:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonjour à vous tous.
[Français]
Je désire tout d'abord remercier le comité de cette invitation à témoigner aujourd'hui.
Vision Mondiale est une organisation chrétienne de secours, de développement et de défense des intérêts qui travaille auprès des enfants dans plus de 100 pays, partout dans le monde.
[Traduction]
Nous travaillons dans les endroits les plus durs de la planète pour soutenir et habiliter activement les collectivités à prendre leur avenir en main en surmontant les problèmes de pauvreté, d'injustice et de fragilité.
Nous sommes heureux de vous faire part de nos réflexions dans le cadre de l'étude du Comité sur les pays ciblés par le Canada pour recevoir l'aide bilatérale au développement. Nous savons que le Comité tente de régler un certain nombre de problèmes dans le cadre de l'étude. Durant le temps qui nous est imparti cet après-midi, nous voulons vous parler de la façon dont le cadre canadien en matière d'aide internationale peut réagir de manière efficace aux circonstances auxquelles sont confrontés les pays les moins avancés.
Permettez-moi de commencer par souligner une évidence: le monde change rapidement. Les conflits, la violence, les inégalités, les changements climatiques et les déplacements massifs de personnes ont changé la façon dont nous concevons la pauvreté et le développement et nous poussent à trouver de nouvelles façons de travailler.
L'Agence des Nations Unies pour les réfugiés a déclaré que, à l'échelle internationale, un humain sur 122 est maintenant un réfugié, une personne déplacée à l'intérieur de son propre pays ou un demandeur d'asile. Si toutes ces personnes composaient la population d'un seul pays, ce pays serait le 24e pays en importance. Ce sont des réalités comme celles-ci qui renforcent notre engagement à envisager collectivement une nouvelle réalité — une réalité dans laquelle la pauvreté, la faim et les décès évitables seront choses du passé —, un monde dans lequel personne n'est laissé pour compte, et à travailler avec toute la célérité requise pour concrétiser cette vision.
Que faut-il pour y arriver? Nous devons adopter nos approches afin qu'elles conviennent à nos objectifs. L'organisation Vision mondiale est elle-même en train de peaufiner ses efforts et ses approches. Nous travaillons de plus en plus dans des contextes fragiles, où nous renforçons la résilience et la durabilité, nous habilitons les citoyens à tenir leurs gouvernements responsables et nous investissons dans des partenariats novateurs. Nous savons qu'il y a d'immenses occasions qui s'offrent à nous.
Afin de tirer profit de ces possibilités, nous croyons que le Canada peut revoir sa structure d'assistance internationale et concevoir un cadre qui cible les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables dans les endroits les plus durs de la planète, un cadre qui tient compte du contexte en constante évolution en définissant des approches qui peuvent être adaptées. Ces principes ont des répercussions sur les endroits où nous devons concentrer nos efforts et la façon dont nous devons travailler, et c'est ce que je veux vous exposer cet après-midi.
Le Canada est reconnu comme un pays qui défend les droits de la personne et qui habilite les personnes les plus désavantagées partout dans le monde. Même si nous avons constaté des progrès énormes relativement aux objectifs du Millénaire pour le développement, l'impact a été inégal d'un pays à l'autre et même au sein des pays. Nous devons donc nous demander qui a été laissé pour compte, où ces personnes se trouvent et de quelle façon nous pouvons les joindre.
Commençons par ceux qui ont été laissés pour compte. Ce sont les personnes qui ne sont pas enregistrées, les enfants dont la naissance n'est pas reconnue officiellement, les disparus, les mères et les nouveau-nés qui meurent au moment de l'accouchement, les personnes isolées, les enfants autochtones et les membres des minorités ethniques qui vivent dans des régions rurales éloignées et des bidonvilles, ceux dont on a perdu la trace, les enfants travailleurs et les enfants victimes de la traite, les personnes négligées, les orphelins et les itinérants, les personnes abandonnées, les réfugiés, les apatrides et les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays. Et plus fondamentalement, ce sont les femmes et les filles. Il est crucial d'identifier ces personnes et de les garder à l'avant-plan de nos préoccupations tandis que nous réfléchissons à ces considérations précises.
Maintenant que nous avons identifié qui sont ces personnes, demandons-nous où nous pouvons les trouver.
La majeure partie de ces personnes sont dans des endroits où le fardeau de l'instabilité, de la pauvreté, de la faim et de la mortalité est à son comble, mais aussi là où les gains les plus considérables pourront être obtenus: dans des contextes fragiles et là où il y a des poches de fragilité. Ce sont les endroits où il y a des conflits et de la violence, des violations répandues des droits de la personne, un accès limité à la justice et à la règle de droit, là où sévit l'instabilité économique et où il y a une faible capacité d'adaptation aux chocs et au stress et, enfin, là où les gouvernements ne veulent pas ou ne peuvent pas répondre aux besoins de l'ensemble ou de certains de leurs résidents.
Au cours de la prochaine décennie, certaines des personnes les plus vulnérables du monde vivront dans des villes et des États fragilisés et gangrenés par les conflits. Même si des endroits traditionnels peuvent nous venir à l'esprit, des endroits comme l'Afghanistan, le Soudan du Sud et la Somalie, nous parlons aussi ici d'endroits comme le Mali, le Honduras et le Népal. Par exemple, même si le Honduras et le Salvador ne sont pas traditionnellement réputés être des endroits fragiles, la violence en milieu urbain a eu un impact néfaste sur la société et son développement, y compris en ce qui a trait à des choses comme l'emploi chez les jeunes.
Dans le cadre du programme de développement communautaire de Vision mondiale, nous nous attaquons aux causes sous-jacentes de la violence grâce à des investissements dans la réhabilitation, la déjudiciarisation et des initiatives d'acquisition de compétences auprès des jeunes qui participent à la violence des gangs ou qui sont touchés par elle.
Notre expérience dans un tel contexte fragile nous a appris que d'importants progrès sont possibles. Par conséquent, nous devons nous concentrer sur les endroits où les risques sont les plus élevés, mais où les gains potentiels sont supérieurs.
Cela nous amène à nos recommandations sur la façon dont on doit concevoir le cadre d'assistance internationale du Canada pour cibler le mieux possible les régions où les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables vivent dans de tels contextes.
Afin de réaliser efficacement l'exercice d'établissement de la priorité des pays, nous recommandons au Canada non seulement d'évaluer les pays de façon globale, mais aussi de reconnaître qu'il peut exister des poches de vulnérabilité au sein même des pays et entre les régions. Cet exercice devrait être bien sûr réalisé en coordination avec le milieu des donateurs internationaux.
Pour illustrer la situation, prenons les exemples de la Jordanie et du Liban.
La Jordanie a été jugée prioritaire au chapitre du développement et du soutien humanitaire en grande partie en raison de son alignement avec les valeurs des donateurs, le caractère légitime de son gouvernement et sa stabilité relative comparativement à d'autres pays dans la région. Le soutien bilatéral du Canada en Jordanie a eu un impact important sur l'élaboration de politiques efficaces pour soutenir le nombre croissant de réfugiés y compris en renforçant la capacité des réfugiés de se lancer sur le marché du travail et celle du secteur de l'éducation d'accueillir les enfants syriens.
Le Liban, d'un autre côté, est potentiellement au bord d'une importante escalade de la violence qui déstabilisera encore plus l'ensemble de la région. En partie en raison d'une mauvaise gouvernance et d'investissements bilatéraux limités, le Liban a été incapable de gérer efficacement l'important afflux de réfugiés.
Même si la détermination de pays prioritaires a permis d'accroître la prévisibilité du soutien et de réduire la fragmentation de l'aide, il faut mettre en place un mécanisme qui permettra un transfert agile des ressources à l'échelle régionale, puisque le fardeau d'autres pays peut souvent accabler les pays prioritaires.
De plus, nous recommandons que, une fois le processus de priorisation des pays terminé, une approche adaptative en matière d'aide bilatérale au développement soit mise en place. On s'assurera ainsi que les stratégies et les programmes des pays tiennent compte des populations les plus vulnérables — peu importe où elles se trouvent — en reconnaissance du contexte kaléidoscopique et en constante évolution que nous avons décrit ici aujourd'hui.
L'un des défis liés à l'approche de financement actuel des programmes bilatéraux de développement du gouvernement, c'est qu'elle ne permet pas aux partenaires d'utiliser le financement pour s'adapter aux changements dans des contextes qui évoluent rapidement. Par exemple, pour composer avec ce défi, le modèle de programme de développement communautaire de Vision mondiale permet à l'organisation d'affecter immédiatement 20 % des fonds de développement du secteur privé aux activités de prévention et d'intervention. La réaffectation de tels fonds nous permet de réagir à de nouvelles situations, comme dans le cas de la crise alimentaire dans le Sahel, en 2012, ou, actuellement, en Afrique du Sud, touchée par El Niño.
Au niveau institutionnel, ce qui serait le plus efficace serait d'adopter une approche qui permet une collaboration et des analyses interministérielles améliorées, qui permet de travailler avec les gouvernements nationaux, les organismes régionaux et la société civile canadienne pour réagir efficacement à ces situations changeantes et en définir l'ordre de priorité. Cette approche pourrait être combinée à des efforts stratégiques pluriannuels, comme des subventions globales qui permettent une intervention communautaire dans des contextes fluides.
De telles mesures nous permettent de protéger les gains faits au chapitre du développement, de combler le fossé en matière d'entraide et de développement et d'assurer la transition des interventions d'urgence à des activités de rétablissement le plus rapidement possible, dès que cela est approprié.
Pour terminer, nous voyons une nette occasion pour le gouvernement d'orienter ses efforts — en fonction de ces principes — de façon à pouvoir joindre les personnes qui ne sont pas enregistrées, les disparus, les personnes isolées, les personnes dont on a perdu la trace, les personnes négligées, les personnes abandonnées, et surtout les femmes et les filles, les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables dans les endroits les plus durs du monde.
