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Je suis désolé de ne pas être à Ottawa. J'adore aller dans cette ville. J'y vais environ deux fois par année. En fait, j'y vais pour la tarte au sucre et le sirop d'érable, alors je suis désolé de ne pas être parmi vous. Je suis plutôt ici, à Rome.
C'est un réel honneur pour moi de pouvoir discuter avec les membres distingués du Comité. Merci de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui.
Je suis titulaire d'une chaire dotée au Center for Strategic and International Studies, le CSIS. Ne vous méprenez pas, le sigle est le même, mais il ne s'agit pas de votre service du renseignement. Même si ma mère croit encore que je suis un espion, ce n'est pas le cas.
Dans le passé, j'ai travaillé, sous l'administration Bush, pour USAID, l'organe d'aide internationale du gouvernement américain. J'ai travaillé aussi pour la Société financière internationale, l'entité responsable du financement du développement du Groupe de la Banque mondiale. J'ai aussi oeuvré dans le passé pour Citibank en Argentine, dans le secteur des services bancaires commerciaux, et j'ai commencé ma carrière dans le domaine des services bancaires d'investissement dans le service du financement des entreprises, pour ce qui est devenu la Deutsche Bank. J'ai une grande expérience du développement international et du financement du développement, et c'est donc ce dont je vais parler dans le cadre de mon exposé.
Je tiens pour commencer à féliciter le Canada, qui a décidé de créer une institution de financement du développement. J'ai déjà comparu devant le Comité — en 2011, je crois —, et j'avais alors laissé entendre dans mes observations préparées que le Canada devait créer certaines formes de pouvoirs ou d'instruments de financement du développement. Je n'étais pas allé aussi loin que de suggérer une institution à part entière, même si c'est assurément une possibilité que j'avais à l'esprit, et je crois que c'est très bien que le Canada ait opté pour cette voie.
J'ai aussi écrit un article sur le site Forbes.com en 2015 pour parler du fait que, dans son budget, le gouvernement canadien précédent envisageait la création et la mise sur pied d'une institution de financement du développement, une IFD, ce n'est donc pas quelque chose de nouveau pour le Canada. Je sais que beaucoup de vos professionnels d'Affaires mondiales Canada et de la SDE ont beaucoup réfléchi à tout ça. Je connais une bonne partie des personnes qui ont réfléchi à cette initiative et qui ont travaillé sur ce dossier. Vous comptez sur de très bons fonctionnaires qui réfléchissent à cette question depuis longtemps, mais l'une des choses qui sont très positives, ici, c'est que, selon moi, l'initiative bénéficie d'un vaste appui dans tout le spectre politique canadien.
L'autre chose que je tiens à souligner, c'est que le Canada est, s'il n'est pas le dernier, l'avant-dernier pays membre du G7 à mettre sur pied une IFD. Tous les autres pays, y compris la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Japon, ont mis sur pied une institution indépendante de financement du développement, alors le Canada sera en très bonne compagnie une fois qu'il aura mis sur pied cette institution.
Je veux aussi souligner quelque chose: ce n'est plus le monde en développement de vos grands-parents. Les pays sont plus riches, plus libres et plus capables. Ils ont plus d'options et, par conséquent, le rôle du secteur privé dans le domaine du développement est d'une importance cruciale. Les pays se développent grâce à une bonne gouvernance, comme c'est le cas du Canada, comme c'est aussi le cas des États-Unis, et grâce à un secteur privé solide et officiel, comme c'est le cas au Canada et dans des pays comme les États-Unis. C'est donc très important de trouver des façons de travailler et d'habiliter un secteur privé officiel.
Je vais présenter pour le compte rendu un rapport que nous avons produit avec les institutions européennes de financement du développement intitulé « Development Finance Institutions Come of Age », qui a été publié en octobre. Je vous le recommande tous, et j'espère que la greffière le distribuera aux membres du Comité.
Si on regarde toute l'aide étrangère dépensée actuellement par tous les pays comme le Canada, la France, les États-Unis et d'autres, ainsi que par les institutions multilatérales, on en est à environ 130 ou 140 milliards de dollars américains.
Nous nous sommes penchés sur le niveau total des investissements de financement du développement misant sur les activités du secteur privé consentis par des institutions de financement du développement pour constater que, l'année dernière, on en était à environ 70 milliards de dollars. Le niveau d'aide étrangère traditionnel a doublé au cours des 15 dernières années, et il y a aussi sept fois plus de capitaux privés utilisés par les institutions de financement du développement durant la même période.
Je soutiens que, au cours des cinq prochaines années, ces deux tendances se croiseront, et qu'il y aura davantage d'activités du secteur privé générées par les institutions de financement du développement qu'il n'y a d'aide étrangère traditionnelle. Cela ne signifie pas que nous n'avons plus besoin d'aide étrangère. Nous avons bel et bien besoin de l'aide traditionnelle officielle au développement que fournissent Affaires mondiales Canada et des institutions comme USAID, pour des choses comme une bonne gouvernance, certains cas d'aide humanitaire, la lutte à la corruption, la promotion d'une saine démocratie et des droits de la personne et certains types d'aide technique aux gouvernements. En outre, dans certains cas, il faut subvenir aux besoins humains fondamentaux ou soutenir des États fragiles et faibles, tout particulièrement.
Cependant, ce que vous allez constater, puisque le monde en développement évolue et qu'il y a environ 60 États qui sont en train de devenir des pays à revenu intermédiaire qui emboîteront le pas de la Corée du Sud et de Taïwan, c'est que leurs besoins sont très différents.
Ce dont ils ont beaucoup plus besoin, ce sont des choses comme des infrastructures ou des investissements privés ou des incitatifs commerciaux, et pas vraiment des fonds pour subvenir aux besoins humains fondamentaux. Je crois que l'écosystème du développement, composé d'entités comme Affaires mondiales Canada ou la nouvelle institution de financement du développement... C'est important de compter sur ces instruments différents pour s'adapter à notre monde qui évolue constamment.
Je vais maintenant dire certaines choses sur la nouvelle IFD du Canada.
Je crois que la nouvelle IFD du Canada devrait refléter les intérêts stratégiques et géographiques du Canada ainsi que les occasions d'affaires internationales du Canada. Je vais donner quelques exemples. La francophonie est assurément très importante pour le Canada, alors je crois que l'Afrique francophone devrait être une région très importante pour la nouvelle IFD. Je crois qu'Haïti et l'Ukraine devraient être des pays très importants aussi pour l'institution.
