FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 6 juin 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Chers collègues, il est 8 h 45, donc tout le monde est réveillé et impatient de commencer.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous poursuivons notre étude des États-Unis et la politique étrangère du Canada.
Aujourd'hui, les témoins sont M. Colin Robertson et M. Kim Nossal. Ces deux messieurs ont une grande expérience, ce qui rendra cette heure et quelque des plus agréables. Nous allons conclure à 10 heures environ. Je crois que M. Robertson a rendez-vous ailleurs, et, pour notre part, c'est à la Chambre où nous devrons nous rendre, donc tout se case dans nos horaires respectifs.
Je pense que M. Nossal est le premier à prendre la parole. Je lui cède donc le micro pour entendre sa déclaration préliminaire. Suivront les questions des députés.
Je vous remercie.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Permettez-moi de remercier d'abord le Comité de m'avoir invité à prendre part à l'examen de l'influence de l'administration Trump.
Je suis particulièrement heureux de témoigner en même temps que mon ami Colin Robertson. Étant donné son expérience de diplomate et sa connaissance des relations Canada-États-Unis, il est celui qui offrira, j'en suis sûr, une perspective beaucoup plus précise que mes opinions plus générales que je souhaite partager ce matin.
Au lieu d'essayer de répondre à votre liste de très bonnes questions, je préfère livrer des observations générales sur cette relation, ce qui, je l'espère, vous fournira un cadre utile pour répondre à ces questions au moment où le Comité rédigera son rapport. Vos neuf questions traduisent une interrogation beaucoup plus vaste portant sur la façon de définir la politique canadienne à l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle administration. Cette question, les Canadiens se la posent tous les quatre ans, et elle est persistante.
En temps normal, nous examinerions l'administration, nous nous tournerions vers le passé, nous réfléchirions à l'opinion répandue des personnes qui ont fait valoir des points de vue sur la manière de traiter avec les Américains avec succès et nous essaierions d'énoncer une stratégie pour s'occuper des relations avec la nouvelle administration. Nous traversons cependant des temps troublés. Comme de nombreux témoins qui ont comparu devant vous l'ont affirmé, nous sommes en terrain inconnu avec cette administration. Certes, nous ne pouvons nous tourner vers le passé pour avoir une idée de la manière de traiter avec ce président en particulier. Au contraire, le caractère nouveau et en fait bizarre du terrain mérite d'être souligné.
Commençons par ce que je pense être en fait le trait le plus important de cette administration d'un point de vue du processus politique. Comme vous le savez, les Américains ont élaboré leur système de telle manière que tout nouveau président peut être sûr que le vaste appareil administratif du gouvernement américain travaille pour lui et son programme. Cependant, pour cela, le nouveau président doit combler 4 000 trous, comme à Blackburn, Lancashire, c'est-à-dire ces postes de cadres au sein de l'appareil d'État dont les titulaires doivent être nommés par le président, avec ou sans confirmation par le Sénat, ou sont des membres du personnel non de carrière nommés au Senior Executive Service, ou haute direction, ou encore dont la nomination est dite effectuée en vertu de l'Annexe C. Pourtant, 20 semaines après le début de cette administration, l'Amérique sous M. Trump ressemble à une passoire. Le département d'État est plein de trous. Des tas d'ambassadeurs doivent être nommés. Il n'y a pas un seul secrétaire adjoint qui a été nommé dans l'une ou l'autre région géographique ou zone sectorielle. La situation est à peu près la même au département de la Défense. Seulement 5 des 53 postes ont été confirmés. Pour 41 postes, personne n'a été désigné. Dans le secteur du commerce, il y a des trous d'importance, tant au département du Commerce que dans les autres organismes d'exécution. C'est bizarre et sans précédent. C'est un nouveau terrain, non seulement pour les étrangers comme nous, mais pour les Américains aussi.
S'ajoutent à cela d'autres particularités sans précédent. Considérez ceci: à quand remonte la dernière fois que la fille et le gendre d'un président ont occupé une place centrale dans l'administration en dépit d'un manque total d'expérience en politique? À quand remonte la dernière fois où on a assisté à une telle disjonction béante des énoncés de politiques du président par rapport aux déclarations de ses secrétaires d'État? À quand remonte la dernière fois où nous avons vu une administration dont les membres sont autant en guerre ouverte les uns avec les autres, une sorte de mélange bizarre du Château de cartes et du Trône de fer, avec un brin des Américains pour faire bonne mesure.
On n'a jamais vu un président américain aussi ignorant des affaires du monde ou de la politique étrangère américaine et qui, surtout, semble indifférent à ce manque de connaissances et n'a aucunement l'intention d'apprendre quoi que ce soit en matière de politique étrangère américaine. On n'a jamais vu un président américain qui traduit une telle idée dépassée de la politique mondiale, un tel manque de compréhension de la place historique de l'Amérique sur la scène mondiale, un tel manque de volonté d'assumer le rôle de leader dans le monde et, en fait, un tel manque de volonté de confier ce leadership à d'autres sur la scène internationale. On n'a jamais vu un président américain qui se moque tellement des normes en diplomatie qu'il fait et dit simplement ce qu'il veut sans se soucier des conséquences de ses propos ou de ses actes. Bref, ce dont nous sommes témoins, à mon avis, est tout à fait inouï. Je déclame cette litanie connue parce que ces attributs ont d'immenses répercussions sur les gouvernements qui doivent traiter avec cette administration.
Il faut toutefois se demander si ce dont nous avons été témoins ces 20 dernières semaines changera. Conrad Black, lors de son témoignage devant vous le 4 mai dernier, vous a assuré que les choses allaient se calmer, pour reprendre ses paroles, et que l'on reviendrait à un gouvernement relativement normal, même s'il a admis que ce serait un gouvernement haut en couleur. M. Black connaît M. Trump, ce qui n'est pas mon cas. Je dois dire, cependant, que je suis moins optimiste que M. Black. Ce gouvernement n'est pas normal. Rien ne me permet de croire que M. Trump va s'installer à la présidence et devenir un président normal.
J'en conclus, à l'instar des Républicains anti-Trump des États-Unis, qu'il n'existe pas de version améliorée de Trump. Il sera toujours le président « covfefe » qui envoie des gazouillis idiots et provocateurs à n'importe quelle heure de la journée ou de la nuit, balançant ses grenades d'insurgé de tous côtés sans le moindre égard pour les conséquences.
Plus exactement, il faut le prendre tel quel, car il ne changera pas. Pour que les choses changent, il faudra attendre que M. Trump se lasse de la présidence et prenne la mouche et parte, ce qui marquera à mon avis la fin la plus probable de tout cela, ou que les Républicains au Congrès se lassent du marché faustien conclu avec les insurgés qui se sont emparés du Parti républicain en 2016 par OPA hostile et le poussent dehors. Autrement dit, nous pourrions vivre 190 autres semaines pareilles aux 20 dernières et, à mon avis, encore d'autres, au-delà de 2020, si les Démocrates continuent d'être sourds à l'électorat et perdent les élections comme ils le font aux paliers fédéral, étatique et local depuis de nombreuses années.
Il faut donc se demander comment un gouvernement canadien rationnel doit traiter avec ce qu'un de mes confrères, Stephen Saideman, de l'Université Carleton, appelle la « machine de l'incertitude » qu'est Donald Trump.
Avant tout, il faut continuer d'utiliser un langage direct dans nos rapports avec le président et éviter de donner libre cours à tout sentiment de frustration motivé par l'administration. Le premier ministre Trudeau a parlé avec éloquence de l'importance de s'entendre avec la personne que les Américains élisent au poste de président. Cette position, à mon avis, est pleine de bon sens.
Du coup, cependant, il ne faut pas hésiter à protester lorsque les intérêts canadiens sont menacés par les idées de Trump, surtout si ces idées sont basées sur des faits dits alternatifs, comme c'est souvent le cas. Lorsque le Canada proteste, il doit juger d'un oeil lucide en quoi ce dysfonctionnement de la présidence pourrait ou devrait être à l'avantage des Canadiens. La présidence bordélique dont nous sommes témoins jusqu'à présent va probablement persister.