Merci de nous avoir invités aujourd'hui et d'inclure notre point de vue fondé sur notre travail sur le terrain dans cette étude importante. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.
:
Merci, monsieur le président.
CARE Canada est heureux de comparaître devant le Comité dans le cadre de son étude sur les pays ciblés par le Canada pour recevoir l'aide bilatérale au développement. Cette étude arrive à point pour un certain nombre de raisons.
Sept ans se sont écoulés depuis que le gouvernement du Canada a choisi ses 20 premiers pays en 2009, et la liste a fait l'objet d'un certain nombre de changements.
En 2014, cinq pays se sont ajoutés à la liste.
En 2015, le Cadre de Sendai pour la réduction des risques et des catastrophes a défini un nouveau plan pour faciliter le rétablissement des collectivités après des catastrophes.
Des mois plus tard, un nouveau cadre mondial de développement international a été adopté sous la forme du Programme pour 2030 et des Objectifs de développement durable. En décembre dernier, l'Accord de Paris a promis d'aider les pays en développement à s'adapter aux répercussions des changements climatiques.
Dans la foulée de ces changements, la géographie de la pauvreté a continué de changer. Les inégalités au sein des États se sont accrues, les fluctuations climatiques sont plus fréquentes et plus importantes, et les crises sont devenues plus nombreuses et plus longues.
Aujourd'hui, tandis que le Canada procède à l'examen du cadre de sa politique de développement international en matière de financement, l'heure est venue de réévaluer l'approche fondée sur les « pays ciblés ». Stimulée par certaines des tendances que je viens de mentionner, l'organisation CARE a elle-même entrepris récemment un examen de sa stratégie d'élimination de la pauvreté et de l'injustice sociale dans le monde entier. Tout comme le gouvernement du Canada, nous voulons cibler nos ressources, nos capacités et notre expérience pour maximiser notre impact.
Pour CARE, le processus a commencé par la reconnaissance que la pauvreté est causée par des relations de pouvoir inégales. Aujourd'hui, 1,2 milliard de personnes vivent dans la pauvreté extrême, et la majeure partie d'entre elles sont des femmes et des filles. Par conséquent, s'attaquer à l'inégalité sexuelle est crucial à qui veut avoir des répercussions importantes sur la pauvreté.
Nous constatons aussi que l'une des plus importantes inégalités de notre époque se reflète dans les causes et les conséquences des changements climatiques. Les habitants les plus pauvres et les plus vulnérables de la planète sont ceux qui sont les moins responsables des changements climatiques, mais ils continuent d'en subir le gros de l'impact.
À la lumière de cette analyse, CARE offre trois façons de s'attaquer aux causes sous-jacentes de la pauvreté et de l'injustice sociale. Le renforcement de l'égalité sexuelle et de la place des femmes, la promotion d'un gouvernement inclusif et l'augmentation de la résilience aux changements climatiques, aux conflits et aux catastrophes.
Nous nous sommes engagés à l'égard de quatre résultats précis qu'il faut réaliser d'ici 2020: 20 millions de personnes touchées par des crises humanitaires recevront une aide humanitaire vitale, 100 millions de femmes et de filles exerceront leurs droits sexuels, génésiques et liés à la santé maternelle et bénéficieront d'une vie exempte de violence, 50 millions de personnes pauvres et vulnérables augmenteront leur sécurité alimentaire et nutritionnelle et renforceront leur résilience aux changements climatiques et 30 millions de femmes auront un meilleur accès et un plus grand contrôle touchant les ressources économiques.
Ces domaines de résultats partagent beaucoup de similitudes avec les priorités thématiques qui ont guidé les efforts de développement international du gouvernement du Canada au cours des dernières années. Nous sommes ravis que les thèmes jugés prioritaires par le gouvernement actuel s'appuient en grande partie sur les forces du Canada dans ces domaines.
La détermination des endroits où il faut consacrer ses efforts pour avoir le plus grand impact est un autre exercice auquel CARE s'est récemment adonné.
En 2015, nous avons commencé à créer un indice lié aux besoins en matière de développement et d'aide humanitaire. Il a fallu élaborer un ensemble de critères pour déterminer où les besoins étaient les plus criants relativement à chacune de nos priorités thématiques: le pourcentage est le nombre général de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté, la prévalence de la mortalité maternelle et de l'inclusion économique des femmes, ainsi de suite. Notre analyse a aussi tenu compte des principaux indices et rapports à l'échelle internationale, comme l'indice d'inégalité de Gini, l'indice d'adaptation aux changements climatiques mondiaux, l'indicateur sexospécifique de développement humain et l'indice sur la gestion du risque.
Enfin, nous avons tenu compte des besoins des risques futurs, y compris la vulnérabilité d'un pays ou d'une région aux changements climatiques, le risque lié aux conflits prévus, le nombre prévu de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté en 2030, etc.
Au bout du compte, on a obtenu un tableau des pays affichant les besoins les plus élevés en fonction de chacune des priorités thématiques définies dans notre stratégie de programme. Par exemple, la République démocratique du Congo, la Zambie et Madagascar étaient en tête de liste en ce qui concerne la pauvreté et l'inégalité, tandis que le Pakistan, l'Afghanistan et le Yémen venaient en tête de la liste des pays ayant besoin d'assistance dans les domaines comme l'autonomisation économique des femmes.
Bien sûr, de nombreux pays affichaient des besoins dans plusieurs domaines. Cependant, et cela est très important, notre analyse a révélé que tous les besoins en matière de développement ne sont pas égaux dans tous les pays. Certaines collectivités s'en tirent mieux lorsque l'aide vient de la société civile et lorsqu'on renforce leur capacité institutionnelle. D'autres profitent davantage de mesures visant à renforcer l'accès des femmes à des emplois sécuritaires et dignes. D'autres encore s'en tirent mieux lorsqu'on fournit un soutien qui permet aux femmes d'avoir accès à des aliments nutritifs.
Le gouvernement du Canada est actuellement devant une possibilité unique de réaliser une analyse similaire pour s'assurer que son cadre d'aide internationale est adapté de façon à répondre aux bons endroits dans les bonnes collectivités de façon à maximiser son impact. CARE Canada est heureux de formuler cinq recommandations pour aider à encadrer ce processus:
Premièrement, le gouvernement devrait réaliser une évaluation de l'approche canadienne misant sur les pays ciblés. Cela devrait inclure une évaluation de ce qui a fonctionné et de ce qui n'a pas fonctionné depuis l'adoption de l'approche en 2009. L'accent mis sur les pays ciblés a-t-il vraiment renforcé l'impact et l'efficience de l'aide au développement du Canada? Cette approche a-t-elle amélioré les résultats en matière de développement pour les femmes et les filles dans ces collectivités?
Deuxièmement, le gouvernement devrait s'assurer que, lorsqu'il tente d'aider les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables, il définit de quelle façon il faut procéder, où il faut mettre l'accent et le type d'aide à offrir. En d'autres mots, les « besoins » ne doivent pas être définis par le fait qu'un pays est le moins développé. Selon la Banque mondiale, 73 % des pauvres de la planète vivent dans des pays à revenu intermédiaire. Ce sont les gens, et non les pays, qui devraient être dans la mire de l'aide canadienne. D'après l'expérience de CARE, c'est en essayant de déceler l'inégalité qu'on peut le mieux cerner et aider ces personnes.
Troisièmement, si on conserve une approche fondée sur les pays ciblés, le gouvernement devrait être tenu responsable de ces engagements. Cela suppose l'élaboration de stratégies à long terme — de 10 à 15 ans — pour chaque pays, en consultation avec les partenaires chargés de la mise en oeuvre. Cette approche devrait être liée aux stratégies régionales plus générales et associées à des enveloppes de financement transparentes et prévisibles. Le tout devrait aussi être soutenu par des systèmes de surveillance et d'évaluation robustes et assujettis à des examens réguliers. Il faudrait faire preuve d'une souplesse suffisante pour s'adapter aux conditions changeantes, mais assez rigides pour respecter ses engagements lorsque les changements à apporter sont complexes. Il faudrait aussi inclure des mécanismes pour soutenir la préparation d'urgence dans les pays susceptibles de subir de nouvelles catastrophes naturelles ou d'être le théâtre de conflits et pour réaffecter des ressources en cas de catastrophe.
Quatrièmement, le nouveau cadre d'aide internationale du Canada devrait inclure un mécanisme de contrôle régulier des répercussions. Le large éventail d'indicateurs associés aux objectifs de développement durable sont un moyen simple d'aider le Canada à mesurer son impact tout en assurant l'harmonisation avec les objectifs mondiaux.
Enfin, l'aide au développement international doit toujours être motivée par les intérêts des personnes visées. La fusion des ministères canadiens des Affaires étrangères, du Commerce international et du Développement international crée les conditions nécessaires à un engagement plus cohérent et plus efficient dans le monde. Le commerce et la diplomatie peuvent faire beaucoup pour permettre de tirer profit de l'avantage canadien et de soutenir les objectifs de développement internationaux. Cependant, le développement international en tant que tel ne sera pas bien servi s'il semble viser des résultats commerciaux et diplomatiques.
Cela dit, je vous remercie de votre attention. Je suis prêt à répondre à vos questions.
:
Honorables membres du Comité, merci beaucoup de m'avoir invitée ici aujourd'hui.
Comme je l'ai déjà mentionné, je m'appelle Carleen McGuinty. Je suis directrice adjointe, Politiques et programmes internationaux d'UNICEF Canada.
[Français]
Je vous remercie d'avoir invité UNICEF Canada cet après-midi. Je vais vous parler de notre perspective sur l'aide bilatérale du gouvernement du Canada et de nos recommandations concernant votre étude. Je vais surtout insister sur le développement de la nouvelle stratégie du gouvernement.
Ce sera un plaisir pour moi de répondre à vos questions en français, mais je ferai ma présentation en anglais.
