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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 018 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 7 juin 2016

[Enregistrement électronique]

(1545)

[Traduction]

    La séance est ouverte. Nous sommes un peu en retard, je le sais. Je demande pardon aux témoins. Nous avons dû procéder à quelques votes.
    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, la séance est consacrée à l'étude des pays ciblés par le gouvernement du Canada pour recevoir l'aide bilatérale au développement.
    Nous accueillons la représentante d'Aide à l'enfance Canada, Mme Marlen Mondaca; le représentant d'Initiative pour les micronutriments, M. Mark Fryars et, enfin, la représentante de Plan international Canada Inc., Mme Caroline Riseboro. Soyez les bienvenus.
    Procédons dans le même ordre que celui des présentations. C'est donc vous, Marlen, qui commencez. À vous la parole.
    Bonjour à tous. Je remercie le Comité d'avoir invité Aide à l'enfance Canada.
    Je me nomme Marlen Mondaca. Je suis la directrice des Programmes internationaux chez Aide à l'enfance Canada. Cette organisation place les enfants, garçons et filles, et leurs droits au centre de ses actions. Les enfants et leur bien sont le principe directeur central de notre travail. De fait, notre fondatrice Eglantyne Jebb est la rédactrice de la Déclaration sur les droits des enfants de 1923 qui avance l'idée selon laquelle les enfants possèdent des droits individuels. En 1924, la Société des Nations adoptait cette déclaration, sur laquelle se fondera la Convention internationale des droits de l'enfant, adoptée par l'ONU en 1989.
    Par conséquent, l'histoire de notre organisation qui travaille pour les enfants et avec eux à des programmes humanitaires et à des programmes de développement remonte à près de 100 ans et elle est orientée par les principes de cette convention. Vu notre histoire et notre longue expérience, je suis reconnaissante de l'occasion qui m'est offerte de passer les prochaines minutes avec vous pour vous faire connaître certains de nos sujets de réflexion et proposer des principes centraux qui peuvent inspirer les critères invoqués pour décider de l'avenir de l'aide canadienne bilatérale au développement.
    Le premier principe est l'importance, pour notre aide internationale canadienne, d'être axée sur les droits, en plaçant la personne, particulièrement les filles et les garçons, au centre de nos investissements et de notre stratégie. Ces 25 dernières années, la collectivité internationale a fait beaucoup de progrès en abandonnant la doctrine du moule unique pour tous et en axant davantage son action sur les droits, ce qui renforce la gouvernance locale et donne aux citoyens, y compris aux enfants, les moyens d'agir. Si nous voulons réussir à atteindre les objectifs de développement durable fixés pour 2030, il faudra que l'aide et le développement internationaux soient fidèles aux principes axés sur les droits, notamment l'universalité, l'équité, la participation, l'interdépendance, l'interconnexion et la redevabilité.
    Quand on se représente les filles et les garçons, c'est souvent au travers de la loupe de leur vulnérabilité. Nous sommes conscients de nos rôles d'adultes et de parents pour leur protection et la réponse à leurs besoins. Cependant, les enfants ne sont pas des mini-personnes dotées de mini-droits. Comme les adultes, ils possèdent des droits individuels à leur pleine mesure, qu'il faut respecter. Ils possèdent un pouvoir d'agir et peuvent, dans la mesure où leur développement personnel l'autorise, faire connaître leurs besoins, influer sur leur entourage et les institutions et être des agents de changement pour leur présent et leur avenir.
    Les enfants et les jeunes ont le droit de participer aux décisions qui touchent leur vie et ils doivent jouer un rôle central dans l'élaboration et la mise en oeuvre de solutions aux difficultés qu'ils affrontent. Notre expérience des programmes nous a enseigné que lorsque les voix des enfants et des jeunes sont entendues et prises en considération, tout le monde y gagne beaucoup. Les institutions, notamment les écoles et les autorités locales et nationales deviennent plus inclusives et plus redevables, tandis que le sentiment d'appartenance des enfants à leurs collectivités augmente. Grâce à leur engagement actif, les filles et les garçons construisent leur citoyenneté et ils sont en mesure de développer des habiletés qui leur permettent de trouver des solutions pacifiques, démocratiques aux problèmes qu'ils affrontent. Nous sommes donc très heureux de voir que la participation des enfants et des jeunes reste une priorité du développement.
    Au coeur des objectifs du développement durable, se trouve le principe que personne n'est laissé derrière et qu'aucun objectif n'est atteint s'il ne l'est pas pour tous. C'est ce deuxième principe que je voudrais soumettre à votre examen.
    Même si les objectifs du Millénaire pour le développement nous ont aidés à faire de grands progrès, nous avons été incapables de les atteindre tous, en partie en raison de l'inégalité des sexes et, aussi, pour des motifs dépendant de la race, de l'ethnicité ou de la géographie, c'est-à-dire, simplement, à cause de l'endroit où on vit.
    Voyons d'abord l'inégalité des sexes. Trop souvent, on refuse aux filles la voix au chapitre dans les ménages, les collectivités et les nations. Malgré des progrès, elle imprègne toujours tous les aspects des sociétés et elle est une cause première de l'existence de nombreux obstacles au développement durable dans le monde.
    Aide à l'enfance Canada croit qu'il est indispensable de reconnaître les causes premières de cette inégalité et de travailler à les transformer. Cela exige de s'attaquer aux normes sociales et aux institutions qui la renforcent.
(1550)
    La collaboration avec les femmes, les hommes, les filles et les garçons, les collectivités et les dirigeants religieux de même que la préconisation et la promotion de lois et de politiques favorisant l'égalité des sexes sont essentielles à la lutte contre l'inégalité des sexes.
    Il ne suffit pas de s'attaquer à cette seule inégalité. Il faut aussi tenir compte de la race, de l'ethnicité et de la géographie. Nous savons, par exemple, que les deux tiers des familles qui souffrent de la pauvreté et de ses effets sur la santé, l'alimentation et l'éducation vivent dans des pays à revenu faible à intermédiaire inférieur et dont le chef appartient à un groupe racial ou ethnique minoritaire.
    De fait, Aide à l'enfance Canada vient de publier les résultats d'une nouvelle recherche qui montrent que les probabilités d'inégalité dans les chances de réussir dans la vie dans les groupes raciaux et ethniques s'aggravent dans la majorité des pays sur lesquels on possède des données. Par exemple, les indigènes constituent 5 % de la population mondiale, mais 15 % de celle qui vit dans la pauvreté.
    Au Pérou, pays à revenu intermédiaire, les enfants quechuas indigènes ont des chances de réussir dans la vie équivalentes à celle de la moyenne des filles et des garçons de Gambie, l'un des pays les plus pauvres du monde. De fait, un enfant quechua est 1,6 fois plus susceptible de mourir avant son cinquième anniversaire et plus de 2 fois plus susceptible d'être chétif qu'un enfant de milieu hispanophone.
    Le troisième principe est que le Canada doit s'assurer que nous portons surtout attention aux filles et aux garçons qui sont le plus victimes d'exclusion, quel que soit l'endroit où ils vivent. Quand nous parlons de fragilité, dans le contexte du développement international, nous devons reconnaître qu'elle n'est ni statique ni arrêtée par les frontières. Elle est dynamique. Des États stables peuvent être fragilisés par les conflits ou une crise climatique. On y trouve des communautés fragiles en raison d'inégalités structurelles, le plus souvent fondées sur la race, l'ethnicité, le sexe ou l'éloignement géographique.
    S'il faut focaliser la stratégie d'aide au développement sur les États les moins développés et ceux qui sont fragiles, la stratégie canadienne doit aussi pouvoir viser les populations pauvres et marginalisées à l'intérieur des pays ainsi que les contextes fragiles à l'intérieur des États. Ça lui permettrait de répondre à ses principaux objectifs de développement et à ceux du développement durable.
    Comme des témoins l'ont sans doute souligné devant vous, dans leurs exposés, et comme les membres du Comité le savent sans doute, la géographie de la pauvreté s'est déplacée. La pauvreté n'est pas seulement omniprésente dans les pays à faible revenu, mais elle l'est aussi dans les pays à revenu intermédiaire. D'après la Banque mondiale, plus de 70 % des pauvres dans le monde vivent maintenant dans des pays à revenu intermédiaire. Ainsi, pour réduire la pauvreté et les inégalités dans le monde et pour aider les plus pauvres et les plus vulnérables, nos efforts, dans la droite ligne du mandat de la ministre Bibeau, doivent désormais viser non seulement les pays pauvres, comme unités d'intervention spéciale pour le développement, mais, aussi, les personnes marginalisées et vivant dans la pauvreté, peu importe l'endroit.
    Cette réorientation importante de l'analyse nous verrait nous focaliser sur les endroits où se trouvent les plus pauvres et les plus marginalisés et veiller à ce que notre manière d'agir dans le développement international soit adaptée à cette fin. Elle doit être conçue pour être souple, posséder des mécanismes permettant de rejoindre les personnes qui sont le plus dans le besoin et s'assurer de n'en oublier aucune. Le bon développement doit se fonder sur les besoins.
    Il est indéniable que les États fragiles et les pays les moins développés devraient recevoir la plus grande partie de l'aide du Canada au développement, mais on devrait également noter que, en 2013, l'OCDE a signalé que près de la moitié de tous les États fragiles avaient un revenu intermédiaire. La souplesse sera une caractéristique importante de l'aide canadienne au développement pour lui donner la plus grande efficacité.
    Enfin, pour conclure, je voudrais citer notre fondatrice Eglantyne Jebb, qui a dit que l'humanité devait offrir à l'enfant ce qu'elle avait de mieux.
    Le gouvernement canadien a la possibilité, grâce à cette consultation, d'investir dans des programmes de développement qui placent les enfants et les jeunes, particulièrement ceux qui sont les plus marginalisés, au centre de ses interventions, à la fois comme principaux joueurs et comme groupe touché. Il doit aussi comprendre la pluridimensionnalité de la vie des enfants et des jeunes et des problèmes qui les touchent.
    Les enfants qui vivent dans la pauvreté souffrent rarement de privations uniquement, lesquelles, habituellement, s'accompagnent d'une santé chancelante, d'une mauvaise alimentation, de faibles chances de bien s'instruire, de mariages précoces, de peu d'occasions d'emploi. Par conséquent, alors que les sources et les projets de financement risquent de se spécialiser dans des thèmes précis et de fonctionner dans une sorte d'isolement relatif, les privations subies par les filles et les garçons s'additionnent et se renforcent.
(1555)
    Les programmes intégrés qui s'attaquent aux diverses facettes des privations peuvent conduire à des résultats durables plus nets. En conséquence, nous recommandons au Canada de continuer à assouplir les mécanismes de financement des programmes conçus pour remédier aux privations multiples et particulières auxquelles filles et garçons sont exposés.
    Merci.
    Merci, madame Mondaca.
    Monsieur Fryars, nous vous écoutons.
    Merci. Je me nomme Mark Fryars. Je suis le vice-président aux Programmes et services techniques de l'Initiative pour les micronutriments. Je vous remercie de l'occasion que vous m'offrez de vous rencontrer.
    Initiative pour les micronutriments est déterminée à remédier à l'un des problèmes les plus urgents de notre époque, la malnutrition, particulièrement les carences en vitamines et minéraux essentiels qu'on appelle micronutriments. Nous sommes une organisation internationale sans but lucratif, d'envergure mondiale, mais basée ici, au Canada. Pendant près de 25 ans, notre initiative a exécuté des programmes très efficaces et appliqué de nouvelles méthodes pour aider à accélérer la diffusion, dans le monde entier, d'une meilleure alimentation.
    Notre mission est de permettre aux plus vulnérables, dans le monde, particulièrement les femmes et les enfants des pays en voie de développement, de recevoir la nourriture nécessaire à leur survie et à leur développement. Nous aidons les pays à concevoir, à mettre en oeuvre et à mesurer des solutions intégrées, innovantes et durables pour corriger les carences alimentaires.
    Grâce aux investissements du Canada et d'autres généreux donateurs, nous avons réussi à améliorer l'alimentation d'environ 500 millions de personnes par année dans plus de 70 pays. À lui seul, l'apport du Canada à notre programme sur la vitamine A a contribué à sauver la vie d'enfants dont on estime le nombre depuis 1998 à quatre millions.
    Pour nous, c'est un excellent exemple de l'aide officielle du Canada au développement qui remplit son mandat en étant réellement efficace. Je voudrais vous parler de l'importance de l'efficacité du travail et des actions du Canada.
    Pour commencer, je tiens à porter à votre attention cinq affirmations sur la focalisation géographique.
    Premièrement, permettez-moi d'insister là-dessus, l'efficacité est importante. Initiative pour les micronutriments a pu atteindre une efficacité notable pour le Canada et les Canadiens en concentrant ses efforts. Pour maximiser l'impact du Canada, nous croyons que son aide officielle au développement doit, de même, être focalisée, que ce soit dans les domaines thématiques ou les pays ciblés.
    Deuxièmement, la pauvreté n'est pas cantonnée dans les pays les plus pauvres. Je pense que vous venez de l'entendre de quelqu'un d'autre aussi. La malnutrition et la pauvreté dans le monde sont très complexes. Nous savons qu'une certaine proportion des plus pauvres, des plus vulnérables et des plus mal nourris ne vivent pas seulement dans les pays les plus pauvres mais, aussi, dans des pays à revenu intermédiaire inférieur. Tous ont besoin d'aide.
    Troisièmement, il est absolument essentiel de rejoindre les vulnérables. Un autre élément à considérer pour le Canada est de savoir où et comment être le plus efficace pour eux, particulièrement les femmes et les filles. Le Canada répond déjà bien aux appels à l'aide humanitaire internationale partout où elle est nécessaire. Mais l'aide au développement est aussi importante pour réduire la vulnérabilité. Le Canada vise par son aide un groupe assez bien équilibré d'États fragiles et de pays en voie de développement ainsi que de pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur, mais, dans ces pays, il importe de se concentrer sur la réduction de la vulnérabilité.
    Quatrièmement, je voudrais vous amener à voir que vous investissez à long terme pour obtenir des gains réels. Alors que le Canada songe à modifier le groupe de pays qu'il cible, notre expérience nous a enseigné qu'un investissement stable et prévisible, poursuivi pendant de nombreuses années est indispensable à l'efficacité à long terme. On peut ensuite le diminuer graduellement dès que les systèmes locaux ont été établis et qu'ils fonctionnent bien.
    Cependant, ce faisant, je dirais que, cinquièmement, vous devriez maintenir la souplesse de vos modalités de financement, parce qu'il faut reconnaître que les conditions existant dans un pays donné peuvent changer de temps à autre. Les modalités des investissements du Canada doivent donc s'y adapter. Notre conclusion est que le retour sur investissement pour les Canadiens est le mieux assuré là où le Canada maintient le cap et où il peut influer à long terme sur le changement pour le mieux.
    Néanmoins, l'impact ne se limite pas simplement aux pays ciblés par le Canada; il concerne plus souvent les problèmes ciblés par le Canada. Notre pays est en bonne posture pour piloter l'action contre certains grands problèmes d'envergure mondiale en intervenant contre eux de façon multilatérale, cette intervention étant façonnée, complétée et renforcée par un portefeuille d'investissements bilatéraux par pays.
    L'une des cibles particulièrement importantes du Canada est la malnutrition. Vous pourrez être étonnés d'apprendre que notre pays est un chef de file mondial dans ce domaine. Nous pouvons être fiers de nos réalisations. Avec le Royaume-Uni, les États-Unis et le Japon, le Canada est l'un des principaux donateurs mondiaux pour l'alimentation. Selon l'OCDE, il se place au deuxième rang et, à 4,8 %, il contribue le plus à l'aide au développement, plus que tout autre donateur institutionnel.
    Le Canada fait aussi partie des quelques pays qui mobilisent leurs vastes connaissances et leur expertise technique pour résoudre le problème de l'alimentation mondiale. Il a provoqué une prise de conscience internationale et il a investi dans l'action sur l'alimentation. Il appuie des programmes indispensables d'alimentation qui abaissent la mortalité des enfants et améliorent la santé des mères et des nouveau-nés ainsi que la survie des enfants.
(1600)
    Notre pays pourrait miser sur cet atout en insistant de manière stratégique sur l'alimentation des femmes et des filles, en particulier, comme élément central de son aide au développement international. Cependant, dans le document de discussion récemment publié sur l'examen de l'aide au développement international, il est à peine fait mention de la malnutrition comme problème exigeant une solution. C'est bien malheureux. J'espère que ça changera, en raison de l'importance des enjeux.
    Permettez-moi de vous en donner six raisons.
    Premièrement, la malnutrition tue. Elle est en cause dans près de la moitié de la mortalité des enfants avant l'âge de cinq ans. Elle est mondialement la première cause de morbidité.
    Deuxièmement, la malnutrition est l'un des obstacles les plus persistants à l'amélioration du développement humain. L'enfant bien nourri avant l'âge de deux ans prolonge sa scolarité d'au moins quatre années et il est susceptible à plus de 33 % d'échapper aux griffes de la pauvreté, à l'âge adulte, qu'un enfant qui a été mal nourri.
    Troisièmement, la malnutrition est à la fois symptôme et cause de l'inégalité des sexes. Il est inacceptable que nous vivions dans un monde où un milliard de femmes et de filles sont entravées par la malnutrition. La malnutrition limite carrément la capacité des femmes et des filles de croître, d'apprendre, de gagner de l'argent et d'exercer une influence. La discrimination sexuelle rejette trop souvent les femmes aux échelons les plus bas de l'échelle économique et sociale. Pire encore, dans certains pays, les femmes et les filles mangent les dernières et le moins. Je l'ai vu au Bangladesh, par exemple, où il n'est pas rare pour les femmes de consacrer beaucoup de temps à la préparation des repas pour les hommes, qui mangent les premiers, mais, s'il n'y avait pas assez de nourriture, elles et, parfois, les enfants devaient simplement s'en passer.
    Quatrièmement, la malnutrition coûte à l'économie mondiale 3,5 mille milliards de dollars américains par année. L'alimentation est l'un des investissements les plus rentables pour un monde en meilleure santé, plus productif et plus équitable. Des études ont montré que chaque dollar qu'on y investit en rapporte 16, ce qui n'est pas mal du tout.
    Cinquièmement, une bonne alimentation pour les femmes et les filles est essentielle à l'atteinte de la plupart des objectifs du développement durable. De la pauvreté mondiale à la santé, à l'éducation, à la croissance économique et au changement climatique en passant par l'égalité des sexes, l'alimentation a un rôle à jouer.
    Enfin, les personnes bien nourries résistent mieux aux chocs, y compris aux effets du changement climatique.
    La bonne nouvelle est qu'on peut prévenir et traiter la malnutrition, mais, pour la combattre, il faudrait un commandement mondial. C'est la condition pour en faire la priorité du développement et, aussi, pour atteindre les objectifs mondiaux du développement durable d'ici 2030; pour que les mesures visant à améliorer l'alimentation des femmes et des filles, particulièrement, soient amplifiées par les gouvernements, les donateurs, les organismes internationaux, la société civile et le secteur privé; pour opérer ce changement à l'échelle mondiale.
    Bref, le Canada peut miser sur son leadership en matière d'alimentation mondiale en se faisant le champion de l'alimentation des femmes et des filles, particulièrement, en restant engagé, devant le monde, à financer l'alimentation mondiale et en encourageant des initiatives à l'échelle mondiale pour renforcer l'alimentation des femmes et des filles par les gouvernements, les donateurs, les organismes internationaux, les organisations de la société civile et le secteur privé.
    Alors que le Canada redéfinit son rôle international, nous pouvons démultiplier nos forces et notre influence en visant stratégiquement à mettre fin à la malnutrition, à l'échelle du pays et sur les forums internationaux comme le G7, la Francophonie, les réunions des chefs de gouvernement du Commonwealth et l'Assemblée mondiale de la santé. Le leadership stratégique du Canada sur l'alimentation des femmes et des filles peut changer énormément de choses dans le monde.
    Merci beaucoup.
(1605)
     Merci beaucoup, monsieur Fryars.
    La parole est maintenant à Mme Riseboro, de Plan International Canada.
    Bonjour. Je m'appelle Caroline Riseboro, et je suis présidente et chef de la direction de Plan International Canada.
    Honorables membres du Comité, je vous remercie de nous avoir invités à témoigner aujourd'hui dans le cadre de votre étude sur les pays ciblés par le gouvernement du Canada pour recevoir l'aide bilatérale au développement, un sujet important qu'il faut étudier pour optimiser les effets de l'aide canadienne relativement à la réduction de la pauvreté mondiale.