Je crois que la nouvelle institution devrait être prête à prendre des risques d'investissement plus élevés si elle doit oeuvrer dans l'Afrique francophone et des pays comme le Mali, Haïti ou l'Ukraine. Il y a une attente implicite selon laquelle elle devra accepter un niveau de risque plus élevé que si elle investissait dans des projets de télécommunication au Brésil, en Turquie ou en Chine qui, reconnaissons-le, sont peut-être des projets assortis d'un profil de risque moins élevé que les projets réalisés dans les genres d'endroits qui sont importants pour le Canada.
J'encouragerais l'IFD, si elle doit oeuvrer dans les pays prioritaires pour le Canada, à adopter un profil de risque plus élevé pour cette raison. Je crois que le leadership politique qui appuie l'IFD doit être prêt à soutenir ce niveau de risque plus élevé. C'était la deuxième chose que je voulais dire.
Le troisième point que je veux formuler, c'est que même si c'est très bien que le Canada ait mis sur pied l'institution, j'encourage tout de même le Comité à commencer à planifier à long terme et à penser à ce qui arrivera dans trois à cinq ans sur un certain nombre de fronts. On aura une certaine période, de trois à cinq ans, pour mettre sur pied cette institution, pour lui permettre des réalisations en matière d'investissement, pour créer les divers processus décisionnels sur les transactions à privilégier. Je crois que tout ça sera porté par d'autres arrangements de l'IFD, ce sur quoi je reviendrai dans une minute.
Selon moi, il faudra accorder à l'IFD un peu de temps pour prouver sa valeur, et j'encourage donc le Comité à faire preuve d'un peu de patience et à lui donner plusieurs années pour prendre ses marques.
Voilà donc mes trois points: mettre l’accent sur les intérêts stratégiques et géographiques du Canada, en se concentrant sur les intérêts et les priorités du pays; accepter un niveau de risque plus élevé; et, en troisième lieu, je demande au Comité de donner plusieurs années à l’IFD pour prendre ses marques.
De plus, et c'est important, il faudra peut-être envisager un genre de structure différent à l'avenir. Il faudra peut-être conclure des types différents d'arrangements structuraux; j'y reviendrai aussi.
Je vais maintenant approfondir ces trois points.
Je tiens à souligner encore une fois que la réussite du secteur privé et d'un pays est d'une importance cruciale pour le développement. Le meilleur programme social du monde, c'est un bon emploi. La Banque mondiale possède des données selon lesquelles, dans le monde en développement, neuf emplois sur dix sont dans le secteur privé. Par conséquent, si neuf emplois sur dix sont créés par le secteur privé, la création de l'IFD est tout à fait logique.
Permettez-moi donc d'en venir à mon premier point: l'IFD du Canada devrait refléter les intérêts régionaux et particuliers, les forces et les relations du Canada. Comme je l'ai dit, l'Afrique francophone, Haïti et l'Ukraine seraient les premières régions où il faudrait mettre l'accent, un premier groupe d'intérêts.
Ensuite, il y aurait l'Afghanistan et le Pakistan, puisque le Canada a injecté beaucoup de ressources dans ces pays au cours des 15 dernières années et qu'il s'y est beaucoup intéressé. Ce sont deux pays où il serait très logique pour l'IFD d'oeuvrer.
Enfin, je propose que le triangle du Nord de l'Amérique centrale soit considéré comme une région d'importance pour le Canada. J'ai rencontré des représentants d'Affaires mondiales Canada au Honduras, au Guatemala et au El Salvador au cours des deux ou trois dernières années lorsque je suis allé là-bas. Je mentionnerais aussi la Colombie, qui pourrait être un pays d'intérêt, en raison des importants investissements de temps et d'effort faits par le Canada pour assurer le processus de paix en cours là-bas.
Du point de vue régional, ce sont les trois zones géographiques que je prendrais en considération.
Du point de vue des thèmes, j'aimerais suggérer deux ou trois thèmes qui reflètent aussi les priorités du gouvernement canadien.
Je crois que l'habilitation économique des femmes, bien sûr, est un intérêt central du gouvernement . Je crois que l'IFD du Canada devrait mettre l'accent sur ce thème.
Je me pencherais précisément sur la Société financière internationale, qui réfléchit depuis 10 ans à la façon de favoriser les entreprises dirigées par des femmes, tant du point de vue des analyses et de l'aide technique que grâce à la prestation de marges de crédit pour immobilisations à un certain nombre de banques différentes de façon à ce qu'elles puissent prêter des fonds à des petites et moyennes entreprises appartenant à des femmes dans le monde entier. La nouvelle IFD canadienne pourrait s'appuyer sur ce que fait la SFI dans ce domaine précis.
Je veux aussi souligner que le rétablissement post-conflit et les États fragiles sont un domaine d'intérêt possible dans des situations suivant des conflits. Ce sera très important.
La santé mondiale est le troisième domaine. Je veux ici rappeler l'incroyable histoire de leadership canadien dans le domaine de la santé de la mère et de l'enfant. Ce qu'on ne sait pas au sujet de la santé, c'est qu'une étude a été réalisée il y a environ 10 ans par la Société financière internationale, étude que je vais aussi présenter pour le compte rendu, indiquant qu'environ la moitié des dépenses en soins de santé dans l'Afrique subsaharienne en 2005 — les données datent un peu, mais elles sont tout de même importantes si l'on veut comprendre — ont été engagées par des fournisseurs de soins de santé du secteur privé. Si c'est le cas, et je crois que c'est encore le cas en Afrique subsaharienne, alors il serait logique pour l'IFD de faire des investissements dans le secteur des soins de santé. Il faut un peu changer notre état d'esprit pour réfléchir à la façon dont les soins de santé sont vraiment offerts. Ils ne le sont pas toujours par des ONG sans but lucratif ou par les gouvernements; ils le sont souvent par le secteur privé à but lucratif.
Un quatrième thème que l'IFD du Canada devrait inclure, c'est ce que je vais décrire comme une stratégie énergétique « inclusive ». Je crois absolument que l'IFD devrait financer des projets pétroliers et gaziers. Je crois vraiment que, si c'est approprié, elle devrait envisager de financer des projets liés au charbon. Je sais que ce n'est pas nécessairement là où le gouvernement veut aller, mais je tiens à souligner qu'un certain nombre d'IFD vont le faire.
J'ai rencontré des dirigeants de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures et de la Nouvelle Banque de développement au cours du dernier mois, et c'est assurément quelque chose qu'elles feront. Dans certains contextes, disons dans le cas d'Haïti ou en Afrique francophone, si c'est la meilleure option, alors il faut envisager des projets liés au charbon.