[Traduction]
Très rapidement, l'UNICEF est l'organisme des Nations Unies chargé des droits de l'enfant. Nous travaillons activement dans 190 pays du monde entier. UNICEF Canada a été créé il y a 60 ans. Nous travaillons sans relâche dans les domaines de la santé, de l'éducation, de la protection, de la gestion des urgences, de l'eau potable, de la nutrition, et ainsi de suite. Nous bénéficions d'un très bon et d'un très solide partenariat avec le gouvernement du Canada, et je suis ravie d'être ici aujourd'hui pour vous faire part de nos points de vue.
Je viens tout juste de revenir du Tchad. Je suis revenue vendredi après-midi. J'ai passé une semaine là-bas. J'aimerais vous parler un peu de ce que j'ai vu là-bas, ce qui va étayer en partie nos discussions.
Le Tchad est un État fragile. Ce n'est pas un pays ciblé par le Canada. C'est un membre de la francophonie. C'est un pays qui se trouve quasiment en bas de la liste de l'indice du développement humain. Le pays arrive 184e sur 187. Le Tchad est complètement entouré d'États fragiles. Il est entouré par la Libye, le Soudan, la République centrafricaine, le Nigeria, pour ne nommer que ceux-là.
Le pays se trouve dans une situation très précaire. Il affiche aussi l'un des taux de mortalité des enfants âgés de moins de 5 ans les plus élevés du monde. En fait, il affiche le troisième taux en importance. Les taux d'immunisation sont bas, le mariage d'enfants est problématique. La liste de problèmes est longue. C'est l'un des endroits les plus durs du monde pour les enfants et les femmes.
J'y suis allée pour observer une campagne de vaccination contre le tétanos. C'est un programme réalisé par UNICEF Canada grâce au financement du gouvernement du Canada. Nous sommes là avec des partenaires. Malgré le fait qu'il y a très peu d'infrastructures, nous avons réussi à immuniser des milliers de femmes contre le tétanos, qui tue leurs enfants. En fait, le tétanos tue les nouveau-nés en seulement quelques jours après leur naissance si le cordon ombilical est coupé avec un instrument qui n'est pas propre.
Nous avons réussi à vacciner toutes ces femmes. La raison pour laquelle nous avons réussi, dans un premier temps, c'est en raison du soutien du gouvernement national. Le gouvernement s'est engagé à acheter tous les vaccins aux fins d'immunisation. Ensuite, nous avons travaillé en collaboration avec un certain nombre de partenaires, y compris Gavi, l'Organisation mondiale de la Santé et des partenaires locaux sur le terrain.
Ce qui était aussi évident, c'est que les intervenants misent sur l'innovation locale. Ils utilisent l'énergie solaire pour s'assurer que les vaccins restent au froid. Par conséquent, même s'ils n'ont pas beaucoup de ressources, ils utilisent ce qu'ils ont, le soleil.
J'ai rencontré certaines des femmes qui ont été vaccinées dans une région très éloignée du pays, à des milliers de kilomètres de la capitale. Ce que j'ai constaté, c'est que, oui, elles sont heureuses d'être vaccinées, heureuses de la protection que cela leur donne, mais elles me disaient constamment: « nous n'avons pas d'eau ici », « nous n'avons pas d'école », « nos enfants doivent quitter l'école afin de nous aider à aller chercher de l'eau » et « l'eau à laquelle nous avons accès n'est pas propre ».
Vous comprendrez donc qu'il y a encore beaucoup de choses très fondamentales auxquelles on n'a pas encore vu. Nous devons continuer de travailler dans certains de ces endroits les moins servis et continuer à joindre les enfants qui vivent dans ces endroits très difficiles d'accès. Je crois que le Canada est bien placé pour y arriver.
Je veux commencer par dire qu'il s'agit d'une période très excitante pour que le Canada entreprenne son examen de son aide au développement international. Nous sommes en 2016. Nous entreprenons une nouvelle ère du développement international. Nous comptons sur le Programme pour 2030 pour le développement durable. Il y a maintenant un programme mondial pour toute la planète. Des progrès sont réalisés. Nous savons quelles sont nos cibles. Nous avons 17 objectifs, et nous pouvons travailler ensemble pour les atteindre.
Je crois que le Canada doit utiliser les Objectifs pour le développement durable et le programme pour faciliter notre travail et mesurer le progrès. Il y a 169 cibles. Nous n'avons pas à nous évaluer en fonction de toutes ces cibles, mais nous pouvons choisir celles qui auront le plus grand impact et les utiliser pour diriger l'aide internationale au développement du Canada et mesurer les progrès.
Je dois dire qu'il faut vraiment féliciter le Canada du travail que le gouvernement a fait avant la signature du Programme pour 2030 pour le développement durable en vue de s'assurer que ces objectifs tenaient compte des enfants. Le Canada a joué un rôle de leadership dans ce dossier, et je crois que nous pouvons en être très fiers.
Je veux m'assurer que les enfants et les jeunes sont au centre du cadre d'aide internationale au développement. Ils doivent être au coeur des efforts pour mener à bien le Programme de développement durable à l'horizon 2030. En outre, ce sont eux le critère décisif de la santé et du bien-être futurs de toutes nos sociétés.
Actuellement, veiller à l'avenir des enfants et des jeunes fait partie de la stratégie de développement du Canada. Il faut continuer à mettre l'accent sur cet objectif. Les enfants souffrent encore de façon disproportionnée de la pauvreté.
Il y a un très solide argument économique qui sous-tend le fait d'investir dans le bien-être des enfants; il y a de très bons résultats économiques et sociaux à en tirer. Les enfants et les jeunes ne sont pas des bénéficiaires passifs de l'aide. Lorsque nous investissons dans la protection de leurs droits, ils deviennent des personnes qui changeront le monde pour le mieux.
De plus, ce que l'UNICEF a constaté dans le cadre de ses recherches, c'est que si nous joignons pour commencer les enfants les plus désavantagés, si nous investissons pour assurer leur bien-être d'entrée de jeu, nous en tirerons deux avantages clés: nous ferons plus rapidement des progrès, et ces efforts seront plus rentables que si on cible les enfants plus faciles à joindre.
Le Canada ne peut pas tout faire. Par conséquent, que pouvons-nous faire pour rendre l'aide canadienne plus efficace et travailler plus intelligemment?
Nous pouvons y arriver en nous concentrant sur les domaines les moins financés des Objectifs pour le développement durable, soit les domaines de la santé et de la nutrition des enfants, de la protection des enfants, de la qualité de l'éducation et du développement de la petite enfance. Ce n'est pas seulement la chose qu'il convient moralement de faire, c'est aussi la meilleure chose à faire selon des économistes. C'est là où on en a le plus pour notre argent.
Prenons le Consensus de Copenhague, qui consiste en plus de 100 analyses examinées par des pairs produites par les plus éminents économistes et experts sectoriels du monde. Ils ont cerné 19 des 169 cibles des ODD relativement auxquels les investissements seront les plus efficaces. En outre, 13 de ces 19 cibles concernent les enfants. J'encourage le Canada à concentrer ses efforts sur ces 13 cibles.
De plus, comme je l'ai dit, le Canada ne peut pas tout faire. Où pouvons-nous le faire?
La première priorité consiste à se concentrer sur les personnes les plus vulnérables. Ce sont les enfants et les jeunes qui vivent dans des zones difficiles d'accès. Ils ont besoin de notre aide. Cela inclut les enfants qui vivent dans des zones où il y a des crises humanitaires et dans des contextes fragiles. Nous savons que les cycles de pauvreté sont intergénérationnels et qu'ils sont perpétués en raison des répercussions répétées et cumulatives des crises. Si nous voulons mettre fin à ces cycles, nous devons investir dans un développement résilient. Le développement résilient consiste à fournir aux enfants et aux collectivités ce dont ils ont besoin pour mieux se préparer aux chocs futurs, pour mieux gérer les crises et pour se rétablir plus rapidement de ces situations. Le Canada investit déjà dans certains de ces domaines, et il devrait poursuivre dans cette voie.
La deuxième priorité consiste à s'assurer que nous soutenons les gains obtenus. De 2015 à 2030, un certain nombre de pays passeront du statut de pays à faible revenu à celui de pays à revenu intermédiaire. Cela ne signifie pas nécessairement que les gouvernements en place ont la capacité de procéder à cette transition. Nous devons continuer à investir dans ces pays, pour nous assurer qu'ils peuvent maintenir les gains obtenus.
Nous devons laisser de la place pour l'innovation. L'aide canadienne doit rester flexible et souple, afin que nous puissions investir dans les initiatives à l'intention des enfants qui changent la donne, comme l'énergie propre. Nous savons que si les enfants ont accès à un éclairage sécuritaire à la maison et à des fourneaux propres, cela peut changer la vie de leur famille. Ils seront plus en santé, ils pourront faire leurs devoirs en toute sécurité, et les filles ne seront pas obligées d'aller chercher du bois de chauffage et d'être exposées à l'exploitation.
Pour terminer, le Canada doit exploiter ses points forts. Nous avons un avantage comparatif dans certains domaines, y compris la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants, la santé sexuelle et génésique et les changements climatiques.
Dans le domaine de la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants, nous savons que le Canada est un chef de file. Il faut que le Canada continue d'investir pour maintenir ces gains. Il reste encore 11 enfants âgés de moins de 5 ans qui meurent chaque minute. Le Canada doit continuer à faire des efforts dans ce domaine.
Nous devons aussi nous assurer que les enfants sont en santé et qu'on les protège de la violence. Nous ne pouvons pas oublier le problème de violence. Il s'agit d'un nouveau domaine abordé dans les Objectifs pour le développement durable, et le Canada a été un chef de file en la matière. Si le Canada se retire de ce domaine, nous risquons de perdre les gains qui ont été faits. En fait, votre Comité a réalisé une étude en juin sur la question de la protection des enfants contre la violence. J'encourage le Comité à examiner les recommandations qui ont découlé de cette étude.
