FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 23 mars 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Distingués collègues, la séance est ouverte. Conformément à l'article 108(2) du Règlement, le Comité reprend son étude de la situation en Europe orientale et en Asie centrale 25 ans après la fin de la guerre froide.
Aujourd'hui, pour le Congrès ukrainien canadien, nous recevons M. Michalchyshyn et M. Zakydalsky.
Comme toujours, nous allons permettre aux témoins de nous livrer certaines observations, puis nous allons faire place aux questions et au dialogue.
Messieurs, la parole est à vous.
Nous allons partager notre temps de parole, et c'est moi qui commencerai.
C'est un honneur d'avoir l'occasion de témoigner ici aujourd'hui. Le Congrès ukrainien canadien est l'organisation-cadre de notre communauté. Elle regroupe les différents organismes ukrainiens nationaux, provinciaux et régionaux du Canada. Il y a 6 conseils provinciaux, 19 directions régionales et 29 organismes membres à l'échelle du pays. Depuis 1941, notre travail consiste à promouvoir, à coordonner et à représenter les intérêts de la communauté ukrainienne dans l'ensemble du Canada.
Nous sommes membres du Congrès mondial des Ukrainiens, avec lequel nous travaillons en étroite collaboration. Nous travaillons aussi avec d'autres communautés ethnoculturelles de l'ensemble du pays. Notre Conseil consultatif des intervenants Canada-Ukraine intervient auprès d'Affaires mondiales Canada afin de conseiller le gouvernement du Canada au sujet des relations Ukraine-Canada. Dans cette optique, nous rencontrons régulièrement les fonctionnaires gouvernementaux, les politiciens, les intervenants, les décideurs ainsi que les leaders de notre communauté.
Nous sommes ici aujourd'hui pour vous parler de la situation qui prévaut actuellement en Europe orientale, 25 ans après la fin de la guerre froide. Selon nous, l'étude que vous avez entreprise à ce sujet est d'importance capitale.
Au cours de la dernière décennie, nous avons assisté à la montée d'une Fédération de Russie agressive et impérialiste qui cherche par la force à rétablir l'hégémonie russe dans les régions qui faisaient autrefois partie de l'Union soviétique. Par exemple, en 2008, les troupes russes ont envahi les républiques d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, en Géorgie. En 2014, la Russie a envahi et occupé la Crimée, en Ukraine, et certaines parties des oblasts ukrainiens — l'équivalent des provinces — de Donetsk et de Luhansk. Ces provocations à l'endroit des États baltes — comme l'enlèvement d'un agent des services du renseignement estoniens et l'arraisonnement du navire lituanien, en septembre 2014 —, laisse supposer que Moscou est en train de mettre à l'épreuve l'engagement de l'OTAN à l'égard de ses membres les plus à l'est.
C'est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu'un État tente de modifier les frontières en utilisant la force. L'Europe unie, libre et en paix que l'on connaît est menacée directement par la Russie. La Russie cherche à remplacer les principes de l'Acte final d'Helsinki par les principes de Yalta, c'est-à-dire une Europe assujettie à des sphères d'influence.
Dans la Crimée sous occupation russe, les Tatars de Crimée, les Ukrainiens d'origine et, en fait, tous ceux qui s'opposent à l'occupation se voient imposer un régime de terreur. Les autorités russes qui occupent le pays ont banni le Majlis, l'assemblée représentative des Tatars de Crimée, et ont persécuté ses dirigeants. Des douzaines de citoyens ukrainiens sont actuellement détenus illégalement en Russie ou en Crimée occupée.
L'automne dernier, le Comité de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre des communes a entendu le témoignage de Gennadii Afanasiev, un jeune homme arrêté illégalement, puis torturé et emprisonné pendant deux ans, soit jusqu'à sa libération, en 2016. J'invite les membres qui ne connaissent pas cette histoire à prendre connaissance du témoignage de ce jeune homme. Son expérience rend compte des méthodes utilisées par les autorités russes contre ceux qui osent leur résister de quelque façon que ce soit.
Dans les oblasts ukrainiens orientaux de Donetsk et de Luhansk, la guerre que la Russie mène à l'Ukraine a fait 9 900 morts, plus de 23 000 blessés et plus de 1,4 million de déplacés à l'intérieur du pays. Des milliers de soldats russes circulent en territoire ukrainien souverain. On compte plus de 700 tanks, 1 250 systèmes d'artillerie, 300 systèmes de lancement à missiles multiples et plus de 1 000 véhicules blindés pour le transport de troupes.
La guerre que la Russie mène contre l'Ukraine est une guerre très active. Les forces russes et les forces qui travaillent pour la Russie bombardent les positions ukrainiennes et les zones résidentielles sur une base quotidienne. Depuis la fin de janvier, les bombardements et la violence attribuables aux Russes et aux autorités mandataires se sont intensifiés, surtout aux alentours de la ville d'Avdiivka, dans l'oblast de Donetsk.
L'invasion russe en Ukraine fait actuellement l'objet d'une affaire que les autorités ukrainiennes ont soumise à la Cour internationale de justice au motif de violations alléguées de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Le 6 mars, le sous-ministre ukrainien des Affaires étrangères, M. Olena Zerkal, affirmait:
Les attaques contre les civils ukrainiens sont la conclusion logique du soutien de la Fédération de Russie aux groupes qui pratiquent le terrorisme. La destruction du vol MH17 par un système Buk piloté par les Russes n'a pas empêché ces derniers de continuer à financer le terrorisme.
Le Canada et la politique étrangère du Canada appuient les valeurs de liberté, de démocratie, d'autodétermination et le droit qu'ont les États souverains de choisir leurs propres alliances. Ces valeurs sont menacées par cette résurgence de l'esprit impérial russe. Pour les besoins de la sécurité nationale, le Canada a un intérêt vital à assurer le retour de la paix et de la stabilité dans cette région et sur le continent européen, ainsi qu'un intérêt vital à combattre et à dissuader l'agression russe.
La portion nord du Canada a une longue frontière commune avec la Russie, et les agissements des Russes sont une menace directe à la souveraineté du Canada dans l'Arctique. Les experts ont souligné à maintes reprises que la militarisation de l'Arctique restera vraisemblablement une priorité centrale de l'armée russe au cours des prochaines années.
Je vais maintenant laisser la parole à mon collègue, M. Orest Zakydalsky.
La politique étrangère du Canada à l'égard de l'Europe orientale et de l'Asie centrale doit viser les deux objectifs stratégiques suivants. Premièrement, combattre et dissuader l'agression russe et, deuxièmement, appuyer le renforcement des démocraties et des institutions démocratiques de la région. La meilleure façon de permettre le retour de la paix en Europe est d'appuyer le succès d'une Ukraine démocratique, prospère et forte, dont l'intégrité territoriale et la souveraineté sont respectées.
La politique du Canada pour dissuader la Russie — politique qui a été mise en oeuvre en consultation et coordination étroites avec les États-Unis, les alliés de l'OTAN et l'Union européenne — a sans doute eu l'effet de ralentir l'agression russe, mais elle n'a toujours pas réussi à la repousser. Par ses actions, la Russie a maintes fois démontré qu'elle ne répond qu'à la force. En matière de politique étrangère, le Canada dispose de plusieurs moyens pour à la fois augmenter considérablement le coût d'une future agression pour la Russie et aider l'Ukraine à mieux se défendre. Il faut toutefois que tout cela se fasse en coordination avec les alliés.
Le Congrès ukrainien canadien demande au gouvernement du Canada de mettre en oeuvre les politiques suivantes dans les trois sphères que sont la sécurité et la défense, les sanctions et l'aide internationale.
Premièrement, en ce qui concerne la sécurité et la défense, le Congrès ukrainien canadien accueille favorablement l'annonce du gouvernement de prolonger l'opération Unifier jusqu'à la fin du mois de mars 2019. Nous croyons que l'accord de coopération en matière de défense entre le Canada et l'Ukraine devrait être signé. Cet accord permettra de continuer à améliorer et à intensifier l'interopérabilité et la coopération entre nos deux armées. L'Ukraine devrait également être ajoutée à la liste des pays désignés pour les armes automatiques. Nous devrions continuer à soutenir la réforme de l'armée ukrainienne par l'intermédiaire du fonds en fiducie de l'OTAN destiné à l'Ukraine. Enfin, le Canada et les alliés de l'OTAN devraient fournir du matériel de défense à l'Ukraine, notamment des systèmes d’armes antichars et anti-artillerie ainsi que des systèmes de surveillance.
En ce qui concerne les sanctions, le Canada devrait travailler en coopération avec l'UE, le G7 et d’autres alliés aux vues similaires afin de renforcer considérablement les sanctions économiques et sectorielles contre la Russie, dont l'expulsion de la Russie du système international de paiement SWIFT. Le Parlement canadien devrait adopter une modification de type Magnitsky pour sa Loi sur les mesures économiques spéciales afin de permettre au Canada d'imposer des sanctions sous la forme d'interdiction de voyager et de gel des actifs pour les personnes responsables des violations des droits de la personne. Le gouvernement du Canada devrait désigner « organisations terroristes » les prétendues républiques populaires de Donetsk et de Luhansk, et affirmer que la Fédération de Russie est un État qui soutient le terrorisme.
En ce qui concerne le deuxième volet, le Canada devrait veiller à ce que l'Ukraine reste un pays privilégié pour son aide internationale et une priorité clé de sa politique étrangère. Nous devrions poursuivre et bonifier l'aide technique destinée au gouvernement ukrainien et intensifier notre aide à la société civile dynamique de l'Ukraine afin d'assurer le succès du processus de réforme du gouvernement et la consolidation assidue des institutions démocratiques du pays.
La mise en oeuvre de l'accord de libre-échange Canada-Ukraine permettra de multiplier les occasions d'affaire et d'investissement. Le Canada devrait continuer de soutenir le développement économique en Ukraine, notamment en ce qui a trait aux petites et moyennes entreprises. Le Canada devrait continuer de fournir de l'aide humanitaire à ceux qui sont touchés par l'invasion russe, tant par l'intermédiaire des institutions internationales que de façon bilatérale. Enfin, le Canada devrait continuer de défendre l'Ukraine sur les forums internationaux tels que l'OTAN, l'OSCE — l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe — et les Nations unies, et il devrait l'aider à s'intégrer toujours davantage à l'Union européenne et à l'OTAN.
Pour le Canada, il est d'une importance vitale de veiller à ce que l'Europe reste unie, libre et en paix. Cet objectif ne pourra se concrétiser sans une Ukraine démocratique, souveraine et intacte sur le plan territorial.
Nous vous remercions de nous avoir invités à comparaître. Nous nous ferons une joie de répondre à toutes vos questions.
Merci beaucoup au Congrès ukrainien canadien.
Nous allons tout de suite passer aux questions, en commençant par M. Kent.
Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux d'être là. Vos points de vue sont toujours les bienvenus ici, dans les comités.
Cette semaine, l'OSCE nous a informés que les violations de cessez-le-feu avaient diminué sur la ligne de front, même si les deux côtés sont encore très près l'un de l'autre. Les blindés et l'artillerie automotrice russes sont encore trop près de la ligne de front pour permettre un quelconque retour à la normale.