    Fondé en 1937, Plan International Canada est l'un des organismes de développement axés sur les enfants les plus anciens et les plus importants du monde. Nous travaillons dans plus de 70 pays en vue d'apporter des changements durables pour les filles et les garçons dans leurs collectivités. Toutes nos activités sont fondées sur notre engagement ferme à l'égard des droits des enfants, et au fil des années, Plan International Canada est devenu un chef de file mondial en ce qui concerne l'égalité entre les sexes par l'entremise de programmes sexotransformateurs qui ciblent les causes profondes de l'inégalité. En fait, Plan International Canada est l'une des plus grandes ONGI axées sur les droits des filles dans le monde.
    Notre campagne Parce que je suis une fille a été lancée en 2012 et a aidé cinq millions de filles partout dans le monde. Notre objectif, dans le cadre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, est de créer un monde dans lequel on valorise les filles et les femmes, on fait la promotion de leurs droits et on met fin à l'injustice. À cette fin, Plan International, par l'entremise de sa campagne Parce que je suis une fille, est à la barre d'un mouvement mondial qui transformera les relations de pouvoir, afin de permettre aux filles de s'épanouir où qu'elles soient.
    Le monde d'aujourd'hui est en constante évolution, et il s'enlise dans des conflits complexes, des crises prolongées, des problèmes environnementaux et des migrations sans fin. Les frontières sont devenues plus fluides et à l’heure où le nombre de personnes déplacées atteint un niveau sans précédent, il n'y a pas de solution à l'horizon.
    Selon le HCR, 60 millions de personnes — dont un grand nombre de femmes et de filles vulnérables — sont présentement déplacées de force à l'échelle mondiale. Toute une génération d'enfants apatrides nés de ces migrants ne sont pas enregistrés et courent le risque d'être exposés, à long terme, à la négligence, à la violence et à l'exploitation. Des contextes fragiles, par exemple les sécheresses qui sévissent actuellement en Afrique de l'Est, ne durent plus seulement quelques années, mais se prolongent pendant des décennies.
    Le processus de sélection des cibles géographiques prioritaires doit tenir compte des circonstances complexes et changeantes et des besoins immédiats des personnes les plus vulnérables dans le monde, et il ne faut oublier personne, tel qu'il a été convenu par les nations qui ont établi les ODD.
    Nous croyons que l'aide canadienne au développement doit cibler ces défis afin de créer des occasions pour les gens qui vivent avec les effets permanents de cette aide. À notre avis, la sélection des priorités géographiques devrait tenir compte des conditions, des occasions et de la capacité de démontrer les effets de l'aide du Canada au sein des populations les plus vulnérables.
    En vue de cibler l'aide bilatérale canadienne au développement, j'aimerais vous communiquer une liste de quatre éléments clés qui tiennent compte des complexités du contexte mondial, profitent des forces et des avantages comparatifs qui existent déjà au Canada, utilisent les démarches qui ont donné de bons résultats et permettent d'exercer une influence et d'entraîner des répercussions plus profondes, surtout chez les populations les plus pauvres et les plus marginalisées, notamment les filles et les femmes.
    Voici ces éléments clés.
    Tout d'abord, il y a la marginalisation et la vulnérabilité. Comme nous le savons, l'aide canadienne au développement observe la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement officielle. L'un des principes fondamentaux de cette loi est la lutte contre la pauvreté. Nous convenons avec nos homologues que, quel que soit l'état d'un pays — qu'il soit le moins développé, qu'il ait un revenu moyen inférieur ou un revenu moyen —, nous devons appuyer les populations les plus pauvres, les plus marginalisées et les moins desservies.
    Les preuves sont incontestables: les adolescentes représentent la population la plus vulnérable de la planète. Cela comprend les adolescentes qui ne fréquentent plus l'école, les mineurs non accompagnés, les peuples autochtones, les minorités ethniques, les réfugiés et les personnes déplacées, ainsi que les populations touchées par le changement climatique.
    En raison de l'explosion démographique des jeunes dans de nombreux pays en développement, il existe également des occasions de créer des emplois et de cerner des occasions de développement économique, y compris la création d'emplois verts. Lorsque nous déterminons des priorités géographiques, nous devons également tenir compte de ceux qui ont été oubliés à l'ère des OMD. En fait, l'ère des OMD était surtout axée sur les personnes qui s'en tiraient un peu mieux, et maintenant, les ODD nous offrent l'occasion de nous concentrer sur les populations les plus vulnérables.
    Le deuxième élément concerne l'égalité entre les sexes. Comme certains de mes homologues l'ont souligné aux membres du Comité, les efforts du Canada en vue de faire progresser l'égalité entre les sexes sont souvent couronnés de succès, et comme nous le savons, ces efforts sont essentiels pour réduire la pauvreté. En effet, on a démontré, à l'aide de données probantes, que les cycles intergénérationnels de pauvreté pouvaient être brisés grâce à l'éducation des filles. Des filles éduquées sortiront leur famille, leur collectivité et leur pays de la pauvreté.
(1610)
    Nous devons intervenir auprès des filles qui ne fréquentent plus l'école ou qui se trouvent dans des écoles non sécuritaires et dans lesquelles les filles ne sont pas les bienvenues, des filles qui n'ont pas accès à l'eau et à des conditions d'hygiène de base, de celles qui n'ont pas accès à des services complets en matière de santé sexuelle, de reproduction et de santé en général, de celles qui risquent d'être victimes de mariage précoce et forcé, de celles qui sont victimes de négligence ou d'exploitation et surtout de celles qui sont vulnérables dans des situations de conflit ou de crise.
    Je crois que nous avons tous remarqué que je parle actuellement à un comité formé en grande partie d'hommes, et c'est pourquoi je ferais également valoir que nous devons intervenir auprès des garçons et des hommes, afin d'obtenir leur participation dans les enjeux essentiels liés aux droits de la personne, à l'égalité et aux caractéristiques masculines qui appuient l'égalité entre les sexes.
    Lorsqu'il choisit les pays, les régions ou les sous-régions qui profiteront de l'aide bilatérale au développement ou, en fait, de n'importe quel type d'aide au développement, le Canada doit tenir compte de la volonté et de la capacité à promouvoir et à faire progresser les droits intrinsèques des femmes et des filles et de la protection des personnes les plus vulnérables, qui demeurent les adolescentes.
    Le troisième élément est la fragilité du contexte. Nous sommes heureux que la ministre demande à ce que l'aide du Canada réponde aux besoins présents dans un nouveau contexte mondial, ce qui signifie que nous devons surmonter les obstacles et saisir les occasions qui se présentent. Cela signifie que la sélection des priorités géographiques liées à l'aide bilatérale doit répondre à la fragilité croissante des pays et des régions.
    Le quatrième élément est lié à une approche régionale et sous-régionale. En effet, les pays d'une région ou d'une sous-région font face à des défis similaires et peuvent profiter d'approches et d'investissements à l'échelle régionale ou sous-régionale. Les pays peuvent ainsi s'informer les uns sur les autres, ce qui aide à accroître l'influence régionale et les effets de l'aide fournie par le Canada. Selon nous, l'examen des priorités géographiques offre une occasion à saisir. Par exemple, les problèmes liés aux taux élevés de mariage précoce dans le sud et l'est de l'Afrique présentent de nombreuses similarités. Ainsi, la mise en oeuvre d'un programme sous-régional pour mettre fin aux mariages précoces peut devenir une façon très efficace d'offrir de l'aide tout en minimisant les coûts et en augmentant les effets.
    En plus de ces quatre éléments, nous recommandons également au Comité de tenir compte de trois autres facteurs déterminants de la réussite.
    Le premier est la souplesse. Lorsque la vaste majorité des fonds est envoyée à des pays ciblés, nous sommes souvent impuissants lorsqu'il faut répondre aux besoins de gens qui souffrent des conséquences de circonstances imprévues. C'est particulièrement vrai dans le cadre de la crise actuelle des personnes déplacées; elles sont très vulnérables, mais elles ne s'installent pas de façon permanente dans un pays.
    Le deuxième déterminant concerne les innovations qui peuvent être mises à l'échelle. Nous devons innover et mettre à l'échelle les programmes fondés sur des données probantes par l'entremise de partenariats stratégiques. Nous savons que l'ADO n'est tout simplement pas suffisante pour réaliser les ODD. Dans le cadre de l'ODD 17, nous ne devons pas hésiter à trouver des solutions avantageuses pour tout le monde, afin d'attirer des fonds de partenaires du secteur privé non liés à l'ADO et d'autres partenaires clés pour maximiser l'ADO. De plus, il ne faut pas oublier qu'il est important d'innover pour trouver de meilleures façons de faire notre travail, et pour mettre les programmes à l'échelle sur le terrain grâce à des solutions locales, afin de relever efficacement les défis, par exemple les effets du changement climatique. Cela signifie notamment qu'il faut tirer parti des technologies de pointe dans nos activités sur le terrain et assurer le suivi des résultats. Les innovations dont on a prouvé l'efficacité par des données probantes doivent être mises à l'échelle si nous souhaitons réaliser les ODD.
    Cela m'amène au troisième facteur déterminant. Dans le cadre des priorités géographiques, nous devons nous concentrer sur la surveillance, l'évaluation et les recherches pour assurer le suivi des investissements dans l'aide au développement, tirer des leçons des programmes précédents, accumuler des données probantes liées aux modèles éprouvés et optimiser les investissements du Canada à l'échelle mondiale. Cela permettra également au Canada d'établir un leadership réfléchi et de développer une expertise spécialisée et des sujets précis dans des régions géographiques. Ces données probantes sont également essentielles pour défendre efficacement les droits et, encore plus important, pour communiquer avec les Canadiens au sujet des questions liées au développement qui les intéressent.
    Pendant le dernier mois de la conférence Women Deliver, à Copenhague, j'ai eu la chance de représenter Plan International lors d'un lancement, car nous avons établi un partenariat avec KPMG et la Fondation Gates pour mettre au point un instrument de suivi des ODD axé surtout sur les femmes et les filles, tout en continuant d'accroître la surveillance, l'évaluation et la cueillette de données probantes.
    Pour résumer, il y a quatre éléments clés, à savoir la vulnérabilité et la marginalisation, l'égalité entre les sexes, la fragilité du contexte et les approches régionales et sous-régionales. Ces éléments s'accompagnent de facteurs déterminants de réussite, comme je l'ai mentionné plus tôt.
    Merci beaucoup. Je vous suis reconnaissante de votre temps.
(1615)
    Merci beaucoup, madame Riseboro.
    Nous allons maintenant passer aux questions. La parole est à M. Allison.
    Merci, monsieur le président. Je partagerai mon temps avec M. Clement.
    Monsieur Fryars, vous avez dit que la vitamine A avait des effets marqués. Quel est le coût exact d'un traitement à la vitamine A pour les gens que vous traitez sur le terrain, et à quelle fréquence doit-il être administré?
    Le traitement à la vitamine A chez les enfants représente une mesure préventive ainsi qu'un traitement, et le coût du produit est d'environ 5 ¢ par enfant par année; cette partie est donc extrêmement rentable. Le coût de livraison varie selon les conditions. Plus la population est éloignée, plus le coût est élevé, mais il varie de 25 à 50 ¢ et il atteint parfois environ 1 $ par enfant par année. Dans l'ensemble, ce service est très rentable et il est habituellement intégré à d'autres services pour réduire les coûts.
    C'est bien.
    Vous avez mentionné que votre organisme est l'un des plus grands fournisseurs de micronutriments. Quel rang occupez-vous parmi les fournisseurs de vitamine A à l'échelle mondiale? Comblez-vous une grande partie des besoins mondiaux? Où en êtes-vous à cet égard?
    En ce qui concerne la vitamine A, nous comblons environ 90 % des besoins mondiaux des enfants d'âge préscolaire, c'est-à-dire de moins de cinq ans.
    C'est excellent. Pour une ONG canadienne située ici, à Ottawa, vous avez un impact important.
    Oui.
    J'ai une autre question avant de laisser la parole à mon collègue. Vous avez parlé de partenariats avec d'autres pays. Comment savez-vous qu'il est temps de diminuer vos efforts et de permettre à un pays de prendre la relève? Une telle situation peut-elle se présenter?
    Je me rends compte que vous intervenez dans les pays les plus pauvres et les plus vulnérables. Y a-t-il un moment où vous êtes en mesure de passer le flambeau à ces pays? Comment cela se produit-il? Quels sont les critères en jeu?
    Oui, j'ai été témoin de cette situation dans quelques pays. Je travaille pour Initiative pour les micronutriments depuis maintenant 13 ans, et cela est arrivé à deux reprises. La première fois, c'était au Nicaragua, où nous avons investi au début des années 1990. Le pays a réussi à mettre sur pied des systèmes de surveillance de l'alimentation et à prévoir les mécanismes d'intervention nécessaires en cas de malnutrition. Ils sont toujours en oeuvre dans ce pays, sans aucun appui de notre part, de la part du gouvernement américain ou d'autres donateurs. C'est un bon exemple.
    Récemment, nous avons constaté que le Népal s'en tirait assez bien malgré le tremblement de terre. En effet, ce pays a réussi à réduire grandement son taux de mortalité infantile et certains autres indicateurs clés. Nous avons décidé qu'il n'était plus nécessaire de mener des interventions aussi soutenues dans ce pays, et nous avons donc diminué notre appui, car nous pouvions constater que le pays gérait bien ses affaires. On n'obtient pas ce résultat du jour au lendemain, mais c'est possible.
    Recevez-vous du financement de l'USAID ou du DFID ou d'un autre organisme pour vous aider à mettre des programmes en oeuvre ou votre financement provient-il surtout du gouvernement canadien?
    Nous recevons du financement du ministère du Développement international du Royaume-Uni et d'Irish Aid. Nous avons également reçu du financement de la Fondation Gates, d'autres fondations privées, du gouvernement irlandais, et d'un éventail d'autres...
    Parce que ces organismes reconnaissent que vous faites un excellent travail.
    ... en plus du Canada. Merci.
    Je vais maintenant laisser la parole à M. Clement.
    J'aimerais discuter avec Mme Riseboro.
    Selon les statistiques que j'ai consultées, de 1990 à 2015, près d'un milliard de personnes se sont sorties de la pauvreté, dont 650 millions en Chine et en Inde. Parmi ces personnes, 900 millions sont entrées dans la classe moyenne, c'est-à-dire qu'elles étaient pauvres en 1990 et qu'elles faisaient partie de la classe moyenne en 2015. J'aimerais entendre votre opinion là-dessus.
    À mon avis, il est logique, dans ce cas, de poursuivre les activités qui nous ont permis de concrétiser cette réussite. Pourquoi ne répéterions-nous pas les mesures qui ont réussi à sortir un milliard de personnes de la pauvreté en une génération? Je ne vois peut-être pas la situation de la même façon que vous, mais j'aimerais entendre vos commentaires à cet égard.
    Je crois que les recherches et les données probantes ont démontré que même s'il est vrai que des millions de gens se sont sortis de la pauvreté, il reste toujours plusieurs groupes très vulnérables. Je crois que si on pouvait formuler une critique à l'égard des OMD, ce serait qu'ils ont aidé les personnes qui s'en tiraient un peu mieux à entrer dans la classe moyenne.
    Toutefois, ces OMD ont laissé en plan des groupes importants de personnes vulnérables, formés notamment d'adolescentes, de minorités ethniques et d'enfants. En fait, des millions de femmes sont toujours exclues de l'économie, et je ne crois donc pas que nous pouvons nous contenter d'adopter l'approche précédente. En fait, dans le cadre des ODD, nous avons l'intention de n'oublier personne. Cela signifie que nous ne pourrons plus mener nos activités de la même façon. Nous devrons nous concentrer sur certains des groupes les plus vulnérables, ce qui nécessitera l'adoption de nouvelles approches.
(1620)
    Si un milliard de personnes supplémentaires se retrouvent, pour la plupart, dans la classe moyenne de ces pays, nous pouvons présumer que nous voulons les aider à aider ceux qui vivent toujours dans la pauvreté. Ce n'est pas seulement notre fardeau; c'est aussi le fardeau de la population du pays concerné.
    Il me semble qu'il existe des moyens de les aider à intégrer la transparence et la reddition de comptes à leurs propres structures de gouvernance, par exemple par la mise en oeuvre de mesures sévères contre l'évasion fiscale, afin de veiller à ce que les actifs des gens qui profitent du système soient libérés. Un autre exemple concerne les politiques commerciales qui favorisent le commerce avec des pays qui ont une industrie du textile. Ce genre de solution existe. Convenez-vous que ces initiatives pourraient aussi être utiles?
    Je crois que j'invoquerais à nouveau les données probantes. Selon ces dernières, il reste toujours des groupes extrêmement vulnérables, et il s'agit toujours des femmes et des filles. Par conséquent, certains des investissements les plus efficaces sont ceux qui permettent de veiller à ce que les filles aient accès à l'éducation. Actuellement, presque 65 millions de filles n'ont toujours pas le droit de fréquenter l'école. On force un grand nombre d'entre elles — 15 millions par année — à se marier à un âge précoce parce qu'elles sont pauvres. Pour parler franchement, on ne parviendra pas à régler ce problème par l'entremise de mesures contre l'évasion fiscale. Je crois qu'il est important que le Canada continue d'investir dans ces régions, d'autant plus que nous nous sommes engagés à participer à la réalisation des ODD, et selon ces derniers, nous ne devons oublier personne et nous devrions cibler les groupes les plus vulnérables. Les recherches démontrent clairement que les adolescentes forment toujours le groupe le plus vulnérable de la planète. Selon Kofi Annan, les recherches prouvent sans l'ombre d'un doute que l'investissement le plus rentable que nous puissions faire pour briser le cycle de la pauvreté consiste à faire en sorte que les filles aient accès à l'éducation.
    Allez-y, monsieur Sidhu.
    Madame Riseboro, vous avez effleuré le thème de la concentration géographique. J'aimerais que vous disiez s'il est important que le Canada en tienne compte dans l'aide internationale qu'il offre par l'intermédiaire d'organismes multilatéraux. Je suis presque certain que la réponse sera « oui » et, dans ce cas, j'aimerais savoir dans quels pays et dans quels secteurs le Canada est le plus susceptible d'en avoir pour son argent.
    Je dirai tout d'abord qu'il est évidemment important que le Canada porte son attention sur plusieurs pays, mais il ne faut pas non plus trop disperser le financement. Nous avons déjà ciblé plus de 80 pays dans le passé. À l'heure actuelle, je pense que 20 ou 25 pays constitueraient un investissement stratégique, parce que cela nous permettrait d'avoir une influence réelle et d'adopter une approche axée sur la transformation, ce qui entraînerait des retombées durables et permettrait d'obtenir des résultats à long terme.
    Pour ce qui est du financement des organismes multilatéraux, il est essentiel que le Canada prenne des dispositions à cet égard, qu'il conclue des ententes de financement bilatérales et qu'il finance des organisations canadiennes de la société civile. Je pense que mes collègues abonderont dans le même sens que moi parce que des discussions semblables ont eu lieu dans le secteur. Le fait est que les organismes multilatéraux se tournent souvent vers des organismes comme Plan International ou les organisations représentées par mes collègues ici présents afin de mettre en oeuvre des projets sur le terrain.
    Il arrive souvent qu'on ne nous accorde pas un financement suffisant pour y parvenir, et nous devons alors être en mesure de fournir les fonds manquants grâce à des dons provenant de citoyens canadiens. À vrai dire, dans le contexte actuel, puisque les dons de particuliers n'augmentent pas du tout, la pression qui s'exerce sur nous est plus intense quand nous ne recevons pas à la fois un financement bilatéral et des fonds des organisations multilatérales.
    En ce qui concerne les priorités, je répète qu'il faut que le Canada se concentre sur les populations vulnérables plutôt que sur un thème spécifique. Toutefois, le Canada fait figure de chef dans le domaine de l'égalité entre les sexes. C'est d'ailleurs un engagement qu'a pris par le gouvernement actuel. Comme je l'ai déjà dit, il faut de nouveau adopter une approche fondée sur des données probantes, lesquelles montrent que ce sont encore les femmes et les filles qui portent le fardeau de la pauvreté. Cependant, les femmes et le filles ouvrent aussi d'immenses possibilités, car il a été prouvé qu'investir en elles est l'un des moyens les plus efficaces de briser le cycle de la pauvreté.
(1625)
    Si je vous ai bien compris, vous recommandez que le Canada concentre son attention sur 20 à 25 pays parmi les 80 dans lesquels vous travaillez? Vous avez mentionné un pays d'Afrique, mais vous préféreriez travailler dans 20 à 25 pays sur les 80. Est-ce que c'est cela?
    Pour ce qui est des pays précis où nous travaillons, nous avons entrepris un examen mondial afin de déterminer à quel endroit Plan International devrait concentrer ses efforts, compte tenu de l'évolution constante du contexte planétaire. Dans le passé, je pense que le Canada a accordé une aide bilatérale à plus de 80 pays. Il porte maintenant son attention sur 20 à 25 pays et c'est une approche plus approfondie que nous recommandons.
    À titre d'ONGI mondiale, nous nous posons les mêmes questions.
    Je suppose que vous dites cela en raison du financement qui est disponible à l'heure actuelle, n'est-ce pas?
    C'est exact.
    Merci.