Cependant, à la lumière du contexte politique américain, on peut affirmer que M. Trump éprouve en fait de sérieuses difficultés à transformer ses idées en mesures concrètes. Au nombre des obstacles auxquels il fait face, mentionnons les vides immenses qui continueront probablement d'exister chez ceux qui dirigent réellement la bureaucratie américaine, l'ignorance stupéfiante, chez M. Trump, du régime politique américain, de son propre régime politique, la relation généralement exécrable qu'il entretient avec les Républicains au Congrès, sa faible capacité à se concentrer très longtemps, son persistant manque de mémoire quant aux propos qu'il a tenus, la paresse qu'il manifeste en refusant d'apprendre à faire de la politique, ce qui semble plutôt faciliter la détection de son affectation et, finalement, les tenants et aboutissants que leurs pères fondateurs, par prémonition, ont intégrés au régime politique américain. Tous ces facteurs concourront à créer un immense gouffre entre, d'une part, ses idées et la mise en oeuvre de politiques, d'autre part.
De plus, il faut admettre que la Maison-Blanche en général, et en particulier le président, sont de plus en plus isolés au sein du corps politique américain. Il y a bien sa fameuse base, mais la popularité du président tourne autour de 36 % et la marge entre ce pourcentage et le taux de désapprobation est d'environ 22 points.
Aussi, les dirigeants canadiens, soit les membres du gouvernement fédéral, les députés, les fonctionnaires fédéraux ainsi que les fonctionnaires provinciaux et municipaux, ont-ils de nombreuses occasions d'insister sur leurs positions auprès de leurs homologues américains au sein même de l'administration, pas nécessairement auprès du président lui-même. Cela s'applique particulièrement, il me semble, au volet côté législatif. Jamais les liens interparlementaires ont-ils été aussi importants que maintenant pour promouvoir les intérêts canadiens. Bref, ça ne veut pas dire que le Canada peut échapper au besoin de prévoir les coups que le président peut décocher de loin, mais ça laisse entendre que nous ne sommes pas sans avoir de bonnes cartes en main pour défendre nos intérêts.
Je vous remercie, monsieur le président.
Merci, monsieur le président.
J'ai consacré la majeure partie de ma carrière à travailler sur les relations entre le Canada et les États-Unis. Pendant ces 33 années, d'abord en qualité de membre du corps diplomatique, j'ai eu des affectations à New York, à Los Angeles et à Washington et ensuite, en tant que membre des équipes de négociation, j'ai pris part aux pourparlers en vue de la signature de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et ensuite de l'ALENA. J'ai eu le privilège de visiter tous les États de l'Union. Je continue d'avoir des liens avec les États-Unis de ma position d'homme d'affaires et de membre de groupes de réflexion. Permettez-moi de commencer par une ou deux observations.
Premièrement, les relations internationales du Canada dépendront toujours de ses relations avec les États-Unis. Nous ne pouvons pas changer notre situation géographique et nous ne voulons pas non plus le faire. Les États-Unis sont non seulement notre allié le plus important et notre partenaire commercial, mais aussi, quand nous faisons jouer nos relations personnelles et notre rôle de médiateur ou de cheville ouvrière, nous renforçons considérablement notre poids sur le plan diplomatique.
Ainsi, ce sont bien les États-Unis qui nous ont fait entrer dans le G7, pour une bonne part parce que des secrétaires au Trésor qui se sont succédé, soit George Shultz et Bill Simon, savaient que le ministre des Finances de l'époque, John Turner, et le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Allan MacEachen, donnaient de la valeur à la tablée. Nous augmentons nos acquis, lorsque nous jouons le rôle d'éclaireur ou d'interprète des États-Unis pour le reste du monde, en particulier durant les administrations républicaines. Parallèlement, comme le fait remarquer Allan Gottlieb dans son livre, intitulé Washington Diaries, point de départ pour quiconque veut comprendre les usages dans les relations Canada-États-Unis, quand nous sommes sur le manège diplomatique, nos conseils et nos perspectives sur ce que le reste du monde pense sont toujours accueillis favorablement par les États-Unis.
Notre politique intelligente en matière d'immigration et les leçons du pluralisme assurent des liens entre nous et les autres peuples partout dans le monde au profit de nos échanges commerciaux, des investissements et du tourisme et font connaître le Canada comme un endroit pour étudier.
Nous sommes également un endroit idéal pour observer les États-Unis et s'en faire une idée. Comme le raconte Paul Evans dans son livre, intitulé Engaging China, le fait que nous étions relativement indépendant et que le Canada pouvait jouer un rôle de puissance intermédiaire en sortant la Chine de son isolement a influencé grandement la décision de cette dernière de profiter de l'invitation de Pierre Trudeau pour entamer des relations avec le Canada en 1971.
D'autres pays apprécient la position avantageuse du Canada par rapport aux États-Unis. Que nous en soyons conscients ou non, Ottawa accueille des diplomates de meilleure qualité que ce ne serait le cas en d'autres circonstances.
Ma seconde remarque est tout aussi évidente. La gestion des relations avec les États-Unis est beaucoup plus difficile depuis l'arrivée de Trump. Avec ce président, nous tombons sur une administration qui ne ressemble à rien de ce que nous avons connu. L'exclusion des immigrants, le protectionnisme et l'unilatéralisme sont au rendez-vous. La politique de M. Trump qui préconise l'Amérique d'abord, d'acheter américain et d'embaucher américain témoigne d'une attitude cavalière envers l'OTAN et le G7. En rompant le Partenariat transpacifique, l'accord de libre-échange avec l'Europe et maintenant l'Accord de Paris sur le climat, il témoigne d'un virage radical par rapport aux politiques américaines d'après-guerre.
Les rêveries de M. Trump résonnent agréablement aux oreilles de Vladimir Poutine et de Xi Jinping, lesquels favorisent le retour à un concert des grandes puissances. Thucydide, il y a longtemps, a décrit ainsi cette approche des relations internationales: « Le fort fait ce qu'il peut faire et le faible subit ce qu'il doit subir. » Les Athéniens, qui ont suivi cette maxime, ont fini mal, s'étant aliéné tous leurs alliés. Je suis sûr qu'un leadership différent ramènera les États-Unis à son rôle traditionnel de point d'ancrage de l'ordre économique international libéral fondé sur des règles. Comme l'a une fois fait remarquer Churchill, vous pouvez toujours compter sur les Américains pour faire ce qu'il faut, après qu'ils aient essayé tout le reste.
Pour l'instant, plus l'Amérique se replie sur elle-même, plus le Canada doit élargir ses options en matière de politique étrangère et intensifier son investissement dans nos capacités et nos ressources en diplomatie et en défense. Ce que des puissances intermédiaires telles que le Canada ne peuvent se permettre, c'est de rester neutres ou ne prendre aucun risque. Le Canada doit agir de connivence avec les autres puissances intermédiaires de même sensibilité qui tiennent à un gouvernement représentatif, au respect des droits de la personne et au libre-échange et, encore une fois, intensifier ses efforts pour réaffirmer son intérêt au maintien et à la préservation de l'ordre économique international libéral fondé sur des règles. Concrètement, cela veut dire qu'il faut travailler de concert avec nos partenaires européens et transpacifiques.
Diviser pour régner, voilà la règle d'or de M. Trump dans le domaine des affaires. Il sera donc essentiel de rester en contact particulièrement avec le Mexique, notre ami et notre partenaire commercial, pendant la renégociation de l'accord économique nord-américain avec les États-Unis.
La politique canadienne doit commencer par une stratégie d'engagement international « activiste » portant une attention particulière aux États-Unis tout en cherchant à diversifier nos échanges commerciaux. Cela veut dire acheminer nos ressources jusqu'aux côtes afin d'avoir accès aux marchés mondiaux et d'obtenir des prix mondiaux. Quand vous n'avez qu'un seul marché, c'est l'acheteur qui fixe le prix. Des investissements seront nécessaires. En termes de dollars, nous devrions avoir comme buts, en tant que bon citoyen du monde, de contribuer l'équivalent de 2 % du PIB au budget de la défense, la norme de l'OTAN, et de 0,7 % du PIB au budget du développement international, la norme établie par la Commission Pearson. Si le Royaume-Uni est capable d'y arriver, on devrait y arriver nous aussi.
