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La séance est ouverte. Bonjour à tous.
Nos invités d'aujourd'hui témoignent dans le cadre de notre étude sur la situation en Somalie, au Soudan du Sud et en République démocratique du Congo. Aujourd'hui, nos invités traiteront en particulier de la situation en RDC.
Nous sommes ravis d'accueillir M. Fredrick Mwenengabo. Il est ambassadeur des organisations de la société civile auprès des Nations unies, défenseur de la paix et des droits de la personne et directeur général de l'East and Central African Association for Indigenous Rights. Bienvenue.
Nous accueillons aussi M. Marc Kapenda, qui est professeur. Bienvenue, monsieur Kapenda.
M. Anthony Njoku sera aussi présent.
M. Kapenda et M. Mwenengabo feront chacun un exposé, puis nous passerons aux questions. Je sais que mes collègues en ont beaucoup. Vous pourrez y répondre tous les trois.
Comme nous n'avons pas beaucoup de temps, ce serait bien que vous puissiez vous limiter à huit minutes. Merci.
Monsieur Mwenengabo, veuillez commencer, s'il vous plaît.
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Monsieur le président, merci beaucoup de m'avoir invité à comparaître devant l'honorable Comité permanent des affaires étrangères et du développement international pour discuter des situations en Somalie, au Soudan du Sud et en République démocratique du Congo.
C'est avec respect, honneur et humilité que j'accepte cette invitation. J'espère que mon témoignage contribuera à la consolidation de la paix et au développement en RDC et en Afrique en général.
Monsieur le président, nous pouvons convenir que les situations en Somalie, au Soudan du Sud et en République démocratique du Congo se ressemblent beaucoup. Ce sont tous des États fragiles qui ont plusieurs caractéristiques communes: gouvernement faible, corruption institutionnalisée, massacres de civils, violence à l'égard des femmes et les filles. Toutefois, si vous le permettez, je vais me concentrer sur la RDC. Vous comprendrez pourquoi au fil de mon exposé.
Avant de présenter mes observations, permettez-moi d'exprimer ma gratitude à l'égard du Canada pour la chance qui m'est donnée de faire partie de ce pays compatissant. Je suis fier d'être Canadien. Je sais aussi que beaucoup de nouveaux Canadiens ont le même sentiment que moi. C'est d'ailleurs pour cette raison que je suis ici aujourd'hui pour établir un pont entre la RDC, le pays où je suis né, et le Canada, ce pays qui est maintenant le mien.
La RDC a beaucoup souffert. Le pays a subi les affres de multiples guerres et génocides depuis le règne du roi Léopold. Sous son règne, jusqu'à 10 millions des 20 millions d'habitants que comptait le pays au tournant du XXe siècle sont morts alors que le régime se livrait au saccage et au pillage du pays. En 1960, lorsque le Congo a obtenu son indépendance de la Belgique et que Patrice Lumumba est devenu le premier premier ministre élu de son histoire, la CIA et la Belgique ont fomenté un complot visant d'abord la création d'un mouvement sécessionniste, puis l'assassinat de Lumumba, un an à peine après le début de son mandat.
Mobutu Sese Seko est ensuite devenu président du pays. Il a lui aussi plongé le pays dans la corruption, entraînant l'effondrement de toutes les institutions et faisant de la RDC ce qu'elle est aujourd'hui.
Monsieur le président, je sais que je n'ai pas assez de temps, mais essentiellement, je suis ici aujourd'hui pour demander l'aide de cet honorable comité. J'aurais aimé lire tout mon discours, mais je ne le ferai pas. Il m'arrive d'être très émotif lorsque je parle de la situation au Congo. Je vous demande d'être indulgents à mon égard si cela se produit. Je me sens déjà devenir émotif.
Le Congo est dans une situation très précaire actuellement de 1996 à 2001, le Congo a perdu plus de six millions de civils. Imaginez: six millions. Soustrayez cela de la population canadienne. Pensez-y. Ce sont nos soeurs, nos mères et nos frères. Si j'étais l'un d'entre eux, je ne serais pas assis ici. Ce sont de vraies personnes.
Trois millions de personnes ont été massacrées entre 2001 et 2003. Aujourd'hui, 3 000 personnes meurent chaque jour. Elles sont victimes de la brutalité, de la violence, des guerres et des problèmes connexes, comme les maladies, le manque d'infrastructures, etc.
Lorsque Mobutu est devenu gênant, nous avons permis au Rwanda d'intervenir. Nous avons appuyé l'invasion du Congo par le Rwanda et l'Ouganda. Voilà comment nous avons perdu cinq à six millions de personnes.
Nous avons continué; nous avons appuyé la deuxième invasion et formé divers groupes rebelles. Voilà pourquoi nous avons perdu tous ces gens.
Le Congo a acquis la réputation peu enviable de capitale mondiale du viol. L'ONU rapporte que 48 femmes sont violées toutes les heures. Il s'agit seulement des cas qui sont signalés. Ce sont nos mères, nos soeurs, nos femmes...
Je suis peut-être ici parce que j'ai une expérience du Congo et que je comprends les enjeux du pays, mais je suis aussi ici en tant que victime, puisque je m'inclus dans ce tableau. Je ne m'avance pas trop en disant que le Congo vivra une catastrophe sans précédent si que rien n'y change.
Je suis certain que vous posez des questions, mais avant, j'ai quelques recommandations à proposer à cet honorable comité. Parmi ces recommandations, notons la création d'un gouvernement de transition, puisqu'il n'y aura pas d'élections légitimes. Aucune institution légale n'organisera ces élections.
