FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 7 mai 2019
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à tous et bienvenue à la 139e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Aujourd’hui, nous avons le plaisir et l’honneur d’accueillir M. Rihards Kols, président du Comité des affaires étrangères du Parlement letton, qui est accompagné de l’ambassadeur de la République de Lettonie, Son Excellence Karlis Eihenbaums.
Messieurs, nous vous remercions d’avoir accepté de comparaître aujourd’hui devant notre comité pour parler des liens étroits que nos deux pays ont su nouer en tant qu’amis, partenaires et alliés, et de notre engagement mutuel dans l’OTAN et dans l’ordre multilatéral. Le Canada a été l’un des premiers pays du G7 à reconnaître le rétablissement de l’indépendance de la Lettonie en 1991 et a été l’un des premiers à ratifier son adhésion à l’OTAN.
À l’heure actuelle, plus de 600 soldats canadiens sont stationnés en Lettonie, au sein du groupement tactique multinational de l’OTAN dont le Canada a le commandement. Nous savons que la population lettone a réservé un accueil chaleureux à nos militaires, et ce, malgré l’infox qui a circulé dans le but de semer la zizanie.
J’aimerais également rappeler qu’en 2016, nous avions déjà accueilli devant notre comité l’ancien président du Comité des affaires étrangères du Parlement letton.
Cela dit, monsieur Kols, je vous invite à faire la déclaration liminaire que vous avez préparée, après quoi, les membres du Comité pourront vous poser des questions certainement très intéressantes. Vous avez la parole.
Merci, monsieur le président.
[Français]
Bonjour.
[Traduction]
Monsieur le président, vous avez dit dans votre introduction certaines choses que je voulais dire moi-même. Quoi qu’il en soit, je vous remercie infiniment de me recevoir aujourd’hui. C’est un grand honneur de se retrouver parmi des amis et des politiciens qui croient vraiment dans l’OTAN et dans la coopération en général.
Ce que je vais vous livrer n’est pas vraiment un discours, mais plutôt quelques remarques sur la perception que la population lettone a du Canada et des Canadiens.
Alors que nous célébrons le 98e anniversaire de l’ouverture de relations diplomatiques entre nos deux pays, il me paraît opportun de faire le bilan des relations positives et amicales qui existent entre la Lettonie et le Canada et des raisons qu’ont nos deux pays de regarder vers l’avenir avec confiance.
Dans leurs actions et leurs politiques, la Lettonie et le Canada sont des pays qui partagent des valeurs communes, qui sont tous deux attachés à un ordre international fondé sur des règles, à la liberté individuelle, à la démocratie, aux droits de la personne et à l’État de droit. Le Canada n’a jamais hésité à appuyer les aspirations et les besoins du peuple letton, ce que nous avons toujours apprécié. Vous n’avez pas reconnu l’annexion des États baltes par l’Union soviétique; vous avez accueilli les Lettons qui fuyaient des poursuites après la Deuxième Guerre mondiale. Vous avez même accueilli et aidé celle qui allait devenir présidente de la Lettonie, Vaira Vike-Freiberga, un certain nombre de nos grands écrivains et philosophes et, sur un plan personnel, plusieurs membres de ma propre famille qui sont maintenant fiers d’être citoyens canadiens.
Le Canada a été le premier pays du G7 à reconnaître en 1991 le rétablissement de l’indépendance de la Lettonie, qui avait connu une situation difficile pendant 50 ans. Aujourd’hui, nous collaborons étroitement au sein des Nations unies et de l’OTAN, et vous avez aussi été le premier pays à ratifier le traité consacrant l’entrée de la Lettonie dans l’OTAN. Même si nous n’avons pas pu faire preuve à votre égard de la même courtoisie et de la même générosité, nous avons fait ce que nous pouvions en étant le premier État membre de l’Union européenne à ratifier cet important traité qu’est l’AECG.
Je me réjouis également de l’évolution de nos relations interparlementaires. Il est important de poursuivre le dialogue entre le Comité des affaires étrangères du Parlement letton et le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international du Parlement canadien, car cela nous permet d’échanger des points de vue sur des sujets qui intéressent nos deux pays.
Aujourd’hui, à l’occasion du centenaire du Parlement de la République de Lettonie, et dans le contexte d’une conjoncture internationale plutôt volatile, la présence du Canada en Lettonie revêt une grande importance. Nous célébrons cette année le 70e anniversaire de l’OTAN, et la Lettonie célèbre le 15e anniversaire de son entrée dans l’Alliance, laquelle reste indéniablement un pilier essentiel de la sécurité en Europe. Comme je suis fier quoiqu’un tantinet surpris d’être persona non grata en Russie, je vais vous parler sans détour.
L’agression que la Russie a lancée contre l’Ukraine et la Géorgie a fragilisé la paix et la stabilité relatives qui existaient, depuis une génération, entre le Kremlin et ses voisins occidentaux. Même si les desseins ultimes du président Poutine restent incertains, le Kremlin n’en a pas moins décidé, en violation du droit international, d’annexer illégalement la Crimée, péninsule ukrainienne qui fait à peine la moitié de la superficie de la Lettonie, mais avec une population légèrement plus nombreuse. Depuis cette agression, la Russie continue d’affirmer sa force militaire, d’afficher sa puissance conventionnelle et d’agiter son sabre nucléaire. En 2016 à Varsovie, les dirigeants de l’OTAN nous ont invités à donner plus de visibilité à nos forces de défense afin de dissuader toute personne saine d’esprit de mettre à l’épreuve la solidité de l’Alliance.
En déployant des militaires en Lettonie pour diriger le groupement tactique multinational de l’opération de présence avancée renforcée de l’OTAN, le Canada aide des pays comme le mien à faire face aux nouvelles menaces qui visent le cœur même des valeurs universelles occidentales, l’État de droit et la démocratie. Vous avez répondu à l’appel, en investissant le temps et les ressources nécessaires et en démontrant un type de leadership qui fait souvent défaut dans notre société contemporaine. C’était la solidarité en action et un puissant signal de dissuasion. Votre engagement illustre clairement votre évaluation des réalités géopolitiques actuelles.
Le flanc nord-est de l’OTAN est très exposé. Le seul lien géographique entre les pays européens de l’OTAN et les États baltes est le passage de Suwalki, une bande de terre de 100 kilomètres qui sépare la Pologne et la Lituanie et qui jouxte l’enclave russe de Kaliningrad, à l’ouest, et le Belarus, à l’ouest, d’où sa grande importance géostratégique. Le fait d’être entourés par des pays qui ne sont pas membres de l’OTAN rend les États baltes particulièrement vulnérables. Nous sommes prêts à investir dans notre défense, et nous le faisons déjà depuis plusieurs années.