En Chine, le mot « crise » compte deux traits de pinceau: l'un désigne le danger, l'autre l'ouverture. En période de crise, il faut avoir conscience du danger, mais saisir l'occasion; donc, regardons le défi que représente Trump comme une occasion d'ouverture.
Voici 10 règles de base que les Canadiens devraient appliquer pour gérer M. Trump et notre relation avec les États-Unis.
Premièrement, que demandons-nous? Que donnerons-nous? Nous devons maîtriser nos dossiers. Nos messages doivent être directs et pertinents, aller droit au but. Si vous ne réussissez pas la première fois, essayez et réessayez. Si votre message ne passe toujours pas, changez de ton. La perfection passe par la pratique et la persévérance, mais rappelez-vous que les règles du jeu ne sont pas uniformes. Contre les États-Unis, nos chances sont meilleures seulement lorsque nous jouons sur la glace et nous devons donc bien nous préparer.
Deuxièmement, la concertation est importante, entre les gouvernements, l'entreprise, le monde syndical et la société civile. Les Américains exploiteront nos différences à notre détriment, comme nous sommes en train de l'apprendre encore une fois dans le contentieux du bois d'oeuvre. Ils percevront sans se gêner la surtaxe à l'importation jusqu'à ce que nous nous reprenions en main. Nous avons une bonne marque, mais nous devons la développer et l'utiliser plus stratégiquement. N'oublions pas que les Américains nous aiment plus que nous les aimons, et qu'il y a toujours plus d'Américains qui pensent comme les Canadiens qu'il y a de Canadiens. Margaret Atwood a déjà eu un mot célèbre: lorsque les Américains tournent leur regard vers le nord, c'est comme s'ils étaient devant un miroir. Ils voient une image d'eux-mêmes; nous voyons quelque chose de différent, mais les Canadiens se définissent trop souvent par ce que nous ne sommes pas — des Américains. Nous devons surmonter notre insécurité.
Troisièmement, pas de surprises. Les Américains s'accommodent des différences, mais ils n'aiment pas être pris de court, surtout en matière de sécurité, comme certains nous tiennent rigueur de l'avoir fait par notre refus de participer à la défense antimissiles balistiques ou de les accompagner en Irak. Les Américains tolèrent que nous adoptions une approche différente, mais ils veulent en être informés clairement. Attention à la réplique: elle peut nous attirer l'attention, mais lorsqu'on menace d'appuyer sur la détente, il faut être prêt à passer à l'action et à vivre avec les conséquences. Pour la même raison, attention de ne pas mêler tous les enjeux.
Quatrièmement, les relations personnelles sont cruciales. Nous n'aurions jamais eu l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis n'eussent été les liens d'amitié entre Brian Mulroney et Ronald Reagan. J'applaudis les efforts déployés au niveau national pour envoyer des ministres et des députés de tous les partis en mission aux États-Unis, surtout en territoire Trump, pour rappeler à leurs homologues américains toute l'importance de la relation canadienne pour l'emploi local.
Les premiers ministres et les législateurs des provinces jouent un rôle crucial. Leur participation de longue date aux conférences régionales des gouverneurs et des législateurs d'État revêt une importance vitale. Pour moi, le meilleur modèle régional est la Pacific Northwest Economic Region, la PNWER, une association d'entreprises, de législateurs et de membres de la société civile qui s'est donné pour mission de faire bouger les choses. Le meilleur modèle fonctionnel pour les chaînes d'approvisionnement en Amérique du Nord est l'Organisation pour la conservation du saumon de l'Atlantique Nord (OCSAN). Soit dit en passant, le PNWER et l'OCSAN sont tous deux basés aux États-Unis. Il existe aussi un groupe d'associations industrielles transfrontalières extrêmement utiles, comme le Conseil canado-américain des affaires. Au niveau des États, le meilleur exemple est le Canada Arizona Business Council. Ensemble, ces assemblées de premiers ministres, de gouverneurs et de législateurs, et les organisations régionales, fonctionnelles et transfrontalières constituent les fils cachés qui lubrifient notre relation et la gardent en bon état.
Cinquièmement, faites-en un enjeu américain et repérez vos alliés américains. C'est ainsi que nous avons contourné diverses dispositions de la politique d'achat aux États-Unis. Récemment, par exemple, les États-Unis se sont attaqués aux importations d'aluminium. Leur cible était la Chine, mais, comme c'est souvent le cas avec le protectionnisme américain, nous sommes pris en écharpe. Nous fabriquons de l'aluminium au Québec. Les travailleurs sont membres des Métallos unis. Les Métallos sont les champions de l'achat aux États-Unis, mais ils considèrent leurs confrères et consoeurs canadiens comme de la famille, et c'est ainsi que nous avons eu une exemption. Il n'a pas nui que leur président, Leo Gerard, soit canadien — ce qui rappelle que nous devons faire jouer les liens syndicaux internationaux entre le Canada et les États-Unis.
Nos réseaux ont besoin de mille points de contact. Le démarchage est une affaire de détail et un sport de contact. Pour briser la glace, rien ne vaut une conversation sur le football ou le basketball collégial américain. Lorsque j'étais en poste aux États-Unis, je disais aux nouveaux venus qu'une bonne façon de rencontrer les Américains, surtout dans les États républicains, était d'adhérer à une Église ou à un club de tir.
Sixièmement, Ottawa n'a pas toutes les réponses. Les provinces ont de la compétence et de l'expérience. Faites confiance au personnel de nos missions aux États-Unis, de l'ambassade et de nos consulats, pour leur lecture de l'environnement local. Ils connaissent beaucoup de choses et ont un réseau exceptionnel de contacts.
Septièmement, si l'administration est notre point d'entrée, le champ de bataille par contre est le Congrès et les États. Nous devons accorder plus d'attention aux législateurs, au Congrès comme dans les États. Aux États-Unis, il faut jouer selon leurs règles. Dans une relation où les échanges commerciaux dépassent le million de dollars la minute, il nous faut des avocats et des lobbyistes. Pour les législateurs qui sont chaque jour en quête de financement électoral, toute la politique est locale: les intérêts spéciaux, les entreprises, les syndicats, les environnementalistes, les minorités représentées par des avocats et des lobbyistes financent les législateurs et ont une grande influence sur les politiques intérieures comme Buy American. Le protectionnisme est aussi américain que la tarte aux pommes, une réaction politique profondément enracinée aux problèmes structurels de l'économie américaine.
Huitièmement, faites attention au bruit et ne vous laissez pas effrayer. Nous devons pratiquer l'évaluation des risques et reconnaître la différence entre ce qui est réel, une menace et un simple bruit. Beaucoup de ce que nous entendons aujourd'hui et qui nous viendra des audiences du Congrès sur l'ALENA dans les prochaines semaines est du positionnement. Les Américains sont passés maîtres dans l'art du positionnement et ils donneront aux rédacteurs en chef leur dose quotidienne de titres à sensations. La plupart des projets de loi présentés au Congrès ne donnent rien, mais nous avons tendance à être alarmistes chaque fois que nous voyons quelque chose qui ne nous plaît pas. Encore une fois, leur système n'est pas le nôtre, avec ses poids et contrepoids, et la séparation des pouvoirs.
Leur Bonhomme Sept-Heures s'appelle l'ajustement fiscal à la frontière. La menace est réelle, parce qu'elle a l'appui du président de la Chambre, Paul Ryan, et que les Américains reconnaissent également que, comme en physique, toute action appelle une réaction. S'ils adoptent une taxe à la frontière, nous ferons de même, et d'autres pays également. C'est en empruntant cette voie avec la loi Smoot-Hawley qu'ils ont contribué à la Grande Crise.