Deuxièmement, j'invite le Comité à nous aider et à travailler avec les Congolais pour réformer le système de justice du Congo. Cette transition permettrait le désarmement, la démobilisation et la réintégration des combattants. Nous pourrions ensuite promouvoir la démocratie et l'éducation civique et, par conséquent, tenir des élections légitimes.
Kabila a refusé toute participation de la communauté internationale aux élections congolaises et a refusé de nous aider. Il tenait à conserver le pouvoir au-delà de son mandat constitutionnel. En fait, il est toujours au pouvoir aujourd'hui.
Je demande, dans l'intérêt supérieur du Congo à court et à moyen terme, que le Canada lui apporte son aide. J'ai présenté un mémoire écrit dans lequel j'examine de façon détaillée les effets que pourrait avoir l'aide du Canada au Congo, un pays aux possibilités immenses. Cette aide nous donnerait la chance de réaliser le potentiel de la population et des ressources naturelles du pays.
[Français]
En conclusion, je vous précise que je vais répondre à toutes les questions relatives aux propositions et aux recommandations que je viens de vous faire. Je pense que c'est dans l'intérêt du Canada.
Je demande au Canada d'aborder les difficultés du Congo en ayant en tête l'image, l'intérêt, l'honneur et les responsabilités du Canada chez lui et à l'international.
Merci.
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Merci beaucoup de l'occasion de témoigner.
Je suis heureux de présenter mon exposé. Je vais m'exprimer en français.
Il pourrait y avoir des différences entre mon témoignage et le résumé que vous avez reçu. Je voulais restreindre mes commentaires pour présenter mon exposé dans le temps imparti.
[Français]
Je vais commencer par décrire la situation de la RDC.
Avec ses 80 millions d'habitants répartis sur un vaste territoire, la RDC arrive au deuxième rang parmi les pays d'Afrique pour ce qui est de la superficie, tout juste après l'Algérie. Ses 80 millions d'hectares de terres arables peuvent couvrir les besoins alimentaires du continent africain et d'une partie du monde.
On dit aussi de la RDC qu'elle est un scandale géologique, compte tenu de la diversité des minerais dont regorge son sous-sol: coltan, or, cuivre, pétrole, diamants, argent, zinc, uranium, manganèse, étain, germanium, radium, bauxite, minerai de fer, charbon, hydroélectricité, bois, et ainsi de suite. Pourtant, un récent classement suivant l'indice du développement humain défini par le Programme des Nations unies pour le développement place la RDC au 178e rang parmi 188 pays. La RDC est donc l'un des pays les plus pauvres de la planète.
Comment un pays si bien doté en ressources naturelles et humaines peut-il être si pauvre? La cause récurrente du retard du décollage de la RDC est le système politique autoritaire, à la fois répressif et laxiste.
Contrairement à l'idéal type d'État proposé par Max Weber, l'État congolais porte encore des indicateurs du système patrimonialiste qui a cours depuis son origine, en 1885, lorsque la conférence de Berlin en a fait la propriété du roi Léopold II sans le consentement des habitants.
Depuis lors, malgré une indépendance et la présence de Congolais à la tête du pays aujourd'hui, l'économie reste extravertie. Le système politique, d'apparence républicaine, est en réalité néopatrimonialiste, c'est-à-dire autoritaire et caractérisé par un haut niveau de violence généralisée. La prospérité des gangs organisés, qui prolonge le foisonnement des milices et autres services particuliers de protection solidement armés, montre l'échec de la première fonction de l'État: la sécurité.
Il faut ajouter à ces indicateurs le rôle important que jouent de façon soutenue les nominations effectuées sur la base de faveurs, et non en fonction des mérites, dans divers échelons administratifs. De plus, la loi est appliquée différemment suivant les catégories de citoyens. En outre, on exerce une répression aveugle des manifestants pacifiques.
En plus, la conception et la mise en oeuvre de politiques publiques obéissent fréquemment aux jeux d'intérêts corporatistes. L'autorité de l'État fait défaut à de nombreux endroits. On est en présence d'un État dont la répression cultive l'intimidation et décourage la participation publique. C'est un État qui ne se préoccupe pas du contrat social qui, dans une république, assigne à l'État la mission d'assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. À la place, l'enrichissement personnel, la corruption et la prédation continuent à prévaloir sur l'éthique et la légalité.
L'autoritarisme et le laxisme de l'État décrits plus haut ont un effet négatif dans tous les domaines de la vie, que ce soit d'ordre politique, économique ou social. La centralisation du pouvoir et l'absence de participation politique qui en découle privent le pays de possibilités de transformations structurelles susceptibles de développer l'économie. Lorsque l'économie ne va pas bien, le social en pâtit.
Parlons des répercussions sociales et humanitaires plus particulièrement.
Deux décennies de conflits ont laissé des groupes armés, des milices étrangères et locales qui exploitent encore des minerais, en plus de terroriser la population. Dans l'Est du pays, à Beni plus particulièrement, et dans le Kasaï, le massacre des populations à l'arme blanche par des groupes pourtant armés se poursuit, et ce, malgré la présence de l'armée nationale et de la MONUSCO.
Le taux de chômage en RDC est estimé à 51 %, ce qui explique l'exode de Congolais qui, en quête de bien-être, se déplacent vers des pays voisins ou ailleurs à l'étranger, ces dernières années.