En même temps, nous constatons que le blocus est en train d'aggraver la crise économique. Pour des raisons tout à fait logiques, Kiev a affirmé qu'à partir de cette semaine, le blocus sera complet, et qu'aucun camion de marchandises ne pourra entrer en Ukraine orientale ou en sortir. Sauf que cela a eu un certain nombre d'effets secondaires. D'après ce que j'ai compris, la production industrielle a diminué de moitié. Le FMI a retardé l'octroi d'une somme de 17,5 milliards de dollars destinée à aider et à stimuler l'économie. Les séparatistes soutenus par Moscou demandent maintenant la tenue d'un référendum — un peu comme celui d'inspiration russe qui s'est tenu en Crimée — sur l'intégration à la Russie.
Pouvez-vous nous donner votre avis sur la façon dont ce blocus sera géré, étant donné les multiples effets délétères qu'il aura sur le terrain?
En ce qui concerne le blocus, la banque centrale a annoncé hier qu'elle revoyait à la baisse la croissance du PIB pour 2017, de 2,5 à 1,9 % ou quelque chose dans ces eaux-là. Bien sûr, le blocus a une incidence, mais ce n'est absolument pas catastrophique pour l'économie ukrainienne.
Pour ce qui est de l'aide du FMI, à compter du moment où ces chiffres auront été communiqués à l'organisme, il faudra compter quelques semaines avant qu'arrive la prochaine tranche de financement, du moins, c'est ce que je crois. Cela représente 1 milliard des 17,5 milliards de dollars que vous avez évoqués.
En ce qui concerne ce qui se passe dans les territoires occupés, ces prétendues républiques populaires sont complètement contrôlées par le Kremlin. Ce sont des marionnettes. Essentiellement, elles font ce que Moscou leur dit de faire. Nous ne devons pas oublier que Kiev a cessé de commercer avec ces républiques parce qu'elles ont saisi des entreprises ukrainiennes qui opéraient dans ces régions. Ce blocus résulte en grande partie des gestes posés par la Russie et par ses mandataires.
Étant donné qu'il s'agit du centre industriel et compte tenu de l'incidence négative énorme que le blocus peut avoir sur l'économie de l'Ukraine du côté ouest, diriez-vous que la seule raison qui pourrait justifier la levée du blocus serait que les séparatistes se conforment à cent pour cent aux accords de Minsk et que les Russes les respectent?
Je crois que c'est ce que Kiev a dit, et je pense que c'est exact. Ce que nous avons vu, c'est que les Russes violent systématiquement les accords de Minsk depuis le tout début. Pas un seul point de ces accords n'a été mis en oeuvre. De loin en loin, il y a bien sûr eu quelques périodes de calme relatif pendant une semaine ou deux, mais la Russie peut décider à tout moment de faire grimper la violence et la pression de nouveau. La mise en oeuvre des accords de Minsk dépend en partie de la pression accrue que les pays occidentaux exerceront pour forcer la Russie à se plier à ces obligations.
J'ai une question rapide pour vous, et c'est une grosse question concernant la réforme. Lorsque le Comité s'est rendu en Ukraine, en janvier, nous avons constaté — et on nous l'a confirmé — qu'il y avait un certain nombre de signes très encourageants au sujet de la réforme de la société civile et de la police, de la formation aux médias et de l'aide juridique, cette aide que soutient l'Institut national de la magistrature du Canada. Toutefois, beaucoup nous ont dit qu'un grand nombre d'Ukrainiens, si ce n'est la majorité, croient encore que la corruption est une réalité quotidienne, et qu'il est impossible de faire sa vie sans s'y frotter, que ce soit à petite ou à grande échelle.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'urgence d'apporter des changements. J'aimerais savoir comment vous croyez que l'urgence de mettre en place une réforme réaliste pourrait être communiquée de haut en bas par l'intermédiaire du système judiciaire, du Parlement et de la société civile, afin que ladite réforme puisse se matérialiser plus tôt que plus tard.
Absolument. Nous sommes d’accord avec les constatations de votre comité. Chaque fois qu’il y a un progrès dans les domaines bien en vue que sont le maintien de l’ordre et la justice, nous sommes susceptibles de découvrir un peu plus de corruption. C’est l’un des paradoxes avec lesquels le système de justice doit composer. Plus le système consacre de ressources pour lutter contre la corruption, plus il constate l’étendue de la corruption dans ses propres rangs.
De toute évidence, un organe d’information libre et ouvert peut rendre compte de cette situation, mais cela ne fait qu’augmenter la méfiance au sein du public. Nous avons tous les deux de la famille là-bas. Nous savons donc qu’en plus de ce qui est fait pour lutter à la fois contre la corruption et le cynisme, il importe que des efforts soutenus et à long terme soient déployés pour contrer cette corruption systémique. C’est aussi simple que cela. Le système de santé n’est pas financé adéquatement, et c’est la même chose pour le système scolaire. Les parents ou les patients remettent donc de l’argent aux enseignants ou aux médecins pour que leurs enfants ou eux-mêmes puissent recevoir un peu plus. Cette pratique n’est pas perçue comme une ponction officielle à même les pourcentages d’un prêt ou d’un programme gouvernemental; la corruption s’opère de maintes façons.
Nous travaillons par l’intermédiaire du Congrès ukrainien canadien et avec les partenaires que nous avons là-bas — dont bon nombre sont des organisations non gouvernementales — afin de constituer une base de financement solide qui permettra à ces organismes de mettre en oeuvre des plans qui s’étendront sur plusieurs années et qui ne seront pas de simples feux de paille. Ce problème ne saurait être complètement résolu en trois ou cinq ans. Il a fallu beaucoup de temps au système pour se mettre en place. C’est une question qui touche aux valeurs sociales et à la citoyenneté, et nous constatons un certain progrès dans ces domaines. Je crois toutefois que le message principal que nous souhaitons communiquer aux parlementaires que vous êtes et au Canada en général, c’est qu’il ne faut pas que les petits reculs et les histoires lamentables de corruption qui sont mises au jour nous incitent à retirer notre soutien. Toutes ces choses nous disent en fait que nous sommes au diapason avec nos partenaires en Ukraine et que ces partenaires sont les bons. Il s’agit surtout de gens qui sont issus de la jeune génération et qui n’ont pas été impliqués autant que d’autres dans le système gouvernemental. Beaucoup de gens de l’ancien régime ont pris la fuite.
Encore une fois, Ivanna Klympush-Tsintsadze était ici. C’est la vice-première ministre de l’Ukraine, une ancienne activiste de la société civile et une ancienne journaliste. Elle fait partie des personnes qui ont hérité de ce désastre. Nous croyons que, dans la majorité des cas, les choses vont dans la bonne direction. Nous croyons aussi qu’il faudra une vision soutenue et à long terme pour surmonter cet énorme problème qui concerne à la fois la société officielle de l’Ukraine et sa société non officielle.
Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux d'être là.
Dans votre exposé, vous avez dit que le monde occidental allait devoir continuer à faire pression. Comme vous le savez, le Canada est l'un des grands défenseurs de l'Ukraine sur la scène internationale, ce qui s'illustre par sa récente décision de prolonger jusqu'en 2009 sa mission militaire dans ce pays. Nous sommes sur le terrain depuis 2015. Nous avons environ 200 personnes qui s'emploient à entraîner les militaires ukrainiens. Jusqu'ici, nous avons contribué à former jusqu'à 3 200 membres de l'armée ukrainienne.
Selon vous, ce soutien à l'entraînement aide-t-il l'armée à se défendre sur le terrain?
Je vous demande pardon. Vous voulez savoir si cet entraînement a aidé l'armée ukrainienne à se défendre?
Sans l'ombre d'un doute. Avec l'opération Unifier, l'accent est mis sur l'entraînement en petites équipes, la neutralisation des bombes, les mines terrestres et d'autres choses de ce type.
Ce que l'on nous a dit, c'est que les choses de ce type sont celles dont on a vraiment besoin — cette sorte de commandement destiné aux petites équipes, aux équipes auxiliaires. Assurément, tout ce que nous avons entendu des gens qui sont sur place, c'est que cet entraînement a eu un énorme impact.
L'autre chose qu'il ne faut pas oublier, c'est que cette aide n'est pas à sens unique. En fait, les militaires canadiens déployés là-bas apprennent beaucoup de choses de leurs vis-à-vis ukrainiens au sujet des tactiques hybrides des Russes, etc. Je crois que l'opération Unifier est un exemple d'interaction où tout le monde est gagnant, autant nous que l'Ukraine.
Permettez-moi de donner un exemple particulier. La formation et la certification en matière de premiers soins sont des domaines où... Je sais que la mission militaire canadienne travaille à rehausser les normes en matière de premiers soins en formant les soldats qui ne s'y connaissent pas. C'est un autre exemple de ce que notre communauté cherche à améliorer par l'intermédiaire du congrès mondial. Nous voulons fournir des trousses de premiers soins — ou ce que l'on pourrait désigner comme une trousse de premiers soins en bonne et due forme — et une formation aux intervenants de première ligne, car nous savons que c'est quelque chose qui nous manque.
C'est une décision directe du Canada et de notre communauté, l'objectif étant de faire en sorte qu'il y ait moins de morts qui soient causées par des blessures subies au front. En effet, nombre des blessés meurent parce qu'ils sont envoyés d'office à l'hôpital au lieu d'être traités sur-le-champ, au front. C'est l'un des effets directs de la formation canadienne que nous pouvons constater.
Ma deuxième question concerne les changements qui se produisent aux États-Unis et sur le fait que la « puissance douce » exercée par ce pays est sans aucun doute en train de s'effacer. Croyez-vous que la Russie pourrait changer ses plans d'avenir, surtout à la lumière des efforts d'intervention en Ukraine?
Bien sûr. En ce qui concerne la politique américaine au sujet de l'Ukraine, je dirais que la position traditionnelle était de soutenir l'Ukraine par l'intermédiaire de l'OTAN, de l'UE et directement. Nous avons des alliés importants au Congrès et au Sénat américain qui se sont rendus en Ukraine et qui comprennent de quoi il retourne.
Aucune des interventions russes que nous avons vues jusqu'ici ne semble indiquer un changement d'attitude de la part de la Russie. La mission militaire canadienne est l'une des nombreuses autres missions d'entraînement déployées par des pays de l'OTAN pour former les troupes ukrainiennes, nommément la Pologne, la Lettonie, les États-Unis et l'Allemagne. Rien de cela n'a suffi à convaincre la Russie de changer de cap. En Ukraine, au Canada et comme partout ailleurs, on surveille de près la nouvelle administration américaine et sa position en la matière. Nous ne savons vraiment pas à quoi nous attendre.
Monsieur Zakydalsky, vous avez mentionné à quelques reprises que le monde occidental doit maintenir la pression. Selon vous, l'intervention a-t-elle gagné ou perdu en intensité au cours de la dernière année, ou des six derniers mois? Vers quoi nous dirigeons-nous?
Je crois que toute démarche qui aurait pour objet d'adoucir les sanctions et de miner la détermination des pays occidentaux se traduira par une recrudescence de la violence et par une intensification des opérations militaires russes. Au minimum, il semble que la pression et les sanctions exercées à l'heure actuelle arrivent à garder les Russes là où ils sont. En effet, la ligne de front en Ukraine n'a pas beaucoup bougé.