Le Canada a beaucoup investi pour s'attaquer aux changements climatiques. C'est une occasion emballante, et qui peut grandement profiter aux enfants. Nous savons que les enfants souffrent de façon disproportionnée des changements climatiques. Les investissements dans les énergies propres seront très bénéfiques, et nous sommes très encouragés par les investissements du Canada dans ce domaine.
Je vais m'arrêter ici. Je répondrai volontiers à vos questions.
Merci.
:
Je vais répondre en anglais.
[Traduction]
Je pense que vous avez raison. Nous ne disposons pas de suffisamment de ressources pour aller dans tous les pays, et nous savons pertinemment que la concentration des ressources entraîne habituellement des répercussions plus importantes et à plus long terme.
Je pense que l'élément crucial, c'est la façon dont les organismes canadiens s'y prennent pour établir un équilibre entre les deux. Nous devons nous concentrer afin de ne pas changer les priorités, mais être en mesure d'investir dans les plans à long terme... ceux que j'ai mentionnés, de 10 ans ou 15 ans, car le genre de changements que nous voulons apporter sont, dans bien des cas, des changements comportementaux, des changements au chapitre des capacités du gouvernement ou des infrastructures, et nous ne pouvons pas faire ces choses dans un plan sur quatre ans. Il s'agit d'une façon d'y arriver.
Par ailleurs, nous voulons être en mesure de créer avec les gouvernements et les organismes des mécanismes de financement qui sont aussi flexibles pour ce qui est de réagir aux changements.
En guise d'exemple, CARE travaille avec le gouvernement du Canada dans de nombreuses régions de l'Éthiopie. Nous avons établi un plan à long terme en Éthiopie relativement à la salubrité des aliments, à la nutrition, à la santé maternelle et à la microfinance. Il s'agit d'une approche très complète d'interventions sur cinq, six ou sept ans dans diverses régions.
Il y a eu El Niño. Nous avons subi plusieurs sécheresses, les unes après les autres. Il nous faut des mécanismes permettant de faire en sorte que certains éléments du financement qui avaient été prévus dans un plan très précis pourront également être affectés à certains besoins précis dans le cadre d'une mesure plus humanitaire qui va vraiment renforcer les capacités et la résilience des collectivités afin qu'elles poursuivent leur cheminement sur la voie du développement.
Il ne s'agira pas d'un cheminement facile, mais ce sera un cheminement vers l'équilibre.
L'autre élément — je pense que les représentants de Vision mondiale ont été très clairs —, c'est l'approche régionale. La plupart des problèmes auxquels nous faisons face aujourd'hui sont d'ordre régional. La plupart des stratégies que la plupart des organismes élaborent sont régionales — l'Afrique du Sud, le Sahel, l'Amérique centrale —, car les problèmes sont régionaux. Le fait de se concentrer sur un pays n'est pas toujours la bonne façon de procéder.
L'autre élément serait la façon dont nous mobilisons, en tant que Canadiens, d'autres donateurs et d'autres gouvernements dans nos plans et la façon dont nous tenons cette discussion, qui est déjà en train d'avoir lieu à de nombreux endroits aujourd'hui, au sujet des pays et de notre façon d'aborder les autres organismes de développement afin de nous assurer que, disons, les Français, peuvent aller là où les Canadiens ne peuvent pas aller.
Je pense qu'il s'agit des trois éléments que nous devons prendre en considération pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.
:
Je pense que vous avez énoncé un certain nombre de préoccupations qui absorbent une grande partie de l'argent investi dans l'aide.
Selon moi, un des aspects, ce sont les contrepoids — ou les freins et contrepoids — liés au fait de ne pas envoyer les ressources à un ordre de gouvernement ou à un ONG seulement ou bien à un seul organisme multilatéral. C'est utile à certains égards. Ce que nous devrions avoir, c'est un esprit coopératif. Certains de ces paramètres concurrentiels nous obligent tous à rester honnêtes.
Ce que nous avons découvert, c'est que nous pouvons travailler avec les intervenants communautaires locaux. Que ce soit à l'échelon national, à l'échelon régional ou à l'échelon local, nous tentons de repérer les acteurs détenant du pouvoir dans toute la strate sur lesquels nous pouvons exercer une influence afin qu'ils fassent ce qu'il faut et d'assurer le meilleur rapport qualité-prix dans le contexte de leur collectivité. À mesure que nous les repérons, ils peuvent faire la promotion de meilleures conséquences pour leur collectivité.
L'une des choses que nous avons trouvées utiles, c'est un programme que nous appelons Citizen Voice and Action, qui habilite les intervenants locaux. Ils pourraient dire, par exemple, qu'ils veulent assurer de meilleurs résultats en matière de développement dans le domaine de l'éducation, dans leur collectivité. Le problème tient peut-être au fait qu'ils ont des enseignants et des livres, mais que le calibre de l'enseignement n'est pas à la hauteur ou que les enseignants ne se présentent pas au travail, même s'ils sont payés pour le faire.
Ils peuvent conjuguer leurs efforts et défendre leur cause auprès de l'administration locale, ou même à l'échelon du gouvernement national, afin de dire que ces choses ne se font pas. C'est comme si on leur donnait un microphone ou un mégaphone qu'ils peuvent utiliser pour défendre ce genre de cause.
Nous essayons de faire cela à divers niveaux. Nous pourrions repérer à un échelon... Je me rappelle qu'en Chine, j'avais été abordé par un représentant local qui m'avait dit: « Nous n'étions pas chauds à l'idée de travailler avec vous au début, quand vous êtes arrivés dans notre collectivité, mais nous avons vu votre préoccupation, votre attention et les conséquences sur les enfants de ces collectivités, et nous nous rendons compte, en tant que responsables du parti, que nous voulions reproduire cela dans d'autres régions.» Ainsi, nous sommes passés d'une relation combative à une relation axée sur la collaboration.
Je pense que le fait de réunir ces éléments est une des façons dont nous pouvons le faire. Qu'il s'agisse du milieu d'un ONG, d'acteurs gouvernementaux, de la société civile ou d'acteurs confessionnels, divers intervenants peuvent amener le développement dans les régions afin de répondre aux besoins réels d'hommes, de femmes et d'enfants.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je suis heureux d'être ici pour vous adresser la parole aujourd'hui sur les questions d'aide au développement de la part du Canada. Comme le président, M. Nault, l'a dit, je suis professeur à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa. Je travaille sur les questions d'aide au développement depuis au moins deux décennies, et sur l'aide au développement de la part du Canada depuis une quinzaine d'années. C'est avec plaisir que je partagerai avec vous le résultat de mes recherches et de mes réflexions à moyen terme, pour ne pas dire à long terme.
Je dois vous dire que j'ai aussi rédigé plusieurs publications sur l'aide au développement de la part du Canada, y compris un chapitre que j'ai envoyé aujourd'hui à la greffière. Je ne sais pas s'il va être possible de le distribuer aux députés et aux membres du Comité. Je suis aussi codirecteur de plusieurs livres sur l'aide au développement, dont le dernier paraîtra dans quelques semaines. Cette deuxième édition est intitulée Rethinking Canadian Aid.
[Traduction]
Je me ferai un plaisir de vous en envoyer à chacun un exemplaire, si vous le désirez.
Je suis très heureux de pouvoir discuter de la question du ciblage, car ce n'est qu'un écran de fumée, à mon avis, dans les programmes d'aide extérieure, et je ne parle pas seulement du Canada. Je crois que l'on met bien trop l'accent sur des pays et des secteurs en se fondant sur la notion selon laquelle si les pays sont bien ciblés, si les secteurs sont bien ciblés, que les thèmes sont bien définis, le programme d'aide mis en oeuvre par le Canada ou n'importe quel autre pays sera bien plus efficace.
En fait, il n'existe aucune donnée probante selon laquelle le fait de cibler un plus petit nombre de pays ou de thèmes augmenterait l'efficacité de l'aide. Je crois que mon collègue Lauchlan Munro va parler de cet aspect. Il a déjà publié des articles à ce sujet. Il présente les choses de façon très convaincante.
Ce que je veux faire comprendre, c'est qu'on introduit en quelque sorte une « saveur du mois ». En fait, il ne s'agit pas de mois, car il faut en général quelques années pour faire changer les priorités. Prenons le gouvernement Chrétien; ses priorités ont changé assez fréquemment, le plus souvent, chaque fois qu'un nouveau ministre était nommé. Un nouveau ministre mettait l'agriculture en tête de liste. Le ministre suivant laissait tomber l'agriculture et mettait les enfants en tête de liste.
Nous aurions beau revoir les thèmes et les pays ciblés tous les deux ans seulement, cette façon de procéder fait entrer en jeu de nombreux éléments qui, en réalité, s'inscrivent en faux contre les principes de l'efficacité de l'aide. Une chose est assez évidente, et c'est le caractère instable ou imprévisible de tout cela; il y a aussi la perception selon laquelle le Canada ne peut pas être vu comme un partenaire fiable s'il travaille avec des pays prédéterminés ou des thèmes prédéterminés.
Cela peut également mener à une surconcentration. Si nous choisissons des thèmes parce qu'ils sont à la mode, ailleurs dans le monde, nous ne faisons que suivre le troupeau. Nous dépensons de l'argent là où tout le monde dépense son argent et nous négligeons les thèmes qui sont négligés par les autres donateurs.
En parlant des pays, permettez-moi d'illustrer une situation embarrassante dans laquelle le Canada s'est retrouvé en raison du roulement de sa liste de pays à aider.
Le Burkina Faso et le Bénin sont un jour devenus des pays ciblés ou des partenaires du développement, selon la terminologie en usage à l'époque. Ils ont été inscrits sur la liste en 2005. Ils n'y avaient jamais figuré auparavant. Ils ont été ajoutés en 2005, retirés en 2011 et ajoutés de nouveau en 2014. Je crois que vous pouvez comprendre que ce n'est pas une formule utile si l'on vise à offrir une aide efficace ou à être un partenaire fiable.
Le fait qu'une liste des pays ciblés soit dressée nous impose en outre des contraintes inutiles. Cela crée de nouveaux problèmes, par exemple lorsqu'il se passe quelque chose dans un pays donné et que nous ne désirons plus continuer à l'aider.