Neuvièmement, allez-y pour l'or. Les Canadiens sont meilleurs que nous croyons, mais ils ont tendance à faire des compromis dès le départ. C'est un trait remarquable, un reflet naturel de notre caractère national qui nous aide à composer avec notre vaste géographie et notre dur climat. Cela fait de nous de bons diplomates, mais être prêts à des compromis dès le début, c'est une erreur à éviter avec les Américains. Nous ne devrions pas concéder la négociation avant même de commencer. Autrement dit, demandez ce que nous voulons vraiment, pas ce que nous pensons qu'ils sont disposés à nous donner. Nous ne devons jamais non plus attendre de la gratitude pour ce que nous pensons avoir fait pour eux. Les affaires sont les affaires, et les affaires de l'Amérique sont les affaires.
Dixièmement, c'est une campagne permanente dans laquelle tout le monde doit s'investir — tous les paliers de gouvernement, le milieu des affaires, les syndicats et la société civile. Il faut mobiliser les Canadiens qui ont des amis et de la famille aux États-Unis et qui passent du temps dans leur pays. Nous devons parler davantage aux Américains et commencer chaque conversation par trois principaux messages. D'abord, nous sommes un allié fiable et un bon partenaire en matière de sécurité, même si nous n'investissons pas autant qu'il le faudrait dans nos forces armées. Ensuite, nous sommes un partenaire commercial juste et fiable. Le Canada est le principal marché de 35 États et le deuxième marché pour les 15 autres. Les échanges des États-Unis avec le Canada génèrent neuf millions d'emplois. C'est plus que du commerce. C'est une question de concertation dans les chaînes d'approvisionnement à notre avantage mutuel. Une donnée que j'aime bien citer est que le Canadien moyen consomme pour 629 $ de produits agroalimentaires américains annuellement. L'Américain moyen dépense 69 $ en produits agroalimentaires canadiens. Et enfin, le Canada est une source d'énergie sûre, stable et fiable. Il éclaire Broadway, fait marcher les tramways de San Francisco, alimente le Mall of America au Minnesota, et fait tourner les usines de fabrication des États-Unis. Avec ses 2 milliards de dollars de commerce par jour, le Canada n'a qu'un léger excédent, car nous fournissons 40 % des importations d'énergie des États-Unis. Autrement, ils jouissent de l'excédent.
Un ambassadeur américain a un jour fait observer que les Canadiens pensent tout connaître des Américains, tandis que les Américains pensent connaître tout ce qu'ils ont besoin de connaître des Américains. Nous avons tous tort. Nous devons mieux les connaître, car, pour l'instant, cette relation est asymétrique. Ils comptent davantage pour nous que nous pour eux. Pour de très bonnes vues d'ensemble historiques, je vous renverrai à l'excellent ouvrage, surtout sur les pouvoirs intermédiaires, de Kim. Je vous conseillerai aussi la lecture de Your Country, My Country, de Bob Bothwell, ainsi que de For Better or For Worse: Canada and the United States into the Twenty-First Century, de Jack Granastein et Norman Hillmer.
Le reste du monde nous regarde gérer M. Trump. Nous devons nous en tenir à notre plan de match, travailler avec nos partenaires, surtout le Mexique, et nous nous en tirerons très bien d'affaire.
Merci.
Merci, monsieur Robertson.
Passons tout de suite aux questions, en commençant par M. Kent, s'il vous plaît.
Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux de votre présence aujourd'hui. Il est toujours intéressant d'entendre vos perceptions et de recevoir vos conseils.
Premièrement, au sujet du point qu'a fait ressortir le professeur Nossal sur la façon dont les gouvernements traitent des situations sans précédent, lorsque les États-Unis ont annoncé leur retrait du PTP, notre gouvernement a appuyé sur le bouton pause pour revoir sa position. Son réexamen des prochaines étapes se poursuit. Lorsque les États-Unis ont annoncé leur retrait de l'accord de Paris, il y a eu une réaction immédiate pour un réengagement immédiat, sans examen ni remise en question de nos économies interconnectées et des conséquences du fait d'être le seul participant sur le continent.
Je me demande si vous pouviez, monsieur Nossal et monsieur Robertson, nous livrer quelques réflexions là-dessus.
Merci beaucoup de votre question, monsieur Kent.
Selon moi, l'essentiel ici est de faire la différence entre ces deux accords. Ce que le gouvernement canadien a fait dans le cas du PTP, a été effectivement de faire une pause, d'attendre la réaction des autres pays du Pacifique pour voir ce qui ressortirait de la réaction générale des autres partenaires. C'était principalement parce que chacun, y compris, me semble-t-il, le gouvernement canadien, a reconnu que le retrait du PTP revenait fondamentalement à céder le leadership, ou le leadership éventuel, en Asie-Pacifique à la Chine ou à d'autres remplaçants possibles.
En regardant, par contre, au-delà de la réaction immédiate, la façon dont le gouvernement canadien a alors répondu lorsqu'il est ressorti clairement dans la zone du Pacifique qu'il avait effectivement la possibilité d'y aller seul sans les États-Unis, nous avons vu une réaction très différente de la pause initiale. Nous avons vu le gouvernement canadien intervenir et exercer un certain niveau, me semble-t-il, de leadership — ce qui est plutôt ironique, étant donné la tournure de l'engagement du Canada avec le Partenariat transpacifique au fil des ans.
Quant à l'accord de Paris, je pense que la réaction du gouvernement canadien allait dans le sens de la réaction de tous les autres gouvernements du monde, à la seule exception de la Syrie. Pour moi, il est intéressant de constater au Nicaragua, le seul autre non-signataire, le désir de revenir sur sa décision de ne pas signer parce que l'accord de Paris n'allait pas assez loin à son point de vue.
J'estime que l'universalité des réactions à la décision américaine — et ce n'est pas seulement la décision américaine, mais la façon dont elle a été annoncée et dont l'accord de Paris a été dépeint par le président des États-Unis — a motivé la réaction canadienne autant qu'elle a motivé la réaction de chaque autre pays que je connais.
Je dois reconnaître que je ne suis pas totalement certain que le gouvernement canadien a été trop timide dans sa réponse au PTP, d'une part, ou pas assez prudent sur la question de l'accord de Paris. Est-ce que le retrait des États-Unis de l'accord de Paris va créer des difficultés importantes pour le Canada plus tard? Oui, sauf pour le fait que — et c'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai soulevé les questions que j'ai soulevées — il y a une opposition considérable aux États-Unis aux positions du président dans ce dossier. Cela donne à tout le monde, et pas seulement aux Canadiens, mais aux autres pays également, le temps de s'ajuster en fonction de ce que les Américains font effectivement, et pas seulement de ce que M. Trump dit.
Comment le gouvernement a-t-il géré cela? Dans les deux cas, je remonterais à Brian Mulroney, qui a plaidé, à juste titre selon moi, que la relation la plus importante qu'un premier ministre peut avoir est avec le président des États-Unis. Je pense que M. Trudeau l'a reconnu. Il y a fait allusion dans un discours avant son accession au pouvoir, et je pense qu'il a pratiqué ce qu'il prêchait. On appelle cela une « bromance » avec le président Obama. C'est manifestement beaucoup plus difficile avec le président Trump. Selon moi, il a très bien géré cela en ne personnalisant pas sa relation. Tout ce que j'ai lu dans un profil psychologique de M. Trump est qu'il ne faut pas l'affronter directement ni personnellement parce qu'il en fera une affaire personnelle, comme vous l'avez vu dans son comportement envers le maire de Londres, et comme il le démontrera probablement maintenant avec...
Si vous voulez un anti-Trump, que ce soit le président Macron. Cela ne devrait pas être le premier ministre Trudeau, étant donné les très nombreux intérêts que nous avons aux États-Unis. Je pense que M. Trudeau comprend cela, en homme sage. Les premiers ministres canadiens qui comprennent cela rendent un grand service au Canada.