Nous sommes reconnaissants au Canada de déployer des militaires sur notre sol. Sa participation à l’opération de présence avancée renforcée de l’OTAN est une véritable mission de maintien de la paix, car cela revient à payer une prime d’assurance pour maintenir la paix et la stabilité dans la région.
Nous saluons la décision prise par le Canada, juste avant le sommet de l’OTAN à Bruxelles, en juillet 2018, de renouveler, pour une période de quatre ans, sa participation à l’opération de l’OTAN en Lettonie. Encore une fois, vous avez fait preuve d’une grande force de caractère et de la capacité de prendre la bonne décision. Vous avez fait preuve de détermination à une époque d’incertitude. Vous avez toute notre admiration.
Tous ensemble — l’Europe et l’Amérique du Nord —, nous avons considérablement accru la rapidité d’intervention de nos forces, l’OTAN a triplé sa Force de réaction, et le sommet de Bruxelles a permis de prendre une décision supplémentaire, l’initiative dite « 4 × 30 », qui a pour objectif de déployer 30 bataillons, 30 navires et 30 escadrons de chasse dans un délai de 30 jours ou moins, dans le but de renforcer les capacités de réaction rapide de l’Alliance en facilitant le transfert de soldats à partir de l’Europe, en cas de crise. J’ai moi-même fait partie de la garde nationale de la Lettonie, et j’ai eu le plaisir de m’entraîner avec vos soldats et de constater les avantages de la coopération constante et de l’expérience du combat commun. Jour après jour, nous augmentons notre force et notre résilience. Nous sommes devenus des frères et des sœurs d’armes. Et c’est grâce, en partie, à la décision du Canada d’assurer une présence permanente, plutôt qu’intermittente, en Lettonie.
Le Baltic Defence College a des liens très serrés avec le Canada, et permet des échanges culturels et le transfert de connaissances précieuses. Ensemble, nous avons réussi à édifier le polygone militaire le plus moderne de la région. Des soldats canadiens nous ont aidés à acquérir des compétences et à les mettre en pratique, avec les technologies et les équipements militaires les plus sophistiqués. Au-delà de l’OTAN, notre relation peut se définir comme une coopération bilatérale.
J’espère sincèrement que les soldats canadiens qui sont stationnés en Lettonie sont aussi heureux que nous, et qu’ils s’y sentent un peu chez eux.
Savez-vous que la population locale vous aime beaucoup? Un récent sondage indique que près de la moitié des Lettons estiment que la sécurité du pays s’est améliorée par rapport à 2015. Pourquoi? C’est grâce à la présence des alliés de l’OTAN sur notre territoire, même si l’entraînement de nos soldats et l’achat de matériel comptent aussi pour beaucoup. Tout cela est en train de se produire à un rythme et à une intensité qu’on n’avait pas connus depuis le rétablissement de l’indépendance en 1991. Le Canada est en train de conquérir le cœur et l’esprit de la population locale. Environ 60 % des Lettons estiment que l’OTAN contribue à la sécurité de leur pays. Ce niveau remarquable de soutien populaire se maintient depuis quelques années. Quand on leur a demandé s’ils sont fiers des soldats lettons, les deux tiers des répondants ont répondu que oui. Mais surtout, la grande majorité des Lettons ne considèrent plus la Russie comme une menace imminente, mais plutôt comme un agresseur.
Selon un sondage commandé par le ministre letton de la Défense, seulement 17 % de la population s’oppose à la présence du bataillon, tandis que 43 % l’approuvent et que 30 % restent neutres sur la question. À une époque où les États-Unis semblent se retirer de la scène internationale et où le Royaume-Uni est sur le point de quitter l’Union européenne, nous sommes très reconnaissants au Canada de chercher à renforcer les alliances traditionnelles. Votre pays joue un rôle déterminant même si ce qui se passe actuellement, bien loin de ses propres frontières, est des plus incertains. La présence du Canada en Lettonie est très importante, et la transparence qui la caractérise a fait augmenter le niveau de soutien et de confiance de la population pour l’OTAN en général.
Tout cela compte beaucoup, mais nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers. L’attitude de la Russie en Crimée et dans l’Est de l’Ukraine a complètement bouleversé la relation de l’Union européenne et de l’OTAN avec Moscou. Le retour des grandes puissances et des sphères d’influence, et le cynisme dont a fait preuve la Russie pour la souveraineté de ses voisins sont des facteurs qui influent sur l’analyse que nous faisons de notre sécurité et sur la politique que nous poursuivons à l’égard de la Russie.
Nous devons faire front contre cette violation du droit international et prendre des mesures pour répondre aux agissements de la Russie, de façon mesurée, bien sûr. L’OTAN doit continuer de s’adapter aux nouveaux défis qui se posent. Nous ne sommes pas dans une autre guerre froide, mais, d’une certaine façon, la nouvelle situation est plus complexe. Beaucoup de dossiers concernant la sécurité ne sont pas réglés, notamment l’Iran, l’Irak, la Syrie et la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme. Et nous sommes interdépendants. En fait, c’est la raison pour laquelle les sanctions sont un moyen relativement efficace pour exercer des pressions. Il n’en reste pas moins que les agressions de la Russie sont un signal d’alarme qui doit nous amener à revoir nos stratégies de défense.
Il est important de pleinement mettre en vigueur la décision prise par l’OTAN au sommet de Bruxelles, si l’on veut augmenter la rapidité d’intervention de l’Alliance et sa capacité de renforcement. La Russie est une menace au niveau stratégique, comme le prouve la violation du traité FNI, mais elle continue aussi d’être une menace pour la sécurité régionale. Les besoins défensifs ne peuvent justifier, à eux seuls, le renforcement continu de la puissance militaire russe, notamment ses capacités offensives dans la région de la Baltique et dans l’Arctique, ce qui a un impact sur les intérêts nationaux du Canada. Le type de guerre hybride et ambiguë que mène la Russie, qui privilégie de plus en plus des forces militaires asymétriques, moins conventionnelles, rend les choses beaucoup plus difficiles pour l’OTAN lorsqu’il s’agit de contrer des efforts de déstabilisation, des opérations d’information, des cyberattaques, de la désinformation, de la propagande et des opérations psychologiques. Ce type de guerre ambiguë constitue une menace pour la sécurité, non seulement pour les États baltes, mais pour l’ensemble de l’OTAN.