Par exemple, peu après que le Burkina Faso a été de nouveau inscrit sur la liste, en 2014, il y a eu un coup d'État; le Canada a suspendu son aide. Récemment, le Canada a suspendu son aide au Mozambique, un pays ciblé, en raison de la corruption; l'aide a été suspendue au Mali, un pays ciblé, en raison d'un coup d'État; l'aide a également été suspendue en Haïti, un pays ciblé depuis très longtemps, lui aussi. C'est un climat très malsain, alors que tout ce que nous voulons, c'est une aide efficace.
À mon avis, la question du ciblage est tout simplement une question d'image. Ce ciblage nous permet entre autres de dire « nous » — en parlant du Canada, du gouvernement canadien ou, très souvent, « nous », le parti politique au pouvoir — nous avons comme tout le monde le sait un programme d'aide: voici ce que nous faisons.
Je dirais qu'à bien des égards, ce système impose beaucoup de limites. Vous avez entendu les témoins précédents expliquer les contraintes que cela représente pour les pays, c'est-à-dire le manque de souplesse. Si une épidémie d'Ebola se déclare dans un pays, mais que vous travaillez dans un pays, mais pas dans un autre, vos efforts seront entravés.
Les cibles selon lesquelles une part de 75 %, 80 % ou 90 % de votre aide bilatérale doit être consacrée à un pays ciblé n'ont pas été déterminées par souci d'efficacité; elles l'ont été pour que l'on puisse dire voilà nos cibles, ce qui vous donne une bonne image auprès du public canadien.
J'abolirais la liste des pays ciblés. Je crois que nous devrions nous concentrer sur certains types de pays, et je suis d'accord avec les témoins du groupe précédent, qui ont parlé des pays à faible revenu et des États fragiles. Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas aider les pays à revenu intermédiaire, mais je crois que notre cible, même si nous ne nommons pas des pays en particulier, devrait être les pays à faible revenu et les États fragiles.
Si vous ne voulez pas suivre mes conseils et que vous conservez la liste, permettez-moi de présenter quelques recommandations.
Je recommanderais entre autres de laisser tomber l'Ukraine. De l'avis de la plupart des gens, l'Ukraine n'est même pas un pays en voie de développement. Le pays est situé à la frontière, littéralement, de l'Union européenne, et cette dernière a tout ce qu'il faut pour fournir bien plus efficacement de l'aide. L'Ukraine n'a pas non plus une grande capacité d'absorption, aujourd'hui, étant donné la grande instabilité qui y règne et la corruption.
Il y a d'autres pays qui ont fini par être inscrits sur cette liste même si, à mon avis, ils ne devraient pas représenter une priorité pour le Canada, nommément ou non; il s'agit de la Colombie, de la Mongolie et du Pérou.
Je crois que nous devrions également nous pencher sur la question des donateurs, des chouchous des donateurs, et des orphelins. Nous ne pouvons pas nous demander « Qu'est-ce que le Canada pourrait faire? » sans regarder ce qui se fait ailleurs. Nous devons savoir ce que font les autres pays.
Prenez par exemple le Mozambique. Tout le monde est au Mozambique. Le Canada doit-il lui aussi être au Mozambique? Il y a certains pays, par exemple la République centrafricaine, que tous les donateurs ont longtemps négligés. Cela a pu avoir des effets négatifs sinon directs, à tout le moins indirects, en augmentant l'instabilité du pays.
Le Myanmar est un autre exemple. Il a été ajouté à la liste du Canada en 2014. Je crois que cela tient au fait que le monde entier se rue sur le Myanmar, non seulement pour y être présent, mais aussi pour avoir accès à ses ressources minérales.
Je ne crois pas qu'il existe de bonnes raisons pour que ces pays soient des pays ciblés.
Je serais en particulier curieux, si le Canada continue à dresser une liste des pays ciblés, de connaître les critères qu'il utilisera. Jusqu'à récemment, sur le site d'Affaires mondiales, l'un des critères affichés était que le pays en question s'alignait sur la politique étrangère du Canada. J'ai remarqué aujourd'hui que ce critère avait été effacé.
J'étais en fait content de constater que ce critère n'y figurait plus, étant donné que l'alignement sur la politique étrangère du Canada n'a rien à voir avec le développement; il a tout à voir avec le Canada. Il pourrait même nuire à l'efficacité de l'aide, ce qui n'est pas le but quand on parle d'aide étrangère. Selon la définition du droit canadien, l'aide étrangère vise exclusivement la réduction de la pauvreté; selon la définition de l'aide publique au développement élaborée par le Comité d'aide au développement de l'OCDE, et à laquelle le Canada a lui aussi souscrit, l'aide vise à promouvoir le bien-être du pays bénéficiaire.
J'aimerais maintenant parler un peu des thèmes. Je sais que je devrais peut-être accélérer la cadence, même si les interprètes ne l'apprécieront pas, parce qu'il se fait tard et que je ne veux surtout pas voler du temps à mes collègues.
En ce qui concerne les thèmes, encore une fois la tendance est à la « saveur du mois ». Comme je l'ai déjà mentionné, chaque fois qu'un nouveau ministre ou un nouveau gouvernement étaient élus, nous avons eu droit à de nouveaux thèmes.
J'ai remarqué dans les documents que j'ai reçus en vue de notre discussion d'aujourd'hui — ou c'est peut-être le mandat de votre comité — qu'il allait être question des « mesures prioritaires — accroître la sécurité alimentaire, favoriser une croissance économique durable, et assurer l'avenir des enfants et des jeunes — que le gouvernement fédéral a choisies à cet égard ».
Je dois avouer que j'ai été assez surpris, parce que je pensais que le gouvernement canadien était déjà passé à de nouveaux thèmes. J'ai participé à une consultation organisée par Affaires mondiales Canada, vendredi, et Mme Gould, la secrétaire parlementaire, était présente. Six nouveaux thèmes nous ont été présentés. J'aimerais bien que les membres du Comité me disent, après la séance, peut-être, dans quelle mesure vous vous attachez aux anciens thèmes, puisqu'il semble que de nouveaux thèmes ont déjà été choisis.
J'aurais beaucoup à dire au sujet de ces nouveaux thèmes, mais je ne le ferai pas aujourd'hui, en raison des contraintes de temps. Si vous vouliez me poser une question sur ces thèmes spécifiques, je vous ferai part avec plaisir de mes réflexions à ce sujet et aussi de mes réflexions sur ce que je sais du processus de consultation.
J'ai une question au sujet des thèmes, et cela fait plus de 10 ans maintenant que je m'y intéresse; je me demande s'ils veulent vraiment dire quelque chose. Les thèmes sont parfois si nombreux que l'on peut y intégrer à peu près n'importe quoi, et, dans ce cas, ils ne nous offrent vraiment pas de cible du tout. Dans d'autres cas, ils peuvent avoir une influence réelle, mais dans de tels cas, c'est surtout une question d'image, de la possibilité de pouvoir dire « voilà ce que nous faisons ».
Lorsque les nouveaux thèmes de 2009 ont été choisis, il était question de sécurité alimentaire, étant donné que c'était un sujet chaud à l'époque. Aucun des six nouveaux thèmes n'inclut la sécurité alimentaire aujourd'hui.
Est-ce que je me trompe? Lorsque j'ai posé la question aux représentants d'Affaires mondiales, ils m'ont expliqué comment il était possible de faire entrer la sécurité alimentaire dans trois de ces six thèmes. Je me suis alors dit qu'il ne s'agissait pas, en fait, de changer la tâche, mais de changer l'optique, et je ne crois pas que cela soit une façon très efficace d'utiliser le temps de quiconque.
Pour conclure, je dirais que le Canada ne devrait pas cibler des thèmes spécifiques à moins qu'il ne s'agisse d'un thème s'appliquant à l'échelle mondiale, par exemple la réduction de la pauvreté, auquel on pourrait peut-être ajouter l'inégalité, car ce sont là les buts réels de l'aide. Tout ce que nous faisons devrait viser la réduction, voire même peut-être l'élimination de la pauvreté et la réduction des inégalités.
Je ne crois pas que nous puissions réduire les inégalités, mais c'est ce que prévoit la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement officielle.
Nous ne devrions pas poursuivre des motifs qui sont liés au commerce et aux investissements, comme cela a déjà été le cas dans le passé. Nous favoriserions la durabilité en réduisant la promotion de l'image d'un parti au moment de déterminer des thèmes ou des pays ciblés.
Pour conclure, le ciblage n'est pas à mon avis une panacée. Ça ne devrait même pas être le sujet principal de la discussion, si ce que nous voulons, c'est améliorer l'aide fournie par les Canadiens.
Si le Comité le désirait, nous pourrions parler d'autres choses qui amélioreraient l'aide du Canada, par exemple la décentralisation, l'habilitation des gens sur le terrain ou encore un pouvoir décisionnel et un pouvoir de dépenser accrus pour les gens sur le terrain qui comprennent ce qui se passe dans le pays. Nous avons entendu parler de la nécessité de pouvoir s'adapter. Il est impossible de s'adapter quand on se trouve à Ottawa et qu'on ne sait pas dans les moindres détails ce qui se passe sur terrain, et quand il faut 23 signatures et 3 ans et demi pour faire approuver un nouveau projet quelconque.
J'ai terminé. Merci beaucoup.
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Je vous remercie, monsieur le président et membres du comité.
Je vais vous adresser la parole en anglais, mais si vous voulez me poser des questions ou formuler des commentaires en français, je me ferai un plaisir de vous répondre dans la langue officielle de votre choix.
[Traduction]
Des pays comme le Canada versent une aide à d'autres pays pour toutes sortes de motifs. Nous cherchons parfois à soulager la pauvreté à l'étranger, parfois nous voulons contribuer nous aussi au bien public mondial, parfois nous voulons nous faire des amis et influencer des gens d'ailleurs, et parfois nous donnons de l'argent uniquement pour avoir droit à une place à table et savoir ce qui se passe dans cette région du monde. Tous ces objectifs, bien sûr, doivent répondre à une préoccupation centrale, que les fonds publics soient dépensés intelligemment, efficacement, et honnêtement.