Selon les estimations de l'ONU datant de janvier 2018, la RDC abrite 540 000 réfugiés et compte 4,5 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays. Parmi celles-ci, nombreuses sont celles qui ont été obligées de s'exiler à cause de l'insécurité qui règne, comme c'est le cas dans le Kasaï. Lorsque, peu de temps après, ces demandeurs d'asile sont expulsés du pays d'accueil, comme cela a été le cas récemment lorsque l'Angola a expulsé quelque 250 000 réfugiés congolais, il se pose un problème humanitaire sérieux qui nécessite de l'assistance.
Bref, l'État congolais, au lieu de favoriser la productivité nationale et le développement de marchés profitables au pays, montre un laxisme qui favorise l'exploitation illicite de ressources. Un changement d'État s'impose.
L'alternance politique souhaitée par la population et l'État de droit promis par des partis comme l'Union pour la démocratie et le progrès social, ou UDPS, peuvent bien venir avec la fin déclarée du mandat de Kabila, si les élections annoncées pour le 23 décembre pouvaient se réaliser de façon transparente et crédible.
Nous, Canadiens, devrions faire appel à la responsabilité prospective dont parle Hans Jonas, de façon à ce que les connaissances et les moyens dont dispose notre société permettent de faciliter l'alternance politique en vue au Congo.
Le Canada peut faire d'autres interventions utiles. Une loi canadienne devrait tenir les sociétés canadiennes responsables des questions éthiques dans leurs pratiques à l'extérieur, comme au Congo. Il y va de la réputation du Canada.
Le Canada peut faire en sorte que les groupes armés dans l'Est du pays, dans le Kasaï et dans le Katanga soient combattus par des forces internationales comme celles de la MONUSCO.
Étant donné les machines à voter, le fichier électoral corrompu et le refus des autorités de la RDC d'avoir des observateurs internationaux, le Canada ne devrait pas s'empresser de reconnaître les résultats des élections programmées pour le 23 décembre, des résultats qui donneraient le dauphin de Kabila gagnant de ces élections.
Dans le cadre humanitaire, les déplacés ont besoin de transport, de nourriture et de logement. Ce sont des souffrances que le Canada peut bien alléger.
Advenant un report d'élections pour quelque raison que ce soit, on pourrait inviter M. Kabila, qui est en fin de mandat, à démissionner pour laisser...
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Je crois avoir un problème avec l'interprétation, mais je suppose qu'on a compris.
Je vais vous expliquer du mieux que je le peux le rôle que jouent les représentants de l'UDPS à l'extérieur du pays.
La fédération du Canada de l'UDPS est une organisation civile basée au Canada qui essaie d'informer le gouvernement du Canada et le public canadien sur la situation au Congo, et qui essaie de les influencer dans le bon sens, dans le sens du changement.
L'UDPS se bat depuis 1982 pour l'alternance politique au Congo. C'est un parti qui milite pour un État de droit respectueux non seulement des droits de la personne, mais aussi des missions normales de l'État, dont la première consiste à assurer la sécurité de ses citoyens. Grâce à un tel État, il y aurait une bonne participation de la société civile à l'économie et à la bonne marche du pays.
À ma connaissance, c'est ce que font valoir les militants de l'UDPS dans les autres pays. Généralement, ils font ce travail en collaboration avec d'autres groupes congolais, même si ces derniers ne font pas partie de l'UDPS.
Je vais maintenant répondre à la deuxième question, qui concerne les dangers auxquels s'exposent ces personnes une fois qu'elles sont rentrées au pays.
Il se trouve parmi elles des personnes qui sont des têtes d'affiche reconnues pour leur franc-parler ou pour leur opposition au système politique du pays. Généralement, ces personnes sont fichées dans le pays. Si elles rentrent au pays, on peut chercher à leur causer du tort de façon malicieuse, par exemple en procédant à leur enlèvement ou en les tuant de telle sorte que la faute ne puisse être imputée à l'État. Il peut s'agir d'un accident ou d'un enlèvement; on dira que la personne a disparu. Ce sont les dangers qui guettent ces personnes. Cependant, il y a des acteurs moins visibles qui peuvent rentrer au pays sans s'attirer trop de problèmes.
Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question. Si vous avez besoin d'autres éclaircissements, je pourrai vous en donner par la suite.
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Je vous remercie beaucoup tous les trois d'être ici aujourd'hui.
Monsieur Mwenengabo, j'ai été très touché par votre témoignage. En fait, par rapport à la RDC, j'éprouve la même émotion et la même tristesse que vous, car de tous les pays d'Afrique, c'est probablement celui qui a le plus grand potentiel.
Examinons le climat politique actuel. Des élections auront lieu le 23 décembre. Trois candidats très différents se présentent à la présidence. Il y a Shadary, qui est appuyé par Kabila, Martin Fayulu, qui n'a pas d'appui généralisé, et Tshisekedi, qui n'a pas d'appui solide non plus. En fin de compte, au cours des 58 dernières années de son histoire, la RDC n'a connu aucune transition politique pacifique.
Quant à la situation actuelle, le pays n'est pas aux prises avec un conflit armé, mais bien avec des centaines de conflits armés entre divers groupuscules qui vont de village en village. Toutefois, le potentiel là-bas, selon les données actuelles... Le FMI estime à 24 billions de dollars américains la valeur des minéraux et métaux précieux enfouis dans le sol du pays.
La RDC n'est pas...
Je vous demande pardon?