[Français]

     Monsieur Aubin, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je souhaite la bienvenue à tous les témoins qui comparaissent devant le Comité aujourd'hui.
    Ma première question est inspirée par les propos préliminaires de M. Fryars.
    Si mes notes sont exactes, vous avez dit avoir aidé 500 millions de personnes dans 70 pays, ce qui rend l'adéquation entre ces 70 pays et les 25 qui sont ciblés par le Canada un peu difficile à faire. On voit bien que c'est beaucoup plus large. Vous avez aussi dit quelque chose qui m'intéressait beaucoup, à savoir qu'on devrait peut-être adopter une approche fondée sur des problèmes ciblés plutôt que sur des pays ciblés. Quant à vous, madame Riseboro, vous avez parlé de l'importance de la flexibilité dans les déterminants.
    Ma question s'adresse aux trois témoins.
    Ne devrait-on pas revoir notre aide internationale? Deux avenues s'offrent présentement à nous, et l'une n'exclut pas l'autre. On pourrait hausser le montant de l'aide internationale, auquel cas 90 % de cette aide continuerait à aller vers les 25 pays ciblés. L'autre avenue consisterait à s'orienter à moyen terme, puisqu'on ne peut pas rompre nos relations indirectement, vers une approche davantage thématique ou fondée sur les pays ciblés.

[Traduction]

    Merci beaucoup. J'espère que j'ai bien compris la question. Vous me pardonnerez si je réponds en anglais.
    M. Robert Aubin: Aucun problème.
    M. Mark Fryars: Si j'ai bien compris votre question, vous vous intéressez à la portée des résultats que nous avons été en mesure d'obtenir, qui s'étendent à un très grand nombre de pays. Cela s'explique par le fait que nous nous concentrons sur un seul problème. Imaginez une mince ligne qui parcourt le monde entier et le long de laquelle nous offrons une aide cruciale mais essentielle, à un ou plusieurs égards, à un très grand nombre de personnes. C'est le genre d'approche multilatérale qui permet au Canada d'exercer une grande influence.
    Je conviens toutefois avec mes collègues qui sont ici que, pour mettre des stratégies en place, il faut aller beaucoup plus loin que cela dans les pays sélectionnés. L'idée de 25 pays me plaît. Cela va dans le même sens que les propos que j'ai tenus sur la présence à long terme, pendant une période prolongée, pour avoir une influence sur le cours des choses. Quand la capacité des pays à mettre des stratégies en place et à aller de l'avant connaît des hauts et des bas, avoir un partenaire de confiance qui est crédible est primordial.
    Pour répondre à votre question, je pense que tout est une question d'équilibre. Je crois que le Canada doit suivre les trois filières, tout en faisant preuve d'une certaine souplesse de façon à obtenir les meilleurs résultats possible au moyen des investissements réalisés. Pour ce qui est de l'« orientation politique », si je puis dire, de l'aide au développement international, il faut accorder au ministère la souplesse d'examiner la question de manière constructive et de miser sur les résultats optimaux pour les Canadiens en fonction des sommes investies.
    J'espère que cela répond à votre question.
(1630)
    Oui, je vous remercie.
    Madame Riseboro, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
    Si on travaille dans trop de pays à la fois, il devient effectivement très difficile d'obtenir des retombées durables. C'est pourquoi nous suggérons que le Canada s'en tienne à l'approche actuelle, c'est-à-dire à déployer des efforts dans 20 à 25 pays. Cependant, dans le contexte des objectifs de développement durable — les ODD —, il faut mettre l'accent sur les populations les plus vulnérables plutôt que sur un pays. Pour en revenir aux faits, l'aide publique au développement du Canada pourrait fort bien reposer sur une approche thématique visant les filles et les femmes.
    Toutefois, l'autre problème, c'est que 90 % du financement bilatéral du Canada est accordé actuellement à des pays prioritaires. Compte tenu de la précarité de la situation internationale et des crises prolongées qui sévissent dans le monde, le Canada pourrait décider de réduire ce pourcentage afin d'accroître sa souplesse. Cela pourrait être une bonne idée dans le contexte mondial actuel, où les crises durent plus longtemps et sont plus fréquentes qu'auparavant.