À ce propos, nous nous réjouissons que la coopération se soit intensifiée entre l’OTAN et les institutions onusiennes, et qu’un partenariat transatlantique vigoureux se soit instauré pour contrer les opérations de désinformation qui sont menées par des États hostiles contre le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni. Le Centre d’excellence de l’OTAN pour la communication stratégique, ou StratCom, et les centres de défense en cybersécurité de Riga et de Tallinn sont des exemples de collaboration internationale en matière de recherche. Nous sommes reconnaissants au Canada d’avoir consenti un financement généreux pour la création du StratCom de l’OTAN, et nous savons que vous avez joué un rôle déterminant pour la mise en œuvre du projet à Riga, en Lettonie. Nous vous félicitons également d’avoir récemment décidé de participer au StratCom. Je suis absolument convaincu que le renforcement de cette coopération nous sera bénéfique à tous. En principe, les menaces analysées par StratCom et par le Centre d’excellence pour la cyberdéfense en coopération, en Estonie, intéressent tous les alliés de l’OTAN, et il est souhaitable qu’ils participent à ces deux centres afin que les activités soient organisées selon une approche uniforme.
Par ailleurs, tout en continuant d’investir dans l’analyse et la recherche, nous devons mettre en œuvre les conclusions des rapports de StratCom, entre autres, et tirer sans tarder de ces conclusions théoriques des recommandations et des plans d’action concrets et des stratégies clairement définies.
Afin d’assurer à notre population un niveau raisonnable de sécurité et de stabilité ainsi qu’un climat propice à la prospérité, l’OTAN doit s’intéresser en priorité à la réponse à donner face à ces capacités et à ces pratiques. Cela nécessite le renforcement des capacités de StratCom et du Centre d’excellence pour la cyberdéfense en coopération, et le renforcement de notre coopération avec les institutions extérieures à l’OTAN, dans le but d’élaborer des réponses intégrées et conjointes. Peu d’alliés ont, individuellement, la capacité de contrer la multiplicité des menaces non traditionnelles qui proviennent de certains États et qui, il ne faut pas l’oublier, comprennent le crime organisé, le sabotage et d’autres formes d’action directe. Nous devons absolument faciliter la circulation des informations et des renseignements entre les pays de l’Alliance. Trop de dégâts ont été infligés à nos sociétés par le refus d’échanger des renseignements. La communication doit être plus active, je dirai même proactive, si nous voulons être capables de contrer ces nouvelles menaces.
Bien sûr, l’alliance militaire n’est pas le seul lien qui nous unit. Nous investissons et nous faisons des échanges. Le Canada et la Lettonie ont une relation mutuellement bénéfique au niveau des échanges commerciaux et des investissements. En février 2017, la Lettonie est devenue le premier État membre de l’Union européenne à ratifier l’AECG, l’un des traités commerciaux les plus modernes et les plus aboutis, dont nous commençons déjà à ressentir les bienfaits. Même si les échanges de produits traditionnels entre les pays sont encore modestes, il convient de rappeler que, récemment, le volume total des échanges commerciaux a nettement augmenté avec l’achat, par Air Baltic, de plusieurs avions Bombardier. Nous avons été le premier pays à acheter 20 appareils de ce nouveau type, pour des fins commerciales. Le contrat s’élevait à 303 millions de dollars, ce qui est une coquette somme, et une bonne chose pour notre balance commerciale. Les choses continuent de s’améliorer. Les exportations canadiennes de machinerie et de matériel électriques en Lettonie ont augmenté de 189 %. Vos importations de viandes et de poissons préparés en provenance de Lettonie ont augmenté de 700 %.
J’ai beaucoup parlé, alors permettez-moi maintenant de vous dire quelque chose d’un peu plus léger. En Lettonie, les Lettons estiment qu’ils ont des affinités avec le Canada. Ce pays les attire parce qu’il a été une magnifique terre d’accueil pour ceux qui ont dû quitter la Lettonie pendant la Deuxième Guerre mondiale. Mais c’est aussi parce que c’est un pays amical, propre et rigoureux. À l’occasion du déploiement de vos militaires, nous avons fait un sondage sur ce que les Lettons savaient du Canada.
Le hockey a été la réponse donnée par le plus grand nombre des répondants. Le tiers d’entre eux pensent au hockey chaque fois qu’ils pensent au Canada. Nous faisons venir chez nous des entraîneurs du Canada. Notre équipe des championnats mondiaux est entraînée par un Canadien, Bob Hartley, qui vient de Hawkesbury, en Ontario. Avant lui, nous avions le capitaine Ted Nolan. Les entraîneurs canadiens ont vraiment eu une influence positive, car en 2014, la Lettonie a bien failli battre le Canada aux Jeux olympiques de Sochi, en quarts de finale.
Environ le dixième des Lettons interrogés imaginent le Canada comme un pays de richesse et de prospérité. Ils voient l’emblème de la feuille d’érable, le sirop d’érable et beaucoup d’autres arbres en plus des érables. Ils voient aussi les plantes, les arbustes, les forêts, les rivières, les montagnes, les oiseaux de proie, les ours polaires et la nature dans toute sa beauté.
Le Canada et la Lettonie sont des alliés, des amis et des partenaires à bien des égards, et je me réjouis d’être ici aujourd’hui pour contribuer à renforcer nos relations. J’espère que notre amitié et notre collaboration dureront encore longtemps.
Je serai heureux de répondre à vos questions.
Encore une fois, merci de votre accueil très chaleureux.
Je vous en prie. Merci, monsieur Kols, de ce survol de la situation. Je crois que vous avez bien souligné la chaleur et l’intensité de la relation qui unit nos deux pays.
Cela dit, nous allons passer aux questions et commencer par le député O'Toole. Vous avez la parole.
Merci, monsieur le président.
Bienvenue au Canada et merci de ce plaisant discours.
J’en ai adoré la conclusion, lorsque vous avez parlé de nos rivalités au hockey, entre autres. Lorsqu’on évoque la Lettonie, je crois que la plupart des Canadiens pensent au hockey junior ou aux Jeux olympiques, à ce genre de choses, avant de penser à l’Opération Reassurance. Merci de contribuer à renforcer cette relation en comparaissant devant nous aujourd’hui.
Vous avez dit que nos deux pays étaient de solides alliés, amis et partenaires. Que notre relation ne cessait de se renforcer. Et que nous avons des intérêts nationaux communs en ce qui concerne les échanges commerciaux, les investissements et, bien sûr, la sécurité. J’aimerais parler plus particulièrement du volet sécurité.