Je ne dis pas qu'il faut investir dans des projets liés au charbon à l'aveuglette, mais je crois qu'il faut y réfléchir. Je crois assurément que le pétrole et le gaz seront de la partie. Je crois que 53 des 54 pays de l'Afrique subsaharienne réalisent des activités pétrolières, gazières et minières, actuellement, alors c'est selon moi absolument approprié, surtout en Afrique francophone, aussi. Bien sûr, des projets hydroélectriques, éoliens, géothermiques et solaires vont de soi, mais je voulais souligner qu'une stratégie énergétique « inclusive » devait constituer un quatrième secteur d'activités.
Enfin, vu les excellentes entreprises canadiennes qui travaillent dans le domaine de l'infrastructure à l'échelle internationale, la trentaine d'États fragiles ont sûrement besoin de certains types d'aide, mais les 50 ou 60 pays en voie de devenir des pays à revenu intermédiaire ont vraiment besoin d'infrastructure. Vous n'avez qu'à regarder la réussite de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures. Le Canada est membre de cette banque et le fait qu'elle compte environ 80 membres actuellement est révélateur du fait qu'il y a un déficit majeur dans le domaine de l'infrastructure. J'espère que la nouvelle IFD envisagera ce thème en tant que cinquième domaine d'intérêts.
Je vais maintenant vous parler de planification du risque. Je crois que...
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Je suis heureux d'être ici. Merci de l'invitation.
Je vais commencer sans plus tarder. Un certain nombre de mes observations complètent ce que le témoin précédent vient de dire, et je suis bien sûr tout à fait d'accord avec ce qu'il a dit en premier, soit que le monde en développement n'est plus celui qu'ont connu nos grands-parents.
Durant le temps qui m'est alloué, j'aimerais aborder trois domaines en guise d'introduction. Je vais défendre un ensemble de points que j'ai formulés et qui seront présentés au Comité, et je crois que le Comité pourrait pour sa part les soumettre au gouvernement afin de préciser davantage la réflexion actuelle sur l'IFD. Puis, j'aimerais me concentrer sur les éléments qui concernent les recommandations.
J'oeuvre à la Norman Patterson School of International Affairs. Là, je dirige la Canadian International Development Platform, une plateforme d'analyse de données qui concerne l'engagement du Canada auprès du monde en développement. C'est de ce point de vue que j'aborderai une bonne partie de mon exposé.
Pour revenir au premier point soulevé par le témoin précédent, vraiment, le paysage du milieu du développement et du financement du développement change de façon très importante. Nous savons que la réduction de la pauvreté à l'échelle mondiale est une bonne manchette, et je ne vais pas trop m'éterniser sur les statistiques, mais même si l'on envisage la date de 2030 prévue pour les objectifs en matière de développement durable, je crois que le chemin le plus difficile en matière de développement reste à faire et nous attend.
C'est ce que je pense pour deux principales raisons. Premièrement, la pauvreté à l'échelle internationale sera de plus en plus concentrée dans les zones les plus difficiles, c'est-à-dire les endroits où les activités d'extension sont les plus difficiles, les plus coûteuses et les plus risquées. Deuxièmement, la faible croissance est devenue la nouvelle réalité, et, dans le contexte de la réduction de la pauvreté, cela signifie une faible réactivité à la croissance de la pauvreté. Nous pouvons analyser plus en détail les facteurs sous-jacents à cette tendance.
Les donateurs traditionnels sont confrontés à des contraintes en matière de ressources liées aux répercussions combinées des réductions budgétaires et de l'augmentation des besoins. On a qu'à penser aux urgences coûteuses ou plus fréquentes, aux crises humanitaires, aux crises de réfugiés et à l'élargissement des programmes. Selon moi, c'est là un risque — comme je l'ai mentionné dans le mémoire que vous allez bientôt recevoir — comme si on demandait à un léopard d'avoir des rayures.
Essentiellement, tout cela va dans le même sens que le rapport de Daniel. Je connais un certain nombre de coauteurs de ce rapport. Comme ils l'ont dit, dans ce contexte, les IFD deviennent de plus en plus l'instrument de choix pour surmonter l'ensemble des défis liés au développement. Ce qui se produit, c'est qu'il y a un risque que les institutions se retrouvent de plus en plus à l'extérieur de leur zone de confort et qu'on leur demande d'assumer des mandats de plus en plus larges, y compris ceux des ONG et des organisations de la société civile, les OSC, d'après moi, ce qui poussera les IFD à agir de plus en plus comme des organismes d'assistance plutôt que comme des investisseurs institutionnels. C'est un risque que, selon moi, nous devons garder à l'esprit.
L'autre observation d'introduction que j'aimerais formuler, c'est que les IFD se trouvent là où la rondelle se dirige si je peux m'exprimer ainsi. Je vais soulever quelques points rapides à ce sujet. Depuis la conférence sur le financement du développement, à Addis, en 2015, on s'entend maintenant sur le fait que ce n'est plus des milliards de dollars qu'il faut pour financer le développement, mais des mille milliards. Tout le monde s'entend maintenant pour dire qu'il faut aller au-delà de l'APD et de l'assistance de base.
La plupart des donateurs, y compris le Canada, l'ont très bien compris. La vraie question, maintenant, c'est comment faire. Les fonds des IFD dépassent maintenant plusieurs fois l'APD. Nous le savons. Les prévisions conservatrices des mouvements de capitaux vers les pays en développement d'ici 2030 sont de l'ordre de 6 mille milliards de dollars. Les lacunes dans le domaine du financement du développement, qui se chiffrent en mille milliards de dollars, semblent déconcertantes lorsqu'on les regarde de façon isolée. Lorsqu'on les remet dans le contexte de ce que j'appelle la plomberie défaillante du système financier mondial, on peut voir les choses d'un nouvel angle.
Pensez au fait que, en février et mars 2016, environ 7 mille milliards de dollars se retrouvaient dans les marchés obligataires mondiaux et affichaient un rendement négatif. Il y a des rendements négatifs et des actifs qui attendent. Je ne dis pas qu'on peut utiliser tous ces fonds à des fins de développement, mais nous pourrions assurément faire du meilleur travail.
Comme le témoin précédent l'a déjà dit, les IFD affichent une croissance rapide, 10 fois plus rapide que l'APD durant la période de 2002 à 2014, peu importe la façon dont on examine les choses. Cependant, il ne faut pas oublier où on trouve les investissements. C'est principalement dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et moyenne-supérieure, et pas dans ce qu'on appelle les plus pauvres PFR et les PMA, ou les PFR et les PMA qui ne reçoivent qu'une faible part des investissements. Les investissements sont faits principalement dans cinq secteurs: les services bancaires et les services financiers, l'infrastructure industrielle, la production d'énergie et l'approvisionnement énergétique... je vais laisser tomber la liste. Nous pourrons y revenir durant la période de questions et réponses.