[Français]

     Je vous remercie.

[Traduction]

    Pour ne pas reprendre les propos de mes collègues, bien que je sois totalement d'accord avec eux, il faut aussi miser sur le dynamisme historique des investissements du gouvernement canadien en matière d'aide publique au développement. Par exemple, au cours des quelque 10 dernières années, nous avons fait de grands investissements et de grands progrès dans le dossier de la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants. Il serait regrettable qu'une réduction de l'investissement fasse dévier ces réussites. Je pense que pour parvenir à prendre de l'expansion et à exercer une influence à long terme, le Canada doit garder le cap dans certains domaines thématiques pour lesquels il a investi des sommes sans précédent.
    Il faut établir un fragile équilibre entre les priorités géographiques, pour continuer à générer des données probantes, et la création et le maintien d'une influence dans certains pays où le Canada travaille depuis toujours. Il faut aussi être conscients qu'un changement stratégique est nécessaire si nous voulons aider les plus pauvres et les plus vulnérables. Cela pourrait se traduire par la modification de certains mécanismes de financement et de la façon de financer certains de nos projets.
    Merci.
    Ai-je le temps pour une autre question?
    Non.
    Monsieur Saini, vous avez la parole.
    Monsieur Fryars, j'ai une question pour vous en particulier. Comme je suis pharmacien, votre organisme m'intéresse au plus haut point. Comment avez-vous décidé à quelles vitamines vous alliez accorder la priorité? Je comprends votre décision dans certains cas, mais j'aimerais que vous m'expliquiez comment vous avez arrêté votre choix.
    Il s'agit en fait des vitamines dont la carence au sein de la population a la plus grande influence sur la mortalité et la morbidité. Nous travaillons en étroite collaboration avec l'Organisation mondiale de la santé depuis plus de 20 ans pour identifier les populations où les problèmes de santé publique sont liés à des carences en vitamines et en minéraux. Nous en sommes arrivés à dégager les cinq substances les plus importantes, si je puis dire: la vitamine A, le zinc, le fer, l'iode et l'acide folique. Ce ne sont toutefois pas les seules. Nous recueillons quotidiennement des données qui nous permettent de constater l'importance des diverses interactions de la vitamine D ou de la vitamine B-12 dans le corps humain, et beaucoup d'autres choses. L'idée n'est pas d'exclure certains vitamines et minéraux, mais plutôt de nous concentrer sur ceux qui ont la plus grande influence sur la mortalité et la morbidité.
(1635)
    J'allais justement parler de la vitamine B-12 et de la vitamine C.
    À part cela, j'aimerais aborder une question ayant une portée un peu plus internationale. Il y a 20 ou 30 ans, nous savions que la population canadienne ne bénéficiait pas de l'apport quotidien requis en vitamines. Les aliments ont donc été enrichis pour assurer à la population un apport minimum.
    Il y a 5 ou 10 ans je pense, une entreprise française a mis sur le marché un produit appelé Plumpy'Nut. Vous en souvenez-vous?
    Oui.
    Ce que ce produit a de fascinant, c'est qu'il fournit des hydrates de carbone, des protéines et des matières grasse, mais qu'il peut aussi être enrichi de vitamines.
    C'est exact.
    Vous pourriez donc faire d'une pierre deux coups. Vous pourriez fournir un aliment nutritif auquel seraient ajoutés les oligoéléments qui font l'objet d'une carence.
    Je suis certain qu'un organisme comme le vôtre qui travaille dans différentes parties du monde éprouve des difficultés quant à l'accès et à la prestation des services. Vous pourriez faire d'une pierre deux coups: lutter contre la malnutrition et combler la carence en éléments nutritifs. Pensez-vous que cela puisse faire partie de...
    C'est une excellente question.
    C'est une situation complexe, parce qu'il y a des gens qui consomment une certaine quantité d'aliments, mais ces derniers ne sont pas suffisamment nutritifs même s'ils contiennent parfois une partie des autres macronutriments nécessaires. Dans ces cas, il faut enrichir les aliments dans la mesure du possible. On peut enrichir des condiments comme le sel, ainsi que la farine de blé, la farine de maïs, les huiles végétales et toutes sortes de denrées pour quelques sous à peine. Par exemple, il en coûte environ sept cents par personne par année pour enrichir la farine de blé. On peut ainsi rehausser la valeur nutritive des aliments, pourvu que ces derniers soient consommés en quantité suffisante. Voilà ce qui en est pour un segment de la population.
    Il y a toutefois un autre segment qui est tout simplement affamé. Les gens n'ont pas assez de nourriture. Plumpy'Nut — si je me souviens bien, il y a d'autres produits dans la gamme Plumpy — remplace aussi certains éléments nutritifs en plus des oligoéléments, mais son coût est loin d'être le même. En effet, il coûte environ 50 dollars américains par année par enfant.
    Vous êtes à même de constater la différence en termes de coût. Si l'on veut répondre aux besoins, il faut savoir qu'il y a 180 millions d'enfants dans le besoin seulement en Afrique. Pour desservir cette population, il faudrait une quantité énorme de rations d'urgence et d'aliments thérapeutiques.
    Si on pouvait mobiliser les ressources nécessaires, ce serait fantastique. Cependant, si l'on aborde la situation dans une perspective de mise en marché, il faut trouver les solutions adéquates pour les divers segments du marché, dont les besoins sont légèrement différents.
    Je vous remercie d'avoir parlé du coût, parce que je sais qu'il y a eu des problèmes de brevet avec ce produit à cause des ingrédients. Il y a d'autres pays et d'autres compagnies qui voudraient pouvoir le fabriquer. Selon moi, 50 $ est un prix un peu trop élevé compte tenu des ingrédients qu'il contient.
    En effet.
    Quelle est la difficulté à laquelle doit faire face la communauté internationale? Faut-il tenter de convaincre le fabricant de réduire le prix de son produit ou plutôt tenter de fabriquer un produit concurrent à moindre coût?
    Eh bien, je peux dire qu'il y a eu plusieurs tentatives de fabriquer des produits semblables sur place à bien meilleur coût. Je pense que le Canada a d'ailleurs participé à au moins l'un de ces projets. Souvent, la production sur place n'est pas nécessairement plus économique, mais selon le volume de production et les conditions du marché, elle peut parfois se révéler plus rentable.
    Je sais que plusieurs initiatives ont été lancées dans le monde. Nous avons discuté d'au moins l'une d'entre elles avec les fonctionnaires du ministère. Il s'agit d'un projet qui a vu le jour en Éthiopie et au Rwanda, où l'on tente de fabriquer des produits équivalents à bien meilleur coût. Bien que le produit ait été très utile à son arrivée sur le marché parce qu'il comblait un besoin criant, même l'entreprise française a admis que cela est nécessaire. Elle a même conclu une entente d'octroi de licence pour autoriser la production locale à moindre coût.
    Nous allons devoir écourter la deuxième série de questions.
    C'est à vous, monsieur Miller.
    Vous avez abordé brièvement un point important, à savoir le temps, l'argent et les ressources limités dont dispose le Canada pour relever ce qui est sans doute le plus grand défi de l'histoire de l'humanité, à savoir éliminer la pauvreté extrême, ou du moins la limiter considérablement.
    Je pense que l'une des choses qui nous exaspèrent, c'est que certains pays sont ciblés et pas d'autres. Pourquoi en est-il ainsi? Par exemple, en Afrique de l'Ouest, on se demande pourquoi ont consacre beaucoup de ressources au Mali, alors que l'aide accordée au Burkina Faso ou au Bénin est insuffisante, bien que leurs populations soient du même ordre et se ressemblent. La pauvreté ne s'arrête évidemment pas aux postes de contrôle douanier. On se demande alors ce que l'on peut faire si les ressources, les spécialités sur le terrain et même l'engagement dans ces pays sont limités.
    Vous avez parlé de transition vers des approches thématiques. Il faut donc déterminer dans quel domaine le Canada peut mettre son expertise à contribution. Voilà essentiellement la question que je vous pose.
    Monsieur Fryars, vous avez parlé de la nutrition. Madame Riseboro, vous avez parlé du rôle des femmes et de la défense de ce dossier. Le Canada peut être un chef de file dans toutes sortes de domaines, notamment pour ce qui est des enjeux liés à l'eau. Quel est votre avis sur ces trois dossiers et peut-être sur ce que je n'ai pas saisi à ce sujet?
(1640)
    J'aimerais d'abord dire qu'il faut adopter une approche holistique. Bien que la nutrition soit évidemment très importante, on ne peut pas aborder ce problème de façon isolée. Si des enfants survivent jusqu'à l'âge de 5 ans, mais qu'ils n'ont pas accès à l'école ensuite, nous ne les aidons pas à briser le cycle de la pauvreté. On ne peut pas parler de réussite si des fillettes survivent jusqu'à 5 ans, mais que leurs droits ne sont pas respectés, qu'on les marie à 12 ans, qu'elles ont leur premier enfant à 13 ans et qu'elles risquent fort de mourir en accouchant.
    C'est pourquoi j'estime qu'il est important de cibler de 20 à 25 pays, où nous interviendrons et fournirons de l'aide en suivant une approche holistique. Nous savons tous que le Canada n'a pas assez d'argent pour régler les problèmes du monde entier, mais je pense que le cadre des objectifs de développement durable nous donne une occasion unique de tirer parti des partenariats public-privé et d'utiliser l'aide publique au développement de concert avec les contributions ne provenant pas de l'APD.
    Plan International continue de travailler à plusieurs innovations qui regroupent des ressources publiques et privées afin d'accroître l'influence du Canada. Récemment, au Kenya, dans le secteur des technologies vertes, nous avons établi un partenariat avec le plus grand fournisseur d'énergie solaire, qui est incidemment une entreprise canadienne, afin de réduire la pauvreté énergétique et d'offrir des emplois verts, surtout à des femmes et à des filles.
    Je pense que c'est ainsi que les partenariats public-privé ont de grandes chances de succès.
    En ce qui concerne les ressources limitées, j'aime bien la suggestion de Caroline, qui proposait de regarder aussi du côté des régions et des sous-régions. Vous avez parlé du Burkina Faso, du Mali, des pays de l'Afrique occidentale française.
    Nous avançons entre autres que nous avons adopté une approche axée sur le Sahel. Nous examinons en fait un petit groupe de pays. Ce sont des pays relativement petits et nous nous penchons sur l'investissement fait dans l'ensemble de ces pays, car sur le continent africain, et notamment en Afrique occidentale, il y a des groupements économiques de pays. Il est ainsi possible de travailler avec l'Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), l'agglomération francophone, et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Ces projets se sont avérés très fructueux.
    Ce sont des occasions en quelque sorte à demi multilatérales et à demi bilatérales, ce qui permet au Canada d'intervenir de manière plus efficace et d'avoir un peu plus de latitude pour s'adapter aux circonstances.
    Aussi, je devrais peut-être expliquer un point, et je veux parler de la nutrition. Quand on met l'accent sur la nutrition, on vise les systèmes et les pays, pas la nutrition en tant que telle. Le problème, c'est qu'au Canada, par exemple, les gouvernements provinciaux ont des ministères de l'éducation, d'autres qui s'occupent des routes et des réseaux d'aqueduc. Mais il n'y a pas de ministère de la nutrition. Cela n'existe pas.
    Il faut intégrer la nutrition de manière globale, comme on l'a expliqué. Il faut que les filles et les femmes aient ce pouvoir et que des droits leur permettent de faire des choix à l'égard de leur apport alimentaire, par exemple. En disposant de l'information et de la capacité voulues, elles peuvent améliorer leur alimentation. La nutrition est un élément primordial qui doit être intégré à un cadre global de soutien social. J'espère que cela répond un peu à votre question, mais j'ai peut-être oublié quelques détails.
    C'est bien.
    Madame Mondaca, je vous écoute.
    Encore une fois, puisque je suis la dernière à répondre, mes collègues ont déjà pas mal tout dit. Pour ce qui est des ressources limitées, que vous avez mentionnées dans votre question, et des approches thématiques, je suis convaincue qu'il faut miser sur les partenariats publics-privés pour mettre en commun les ressources et ainsi s'attaquer aux multiples difficultés auxquelles nous sommes confrontés.
    La collaboration est la clé. Je crois aussi qu'il est primordial pour notre travail de s'associer aux gouvernements locaux et nationaux, et c'est aussi critique pour assurer la durabilité de toute initiative. Je vais vous donner un exemple. Aide à l'enfance travaille à des programmes bilatéraux en Colombie depuis des années. Nous collaborons avec des minorités ethniques et afro-colombiennes dans un secteur du pays rongé par les conflits, le nord-ouest de la Colombie.
    Nous voulons opérer une refonte profonde de leur système d'éducation. Aide à l'enfance ne peut pas faire cavalier seul. Nous devons travailler en étroite collaboration avec les autorités locales en matière d'éducation, qui nous permettent d'intervenir directement auprès des écoles, des directeurs et des enseignants, afin de changer la façon dont l'enseignement est offert aux jeunes enfants. Il n'est seulement question d'accès, mais aussi de qualité.
    Pour que le programme soit viable, pour qu'il ait une véritable résonance, il faut mobiliser les intervenants locaux, qu'ils soient issus de la collectivité ou du gouvernement. Je pense que l'objectif de toutes les organisations comme la nôtre est faire en sorte que les gouvernements puissent réellement offrir ce qu'ils ont le mandat d'offrir, et dans le cas d'Aide à l'enfance, nous voulons qu'ils remplissent leurs engagements à l'égard des enfants et des jeunes.
(1645)
    Merci, chers collègues.
    Nous allons devoir conclure là-dessus. Merci beaucoup à nos témoins. Le temps a filé à toute allure.
    Vos commentaires et vos recommandations nous seront certainement très utiles. Si vous pensez à d'autres détails que nous n'avons pas eu le temps d'aborder, n'hésitez pas à nous soumettre le tout par écrit. C'est un dossier qui nous tient beaucoup à coeur, alors nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir accordé de votre temps.
    Chers collègues, nous allons faire une pause de cinq minutes avant d'accueillir le prochain groupe de témoins.
    Merci.
(1645)