Je vous remercie de nous avoir fait part de ces sondages au sujet de l’Opération Reassurance et de la présence des soldats canadiens en Lettonie. Les résultats sont intéressants. Nous sommes, bien sûr, très fiers de participer à cette mission, qui a été décidée par le gouvernement conservateur et poursuivie par le gouvernement libéral, c’est donc une mission appuyée par les deux partis.
Comment, à votre avis, l’Opération Reassurance devrait-elle évoluer au cours des prochaines années, si cette présence devait avoir un caractère permanent? On sait que les Russes se sont livrés à des manœuvres de grande envergure. Comment l’Opération Reassurance doit-t-elle évoluer au cours des quatre ou cinq prochaines années si nous voulons montrer que ce n’est pas un signe de soutien temporaire, mais plutôt une mission permanente pour prévenir toute agression impériale de la Russie?
Comme je l’ai déjà dit, le Canada a su faire preuve, à des moments cruciaux, d’un solide leadership. Le sommet de Bruxelles en est un bon exemple. J’ai eu la chance de m’y trouver à ce moment-là, pas au sommet lui-même, mais à un événement parallèle intitulé « L’OTAN en dialogue », où j’ai d’ailleurs rencontré votre premier ministre, Justin Trudeau.
Ce qui était intéressant, c’est que nous savions tous que l’atmosphère était plutôt morose avant le sommet. Le président Trump avait déclaré publiquement, quelques jours avant, qu’il allait se retirer de l’OTAN indéfiniment, et l’incertitude prévalait. Lorsque vous avez annoncé, juste avant le sommet, que le Canada allait prolonger sa mission en Lettonie jusqu’en 2023, ce fut un signal vraiment très fort, qui indiquait clairement que nous n’allions pas brader nos principes, nos valeurs et nos engagements. C’est quelque chose que nous apprécions tout particulièrement en Lettonie, même s’il est difficile de dire exactement quelles ont été les réactions dans ce pays, suite à cette annonce. Peu de temps après, votre premier ministre s’est rendu en Lettonie pour réaffirmer que c’était bien une décision du gouvernement canadien, et pas un effet de manche.
Je n’aime pas trop l’expression « présence avancée renforcée ». On devrait plutôt parler de mission permanente. Nous savons que les États baltes sont à la périphérie de l’OTAN. Ce sera toujours le cas, ça ne changera pas, et si les agressions de la Russie se poursuivent sur différents fronts, il est essentiel, à terme, que l’OTAN maintienne des bases solides à sa périphérie. Peu importe que ce soit une mission de 5 ans ou de 10 ans. L’essentiel c’est de montrer clairement à l’adversaire que nous sommes là pour rester et qu’il va devoir faire avec. Que c’est la réalité.
Que pourrait-on faire de plus? En Lettonie, nous avons entrepris depuis cinq ou six ans des réformes militaires considérables, d’une ampleur sans précédent. Après le rétablissement de notre indépendance, notre armée s’est retrouvée dans une situation très difficile. Elle était très faible et n’avait pas de structure proprement dite. Aujourd’hui, grâce à l’opération de présence avancée renforcée et aux conseils du commandement canadien, nous avons les outils nécessaires pour développer nos capacités de défense.
S’agissant de la construction d’infrastructures, notre comité et moi-même avons ratifié une entente bilatérale entre le Canada et la Lettonie visant à consolider notre secteur militaire et à investir dans les infrastructures militaires. C’est quelque chose que nous n’aurions pas pu faire seuls, car cela requiert de l’expertise et des connaissances. Après plus de 25 ans d’indépendance, il est difficile de trouver des spécialistes ayant ce genre de compétences.
Vous avez parlé de la guerre de l’information à laquelle se livre la Russie. Pourriez-vous nous dire en quelques mots comment nous pourrions aider la Lettonie à contrer la guerre de propagande et les menaces à la cybersécurité qui sévissent dans la région, et si le Canada a un rôle à jouer sur le front de la cybersécurité? Vous avez parlé de donner un caractère permanent à l’opération de présence avancée renforcée de l’OTAN, mais je crois que l’Alliance a aussi besoin d’intensifier ses efforts collectifs pour contrer la guerre de l’information et la cyberguerre. Qu’en pensez-vous?
Je suis tout à fait d’accord avec vous. Nous savons que la cybersécurité et le cyberespace transcendent les frontières, et que dans le cyberespace, il n’y a pas de règlements. Par conséquent, la mise en œuvre de certaines mesures dans une région du monde ne règle pas le problème. Il faut trouver une solution à la fois très compacte et globale.
Je pense que nous avons besoin de réglementer le cyberespace à l’échelle globale, dans une « Convention de Genève du numérique » où on définirait les règles et les principes applicables au cyberespace. Je sais que beaucoup de gens sont sceptiques et qu’encore une fois, ce sera une convention qui ne sera pas signée par tous les membres de l’ONU. Mais tant pis, il suffit qu’un certain nombre d’entre eux comprennent que nous avons besoin d’appliquer certaines règles et certains principes au cyberespace. Le simple fait d’énoncer des règles et des principes est une façon de contrer la menace.
Pour le moment, nous n’avons pas beaucoup de moyens à notre disposition pour contrer la menace. Le seul pays à avoir pris des contremesures, ce sont les États-Unis, tout récemment, qui ont lancé une contre-attaque ou cyberattaque contre les fermes à trolls russes. Je pense que c’était en février dernier.
Nous devons développer nos propres systèmes et structures de défense, y compris de cyberdéfense, et nous aurons besoin pour cela de spécialistes de haut niveau pour les mettre en œuvre aussi bien dans les forces armées que dans la société civile.
Dans le cas de la Lettonie, la situation est tout à fait unique. Nous avons l’armée, qui comprend plus de 5 000 soldats professionnels, et nous avons la Garde nationale, qui est un service militaire volontaire.
De cette façon, nous pouvons avoir accès à des spécialistes de haut niveau, qui contribuent volontairement au développement de nos capacités de défense et à leur mise en œuvre. Nous les appelons des elfes. Ils mettent nos systèmes à l’épreuve pour en repérer les points faibles et y remédier. Il existe une unité séparée, au sein de la Garde nationale, qui s’occupe de cyberdéfense et de cybersécurité.
C’est très complexe, car ce ne sont pas des problèmes qu’on peut régler avec une baguette magique. C’est très complexe. Nous savons que tous les systèmes de cyberdéfense sont constamment mis à l’épreuve par nos adversaires, pas seulement par la Russie. Nous savons que d’autres pays mettent à l’épreuve les composantes vulnérables de nos systèmes.