Chacun à sa façon, vous avez tous deux mentionné les poids et contrepoids qui caractérisent notre relation continentale. Un enjeu que vous avez soulevé est le refus initial par le Canada de toute participation à la défense antimissiles balistiques. Ce qui serait plus courant aujourd'hui — et nous en entendrons peut-être parler davantage demain pendant l'examen de la politique de défense et la décision dans un sens ou dans l'autre — serait un réengagement dans nos traités de défense continentaux et internationaux.
Quant à la poursuite d'un accord de libre-échange entre le Canada et la Chine, que l'administration et le président des États-Unis semblent voir comme l'ouverture d'une porte arrière plus large pour le dumping de produits chinois aux États-Unis, j'aimerais entendre votre commentaire sur l'opportunité soit de faire une pause dans la poursuite de cet accord de libre-échange, qui semble aller de l'avant plus vite que tout le reste en ce moment, soit d'attendre pour voir comment s'amorcera la renégociation de l'ALENA et comment elle semblera vouloir se dérouler.
Mon observation pour le Canada, comme puissance intermédiaire, serait de rester en rapport avec tout le monde. Je suis convaincu que la négociation avec la Chine va prendre du temps. Comme vous le savez, M. Harper voulait lui aussi négocier, mais il a fallu beaucoup de temps. Je ne pense pas que nous allons avancer vite avec la Chine, car nous avons encore beaucoup de travail à faire de notre côté.
En même temps, pour des raisons stratégiques vis-à-vis de la Corée du Nord, M. Trump semble avoir décidé de tenter d'établir une relation avec Xi Jinping. Les Américains ne peuvent pas avoir le beurre et l'argent du beurre et, à la fin, le Canada doit voir à ses propres intérêts, comme nous l'avons fait lors de l'établissement de nos relations avec la Chine en 1971.
Mon idée serait de procéder avec circonspection et d'être sûr de ce que nous voulons. Il y a des leçons à tirer des exemples néo-zélandais et australien de libre-échange. Ils ont peu de remords de l'acheteur.
Je pense que nous irons et devrions aller de l'avant, et nous allons probablement à la bonne vitesse, compte tenu de notre capacité. Rappelez-vous que nous avons des limites de capacité. La première priorité du gouvernement sera de renégocier l'accord nord-américain. Il y a encore le suivi à faire avec l'accord commercial entre le Canada et l'Europe. Puis il y a le Partenariat transpacifique. Nous sommes à la limite de nos capacités. Puis, bien sûr, il y a la Chine et d'autres choses également.
Vous allez avoir une contrainte de ressources qui est là naturellement mais, en même temps, il faudra un certain temps pour nous prendre en main.
Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux pour vos remarques de ce matin.
M. Kent a parlé brièvement de la question de l'ALENA. Monsieur Robertson, comme vous êtes un ancien membre de l'équipe canadienne de négociation de l'ALENA, je serais curieux de vous entendre parler du conflit du bois d'oeuvre. Vous avez dit que le Canada a remporté la plupart de ses différends au niveau de l'OMC, mais vous ajoutez que ce n'est pas la solution. Il faut en traiter dans le cadre des politiques. Étant donné votre expérience de la négociation diplomatique et la nature de l'administration chez nos voisins du Sud aujourd'hui, dans quelle mesure êtes-vous certain que ce problème se réglera avec le temps?
Monsieur, je ne suis pas aussi sûr qu'il se réglera. Lorsque j'étais en poste aux États-Unis, à un certain moment donné l'ambassadeur Frank McKenna s'est tourné vers moi au début de la négociation qui a débouché sur l'accord de 2006 et m'a demandé quand tout cela avait débuté. J'ai téléphoné à un ami, le directeur de la Bibliothèque du Congrès, qui m'a dit que cela remontait à la deuxième administration de George Washington, au temps où le Massachusetts, qui comprenait alors le Maine, cherchait à importer notre bois d'oeuvre du Nouveau-Brunswick pour la construction de navires.
C'est un différend qui remonte à loin. Sur une carte topographique de l'Amérique du Nord, vous verrez que nous jouissons d'un grand avantage lorsqu'il s'agit du bois, mais que c'est pour le petit propriétaire foncier, particulièrement dans le Sud-Est, qui vit peut-être dans un parc de maisons mobiles. C'est là qu'il chasse et pêche, et c'est leur rente. Allez au musée du bois d'oeuvre à Jackson, au Mississippi, et vous verrez qu'on affiche le prix du bois de la même façon que le prix de l'essence dans les postes d'essence.
Un ancien gouverneur américain m'a dit que nous réglerions le problème, mais que nous devrions le faire graduellement, si bien que cela devrait prendre du temps.
Le défi au Canada, à mes yeux, est que nous avons quatre positions et demie. L'Atlantique, l'Ontario et le Québec ont une position. La même. L'Alberta a la sienne. Puis, en Colombie-Britannique, il y a une division entre les positions des régions côtières et de l'intérieur. Heureusement, nous avons maintenant des envoyés de chacune des provinces. J'espère que le gouvernement de la Colombie-Britannique gardera David Emerson, un homme très intelligent qui comprend ces choses-là.
Comme Kim l'a souligné tout à l'heure, tout d'abord, il n'y a personne avec qui négocier du côté américain. Au bureau du représentant des États-Unis pour le commerce extérieur, qui se chargera des négociations avec le soutien du département du Commerce, il n'y a personne en ce moment. Cela fait partie de notre problème. Ce n'est pas le Canada qui est visé. C'est juste que les Américains avec lesquels nous aimerions nous entendre ne sont tout simplement pas là, ni au département d'État ni au Conseil national de sécurité, et cela y est pour quelque chose également.
Mais nous avons en fait... Je pense que la première chose à faire, c'est d'obtenir que les représentants qui ont été nommés — Jim Peterson, Raymond Chrétien et d'autres — s'arrangent pour définir la position canadienne avant d'entamer les pourparlers avec la coalition.
Merci.
Monsieur Nossal, sur la scène mondiale, comme vous le savez, la diplomatie d'influence des États-Unis est en déclin et nos partenaires du monde européen, l'Allemagne et la France, sont en train de devenir les grands protagonistes, si vous voulez. À votre avis, quelle serait la configuration du Canada dans la nouvelle réalité mondiale?
C'est une bonne question.
Je pense que l'idée que la diplomatie d'influence des Américains est en déclin est contestable. En fait, en ce qui concerne la réponse à M. McMaster et au refus de M. Cohen d'admettre l'existence d'un village planétaire et la montée d'une administration qui a remis en cause l'ordre international libéral que les Américains ont dirigé depuis les 70 dernières années, il me semble quant à moi que cette réaction de la communauté internationale suggère fortement que la diplomatie d'influence des Américains est bel et bien vivante et que de nombreux peuples et pays désirent ardemment que les États-Unis continuent à exercer un leadership mondial de la sorte. Il me semble que, comme l'a dit Colin, lorsque la donne changera — car je crois qu'elle changera — nous assisterons au retour de cette diplomatie d'influence qui n'a pas cessé d'exister.
En attendant, le Canada devrait s'efforcer d'exercer le leadership de concert avec d'autres puissances aux mêmes valeurs, en particulier les Européens au sein de l'OTAN. Il faudrait également nous tourner vers l'Asie-Pacifique et poser un nouveau regard sur les puissances de la région qui partagent nos valeurs, notamment la République de Corée, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et en particulier le Japon. Ce serait un moyen de veiller à ce que les éléments de l'ordre mondial dirigé par les Américains soient gérés de manière prudente jusqu'à ce que nous assistions à la fin de cette optique nativiste et isolationniste de l'« Amérique d'abord », que préconise le président des États-Unis.
Il faut vraiment souligner que c'est le président qui le préconise. À en croire les soi-disant adultes dans la salle, comme on les appelle à Washington, — MM. Mattis, McMaster et même Tillerson — il y aurait essentiellement une volonté de poursuivre le leadership mondial américain des 70 dernières années. L'ennui c'est qu'il y a une contradiction énorme entre les propos de ces adultes et ceux de M. Trump et de certains de ses conseillers, dont Stephen Bannon.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie nos deux témoins de leurs présentations qui étaient très intéressantes. Je vais les imprimer et les conserver sur mon bureau. Je ne sais pas combien de fois j'ai hoché la tête.