(1650)
     Chers collègues, la séance reprend.
    Nous recevons maintenant des professeurs. C'est toujours un plaisir pour moi de rencontrer des professeurs, car ils ont tendance à s'exprimer plus librement. J'aime beaucoup cela, je dois l'admettre.
    En commençant à ma gauche, je vous demanderais de vous présenter. Nous allons débuter sans tarder en espérant entamer la discussion immédiatement.
    Je m'appelle Aniket Bhushan et je suis professeur auxiliaire de recherche à la Norman Patterson School of International Affairs, de l'Université Carleton. Je dirige également une plateforme de données et d'analyse à l'université, la Canadian International Development Platform.
    Merci de nous accorder de votre temps.
    Est-ce que vous allez revenir à moi après les présentations?
    Oui. Nous allons revenir à vous.
    Bonjour. Je m'appelle Shannon Kindornay et je suis professeure auxiliaire de recherche à l'Université Carleton. Je travaille également avec Aniket et je suis consultante indépendante. Auparavant, j'ai passé environ cinq ans à l'Institut Nord-Sud, dont bon nombre d'entre vous doivent se souvenir.
     Je m'appelle Benjamin Zyla et je suis professeur à l'École de développement international et de mondialisation à l'Université d'Ottawa. Je suis aussi coprésident du Réseau de recherche sur les États fragiles du Centre d'études en politiques internationales.
    Merci.
    Monsieur Bhushan, nous vous écoutons. Nous allons passer aux questions tout de suite après.
    Je devrais d'abord mentionner que nous avons également soumis une version détaillée de mon exposé. Je viens du monde des données et de l'analytique, et cela devrait transparaître dans mes commentaires. Le mémoire plus complet vous a été remis à titre informatif, à consulter à votre discrétion.
    J'aimerais bien mettre en contexte ce que j'ai à vous dire. Mon exposé se divisera en deux parties: la première, les difficultés, et la deuxième, les recommandations — que devrait faire le Canada? —, si vous acceptez mon postulat en ce qui a trait aux difficultés.
    Premièrement, je crois qu'il y a lieu de se demander s'il est vraiment nécessaire d'établir une liste de pays ciblés, une liste de priorités. Aujourd'hui, quand nous accordons de l'aide, c'est souvent en réaction à des situations d'urgence, qui, de par leur nature, sont imprévisibles. Avons-nous donc vraiment besoin d'un cadre de priorisation?
    Je dirais que tout engagement strict à l'égard du développement à long terme, notamment lorsque les budgets sont serrés en raison des situations d'urgence et des crises humanitaires qui accaparent une bonne partie des ressources, constitue à lui seul une bonne raison pour avoir un cadre de priorisation, et c'est précisément pour cela qu'il faut penser à la liste de pays ciblés.
    Quel est le problème avec l'approche actuelle? Brièvement, l'approche actuelle est fondée sur une formule à trois volets: les besoins du pays, sa capacité de tirer profit de l'aide du Canada et de l'aide en général, et l'harmonisation de ses politiques à la politique étrangère du Canada.
    Qu'est-ce qui pose problème avec cette approche? Eh bien, certains ont avancé qu'elle est trop vaste et trop vague, et je suis aussi de cet avis. Ayant des pays partenaires dans notre point de mire, nous arrivons à 37 priorités et partenaires en tout.
    L'exécution de cette approche manque également de transparence. N'importe quel pays pourrait se retrouver sur la liste des pays ciblés ou partenaires, car les critères sont vraiment larges. Il n'y a pas d'analyse poussée qui justifie d'y consacrer 90 % de notre budget bilatéral — en fait, rien ne confirme vraiment non plus qu'il s'agisse de 90 % du budget bilatéral. Il n'y a pas d'objectif quantifié liant les priorités et les ressources.
    Je crois que cette approche est problématique pour d'autres raisons. En ce qui a trait aux changements contextuels globaux, dont d'autres ont parlé également, permettez-moi de les passer en revue très brièvement.
    De un, les programmes mondiaux sont de plus en plus vastes, alors ils ont tendance à nous inciter à disperser les ressources. Le meilleur exemple de cela renvoie aux objectifs de développement durable convenus l'an passé à l'ONU. Le processus de la Conférence des Parties sur les changements climatiques est un autre exemple de l'ampleur accrue des programmes, qui nécessitent plus de ressources.
    De deux, les règles qui définissent l'aide au développement officielle sont en train de changer. Nous pourrons en parler plus en détail pendant la période de questions et réponses.
    Et de trois, les intérêts diplomatiques et géostratégiques peuvent avoir une incidence sur l'élargissement de la portée des programmes, qui finit par disperser les efforts et les ressources. Par exemple, c'est le cas lorsqu'on fait un parallèle entre l'établissement de notre budget d'aide et la possibilité de gagner un siège au Conseil de sécurité de l'ONU. C'est une très mauvaise idée de faire un lien entre les deux.
    J'avancerais qu'il est facile de dire que nous voulons mettre l'accent sur les pays les plus pauvres et les plus fragiles, mais sachez que depuis 2000, le nombre de pays à faible revenu a diminué de plus de la moitié. Des 63 pays à faible revenu, il en reste maintenant environ 31. Il y a deux fois moins de pays appartenant aujourd'hui à cette catégorie. Nous avons aussi réussi à réduire de moitié la pauvreté extrême, avant la cible de l'objectif du Millénaire pour le développement. D'autres l'ont d'ailleurs mentionné.
    À mon avis, l'analyse de la situation des pays est peut-être insuffisante dans le contexte actuel. Les meilleures prévisions indiquent que la pauvreté extrême mondiale se concentrera de plus en plus dans un petit nombre de contextes très fragiles — je préfère parler de « contextes » plutôt que d'« États » — et dans les zones difficiles d'accès où subsiste une pauvreté profonde dans les grands pays à revenu moyen. Ce n'est rien que vous n'avez jamais entendu.
    Les objectifs de développement durable s'appuient maintenant sur de nouvelles ambitions, soit de mettre fin à la pauvreté extrême d'ici 2030, et cela signifie de ne laisser personne derrière. Cela signifie également que nous sommes confrontés à un nouveau problème, c'est-à-dire le « problème du dernier mille », comme je l'appelle. Plus on s'approche de la fin, plus il est difficile de l'atteindre. C'est dans ce contexte que je situe les défis que nous aurons à relever.
(1655)
    J'ai fait une analyse rapide des listes actuelles et des pays ciblés. Je vais les passer en revue très rapidement. J'espère que vous me poserez des questions à ce sujet tout à l'heure. Je vous ai soumis beaucoup de données à titre de référence.
    Je précise que notre analyse est construite en fonction de huit caractéristiques pouvant s'appliquer à l'ensemble des pays ciblés et partenaires actuels. Il s'agit de la croissance rapide de la population; l'urbanisation rapide; graves lacunes à l'infrastructure massive sociale et économique; explosion démographique des jeunes; graves problèmes entourant les questions de genre, les droits de la personne et l'égalité des sexes; vulnérabilité aux changements climatiques; capacité limitée et fragilité de l'État; et corruption endémique et difficultés liées à la gouvernance.
    En outre, notre analyse tient compte d'une série de facteurs afin de déterminer essentiellement dans quelle mesure le cadre de priorisation est efficace. Nous tenons compte de la fragilité, du développement humain, de la pauvreté monétaire, de la pauvreté non monétaire et de la défavorisation, et de la dépendance à l'aide. En résumé, et vous avez la version complète devant vous, si on regarde le quadrant, ou l'axe de deux par deux, on constate qu'il n'y a que quatre pays où persiste l'extrême pauvreté, ceux qui dépendent grandement de l'aide et qui reçoivent une aide considérable du Canada — c'est-à-dire plus de 5 %, par exemple, de toute l'aide reçue. Il s'agit d'Haïti, du Mozambique, du Mali et du Soudan du Sud. Dans chacun de ces pays, le Canada se classe parmi les 10 principaux donateurs.
    Vous avez aussi mon analyse sur d'autres pays pour lesquels j'ai fait un exercice semblable afin de situer le contexte de tous les pays ciblés et prioritaires actuels. La conclusion est que le Canada est parmi les 10 principaux donateurs pour 15 des 25 pays ciblés et seulement deux des 12 pays partenaires. Cela signifie que pour 20 des 37 pays ciblés ou partenaires, le Canada ne figure pas parmi les 10 principaux donateurs.
    En ciblant la pauvreté et la fragilité, le Canada a un résultat relativement satisfaisant, même selon ces critères, comparativement aux autres donateurs. Donc, pourquoi faudrait-il adopter une nouvelle approche? Je dirais que parce que le contexte mondial change, parce que nous avons besoin d'une approche plus disciplinée et transparente, et parce qu'une nouvelle approche plus stricte, mieux harmonisée et tenant mieux compte des nouvelles réalités mondiales donnerait plus de crédibilité au Canada et pourrait en faire un partenaire davantage prévisible sur la scène internationale.
    Que devrions-nous faire? J'ai trois recommandations à vous faire. Je vais y aller dans l'ordre.
    La première, qui reprend ce que j'ai déjà dit, c'est la nécessité d'adopter une approche à long terme qui est claire, transparente et spécifique, et j'insiste pour dire que cette approche doit aussi être disciplinée et sérieuse. Je tiens à le préciser, car je pense que c'est la principale lacune de l'approche actuelle. Consolider notre engagement envers le développement à long terme signifie de faire des prévisions d'environ cinq ans pour les pays à faible revenu qui ne sont pas considérés fragiles, et d'au moins 10 à 15 ans pour les États fragiles. Nos cibles devraient ainsi être établies en fonction des échéanciers et de nos ressources. Nous pouvons, et nous devrions, établir dès le départ des objectifs quantitatifs clairs qui favorisent la discipline, la transparence et la responsabilisation. Il faut ainsi cerner les principales lacunes et en déterminer les coûts, puis établir quelle proportion de l'aide canadienne peut y être consacrée.
     N'oublions pas que les retombées du développement doivent profiter au bout du compte à nos partenaires et aux bénéficiaires des pays ciblés, et pas vraiment au Canada. Ces retombées ne sont possibles que si notre partenaire est aussi sérieux, discipliné et engagé que nous. Nous devrions seulement nous abstenir d'investir si ce genre de partenaire n'est pas au rendez-vous. Nous obtiendrions une liste différente en appliquant ce principe, à mon avis.
    La deuxième, c'est la nécessité d'établir un meilleur axe grâce à ce que j'appelle une stratégie différenciée et intégrée. Une approche différenciée est essentiellement une stratégie axée sur les réalités des pays visés. Le Bangladesh, par exemple, n'est plus un pays à faible revenu. Personne ne prétend que tous les graves problèmes ont été réglés là-bas, mais ce n'est plus un pays à faible revenu. Le Bangladesh bénéficie également d'un accès au marché canadien. Pour ce qui est du commerce, les exportations du Bangladesh vers le Canada valent dix fois plus que l'aide que nous lui fournissons.
(1700)
     Cette approche reflète plutôt une réalité graduée où les pays sont classés en fonction du type de relation. La méthode n’a rien de nouveau et est employée par d'autres donateurs. Par exemple, les Pays-Bas ont adopté une méthode très similaire. Dans le cadre de cette approche, je propose que nous formions trois séries ou groupes de pays: le premier engloberait les états fragiles; le deuxième, les états à faibles revenus, mais qui ne sont pas fragiles; et le troisième, les pays en transition.
    La raison pour laquelle cette approche cadre bien avec une stratégie intégrée se résume vraiment par le fait que la politique en matière de développement au sein d'une approche intégrée ne se limite pas à la politique d’aide internationale. Dans une approche intégrée, nous ferions en sorte que les ressources financières à des conditions de faveur et sans condition de faveur permettent d'atteindre les résultats en matière de développement. Nous veillerons non seulement à réaliser des projets, mais aussi à offrir un soutien technique. Nous ferions en sorte que nos politiques d’aide et de commerce soient cohérentes.
    Si vous me posez la question, je pourrai vous donner des exemples de secteurs dans lesquels nous manquons de cohérence à l'heure actuelle.
    Enfin, ma troisième proposition porte sur les états fragiles, et je pense que nous avons besoin d’une stratégie particulière à ce chapitre. Les états et les contextes fragiles présentent vraiment des réalités uniques, très spécifiques et surtout changeantes. Les choses évoluent plus vite et plus radicalement dans ces contextes que nous ne pouvons vraiment le savoir.
    À défaut d’une analyse solide des objectifs que nous voulons atteindre et de leur caractère réaliste, en fonction du temps et des ressources que nous devons y consacrer, investir dans les états fragiles entraîne un coût de renonciation élevé. Mon but n'est pas de dissuader les investisseurs au sujet de ces états, mais simplement de faire en sorte qu'ils aient des attentes plus réalistes et une idée saine des délais et des risques qui font qu’investir dans ces pays fragiles est fondamentalement différent du reste du monde en développement.
    Permettez-moi de résumer.
    Si j'applique mes critères, je me retrouve avec trois groupes: des états fragiles; un ensemble de pays à faibles revenus, mais qui ne sont pas fragiles; et un ensemble de partenaires en transition. Si vous me demandez combien de pays cela représente, je dirais entre 12 et 15 environ, en tenant compte du budget et du maintien du statu quo. On parle donc de 3,5 à 4 milliards de dollars en aide bilatérale, ou plus précisément de 3,44 milliards, selon les données les plus récentes sur les projets de développement.
    Par contre, je tiens à vous avertir qu'il ne faut pas prendre les changements à la légère, étant donné qu'ils ont une incidence sur nos partenariats, notre prévisibilité et notre crédibilité, et qu'ils entraînent de véritables coûts de transaction relatifs au déplacement et à la modification des stratégies. Aussi, n'oublions pas que la majeure partie de l'aide internationale dépend énormément du parcours antérieur, comme beaucoup d'entre vous le savent probablement déjà. Quelque 30 % du budget sert uniquement à poursuivre les projets déjà en cours. Tout changement doit donc être pris très au sérieux.
    Je vais m'arrêter ici pour l’instant.
(1705)
    Merci.
    Nous allons maintenant écouter votre collègue.
    Allez-y, madame Kindornay.
    Je vous remercie de m’avoir invitée à donner mon point de vue sur votre étude qui tombe à point nommé. Grâce à vos conclusions, je suis persuadée que vous apporterez une précieuse contribution à l'examen actuel du cadre stratégique de l’aide internationale.
    J'aimerais répondre à deux des questions proposées. L’une portait sur la façon de faire en sorte que l’aide internationale du Canada puisse être adaptée à divers types de pays. Tout comme Aniket, je vais parler de l'approche intégrée et différenciée. Je voudrais aussi aborder brièvement la question du programme de 2030 et la façon de veiller à ce que nos efforts contribuent à la mise en oeuvre des objectifs.
    Un des avantages de comparaître devant votre Comité après un si grand nombre d’excellents témoignages, c'est que j'ai ainsi la chance d'insister sur des points que vous avez déjà entendus, mais aussi de vous présenter de nouveaux angles.
     Il y a eu pas mal d'échanges visant à déterminer s'il est même valable de cibler des pays particuliers. Certains ont demandé au Canada de s'attarder aux personnes les plus défavorisées, indépendamment du pays dans lequel ils vivent étant donné la géographie évolutive de la pauvreté. D’autres ont fait valoir qu'il manque de données probantes permettant de déterminer si le fait de cibler un pays améliore véritablement l'efficacité de l'aide, mais ils reconnaissent bien sûr la logique de cette méthode. Cela nous permet d’avoir plus de ressources et, par le fait même, d'avoir une incidence au sein des pays dans lesquels nous travaillons, de développer une expertise et de limiter nos frais administratifs.
     Cette façon de faire ne suffit peut-être pas à assurer l’efficacité de l’aide, mais elle y contribue probablement. Nos ressources sont limitées, et nous devons dépenser judicieusement pour élargir notre portée et avoir une incidence. Cependant, je pense qu’il convient de rappeler que notre choix de cible ne se rapporte pas qu'à notre point de vue sur le rôle du donateur. Il faut en fait tenir compte du fardeau qui incombe aux pays en développement partenaires, qui doivent passer beaucoup de temps à rendre des comptes aux divers donateurs avec lesquels ils collaborent. Nous devons vraiment faire en sorte que notre aide en vaille la peine.
    Je n’ai pas une opinion bien arrêtée sur le nombre de pays que le Canada devrait cibler. Aniket connaît assurément les données beaucoup mieux que moi, et je vous encourage à jeter un coup d'oeil au document d'information qu’il a présenté. Pour ma part, je pense plutôt qu’il est temps que le Canada base ses efforts en matière de coopération internationale sur une reconnaissance des besoins des pays partenaires, qui ont beaucoup changé. Je crois qu’il est grand temps que nous pensions au-delà de l’aide internationale lorsque nous envisageons la coopération internationale.
    À l'instar d'Aniket, je dirais que le Canada devrait adopter une approche différenciée et plus intégrée en matière de coopération internationale, ce qui définit nos objectifs et les modes de coopération auxquels le Canada aura recours pour différents types de pays. On vous a donné l’exemple des Pays-Bas, relativement à cette approche différenciée. Il y a les pays qui nécessitent une aide humanitaire, pour lesquels la participation se limite principalement à une aide extérieure étant donné leur capacité inférieure et leur besoin d’aide. Il y a ensuite les pays en transition, de même que les pays à revenus faibles et moyens, que nous qualifions de pays émergents, pour lesquels la coopération pourrait englober d’autres volets, comme le commerce et l’investissement, parallèlement à l’aide humanitaire.