Il y a deux ans, à Debaltseve et à Avdiïvka, des choses ont été tentées sur une base individuelle. Une partie de cela est attribuable au fait que l'armée ukrainienne est beaucoup plus forte, beaucoup mieux équipée et beaucoup mieux préparée que lorsque l'invasion a commencé. Pour cela, il faut selon moi saluer la réponse efficace et unifiée des alliés européens, des États-Unis et du Canada. Toutefois, tout affaiblissement à cet égard se traduira par une recrudescence des assauts russes pour s'emparer du territoire. Je crois que nos expériences passées nous ont appris qu'il faut être en position de force pour traiter avec la Russie. C'est pour cette raison que nous croyons que la fin de l'occupation russe en Ukraine orientale et en Crimée passe par une augmentation de la pression exercée sur l'occupant.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Messieurs Zakydalsky et Michalchyshyn, merci beaucoup d'être avec nous ce matin et d'avoir livré vos présentations.
Vous avez mentionné le besoin de renforcer les sanctions canadiennes. Vous avez fait référence à des mesures de type Magnitsky. Le Comité vient de terminer une étude dans laquelle nous avons inclus certaines mesures de ce type. Lors de cette étude, nous avons pu constater que, malheureusement, le système de sanctions du Canada n'était pas toujours mis en oeuvre de la façon la plus efficace possible.
Par ailleurs, je suis toujours préoccupée par le fait que le nom de quelqu'un comme Vladimir Yakunin ne figure pas sur la liste des sanctions canadiennes, bien qu'il figure sur celle des sanctions américaines.
Que pensez-vous de l'effet que les sanctions canadiennes peuvent avoir? Au-delà des sanctions de type Magnitsky, comment pouvons-nous renforcer notre régime de sanctions à l'égard de la Russie?
[Traduction]
Il y a deux choses. Premièrement, Magnitsky donne au Canada les outils qu'il lui faut pour sanctionner les violateurs des droits de la personne en Russie, et si je me fie à certains témoignages, l'effet est probablement encore plus étendu. Cela est extrêmement important pour montrer aux intervenants qui appuient le régime russe qu'ils ne peuvent pas s'en tirer aussi facilement, que leurs faits et gestes sont surveillés. Cela fait aussi en sorte que les autres intervenants y penseront peut-être à deux fois avant de décider s'ils veulent poursuivre dans cette voie.
Contrairement à ce qui se passait à l'époque de l'Union soviétique, les intervenants russes et les gens d'affaires russes gardent leur argent dans des banques occidentales plutôt que dans des banques russes, alors nous disposons d'un levier bien concret — ou nous en aurons un, je l'espère, une fois que les mesures de type Magnitsky seront adoptées — pour exercer une assez grande pression sur ces personnes et, par la même occasion, sur le régime russe. La réaction très vive qu'a eue la Russie lorsque les États-Unis ont adopté la Loi Magnitsky, en 2012, ne vient pas de nulle part. C'est parce que cette loi est un outil efficace.
Le deuxième enjeu important, ce sont les sanctions sectorielles imposées à l'économie russe. Le Canada, les États-Unis et l'Union européenne ont mis en oeuvre de nombreuses sanctions de ce type, et nous croyons qu'elles devraient être renforcées. Ces sanctions fonctionnent lorsqu'elles sont toutes mises en oeuvre en même temps.
L'une des choses que nous aimerions beaucoup voir, ce serait que le Canada prenne la direction à cet égard et qu'il plaide cette cause auprès des Américains et des partenaires européens, car ces mesures sont certes efficaces lorsqu'elles sont prises unilatéralement, mais elles ne le seront jamais autant que si elles sont mises en oeuvre en concertation avec d'autres. Que ce soit ici, au Canada, dans l'Union européenne ou aux États-Unis, je crois que c'est quelque chose que tout le monde comprend; ces mesures doivent être prises de concert avec les autres. Que ce soit à l'OTAN, auprès de l'UE ou au G7, nous espérons que le Canada continuera de défendre énergiquement le maintien des sanctions actuelles, car nous n'avons vu aucun changement dans le comportement de la Russie. Nous espérons en outre que le Canada appelle à un renforcement de ces sanctions afin d'augmenter la pression sur le régime russe par le biais économique.
[Français]
Vous avez aussi mentionné le grand nombre de
[Traduction]
personnes déplacées à l'intérieur du pays.
[Français]
Il est question de près de 1,5 million de personnes.
Pouvez-vous nous donner des détails sur la situation générale de ces personnes déplacées à l'intérieur du pays? Où se trouvent-elles? Comment vivent-elles?
[Traduction]
C'est effectivement une situation qui n'est pas très connue. Comme il s'agit de quelque chose qui a cours depuis plusieurs années et dans plusieurs régions, il est difficile de dire exactement où sont toutes ces personnes. Nous savons que le gouvernement canadien se sert des partenariats qu'il a en Ukraine avec la Croix-Rouge et d'autres organismes pour fournir une certaine aide d'urgence et une aide de plus longue haleine. Nous croyons toutefois que les capacités de ce programme de soutien ne suffisent pas à la tâche.
Ce que nous savons, c'est que les gens sont de plus en plus nombreux à fuir les zones de conflit, puisqu'il n'y voit aucun avenir sur le plan financier. Il n'y a pas de système de santé, pas de système d'éducation et, comme on l'a dit, l'économie dans ces zones est en très mauvais état. Malheureusement, les personnes âgées sont souvent laissées derrière, car elles n'ont nulle part où aller et aucun moyen de se déplacer. Dans ces zones de conflit, les personnes âgées constituent la majorité des victimes.
Ce que nous avons constaté sur le terrain, c'est que la société civile et certains organismes gouvernementaux essaient de mettre sur pied des centres d'accueil dans d'autres régions et de fournir de l'aide en matière de logement, de langue et de formation professionnelle. Inutile de rappeler que les capacités du gouvernement ukrainien et de la société civile sont plutôt modestes. C'est un nouveau problème qu'ils essaient de régler depuis deux ans et demi. Nous aimerions que ces questions fassent l'objet d'une attention renouvelée. Bien entendu, il y a de par le monde de nombreux exemples de programmes qui fonctionnent bien à cet égard.
Je crois que la grande question que les déplacés se posent à l'heure actuelle — du moins ceux dont nous avons des échos —, c'est combien de temps resteront-ils en exil? Doivent-ils se refaire une vie dans une autre région du pays ou seront-ils en mesure de réintégrer leur patelin? Je crois que cette incertitude quant au conflit et à sa longueur est ce qui cause le plus d'instabilité dans la population ukrainienne. Le nombre de déplacés atteint presque les deux millions, ce qui fait beaucoup de monde.
[Français]
Bonjour à vous deux, et merci de vous être déplacés ce matin.
J'aimerais parler de la situation dans le Donbass. Nous avons une mission spéciale de surveillance qui est sur place, et la ligne de contrôle a été établie il y a deux ans de cela, si je ne m'abuse. Je crois qu'il n'y a que cinq postes de contrôle frontalier le long de cette ligne. Or, cette ligne n'est-elle pas devenue la frontière de facto entre la Russie et l'Ukraine?
La raison pour laquelle je dis cela, c'est que dans d'autres conflits — c'est même le cas au Cachemire —, la ligne de contrôle, qu'elle ait été convenue ou pas, est quelque chose qui a été établi et accepté par les deux côtés. De plus, il y a une pression externe pour que soit maintenu un certain équilibre entre ce qui est sous contrôle russe et ce qui est sous contrôle ukrainien... À l'heure actuelle, lorsqu'il y a des postes de contrôle frontalier et lorsque la ligne a été établie et acceptée, c'est cette ligne qui devient la ligne de contrôle.
Cette ligne est-elle devenue la frontière de facto entre la Russie et l'Ukraine?
Une partie des accords de Minsk stipulait que la Russie devait s'obliger à retirer ses forces du territoire ukrainien. Le libellé a été conçu pour ne pas dire qu'il s'agit des forces russes, mais c'est quand même le sens de cette disposition.
La ligne de contact qui sépare le territoire ukrainien occupé dans le Donbass et les oblasts de Donetsk et de Luhansk d'un côté et, de l'autre, le territoire sous contrôle ukrainien n'est pas... Je n'appellerais pas cela une frontière. C'est une ligne qui sépare deux armées. D'un côté, il y a l'armée russe et son armée de substitution, et de l'autre, l'armée ukrainienne.
La Russie ne reconnaît pas officiellement qu'elle est là, mais dans les faits, ces territoires sont des territoires ukrainiens occupés par la Russie. Aux termes des accords de Minsk, les Russes ont dit qu'ils se retireraient et qu'ils renonceraient à contrôler la vraie frontière Ukraine-Russie. Ils ont dit qu'ils remettraient le contrôle du côté ukrainien de la frontière aux autorités ukrainiennes. Or, ces engagements ont été pris il y a deux ans et demi et rien n'a été fait depuis.
Notre politique doit être modifiée pour assurer qu'il y aura un cessez-le-feu, certes, mais aussi pour veiller à ce que le contrôle des territoires ukrainiens souverains soit rendu au gouvernement ukrainien. C'est pour cela qu'il est nécessaire d'augmenter la pression sur la Russie.
La raison pour laquelle j'ai dit cela est la suivante. Le deuxième accord de Minsk a été initié par les quatre dirigeants du « format de Normandie », et l'un des problèmes c'est que la Crimée n'était pas mentionnée dans ce train de mesures. On tentait de calmer le jeu des deux côtés de la frontière. Or, un autre aspect de ce train de mesures était de veiller à ce que Kiev se déleste d'une partie de son pouvoir pour permettre à ces régions d'avoir une certaine autonomie.
Ce que je cherche à dire, c'est que la mise en oeuvre du deuxième accord de Minsk était problématique pour chacune des parties. J'ai l'impression que cela est devenu une position... Si cette ligne est devenue la ligne de contrôle et la frontière de facto, ne s'inquiète-t-on pas du côté ukrainien de la possibilité de se retrouver avec un conflit latent? Étant donné que la Crimée n'a pas été mentionnée, à quoi ressemblera l'avenir? Quelles sont les étapes pour la suite des choses? Combien devrions-nous régler ce problème?
La raison pour laquelle les aspects politiques des accords de Minsk n'ont pas été mis en oeuvre, c'est que la mise en oeuvre des questions de sécurité de ces accords n'a même pas encore commencé, et la raison pour laquelle cela n'a pas encore commencé, c'est qu'il y a encore des milliers de soldats russes en sol ukrainien et qu'ils continuent de bombarder l'armée ukrainienne.
Je pense que la première étape, c'est de faire en sorte que les Russes mettent un terme à ces pratiques. La façon d'y arriver, c'est d'exercer de la pression sur eux. La Crimée ne fait pas partie des accords de Minsk parce que les Russes ont refusé systématiquement que cette question fasse partie des discussions. L'occupation de la Crimée est séparée des accords de Minsk et le renoncement à son occupation est une question séparée du conflit intense qui se déroule à l'est.