J'apprécie beaucoup la mention du 0,7 % que nous devons atteindre et le fait que le président Trump décide un jour qu'il en a assez et qu'il parte — ce que je considère moi aussi, non pas comme une probabilité, mais comme une possibilité.
J'aimerais continuer à parler de ce que nous venons de discuter, c'est-à-dire la question fondamentale — je pense que la ministre en parlera à la Chambre ce matin — de l'intérêt du Canada, en tant que puissance moyenne, pour un système multilatéral basé sur des règles qui fonctionnent adéquatement, ainsi que la menace de l'administration américaine actuelle face à plusieurs éléments de ce système, non seulement sur le plan des politiques, mais souvent sur celui de l'argent également.
Nous avons vu qu'on a imposé des compressions aux programmes pour la santé maternelle et d'autres choses comme cela. Il y a eu de belles initiatives des Pays-Bas. Ils sont arrivés avec des fonds pour compenser le retrait américain. Ce n'est pas seulement à ce niveau. À l'OMC, les États-Unis veulent également jouer un rôle moins proéminent.
Ma première et principale question concerne la réunion du G7 en Italie. Comment devrions-nous travailler avec nos partenaires pour préserver le système dans ce contexte? Avez-vous des conseils particuliers pour tous ceux qui devront préparer le prochain G7 qui aura lieu au Canada?
Comme mon collègue M. Nossal l'a dit, pour préserver le système il faut travailler avec les puissances moyennes comme le Canada. Beaucoup de personnes pensent comme nous, ici et aux États-Unis. Nous avons beaucoup d'alliés aux États-Unis, et ce, pas seulement au Congrès mais également dans l'administration, chez les adults in the room.
Nous avons vu cela dans le cadre du débat concernant le climat, par exemple. Il y a un échange réel de points de vue à la Maison-Blanche. Malheureusement pour nous, l'administration Trump a décidé que M. Bannon était plus important que les autres.
Selon nous, il faut utiliser ce temps pour devenir un leader parmi les puissances moyennes. Nous avons la possibilité de le faire et un premier ministre qui peut le faire. C'est le genre de rôle que j'espère voir le Canada jouer.
[Traduction]
Je pense que la question du leadership des puissances intermédiaires est problématique, surtout parce que le Canada est réticent à adopter les idées d'un tel leadership dans de telles conditions.
Comme Colin l'a suggéré, même si on ne parle plus des puissances intermédiaires — et les dirigeants canadiens n'aiment pas en parler —, il est absolument essentiel d'essayer de trouver des positions susceptibles d'être appuyées par d'autres pays aux mêmes valeurs.
D'où la nécessité, me semble-t-il, que nos diplomates et nos dirigeants politiques du gouvernement et de l'opposition consentent des efforts à grande échelle pour promouvoir les idées que nous avons adoptées sans hésiter au fil d'environ 70 ans et rappeler aux autres, rappeler aux Américains, les aspects positifs de cet ordre mondial.
[Français]
Merci.
Ce qui m'a également frappée est un enjeu dont on parle souvent, mais dont nous n'avons pas beaucoup parlé ce matin. Je me demandais si vous aviez des points de vue particuliers sur le dossier du scandale russe et sur ce qui va se passer cette semaine à Washington.
[Traduction]
Je me demande si vous avez une observation quelconque à faire.
Le corps diplomatique du Canada a eu l'excellente idée de me rejeter en 1974...
Des voix: Oh, oh!
M. Kim Nossal: ... je n'ai donc pas besoin d'être aussi diplomatique que M. Robertson.
Je pense que la question des Russes et de l'implication de la Russie dans la politique américaine est une histoire qui n'a pas encore été entièrement racontée. Malgré les puissantes forces aux États-Unis qui cherchent à étouffer l'affaire, je pense que l'histoire finira par se dévoiler et il se peut qu'elle soit intimement liée aux déclarations d'impôt du président dont la publication a été si soigneusement évitée.
J'estime toutefois que nous ne saurions ignorer le fait que les intérêts de la Fédération de Russie, en particulier ceux de son président, ont été bien servis par l'élection de M. Trump. La capacité de la Russie à semer une certaine discorde dans l'alliance transatlantique ne manquera pas de faire sourire M. Poutine, comme l'a dit Colin. Il s'agira d'attendre pour voir les résultats.
Une des conséquences de la déclaration de guerre de M. Trump au milieu du renseignement des États-Unis, comme beaucoup l'ont dit — et donc rien d'original à cela —, c'est qu'il est tout à fait possible que l'évolution des choses d'ici un an vienne confirmer s'il existe en fait un lien avec la Russie.
Bonjour, messieurs, et merci beaucoup pour vos remarques liminaires.
Monsieur Robertson, je commencerai par vous, puisque vous connaissez le dossier du libre-échange Canada-États-Unis plus à fond.
Un aspect que vous n'avez pas mentionné dans vos remarques a été l'incidence des élections mexicaines de l'année prochaine. Un de nos témoins antérieurs, M. Carlo Dade, de la Canada West Foundation, nous avait présenté tout un calendrier. J'en ai déduit que si tout va bien, la toute première date à laquelle l'accord pourrait être signé, sans toutefois entrer en vigueur, est le 28 août 2018. Ce serait donc après l'élection mexicaine.
Dans la conjoncture actuelle au Mexique, le candidat qui mène, M. Andrés Obrador, du parti de gauche AMLO, ne tient pas tellement à conclure cet accord, je crois.
Nous insistons beaucoup sur nos négociations bilatérales avec les États-Unis, mais nous n'avons pas songé à la possibilité... Nous allons entamer une négociation trilatérale et nous ne parlons pas tellement du Mexique.
Ma question est la suivante. Si le Mexique décide de ne pas signer, quelles en seront les ramifications? De plus, il y aura des élections à mi-mandat au Congrès en novembre. Il y a beaucoup de choses que nous ne pouvons contrôler. Même si nos négociations vont bon train, il pourrait y avoir des facteurs indépendants de notre volonté, sur lesquels nous n'avons aucune influence. Quelles seraient les répercussions? Quelles seraient les ramifications? Que pensez-vous qu'il arrivera si le Mexique ne signe pas?
J'ai lu le témoignage de Carlo. Il est de mes amis et la chronologie qu'il avance est exacte. Si vous y réfléchissez, les négociations commerciales prennent beaucoup de temps. Il nous a fallu environ quatre ans et demi pour négocier l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et un autre deux ans et demi pour l'ALENA, qui est venu donner plus de corps à l'accord original.
Les États-Unis ne font qu'entamer le processus prescrit par la loi de tenir des audiences au Congrès et ils ne pourront donc pas s'y mettre avant la mi-août. Croyons-nous pouvoir conclure l'accord d'ici Noël? Ce serait fort douteux compte tenu de l'ampleur de l'accord, et, comme l'a souligné Carlo, il y a une chronologie à suivre.
En définitive, l'essentiel pour le Canada est d'en arriver à un bon accord. Je pense que nous devrions travailler en tandem avec le Mexique. Ce partenariat est très important et je me réjouis du fait que la ministre des Affaires étrangères, Mme Freeland, et ses homologues mexicains, M. Videgaray pour le commerce et Guajardo Villarreal, ont déclaré leur intention de travailler ensemble, outre qu'elle s'est rendue au Mexique récemment à cette fin. Nous devrions rester ensemble parce que l'approche des Américains... je ne dois pas dire l'approche américaine, mais plutôt que l'approche Trump consiste à diviser pour régner.
Quant à l'ALENA proprement dit, il demeure intact, de sorte que la partie canado-mexicaine reste en place. Rien ne nous empêche de l'améliorer si les États-Unis l'abandonnent, ni d'inviter d'autres pays à s'y joindre, d'où l'intérêt de voir comment se déroulent les négociations du Partenariat transpacifique.