Selon moi, c'est là que le financement durable, catalyseur et autonome des IFD, entre l'aide étrangère publique et les investissements privés, peut jouer un rôle relativement limité. Les IFD sont des institutions financières qui ont un mandat lié au développement et qui fournissent un financement supplémentaire et complémentaire distinct de l'APD.
Il y a trois domaines où, selon moi, le Comité devrait demander des précisions au gouvernement. Je n'ai pas le temps de les approfondir, parce que je veux plutôt mettre l'accent sur mes recommandations, mais je voulais vous en fournir un. Dans le contexte de la décision au sujet de l'IFD canadienne en particulier, il y a des problèmes de sémantique. La façon dont on en a parlé — et même l'acronyme IFD — a beaucoup manqué de cohérence. Dans l'acronyme IFD, au départ, le « I » signifiait « initiative », puis, « institution » et, récemment, dans l'annonce du à Montréal, il était question d'« institut ». C'est lequel des trois? Et est-ce que cela dénote quoi que ce soit concernant la portée, l'ambition, le mandat ou les limites? Je crois que ce serait bien d'obtenir des précisions.
Le deuxième point concerne les 300 millions de dollars de capitalisation sur cinq ans. S'agit-il d'une capitalisation dans le sens financier normal, c'est-à-dire un montant que l'institution peut ensuite utiliser comme levier pour obtenir plus de fonds ou s'agit-il plutôt d'une limite quant à ce qu'elle peut faire et ce qu'elle aura sur cinq ans? Parler de capitalisation, puis préciser une période de cinq ans n'a aucun sens d'un point de vue financier normal. C'est une autre chose que le Comité pourrait préciser.
L'autre chose où il faudrait demander des précisions au gouvernement, c'est la source et l'utilisation devant être déclarée. La source, les 300 millions de dollars fournis à l'IFD, est-ce entièrement hors budget? Les fonds proviennent-ils de l'enveloppe de l'aide internationale, l'EAI? Est-ce qu'une partie des fonds vient de là? Ce n'est pas clair, et je crois qu'il faudrait obtenir des précisions.
Deuxièmement, pour ce qui est de l'utilisation devant être déclarée, est-ce que l'ensemble de la capitalisation figurera dans les livres en tant qu'APD ou non? C'est un autre point qu'il est important selon moi de préciser, parce qu'il aura une répercussion sur les chiffres de l'APD canadienne, surtout au cours de la prochaine année du G7.
Mes recommandations sont les suivantes: dans un premier temps, je crois que le Canada et le Comité devraient s'assurer d'ajouter officiellement l'additionnalité du développement et la durabilité dans le mandat de l'IFD. Sans mandat précis et gouvernance serrée, on a constaté que les IFD sont susceptibles d'abandonner leur objectif de développement pour adopter des fins de nature plus financière et commerciale. C'est évident et logique, et ce, pour de bonnes raisons. Il faut par conséquent que les incitatifs soient alignés officiellement sur la notion d'additionnalité du développement.
L'additionnalité est une notion que beaucoup d'IFD utilisent, mais ce n'est pas un concept évident. J'aimerais vous proposer une façon très simple de comprendre cette notion. La thèse d'investissement à différents niveaux, que ce soit au niveau global du portefeuille ou au niveau des investissements individuels, devrait permettre de définir clairement de quelle façon et pour quelle raison l'investissement de l'IFD permettra d'obtenir des résultats en matière de développement. Il faut aussi pouvoir préciser quels sont ces résultats en matière de développement. C'est une façon très simpliste et caractérisée de l'interpréter. Je crois que nous pourrions apporter une contribution ici, en demandant que l'additionnalité du développement soit au coeur du mandat de l'IFD.
Le deuxième principe, c'est la durabilité. J'entends ici la durabilité de ce dans quoi l'IFD investit, mais aussi la durabilité financière. À moyen terme, une IFD devrait être autofinancée et devrait pouvoir — c'est ce qu'on apprend à la lumière des données probantes auxquelles nous avons accès sur les autres IFD — se financer elle-même grâce aux bénéfices non répartis, aux profits et ainsi de suite.
Je vais maintenant passer rapidement au prochain point, soit le fait que l'IFD canadienne devrait avoir le droit de prendre des risques. L'élément central, ici, ce sont les risques. On en revient au point que j'ai soulevé tantôt sur la situation actuelle du développement à l'échelle mondiale: le plus dur reste à venir. Si on accepte cette réalité, alors mettre l'accent sur les États les plus pauvres et les plus vulnérables — en grande partie — signifie qu'il faut accroître notre tolérance au risque. L'une des principales critiques formulées à l'endroit des IFD, c'est qu'elles ne prennent pas suffisamment de risques. EDC est bonne à de nombreux égards. Elle possède une très solide capacité financière et de bonnes capacités, mais elle n'est pas considérée comme une institution qui prend beaucoup de risques. Il ne faut pas l'oublier.
Il ne faut pas oublier non plus, comme le témoin précédent l'a dit, que même si on parle beaucoup de la possibilité de faire de l'argent en faisant le bien... on souligne souvent que l'OPIC, l'IFD américaine, a redonné 5,7 milliards de dollars au Trésor américain depuis 1971 et n'a pas eu besoin de fonds supplémentaires, mais elle est menacée de fermeture. Les IFD peuvent perdre de l'argent et elles en perdent. Je peux donner en guise d'exemple le fonds suédois de développement, Swedfund. Il possède une cible précise en ce qui a trait à son point de référence, cible qu'il a manquée depuis deux ou trois ans. Le fonds a perdu de l'argent. Le domaine du développement est risqué. On parle ici d'une institution qui prend des risques, et il ne faut pas l'oublier si l'additionnalité du développement doit être au coeur des activités de l'IFD canadienne.
Je crois vraiment que les IFD qui ont plus d'instruments et d'offres sont plus susceptibles d'obtenir des résultats en matière de développement. Par conséquent, même si la plupart des IFD s'en tiennent à la composante de dettes et de financement par emprunts du continuum financier, seulement quelques-unes offrent aussi un financement par actions. Ce sont ces institutions qui, selon moi, obtiennent de meilleurs résultats en matière de développement. J'ai fourni dans mon mémoire des exemples et des données sur le CDC Group au Royaume-Uni, le FMO aux Pays-Bas et le Norfund de la Norvège.
Ma troisième recommandation, c'est que, comme l'IFD sera de petite taille, elle doit, par définition, se trouver un créneau.