J’aime citer la boutade d’un ami, le professeur James Sherr: « Cherchez vos vulnérabilités et vous trouverez le KGB. »
Et c’est de cette façon que nous devons évaluer nos politiques et nos stratégies: repérer nos faiblesses, car elles seront tôt ou tard exploitées par la Russie, d’une façon ou d’une autre.
J’espère avoir répondu à votre question. Cette information ouvre un nouveau chapitre très vaste. Mais avant tout, nous devons investir dans notre population et dans l’éducation.
Merci, monsieur le président.
Bienvenue ici, monsieur Kols, et félicitations pour votre élection à la présidence du Comité.
Votre famille et la mienne ont quelque chose en commun. Vous avez dit que des membres de votre famille étaient au Canada, et je suppose qu’ils sont arrivés comme réfugiés après la Deuxième Guerre mondiale, comme mes quatre grands-parents.
Le Canada, c’était le pays de la liberté, et encore aujourd’hui, la population canadienne soutient massivement les efforts que nous déployons pour que la liberté qui a été rétablie en Lettonie demeure. Nous sommes partisans d’une défense vigoureuse pour empêcher que cette liberté disparaisse encore une fois. C’est déjà arrivé, et le coût humain en a été considérable.
Cela dit, le Canada a toujours été une extraordinaire terre d’asile pour les réfugiés, comme ce fut le cas des membres de votre famille, de notre famille, de ma famille. Les esclaves noirs américains empruntaient le chemin de fer clandestin pour venir se réfugier au Canada. Puis il y a eu les réfugiés de la mer vietnamiens et, plus récemment, les réfugiés syriens.
Vous avez aussi parlé des menaces non traditionnelles provenant de certains États, notamment dans le cyberespace. Nous venons de conclure une étude sur les divisions qui se créent dans cette arène virtuelle, dans ce monde virtuel, des divisions qui génèrent la xénophobie et le nativisme.
Vous avez aussi parlé des valeurs que nous partageons, et parmi les valeurs démocratiques que nous chérissons au Canada, il y a le multiculturalisme et l’acceptation des autres, quels qu’ils soient.
Que pensez-vous de cette montée en puissance du nativisme et du populisme, surtout dans les partis d’extrême droite européens, et de la menace qu’ils représentent pour l’Union européenne? Nous savons que le Kremlin est derrière tout ça. Mais que pensez-vous de ce type particulier de menaces?
C’est une très bonne question, d’autant plus pertinente que les élections au Parlement européen approchent. D’aucuns redoutent que cela redonne un nouvel élan au populisme dans tout le continent européen, et que cela alimente encore davantage ces peurs et ces phobies.
S’agissant plus particulièrement de la Lettonie, notre pays est signataire, comme d’autres pays, de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés. Si une personne a besoin d’une protection internationale, nous la lui accordons sans hésiter.
Mais cela pose bien sûr une autre question: que se passe-t-il en Europe avec l’immigration irrégulière? C’est une question qui suscite, il faut bien le dire, des positions différentes parmi les politiciens. Les États européens sont divisés en ce qui concerne la politique de la relocalisation automatique des demandeurs d’asile et des immigrants. Bon nombre de ces pays s’opposent à ce genre de politique, et la Lettonie en fait partie. Les accords et les traités de l’Union européenne définissent les compétences qui relèvent des institutions de l’Union européenne et les compétences qui relèvent exclusivement des États membres. Or, l’immigration est une compétence exclusive de chaque État membre. Par conséquent, la controverse politique qui a éclaté en Europe en 2014, lorsque ce continent a connu une arrivée massive de migrants, est toujours présente. Le populisme en Lettonie est légèrement différent du populisme dans le reste de l’Europe occidentale. C’est un populisme classique. C’est à qui promet le plus: une bien meilleure retraite, un bien meilleur salaire, etc., sans aucune précision sur la façon dont ces promesses seront financées. Ce genre de populisme, nous l’avons en Lettonie.
Dans l’ensemble, je dirai que la société lettone est très conservatrice. La majorité l’est, avec des opinions conservatrices. Comme je l’ai dit au début, nous ne sommes pas contre les réfugiés, aucun de nos politiciens n’est contre les réfugiés. Je n’en connais pas un, chez nous, qui y soit opposé. Certes, il peut y avoir des unes de journaux contre les migrants d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient, par exemple. Mais encore une fois, il faut analyser cela dans le contexte des politiques européennes qui sont en vigueur. Nous avons le règlement de Dublin et il y a le fait que nous sommes à la périphérie de l’Union européenne. Les États membres qui se trouvent à la périphérie de l’Union européenne ont certaines responsabilités particulières, notamment la protection de la frontière, l’évaluation de toutes les personnes qui la traversent, leur contrôle, etc.
Cela dit, la valeur fondamentale de l’Union européenne est, sans contredit, la solidarité. Mais la solidarité ne se limite pas à la relocalisation de ces personnes dans les États membres, elle peut se manifester sous la forme d’assistance technique, de ressources humaines…
Puis-je vous interrompre un instant? Le temps dont nous disposons est limité et j'aimerais que nous puissions traiter d'une autre question.
Il est exact que la solidarité européenne est minée de diverses façons. Les valeurs démocratiques libérales font l'objet d'attaques, ce qui a pour effet de les corrompre. Il y a également la corruption de classe. J'aimerais ici faire référence à Nord Stream et à la « schrödérisation » de longue date des élites politiques et d'affaires en Europe. C'est un phénomène que nous avons pu observer à l'occasion au Canada.
Quelles sont les interconnexions entre le système oligarchique en vigueur en Russie et certains des intérêts d'affaires en Lettonie? Pourriez-vous également nous dire ce qu'il en est du projet Nord Stream et nous indiquer ce que la Lettonie fait pour s'y opposer?
En ce qui concerne le projet Nord Stream, notre position est très claire. Nous nous opposons à un projet de ce type qui minerait la souveraineté de certains pays d'Europe. Ceux-ci deviendraient aussi plus dépendants du gaz russe. Ce projet contrevient également aux principes de gouvernance de l'union énergétique européenne, tout en étant bien sûr lié à la volonté russe d'exercer une influence sur les politiciens et les entreprises de l'Union européenne.
La position de la Lettonie n'a pas changé d'un iota dans l'ensemble des documents ou des prises de position nationales dont nous avons fait état devant les institutions de l'Union européenne. Nous serions ravis si ce projet était abandonné une fois pour toutes. J'en profite pour faire inscrire à votre procès-verbal que je serai ravi si des sanctions étaient imposées au projet Nord Stream 2, en particulier parce que celui-ci applique deux séries de normes, comme certains États membres le précisent, en particulier lors de sa seconde phase.