    Les Pays-Bas ont en fait créé une autre catégorie pour les relations commerciales, qui comprend essentiellement les pays pour lesquels ils font la promotion de l’investissement et du commerce, tout en contribuant bien sûr aux retombées intérieures. À titre d'information, le Vietnam, la Colombie ainsi que le Canada font partie de cette catégorie commerciale. C’est peut-être une chose que nous pourrions envisager.
    Je ne propose pas d'adopter intégralement les catégories des Pays-Bas, mais je crois que nous avons besoin d’une approche semblable. Je suis d’accord avec Aniket sur le fait que le Canada a besoin d'un groupe pour les états fragiles et touchés par des conflits, qui serait distinct des pays qui ne sont pas en conflit et dont le gouvernement est mieux placé pour accueillir l’aide.
    L’approche différenciée devrait se fonder sur un ensemble de critères clairs définissant, pour chaque type de relation, la raison d'être de l'approche et les pays qui en font partie. En outre, il faut préciser le type d’outils que nous utiliserons dans ces diverses relations. Dans le cas par exemple des pays qui nécessitent une aide humanitaire, nous pourrions employer une combinaison d'aides traditionnelles, aider les États à réduire la pauvreté, tendre la main à ceux qui sont laissés pour compte, et créer un environnement plus favorable au commerce et à l’investissement. Du côté des pays en transition, le Canada pourrait améliorer les relations commerciales, mais aussi mettre à profit l’institution financière de développement qu'on nous a promis. Dans ce contexte, l’aide humanitaire devient un outil très stratégique qui sert bien sûr à cibler les pauvres au sein de ces États, mais il faut aussi miser sur d’autres formes de financement et aider les partenaires à augmenter les ressources nationales.
(1710)
     Une fois que les relations auront été choisies, elles devront être maintenues à long terme — ce que vous avez entendu à plusieurs reprises. Même si un pays passe d’une catégorie à une autre en raison d'une réussite ou d'un échec, peut-être, il ne doit pas être abandonné pour autant.
    Enfin, l’approche différenciée devrait fonctionner de concert avec d’autres formes d’aide, ce dont vous avez aussi entendu parler. Nous devons déterminer comment travailler en collaboration avec les organisations de la société civile, les organisations multilatérales et les organisations régionales, de même que la façon de composer avec les efforts mondiaux qui sont déployés, par exemple, pour relever les défis relatifs aux biens publics mondiaux.
    Je pense qu’il faut souligner le bien-fondé de cette approche qui est portée à votre attention.
    Tout d’abord, l’approche différenciée transforme notre conversation sur l'aide internationale seulement en une discussion plus complexe qui porte sur les recoupements entre notre développement, le commerce, la politique étrangère et d'autres priorités. L’approche nous oblige à trouver comment se servir des leviers politiques dans l'intérêt mutuel des pays partenaires et nous. L’approche des Pays-Bas a été adoptée à la suite d'un examen approfondi des interactions du pays avec le reste du monde dans tous les domaines, y compris l'agriculture, l'environnement, les mouvements migratoires, l'aide humanitaire, et ainsi de suite.
    Si le Canada décidait d’adopter une telle approche, soyez assurés que nous aussi devrions examiner comme il se doit le fonctionnement de nos relations avec le monde. Il faut éviter d'adopter à la hâte une liste de pays qui serait nécessairement créée à partir de notre liste actuelle de pays ciblés ou à partir de nos négociations commerciales, même si je conviens qu’une continuité s'impose. Nous devrions bien entendu tenir compte du point de vue des pays partenaires eux-mêmes. Malheureusement, l’examen de l’aide internationale ne s'attarde pas assez aux domaines autres que l'aide humanitaire.
    En deuxième lieu, une telle approche pourrait améliorer la transparence envers les Canadiens et les pays partenaires, grâce à la reconnaissance de nos intérêts multiples et à notre transparence à ce sujet. Elle pourrait aussi énoncer clairement l'uniformité de la participation du Canada dans le monde, ce à quoi on peut ou on devrait pouvoir s’attendre, selon moi, en raison de notre ministère décloisonné.
    Troisièmement, une approche différenciée nous permet de nous attaquer à la question des pays pauvres et des populations pauvres, dont vous avez beaucoup entendu parler. Cela signifie qu'il faut répondre aux besoins des deux types de pauvreté. Plutôt que d’employer impérativement les catégories d'États moins développés, d'États fragiles, d'États à revenus moyens, et ainsi de suite pour déterminer la forme de notre aide, nous devrions tenir compte de nombreux facteurs permettant de définir l'approche différenciée, y compris des zones de pauvreté. Nous pouvons prendre des mesures pour cibler la pauvreté dans tous les pays, y compris dans ceux qui pourraient se retrouver dans n'importe quelle autre catégorie.
    Je conviens que cette approche comporte des risques, et bien des gens ont dit qu'il faut préserver l'image du Canada afin de garder notre aide au développement à l'abri d’autres intérêts sur le plan politique. Bien franchement, je doute fort qu'il s'agisse d'une sorte de jeu à somme nulle. L'aide humanitaire devrait bel et bien être accordée conformément à la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement officielle, et elle devrait cibler les pauvres. Cela dit, nous ratons une foule d'occasions si nous ne relions pas plus efficacement nos intérêts dans plusieurs domaines stratégiques. Nous ne rendons pas service à nos partenaires non plus, dont un grand nombre estiment que le temps est venu de tenir cette discussion complexe.
    Il y a toujours un risque que l’aide humanitaire soit employée pour des intérêts commerciaux ou sécuritaires, mais l’approche différenciée concerne également l'incidence sur d'autres domaines stratégiques. En novembre dernier, j'ai visité les Pays-Bas dans le cadre d'une étude sur la participation du secteur privé au développement. Lorsque je discutais avec les responsables de l’aide humanitaire, je me souviens qu'ils aient parlé du besoin de faire appel aux intérêts commerciaux ou de collaborer avec les sociétés du pays pour la conception de l'aide au développement, ce que bon nombre d'entre eux trouvaient positif sur le plan de la durabilité. Si vous le souhaitez, nous pourrons en discuter lors de la période de questions et de réponses.
    Mais lorsque j’ai parlé plus tard aux représentants du secteur commercial, ceux-ci considéraient avoir pour mission d'intégrer les échanges sur la durabilité et le développement aux négociations commerciales et aux échanges avec leurs partenaires commerciaux, ainsi qu'aux forums multilatéraux.
    L’approche différenciée ne vise pas à mettre l’aide humanitaire au service d’autres intérêts. Elle vise à composer avec les différents objectifs dans l'intérêt mutuel de tous et dans le but de maximiser les résultats de la coopération internationale, en actionnant tous les leviers politiques de façon concertée.
    Pour terminer, j'aimerais dire quelques mots sur le programme de 2030 et sur nos programmes d’aide bilatérale. Je crois savoir que vous connaissez très bien les objectifs de 2030. Puisque vous avez entendu bien des gens en vanter les mérites, je n’entrerai pas dans les détails. Je voulais toutefois porter quelques points à votre attention.
    Le premier point se rapporte à un des risques que je constate dans notre façon d'aborder ce programme. Il existe un véritable risque que des pays comme le Canada reformulent leurs mesures conformément aux objectifs de développement durable plutôt que d'apporter de véritables changements. C'est ce que nous avions constaté dans le cas des objectifs du Millénaire pour le développement. Le risque est encore plus important cette fois-ci étant donné que les objectifs couvrent tout, comme Aniket l’a souligné à juste titre. Nous pourrions nous contenter de faire ce que nous faisons déjà sous prétexte que c'est pour atteindre les objectifs de développement durable. Nous devons donc être prudents à ce chapitre et reconnaître que les buts et principes du programme laissent entendre qu'il faut procéder autrement.
(1715)
    En deuxième lieu, notre approche relative à l’aide bilatérale peut reposer sur les cibles des objectifs de développement durable eux-mêmes. Si je prends l’exemple de l’objectif 17, qui porte sur la réalisation, il est notamment question d'améliorer la cohérence des politiques en matière de développement, de renforcer la mobilisation des ressources nationales et de réunir d'autres ressources financières à des fins de développement. Ce sont tous des éléments auxquels nous pourrions contribuer au moyen d'une approche différenciée.
    En ce qui concerne mon troisième et dernier point, un autre objectif porte en fait sur le respect de l’espace stratégique du pays, et sur le besoin de soutenir les pays qui prennent des initiatives dans leurs propres plans nationaux de développement durable. L'aide bilatérale du Canada doit correspondre aux plans nationaux de nos partenaires. À mes yeux, le Canada ne doit pas pour autant s’immiscer dans tous les secteurs, mais plutôt soutenir les pays partenaires dans les secteurs pour lesquels nous possédons une expertise, conformément à leurs plans.
     Nos cibles actuelles sont tellement vastes que je doute que le Canada ne puisse pas s’adapter aux priorités nationales des pays partenaires. Au contraire, nous devons reconnaître l’importance de vérifier que le gouvernement a les compétences nécessaires, que l'ensemble du Canada est mis à profit, et que nous pouvons en faire profiter les pays avec lesquels nous travaillons. En somme, pour atteindre les objectifs de développement durable, il faut soutenir les intérêts du pays et harmoniser notre aide en conséquence.
    Je vous remercie de votre temps, et j’attends vos questions avec impatience.
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant écouter M. Zyla.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie beaucoup de votre invitation à comparaître aujourd'hui.
    Je suis ici en tant que chercheur et en tant que personne qui s'intéresse au lien entre la sécurité et le développement, et en particulier aux États fragiles; aux questions de paix internationale et de sécurité; et à la sécurité des personnes en particulier.
    De toute évidence, je suis au courant de certaines discussions que vous avez eues dans le passé, dont certaines avec mes collègues qui ont comparu devant le Comité.
    Plutôt que de répéter ce qu'ils ont souligné, j'ai pensé qu'il serait utile que j'énonce pour le Comité certaines des questions plus vastes ou que je brosse un tableau plus global de ce qui, d'après moi, se situe au coeur du débat relatif à l'aide du Canada au développement et aux endroits où cette aide devrait aller et, bien sûr, que je vous fasse part de certaines des leçons apprises.
    Bien des gens ont tendance à oublier que nous venons de nous extirper de ce qu'il convient d'appeler un énorme casse-tête en matière de développement. Je parle bien sûr de l'opération en Afghanistan, qui dure depuis 2001. J'ai pensé profiter des quelque sept minutes qu'il me reste pour vous parler de quelques leçons apprises ou d'autres aspects qui ressortent d'après moi, ainsi que de certains des projets de recherche auxquels je travaille en ce moment.
    Je vais en particulier vous faire part de mes réflexions sur ce qui explique les échecs des États pour commencer, parce que le plus souvent, c'est dans les États que nous disons fragiles ou en déroute que notre aide au développement aboutit. C'est là que nous finissons par nous engager politiquement et militairement, en tant que pays, et que nous concentrons notre aide au développement. Autrement dit, nous devons comprendre les causes de la fragilité de ces États pour les aider à se rétablir, et cela a des effets sur la destination de l'aide canadienne au développement, sur le moment qui est choisi et sur la façon d'acheminer l'aide.
    Je vais ensuite parler brièvement des États fragiles, de la raison pour laquelle ils sont importants et de la raison pour laquelle ils ont surgi. Je vous donnerai peut-être aussi une idée de ce que la littérature dit sur les raisons pour lesquelles nous devons nous en occuper et sur les façons de le faire.
    Je vais aussi vous parler de l'approche dite pangouvernementale, ou globale — ce qui va se marier joliment à ce que mes collègues disent depuis un moment. Et mon dernier sujet, mais non le moindre, sera le lien entre terrorisme et développement.
    Premièrement, pourquoi les États se retrouvent-ils en déroute, et que savons-nous des raisons pour lesquelles ils se retrouvent dans cette situation? Permettez-moi pour commencer de vous dire certaines choses au sujet de la gestion des conflits en général. Mon premier point, c'est que l'aide au développement est certainement un élément de la gestion des conflits. Mon deuxième point, c'est que la gestion des conflits est un exercice qui concerne le spectre complet, et bien des gens ont tendance à l'oublier. La gestion des conflits ne se limite pas à une approche sectorielle; il faut miser sur une approche globale pour surmonter les situations de fragilité. Mon troisième point, c'est que manifestement, le Canada fait partie de cet exercice qui concerne le spectre complet. Mon quatrième point, c'est que le Canada intervient aussi dans la gestion de conflits dans le cadre d'un effort multilatéral. Quiconque croit que le Canada peut agir unilatéralement et se concentrer sur un secteur ou sur une région géographique doit y repenser. Mon cinquième et dernier point, c'est que le Canada est déjà intervenu dans la gestion de conflits dans le passé, au cours des 15 à 20 dernières années, sous l'égide de deux ou trois grandes organisations internationales — des interventions manifestement militaires, avec l'OTAN, et des interventions de nature politique, avec l'ONU et, dans une moindre mesure, avec l'OCDE.
    Cela étant dit, je vais vous parler très rapidement des raisons pour lesquelles les États fragiles sont importants, ainsi que de la mesure dans laquelle ils le sont. Premièrement, les États faibles ou fragiles ne représentent pas un phénomène nouveau. Il y en a depuis fort longtemps. Les données nous indiquent qu'il y en a depuis les années 1940, mais il ne fait pas de doute que la période de décolonisation qui s'est déroulée entre 1940 et 1970 a donné lieu à un grand nombre d'États faibles sur les plans financier, administratif et militaire qui étaient incapables de fournir des biens et services publics à leurs citoyens.
    De toute évidence, les expressions « États fragiles » et « États en déroute » sont devenues importantes dans le contexte du 11 septembre, puisque dans le sillage de cet événement, c'est le discours américain qui s'est imposé à ce sujet.
(1720)
    En fait, depuis le 11 septembre, les États fragiles ou en déroute sont au programme du gouvernement ainsi qu'au programme des universitaires. En général, le coût que représentent les conflits civils pour le pays en développement moyen — et je généralise — correspond à environ 30 années de croissance du PIB, ce qui est très considérable s'il y a des pays en développement sur la carte. Les pays qui sont en état de crise prolongée peuvent tirer de l'arrière de 20 points de pourcentage, quand il est question de surmonter la pauvreté. Encore là, c'est considérable. De plus, chaque voisin qui vit le conflit subit une baisse de son PIB de 0,07 %.
    Qu'est-ce qu'un État fragile, et pourquoi les États fragiles sont-ils importants? Selon la définition officielle de l'OCDE, un État fragile est un État qui est incapable de répondre aux attentes de sa population ou de gérer les changements qui surviennent dans ces attentes ou dans sa capacité grâce à un processus politique.
    Pourquoi est-ce important? Parce que 25 % de la population mondiale vit dans un État fragile ou violent. Entre 2001 et 2011, 90 % des guerres civiles se sont produites dans des pays qui avaient déjà connu une guerre civile dans les 30 dernières années. À peu près 75 % des réfugiés à l'échelle mondiale se trouvent dans des pays voisins d'États fragiles. La Syrie est un exemple très actuel de cela.
    Permettez-moi de vous parler brièvement de ce qui cause la fragilité des États. Non seulement la recherche sur les États fragiles — et sur les facteurs de causalité qui ont amené ces États à la fragilité — est un sujet de forte controverse, mais elle est aussi propre au contexte. Il y a ce que les chercheurs appellent des variables très nombreuses qui peuvent faire l'objet de tests quantitatifs et qualitatifs et qui ont une incidence sur la fragilité d'un État. Cependant, on peut disséquer certaines de ces variables importantes qui ressortent.
    Premièrement, le faible PIB et les degrés élevés d'instabilité politique font grimper les risques de guerre civile. Deuxièmement, l'extrême pauvreté et les piètres conditions sociales facilitent les conflits en produisant des recrues faciles à motiver pour les guerres civiles, souvent à cause de l'absence de solutions économiques de rechange. Troisièmement, les États deviennent fragiles s'ils n'exercent pas un contrôle suffisant sur les ressources naturelles, autrement dit, si certains segments de la société se lancent dans des discussions sur ceux qui devraient contrôler les ressources, mais aussi sur ceux qui devraient profiter de ces ressources. La quatrième chose, et non la moindre — nous pouvons manifestement parler d'appât du gain —, certains groupes sociaux font l'objet d'une discrimination systématique qui pousse les États vers les conflits.
    Cependant, toutes ces variables ne suffisent pas à causer un conflit ou à rendre un État fragile. Pour que cela se produise, il faut que le contrat social au sein de l'État soit brisé — que la cohésion sociale soit faible, qu'il y ait effondrement de l'appareil étatique et que les biens et services publics ne soient plus fournis au public. Bref, nous pourrions aussi dire que les États faibles — sur les plans organisationnel, financier et politique — risquent davantage de se retrouver en déroute.
    Qu'est-ce qui contribue clairement à l'échec d'un contrat social? C'est au coeur de la question: premièrement, les gouvernements faibles et corrompus; deuxièmement, l'État qui n'assure pas la sécurité de sa population; troisièmement, les institutions de l'État font ouvertement de la discrimination contre des groupes ethniques, religieux, linguistiques et sociaux en particulier; quatrièmement, il y a concentration du pouvoir dans certains segments de la société, et d'autres groupes de la société s'estiment négligés. Enfin et surtout, il y a une répartition injuste des richesses en ressources.