Selon notre analyse, elle arrivera au deuxième au troisième rang des plus petites IFD bilatérales. Je crois que l'IFD canadienne devra trouver un juste équilibre entre le soutien et la prestation de capitaux en fonction des occasions existantes et l'investissement dans une capacité à plus long terme pour accroître le nombre de projets qu'on pourrait considérer comme des « projets susceptibles d'être financés ».
Qu'est-ce qu'elle fait? Avec les petites sociétés, qu'est-ce qu'elle fait? L'une des façons de voir les choses consiste à se tourner vers les principales initiatives de financement du développement et d'investissement dans le développement du Canada. Il y aurait par exemple la transition vers une croissance à faibles émissions de carbone dans les pays en développement, un dossier dans lequel le gouvernement investit beaucoup. C'est aussi un domaine où l'innovation canadienne pourrait pénétrer le marché afin d'être utilisée à l'échelle mondiale, dans les pays en développement.
La deuxième chose, selon moi, qui découle de ce que je considère comme un problème central expliquant pourquoi les investissements ne se rendent pas dans les pays les plus pauvres, c'est l'absence de capacité locale pour promouvoir les investissements et mettre sur pied des arrangements susceptibles d'être financés, ce qui renvoie à un secteur puissant sur lequel l'IFD canadienne peut mettre l'accent: renforcer la capacité du secteur financier dans les pays en développement. En misant sur le secteur financier local, l'IFD du Canada pourrait trouver un juste équilibre entre la prestation de capitaux là où les occasions existent et la création d'une capacité à plus long terme de projets qui sont susceptibles d'être financés.
Enfin, ma dernière recommandation au sujet de l'IFD canadienne, c'est qu'elle devrait avoir l'occasion d'établir la norme en ce qui concerne la mesure et la transparence des résultats en matière de développement. De façon générale, les IFD ne produisent pas de très bons rapports sur les résultats et les répercussions en matière de développement. C'est, en un sens, un résultat de l'intérêt renouvelé à l'égard des IFD. Le fait qu'on leur demande davantage de parler de leurs résultats et de leurs répercussions est quelque chose de nouveau.
Selon moi, l'IFD canadienne ne devrait pas seulement faire un suivi de ses progrès et de ses indicateurs et produire des rapports connexes sur les projets: elle devrait combiner les répercussions au niveau intermédiaire et macroéconomique. En général, les IFD présentent leurs résultats sous forme de répercussions de premier ordre, principalement la génération d'emplois, la contribution aux recettes du gouvernement, les résultats des investissements et les taux de rendement financier, les résultats environnementaux et sociaux et l'effet catalyseur en ce qui a trait aux co-investissements et à l'attraction d'autres joueurs. L'IFD canadienne pourrait aller plus loin et mettre au point une méthode de mesure de l'incidence sur le développement qui tient aussi compte de la contribution à la croissance de deuxième ordre des activités et des investissements et de leur incidence, peu importe à quel point l'impact est indirect, sur la réduction de la pauvreté.
Je vais m'arrêter ici. J'ai dépassé un peu le temps qui m'était alloué, mais je vous remercie de votre patience.
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Je vais reprendre ce que vient de dire l'intervenant précédent.
Je vois un danger. Si je puis dire, je crois que vous tombez dans le piège que j'ai mentionné plus tôt, celui de demander à un léopard d'avoir des rayures. Il me semble que l'IFD ne va pas se rendre dans les villages pour leur apporter un soutien concret. Comme le dernier intervenant l'a dit, c'est parfaitement impossible que cela représente une grande part du portefeuille.
Certaines des institutions financières les plus importantes — certaines des IFD les plus importantes — ont un portefeuille et une présence, disons, tellement grands qu'il leur est très facile de montrer qu'elles s'intéressent au sort des femmes et des filles, aux changements climatiques ou à l'agriculture et au climat. Par exemple, prenez la SFI. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'efforts concrets — il y en a —, mais il est aussi question d'envergure ici; je veux dire, qu'est-ce que vous comptez faire, et dans quelle mesure?
Mais, encore une fois, en contrepartie, je dois souligner le risque existant de pousser les IFD à agir plutôt comme des organismes d'aide et non pas comme des investisseurs institutionnels. Nous devons essayer de garder à l'esprit, ou du moins, ne pas oublier, les buts recherchés dans le mandat. Avons-nous besoin d'un nouvel organisme d'aide, et si oui, pourquoi? Dans le cas contraire, nos objectifs concordent-ils avec la raison d'être des IFD? Ces organisations doivent agir comme catalyseurs pour les entreprises privées; leur utilisation doit être limitée, voyez-vous.
À dire vrai, j'ai également fait valoir des arguments à propos du soutien aux capacités locales, surtout dans le secteur financier, parce que renforcer la capacité du secteur financier, même s'il s'agit de quelque chose comme la mise en place de l'attribution de titres de propriété, par exemple, peut servir à améliorer les régimes fonciers. C'est un prérequis si on veut un marché immobilier stable, et cela vaut aussi pour le marché hypothécaire, qui lui-même est nécessaire si on veut qu'il y ait, dans l'avenir, des investissements dans des sociétés de placement immobilier. Dans la plupart des pays en développement, ce genre de choses n'existent pas. C'est pourquoi nous devons réfléchir à long terme, avec une vue d'ensemble. Nous devons choisir des domaines où l'évolution sera longue et étendue, et non succomber à la tentation; juste parce qu'il y a le mot « féministe » dans un titre, cela ne veut pas dire que nous devons essayer de nous assurer que chaque investissement est concrètement et parfaitement féministe.
Puisque les impacts des IFD se ressentent au niveau macroéconomique, nous avons une marge de manoeuvre qui nous permet d'avoir un impact en stimulant l'investissement, la productivité et la croissance à long terme. Voilà sur quoi on devrait mettre la priorité au lieu de se contenter de faire l'éloge des projets.
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Excellent. Merci beaucoup.
Vous m'excuserez de ne pas pouvoir être parmi vous en personne, mais je suis tout de même très heureux de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui. Je sais que, pour chacun d'entre vous, ce genre de chose est le train-train quotidien, mais pour moi, c'est vraiment quelque chose de pouvoir m'entretenir avec vous, les décideurs du gouvernement. Je vous suis très reconnaissant, au nom de mon organisation, de me donner cette occasion. Merci de nous avoir invités, Ingénieurs sans frontières Canada et moi.