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Monsieur Kapenda, je regarde votre liste de recommandations, qui présente les mesures qui devraient être prises pour stabiliser toutes les nations, y compris le Congo. Le problème, c'est que cela semble impossible sans un gouvernement stable.
Je regarde la recommandation visant un gouvernement de transition. Je sais que bon nombre de nations passent par là. Parfois, après une élection, le vice-président prend le pouvoir. Il y a un gouvernement de transition pendant un certain temps.
Mes collègues ont dit qu'il ne semblait pas y avoir de candidat pour les prochaines élections, à l'exception de la personne que nous ne voulons pas voir au pouvoir, parce qu'elle est responsable de toute cette terreur... du moins celle créée par le gouvernement. Que pourrait faire le Canada pour favoriser un gouvernement de transition? Avez-vous présenté cette recommandation aux Nations unies?
Je remarque que les Casques bleus de l'ONU ont déjà beaucoup investi dans la mission de stabilisation, mais elle n'a pas entraîné de résultats. À mon avis, le soutien en vue d'établir une nation stable et pacifique devra venir du peuple congolais. Il faudra que quelqu'un au Congo réussisse à réunir tout le monde. Je ne vois pas comment une force externe — le Canada, les États-Unis ou un autre pays — pourrait imposer un gouvernement de transition et que les choses se passent bien.
J'aimerais savoir ce que vous entendez par gouvernement de transition. J'aimerais aussi vous poser quelques questions supplémentaires.
Il faut absolument l'intervention de la Cour pénale internationale. Tout d'abord, il faut mettre la main sur ces gens, les sortir du pays et les traduire en justice. Il faut absolument rééduquer les enfants-soldats. Toutefois, pour mettre en place cette belle plateforme pour la réforme du pays, il faut d'abord le stabiliser.
J'aimerais savoir ce que vous voudriez que fasse le Canada. Est-ce que vous voulez que nous demandions à d'autres de prendre certaines mesures, en vue d'un gouvernement de transition, par exemple?
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Je crois que je vais commencer et profiter de l'occasion pour revenir sur la question précédente.
J'aimerais dire que le problème actuel, au Congo, c'est le gouvernement, c'est l'État. Lorsque je parle de l'État, il est question du gouvernement, du système politique en place. Comme je l'ai dit, ce système n'a pas beaucoup changé depuis l'époque de Léopold II, voire depuis l'indépendance. Il a suffi qu'on élimine Joseph Kasavubu et qu'on limoge Patrice Lumumba, qui était le symbole de l'indépendance, pour qu'on revienne pratiquement au même système où les dirigeants sont incompétents. Ces dirigeants ne sont pas choisis par la population, mais imposés généralement de l'extérieur. C'est là que réside le problème.
Cependant, il existe des solutions de rechange. En effet, contrairement à ce que dit mon collègue et à ce que je viens d'entendre, il ne manque pas d'options au Congo. Nous avons mentionné des partis comme l'UDPS qui sont restés en attente et critiques face au mauvais fonctionnement de l'État. Ils ont un projet différent à offrir. Ils veulent effectivement instaurer la démocratie, l'État de droit, le respect de la Constitution, et ainsi de suite. Ces gens existent; ils sont réels.
À ce sujet, il faut faire attention à l'apparence des personnes. Vous pouvez constater, par exemple, que Félix Tshisekedi est jeune et nouveau, tout comme Martin Fayulu. Cependant, Félix Tshisekedi n'est pas seulement Félix Tshisekedi, mais aussi le leader de l'UDPS. Il est porteur d'un projet, c'est-à-dire celui de l'UDPS. Ce parti est très bien organisé au pays. Il compte suffisamment de cadres qui, même s'ils assumaient à eux seuls un gouvernement, pourraient opérer un changement rapide au Congo.
Si nous pensons que le problème du pays est l'État, que l'alternance politique est effectivement possible et qu'il y a des gens disponibles, je ne vois pas où est le problème. Le problème est l'État, et c'est ce même État qui, aujourd'hui, fait que les élections ne se passent pas bien. Or il y a toujours ce gouvernement qui est en attente et qui se bat pour que les élections aillent mieux. Ces gens se sont battus pour qu'on élimine la machine à voter, qu'on croit être un système inadéquat. On pense en effet qu'elle donne l'occasion de tricher. Ils se sont battus pour qu'on revoie le fichier électoral. L'Organisation internationale de la Francophonie a fait un audit du fichier électoral et a conclu qu'il était effectivement corrompu.
C'est une lutte. Nous demandons l'apport de pays comme le Canada pour que des pressions soient exercées afin qu'il y ait de meilleures élections.
Alors, quand...
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître devant les membres du Comité pour faire mon témoignage. Vous me donnez l'occasion de parler de la situation des femmes de mon pays et aussi des besoins de notre population en République démocratique du Congo.
Le Canada soutient mon pays depuis plusieurs décennies. Le Canada est venu au secours des survivantes de violences sexuelles, un fléau qui ravage et détruit la dignité des femmes congolaises, notre dignité, ma dignité. Le Canada soutient plusieurs projets au Congo. Notre organisation, le Fonds pour les femmes congolaises, exécute présentement un projet financé par le Programme sur les femmes, la paix et la sécurité qui s'intitule « Renforcement des capacités des femmes sur la médiation des conflits électoraux en République démocratique du Congo ». Nous sommes en ce moment en processus électoral. Aujourd'hui même, nous avons entamé, dans le cadre de ce projet, la formation de 30 médiatrices des conflits électoraux, de 45 observatrices et de 45 candidates. Nous en sommes reconnaissantes au peuple du Canada, à son gouvernement et à son Parlement.