(1725)
    Certains de mes collègues en ont aussi parlé, mais il est également intéressant de souligner que des conflits ou des guerres sont plus susceptibles de se déclarer dans les démocraties naissantes que les autocraties. Pourquoi est-ce le cas? C'est que l'influence politique sur la scène nationale est contestée. Autrement dit, les pays qui sont en transition en vue de devenir des démocraties sont très vulnérables et devraient grandement mettre l'accent sur leur vulnérabilité à replonger dans les conflits et à redevenir des États fragiles. Qui plus est, une guerre civile a 5,2 fois plus de risques de se déclencher dans les deux premières années suivant l'indépendance d'un État. C'est un aspect qui est souvent négligé dans les discussions.
    Cependant, je tiens à m'assurer d'exprimer très clairement mon point. La diversité ethnique et religieuse au sein d'un État n'est pas suffisante en soi pour contribuer à le replonger dans les conflits ou même provoquer sa déroute.
    Pourquoi est-ce que j'insiste sur ce point? L'important, c'est que les interventions internationales — et j'inclus l'aide au développement comme une forme d'intervention internationale — devraient viser à reconstruire le contrat social des États fragiles et en déroute en tenant compte des objectifs suivants.
    Premièrement, il faut évidemment améliorer l'efficacité et la reddition de comptes de l'État. Cela signifie d'investir dans la sécurité des citoyens, le système de justice et l'emploi.
    Deuxièmement, il faut favoriser la mise en place d'organismes gouvernementaux efficaces sur la scène locale. Cela se trouve souvent sous la rubrique « renforcement de l'État », ce qui à son tour aidera l'État à renforcer sa résilience à l'égard des chocs externes. Nous entendons par « chocs externes » ou « résilience » la capacité de composer avec les changements sur les scènes nationale et internationale. Certains spécialistes ont fait valoir dans leurs publications que c'est pratiquement plus important que la réduction de la pauvreté en tant que telle ou les mesures à cet effet.
    Troisièmement, il faut également renforcer la légitimité et la gouvernance politique de l'État, c'est-à-dire la primauté du droit, la réforme du secteur de la sécurité, etc.
    Quatrièmement, à titre d'intervenants, nous devons comprendre les dynamiques politiques et historiques précises sur le terrain dans les États fragiles. Je soutiens que c'est certainement quelque chose que le Canada n'a pas compris, mais nous ne sommes pas les seuls à ne pas l'avoir compris en Afghanistan. C'est important, parce qu'il faut comprendre, si nous voulons reconstruire le contrat social, qui sont ces groupes, comment ces groupes sociaux interagissent, leurs relations, leurs responsabilités, etc.
    Cinquièmement, nous devrions limiter l'aide économique. Je pense encore ici à l'Afghanistan. Le Canada y a certainement joué un rôle, mais ce n'est évidemment pas le seul pays à avoir contribué à ce problème. Nous avons en gros créé un État rentier qui dépend énormément de l'aide au développement et qui n'est pas en mesure de développer ses propres capacités.
    Il y en a qui avance que certains types d'opérations de maintien de la paix doivent venir appuyer la sécurité interne et externe, et l'Afghanistan en est un bon exemple. D'autres sont même allés jusqu'à demander de placer l'État sous la tutelle de l'ONU. Je n'irais pas jusque-là, mais je le mentionne quand même.
    En vue de rétablir les relations entre l'État et la société, il faut évidemment non seulement nous occuper des élites locales qui ont bien entendu un rôle important à jouer dans ce processus, mais aussi comprendre les raisons profondes qui expliquent la fragilité des États.
    Vous vous demandez peut-être si c'est la sécurité ou le développement qui arrive en premier ou si les deux doivent se faire en même temps.
    Si nous nous fions aux leçons que nous avons tirées dans les années 1990 de notre expérience dans les Balkans et en Afghanistan, nous avons clairement besoin des deux en même temps. Nous ne pouvons pas fonctionner en vase clos. La sécurité et le développement doivent se faire en même temps, et nous devons aussi nous occuper de ces enjeux en même temps.
    Cela m'amène à mon deuxième point au sujet de la prétendue approche exhaustive ou pangouvernementale. Je me fonde encore une fois sur un projet auquel je travaille actuellement qui vise à comparer l'approche exhaustive en Afghanistan des États membres de l'OTAN depuis 2001. L'une des leçons importantes que nous avons certainement tirées de la mission en Afghanistan, c'est que les programmes du Canada en matière de développement, d'aide humanitaire, de paix et de sécurité doivent avoir la même visée pour être en mesure d'avoir un effet dans un pays très précis.
(1730)
    Comme nous l'avons trop souvent vu par le passé, chaque ministère ou organisme — je pense ici à Affaires mondiales Canada, au ministère de la Défense nationale et aux organismes de développement du Canada — semble fonctionner en vase clos. Le cas de l'Afghanistan vient encore à l'esprit, mais c'était aussi le cas dans les Balkans dans les années 1990. Nous avons en fait besoin d'adopter une approche globale en plus d'un cadre stratégique; il faut que nos institutions collaborent efficacement en ce qui a trait à un enjeu précis ou à des États fragiles ou même en déroute pour mettre en commun leur expertise, parce que le gouvernement canadien possède bel et bien une telle expertise. C'est une question d'organisation; c'est une question de gestion.
    Autrement dit, les ministères ne doivent pas travailler en vase clos. C'est une leçon que nous avons tirée de la mission en Afghanistan, mais c'est quelque chose que nous n'avons pas vraiment réussi à changer. Il s'agit certainement de l'une des leçons qu'il faut mettre en pratique.
    Au final, je crois qu'il est d'une importance capitale d'avoir du leadership. Les personnalités sont importantes, et vous avez besoin de personnes qui ont de l'expérience dans la fonction publique pour mettre en place un tel cadre général de gestion.
    Enfin, j'avance que l'approche exhaustive ou la prétendue approche pangouvernementale est évidemment un processus politique qui fournit un impératif stratégique à tout gouvernement qui aide des États fragiles. C'est précisément dans ce contexte que nous pouvons voir que ce que mon collègue Stephen Brown appelle la « sécurisation » de l'aide au développement; cela s'est produit encore une fois en Afghanistan, et c'est devenu un problème.
    Comme certaines données l'indiquent, les sommes investies en Afghanistan dans les questions relatives à la sécurité, dont la police militaire, étaient 10 fois plus élevées que ce qui a été dépensé en aide internationale. Nous pourrions dire que la sécurisation de l'aide au développement visait davantage à assurer la sécurité du pays donateur que celle du pays bénéficiaire.
    Mon troisième point porte sur les liens entre le développement et le terrorisme. Nous constatons dans la littérature que le terrorisme remplace la pauvreté dans les liens entre le développement et la sécurité. Cela signifie que l'aide au développement est davantage utilisée pour lutter contre le terrorisme dans le monde, et c'est encore quelque chose dont nous avons été témoins en Afghanistan. La sécurité devient plus prioritaire que le développement.
    Contrairement aux idées reçues dans certains pans de la population, les organisations terroristes ne se trouvent généralement pas dans des États fragiles. Pourquoi est-ce le cas? Même les organismes terroristes ont besoin d'un minimum d'infrastructure de base pour assurer leur fonctionnement. Je n'aime pas dire que les organismes terroristes y sont « attirés », mais ils voient certainement d'un bon oeil les États fragiles, mais pas les États en déroute, parce qu'ils ont besoin, comme je l'ai mentionné, d'une infrastructure de base.
    Qu'est-ce que l'aide au développement et la politique connexe peuvent, le cas échéant, faire de manière générale pour lutter contre le terrorisme? Je vous présenterai quatre ou cinq points...au cours de la période de questions et de réponses.
    Des voix: Oh, oh!
(1735)
    C'est mieux. Merci beaucoup.
    Je sais que vous, les professeurs, avez l'habitude de donner des cours magistraux d'une heure.
    Des voix: Oh, oh!
    Le président: Je vais vous en donner un de 10 secondes. Votre temps est écoulé.
    Passons aux séries de questions.
    Monsieur Kent, vous avez la parole.
    Comme le temps file, je ne poserai qu'une question; elle s'adresse à M. Zyla et concerne les liens entre le terrorisme et le développement. Le développement a toujours été difficile pendant et après des conflits, après des catastrophes, dans des États fragiles où il y a un vide politique ou une absence de gouvernance, de la corruption, et j'en passe.
    Vous avez commencé à décrire le nouveau phénomène du terrorisme à la Al-Qaïda et ses variantes et ses émules. Dans le cas de l'EIIS, nous voyons maintenant des imitateurs qui apparaissent dans diverses régions dans le monde et qui prétendent être associés au groupe armé. Ils le sont peut-être; nous ne le savons pas. Il y a maintenant des États, comme la Libye, le Soudan du Sud et le Congo, où il y a non seulement des groupes terroristes nationaux, mais aussi des groupes qui adoptent les motivations idéologiques et non idéologiques de groupes terroristes qui connaissent plus de succès ailleurs dans le monde. C'est pratiquement devenu une pollinisation croisée à l'échelle de l'hémisphère.
    Dites-nous ce que vous en pensez ou expliquez-nous comment cette situation viendra accroître la part de l'aide au développement y étant consacrée. Autrement dit, est-ce que tous les programmes sont susceptibles d'être touchés par ce nouveau phénomène terroriste qui prend de l'ampleur?
    Je ne crois pas que le problème disparaîtra de sitôt. C'est là pour rester, et ce phénomène se propage certainement au Moyen-Orient. Nous avons entendu dans les nouvelles au cours des dernières semaines que certains groupes terroristes ont maintenant choisis de s'établir en Libye. Je ne sais pas si c'est vraiment le cas. Je n'ai pas accès à ces renseignements classifiés.
    Je crois que nous pouvons tirer des leçons de la lutte contre les organisations terroristes. Par exemple, nous avons évidemment besoin d'une approche exhaustive. Nous ne pouvons absolument pas élaborer une politique de développement en vue de traiter de cette question sans inclure le ministère des Affaires étrangères et d'autres ministères et organismes gouvernementaux, parce que c'est évidemment un problème pangouvernemental. Il faut donc adopter une approche pangouvernementale.
    Je constate notamment que la société civile peut certainement jouer un rôle. La société civile joue un rôle sur le terrain. Cependant, nous devons être très prudents de ne pas reproduire le problème que nous avons créé en Afghanistan, c'est-à-dire créer un État rentier qui dépend de l'aide internationale. Nous devons laisser la société civile locale s'en occuper, parce que cela en renforcera en soi la légitimité. Cela donnera des biens publics aux citoyens.
    Deuxièmement, je sais que c'est une question très controversée, mais nous devons y penser. Je ne suis pas en train de dire que toutes les ONG le font ou le vivent, mais nous savons que certains types d'ONG ont collaboré avec certains types d'organisations terroristes. Nous en avons la preuve. Vous n'avez qu'à lire le rapport du Groupe d'action financière qui a été publié il y a un an ou deux. Le rapport mentionne clairement ces organisations et formule une quarantaine de recommandations sur les mesures à prendre à leur égard.
    Il y a également de nombreux chercheurs qui ont essayé de comprendre les liens entre la pauvreté et le terrorisme. Autrement dit, si le taux de pauvreté est plus élevé, y a-t-il plus d'attentats terroristes? La réponse est qu'il n'y a clairement aucun lien entre les deux. Autrement dit, ce n'est pas parce qu'un pays est plus pauvre que cela signifie automatiquement qu'il y aura plus d'attentats terroristes, et l'inverse est également vrai. C'est en fait tout le contraire. Des chercheurs ont constaté que les pays où le revenu national est plus élevé sont victimes d'un plus grand nombre d'attentats terroristes.
    Cependant, en ce qui concerne les États fragiles, nous constatons un lien entre la fragilité de l'État et son expérience dans les situations d'urgence nationale. Nous n'avons qu'à penser aux tremblements de terre, aux catastrophes naturelles et aux autres situations semblables. Des renseignements nous indiquent clairement que les organisations terroristes tirent profit de ces situations et de ces expériences pour prendre de l'expansion et gagner du terrain dans ces pays.
    Nous avons également des données qui démontrent que les investissements directs à l'étranger et le commerce n'ont aucun effet direct sur la réduction du terrorisme. Cela va à l'encontre de ce que certaines personnes croient, mais c'est ce que des recherches universitaires tendent à démontrer.
(1740)
    Merci, monsieur Zyla.
    Monsieur Levitt, vous avez la parole.
    Je poserai seulement une question pour que nous ayons le temps de faire le tour. Ma question porte sur la dynamique entre les droits de la personne et notre aide publique au développement et les pays ciblés.
    Nous avons réalisé des travaux au sein du Sous-comité des droits internationaux et de la personne; nous nous sommes notamment penchés sur les importants défis sur le plan des droits de la personne au Honduras et au Myanmar, qui font évidemment partie de la liste des pays ciblés du Canada.
    J'aimerais avoir votre opinion sur l'utilisation de l'aide au développement en vue d'essayer d'améliorer la situation des droits de la personne, c'est-à-dire l'utilisation de la carotte plutôt que du bâton. C'est une question à laquelle nous réfléchissons actuellement. Nous essayons de déterminer comment nous y prendre.
    Nous avons l'exemple du Myanmar pour lequel nous avons un intérêt renouvelé et avec lequel nous avons renoué des liens. La démocratie en est encore à ses débuts dans ce pays, mais nous constatons que son bilan en matière des droits de la personne est loin d'être reluisant. Par exemple, les droits de la personne des Rohingyas y sont bafoués de manière assez flagrante. Pourriez-vous nous faire part de vos opinions sur ces pays en particulier ou de manière générale quant à la manière de faire les deux?
    Si vous me le permettez, je vais essayer de vous répondre de manière un peu indirecte. Comme mon collègue l'a mentionné, une école de pensée prône de déterminer l'ordre et les priorités, ou de mettre la charrue avant les boeufs, en vue d'établir ce qu'il faut faire en premier.
    Certains avancent qu'il y a une manière de traiter de la question des violations des droits de la personne et qu'il faut seulement regarder ce qui se passe concernant certains groupes et dans certaines régions précises. Nous pouvons aussi examiner la tendance générale qui se dégage dans certains pays, certaines sociétés et certaines populations. Les violations de divers droits que nous constatons sont-elles quelque chose de systémique et de systématique ou est-ce davantage quelque chose de ciblé?
    En ce qui concerne l'établissement de l'ordre et des priorités, si nous mettons l'accent sur des approches générales, c'est-à-dire le développement économique, la croissance et le développement inclusif à grande échelle, dans un pays comme le Myanmar, nous ne pourrons pas faire grand-chose sans très rapidement devoir composer avec des sujets brûlants. Si vous partez du principe que nous avons vraiment des partenaires pour être en mesure de nous attaquer à ce problème et à cette situation et de l'améliorer de manière ciblée et isolée, la meilleure solution est d'investir. Si je gérais le portefeuille, j'investirais davantage à grande échelle en m'assurant que le pays progresse généralement dans la direction souhaitée, et je me fixerais des attentes raisonnables.
    L'autre option serait de rendre le tout conditionnel, mais c'est un terrain glissant. D'un côté, du point de vue des relations entre les gouvernements, vous voulez pouvoir aider l'autre à se rendre à cette étape. J'adopterais avec une très grande prudence une approche qui se fonde sur les droits au sens strict.
(1745)
    Un autre témoin aimerait-il nous donner rapidement son point de vue à ce sujet ou êtes-vous tous d'accord avec ce que nous venons d'entendre?
    Permettez-moi de risquer une idée.
     Elle ressemble à ceci. En général, selon ce que vous cherchez à cibler, les politiques en matière de développement et d'affaires étrangères relèvent de décisions politiques. Le nombre de pays qui ont besoin d'aide au sens large est énorme. Pour en avoir la liste, vous n'avez qu'à regarder l'indice des États non viables. Y sont recensés les États fragiles, et j'ai cette liste ici, devant moi. Il y en a plus ou moins 32 qui pourraient être aidés à différents égards, comme en ce qui concerne la violation des droits de la personne que l'on constate dans certains types d'États fragiles. En fin ce compte, l'identité des pays que vous allez aider est un choix politique. Il s'agit de déterminer où vous souhaitez mettre l'accent en tant que pays ou, peut-être, en tant que gouvernement.
    Je crois que les pays qui nous viennent à l'esprit, ceux qui sont — je ne voudrais pas dire les plus importants, car ce serait une façon étrange de présenter la chose —, bref, ceux qui sont dans l'état le plus précaire à l'heure actuelle sont les pays les plus évidents, nommément l'Irak, la Syrie, la Libye, l'Afghanistan et le Darfour. Nous avions une bonne feuille de route au Darfour, mais le Sud-Soudan semble maintenant avoir disparu de l'écran radar.
    L'ampleur de votre intervention dans ces pays est fonction du montant qu'il y a dans votre enveloppe. La vérité, c'est que les ressources ne seront jamais suffisantes, alors il vous faudra penser de façon stratégique pour établir si vous allez procéder pays par pays, ou par région. Quel que soit le cadre que vous choisirez, ce sera toujours une décision politique.
    Merci.