Quoi qu'il arrive, les relations personnelles comptent vraiment. Les relations personnelles entre les différents niveaux entre nos négociateurs, entre les ministres canadiens et mexicains, sont assez fortes pour rester intactes, même si les Américains tiennent à mener deux négociations bilatérales distinctes. C'est en tout cas l'approche privilégiée par M. Trump. Wilbur Ross, le secrétaire du Commerce, a déclaré que le résultat est plus important que le format suivi. Ils semblent donc hésiter un peu, mais nous ne savons toujours pas ce qu'il en sera exactement. Quant au calendrier, je pense que les élections mexicaines y seront pour quelque chose. Que les Mexicains soient en mesure de conclure un accord rapidement — il en a été question en janvier, mais l'idée n'a pas fructifié. Par ailleurs, une transaction trop rapide éveillerait la méfiance des Mexicains.
L'essentiel, pour le Canada et le Mexique, c'est d'obtenir un bon accord, quoi qu'il arrive par la suite.
Ma deuxième question relève de ma curiosité personnelle. Les Américains ont quitté l'accord sur le changement climatique. Ils se sont retirés du Partenariat transpacifique, qui était un rempart conçu par Obama contre la Chine, ou pour contenir la Chine. Nous avons des problèmes dans la mer de Chine méridionale. Nous avons assisté à la création de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures. Ensuite, il y a la politique « Une ceinture, une route ». Il y a aussi l'influence chinoise en Afrique. Or, l'observateur politique que je suis ne peut que constater que la presse accorde beaucoup plus d'attention à la Russie. Pourtant, la puissance silencieuse qui fonctionne derrière les coulisses est la Chine, et c'est la première fois de ma vie que je ne vois aucun commentaire sur la montée en puissance d'un pays.
Le président a ses prérogatives, certes, mais le département d'État, d'autres groupes de réflexion et universitaires ne parlent pas de la relation avec la Chine. Tout le monde se concentre sur la relation avec la Russie, mais personne ne surveille vraiment celle avec la Chine. Je me demande pourquoi on ne s'en occupe pas, car les Américains ont cherché à s'ériger en une grande puissance pendant tout un siècle, mais à présent que la Chine commence à bouger, pourquoi n'y a-t-il pas de dialogue? Pourquoi n'y a-t-il pas de commentaires sur la question chinoise, par opposition à la question russe, qui n'est pas aussi importante que les médias ont parfois laissé croire?
C'est sans doute un lieu commun, mais les tonneaux vides sont ceux qui font le plus de bruit. On se penche beaucoup sur la Chine dans les coulisses. Le Partenariat transpacifique était vraiment un effort pour l'adoption d'un ensemble de règles commerciales dans le Pacifique qui correspondraient à ce qui se passait du côté de la sécurité. Dans les coulisses, il y a beaucoup de choses, comme le Dialogue de Shangri-La sur le front militaire organisé par l'IISS la semaine dernière. Je viens de revenir d'Asie, où ils s'inquiètent beaucoup plus de ce qui se passe à l'égard de la Chine que de la Russie.
Je recommanderais la lecture de l'ouvrage Easternisation: War and Peace in the Asian Century par Gideon Rachman, principal correspondant des affaires étrangères pour le Financial Times. Le livre vient de paraître et je pense qu'il aborde une bonne partie des questions qui nous occupent.
Je pense qu'on prête pas mal d'attention à la Chine comme la puissance montante par excellence. La puissance en déclin, c'est la Russie, et elle est probablement la plus dangereuse.
Vous permettez que je fasse un commentaire très rapidement?
Il me semble que votre question surgit d'un point de vue très canadien. Autrement dit, on n'en entend pas parler au Canada, mais dans la région Asie-Pacifique, il est amplement question du rôle de la Chine et de la manière de traiter avec elle.
Les Australiens en parlent à l'échelle nationale avec une intensité jamais vue au Canada. C'est l'une des raisons pour lesquelles je pense que les Canadiens devraient commencer à réfléchir à la dynamique que vous avez mentionnée.
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le président.
Merci à tous deux pour vos excellents exposés. Tout comme Mme Laverdière, j'estime qu'ils étaient mûrement réfléchis.
Le pouvoir a horreur du vide. Il me semble que les réunions du G7 et de l'OTAN la semaine dernière ont peut-être marqué un tournant, surtout compte tenu des commentaires de la chancelière Merkel.
Sommes-nous en train d'assister à un transfert de pouvoir réel à l'Allemagne? Depuis la Deuxième Guerre mondiale, l'Allemagne s'est restreinte en matière de militarisation. Compte tenu des commentaires de la chancelière Merkel et des propos agressifs de M. Poutine qui, comme vous le dites à juste titre, est l'adversaire plus dangereux, pensez-vous que nous sommes en période de réarmement, en particulier en Allemagne, mais plus généralement en Europe?
Je ne pense pas que nous soyons dans une période de réarmement, car je ne crois pas que c'est ce que la chancelière Merkel prétend, si elle est réélue. Je pense qu'elle demeure très transatlantique dans son esprit. Comme tellement d'autres, elle n'a tout simplement pas beaucoup de respect pour M. Trump.
Je pense que l'Allemagne est le pouvoir le plus important en Europe depuis plus d'une décennie. The Economist a qualifié la chancelière Merkel comme « l'Européenne indispensable », un attribut auquel je souscris.
Je pense que ce que vous avez vu, c'est simplement une réaction à une personnalité qui ne sera pas forcément sur le terrain. Cette relation germano-américaine est très importante, bien que M. Trump, comme mon ami David Frum a gazouillé, a fait davantage pour éloigner l'Allemagne des États-Unis — l'objectif de la politique russe depuis la Deuxième Guerre mondiale, d'abord de l'Union soviétique et à présent de la Russie — que M. Poutine ou ses prédécesseurs, mais je pense que cela passera.
Je crois que la chancelière Merkel l'a compris. Ses commentaires lors du rassemblement du parti ont été prononcés dans le contexte des prochaines élections allemandes. Elle doit remporter cette élection et comme il arrive normalement, les candidats cherchent à faire plaisir aux électeurs de leur circonscription. C'est raisonnable. Cependant, ses commentaires ultérieurs et ceux des personnes de son entourage ont confirmé qu'elle comprend très bien l'importance de la relation transatlantique, tout comme nous.
Je pense pourtant qu'il y a des chances réelles de réarmement en Asie. C'est de ce côté-là que je regarderais. Si vous voulez savoir qui dépense des fortunes en armes, eh bien c'est l'Asie et, comme nous l'avons vu depuis la visite de M. Trump, le Moyen-Orient.
Je conviens que la chancelière Merkel est assez réticente et qu'elle croit en la relation transatlantique, mais nous en avons pour quatre années assez difficiles, du moins en théorie. Nous ne pouvons pas baisser la garde.
Je voudrais également aborder la question de M. Saini, en particulier sur le concept « Une ceinture, une route ». Cette route traverse l'Afghanistan, où la situation chaotique semble se détériorer de nouveau.
J'aimerais connaître vos idées sur le genre de « compromis », faute d'un meilleur mot, que l'Alliance occidentale devrait faire avec la Chine à l'égard des exigences de sécurité de l'Afghanistan, car cette route unique n'ira nulle part si le chaos règne dans ce pays.
Le concept « Une ceinture, une route » englobe en fait plusieurs routes et ceintures. L'une d'elles passe par l'Afghanistan, en effet, mais le Pakistan est le tronçon beaucoup plus important de la ceinture. La possibilité d'arriver à un compromis avec la Chine en Afghanistan fait deux choses. Tout d'abord, elle exagère l'importance de l'Afghanistan pour cette initiative chinoise. Si on regarde les flèches dessinées dans les descriptions chinoises de cette initiative, on voit qu'elles sont orientées vers le nord et le sud et qu'elles passent par une partie de l'Afghanistan.