Nous parlons aujourd'hui des conflits, de la paix et de la sécurité. Il est important d'inclure les femmes dans toutes les étapes de la résolution des conflits et dans le processus de paix, qu'il s'agisse des femmes dans les villages ou des femmes au sein du gouvernement. Issues des violences qui règnent dans notre vie quotidienne, nous, femmes congolaises, forçons la porte pour participer et ainsi prendre notre place dans le processus de paix, conformément à la résolution 1325 des Nations unies. Les conflits armés continuent à déshumaniser le peuple congolais.
Ainsi, nous demandons au Canada d'oeuvrer pour la paix non seulement en offrant des contributions financières pour soulager les conséquences de cette violence, notamment en soutenant le projet de lutte contre les violences sexuelles — ce dont nous sommes très reconnaissantes —, mais aussi en fournissant des hommes dans les commandements et les troupes des Nations unies pour combattre ces antivaleurs et contribuer effectivement à l'atteinte de la paix.
Cela fait plus de 20 ans que nous vivons des guerres atroces en RDC. Il est plus que temps que le Canada s'implique véritablement et pèse de tout son poids dans la balance pour mettre fin à ces guerres interminables. Les groupes armés ou rebelles venus de pays voisins, comme le Rwanda ou l'Ouganda, doivent rentrer dans leur pays, et nous voulons que le Canada nous aide à défendre ce point de vue et appuie nos efforts pour qu'ils retournent chez eux. Un programme de démobilisation des milices locales devra être soutenu par le Canada. Votre pays devra cependant veiller à ce que les femmes participent à l'élaboration de ce programme, pour éviter les erreurs passées survenues dans les autres programmes mis sur pied par d'autres pays.
Le Canada devra soutenir les associations de femmes directement et faire confiance aux organisations congolaises pour que le financement dont nous avons entendu parler, le fonds féministe, puisse soutenir les efforts des femmes congolaises.
La résolution des conflits passe par l'implication des femmes dans le processus de négociation de la paix et par leur participation politique. Le Canada devra offrir un important soutien financier et technique aux efforts des femmes congolaises et aux organisations qui oeuvrent pour la paix conformément à la résolution 1325. Le Canada devra également faciliter les échanges avec les autres femmes dans le monde et au Canada quant à leurs expériences. En outre, le Canada devra offrir des formations aux jeunes et aux femmes sur la cohabitation pacifique.
Le Canada devra renforcer son influence dans la région des Grands Lacs et demander aux dirigeants de respecter leurs engagements envers la paix, la non-agression et la lutte contre les violences sexuelles. Il devra aussi soutenir les efforts des peuples dans la revendication de la démocratie.
Malgré ce sombre tableau, les Congolais, particulièrement les femmes, gardent espoir et travaillent sans relâche et avec le sourire. Nous voulons changer notre situation et construire une vraie démocratie pour atteindre les cibles fixées dans les objectifs de développement durable d'ici 2030. Voilà pourquoi les Congolais, en particulier les femmes, s'investissent chaque jour tout un chacun pour la tenue d'élections crédibles, libres, transparentes et démocratiques. Nous ne voulons pas de n'importe quelle élection qui pourrait nous replonger dans des situations encore plus déplorables. Nous voulons que ce système change. Nous demandons que le Canada soutienne cet espoir.
La démocratie apporte la paix et la sécurité. Le Canada devra aider le peuple congolais dans sa quête d'élections libres, transparentes, démocratiques et apaisées. Aujourd'hui, les Congolais exigent et méritent des élections propres, avec des règles du jeu équitables, des choix réels et une concurrence véritable. Nous demandons au Canada de travailler avec ses alliés et ses partenaires locaux pour soutenir le Congo et aborder des aspects importants du processus électoral, comme la sécurité du scrutin et la prévention de la fraude. Grâce à son soutien d'importantes missions d'observation, le Canada a toujours été un chef de file dans la promotion d'élections libres et équitables dans le monde.
En ce qui concerne le respect des droits de la personne, le Canada devra nous aider en exprimant clairement sa position sur les graves violations des droits de la personne qui surviennent en RDC. Le Canada devra travailler avec ses partenaires pour faire pression sur les autorités de la RDC et sur toute personne qui commet des violations des droits de la personne, des violences sexuelles ou le pillage de ressources, et cela comprend les pays voisins qui, ce faisant, entretiennent les guerres.
La justice consolide la paix et la paix se nourrit de la justice. Le Canada devra soutenir la restauration de la justice, car le dysfonctionnement juridique et l'impunité alimentent les conflits. Le Canada devra aussi déployer beaucoup d'efforts pour aider les juges et les avocats qui sont en faveur d'une réforme et pour améliorer l'accès des Congolais ordinaires, particulièrement les survivantes de conflits et de violences sexuelles, à un système judiciaire équitable.
Nous demandons au Canada de s'impliquer en faveur d'élections libres, d'un système judiciaire indépendant, d'une société civile solide et de médias libres. Voilà des éléments essentiels à la démocratie, où les prises de décisions responsables et transparentes sont la norme et où les personnes et leurs droits sont respectés et protégés. Cela va remédier aux graves violations des droits de la personne et bâtir la démocratie, la paix et le développement.
Un nouveau projet du Fonds pour les femmes congolaises aidera les associations à donner accès à de l'aide juridique aux survivantes les plus vulnérables, à travailler pour la paix afin qu'elles puissent, elles aussi, bénéficier...