D'abord et avant tout, je crois qu'il serait important de dire au gouvernement et à tout le monde concerné qu'ils méritent vraiment toutes nos félicitations. Bon nombre de gouvernements et de personnes, tous partis confondus, se sont penchés sur le financement du développement depuis un grand nombre d'années, et des gens y ont mis beaucoup d'efforts. Ceux d'entre nous qui ne font pas partie du gouvernement ont également joué un rôle actif pendant de longues années. Je suis moi-même intervenu, à l'instar d'Aniket qui a témoigné devant vous ce matin, sur cette question pendant plusieurs années. Nous soutenons de tout coeur les progrès réalisés par rapport à l'engagement qui a été pris et qui ont permis la création de ce genre d'institution. Ce genre de progrès novateur ajoute de façon réelle aux outils que le Canada pourra utiliser pour composer avec les difficultés qui ressortent sur la scène internationale.
Dans mes commentaires, je vais surtout essayer d'aborder des sujets un peu différents que vous n'avez peut-être pas entendus de la part des autres témoins. Je connais très bien Brett House de la Banque Scotia. J'ai travaillé avec lui sur cette question pendant de nombreuses années. J'ai aussi lu son témoignage. Je tiens à dire que je soutiens et appuie la majeure partie de ce qu'il a dit. Je vais donc gagner beaucoup de temps et dire que je souscris à un grand nombre des conseils et recommandations de Brett. Je n'ai pas entendu ce qu'Aniket a dit ce matin, mais après avoir travaillé avec lui au fil des ans, je crois qu'il a toute l'expérience requise pour formuler des arguments saillants, auxquels je souscrirais également.
D'abord, laissez-moi commencer par une histoire très simple. Je crois que ce sera important pour situer le contexte dans lequel une IFD évolue réellement. Depuis les deux dernières années, je travaille dans l'Est, l'Ouest et le Sud de l'Afrique. Si je suis en mesure de vous fournir mon opinion éclairée sur ces questions, c'est essentiellement parce que j'ai interagi avec des centaines d'entrepreneurs sur le continent africain. J'ai vu de mes propres yeux un grand nombre des difficultés auxquelles ces gens doivent faire face pour édifier des marchés durables et inclusifs. Selon un certain nombre de personnes qui travaillent en Afrique depuis longtemps, les obstacles à l'entrée sont de taille lorsqu'on veut faire des affaires dans les pays en développement; c'est loin de n'être qu'une question de capital. Bien sûr, nous sommes ici aujourd'hui pour discuter du financement du développement, mais je veux aussi dire rapidement que les efforts relatifs aux capitaux ne touchent qu'une partie de ces problèmes. Outre la disponibilité de capitaux, il est tout aussi important de prendre en considération le capital humain et la façon dont on peut rajuster le déploiement des capitaux en fonction des risques compte tenu des besoins et du contexte des pays en développement où nous menons nos activités.
Il y a un exemple que j'ai entendu et que je raconte souvent aux gens: il a fallu à Coca-Cola, l'une des entreprises les plus importantes et efficientes au monde, plus de 12 ans pour simplement atteindre le seuil de rentabilité concernant ses activités en Afrique subsaharienne. Et ça, ce n'est que pour la vente d'une boisson sucrée et légèrement addictive, vendue par une entreprise possédant une expérience internationale en ce qui concerne ses chaînes de valeur et ses activités de distribution. Je crois que cet exemple peut vraiment vous aider à situer les difficultés, à prendre conscience de leur ampleur lorsque vous essayez d'aider au développement des entreprises afin de répondre aux besoins des populations les plus pauvres et les plus vulnérables. C'est très difficile d'être un entrepreneur, peu importe où dans le monde. Je sais que certains membres du Comité ont également une certaine expérience en tant qu'entrepreneur, et lorsque ce n'est pas le cas, vous en connaissez très bien certains. Un grand nombre d'entrepreneurs au Canada échouent. Pour mettre cette difficulté en perspective, je dirais qu'il est beaucoup plus difficile, à cause de l'environnement et du contexte opérationnel, pour les entrepreneurs de réussir dans les pays en développement.
C'est très important de garder cela à l'esprit pour situer vos attentes envers l'IFD dans ce contexte; le Canada, comme d'autres pays qui ont déjà établi des IFD, devra faire preuve de patience s'il espère des résultats utiles. Ce que je veux dire, en partie, d'un point de vue conceptuel, à propos du mandat de cette IFD, c'est simplement que nous avons l'occasion de prendre des décisions qui nous permettront de nous situer, et de quelle façon, sur le continuum avec les autres institutions financières de développement existantes. Nous pourrons ainsi tirer parti de certaines des leçons et de l'expérience des autres organisations qui oeuvrent depuis bon nombre d'années dans ce domaine.
Le premier ministre et la ministre Bibeau ont annoncé il y a quelques semaines déjà, à Montréal, que l'institution serait établie à Montréal. Selon moi, ils ont fait, à cette occasion, un certain nombre de déclarations très importantes, et j'aimerais souligner deux d'entre elles: premièrement, on va mieux centrer les efforts sur les populations les plus pauvres et les plus vulnérables du monde — et il est très important de le préciser —; et deuxièmement, cela sera fait en mettant à contribution l'expertise des petites et moyennes entreprises, en particulier celles dirigées par les femmes et les jeunes. Nous accordons tout notre soutien et toute notre confiance à l'ensemble de ces déclarations. Nous croyons qu'une institution financière de développement peut et doit être novatrice; elle doit prendre les risques qui lui permettront de répondre à des besoins précis et d'avoir un impact supplémentaire et concret dans l'édification des marchés.
Je crois qu'il est aussi nécessaire de souligner les difficultés exceptionnelles que cela suppose. À première vue, c'est tout simple de dire qu'il faut mettre l'accent sur les populations les plus pauvres et les plus vulnérables du monde, mais en vérité, un grand nombre d'IFD finissent par injecter leurs capitaux dans des occasions d'affaires qui, selon moi, n'ont pas été conçues dans le but de répondre aux besoins particuliers de ces populations cibles uniques. Je ne dis pas cela pour les discréditer. Les marchés sont conçus de diverses façons d'un bout à l'autre du monde — c'est nécessaire —, et les IFD doivent continuer d'agir en conséquence. Cependant, je dois dire que le Canada a été très clair dans son annonce, quand il a été question des populations les plus difficiles à rejoindre. Nous devons donc adopter une approche conceptuelle différente pour notre IFD et la façon dont ses activités serviront à atteindre les objectifs.