Ces divers objectifs entrent parfois en conflit l'un avec l'autre. Nous en avons vu un exemple, sous le précédent gouvernement, lorsque la politique visant à ce que notre aide cible un moins grand nombre de pays, au profit d'une plus grande efficacité de cette aide, est entrée en conflit avec notre objectif de nous faire suffisamment d'amis et d'influencer des gens afin de les amener à nous élire au Conseil de sécurité des Nations unies.
L'idée selon laquelle l'aide du Canada devrait cibler un moins grand nombre de pays bénéficiaires est fondée sur l'objectif de l'efficacité de l'aide. L'idée selon laquelle il faudrait cibler davantage les pays, comme l'a dit mon collègue Stephen Brown, est une vieille idée. En fait, je soupçonne que la raison pour laquelle j'ai été invité ici aujourd'hui c'est parce que, il y a plus de 10 ans, j'ai écrit un article sur ce sujet, dont le titre était Focus-pocus?. J'ai toujours été, et je suis encore, sceptique; je ne crois pas que le fait de cibler un pays est une façon d'améliorer l'efficacité de l'aide.
Il semble logique de cibler l'aide sur un moins grand nombre de pays, et c'est pourquoi cette idée est devenue populaire et l'est restée dans les cercles politiques et les médias. S'attacher à quelques pays seulement nous permet de réduire les frais généraux des programmes ciblant un pays. En nous attachant à quelques pays seulement, nous arrivons à mieux comprendre leurs problèmes et nous pouvons travailler de manière plus efficace avec eux pour régler leurs problèmes; voilà ce qu'on prétend.
Alors, pourquoi est-ce que je reste sceptique quant aux avantages du ciblage des pays comme moyen d'augmenter l'efficacité du programme d'aide canadien?
Eh bien, je n'ai jamais eu de preuves selon lesquelles le fait de travailler dans un plus petit nombre de pays augmenterait l'efficacité d'un programme d'aide quelconque, celui du Canada ou celui de n'importe quel autre pays. Je n'ai même jamais entendu parler qu'on ait tenté d'élaborer des paramètres pour mesurer l'efficacité de l'aide versée dans le cadre des programmes bilatérale qui permettraient une corrélation avec les paramètres du ciblage des pays. Il semble peut-être logique de cibler des pays, mais l'absence de preuves concrètes à l'appui de cette notion est vraiment frappante. L'idée selon laquelle le fait d'aider un plus petit nombre de pays rendra plus efficace le programme d'aide du Canada donne lieu à des politiques fondées sur des croyances plutôt que sur des données probantes.
Le programme d'aide bilatérale le plus ciblé du monde, pour autant que je sache, c'est celui de Coopération au développement de la Belgique. Historiquement, plus de la moitié de l'aide versée par la Belgique était destinée à un seul pays bénéficiaire, la République démocratique du Congo. Je ne veux pas froisser mes amis et mes collègues belges, mais je ne crois pas que personne puisse vous dire que le programme de la Belgique est le meilleur programme d'aide bilatérale au monde, loin de là.
Si le Canada ciblait son aide sur un plus petit nombre de pays, au nom de l'efficacité de l'aide, est-ce que ce serait assez? Est-ce que l'aide du Canada deviendrait soudainement plus efficace si elle n'était versée qu'à un petit nombre de pays? Peut-être, mais si et seulement si le Canada prenait d'autres mesures pour augmenter l'efficacité de son aide.
J'ai déjà fait valoir devant votre comité, dans le passé, que la première étape, si l'on veut que l'aide soit efficace, consisterait à revoir du tout au tout l'avalanche de règles bureaucratiques, de surveillance, de procédures de gestion des risques et des résultats sous laquelle ont été ensevelis, ces dernières années, nos bons fonctionnaires, toutes allégeances politiques confondues, et cela, au nom de la responsabilisation.
Je m'empresse d'ajouter, avant d'être accusé de partisanerie, que je ne me souviens pas que quelque opposition ait dénoncé cette tendance.
De plus, la logique du ciblage des pays nous indique que notre programme d'aide bilatérale serait plus efficace si nous devenions spécialistes d'un plus petit nombre de pays, ce qui nous permettrait de mieux connaître ces quelques pays, mais cette logique, si nous la suivions jusqu'au bout — ce que nous n'avons pas fait, comme mon collègue vient de le montrer, puisque nous ne cessons de modifier la liste des pays —, nous obligerait à restructurer d'un bout à l'autre tout le système de recrutement, de formation, de perfectionnement professionnel et de permutation du ministère des Affaires mondiales du Canada. Au risque de simplifier un peu trop, je dirais que notre système actuel valorise les généralistes, non pas les experts d'un pays ou d'une région. Si l'on prenait au sérieux ce ciblage des pays, il faudrait que les politiciens et les hauts fonctionnaires, au moment de dresser la liste des pays ciblés, puissent concentrer leur attention pendant la durée d'une génération, après quoi il faudrait cultiver systématiquement une expertise approfondie de chacun des pays en question, y compris maîtriser les langues populaires locales.
Je ne peux m'empêcher avant de terminer de faire un dernier commentaire sur toute cette question du ciblage des pays visés par notre programme d'aide bilatérale. Je vais donc dire que le ciblage des pays est une façon de voir les choses qui fait très XXe siècle. Selon cette perspective, l'aide bilatérale et la coopération bilatérale avec des États indépendants seraient au coeur de cette entreprise d'aide et de coopération internationale. C'était peut-être le cas il y a 30 ou 40 ans, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Aujourd'hui, les défis les plus intéressants et les plus importants, en matière de développement international et de coopération internationale débordent tous des frontières nationales. Les changements climatiques; de nouvelles maladies et des maladies émergentes comme le Zika, l'Ebola et le SRAS; la paix et la sécurité à l'échelle internationale; la lutte contre le crime organisé transfrontalier, y compris le terrorisme; l'instabilité financière mondiale... Les programmes d'aide bilatérale ne régleront pas un seul de ces problèmes, ils ne feront que les effleurer. Seule la coopération internationale — mondiale, en fait — peut s'attaquer à ces problèmes.
À une plus petite échelle, il y a des questions un peu plus terre à terre, mais tout aussi importantes, par exemple la gestion des bassins fluviaux, la construction de projets d'infrastructure régionaux et les déplacements de réfugiés, qui exigent des réseaux transnationaux de projets qui sont délibérément liés entre eux et complémentaires.
Cibler notre programme d'aide bilatérale sur un moins grand nombre de pays, ce n'est pas en soi une mauvaise idée, mais ce n'est pas une panacée, et l'hypothèse n'a jamais été confirmée; en fait, personne n'a jamais cherché à la confirmer. De plus, et c'est plus important encore, nous avons des raisons de croire que les limites de la coopération pour le développement se trouvent ailleurs, qu'elles peuvent être repoussées vers les domaines où la coopération se devra d'être multilatérale, non pas bilatérale, et où les pays en développement devront être amenés à participer à parts égales à la recherche des solutions à des problèmes qui sont mondiaux et interreliés, des problèmes qu'aucun joueur, même le plus puissant, ne peut à lui seul éradiquer.
[Français]
Je vous remercie de votre attention.
:
Bonjour à tous. Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui.
Je suis professeur à l'UQAM. Je dirige l'Observatoire canadien sur les crises et l’aide humanitaire au sein de l'École des sciences de la gestion. Par contre, avant de devenir universitaire, j'ai travaillé notamment à CARE Canada pendant plusieurs années, ainsi qu'à la Croix-Rouge. J'étais praticien et je suis maintenant chercheur, ce qui me rend un peu schizophrène. Cela dit, ne vous en inquiétez pas.
[Traduction]
Je vais m'exprimer en français, mais, comme mon collègue, si vous posez des questions en anglais, j'y répondrai avec plaisir.
[Français]
J'ai préparé mon allocution en tentant de répondre à chacune des quatre questions qui nous étaient posées. Mon approche a donc été académique. Mes collègues ont fait déjà pour moi la démonstration qu'il y avait à faire. C'est ce qui arrive quand on passe à la fin. À tout le moins, cela me rassure car, en tant que scientifiques, nous arrivons aux mêmes conclusions. Je vais donc éviter les redondances et concentrer davantage ma présentation sur les recommandations.
Au-delà de ce que mes collègues ont dit — notamment en ce qui a trait aux démonstrations non concluantes sur la concentration sectorielle et régionale —, je me permets quand même de dire qu'en tant qu'ancien praticien — M. Brown l'a également souligné —, je crois que la concentration géographique constitue malgré tout, encore aujourd'hui, une forme de consensus plutôt lié à des logiques qui sont loin d'être scientifiques, mais qui semblent quand même tout à fait raisonnables.
J'aimerais revenir sur ce que M. Brown disait à propos de la prévisibilité, c'est-à-dire l'importance d'être prévisible. On comprend qu'on fait affaire avec des pays qui n'ont pas la capacité de tirer des ressources financières de leurs taxes ou de leur système d'imposition. Il est clair que leur financement provient de l'extérieur. S'ils ne peuvent pas planifier à long terme le développement de leurs propres politiques, on devient alors un mauvais partenaire. Je pense qu'une entente à long terme avec les pays ou avec une région constitue quelque chose de logique à cet égard.
On l'a dit, mais je le souligne à nouveau, pour moi, l'importance que la concentration géographique peut avoir sur le renforcement des capacités locales est l'autre élément central. Cela veut dire l'importance, à l'intérieur de cette prévisibilité, que les institutions locales et que la gouvernance locale soient en mesure de se développer. Très souvent, malheureusement, on est face à des gouvernances extrêmement lacunaires et déficitaires à tous les niveaux. Si on est en mesure de développer avec le temps les gouvernances locales, je pense qu'on devient alors un meilleur partenaire.