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Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, bonjour,
mbote,
hujambo,
betu'abu,
hello. Je suis honorée de pouvoir témoigner devant vous aujourd'hui.
Je m'appelle Yvette Yende-Ashiri et je suis une Afro-Canadienne francophone. Je milite pour les droits des femmes et des jeunes filles, et pour la justice sociale. Je suis née au Zaïre, qui s'appelle maintenant la République démocratique du Congo. Lorsque je prononce le mot « démocratique », je me demande toujours ce qu'il y a de démocratique au Congo.
Je suis ici aujourd'hui à titre de porte-parole de bon nombre de femmes et de jeunes filles qui ne peuvent pas se faire entendre. Comme l'a fait valoir Julienne Lusenge, je crois que les solutions se trouvent entre les mains des femmes. Elles doivent être à la table où se prennent les décisions. Ce sont elles qui doivent décider de leur sort. Les femmes doivent mener le pays. Elles doivent être respectées et considérées à titre d'égales, comme vous et moi. Les solutions viendront des femmes, et pas des hommes.
Le Congo est un pays qui a été assujetti à la colonisation jusqu'à maintenant. À mon avis, mon pays d'origine est toujours un pays injuste, surtout pour les femmes et les jeunes filles. Je vais vous lire un extrait du message des femmes et des jeunes filles de la ville de Beni, dans la province du Nord-Kivu, adressé à la MONUSCO.
[Français]
Notre premier message: [...] nous sommes les filles, les femmes de la ville de Beni. Nous voulons la paix à Beni. C'est ça, notre premier message! Nous voulons la paix!
Vous, en tant que communauté internationale représentée ici par la MONUSCO, avez certains mandats qui vous sont reconnus et que vous devrez jouer pour protéger le peuple de [Beni] contre les tueries. [...] il y a la résolution 1334, qui vous donne ce mandat-là de contacter les rebelles et de leur dire cessez le feu. Nous disons qu'attendez-vous? Vous attendez combien de massacres, combien de corps, combien de morts pour que vous puissiez appeler les rebelles [à] cesser le feu?
[...] Nous disons que [...] nous avons des enfants qui sont kidnappés, qui sont en brousse. [...] Que font ces enfants [en brousse]? [...]
[...] 60% [des] rebelles qui sont dans les parcs [...] ne sont pas [des C]ongolais [...] 40% [seulement] sont [des C]ongolais. Nous nous posons la question [...] est-ce que vous êtes déjà arrivé[s] un jour à vouloir savoir comment est-ce que ces gens viennent d'autres ciels, pour arriver à [Beni]? Est-ce que vous vous êtes déjà posé la question sur le ravitaillement en [armes], quels mécanismes vous avez mis en place pour [contrôler] ce [...] ravitaillement en arme[s]?
[Traduction]
Ce message était adressé à la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, la MONUSCO. Comme vous pouvez l'entendre, les femmes du Congo subissent la violence depuis plus de 24 ans. Leurs corps sont utilisés comme des armes de guerre. Les Congolaises sont des femmes très résilientes. Il faut que les choses changent pour elles au Congo. Nous nous demandons toujours pourquoi nous ne pouvons pas mettre fin à la guerre dans ce pays.
Je vous ai entendu parler de la Bosnie plus tôt. Je crois que si nous allons plus loin, nous pourrons mettre fin à cette guerre, avec l'aide du Canada.
Qu'est-ce qui justifie cette guerre? Pourquoi le Congo souffre-t-il autant?
[Français]
La République démocratique du Congo souffre depuis longtemps de la prolifération et de la circulation illicite des armes légères et de petit calibre ainsi que du manque de régulation des mécanismes de contrôle de ces armes. Il y a eu l'adoption, la signature et la ratification du Traité sur le commerce des armes, ou TCA, mais le Canada et la RDC ne l'ont pas signé. Cependant, nous félicitons le Canada pour son effort en vue d'adhérer au TCA, parce qu'il reconnaît au moins que c'est une véritable norme mondiale qui aide à prévenir les violations des droits de la personne et à sauver des vies.
Le TCA vise à protéger les populations contre les armes. Il veille à ce que les pays réglementent efficacement le commerce international des armes, afin d'éviter qu'elles servent à appuyer le terrorisme, la criminalité internationale organisée, la violence fondée sur le sexe ainsi que les violations des droits de la personne ou du droit international humanitaire.
Voici nos recommandations.
Tout d'abord, il faut que le Canada fasse pression sur le gouvernement de la RDC et l'encourage à adhérer au Traité sur le commerce des armes pour prévenir les violations des droits de la personne et sauver des vies. L'honorable , députée fédérale et ministre des Affaires étrangères, a déclaré: « Nous devons continuer d'encourager les autres pays à adhérer à ce traité et nous devons veiller à ce qu'il soit adéquatement mis en oeuvre à l'échelle mondiale. »
Il faut également que le Canada démontre son implication dans le désarmement des forces et des groupes armés actifs en RDC. Malgré la présence de la MONUSCO, nous recommandons au gouvernement canadien de proposer au Conseil de sécurité l'envoi de troupes militaires à réaction rapide semblables à celles de l'opération Artemis, afin de désarmer rapidement les groupes armés dans l'Est de la RDC, car les victimes se comptent quotidiennement.
La prochaine recommandation concerne l'exploitation minière. La RDC est victime de ses ressources naturelles, qui attisent la convoitise. La présence des compagnies minières canadiennes ne doit pas être la source de la misère de la population congolaise. Le gouvernement canadien doit s'assurer que les retombées socioéconomiques et environnementales de la présence des compagnies canadiennes contribuent à améliorer la situation des populations congolaises, en plus d'assurer la sécurité dans les zones minières.