Je vais maintenant faire quelques recommandations qui sont explicitement formulées en tenant compte de ce qui a été dit à propos des populations les plus pauvres et les plus vulnérables du monde. Nous savons que 9 emplois sur 10 dans les pays en développement sont dans le secteur privé, et malgré tout, un grand nombre de petits entrepreneurs ont extrêmement de difficulté à obtenir du financement à long terme. Les PME créent environ 66 % des emplois à temps plein dans les pays en développement. L'emploi — dans ce cas-ci, la création d'emplois —, sera crucial d'ici 2050, puisqu'on sait, je crois, qu'il y aura d'ici là plus d'un milliard de jeunes seulement sur le continent africain. Nous avons tous un intérêt très considérable à veiller, et cela le plus rapidement possible, à ce que ces gens puissent trouver de bons emplois durables afin de contribuer à la société.
Bien sûr, en même temps, le Canada, par l'intermédiaire de sa politique étrangère, a déjà adopté de nombreuses façons une approche visant à affirmer l'importance des femmes et des filles dans toutes les activités du pays. Nous savons que les femmes et les filles sont particulièrement et terriblement désavantagées en ce qui concerne leurs possibilités de participer à la vie active, et c'est surtout vrai en ce qui concerne l'économie. Certaines de mes recommandations touchent précisément la façon dont le Canada peut, essentiellement, prendre des mesures en conséquence.
D'abord, je veux parler de l'importance de l'approche axée sur le portefeuille. Nous devons répartir le risque sur l'ensemble du portefeuille; nous savons que certains investissements seront pris en vue d'obtenir un rendement très précis, tandis que, pour d'autres, nous pouvons accepter un rendement différent, puisque l'objectif de développement lié à ce genre d'investissement doit être atteint à long terme, avec davantage de patience.
Donc, ma première recommandation est de consacrer 15 % du portefeuille de l'institution de financement du développement afin d'injecter des capitaux patients dans des petites et moyennes entreprises qui présentent un risque élevé, et ce, à un stade très précoce. Cela comprend les entreprises axées spécifiquement sur la création de solutions de marché ciblées et adaptées pour les populations les plus pauvres et les plus vulnérables vivant dans des pays à faible revenu.
Le Canada pourra vraiment se distinguer en poursuivant à dessein un rendement inférieur au taux du marché adapté en fonction du risque afin de soutenir les entreprises qui permettront d'ouvrir de nouveaux marchés pour les populations les plus pauvres et les plus vulnérables. Un grand nombre d'IFD finissent par conclure des ententes dans les pays à faible revenu. Le Canada pourra aller plus loin en essayant, effectivement, d'injecter une partie des capitaux de l'IFD dans des solutions d'affaires adaptées de façon à répondre aux besoins des populations qui sont présentement mal desservies ou complètement sous-représentées dans le marché d'aujourd'hui.
C'est la chose la plus difficile, et c'est pourquoi j'ai recommandé de ne consacrer que 15 % du portefeuille à ces investissements présentant des risques très élevés. Puisqu'il s'agit d'un portefeuille très vaste, c'est important de prendre ce genre de risque, mais il ne faut toutefois pas que le mandat de cette institution canadienne soit entièrement entravé par les risques de ce genre.
Ma deuxième recommandation serait d'offrir des garanties de prêt aux PME appartenant à des femmes. La ministre Bibeau et le premier ministre Trudeau en ont déjà discuté: vouloir axer nos efforts sur les entreprises appartenant à des femmes va également imposer une difficulté supplémentaire au Canada dépendamment de la façon dont nous nous y prenons, parce que l'entrepreneuriat féminin dans tous les pays en développement du monde doit affronter un grand nombre de difficultés systématiques ainsi que de la discrimination.
Le taux de prêts non productifs chez les femmes est moins élevé que chez les hommes — simplement, elles tombent moins souvent en défaut de remboursement —, et pourtant, les institutions financières croient qu'il est beaucoup plus risqué d'investir de l'argent dans une entreprise appartenant à une femme. Les institutions de financement du développement bilatérales et multilatérales déjà en activité ont des instruments de garantie de prêt qui ciblent les femmes afin d'aider à atténuer cette perception qu'il est plus risqué d'accorder un prêt à une femme. C'est une croyance perpétuée par les banques et qui s'applique à toutes les femmes du monde, et c'est pourquoi on essaie d'encourager les prêts destinés à l'entrepreneuriat féminin. Cette approche est très efficace pour une IFD, et cela a été prouvé, et c'est quelque chose que les marchés et les institutions financières privées ne feraient pas en temps normal. Nous croyons que le fait de déployer de grands efforts pour appuyer l'entrepreneuriat féminin permettra au Canada d'ébranler de façon très réelle ce genre de problème.
Avec ma dernière recommandation, je reviens en fait à quelque chose que j'ai dit plus tôt, à propos du fait que les difficultés que connaissent les petites et moyennes entreprises d'aujourd'hui sont loin de tenir uniquement à la disponibilité des capitaux. Si l'intention de l'IFD du Canada est d'adopter une approche exhaustive, il sera extrêmement important de fournir aux entrepreneurs de l'assistance technique ainsi que toute une gamme de services de soutien aux entreprises.
Nous encourageons donc le Canada à mettre en place une installation pour l'assistance technique qui pourra être utilisée dans le cadre d'investissements et de partenariats concernant des institutions financières que notre propre pays essaiera de conclure. Parallèlement, le Canada devrait également fournir une assistance directement aux entrepreneurs, en particulier à l'entrepreneuriat féminin, de façon à rendre plus solide l'investissement de l'IFD dans ces gens et à veiller à ce que nous soyons en mesure de les soutenir s'ils éprouvent des problèmes en cours de route, vu toutes les difficultés que suppose la création d'une entreprise. Un grand nombre d'études de cas montrent qu'il est crucial de donner suite aux investissements en offrant une assistance technique, et je serai heureux de vous en parler davantage si vous me posez des questions à ce sujet après mon exposé.
Sur ce, je vais conclure en vous remerciant à nouveau de m'avoir donné l'occasion de témoigner.
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Monsieur le président, mesdames et messieurs, je désire également vous remercier de m'offrir la possibilité de venir ici et de parler de ce sujet auquel je m'intéresse depuis longtemps. Au cours des 20 dernières années, j'ai passé beaucoup de temps à travailler au financement du développement et au financement des exportations. J'ai travaillé 16 ans à EDC, et cela fait près de deux ans que je suis à Cowater International.
Je désire commencer mon exposé en disant que les points de vue que je vais exprimer ici aujourd'hui sont les miens. Ils ne reflètent pas nécessairement ceux de mon employeur actuel ou ceux de mon employeur antérieur, alors je vais plonger dans le vif du sujet. Je vous demande votre indulgence même si j'ai préparé mes remarques. J'ai réfléchi à ce que je voulais dire; je vais aborder chaque élément et j'aurai besoin d'environ huit minutes.