Nous appliquons déjà un ensemble de sanctions contre la Russie à la suite de ses agressions dans l'Est de l'Ukraine et de l'annexion illégale de la Crimée mais, pendant ce temps, Gazprom et ses associés élaborent un projet qui aurait des répercussions dans ce pays précisément attaqué par la Russie. Vous pourriez bien sûr prétendre qu'il s'agit là de décisions purement économiques et de rien d'autre, mais ce n'est pas le cas. Il se peut que, pour certains pays membres de l'Union européenne, ce soit uniquement une question économique, mais pour nous c'est l'exercice d'un pouvoir de velours de nature purement politique et destiné à accroître l'influence de la Russie dans les politiques et les affaires au sein de l'Union européenne. J'imagine que cette phase 2 de ce projet est celle qui a réussi à fragmenter le plus les avis des États membres de l'Union européenne.
Quant à votre dernière question sur la corruption, nous avons effectivement des oligarques au sens classique... Oui, il y a chez nous des personnes qui monopolisent dans une certaine mesure la richesse et l'influence politique, mais leur action a été très sensiblement réduite au cours des huit dernières années. Le Parlement a été renversé en 2012 précisément parce que l'un de ces oligarques lettons y siégeait comme député et on a alors demandé au bureau du Procureur général de faire enquête sur son appartement ou sur quelque chose de ce genre. Il fallait pour cela obtenir le consentement du Parlement qui, dans ce cas-ci, a rejeté la demande du Procureur général. C'est à partir de là que le président a émis le décret numéro deux dissolvant le Parlement, déclenchant ainsi des élections extraordinaires. Depuis lors, il y a encore de la corruption, mais plus à la même échelle ni dans les mêmes domaines. C'est un problème que nous prenons très au sérieux et que nous attaquons de front.
Nous venons de mettre en place une nouvelle direction du Bureau anticorruption. Au début, tout le monde était légèrement sceptique. Rien ne s'est passé pendant environ une année, et tout le monde a cru qu'il s'agissait d'une autre nomination qui ne servirait que quelques groupes d'intérêts, etc. Toutefois, nous constatons maintenant que Riga est touchée par le plus important scandale de corruption depuis que nous avons récupéré notre indépendance. Une fois encore, je dois rappeler que la municipalité de Riga est gérée par le parti prorusse, qui a conclu une entente avec le parti de la Russie unie. Le lien est facile à faire. J'ai peut-être à cette occasion répondu à votre question sur l'oligarchie russe.
Je vous remercie.
Monsieur Caron, vous allez disposer de davantage de temps parce que cette période de questions est un peu plus longue. Nous vous écoutons donc.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup de la présentation, monsieur Kols. C'était très intéressant.
Je vais m'abstenir de faire des blagues au sujet du hockey, même si cela me tente énormément.
J'ai deux questions à vous poser. Voici la première.
On a vu, dans l'invasion de la Crimée, l'importance que pouvait avoir la minorité russe de l'Ukraine dans les décisions que prend la Russie vis-à-vis de ses voisins, particulièrement ceux de l'ancienne Union soviétique.
Vous avez également une minorité russe en Lettonie. J'aimerais savoir quelle est, selon votre perspective, la relation qu'entretient l'État, le gouvernement, avec la minorité russe. Peut-on faire certains parallèles entre l'Ukraine et la Lettonie — peut-être que cela s'applique aussi aux autres pays baltes — en ce qui a trait à cette minorité russe et le lien qu'elle entretient avec la Russie?
[Traduction]
Pour répondre à ces questions, je dois revenir sur l'histoire et vous demander de préciser, quand vous parlez de la minorité russe, si vous entendez par là la minorité ethnique ou la minorité linguistique?
C'est une précision importante parce que, en Lettonie, les Biélorusses et les Ukrainiens parlent aussi russe.
Si nous parlons des minorités ethniques de langue russe en Lettonie, elles représentent environ 10 % de notre population. Lorsque nous parlons de la population de langue russe, elle est de 30 à 32 %, ce qui est énorme, mais les minorités de Lettonie sont très diversifiées et nous ne faisons pas la distinction entre les groupes en fonction de leur taille. Au niveau de l'État letton, le gouvernement a pris des engagements auprès des minorités de toutes natures et de toutes tailles.
Il faut que je vous précise une chose au sujet des non-citoyens et je dois pour cela faire un retour en arrière. J'ignore combien d'entre vous connaissent la loi régissant ces non-citoyens et savent pourquoi la Lettonie a adopté ce texte. Il faut remonter à 1991, lorsque nous avons retrouvé notre indépendance. Pendant les 50 années d'occupation qui avaient précédé, environ 800 000 personnes de toutes les régions de l'Union soviétique avaient été envoyées en Lettonie.
Au cours de cette même période, si on regarde ce qui s'est passé dans les trois pays baltes, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, c'est la Lettonie qui a été la plus lourdement militarisée avec l'implantation de quantité de bases militaires et la présence de troupes russes sur notre territoire. Après avoir retrouvé notre indépendance, nous comptions plus de 25 000 militaires russes, avec les membres de leur famille, en Lettonie.
La situation était légèrement différente en Lituanie. Le pourcentage de ces personnes était beaucoup plus faible, et le pays a choisi de leur accorder à tous sa citoyenneté. Ce groupe était plus important sur le territoire estonien, mais pas aussi élevé qu'en Lettonie.
À cette époque, nous avons considéré que nous ne pouvions pas accorder automatiquement notre citoyenneté à tous parce qu'ils auraient pu constituer une menace à la sécurité nationale à long terme et parce que ce n'est qu'en 1994 que les troupes russes ont enfin quitté le territoire letton. Cela dit, la situation des personnes qui n'ont pas la citoyenneté est conforme aux dispositions en la matière de la législation internationale. Ce n'est pas la Lettonie qui l'a inventée; elle s'est contentée de l'appliquer. Pendant cette période, nous avons également mis en place un processus de naturalisation, qui permet à une personne qui le désire de présenter une demande pour devenir un citoyen letton de plein droit. Elle doit bien sûr, pour cela, suivre un processus de naturalisation et faire preuve d'une connaissance de la langue nationale et de l'histoire du pays. Il n'y a pas de délai pour obtenir cette naturalisation. C'est un choix accessible à tous, jusqu'au dernier. N'importe qui peut présenter une demande. En plus de 28 ans, et oui déjà, le nombre de non-citoyens a diminué. Certains prétendent que c'est une évolution naturelle parce qu'il y a des gens qui décèdent, etc., mais beaucoup de ces non-citoyens ont décidé de demander la citoyenneté lettone.