Comment faut-il régler ce problème? Ce n'est pas une question facile, mais la façon de régler cela est d'exercer suffisamment de pression sur la Russie pour faire en sorte que la poursuite de la guerre dans l'est, de l'occupation de la Crimée et de l'occupation des territoires ukrainiens devienne financièrement intenable pour le gouvernement russe. La meilleure façon d'arriver à cette fin est probablement d'utiliser des mesures économiques et de faire grimper les coûts associés à ces campagnes.
Ma prochaine question porte sur la désinformation dont nous sommes présentement témoins. J'ai visité l'Ukraine et je suis allé à Kiev. Je suis aussi allé en Lettonie et au Kazakhstan. La raison pour laquelle je pose cette question, c'est qu'il semble effectivement y avoir une importante minorité russe — une minorité ethnique — qui vit en Ukraine. Je ne connais pas les chiffres exacts. Je crois que les Russes représentent environ 20 % de la population de l'Ukraine.
Certains médias en provenance de Russie occupent une place prépondérante dans certaines parties du pays. Les médias d'appartenance ukrainienne ne sont pas aussi nombreux. Il semble qu'il y a énormément de désinformation. J'ai vu cette désinformation. J'ai vu ces faux gazouillis et ces faux messages dans Facebook.
Comment va-t-on régler ce problème? Quelle est la meilleure façon de s'assurer de la légitimité et de la pertinence de l'information transmise à la population? Certains médias brossent un portrait très rose de ce qui se passe dans le Donbass, et nous savons que cela n'est pas conforme à la réalité. Selon vous, quelle est la meilleure façon de combattre cette désinformation?
Je vais diviser ma réponse en deux parties. Comme nous l’avons vu, j’estime que cette désinformation n’existe pas uniquement en Ukraine. Elle est communiquée à l’échelle mondiale, de même qu’au Canada. Il suffit de visionner les canaux de télévision et certains sites Internet pour obtenir ce courant de conscience et de pensée.
Nous pouvons, une fois de plus, vous faire part de nos observations concernant les événements qui surviennent en Ukraine. Les médias et la société civile tentent d’appuyer la liberté de presse, le journalisme indépendant, et de fournir une contre-information. Il n’est pas judicieux de forcer les médias à fermer leurs portes, mais il est judicieux d’offrir tant au Canada qu’en Ukraine une information équilibrée sur ce qui se passe.
Le Congrès des Ukrainiens Canadiens publie un bulletin quotidien et un bulletin hebdomadaire. Nous faisons de notre mieux pour informer notre communauté canadienne, et la diaspora fait de son mieux pour se tenir au courant de ce qui se passe. Nous remarquons assurément que des gens tentent vivement d'influencer l’opinion mondiale.
Pour répondre à votre question précédente, j’allais dire que ce qui nous inquiète, ce sont les propos tenus au sujet d’une « fatigue ukrainienne » et d’une « fatigue russe ». À notre avis, ce qui importe le plus, c’est de refuser d’envisager les frontières comme immuables, la situation actuelle comme inéluctable, et de céder à la tentation, pour ainsi dire, de passer à autre chose. Il est important de refuser de considérer les résultats de la désinformation comme exacts ou pertinents.
Dans le cadre de son travail avec la communauté canadienne et la diaspora du monde entier, le gouvernement ukrainien déploie des efforts considérables pour déterminer la façon de fournir, en Ukraine — et cela nous renvoie à la question de la légitimité et des systèmes —, des renseignements exacts aux gens, dans plusieurs langues. Toutefois, je crois que cela a trait à l’enjeu plus vaste que nous observons en Europe à l’heure actuelle, par rapport aux processus électoraux et aux diverses formes que la désinformation peut prendre, grâce au financement de certains services médiatiques ou partis politiques, ou grâce à la société civile ou aux ONG financées par des moyens obscurs.
Je crois que nous devons tous demeurer vigilants. Le problème ne se manifeste pas seulement sur le terrain, à Kiev. Il est aussi activement présent partout dans le monde, et pas seulement sur Twitter. Nous pouvons tous être aisément incités à penser que tout va bien ou que tout est noir ou blanc. Nous appuyons une couverture équilibrée et un journalisme indépendant. Nous soutenons, en gros, les échanges d’information entre plusieurs sources, et nous posons des questions à toute personne qui n’appuie pas ces principes, à toute personne qui présente les événements sous un seul angle et qui s’arrête là. C’est pourquoi nous accueillons favorablement la volonté du Comité et d’autres personnes de discuter de l’Ukraine. Je pense que votre voyage et ce genre de discussions contrebalancent la désinformation et nous prouvent que la communauté internationale déploie des efforts pour découvrir ce qui se passe véritablement sur le terrain.
Je vous remercie de votre présence parmi nous ce matin.
Pouvez-vous parler de la situation à laquelle les Tatars de Crimée sont confrontés?
La Russie a interdit le Majlis, c’est-à-dire l’organe de gouvernement autonome des Tatars de Crimée, et notre ministre des Affaires étrangères a mentionné à quel point elle est profondément troublée par l’application, pour des motifs politiques, de la législation antiterroriste et anti-extrémisme, qui a entraîné le harcèlement des défenseurs des droits de la personne, ainsi que la détention arbitraire, la disparition et la persécution de Tatars de Crimée et d’autres minorités. On estime que 20 000 Tatars ont quitté la Crimée depuis que la Russie l’a annexée.
Pouvez-vous nous éclairer un peu sur cette situation troublante?
Cette situation est très triste. Ses origines sont anciennes, en ce sens qu’elles remontent à la situation des Tatars de Crimée dans les années 1940, à leur déportation forcée ordonnée par Staline et à leur retour massif en Ukraine après 1991.
La situation est telle qu’on peut la lire dans les médias. Il est facile de lire des histoires horribles. Celle-ci est liée à la suppression et aux pressions. Bon nombre des membres du comité ici présents ont rencontré cet automne Gennadii Afanasiev, un jeune étudiant photographe qui a organisé une petite manifestation en Crimée. Il a été kidnappé, expédié dans le système carcéral russe, accusé de toutes sortes d’infractions et torturé jusqu’à ce qu’il accuse par écrit ses concitoyens.
Nous croyons que c’est ce qui se produit en ce moment. Comme vous l’avez mentionné dans votre question, bon nombre de gens sont partis volontairement. Ils prennent l’initiative de partir parce qu’ils ont peur de ce qui pourrait leur arriver. Il y a des gens là-bas qui font ce qu’ils peuvent pour contrer un régime répressif.
Je pense que, pour nous tous, cela représente le nouveau front dans la lutte pour les droits de la personne. Nous observons en direct l’approche que la Russie adopte à l’égard des droits de la personne sur le terrain, en Crimée. Ce n’est pas une bonne approche, car elle a des implications raciales, religieuses et ethnoculturelles.
Que peut faire le Canada? J’estime, comme vous l’avez dit, que notre gouvernement et nos parlementaires doivent faire des déclarations fermes. Comme cela a été mentionné au cours de la question précédente, il ne faut pas accepter que la Crimée fasse partie de la Fédération de Russie en sanctionnant les gens qui affirment être des parlementaires de cette région. Il faut appuyer l’imposition de restrictions supplémentaires sur les voyages dans cette région, et exercer des pressions sur la Russie, car elle affirme que les Criméens ont voté en faveur de leur intégration dans la Fédération de Russie, dans le cadre d’un prétendu référendum. Nous envisageons des échanges avec la Russie dans le cadre du processus visant à exercer des pressions sur elle à propos de la situation en Crimée et, chaque fois que nous dialoguons avec les Russes, nous devons soulever la question des droits de la personne en Crimée, parce qu’ils sont les présumées autorités là-bas et qu’ils ont des responsabilités à cet égard.
Je crois que, grâce à M. Afanasiev et à des dizaines d’autres personnes, les journaux en ligne publient d’excellentes listes des personnes qui ont été arrêtées et des endroits où elles sont détenues. Nous nous employons, avec l’aide d’Amnistie internationale et d’autres groupes de défense des droits de la personne, à les faire libérer, à rendre publiques leurs affaires et à exercer carrément des pressions sur le régime responsable là-bas.
J’ajouterais que, chaque fois que quelqu’un est jeté en prison ou reconnu coupable d’accusations ridicules, un procureur, un enquêteur et un juge ont pris ces décisions, et que leurs noms peuvent être obtenus aisément. J’estime que toutes ces personnes devraient faire l’objet de sanctions. Ces politiques émanent peut-être du Kremlin, mais des personnes les mettent en oeuvre, et elles ne devraient pas pouvoir s’en tirer après de tels agissements. Nous devons examiner ces affaires, identifier les personnes qui ont pris des décisions illégales, déterminer les mesures que les enquêteurs et les procureurs ont prises dans ces affaires, et prendre connaissance des jugements rendus par les soi-disant juges. Ensuite, nous devons les tenir responsables de leurs actions.
Vous avez mentionné la répression et l’oppression des défendeurs des droits de la personne, et ce sont des choses dont nous avons malheureusement entendu parler au cours des séances du Comité ou du Sous-comité des droits internationaux de la personne. À l’heure actuelle, nous observons la répression des défendeurs des droits de la personne par des régimes oppressifs dans un bien trop grand nombre d’États. L’un des moyens de s’assurer que le message est transmis haut et fort, c’est d’avoir une société civile forte qui résiste.
Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de l’état actuel de la société civile en Ukraine, et pouvez-vous nous dire dans quelle mesure des organisations sont en mesure d’apporter une aide sur le terrain, en Crimée? Nous savons que, lorsqu’une société civile forte existe et que les voix de ses membres peuvent être entendues, c’est le moyen le plus efficace pour les autres pays de contribuer à appuyer localement les activités des défendeurs des droits de la personne. Quelle est la situation en ce moment?
La société civile ne peut pas vraiment fonctionner en Crimée. Nous savons que bon nombre des groupes qui exerçaient leurs activités en Crimée ont déménagé en Ukraine. Les gens ont déménagé, mais leurs activités se poursuivent. CrimeaSOS, par exemple, est le groupe qui rend public le sort des personnes détenues.
Comme cela a été le cas pour M. Afanasiev, l’un des facteurs les plus complexes est la question de la citoyenneté et des passeports. M. Afanasiev est un citoyen ukrainien doté d’un passeport ukrainien qui a été arrêté et placé dans le système carcéral russe. Il y a là un élément clé lié à la compétence et aux pressions exercées sur les gens, afin qu’ils acceptent la nouvelle réalité.
L’un des gestes les plus forts que nous avons observés, c’est le fait que des médias occidentaux — la BBC, le quotidien The Guardian et d’autres services médiatiques —, qui sont heureusement autorisés à voyager en Russie et à parler aux gens, sont allés en Crimée, même si les gens là-bas craignaient de s’identifier ou de prendre des photos.
Dernièrement, je lisais justement un article de la BBC. Il y a deux semaines, la célébration annuelle de Taras Shevchenko, le poète national de l’Ukraine, a eu lieu. L’article de la BBC mentionnait que des citoyens de Sébastopol, je crois, déposaient des fleurs au pied de son monument, et que les services de sécurité russes filmaient chacun d’eux et leur demandaient leur nom. Je le répète, les mesures s’inscrivent dans une échelle progressive qui va de la torture extrême aux pressions quotidiennes, en passant par la répression et la persécution.