Le deuxième problème, me semble-t-il, c'est que cela exagère la capacité de la République populaire de Chine de faire réellement ce qui pourrait être nécessaire en Afghanistan pour fournir le type de sécurité que, disons-le franchement, nous n'avons pas vraiment vu depuis la fin des années 1970. Comme Canadiens, nous portons notre attention ailleurs depuis 2014, vous trouvez que les problèmes ne font que commencer alors qu'ils ont toujours été présents, y compris lorsque nous étions là-bas de 2001 à 2014. La capacité des Chinois à résoudre les problèmes de gouvernance de l'Afghanistan me paraît extrêmement limitée. Je ne pense pas que Beijing veuille le moindrement s'embarquer dans ce genre de galère. Les Chinois se contenteront de contourner l'Afghanistan si ce pays demeure problématique sur le plan de la sécurité.
Enfin, le gouvernement publiera l'ensemble de ses politiques cette semaine — affaires étrangères, défense et développement. Le document de l'examen de la politique de défense paraîtra demain. À quoi pouvons-nous nous attendre?
L'examen de la politique de défense devra aborder entre autres certaines des préoccupations que non seulement M. Trump, mais les Américains en général, doivent considérer. Vous êtes peut-être au courant du contenu de l'examen de la défense, moi pas. Je m'attendrais à ce que la question de la défense antimissiles balistiques soit enfin résolue. J'aimerais également le remplacement de nos chasseurs CF-18 désuets pour l'avenir de NORAD.
Que nous arrivions au 2 % magique dont parle Colin... Songez donc que si nous passons du 0,88 % actuel à 2 %, nous parlons de dépenses au chapitre de la défense de l'ordre de 40 % par opposition à 18 %. Les Canadiens ne peuvent pas dépenser comme les Australiens pour la défense. Les Australiens n'ont aucune difficulté à dépenser 1,9 % du PIB, mais je ne me souviens pas d'un gouvernement canadien libéral ou conservateur qui ait pu sérieusement envisager de dépenser 2 % du PIB pour la défense. Je serais curieux de voir comment M. Sajjan compte résoudre ce problème insoluble.
L'argent est un élément important. Je veux voir si la tendance va se poursuivre; je pense que c'est important. Notre marine patrouille le plus long littoral du monde. Dans ce climat d'incertitude, je pense que le domaine maritime devrait déterminer encore plus la façon dont nous allons gérer les choses. Allons-nous considérer différemment les pratiques d'approvisionnement, par exemple, pas seulement pour les F-35, mais aussi pour nos constructions navales? Je m'attends à voir quelque chose dans le domaine des opérations de maintien de la paix. L'ancien ministre Dion en a beaucoup parlé, mais il ne s'est rien passé. Irons-nous au Mali, par exemple? Quelle sera notre destination là-bas? Il faudrait toujours refléter les intérêts canadiens. Je m'intéresse à l'orientation suivie par le gouvernement, à savoir vers où il se dirige au chapitre de la sécurité et de la défense pour que le Canada ait du poids en tant que puissance intermédiaire.
Je suis de l'école de Pearson. Pearson accordait énormément d'importance à la diplomatie, tout en comprenant qu'il fallait avoir un pouvoir de coercition pour la soutenir, et c'est ce qui sert les intérêts canadiens dans ce climat d'incertitude. Songez à nos militaires et à leur travail comme premiers intervenants. Quand vient l'heure d'apporter de l'aide humanitaire, il est essentiel d'avoir de grands avions pour les besoins de transport. Il est également utile d'avoir des navires amphibies lorsque le niveau de la mer monte et cause des inondations.
Merci.
Juste pour reprendre le dernier point de M. Nossal sur la résolution de la question de la défense antimissiles balistiques et la poursuite de la discussion pour savoir si NORAD doit oui ou non être modernisé pour devenir quelque chose de plus qu'un programme de défense aérienne, le Canada jouant un rôle plus important dans la défense continentale globale, que conseilleriez-vous au gouvernement à propos de la défense antimissile?
Je dirais exactement la même chose que j'ai déjà dit au Comité. Je pense que c'est désormais une menace pour le Canada.
Kim Jong-un et la Corée du Nord ont d'ores et déjà la capacité nécessaire avec leurs missiles et la trajectoire... Les algorithmes et les systèmes intercepteurs américains protègent la côte ouest des États-Unis jusqu'à l'Alaska. Ils pourraient protéger Vancouver, mais des villes comme Calgary, Edmonton et Saskatoon risquent de ne pas être protégées, alors je pense qu'il y va de notre intérêt de participer. C'est la raison pour laquelle nous agissons. Ce n'est pas pour faire plaisir aux États-Unis, mais parce que c'est dans l'intérêt du Canada. Je pense qu'en ce moment, l'intérêt du Canada exige, à titre de police d'assurance, que nous participions à la défense antimissiles balistiques.
Et ce n'est pas seulement contre la Corée du Nord. Nous songeons à d'ici 20 à 25 ans. Nous ignorons quelles seront les réalités géopolitiques dans 25 ans, mais nous savons que nous serons profondément liés aux États-Unis, comme nous l'avons été depuis 1941. Il me semble tout à fait logique de compléter le processus qui a fondamentalement commencé dans les années 1950.
Je suppose que vous conseillez tous deux l'expansion de la défense continentale pour lutter contre les moyens de guerre non conventionnels...
La cyberguerre, certes, mais il y a toujours la possibilité d'introduire un dispositif dans un conteneur de fret maritime conventionnel.
Pour parler enfin des nominations incomplètes dans des ministères clés aux États-Unis, il est intéressant de constater que même si des postes sont vacants, ils existent toujours et que des professionnels de la politique étrangère comme Tom Shannon et Mike Froman continuent à remplir leurs fonctions et de communiquer avec leurs homologues canadiens dans plusieurs dossiers. Comment expliquez-vous cela? Pensez-vous que leurs voix ont toujours du poids à la Maison-Blanche?
C'est comme essayer de comprendre M. Trump.
Ont-ils de l'influence? Je pense qu'ils en ont, comme l'a dit Kim en parlant des adultes dans la salle, les généraux et le secrétaire Tillerson.
À mesure qu'ils recruteront du monde, je pense que le processus sera inévitablement plus prévisible aux États-Unis. Les Américains eux-mêmes le veulent ainsi. Le Congrès aussi. Encore faut-il compter sur les gazouillis de M. Trump à 3 heures du matin.
L'une des difficultés réelles tient au fait que M. Trump a tellement renié les acteurs républicains de la politique étrangère et de la politique de défense que son administration a du mal à recruter les gens nécessaires pour s'occuper de ces secteurs. En regardant la liste, on se demande où trouver des personnes qualifiées pour pourvoir des postes aussi incroyablement complexes que celui de secrétaire adjoint ou d'ambassadeur.
Merci beaucoup, messieurs Nossal et Robertson. Le temps que vous nous avez consacré est très apprécié. J'estime que nous avons eu une très bonne discussion. Nous pourrions sans doute y passer des heures encore ou y revenir à un moment donné. Nous vivons une époque très intéressante; c'est le moins qu'on puisse dire.
Un aspect qui m'intéresse tout particulièrement, c'est qu'il doit bien y avoir des points positifs pour M. Trump sous une optique canadienne. Le chaos est une bonne position de négociation, c'est du moins ce que j'ai toujours constaté quand j'ai négocié. Je suis très curieux de savoir si quelqu'un a une idée des aspects positifs de ce qui se passe aux États-Unis.
Nous aimerions en entendre parler à un moment donné, car tout semble indiquer que c'est impossible, mais qui sait s'il ne pourrait pas surgir de tout cela une occasion que le Canada pourrait saisir dans d'autres régions du monde ou même aux États-Unis pour acquérir davantage de poids. J'aimerais donc parler de ce sujet à un moment donné. Pas aujourd'hui, bien sûr, car nous n'avons pas le temps, mais c'est un sujet intéressant, car lorsqu'on est négociateur on a la ferme conviction de pouvoir accomplir des choses lorsque l'autre partie est un peu préoccupée.
Encore une fois, au nom du Comité, je voudrais simplement vous remercier. J'ai eu bien du plaisir ce matin et comme mes collègues l'ont dit, vos exposés ont été extrêmement bien présentés. Je vous remercie.
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