La deuxième question qu'on nous a posée était de savoir si le Canada devrait concentrer son aide bilatérale au développement sur un plus petit nombre de pays. Cela correspond un peu au premier point. Je crois que le constat que je fais avec mes collègues en est un d'échec à cause de l'incapacité de notre pays à demeurer concentré sur des pays donnés. Nous ne sommes pas les seuls, rassurez-vous.
Aujourd'hui, j'ai consulté les dernières statistiques. L'aide bilatérale canadienne est offerte à 130 pays sur la planète, alors qu'il y en a environ 198. Finalement, on n'est pas loin d'offrir notre aide aux États-Unis. En ce qui me concerne, sans entrer dans une optique trop circonscrite de la concentration par pays, je crois qu'il est à tout le moins fondamental de réduire dramatiquement ou de manière importante le nombre de pays avec lesquels on partage des ententes d'aide bilatérale ou multilatérale.
Je crois que le Canada est un pays très particulier. Son histoire, sa diaspora et son bilinguisme font en sorte que nous sommes prisonniers d'un nombre d'ententes multilatérales et bilatérales. On l'a vu par le passé, bon nombre de politiciens, de ministres et de gouvernements ont été sous l'influence de demandes, de requêtes et de pressions, ce qui nous a forcés à répondre positivement puisqu'on voulait être un bon acteur international. Par contre, je crois que, pour ce faire, il faut savoir dire non et savoir se concentrer.
On a parlé de l'exemple négatif de la Belgique, et je suis d'accord à cet égard. Par contre, il y a quand même des pays qui se sont concentrés sur l'aide, ce qui a donné des résultats plus positifs. Je prends l'exemple du Danemark. Le Canada pourrait, à tout le moins, s'en inspirer car c'est un exemple intéressant. L'aide du Danemark à la Bolivie, entre autres, et à l'Angola ont porté des fruits assez intéressants, même s'il y a eu beaucoup de difficultés.
La troisième question qu'on nous a posée était de savoir de quelle façon le cadre de l'aide canadienne devrait tenir compte de la situation de différents pays? Comme on vient de le mentionner, à la sortie de la plus vaste crise d'épidémie d'Ebola, avec les tremblements de terre, les changements climatiques et aussi l'arrivée grandissante du groupe État islamique, le Canada n'a pas d'autre choix que d'incorporer l'aide humanitaire et la protection des civils à son aide internationale.
Ces grands enjeux, comme d'autres qui ont déjà été mentionnés, ne sont pas des thématiques centrées par pays. Ce sont davantage des grands thèmes qui s'inscrivent dans la durée pour ce qui est de certaines régions et qui doivent être analysés de manière scientifique ou, à tout le moins, de manière importante. Tout cela est pour comprendre les dits enjeux et tenter de répondre de manière générale ou géographique — et non pas par pays — à ces grands défis auxquels l'humanité fait face aujourd'hui.
Je ne suis pas du même avis que mon collègue, M. Stephen Brown. Je crois que le Canada devrait se retirer des pays à revenus intermédiaires, en commençant par l'Ukraine. Cela ne fait pas de nous un bon pays donateur. Je crois que le retrait des pays intermédiaires serait déjà un pas en avant. On pourrait réduire le nombre de pays ciblés et augmenter, de manière encore plus significative, l'aide canadienne en fonction de la vulnérabilité des populations et non pas en fonction de nos possibilités d'affaires, comme cela a souvent été le cas dans le passé.
La quatrième question est la suivante: comment le Canada peut-il faire coïncider ses programmes d'aide bilatérale avec son engagement constant de soutenir la mise en œuvre du Programme de développement durable à l'horizon 2030 des Nations unies? Le précédent groupe de témoins en a un peu discuté. C'était intéressant. Je crois qu'il a été démontré que les objectifs des Nations unies étaient complètement et pratiquement toujours inatteignables et irréalistes. Cela fait en sorte qu'on fait faillite, on change de nom et on recommence.
Évidemment, le fait d'avoir des objectifs communs devient une sorte de feuille de route pour les pays donateurs afin de coordonner et d'harmoniser leurs efforts. La coordination entre les pays donateurs est, à mon avis, l'un des enjeux cruciaux, au-delà même de la concentration géographique que nous devrions avoir. Ma réponse à cette question est que le Canada doit soutenir cette initiative tout en s'assurant d'avoir toujours une valeur ajoutée.
J'en arrive aux dimensions de la valeur ajoutée accompagnées de certaines recommandations. J'en énumérerai brièvement cinq.
En fait, le Canada doit absolument résister au piège de la dispersion et du saupoudrage politique. Même s'il y a des grincements de dents — comme il y en a parfois quand on prend des décisions politiques et vous le savez mieux que moi —, je crois qu'on doit retirer notre aide financière aux pays à revenus intermédiaires de manière logique et transitoire.
Il faut aussi s'assurer que le renforcement des capacités et de la gouvernance locale est le moyen central de toute notre action. C'est d'ailleurs, dans ma littérature personnelle et selon mon expérience, certainement ce qui fait le plus consensus relativement à l'efficacité pour assurer l'émancipation des pays pauvres. Si je comprends bien, l'aide internationale doit arrêter un jour parce qu'il n'y aura plus de pauvreté. Dans cette perspective, il faut en effet assurer l'émancipation de nos partenaires.
Plus qu'un thème transversal, l'aide canadienne doit s'assurer que toutes ses méthodologies servent au renforcement des institutions locales. Malgré le fait que mes anciens employeurs étaient assis à la table il y a quelques minutes, je souligne que cela peut impliquer de financer des organisations locales sans passer par des intermédiaires canadiens. Ce que disait M. Brown plus tôt est fondamental. Il faut absolument garder la possibilité d'une décentralisation de l'aide et d'une prise de décisions locale. Évidemment, les populations et les gouvernances locales sont les mieux placées pour savoir comment elles veulent assurer leur émancipation.
La troisième recommandation vise à s'assurer que les femmes sont au coeur du développement. Je n'en dirai pas beaucoup plus à ce sujet parce qu'il semble que le gouvernement actuel, notamment la ministre Bibeau, a déjà fait son énoncé cette semaine ou la semaine dernière à cet égard. En ce qui me concerne, j'ai été extrêmement satisfait d'entendre que les questions de genre et d'égalité entre les sexes vont devenir une priorité pour le gouvernement actuel.
La quatrième recommandation est de miser sur la valeur ajoutée du Canada et de ses organisations de mise en oeuvre, essentiellement les ONG dans le cas de l'aide internationale bilatérale. Sur le plan géographique, je ne donnerai pas beaucoup de détails. Je vais faire comme mes collègues. Si vous avez des questions, on pourra en reparler.
Plus clairement, nous sommes prisonniers de notre bilinguisme. Par conséquent, les dimensions touchant l'Afrique de l'Ouest et Haïti ont évidemment beaucoup de sens. La Corne de l'Afrique pour les pays anglophones a également beaucoup de sens. Cependant, l'Inde et l'Ukraine me font beaucoup me poser des questions sur les dépenses que l'on fait avec nos impôts.
Sur le plan thématique, nous avons très clairement de la valeur ajoutée dans les domaines de la santé, de l'eau et du développement économique. Nous devons maintenir cette enveloppe importante de l'aide humanitaire d'urgence qui s'avère un outil extrêmement bien construit pour être réactif et répondre à la multitude de crises auxquelles l'humanité fait face à l'heure actuelle.
Un dernier point me touche particulièrement. Je suis convaincu qu'il touche également mes collègues. C'est la dimension de la recherche et du renforcement des capacités canadiennes. Qu'est-ce que cela veut signifie? Cela veut dire qu'aujourd'hui, la politique d'aide canadienne dépend à mes yeux essentiellement des politiques d'aide américaine et européenne. Quand je dit « américaine », j'entends bien les États-Unis. Pourquoi?
Pourquoi, est-ce le cas? C'est que la majorité des organisations humanitaires et de développement sont d'origine soit étasunienne ou soit européenne et elles dépendent elles-mêmes de capacités extérieures. L'élaboration de leurs propres capacités, de leurs propres réseaux d'analyse et l'influence qu'elles ont actuellement sur les fonctionnaires tendent à déformer un peu la perception que nous avons de la réalité.
Il faut absolument que le Canada s'engage, avec sa communauté de pratiques, avec ses organisations, avec ses chercheurs, bref avec l'ensemble de sa communauté, vers un renforcement, vers des institutions plus fortes capables d'effectuer des recherches et d'établir des faits probants de façon à faire en sorte que nous puissions vous éclairer pour que vous preniez les meilleures décisions possibles.
Les questions que vous posez aujourd'hui sont tout à fait légitimes et nécessaires mais, comme je viens de le mentionner, elles sont un symptôme du fait que nous ne disposons encore que de trop peu d'informations et de données probantes sur l'impact de notre aide publique au développement. Nous devons mieux comprendre ce qui fonctionne. Nous devons mieux partager ce qui ne fonctionne pas en raison de nos capacités. Le milieu de l'aide est beaucoup contrôlé par les ONG et ce milieu est évidemment très en lien avec le celui de la consultation. Cela ne favorise pas les mécanismes ouverts relatifs aux leçons apprises. Au contraire, l'aide est présentée comme une boîte noire, un charity business et nous ne sommes pas du tout à jour en ce qui concerne ce qui se fait, notamment dans plusieurs pays d'Europe.
Nous devons exiger de mieux comprendre les problèmes et les échecs, parce qu'il y en a, pour trouver des solutions. Malheureusement, on cache les échecs et on répète essentiellement ce qui fonctionne bien.
Enfin, pour conclure, je veux simplement mentionner qu'Affaires mondiales Canada octroie actuellement 1 million de dollars à différents think tanks et centres de recherche dans le monde, notamment en Europe et aux États-Unis, et qu'aucun fonds n'est octroyé à des organismes de recherche et de développement de capacités canadiennes. Je pense entre autres à ODI et à ALNAP.