On nous a mentionné que des pressions étaient exercées afin de contraindre les gens à échanger leurs documents et à devenir des citoyens russes. Pour se prévaloir du système de soins de santé et pour participer à une économie principalement militaire maintenant, il faut être citoyen russe. Les gens cachent donc le fait qu’ils sont forcés d’accepter le nouveau niveau d’oppression, sans s’y opposer, par crainte de ne pas pouvoir participer à l’économie ou bénéficier des services sociaux et de santé. C’est là un problème très préoccupant.
Comme je l’ai mentionné, les groupes de défense des droits internationaux de la personne sont très actifs en Russie, et ce, depuis de nombreuses années. Ils ont exercé des pressions dans le cadre de nombreuses affaires portées devant les tribunaux russes. Le fait que des citoyens ukrainiens sont détenus dans des prisons russes en raison de diverses accusations est une nouvelle considération pour eux. Nous sommes heureux de constater qu’ils prennent cela au sérieux.
De nombreux militants russes se trouvent dans des situations semblables. Toutefois, comme leur situation n’est pas visible sur la scène internationale, ils ne reçoivent pas ce genre de soutien.
Vous allez devoir vous arrêter ici pour le moment.
Merci, monsieur Levitt.
Nous allons maintenant passer à M. Allison.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les gens qui témoignent devant nous aujourd’hui.
Je sais que vous avez suggéré, entre autres choses, que nous continuions de soulever la question. Dans le cadre de ma participation à l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, nous soulevons toujours la question, et nous présentons des résolutions. Je sais qu’il est probable que vous suivez aussi ces délibérations, mais je tenais à le mentionner. Lorsque nous, les représentants du Canada, participons à des tribunes internationales, c’est un geste que nous posons constamment.
J’ai une question à vous poser. Je souhaite donner suite à ce dont M. Sidhu parlait, afin de connaître vos pensées à propos de la direction dans laquelle la Russie s’engage à cet égard. Lorsque nous étions en Europe de l’Est, tous les pays que nous avons visités débattaient de cette question. Nous avons parlé aux représentants de l’OSCE, c’est-à-dire à ceux qui sont sur le terrain et qui surveillent les missions et le centre de communications stratégiques de l’OTAN. Chacun d’eux avait une opinion à ce sujet.
Pendant les séances du Comité, nous avons également entendu des témoins dire que, même si la Russie mène toutes ces guerres sur tous ces fronts, elle est totalement désorganisée sur le plan économique et n’a pas les moyens d’être partout à la fois. Le mieux qu’elle puisse faire, c’est de créer des ennuis et des problèmes partout.
Selon les relations que vous entretenez en Ukraine, dans quelle direction pensez-vous que la Russie se dirige à long terme? Nous avons entendu parler du concept de la guerre hybride, un terme qui est nouveau pour moi. Des gens ont déclaré que la Russie dépêchait peut-être des gens là-bas afin de les préparer à aller ailleurs.
J’avais l’impression que les Russes n’allaient pas tenter d’envahir d’autres territoires. Mais sont-ils prêts à demeurer là indéfiniment? Qu’ont-ils en tête? Je sais que c’est comme demander ce que M. Trump a en tête, une question à laquelle il est quasiment impossible de répondre.
Selon vos relations et les gens auxquels vous parlez, qu’en pensez-vous, soit dit en passant?
Je crois qu'ils tenteront d'en faire autant qu'ils pourront, tout simplement. On voit que lorsque le régime russe rencontre une résistance significative, il a tendance à reculer. Il y a eu une résistance internationale aux agissements de la Russie. À notre avis, cette résistance pourrait être plus musclée et plus efficace si certaines des politiques possibles dont nous avons parlé étaient étudiées et mises en oeuvre.
En ce qui concerne l'économie russe, c'est certes une économie qui boite, mais la guerre détourne les regards de ce fait. Le fait que la guerre nuit à l'économie russe et que la Russie n'en a pas les moyens n'est pas une raison suffisante pour l'en décourager. Ce qui fonctionnerait, à mon avis, ce serait de faire augmenter le coût de ces agissements. À ce moment-là, il se peut que certaines des politiques russes soient repensées. Sur le plan structurel, l'économie russe repose sur le pétrole. Le secteur énergétique est probablement le secteur qui serait le plus efficace en ce qui concerne les sanctions. Vient ensuite le secteur des banques et des finances. Bon nombre des fonds qui quittent la Russie nous arrivent ici dans l'Occident...
Est-ce donc une manoeuvre pour détourner l'attention de la population russe? Nous savons que c'est bel et bien ça, mais pensez-vous que les Russes, s'il n'y a aucune opposition, vont tenter de s'accaparer de davantage de territoire? Pour revenir au point qu'a fait valoir M. Saini, ils ont dépassé les frontières, mais nous n'avons pas l'impression qu'ils veulent avancer davantage; il s'agit plutôt de créer autant de chaos que possible.
Si les alliés ou quiconque ne réagissent pas, y a-t-il la possibilité, selon vous, que les Russes tenteront de s'accaparer de davantage de territoire, ou vont-ils continuer à s'en servir comme moyen de distraction afin de faire oublier les problèmes domestiques?
Ce sont des suppositions, mais on peut affirmer que si les forces armées ukrainiennes s'éloignaient de la ligne de défense, il y aurait sans aucun doute des incursions et des avancées territoriales. Les opinions divergent quant au but militaire final.
Pour donner suite aux questions qui ont été posées plus tôt, je crois que si les pays occidentaux, notamment le Canada, les pays de l'UE et les États-Unis, décident qu'ils ont fini leur travail en Ukraine, qu'ils ont fait leur part, qu'il est temps de se retirer et de laisser l'Ukraine se débrouiller toute seule, nous verrons une intervention militaire, politique et sociale inégalée. Cela ressemblera à ce que nous avons vu en Crimée et dans l'Est de l'Ukraine, pour ce qui est du système gouvernemental et de la violation des droits de la personne et de la liberté politique et journalistique. Nous sommes inquiets du fait que nous ne voyons pas à court terme...
La situation actuelle est, à bien des égards, une impasse, mais une telle affirmation ne reconnaît pas suffisamment les efforts des forces armées ukrainiennes et ce qu'elles font pour retenir ce qui est une invasion territoriale. Cela prend énormément d'effort. Même si la situation actuelle ne fait aucun bien à l'Ukraine, en ce qui concerne son appareil militaire, la société civile, la corruption, et d'autres facteurs, la situation est beaucoup plus positive qu'elle ne l'aurait été s'il n'y avait eu aucune assistance de la part du Canada et d'autres alliés. Il faut absolument le reconnaître.
Oui.
Continuons sur le même thème. Au-delà des frontières de l'Ukraine, je crois que tout le monde, y compris le Canada, a été rassuré par la ligne rouge qui a été dessinée par l'OTAN dans les pays baltes et en Pologne, mais nous voyons une nouvelle vague prodémocratique au Bélarus. La Russie répond en imposant des contrôles à la frontière. Nous voyons la Serbie qui s'allie à la Russie sans trop d'encouragement, et qui provoque le Kosovo et d'autres anciennes républiques yougoslaves.
Nous savons que l'UE est déchantée par la Serbie ainsi que la Pologne, vu sa résistance face aux politiques de l'UE sur les réfugiés. Avez-vous des préoccupations du fait que l'Europe occidentale devient quelque peu lassée et manque d'enthousiasme pour ce qui est de maintenir, et peut-être même augmenter, sa défense de ceux qui ont choisi la démocratie dans l'ancienne Union soviétique?
C'est sûr que l'on voit... Je ne dirais pas que c'est de la désinformation, mais il y a certainement ceux qui pensent que nous en sommes à une impasse, que rien de ce qui a été fait, que ce soit par l'UE ou les pays occidentaux comme le Canada, a un effet. C'est une préoccupation, car ce n'est pas une représentation exacte de ce qui est observé sur le terrain.
Comme nous l'avons dit, il n'y a certainement pas une seule solution. Il n'est pas facile de résoudre les tensions en Crimée et dans l'Est de l'Ukraine. Nous pouvons tous comprendre la frustration des alliés qui se disent: « Nous y avons consacré tant de ressources. Pourquoi n'y a-t-il pas de solution? » Cette logique ne rend pas honneur aux nombreuses personnes qui ont été tuées et blessées.
La diaspora ici au Canada et en Europe demeure très vigilante dans ses efforts visant à contrer cet argument. Il existe de nombreux exemples positifs de ce qui a changé sur le terrain. Nous sommes en train de changer profondément la vie des citoyens ukrainiens, avec la réforme du système judiciaire et de la police, ce qui donnera un exemple aux peuples du Bélarus et de la Russie de ce qui constitue un meilleur avenir, de ce qu'un système démocratique doté d'une presse réellement libre peut-être dans un pays qui est prêt à participer avec l'UE et le Canada dans les dossiers du libre-échange, des droits de la personne et d'autres accords internationaux.
Je crois que nous sommes tout juste prêts à invalider cet argument selon lequel nous devons nous retirer ou en faire plus. Nous pensons que nous sommes là pour rester, qu'il ne faut pas regarder les choses à court terme. Il faut poursuivre nos efforts acharnés. Il est d'une importance vitale pour la sécurité du monde de faire de l'Ukraine un allié clé du Canada et de l'UE qui assure la sécurité du continent européen, quel que soit le rôle de l'OTAN. L'Ukraine occupe une place clé dans ce combat, à la fois dans le passé et maintenant.
Monsieur le président, merci. Je remercie les deux témoins.
Arrêtons de tourner autour du pot et parlons des rapports entre Poutine et Trump. Je vais vous lire quelques exemples de manchettes: « L'Ukraine s'inquiète du coût des rapports spéciaux entre Trump et Poutine »; « L'Ukraine, la première victime de l'alliance Trump-Poutine »; « Des affrontements en Ukraine font plusieurs morts et mettent à l'épreuve la position de Trump face à la Russie »; « Période troublante pour l'Ukraine »; « Les rapports de Trump avec la Russie sont sources d'inquiétude pour Kiev ».
Je suis sûr que vous connaissez ces manchettes mieux que moi.
Voilà.
Au cours des 100 derniers jours, cet engagement à long terme ne s'est-il pas prolongé énormément?
Je parle de l'engagement à long terme de l'Occident pour résoudre le problème. Vu la relation naissante entre M. Poutine et M. Trump, la situation ne va-t-elle pas durer plus longtemps? Comme vous l'avez bien dit, la Russie ne comprend que la force et la détermination, et cette relation nuit à la fois à la force et la détermination.
Nous entendons beaucoup parler des liens entre les Russes et les gens qui ont travaillé pour la campagne de Trump, ainsi que des personnes qui font partie de son équipe. De façon paradoxale, cela vient réduire la marge de manoeuvre de son équipe dans ce dossier.
Tout signe d'ouverture envers la Russie est perçu dans le contexte de ce qui se passe actuellement. À long terme, cet état des choses, ainsi que le fait qu'une majorité considérable dans les deux chambres du Congrès est en faveur du maintien de la politique de sécurité américaine en Europe, vont grandement réduire ce problème. Cela dit, il n'est certes pas idéal que le président américain semble incapable de critiquer Poutine.