[Français]

     Monsieur Aubin, vous avez maintenant la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
    J'ai deux questions à poser et elles seront brèves. Par la suite, monsieur le président, je vous laisserai gérer le temps dont disposent les témoins.
    Ma première question porte sur l'approche différenciée à laquelle deux des intervenants ont fait allusion.
    Les trois stades de développement constituent-ils des obligations? Le problème actuel avec les 25 pays ciblés est qu'on se dit qu'on ne peut pas se retirer avant d'avoir atteint nos objectifs. Lorsqu'on accompagne un pays par une approche différenciée en suivant les trois stades de développement, a-t-on comme obligation, dès le début de notre implication, de se rendre au dernier stade de développement?
    Ma deuxième question m'est venue à l'esprit en écoutant le professeur Zyla aborder entre autres la question de l'Afghanistan. Curieusement, quand on participe à un conflit armé, on le fait très généralement de façon multilatérale. Toutefois, quand vient par la suite le moment de la reconstruction par l'entremise de notre développement international, on le fait de façon bilatérale. N'y aurait-il pas lieu de revoir cet aspect pour fournir aussi de l'aide multilatérale? Dans certains cas, le Canada pourrait être un chef de file dans un pays et un partenaire dans un autre.
(1750)

[Traduction]

     Je peux répondre à la première au sujet de l'obligation de rester tout au long des différents stades de développement.
    Selon moi, nous parlons d'une relation d'une grande portée et d'une grande profondeur. S'il est question d'une relation à long terme — et cela fait aussi partie de votre prémisse —, alors il est sensé d'entretenir de bonnes relations avec le pays visé au moment où il passe du stade de l'aide au stade de la transition. Cette façon de faire est justifiée à bien des égards, surtout si l'on garde à l'esprit que la finalité de ce processus est un état où la coopération n'est pas du tout axée sur l'aide, si aide il y a toujours. À ce stade, la relation est davantage axée sur les investissements et le commerce, comme ce serait le cas de nos relations avec un autre pays à revenu élevé. Dans une certaine mesure, c'est ce vers quoi nous tentons d'amener les pays avec lesquels nous travaillons.
    Je ne sais pas si je parlerais d'une « obligation », mais disons qu'il y a une certaine logique à procéder de la sorte. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas de nouveaux aspects à prendre en considération au cours des prochains cinq ou dix ans passés auprès de ces pays partenaires, mais je crois qu'il est très logique de soutenir de tels partenariats du début à la fin. Il faut notamment reconnaître que l'intégration ou l'engagement entre les deux pays ira croissant et, dans cette optique, utiliser divers leviers politiques.
    Je suis d'accord avec cette réponse de ma collègue.
    Une partie de la justification qui sous-tend la suggestion de recourir à une approche différenciée est, bien entendu, la difficulté de résoudre le dilemme qui se pose lorsqu'il s'agit de choisir entre pays pauvres et personnes pauvres. Je dis cela parce qu'il y a des poches de pauvreté tenaces dans des économies émergentes qui semblent connaître une croissance rapide, qui ont une classe moyenne, un programme spatial et tout le reste. Voilà d'où vient cette suggestion.
    Selon moi, le fait de proposer une approche différenciée a plus à voir avec la discipline qui nous incombe qu'avec l'obligation d'être présent à tous les stades. L'adoption d'une approche qui met davantage l'accent sur l'intégration et la différenciation orientera nos réflexions au sujet de notre engagement avec ces divers groupes de pays.
    Permettez-moi de vous donner un exemple patent de cela. À l'heure actuelle, nous priorisons l'accès au marché, les relations commerciales et l'aide au commerce. Dans le cadre de l'aide au développement à l'étranger, nous donnons des millions de dollars à des pays pour qu'ils aient de meilleures relations commerciales avec le Canada et un meilleur accès au marché canadien. Deux pays de notre liste prioritaire ont particulièrement profité de cette aide: l'Indonésie et le Vietnam. Afin de vous donner une idée de l'absence de cohérence dans ce domaine, j'ai analysé les données relatives à ces pays et je les ai comparées à l'ensemble de l'aide que nous leur donnons en matière de commerce et à ce que nous percevons en droits sur les quelques produits qu'ils réussissent à exporter au Canada. Or, j'ai constaté que les droits à l'importation que nous percevons sur ces produits dépassent en valeur toute l'aide au commerce que nous leur versons.
    La raison pour laquelle nous parlons d'approche différenciée, c'est pour inciter et forcer le Canada et notre ministère à repenser notre engagement de façon holistique.
    Merci.
    Nous allons passer à M. Fragiskatos pour la dernière question.
    Je suis content que vous vous soyez penché sur les critères qui sous-tendent l'approche des pays ciblés utilisée jusqu'ici. De toute évidence, il est très problématique de nous fonder sur leurs besoins, leurs capacités et leur alignement sur les intérêts stratégiques du Canada. Le Comité n'a entendu à peu près personne se prononcer là-dessus.
    Puis, vous avez bifurqué et vous avez parlé des Pays-Bas. Vous avez défendu leur approche et vous avez dit que c'était un exemple ou un modèle dont le Canada pourrait s'inspirer parmi les autres solutions de rechange qui existent. Je suis très intéressé par les trois types de relations que les Pays-Bas entretiennent dans le cadre de leur politique de développement, surtout en ce qui a trait aux relations en matière d'aide, notamment avec les États fragiles.
    Monsieur Bhushan, dans votre exposé, vous avez dit que la fragilité pouvait être associée à des contextes et pas nécessairement à des États. Avant votre témoignage d'aujourd'hui, nous avons reçu un témoin de l'organisme Aide à l'enfance Canada, qui a affirmé qu'il y avait une forme de fragilité qui ne se définissait pas en fonction des frontières. Je me demandais si vous pouvez nous en dire plus long à ce sujet ou si vous seriez en mesure de conseiller un État comme le Canada de mettre l'accent sur les régions. Lorsque vous parlez de contextes, je présume qu'il s'agit de régions. Si vous pouviez nous dire un mot là-dessus, ce serait formidable.
    Comme question de suivi, est-ce que les relations commerciales sont le troisième volet de la politique d'aide des Pays-Bas?
(1755)
    Cela fait partie de leur politique globale de coopération. L'aide est un outil, mais il l'est dans le cadre de la coopération internationale et non dans celui de l'aide au développement.
    C'est ce que je pensais. Je voulais simplement que cela soit précisé.
    Monsieur Bhushan, pourriez-vous répondre à la première question?
    Comme je crois l'avoir mentionné dans la version longue du mémoire, cette façon de procéder n'est en rien exclusive aux Pays-Bas. Le Royaume-Uni, la Norvège, la Suède et de nombreux autres pays reconnaissent la dimension contextuelle de la fragilité — ne précisons pas l'État, le pays ou le contexte — et de la façon très innée, très fluide qu'ont les situations de se transformer. Essentiellement, cela signifie qu'il faut calculer la durée et la profondeur de l'engagement que l'on est prêt à prendre. Comme je l'explique, il faut s'attendre à un engagement de 10 ou 15 ans. En regardant certaines des statistiques dont nos collègues nous ont fait part, il est très facile de penser que l'on peut arriver à faire quelque chose en moins de temps. Les données canadiennes actuelles — lesquelles sont comparables aux données globales de l'Organisation de coopération et de développement économiques — nous indiquent que la durée moyenne de nos engagements arrimés à des projets est d'environ trois ans. C'est donc une façon très différente d'envisager les choses.
    Maintenant, pour ce qui est de la question des États, des pays et des frontières, disons que le Royaume-Uni, par exemple, s'est donné comme cible de dépenser 50 % de son budget destiné à l'aide, mais qu'il a fait preuve d'une grande créativité en précisant que l'aide ne devait pas nécessairement être axée sur les États fragiles. Du reste, le Royaume-Uni ne souscrit à aucun de ces palmarès mondiaux, que ce soit l'indice des États non viables, le Réseau international pour les conflits et les situations de fragilité ou ceux de la Banque mondiale. Il se fie à sa propre compréhension de la fragilité. La politique parle aussi de façon très explicite du concept de « voisinage ». L'aide vise donc les États fragiles et leurs voisins, car la politique reconnaît que les frontières sont très poreuses dans ce type de conjonctures.
    Cela revient à ce que je disais tout à l'heure. Selon moi, la raison pour laquelle nous avons besoin d'une stratégie axée sur les États fragiles ou les contextes fragiles, c'est de nous forcer à penser à ce que cela signifierait et à ce que cela nous coûterait vraiment de nous engager dans ces contextes plutôt que de faire du développement dans d'autres contextes. Quels seraient les avantages? Quels seraient les risques? Avons-nous des partenaires crédibles avec lesquels nous pourrions travailler?
    Toutefois, on pourrait objecter que la plupart des problèmes internationaux actuels et futurs sont au départ des problèmes régionaux et qu'ils ne sont pas particuliers à des États. Je me méfie d'une approche axée sur les États. Bien qu'il soit vrai que les États sont le fondement du système international, une approche régionale est probablement la meilleure façon pour le Canada d'obtenir des résultats dans le cadre de sa politique d'aide au développement.
    Je ne suis pas en désaccord avec vous. À certains égards, dans le cadre d'un changement de très grande portée, cela est probablement mieux adapté à ce que l'on pourrait souhaiter réaliser. J'essaie plutôt de situer cela, de nous situer par rapport au contexte des choses qui dépendent du passé. Nous avons toujours eu des pays ciblés et des approches axées sur les pays. Et d'une.
    Deuxièmement, il faut regarder ce que font les autres. À vrai dire, la plupart des pays — la France, l'Australie, la Norvège — ont une liste de pays et de partenaires de prédilection. Finalement, une partie de l'aide au développement consiste à faire affaire avec un autre gouvernement, avec un autre État, ce qui est confiné à un État...
    J'ai choisi de mettre l'accent sur l'exemple des Pays-Bas parce qu'il me semblait tellement intéressant, et aussi parce que vous en avez parlé dans votre exposé.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Mesdames et messieurs, voilà qui met fin à nos travaux de la journée.
    Au nom du Comité, je tiens à vous dire que nous vous sommes très reconnaissants d'être venus comparaître aujourd'hui. Je sais que ces séances sont toujours trop courtes. Il reste encore beaucoup de questions à poser et de réponses à obtenir, mais je crois que nous avons fait des progrès. Merci beaucoup.
    Mesdames et messieurs, nous allons clore la séance. Nous avons réussi à faire deux heures complètes. Étant donné la tenue des votes, je crois que c'est une prestation tout à fait louable.
    La séance est levée.
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