Je vais terminer sur ceci: s'il n'y a pas de guerre, il n'y a pas de viols ni d'enfants soldats.
Merci.
:
Merci beaucoup à vous deux.
Vous avez terminé là où j'aimerais commencer, avec la violence sexuelle. C'est une catastrophe et un fléau dans la région. Nous savons que la MONUSCO est censée être l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC.
J'aimerais aborder le sujet des élections du 23 décembre et ma question s'adressera à vous deux. Soyez libre d'intervenir comme vous le voulez.
La violence sexuelle est un enjeu très important, qui n'est même pas abordé par les partis dans la course. La MONUSCO devrait exercer une certaine influence en ce sens, du moins pour soulever cette importante question afin qu'elle fasse partie des enjeux électoraux. Cette question dépasse l'économie et l'argent. Nous savons que le pays a des ressources, et je crois qu'il faut centrer les efforts sur cette question.
Comme vos deux organismes — la Fédération Femmes Enfants Avenir Monde, la FFEAM, pour Mme Ashiri et la Solidarité féminine pour la Paix et le développement Intégral, la SOFEPADI pour Mme Lusenge — sont très actifs dans ce domaine, j'aimerais que vous nous dressiez le portrait de la situation. Qu'en est-il de ce sujet à la veille des élections? Que se passe-t-il? Est-ce que la communauté internationale aborde ce sujet?
Vos commentaires aideront grandement le Comité. Est-ce que l'une d'entre vous veut commencer? Nous aimerions vous entendre.
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Je vous remercie de la question.
Nous travaillons depuis plusieurs années déjà à ces questions. Nous recevons des survivantes chaque jour, à tout instant. J'ai demandé à mes collègues de Beni de fermer le bureau, parce que la situation à cet endroit était devenue trop invivable en raison des massacres, des Forces démocratiques alliées et de la maladie à virus Ebola. Mes collègues m'ont dit ce jour-là qu'ils ne pouvaient pas fermer le bureau, parce qu'ils avaient trois nouveaux cas de violences sexuelles.
Présentement, les violences sexuelles augmentent et s'accentuent dans tous les villages et toutes les villes. Pourquoi? Comme l'a dit ma collègue, s'il n'y avait ni guerres ni groupes armés, les violences sexuelles s'atténueraient ou deviendraient moins nombreuses. Ce sont ces guerres qui ont détruit notre société. Maintenant, il n'y a plus de morale, plus de normes sociales. Les gens se comportent comme ils le veulent. Tous, aussi bien les civils que les militaires, commettent des viols, et ce, parce qu'ils peuvent le faire impunément. La justice ne fonctionne pas. L'administration elle-même n'existe presque plus. Notre pays a été complètement détruit.
On a même répertorié des cas impliquant des agents de la MONUSCO. Pourquoi? C'est parce que la communauté internationale envoie des troupes provenant de pays où l'on ne respecte pas les droits des femmes. Ces gens, lorsqu'ils commettent des crimes ou des violences sexuelles dans notre pays, sont tout simplement renvoyés dans leur pays. On ne les punit pas et on ne demande pas réparation pour les victimes. Déjà là, il y a une impunité.
Par ailleurs, il y a un dysfonctionnement au sein de la justice congolaise. Certains juges s'engagent à travailler. Dans quelques cas, les victimes ont pu accéder à la justice, nous avons eu gain de cause et les auteurs ont été condamnés. Or, même s'ils sont emprisonnés, ils réussissent à sortir de prison peu de temps après, ils retournent dans les communautés et ils menacent aussi bien les activistes que les avocats et les victimes.
Il y a aussi les terroristes, qu'il s'agisse des Forces démocratiques alliées ou des Maï-Maï. Tous les groupes armés, quand ils entrent dans un village, violent les femmes pour punir la population et déshumaniser notre communauté. Pour que cette histoire de violences sexuelles se termine, il faut que le Canada et les autres pays alliés puissent envoyer des troupes pour combattre tous ces groupes armés. Il faut commencer par ceux qui viennent de l'étranger, les Forces démocratiques alliées, qui sont de vrais terroristes. Chaque jour, ils égorgent et éventrent de nos gens. Il faut que les Interahamwe et les FDLR rentrent au Rwanda. Ces peuples rwandais doivent rentrer chez eux. Par la suite, nous pourrons démobiliser les Maï-Maï. Nous, les femmes, devons participer à l'élaboration d'un programme de démobilisation. Les autres programmes ont été planifiés sans que nous soyons présentes à la table. On n'a pas pris en compte certains aspects importants qui auraient pu mettre fin au recrutement des enfants soldats.
Je vais laisser ma collègue continuer à développer cette question avant d'intervenir au sujet des élections du 23 décembre.
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En fait, il y a des femmes qui sont attaquées parce qu'elles se présentent comme candidates. Il y a même une femme de Goma qui a disparu: elle a été enlevée et on ne l'a pas encore retrouvée. Cela dit, beaucoup de gens dans la communauté, dans la population et dans les villages disent qu'il faut maintenant soutenir les femmes, parce que les hommes ont échoué.