Encore une fois, je crois que le rôle des États-Unis en Europe et dans le dossier de la sécurité mondiale va au-delà de la position d'un gouvernement donné. Les divers acteurs sur la scène internationale comprennent que le monde est plus sûr et plus pacifique si les États-Unis participent à l'architecture de sécurité. Nous espérons, et j'espère que nous avons raison, que ce point de vue aura raison de toute tendance isolationniste et autre.
Je crois que j'ai répondu à votre question.
C'est intéressant que vous me parlez de paradoxe. Puisque la relation se retrouve de plus en plus dans le collimateur, moins il reste de marge de manoeuvre au gouvernement américain ou au Congrès et plus il devient difficile pour les membres de la Chambre des représentants et du Sénat d'avoir une posture autre qu'une position ferme envers la Russie.
Le fondement de ma question est peut-être erroné. Il se peut que plutôt que de prolonger ce conflit, il y ait la possibilité de le raccourcir. C'est peut-être un peu optimiste. Je vous remercie de votre réponse, qui est intéressante. Moi-même, j'ai observé ce paradoxe au cours des trois derniers jours. J'étais à Washington, car je faisais partie d'une délégation canadienne qui a rencontré 85 sénateurs et représentants du Congrès. On ne savait pas trop quoi dire lorsque de tels sujets venaient sur le tapis.
Je vais parler maintenant de la réaction du Canada, car cette situation crée des difficultés dans notre réponse militaire et non militaire. Je ne vois qu'une seule possibilité: c'est que nous maintenons le statu quo compte tenu du contexte actuel. Quelle est votre réaction face à cette tourmente? Nous regardons du côté des Américains pour du leadership. Nous envoyons des troupes en Lettonie. Nous intensifions nos efforts en Ukraine. Nous prenons le commandement de missions en Irak. Nous songeons à ce que nous pourrions faire de façon efficace en Afrique. Et pourtant, tout cela repose sur la présomption que les Américains assumeront le rôle de leader.
Je suis d'accord avec votre prémisse.
À mon avis, la meilleure chose que le Canada puisse faire, et c'est ce qu'il fait d'ailleurs, c'est d'être consistant et parler haut et fort sur de nombreuses tribunes, que ce soit ici au Parlement ou ailleurs. Comme vous l'avez dit, le plus grand problème pour ce qui est de la participation américaine dans ce dossier actuellement, c'est le manque de constance et l'incertitude quant à la progression des choses. Cela en fait partie.
Vous avez également parlé du facteur temps. Malgré l'incertitude qui sévit, nous prévoyons que le Canada et d'autres alliés de l'Ukraine maintiendront leur position, en sachant que si c'est 100 jours, 200 jours ou même 4 ans, quelle que soit la période nécessaire, les réformes et les projets du Canada et de ses alliés, dont les Américains, donneront des résultats à la longue. Je le répète, personne ne sait combien de temps cela prendra. La spéculation actuelle est, à bien des égards, liée à ce que les législateurs américains seront prêts à faire ou non, et à l'opinion du public américain.
Nous reconnaissons la constance et le soutien du Canada, à la fois du gouvernement au pouvoir et du gouvernement antérieur, et sa position qui veut que la situation aille au-delà de la politique, qu'il s'agisse d'un allié étranger clé sur le plan stratégique. Il incombe actuellement au Canada d'occuper un rôle de dirigeant sur toutes les tribunes possibles et peut-être convaincre à nouveau nos alliés américains, les gens que vous avez rencontrés, les sénateurs et les représentants du Congrès, ainsi que les autres membres de l'administration américaine, que leur position antérieure était en fait bien fondée, et qu'ils devraient avec le temps revenir à une certaine constance dans leur position ainsi que dans l'alliance UE-É.-U.-Canada.
Au cours des 25 dernières années, nous avons vu les Américains verser autant d'argent et de ressources que le Canada en Ukraine et d'autres alliés afin de renforcer la société civile et l'appareil militaire. Il faudrait faire valoir cet argument, comme nous l'avons fait ici, selon lequel un retrait à cette échelle ne serait pas dans les intérêts américains. Ce serait un piètre résultat stratégique que de mettre fin soudainement à un engagement à long terme de plus de 25 ans, et encore plus si on songe à la guerre froide.
Merci, monsieur McKay.
Nous avons le temps pour une dernière question avant que la séance ne soit terminée. À vous, madame Laverdière.
[Français]
Merci beaucoup de me donner la parole, monsieur le président.
Nous apprenons que l'ex-député russe Denis Voronenkov, qui s'opposait au Kremlin et qui avait dû se réfugier en Ukraine, a été tué par balle ce matin dans la rue, à Kiev.
Nous apprenons également qu'un dépôt d'armes de la base de Balakliia, ville située dans l'est de l'Ukraine, est la cible d'une série d'explosions. Le gouvernement ukrainien qualifie cet événement de sabotage.
Je sais que vous n'avez peut-être pas encore pris connaissance des nouvelles et que je vous pose ma question à froid, mais quelle est votre réaction en ce qui concerne ces deux événements survenus aujourd'hui?
[Traduction]
L'explosion à Balakliya a eu lieu aujourd'hui vers 3 heures du matin, heure de Kiev. Effectivement, le procureur militaire mène une enquête sur un éventuel acte de sabotage. On signale que juste avant l'explosion, les gens avaient entendu un drone survoler la zone.
Le quartier à cinq ou six kilomètres à la ronde a été évacué, soit quelque 20 000 personnes. Il ne semble pas y avoir de menace au-delà de l'incendie et des répercussions immédiates. L'Ukraine a mis en état d'alerte ses autres bases et dépôts de munitions. Nous verrons quelle en était la cause. Ce n'est pas encore clair.
Voronenkov était à Kiev. il s'était sauvé de la Russie et il témoignait au sujet de l'ancien président ukrainien, M. Yanukovych, dans le cadre d'une enquête sur le rôle qu'il a occupé dans l'invasion par les troupes russes du territoire ukrainien.
Bon nombre des ennemis du régime russe trouvent la mort: Litvinenko à Londres et Politkovskaya à Moscou. La liste est longue. Vladimir Kara-Murza qui a témoigné devant votre comité et qui a été empoisonné il y a quelques années, vient encore une fois d'être empoisonné. Fort heureusement, il s'en remet, d'après ce que nous avons entendu.
Cet incident a eu lieu aujourd'hui, et nous en ignorons l'ampleur, mais cela ressemble à d'autres incidents qui se sont produits à d'autres endroits, dans d'autres villes, et qui concernent d'autres gens. Nous nous ferons un plaisir de tenir à jour le comité sur ce dossier. C'est ce que nous savons en ce moment.
Merci beaucoup.
Chers collègues, nous avons terminé notre discussion avec le Congrès ukrainien canadien. Nous vous remercions tous les deux d'être venus nous donner de votre temps. S'il y a d'autres renseignements que vous voulez transmettre au Comité, nous vous prions de le faire dans le cadre de notre étude sur ce sujet très important.
La séance sera levée pendant cinq minutes, et ensuite nous entendrons le représentant du ministère des affaires étrangères de la République de Lettonie.
Merci.
Chers collègues, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international reprend sa séance.
Nous avons environ une demi-heure à consacrer à M. Rinkevics, ministre des Affaires étrangères de la Lettonie. Nous le remercions d'avoir pris le temps de nous rencontrer.
Selon notre procédure habituelle, le ministre fera une déclaration, qui sera aussi longue ou aussi courte qu'il le voudra, puisque c'est notre invité, et ensuite les membres du comité lui poseront des questions. Comme la plupart d'entre vous se souviendront, nous étions en Lettonie pendant une courte période en janvier et nous avons eu la possibilité de parler à bien des gens. Voilà une excellente occasion de poursuivre ce dialogue, et nous nous en félicitons.
Monsieur le ministre, soyez le bienvenu. Vous pouvez nous faire votre déclaration et ensuite nous vous poserons des questions.
Monsieur le président, honorables membres du comité, merci beaucoup de m'accueillir ce matin. Je suis ravi d'être ici.
Comme je vous l'ai dit, monsieur le président, je m'ennuie tellement du comité des affaires étrangères de la Lettonie que j'ai décidé de venir me soumettre à vos questions pendant ma visite au Canada. Si on ne se fait pas interroger une fois par semaine, on perd un peu de son talent de réplique et l'esprit du Parlement.
Monsieur le président, je suis très reconnaissant d'avoir l'occasion de m'adresser à votre comité, surtout parce que vous avez visité récemment mon pays, la Lettonie, et que nous avons maintenant une relation très spéciale grâce à l'OTAN. Je saisis encore une fois l'occasion pour exprimer notre gratitude envers le Canada et le gouvernement canadien pour son leadership au sommet de Varsovie, lorsque vous avez accepté de prendre le commandement d'un bataillon de l'OTAN en Lettonie.
Je discuterai des aspects pratiques du déploiement, de la logistique et des questions juridiques avec le ministre de la Défense et la ministre des Affaires étrangères plus tard aujourd'hui. Je crois que ce que le gouvernement canadien a fait à ce jour, ainsi que les relations que nous avons tissées au cours des derniers mois et que nous continuerons à approfondir, sont la preuve que l'esprit de solidarité et l'alliance de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord sont toujours bien vivants. Ma déclaration ne sera pas très longue, car j'aime beaucoup les questions et réponses. Ce sont des échanges plus vivants. Je veux cependant vous faire quelques observations.
Tout d'abord, comme vous le savez, depuis la guerre entre la Russie et la Géorgie en 2008, qui a été suivie par l'annexion illégale de la Crimée en 2014, la situation dans l'Est de l'Ukraine est préoccupante. Nous sommes les témoins de bouleversements et de défis énormes, non seulement en Europe, mais également sur l'échiquier mondial. Nous avons une puissance révisionniste, la Russie, qui cherche véritablement à revoir et à refaçonner les résultats de la guerre froide. Nous avons vu le droit international comme nous le connaissons se faire contester. Il ne s'agit non seulement de la Charte des Nations unies et de l'annexion illégale de la Crimée, mais également de la violation du mémorandum de Budapest qui a été signé par la Russie, l'Ukraine, le Royaume-Uni et les États-Unis, garantissant l'intégrité territoriale de l'Ukraine.
Compte tenu de ce contexte, ainsi que de notre histoire, de l'occupation des États baltes par l'Union soviétique en 1940, ainsi que de notre lutte pour la liberté, au cours duquel nous avons également eu le soutien du Canada, car le Canada a accueilli de nombreux Lettons, Estoniens et Lituaniens, et beaucoup de Lettons vivent encore ici, nous sommes d'avis qu'il faut à tout prix nous montrer unis, et afficher une solidarité totale contre ces tentatives de récrire l'histoire.
Vu notre position, notre approche envers la Russie comporte deux volets. Le premier vise à décourager et à contenir, et je crois que la présence des troupes de l'OTAN dans les États baltes, ainsi qu'en Pologne, envoie un message très clair que les tentatives de provocation de la Russie ne seront pas tolérées.
