements à l’idée de pouvoir saisir les actifs gelés dans le cadre des sanctions prévues dans la loi Magnitski et les réaffecter pour aider les victimes des actes des méchants.
La Suisse a déjà adopté une loi à cet effet. D’autres pays envisagent de le faire. Nous espérons que le Canada se penchera sur la question, parce que ce n’est pas seulement une façon de réinjecter de l’argent dans le système; cela signifie aussi que si vous êtes l’un des seigneurs de guerre ou des despotes, vous n’aurez pas tellement hâte d'envoyer de l’argent dans votre tirelire quelque part dans le monde si vous savez que le travail diligent de nos tribunaux et de nos banques nous permettra de le saisir.
Je pense qu’il s’agit d’une mesure très précise, qui a un double effet, c’est-à-dire qu’elle fournira plus d’argent pour le système, et que c’est aussi une façon de dissuader les gens qui sont à l’heure actuelle la cause des mouvements de réfugiés.