Il reste bien sûr à répondre à la question suivante: pourquoi y a-t-il encore environ 200 000 non-citoyens sur le territoire letton? Nous ne pouvons contraindre personne à demander notre citoyenneté. Ce choix relève des droits de la personne. Il faut que je vous précise que, pour certains non-citoyens, il est très avantageux pour eux de conserver ce statut. En effet, seules deux choses leur sont interdites: le droit de vote et l'occupation d'une charge publique. Dans tous les autres domaines, que ce soit le travail, l'éducation, les études ou les déplacements à l'étranger, leurs droits sont identiques à ceux des citoyens lettons.
Ils peuvent donc voyager dans toute l'Union européenne et travailler dans les autres États membres comme des citoyens ordinaires, tout en bénéficiant en même temps, alors que la population de non-citoyens a vieilli et appartient au groupe d'âges des 55 ans et plus, du régime de pension letton et en même temps du régime russe équivalent. Ces gens gagnent donc sur les deux tableaux. Ils n'ont pas besoin d'un visa pour se rendre en Russie. Bien évidemment, cela relève de négociations bilatérales entre la Lettonie et la Fédération de Russie.
La Russie ne communique pas le nombre de non-citoyens ayant la citoyenneté russe et détenant un passeport de ce pays. Elle ne divulgue pas ces données comme on a pu le constater l'an dernier lors de l'élection présidentielle dans la Fédération de Russie. On ignore, même si elles se sont inscrites, combien de personnes ont la citoyenneté russe. On peut également se demander ce qu'il en était des touristes présents à l'époque des élections?
On a observé un nombre beaucoup plus élevé de votants en Lettonie lors de l'élection du président russe. Cela signifie que quantité de non-citoyens conservent en même temps la citoyenneté russe.
[Français]
Ce que vous me dites, au bout du compte, c'est que la situation de la minorité russophone en Lettonie est relativement différente de celle de la minorité russophone en Ukraine. La situation n'est donc pas la même.
J'ai une deuxième question, qui va probablement requérir une réponse plus courte.
Vous avez un traité de défense mutuelle avec les deux autres pays baltes, soit la Lituanie et l'Estonie, et vous prenez des mesures proactives pour défendre le territoire. À quel point la Lituanie et l'Estonie sont-elles proactives dans la mise en œuvre du traité? Il y a une présence canadienne en Lettonie. Que font la Lituanie et l'Estonie pour être proactives?
[Traduction]
J'ai un dernier commentaire à faire sur la minorité de langue russe en Lettonie. Je crois que le problème s'effacera de lui-même avec l'arrivée des nouvelles générations. Dans les générations plus jeunes parlant le russe, au moins 93 % des gens parlent couramment le letton. Même si vous vous rendez dans les régions peuplées par des gens de langue russe, et que vous demandez « Êtes-vous partisan de Poutine? »… on vous répondra « Oui, je l'appuie. » Si vous demandez ensuite « Voulez-vous que la Lettonie fasse partie de la Russie? », on vous répondra « Absolument pas. » Les gens réalisent fort bien ce qui se passe et les avantages dont ils bénéficient en vivant en Lettonie.
En ce qui concerne les autres États baltes, la Lituanie et l'Estonie, même avant le sommet de Varsovie et les décisions qui y ont été prises, la coopération entre les États baltes était très étroite, en particulier dans le domaine militaire. Nous avons aussi adhéré à leurs modalités de passation de marchés publics. Cela donne un bon exemple aux autres États membres, en particulier lorsqu'on prend en considération les nouvelles mesures incitatives adoptées en Europe, comme le Fonds de défense de l'Union européenne, ou la Coopération structurée permanente, la CSP. Cela montre bien que si les États membres veulent ramener leurs dépenses à un niveau raisonnable, ils disposent également pour cela d'un processus conjoint de passation des marchés publics.
Nous avons également des attachés militaires, des délégués des ministères lituaniens et estoniens auprès des ministères lettons. La coopération entre nous est très solide. Quand il est question de dépenses militaires, nous ne nous contentons pas d'examiner la liste et de dire, parce que nous n'avons pas quelque chose, qu'il nous faut l'acheter. Nous cherchons plutôt à déterminer ce dont nous avons besoin comme région et les achats sont donc très équilibrés entre les pays baltes. Disons, par exemple, qu'il est question de se doter d'un système radar pour détecter les avions à basse altitude alors que les besoins sont différents en Lituanie. Nous essayons de prendre en compte les besoins des autres États baltes. Nous ne nous intéressons pas uniquement aux besoins de la défense estonienne. Nous regardons la situation d'ensemble de la défense des pays baltes. Il y a beaucoup d'interactions quotidiennes entre nos trois pays.
[Français]
Merci.
[Traduction]
Enfin, nous allons maintenant écouter Mme Vandenbeld. La parole est à vous, madame.
Je vous remercie d'être venu jusqu'à nous et vous souhaite la bienvenue à Ottawa.
Je suis heureuse que vous ayez fait allusion à StratCom, et à la façon dont les menaces évoluent. Les campagnes de cyberattaques et de désinformation, en particulier celles utilisant les plateformes de médias sociaux, sont au nombre des autres moyens de menace par des états étrangers. J'ai relevé que votre ministre de la Défense a également évoqué StratCom cette semaine, et a offert de nous apporter son aide. Il faut que nous collaborions avec les autres pays partageant nos points de vue afin d'échanger des renseignements.
Mais il y a aussi un autre volet à cela. Vous avez remarqué que les troupes canadiennes bénéficient d'un soutien très marqué en Lettonie, même s'il y a eu sur Facebook une campagne de désinformation contre nos troupes. L'une des choses que j'ai constatées est que la Lettonie est dotée d'un programme scolaire très bien structuré pour acquérir la maîtrise de la pensée critique. Nous savons qu'un public éclairé ayant une bonne connaissance des médias est notre meilleure défense face à des campagnes de désinformation comme celle-ci.
Je veux avant tout vous demander si vous estimez que cette sorte de pensée critique, enseignée dans les écoles de Lettonie, joue un rôle pour parvenir à réduire les effets néfastes de certaines de ces fausses nouvelles ou de ces informations erronées, et si vous pensez qu'il peut y avoir des échanges entre les pays sur ces questions?
C'est une excellente question. En ce qui concerne l'engagement, la jeune génération est particulièrement vulnérable. Au XXIe siècle, l'information se propage à très grande vitesse. Il est difficile de définir ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Il est très facile de manipuler l'esprit et le cœur des gens.