Après ma visite à Ottawa, je vais à Washington, afin de rencontrer le secrétaire d'État, M. Tillerson. Accompagnés de mes collègues lituaniens et estoniens, nous rencontrerons les membres du Congrès, le président de la Chambre des représentants, M. Ryan, ainsi que les membres des comités des relations étrangères du Sénat et du Congrès. Nous discuterons également de l'approche de la nouvelle administration, mais j'ai déjà l'impression, malgré les reportages, que le Canada et les États-Unis sont très engagés vis-à-vis de la sécurité européenne.
Nous comprenons également que nous devons faire notre part. Nous augmentons notre budget de la défense, et l'année prochaine nous aurons atteint le fameux 2 % du PIB. Cette année, nous étions déjà à 1,7 %. Nous collaborons de très près avec nos partenaires et amis canadiens dans le domaine de la défense mais également dans le dossier des affaires étrangères afin de régler les problèmes pratiques.
Je considère en outre que nous ne devrions pas oublier d'aider des pays comme l'Ukraine, la Moldavie ou la Géorgie, qui mettent en oeuvre des réformes parfois très douloureuses, mais nécessaires. Nous devons maintenir leur intégrité territoriale, et ce, tant par des déclarations symboliques que par des moyens très concrets. Ce soutien constant du processus de réforme en Ukraine profitera non seulement à ce pays, mais aussi à l'Europe.
Je suis également convaincu que nous devons comprendre qu'au regard des démarches entreprises par l'OTAN dans le cadre de ses sommets, au pays de Galles et à Varsovie, les probabilités de provocation militaire à l'endroit des pays membres de l'OTAN, comme la Lettonie, sont très minces.
Nous comprenons aussi que nous sommes au XXIe siècle et que la soi-disant guerre hybride est en cours. Je pense qu'il existe à cet égard deux domaines très délicats, dont je suis disposé à traiter en détail si vous avez des questions, mais que je mentionnerai.
L'un de ces domaines est la cybersécurité. Nos systèmes de TI, qu'il s'agisse de ceux des ministères des Affaires étrangères ou de la Défense, ont fait l'objet de nombreuses tentatives de pénétration. Ces attaques surviennent presque quotidiennement.
Nous assistons également à ce qui est, dans une certaine mesure, une guerre de propagande sans précédent, et c'est là le deuxième domaine que je veux aborder. Ce problème n'a rien de nouveau dans les pays baltes. Même avant que nos collègues de l'Union européenne — la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni — ne soient la cible d'attaques et de propagande sans précédent contre leurs gouvernements, la guerre de propagande existait déjà chez nous. Nous élaborons des contre-mesures nécessaires depuis des années.
Au Centre d'excellence pour la communication stratégique de l'OTAN, qui se trouve à Riga, nous analysons non seulement la guerre de propagande de la Russie, mais aussi celle de groupes extrémistes, comme Daesh, puisque nous comprenons que nous subissons les attaques de nombreux agents. Il ne s'agit pas seulement de la propagande de la Russie ou du gouvernement, mais aussi de celle de groupes extrémistes qui tentent de s'en prendre à notre mode de vie. Parmi eux figure Daesh.
Nous prenons donc les choses en adoptant une vue d'ensemble. Nous sommes toutefois encore en train de tenter d'évaluer tous les mécanismes et les outils, et de trouver des contre-mesures efficaces à cette propagande. Nous pourrions notamment faire de la sensibilisation quant aux médias. Les journalistes pourraient probablement... Il est très dangereux d'enseigner aux journalistes ce qu'ils doivent faire et penser; je pense toutefois qu'il faudrait développer un sens critique et prendre grand soin de vérifier les sources. De façon générale, il faudrait sensibiliser nos sociétés au fait que tout ce qu'on lit sur les médias sociaux ou sur Internet n'est pas vrai.
La région balte héberge également le Baltic Centre for Media Excellence, où des journalistes analysent des méthodes de propagande et cherchent à déterminer comment on peut distinguer le vrai du faux afin de résoudre ces problèmes.
De plus, je ne considère pas les outils de propagande des médias d'État de la Russie comme des médias libres assujettis aux mêmes règles que les médias normaux. Voilà pourquoi nous prenons parfois des mesures draconiennes quand nous constatons que la loi a été enfreinte. Nos autorités respectives suspendent pendant une période donnée — qu'un tribunal peut, bien entendu, réviser ultérieurement — les activités de diffusion de ces médias russes, lesquels sont en fait financés et régis par le gouvernement russe.
De ce point de vue, je tiens aussi à faire remarquer que nous sommes conscients que lorsque les troupes canadiennes arriveront plus tard cette année, on tentera de leur mettre des bâtons dans les roues. On ne s'en prendra pas militairement à elles, mais on tentera d'influencer la société lettone en lui indiquant qu'elle n'a pas vraiment besoin de ces troupes, tout en incitant la population canadienne à se demander pourquoi elle dépense tant d'argent dans un pays lointain qui n'intéresse personne. Nous devons en être conscients. Nous nous penchons d'ailleurs sur la question, comme le font nos homologues canadiens.
Je m'arrêterai ici. Je ne veux pas faire un exposé de 30 minutes et m'en aller. Je me ferai un plaisir de répondre aux questions que vous pourriez avoir sur tous les sujets, que je les aie abordés ou non. Je n'ai pas traité de bien des sujets parce que je voulais favoriser les interactions.
Merci.
Merci, monsieur le ministre.
Nous entamerons immédiatement la période de questions. J'accorde la parole à M. Kent.
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le ministre, de nous avoir ménagé une place dans votre horaire que je sais très chargé.
Je voudrais vous remercier de l'hospitalité offerte à notre comité lors de la visite qu'il a effectuée en Lettonie en janvier et, sur le plan économique, de l'appui enthousiaste que la Lettonie a démontré à l'égard de l'AECG, un accord important qu'elle a tôt fait de ratifier.
J'aimerais également remercier la Lettonie des mots qu'a prononcés son ambassadeur à Ottawa en réaction à certains propos décourageants de l'ambassadeur de Russie, qui a indiqué que la participation du Canada à la mission de l'OTAN faisait partie d'une menace générale à la sécurité en Europe et que la Lettonie n'avait aucunement besoin des soldats canadiens. Il s'agit de désinformation, comme vous l'avez fait remarquer.
Je voudrais que vous nous en disiez davantage sur les menaces relatives aux TI et à la propagande. Lors de notre visite à Riga, nous avons été brillamment informés sur ces deux sujets au cours de séances d'information données à l'administration centrale de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, en ce qui concerne non seulement la pénétration des TI et les menaces ou la propagande de la Russie à la télévision, mais aussi sur le travail interne d'agents russes — d'anciens militaires ou agents du KGB — qui s'emploieront, comme vous le dites, à provoquer une controverse intérieure à propos de la mission de l'OTAN.
Merci.
Tout d'abord, merci beaucoup de vos bons mots au sujet de votre visite. Je les transmettrai au président de notre comité des affaires étrangères, M. Kalnins. Je pense qu'il était lui aussi enchanté de vous recevoir.
Pour répondre à votre question sur les anciens militaires ou agents du KGB russes qui agissent à titre d'agents actifs pour susciter la controverse, à dire vrai, je ne m'attends pas à des provocations directes à l'endroit des troupes ou des soldats canadiens de la part d'autres pays. Le Canada dirigera des forces multinationales, dont feront partie des pays comme l'Albanie, l'Espagne, l'Italie, la Slovénie et la Pologne.
Voici ce que nous avons observé jusqu'à présent. Depuis 2014, de nombreux soldats américains viennent mener des exercices en Lettonie. Un grand nombre d'exercices ont eu lieu, et nous n'avons vu aucune tentative de provocation directe contre ces soldats, par exemple, en s'en prenant à eux dans les bars ou les pubs après leur journée de travail et pendant leurs heures de loisir. En fait, la presse n'a fait état que d'un ou deux incidents jusqu'à maintenant. Je pense que nous sommes fort bien préparés à réagir à tout incident qui pourrait survenir.
Il s'est produit au moins un incident touchant les troupes allemandes en Lituanie, où l'Allemagne dirige un groupe de combat de l'OTAN. Quand les troupes allemandes sont arrivées, tout à coup, en l'espace d'une fin de semaine, une fausse nouvelle s'est répandue comme quoi des soldats allemands avaient violé un jeune garçon dans un petit village lithuanien. Voilà pourquoi je considère que nous devons être préparés à réagir aux nouvelles totalement fausses et sans fondement.
Dieu merci, les autorités lithuaniennes et allemandes ont rapidement vérifié les faits et remis les pendules à l'heure. De fait, ce qui pouvait bien être une provocation s'est avéré être une catastrophe pour les instigateurs, puisque les troupes allemandes ne harcelaient pas les enfants lithuaniens; la machine à propagande a échoué.
À cet égard, nous sommes conscients que certains pourraient tenter de jeter le discrédit sur la mission, surtout au début. Je sais aussi que les deux ministères de la Défense prennent la question au sérieux et que des plans sont mis en oeuvre.
En ce qui concerne les autres formes de provocation possible, je doute qu'il y ait des manifestations de masse ou d'autres démarches. Il importe aussi, comme notre expérience actuelle le montre, d'instaurer un très solide programme de sensibilisation à grande échelle. Il est crucial de prendre toutes sortes de mesures de diplomatie publique. Les soldats canadiens doivent se rendre dans des écoles pour s'adonner à des sports avec les enfants. Ils ne joueront probablement pas au hockey en été, mais ils le feront certainement en hiver. Cela nous permettra de conférer une aura favorable à la mission.
Je sais que les deux ministères de la Défense s'occupent actuellement de la question. Je ne m'attends toutefois pas à ce que d'anciens agents du KGB ou militaires hantent les rues dans de sombres desseins.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous remercie de témoigner. Vous serez ravi de savoir que les amateurs de hockey canadiens affectionnent depuis longtemps les joueurs lettons qui s'adonnent à ce sport fabuleux, comme Arturs Irbe et Sandis Ozolinsh. Je tenais simplement à le souligner. Je sais que vous avez ratifié l'AECG, mais il existe d'autres raisons pour lesquelles nos pays entretiennent d'excellentes relations, monsieur le ministre.
Je voulais vous poser une question sur les sphères d'influence en Russie. Il n'est pas rare, dans les médias ou dans les cercles universitaires, d'entendre dire que si nous souhaitons la stabilité mondiale, comme nous le devrions naturellement, alors nous devons admettre que la Russie veut avoir une sphère d'influence et, que cela nous plaise ou non, l'Europe de l'Est est considérée comme en faisant partie, du moins du point de vue russe.
C'est une opinion que je ne partage pas, car je pense que les démocraties — et j'insiste sur le mot démocraties — de l'Europe de l'Est méritent d'être libres et sécuritaires. Pourriez-vous réagir à cet avis, si ce n'est du point de vue de l'Europe de l'Est, alors de celui de la Lettonie?
Je sais que vous ne pouvez parler pour l'ensemble de la région. Je pense qu'il est très facile de faire peu de cas des intérêts en matière de sécurité et de démocratie de pays comme la Lettonie, et de simplement dire que l'Europe de l'Est constitue la sphère d'influence de la Russie et qu'il faut l'admettre si nous souhaitons la stabilité internationale. Je pense que c'est là un grand manque de considération. Je me demande donc si vous pouviez vous prononcer sur la question.