Le gouvernement canadien dispose de ressources. Il encourage le développement de capacités à l'extérieur de notre pays et, évidemment, nous nous retrouvons aujourd'hui avec très peu de moyens, avec des capacités en recherche limitées et des organisations canadiennes qui dépendent de leurs réseaux internationaux pour développer une politique publique canadienne.
En fait, je suis convaincu que si nous réinvestissons dans nos capacités et dans notre communauté de pratiques, nous pourrons mieux guider les décisions et, éventuellement, présenter ici, au Comité, des données probantes beaucoup plus satisfaisantes.
Je vous remercie.
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Le Comité connaît ces six thèmes? Non?
D'accord, alors je vais vous en faire la lecture.
Je ne comprends pas tout. J'ai participé à ces consultations, qui se tenaient vendredi. Elles rassemblaient des représentants d'ONG et des consultants en matière de développement international.
On nous a donné six thèmes, et nous nous sommes réunis en petits groupes pour discuter de chacun de ces six thèmes.
Le premier, c'est la santé et les droits des femmes et des enfants. J'ai vu que la ministre Bibeau avait déjà annoncé ces thèmes et diffusé des communiqués de presse en utilisant ce libellé, et j'ai l'impression que l'on fait comme si les thèmes avaient déjà été adoptés.
Le deuxième, c'est la croissance économique propre et les changements climatiques.
Le troisième, la gouvernance, le pluralisme, la diversité et les droits de la personne.
Le quatrième, la paix et la sécurité.
Le cinquième, les interventions pour répondre à des crises humanitaires.
Le sixième, l'obtention de résultats en faisant la promotion de l'innovation et en améliorant l'efficacité, la transparence et les partenariats. Je n'ai pas encore tout à fait bien compris ce dernier thème.
Mon problème tient en partie à la manière dont cette consultation a été menée. À mes yeux, il ne s'agissait pas vraiment d'une consultation. C'était en quelque sorte une mise en scène car, si on nous a demandé de discuter des thèmes, puisque nous étions divisés en petits groupes et que chaque groupe s'occupait d'un thème, il n'a pas vraiment été possible de chercher à savoir pourquoi ce sont ces six thèmes-là qui avaient été choisis, s'ils étaient pertinents ou s'ils étaient en fait bien formulés.
Par exemple, le premier thème concerne la santé et les droits des femmes et des enfants. Je suppose qu'ils ont repris le thème de la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants, une initiative du gouvernement Harper qui tenait beaucoup à coeur au premier ministre, et que, pour y ajouter les droits sexuels et génésiques, dont les libéraux avaient parlé, ils ont apporté quelques modifications: ils ont remplacé le mot « mères » par « femmes » et ont ajouté le mot « droits ». Cependant, si nous parlons de la santé et des droits des femmes et des enfants, pourquoi en rester là? Pourquoi ne pas ajouter aussi l'éducation? Et qu'en est-il des droits de la personne, qui se trouvent avec le troisième thème? Pourquoi les droits des femmes sont-ils le premier thème et les droits de la personne, le troisième? Les tribunaux ont déjà dû trancher la question de savoir si les femmes étaient des personnes, et je crois que cette question est réglée.
Selon moi, il y a un certain chevauchement. Il semble y avoir... Vous devez vous pencher sur le raisonnement qui a mené à ces thèmes. Ils n'ont pas été conçus en vue de l'efficacité; ils ont été conçus de manière à permettre de présenter d'anciens thèmes sous une lumière nouvelle et à ajouter des choses à son gré.
Intervenir pour répondre à des crises humanitaires, c'est quelque chose que nous faisons. À mon sens, c'est une activité; je ne vois pas pourquoi c'est présenté en tant que thème. Je ne vois pas, pour en revenir à la santé et aux droits des femmes et des enfants, en quoi cela est différent de l'égalité des sexes. S'agit-il d'un thème général, un thème transversal, un thème distinct? Je ne peux le dire avec certitude.
Je ne sais pas quelle forme prendront les prochaines consultations, mais j'espère que l'on réservera du temps pour que les gens puissent vraiment commenter ces thèmes. On ne cesse de nous répéter que rien n'est coulé dans le béton, que tout est matière à discussion, mais la façon dont c'était organisé montre bien que les six thèmes avaient déjà été retenus; en coulisse, des gens d'Affaires mondiales Canada ont dit que la ministre était très attachée à ces thèmes. Je ne comprends pas vraiment à quoi sert un processus de consultation si la décision a déjà été prise.
Comme je l'ai dit, je me suis demandé pourquoi la sécurité alimentaire ne figurait plus sur cette liste. J'ai demandé si cela veut dire que le Canada ne consacrerait plus d'efforts à la question de la sécurité alimentaire, et on m'a répondu que cela entrait dans le premier thème, étant donné que les femmes ont besoin d'une bonne alimentation, en particulier les femmes enceintes, et que les enfants avaient eux aussi besoin d'être nourris. On m'a dit que l'agriculture s'inscrivait dans le thème de la croissance économique propre et des changements climatiques et que l'aide alimentaire était un aspect important des interventions en cas de crise humanitaire.
Cela me ramène à mon premier point: est-ce que cela fait une différence? Si nous nous occupons toujours de sécurité alimentaire, que nous devons le faire en fonction de ces trois thèmes, mais que nous continuerons à faire ce que nous faisons déjà, pourquoi est-ce important? Pourquoi avons-nous besoin de thèmes? Pourquoi avons-nous besoin de changer les thèmes?
Si cela fait vraiment une différence — si nous laissons tomber la sécurité alimentaire —, pourrons-nous alors avoir une discussion sur le sujet?
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Oui, absolument, les obstacles sont un problème, et il n'y a pas de façon facile de réagir à l'un ou l'autre d'entre eux. Lorsqu'une guerre civile éclate, cela nuit à l'acheminement de l'aide et fait augmenter les frais généraux.
Je pense que, ce qui se produit trop souvent, c'est que l'efficacité de l'aide n'est pas le facteur déterminant dans les programmes d'aide. Souvent, il s'agit de décisions très politiques. Le programme le plus important que le gouvernement canadien ait jamais eu en matière d'aide étrangère a été exécuté en Afghanistan, et il portait strictement sur des intérêts en matière de sécurité. Il s'agissait de montrer à l'OTAN que le Canada était un joueur d'équipe.
De nombreuses façons, les dépenses ont été très mal avisées, et beaucoup d'argent a été gaspillé. Notre intérêt à Kandahar était lié au fait que nous avions là-bas des troupes canadiennes. Il y avait cette idée facile selon laquelle l'aide aiderait à gagner les coeurs et les esprits.
Ces considérations ne sont pas utiles en ce qui concerne l'efficacité de l'aide. Nous devons tenir compte de choses comme la capacité d'absorption. Je suis en faveur de l'augmentation des budgets d'aide, mais souvent, on nous présente une dichotomie fausse, ce qui signifie que nous ne faisons que lancer de l'argent par les fenêtres.
Je pense que l'aide devrait être intelligente. Elle devrait être bien dépensée. Pour ce faire, Affaires mondiales Canada doit avoir des membres du personnel qui sont bien formés, qui savent ce qu'ils font et qui, comme nous en avons discuté, sont décentralisés, qui ont une présence sur le terrain, ainsi qu'un pouvoir décisionnel et qui peuvent être plus souples.
Dans un livre que j'ai dirigé, il y avait un chapitre de Molly den Heyer, qui a parlé du soutien budgétaire apporté au gouvernement de la Tanzanie. Il y avait une réunion des donateurs, et le Royaume-Uni disait qu'il allait mettre un tel montant, et les Danois disaient qu'ils allaient mettre tel autre montant. On mettait en commun des fonds qui avaient été négociés au cours d'une longue période. C'était considéré comme la bonne façon d'apporter de l'aide. Il s'agissait non pas de petits projets isolés, mais d'un soutien conjoint pour le gouvernement de la Tanzanie pour... je ne peux me rappeler le secteur dont il s'agissait. C'était peut-être l'éducation. Cela visait à soutenir le secteur de l'éducation plutôt que de seulement construire une école dans une collectivité. Le représentant canadien n'avait pas réellement été en mesure de formuler un engagement et avait dû retourner à Ottawa.
Le représentant du Canada était la seule personne à la table qui avait dit: « Je ne peux vous répondre, parce que je dois d'abord faire une vérification », puis il s'est avéré que les lignes directrices du Conseil du Trésor empêchaient le Canada de transférer ce qui était, je pense, 10 millions de dollars au gouvernement de la Tanzanie, donc le Canada a donné l'argent à la Banque mondiale, puis la Banque mondiale l'a donné au gouvernement de la Tanzanie. La Banque mondiale a facturé 1 million de dollars, je pense, comme frais pour l'exécution de ce service, donc aucun gain n'a été réalisé, si ce n'est par la Banque mondiale. Le Canada a dû passer par ces formalités administratives, et le gouvernement de la Tanzanie a obtenu 1 million de dollars de moins.
Les parties du problème au sujet desquelles nous pouvons accomplir le plus sont celles qui concernent intégralement le Canada. Les problèmes à l'étranger, comme la corruption, les conflits civils et d'autres encore, sont extrêmement complexes. C'est là où nous avons besoin de gens bien formés et habilités qui ont des connaissances sur le terrain, des personnes qui peuvent réagir à ces questions et élaborer des stratégies qui sont appropriées, des personnes qui n'adopteront pas une approche à l'emporte-pièce, mais qui concevront des adaptations à des programmes.
Par exemple, si, pour quelque raison que ce soit, ce n'est plus une bonne idée — parce qu'il y a de la corruption ou autre chose — d'acheminer l'argent par l'entremise du gouvernement, ces personnes seraient en mesure de le recentrer et de le réacheminer au moyen d'ONG locales, d'ONG canadiennes ou d'autres ONG internationales ou de l'ONU pour continuer de soutenir les gens de ce pays, plutôt que de les punir parce que nous ne souhaitons pas soutenir leur gouvernement.