Les hommes qui ont été au pouvoir, qui ont pillé et qui ont volé l'argent, ils achètent les consciences avec l'argent. Les femmes, elles, n'ont pas d'argent. Comme notre population est pauvre, les femmes qui font campagne se font demander par les gens si elles vont leur laisser ne serait-ce qu'un petit rien, un peu de sel, un peu d'huile, quelques médicaments. Or, les femmes n'ont pas d'argent à leur laisser, et elles essaient d'expliquer à ces gens qu'elles veulent justement changer cette situation. Cependant, en période de famine, ventre affamé n'a pas d'oreilles. Notre population a été déshumanisée par un groupe de gens qui ont conservé le pouvoir pendant longtemps, qui ont pillé systématiquement et qui ont détruit tout le système social.
Nous, les femmes, grâce au soutien que nous avons eu du Canada et des autres partenaires, nous avons formé les formatrices, qui ont alors formé d'autres observatrices. Cela nous permet d'aider les femmes qui n'ont pas d'argent à bénéficier des services des observatrices, des témoins et des médiatrices. Cela permet à ces femmes de travailler bénévolement, d'observer le déroulement des élections et d'en faire rapport. Elles vont accompagner les autres candidates dans les villages pour augmenter leur visibilité, pour les aider à imprimer à l'aide de nos machines les photos qu'elles vont utiliser dans leur campagne.
Les femmes se tiennent debout. Elles se battent parce qu'elles veulent être nombreuses là où sont prises les décisions. Cependant, ce n'est pas facile. Le contexte est vraiment hostile. Ces groupes d'individus qui ont pillé le pays pendant longtemps ne lâchent pas prise. Malgré cela, les femmes se tiennent debout. Pour leur part, la population et les jeunes accompagnent certaines femmes, les vraies femmes. En effet, nous ne voulons pas être représentées par des femmes qui ont été imposées et qui ne sont qu'une décoration. Nous voulons des femmes féministes qui portent nos voix. Voilà pourquoi nous travaillons jour et nuit pour défendre les droits des femmes, pour accompagner ces dernières, pour observer et pour dénoncer tout ce qui n'est pas normal dans une élection démocratique.
Jusqu'ici, la situation est incertaine. Il y a beaucoup de tensions et de violences dans notre pays en ce moment. Nous maintenons malgré tout que nous devons nous présenter à ces élections et rester résolues si nous voulons que la situation change dans notre pays.
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Votre première question portait sur l'observation de l'élection. L'Église catholique va déployer le plus d'observateurs possible. De plus, Freedom House, une organisation américaine, ainsi que des associations et des jeunes veulent se porter volontaires pour observer les élections et s'assurer de leur bon déroulement, pour ainsi mettre fin à ce régime qui nous détruit. Toutes les femmes des associations donnent de la formation, ainsi que certains experts congolais. Comme je le disais plus tôt, nous avons reçu du Canada, dans le cadre du Programme sur les femmes, la paix et la sécurité, un montant de 280 000 $, soit l'équivalent de 301 000 $ en devise canadienne, qui nous a aidés à former toutes ces femmes. Nous continuerons à former et à aider les femmes.
Il faut nous aider à sécuriser les zones où les femmes doivent faire campagne. Nous voulons assainir ces zones. Vous avez vu les faiblesses de la mission des Nations unies. Cela fait plus de 15 ans qu'elle est là, mais elle n'arrive pas à mettre fin à la guerre dans le pays. Si vous continuez à injecter de l'argent dans la MONUSCO, vos contribuables vont encore donner de l'argent, mais nous n'arriverons pas à trouver de solution. Pourquoi le Canada ne peut-il pas parler aux Nations unies et à ses alliés pour mettre sur pied une armée de combat, comme les troupes de l'opération Artemis que les Français avaient envoyées à Bunia, des troupes qui vont faire la guerre aux groupes armés? Même notre armée dit que ces rebelles sont des djihadistes, qu'elle n'arrive pas à les contenir et qu'ils mènent une guerre asymétrique dont elle ne maîtrise pas le style. Comment feront ces femmes qui vont aller faire campagne dans les zones qui sont occupées par des groupes armés? Ces femmes risquent d'être kidnappées, violées, voire tuées. Il est grand temps de nous aider à assainir ces zones.
Il n'est pas seulement question ici des élections du 23 décembre. Nous avons un processus, un programme électoral qui va jusqu'en 2020. D'autres élections, locales cette fois, seront organisées au mois de mars. Nous avons donc besoin de l'aide financière du Canada pour cela, ainsi que de ses efforts de persuasion auprès des Nations unies pour la mise sur pied de troupes capables de combattre tous les groupes armés et de démobiliser les zones pour y amener la paix.
On devrait passer à autre chose que le virus Ebola. Si la population de Beni a réagi dans le cas de ce virus, c'est parce qu'elle a vu qu'il y avait une volonté de la part de la communauté internationale d'éradiquer l'épidémie, ce qui est un objectif très important. Pourtant, entretemps, des gens sont égorgés chaque jour à Beni. Certaines personnes ne dorment plus chez elles. Elles sont plus de 1 000 à se déplacer chaque soir pour aller dormir dans des quartiers sécurisés, avant de revenir dans leur maison le lendemain matin. Les enfants n'étudient plus. Les orphelins des massacres ne sont pas comptés. Comment les gens vont-ils réussir à faire campagne dans ce contexte?
La population a déjà tranché: elle ne veut plus voir tous ces gens qui ont été au pouvoir y revenir. Aidez-nous pour que cette élection se déroule bien. Nous espérons que l'Église catholique va avoir les moyens de déployer le nombre d'observateurs nécessaire et nous [difficultés techniques].