La dernière fois que les sphères d'influence ont fait l'objet d'une entente, c'était en 1939, aux termes du pacte Molotov-Ribbentrop intervenu entre Hitler et Staline. Malheureusement, ce pacte nous a été directement préjudiciable, et je pense que nous avons tous constaté qu'il n'a pas empêché les événements qui ont suivi de se produire. L'attaque de la Pologne, qui constitue la première grande tragédie de la Deuxième Guerre mondiale, est à l'origine de la terrible guerre qui a opposé l'Allemagne à l'Union soviétique.
Il est tentant, à mon avis, de penser que si nous divisons le monde en sphères d'influence — ce qui s'appelle un système mondial multipolaire, selon l'expression moderne —, en comprenant que certains pays ont des intérêts légitimes à l'égard d'autres pays et que ces intérêts sont probablement contraires à ceux des populations de l'Ukraine, de la Moldavie ou de la Géorgie, et de considérer que la Russie a le droit d'empêcher ces pays d'entamer des réformes et d'adhérer aux valeurs que nous partageons tous, comme celles de démocratie, des droits de la personne, d'économie de marché et de primauté du droit, et qu'il faut suivre le système actuellement en place en Russie, lequel repose sur un ensemble de valeurs que je qualifierais, en termes diplomatiques, d'autoritaire et de très « conservateur »...
De ce point de vue, je considère sérieusement que si nous ne défendons pas le genre d'ordre mondial libéral qui favorise la démocratie, la primauté du droit et le libre marché, puisque je crois que les pays qui s'adonnent à un commerce équitable et libre ne sont pas assujettis à des sphères d'influence politiques ou militaires, mais cherchent à assurer une plus grande prospérité et une meilleure défense des droits de la personne... Ce genre d'ordre mondial, que les régimes autoritaires n'aiment vraiment pas parce qu'il menace leur existence même, a empêché l'irruption de grands conflits militaires au cours des 70 dernières années.
Oui, des frictions considérables opposaient le régime communiste totalitaire et le monde libre pendant la guerre froide, qui s'est terminée avec l'effondrement du Pacte de Varsovie et de l'Union soviétique. Ces 25 dernières années, malgré toutes les lacunes que nous avons constatées, nous avons observé, du moins dans mon pays, une amélioration constante du niveau de vie. Nous avons également adhéré à l'OTAN et à Union européenne. En fait, nous avons assisté à une amélioration de la stabilité et de la paix en Europe.
Je pense que si on tente maintenant de négliger les pays de petite taille et de revenir à la diplomatie du XIXe siècle et aux sphères d'influence, qui provoqueront inévitablement des affrontements entre les grandes puissances, nous en paierons tous le prix à la fin. Il serait dans l'intérêt réel de la Russie que les pays voisins, qu'il s'agisse de la Finlande ou des pays baltes dans le Nord ou du Caucase et de l'Ukraine dans le Sud, se développent librement et de manière à ce que la démocratie, l'économie de marché et la primauté du droit s'épanouissent. Ce serait la meilleure garantie de sécurité pour la Russie elle-même.
Malheureusement, nous et la Russie avons laissé passer une occasion d'apporter des réformes réelles dans les années 1990 ou au début des années 2000. Le pays va dans une direction que, personnellement, je n'approuve pas.
Malheureusement, nombreux sont ceux qui clament que la meilleure manière de maintenir la paix et la stabilité en Europe et dans le monde consiste à laisser la Russie avoir ce qu'elle veut. Mais si elle obtient ce qu'elle veut aujourd'hui, elle exigera davantage demain, et à un moment donné — personne ne peut prédire quand —, nous allons mettre le holà. Voilà qui me rappelle malheureusement ce qu'il s'est passé dans les années 1920 et 1930.
Nous bénéficions grandement de ces 25 années de droit à la liberté. Ce n'est qu'en défendant ce que nous avons que nous pourrons maintenir les fondements de notre propre existence, comme le fait votre monde occidental ou atlantique.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présentation très intéressante. Je répondrai d'une certaine façon à votre invitation. Vous avez mentionné la question de la cybersécurité lors de votre présentation et vous nous avez invités à vous demander des détails, ce que je ferai à l'instant.
Vous parliez d'attaques quotidiennes. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les sources de ces attaques et sur la réaction du gouvernement letton?
[Traduction]
Merci beaucoup.
[Français]
Je ne peux pas répondre en français, mais j'ai compris toute votre intervention.
[Traduction]
Je tiens à souligner qu'il est très difficile de remonter jusqu'à la source des cyberattaques. Je suis certain que vos propres experts vous l'ont expliqué lors de vos séances. Par exemple, si nous voulons nous montrer très officiels, nos principaux attaquants sont parfois de nos voisins de Lituanie ou d'Estonie. Nous ne pensons pas vraiment que nos amis d'Estonie, de Lituanie ou parfois de Suède s'intéressent beaucoup à nos secrets ou à nos systèmes de courrier électronique. Nous tentons donc de remonter à la source de ces attaques et aboutissons à des serveurs mandataires situés au Brésil ou en Chine. Une analyse raisonnable des renseignements permet toutefois de soupçonner que ces attaques s'effectuent à partir d'un proche voisin de l'Est.
Il y a eu, particulièrement lorsque la Lettonie présidait l'Union européenne pendant la première moitié de 2015, des tentatives de pénétration des systèmes de renseignements de ministères étrangers parce qu'à l'époque, nous étions à la tête des organisations et gérions le contenu de l'ensemble de l'Union européenne, pas seulement les politiques étrangères et de défense. Nous partagions nos responsabilités avec les hauts représentants responsables de ces politiques, mais nous étions également responsables de la gestion quotidienne de l'Union européenne à tous les égards, qu'il s'agisse de la justice, des affaires intérieures, de la santé, du bien-être ou de la sécurité sociale. Nous avons également détecté des tentatives de pénétration de nos systèmes au moyen de courriels porteurs de virus très spécialisés, dont la plupart visaient à recueillir des données.
Nous portons une attention considérable à la question, en ce qui concerne particulièrement les ministères de la Défense, des Affaires étrangères et de l'Intérieur, et affectons énormément de ressources pour ériger les murs nécessaires. Si ces tentatives portaient vraiment fruit, nous nous retrouverions probablement dans une crise comme celle de WikiLeaks, ce qui déclencherait immédiatement une guerre de l'information. Je pense que nous avons assez bien réussi à repousser ces attaques. À cet égard, il est parfois très difficile, particulièrement devant un tribunal, d'affirmer que l'on possède des preuves probantes montant que l'attaque a été menée à partir d'une ville précise. Les tendances que nous analysons montrent toutefois quelle est la véritable origine des attaques.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'être venu au Canada pour rencontrer le reste du Comité, puisque je n'ai pas pu me rendre en Lettonie.
Comme vous le savez, le Canada croit fermement au potentiel de la Lettonie, car vous avez été les premiers à signer l'AECG et vous comprenez l'importance du commerce moderne. L'ancien secrétaire d'État, John Kerry, a fort bien expliqué pourquoi la Lettonie est une excellente destination pour l'investissement étranger. Nous avons affecté récemment 350 millions de dollars pour déployer le groupe de combat canadien en Lettonie. Pensez-vous que toutes ces mesures rassurantes encourageront le reste du monde à investir en Lettonie dans l'avenir?
Je vous remercie beaucoup de votre question.
En fait, ce que je veux laisser entre autres comme message, à vous, mais aussi au grand public, et en particulier aux milieux des affaires du Canada et de partout dans le monde, c'est que grâce aux décisions prises à Varsovie, grâce au Canada et grâce à d'autres alliés de l'OTAN, nous sommes probablement en ce moment l'endroit le plus sûr où investir, car l'investissement est bien protégé. C'est exactement aussi le message que j'ai entendu de votre ministre du Commerce international, M. Champagne, quand il était à Riga. Je vais d'ailleurs le rencontrer un peu plus tard. Dans cette perspective, je pense que c'est aussi très important.
En passant, il y a aussi une sorte de campagne de salissage qui émerge parfois dans les médias. On fait une analyse pas si sérieuse selon laquelle la troisième guerre mondiale va commencer dans les pays baltes, qu'il y a des risques imminents que la Lettonie ou l'Estonie deviennent la prochaine Ukraine, ou la prochaine Crimée, et ainsi de suite. Vous m'excuserez mon langage, mais je rejette cela comme étant de la foutaise. Nous devons contrer ce genre d'allégations jour après jour. S'il n'y avait pas une plus importante section de l'OTAN, je ne parlerais pas avec autant de certitude devant vous ou la presse.
Je crois, en passant, qu'on peut contrer la vague actuelle de régimes populistes autoritaires en unissant nos efforts pour aussi faire la promotion de régimes modernes de libre-échange. Je crois fermement que l'AECG est le premier accord moderne de libre-échange que l'Union européenne ait signé avec quiconque. J'espère aussi que nous poursuivrons nos négociations très difficiles, mais nécessaires, avec les États-Unis pour la signature d'un partenariat transatlantique de commerce et d'investissement. En ce moment, avec la nouvelle administration qui s'installe, ces négociations sont suspendues, mais nous attendons.
Je crois que l'AECG donne aussi une excellente occasion de ne pas miser uniquement sur un formidable partenariat transatlantique de sécurité comme nous le faisons avec l'OTAN, mais aussi sur un grand partenariat transatlantique économique.
Je souligne que nous sommes très reconnaissants de l'argent que vous consacrez aux troupes canadiennes, mais que nous consacrons aussi de l'argent à l'achat de vos avions Bombardier pour notre compagnie aérienne nationale, Air Baltic. J'ai voyagé trois ou quatre fois dans le nouveau CS300 de Bombardier. Je dirais que c'est vraiment un excellent avion. Le commerce donne donc déjà de bons résultats. J'espère que le Canada va maintenant acheter plus de choses de nous, comme nous le faisons du Canada.
Nous allons discuter aujourd'hui des façons dont nous pouvons nous adonner à plus d'activités commerciales concernant les TI, les produits pharmaceutiques, et des façons dont nous pouvons tirer le maximum de l'AECG.
Chers collègues, ce sera tout pour notre discussion avec le ministre Rinkevics.
Je saisis cette occasion pour remercier le ministre, premièrement, d'être venu au Comité et, surtout, d'être venu au Canada pour discuter avec nos ministres de questions très importantes pour nous, la Lettonie et l'ensemble de la région.
Encore une fois, monsieur le ministre, merci. J'espère que nous vous avons un peu préparé, car la presse suit ce que vous êtes venu nous dire aujourd'hui, alors je crois qu'ils seront beaucoup plus difficiles que mes collègues l'ont été ici. Je peux vous garantir que nous vous savons gré du temps que vous nous avez consacré et que vous êtes toujours le bienvenu à notre comité, si vous voulez y revenir. Merci beaucoup.
Merci beaucoup, monsieur le président. Je dois admettre que vous avez été bien plus gentil que mon propre comité, à la maison. Je vous en remercie.
Des députés: Ah, ah!
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