Lorsque nous parlons de la génération la plus jeune, oui, nous avons commencé en Lettonie à mettre en place une réforme de l'éducation qui est aujourd'hui la plus importante dans le système éducatif. Elle touche non seulement à l'optimisation du réseau scolaire, etc., mais également au contenu de l'éducation. Nous avions un système d'éducation qui reposait sur les vestiges de l'Union soviétique et sur le type de pensée voulant qu'on ne puisse pas développer de capacités individuelles, etc., qu'il faut apprendre par cœur, phrase par phrase, et cela ne développe pas la personnalité.
C'est ce qui nous a amenés à appliquer des réformes importantes au contenu de notre éducation. L'une de ces réformes concerne l'éducation aux médias. C'est un enseignement qui ne se donne pas dans un cours précis, mais qui est lié à divers sujets.
Sauf erreur de ma part, c'est à compter de 2021 que nous allons mettre en place dans les écoles un programme d'études sur la défense. Monsieur l'ambassadeur pourra me corriger au besoin. Des cours seront donnés une fois par semaine aux élèves du secondaire qui prendront fin avec un camp de 10 jours pendant l'été. Ceux qui sont intéressés par des carrières militaires auront déjà une idée de la nature de ce cours. Il amènera également à développer la pensée critique, etc. Nous sommes convaincus que nous devons investir franchement dans cette direction.
Il ne s'agit pas uniquement du système d'éducation, cela concerne également les professionnels du journalisme. C'est pourquoi nous avons mis sur pied un centre d'excellence des médias dans lequel nous dispensons un enseignement aux jeunes journalistes, et pas uniquement de Lettonie, mais aussi à ceux de nos pays partenaires d'Europe de l'Est. Nous savons que ces derniers sont très touchés par les informations erronées à une telle échelle que la situation est totalement différente de ce qu'elle est dans les pays occidentaux.
C'est un problème complexe auquel nous nous attaquons déjà concrètement. Cela dit, en Lettonie comme dans les pays baltes, et une fois encore je sais fort bien qu'à l'Occident tout le monde a parlé de la propagande russe après les affaires de Crimée et de Maidan, et qu'on a dit qu'il s'agissait de propagande.
Par définition, la propagande vise à obtenir l'assentiment des cœurs et des esprits. Dans le cas de l'approche retenue par le Kremlin, il s'agit d'une guerre de l'information par ce que l'objectif de Poutine n'est pas de gagner les cœurs et les esprits. Il s'en fiche complètement. Ce qu'il veut avec ce type d'approche, c'est répandre la crainte, la méfiance des gens envers leurs institutions démocratiquement élues et envers la qualité même de leur État.
Lorsque nous parlons de la désinformation de la Russie, nous devrions donner à cette pratique le nom qui est le sien. C'est une guerre de l'information et elle est menée à une échelle que nous n'avons probablement vue que pendant cinq ans dans les pays occidentaux. Dans les pays baltes, nous avons à la subir au quotidien depuis que nous avons conquis notre indépendance. Notre épiderme est devenu plus résistant face à ce phénomène, tout comme la résilience de notre société, mais il y a bien évidemment des gens qui sont persuadés ou touchés beaucoup plus facilement. Nous devons nous occuper de ces groupes vulnérables au sein de notre société et l'un d'eux est celui des jeunes.
Il ne faut pas se surprendre que la Russie applique des contre-mesures. Nos activités sont limitées. Je sais fort bien que Poutine utilise nos valeurs contre nous. Il sait combien nous chérissons notre liberté de parole, notre liberté de penser et les valeurs essentielles de notre démocratie. Il attend tout simplement le moment où un quelconque pays occidental limitera le nombre de canaux de télévision ou la diffusion de certains articles, ou autre chose, pour décrier nos valeurs.
Il dira qu'il s'agit de censure en ajoutant « Vous vous opposez à nous quand nous pratiquons ces méthodes, et bien regardez-vous maintenant dans le miroir. »
Il faut que nous nous dotions de politiques et de stratégies très intelligentes. Même pour nous, c'est une situation très complexe au sein de l'Union européenne. Une fois encore, nous avons nos propres règlements avec leurs directives d'application. L'une d'elles s'appelle la Directive audiovisuelle; elle interdit d'empêcher la diffusion de canaux de télévision dont les émissions proviennent de l'Union européenne. Quantité de canaux de propagande russe, je ne leur accorde pas le nom de média parce que nous n'avons pas à légitimer la propagande comme un média d'information. C'est le cas de RT et Spoutnik News qui sont enregistrés au Royaume-Uni. Jusqu'à maintenant, le Royaume-Uni est encore un État membre de l'Union européenne.
En Lettonie, nous avons un grand nombre de canaux de télévision qui ne sont diffusés que dans les états baltes. On y observe couramment des discours de haine et des invitations à la violence. Notre droit criminel nous permet en théorie d'intervenir, mais nous ne pouvons le faire concrètement parce que leurs émetteurs sont enregistrés dans d'autres pays membres de l'Union européenne. C'est un problème très complexe.
C'est là encore une vulnérabilité. Oui, nous disposons d'un très bon cadre juridique, mis en pratique et protégeant la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux comme dans le reste de l'Union européenne. Si nous essayons d'y imposer certaines restrictions, Poutine va en arguer à nos dépens et nous nous ferons dire: « Vous définissez vos propres lois et vos propres règlements que vous ne respectez pas vous-même. »
Nous allons nous interrompre ici parce que nous devons nous attaquer à d'autres tâches. Je tiens à remercier chaleureusement de leur présence son excellence l'ambassadeur et M. Kols. Je leur suis reconnaissant d'avoir participé avec nous à des discussions sur l'importance de la relation entre notre pays, l'OTAN, sur les menaces posées par l'agression russe et la façon d'y réagir et, bien sûr, sur les volontés démocratiques qui s'expriment dans toute la région.
Cela dit, nous allons suspendre nos travaux avant de les reprendre pour nous occuper des affaires du Comité.
Je tiens à vous remercier, monsieur le président, ainsi que les honorables membres du Comité de nous avoir donné l'occasion de nous entretenir avec vous et d'engager la discussion.
J'aimerais également profiter de cette occasion pour inviter votre comité à visiter la Lettonie. C'est une invitation officielle. Venez nous voir. Il y a quantité de choses à découvrir et vous constaterez qu'il y a quantité de questions justifiant de vous impliquer avec la Lettonie. Je vous saurais sérieusement gré d'envisager une visite en Lettonie dans l'avenir.
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