Je vais commencer par certaines hypothèses de travail concernant l'IFD et aborder ensuite ce que j'appellerais les « zones de danger », ce que, à mon avis, l'IFD ne devrait pas aspirer à devenir. Je vais expliquer pourquoi, préciser ce que l'IFD devrait souhaiter devenir et réaliser, selon moi, et ce que cela représente pour son mandat, sa gouvernance et sa stratégie. Je donnerai de véritables exemples d'institutions partenaires et de ce que j'ai observé lorsque j'étais dans le domaine.
Je vais commencer par les hypothèses et les dangers.
La nouvelle IFD visera à être autonome, c'est-à-dire qu'elle devra assumer ses coûts opérationnels et financer ses investissements et ses prêts au moyen de capital versé et de provisions pour pertes. Sa direction et présumément son conseil d'administration seront responsables de l'exécution de son mandat et de l'administration des résultats financiers et en seront redevables. Cela signifie que son appétit pour les risques, la portée de ses activités et sa stratégie seront circonscrits dans une certaine mesure. En d'autres mots, elle ne sera pas en mesure de tout faire pour tous. Elle devra choisir des domaines d'activités, sur le plan tant géographique que sectoriel, et définir les types d'ententes qu'elle désire conclure ainsi que les solutions structurelles.
Même s'il s'agit simplement de la réalité, non pas d'un problème nécessairement, cela pourrait mener l'institution dans une voie qu'elle ne voudrait pas nécessairement emprunter. Qu'est-ce que nous voulons? Je ferais valoir, d'abord, que nous désirons que cette institution présente un caractère complémentaire, ce qui signifie qu'elle ne fera pas ce que les institutions financières du secteur privé font déjà et, ensuite, nous voulons placer l'impact sur le développement au coeur de la façon dont elle mesure les résultats.
Vous pensez peut-être que ces objectifs sont évidents, mais nous devons examiner pleinement les répercussions liées au fait d'être autonome: l'institution subira certainement des pressions pour atténuer les risques et, en outre, trouver des projets et conclure des ententes qui réduisent le fardeau opérationnel que suppose le fait de trouver et de mener des transactions financières complexes au lieu de possiblement suivre l'exemple des autres et du marché. Il s'agit d'un scénario possible.
Nous savons que l'IFD peut concurrencer partout dans le monde afin de conclure les meilleures ententes. Tout le monde veut être associé à des projets et à des entreprises qui connaissent du succès et, tout comme dans le monde bancaire du secteur privé, les IFD sont reconnues pour se battre afin d'obtenir les meilleurs actifs.
Encore une fois, je ne veux pas être trop critique — il existe certainement nombre de bons modèles d'IFD —, mais j'affirmerais que le type de comportement qui consiste à chercher les actifs de choix est un comportement que nous ne voulons pas voir et, par définition, il ne s'agit pas vraiment du caractère complémentaire recherché.
Pour que l'IFD trouve efficacement un juste équilibre entre l'autonomie et ses priorités en matière de développement, elle doit le faire à l'aide d'un cadre de gouvernance approprié et d'une orientation et de priorités stratégiques claires. Ces objectifs peuvent et devraient être équilibrés, et l'institution — et l'intervenant précédent en a parlé — sera donc forcée d'innover afin de conclure des ententes complémentaires solides ayant un impact sur le développement qui, à l'échelle du portefeuille — encore une fois je reprends les propos de l'intervenant précédent —, n'entraînent pas de pertes. Voilà ce qui encadre la discussion sur l'équilibre des risques.
Nous allons maintenant parler du mandat et de la gouvernance.
Ma première recommandation est, par conséquent, que l'IFD démontre une additionnalité claire et un impact évident sur le développement pour chaque transaction. Il existe des méthodes établies dans le monde du développement pour mesurer l'impact sur le développement, et j'affirme que l'IFD doit chercher à les apprendre et à les intégrer à ses propres mesures.
Par exemple, AMC possède plusieurs experts, tout comme nous à Cowater, qui conçoivent des cadres robustes de mesure du rendement, lesquels sont essentiels à la gestion axée sur les résultats. Dans nos projets, nous devons nous engager à atteindre des résultats très précis en matière de développement, allant même jusqu'au nombre de personnes qui reçoivent un certain type de formation ou au nombre d'entreprises qui pénètrent de nouveaux marchés avec leurs produits. Pourquoi l'IFD ne devrait-elle pas envisager d'utiliser des pratiques similaires adaptées bien sûr à la sphère commerciale dans laquelle elle mène ses activités?
Cela m'amène à ma deuxième recommandation: l'IFD doit établir un cadre robuste de mesure du rendement fondé sur les pratiques exemplaires du secteur privé dans la sphère du développement international.
Je vais parler un peu de stratégie. J'espère voir AMC renforcer sa capacité d'aborder ses interactions avec l'IFD de manière stratégique et de jouer un rôle bien défini dans l'élaboration des priorités de l'IFD. C'est plus facile à dire qu'à faire. À un niveau élevé et sur le plan stratégique, l'IFD devrait s'inscrire dans la trousse à outils d'instruments stratégiques offerte par le gouvernement du Canada, pendant qu'elle travaille à soutenir le développement d'économies partout dans le monde avec l'objectif ultime de réduire la pauvreté et les inégalités et de favoriser la croissance économique et les moyens de subsistance.
Sur les plans conceptuel et temporel, l'IFD joue un rôle dans le développement économique d'un pays plus tard que les programmes traditionnels de développement, comme on l'a vu avec la CDC par rapport au DFID.
L'idée principale est que les entreprises durables existent. Elles ont la capacité de rembourser leurs prêts et leurs investisseurs, mais pour diverses raisons, y compris les marchés financiers locaux sous-développés, elles ne peuvent pas avoir accès au capital afin de croître et de mener à bien leurs plans opérationnels.
Alors, de quelle façon une IFD se compare-t-elle aux programmes traditionnels de développement? AMC devrait relever un ou deux programmes, bureaux ou divisions, se concentrer sur la croissance économique dans les pays en développement et envisager d'adresser les bénéficiaires qui cherchent à prendre de l'expansion à la nouvelle IFD, ce qui représente ma troisième recommandation. Il s'agit vraiment de s'organiser et de s'assurer que, si nous parlons d'une politique cohérente de développement où on fait des interventions précoces et tardives, le mécanisme existe permettant de le faire.
Par exemple, dans le cadre de nos projets dans le monde entier, à Cowater, nous travaillons avec différents organismes donateurs et, pour cette raison, nous sommes dans une position relativement privilégiée pour examiner diverses conceptions de projet, les bonnes comme les mauvaises. Je vais en choisir une bonne. Le DFID, le ministère du Développement international du Royaume-Uni, est un meneur dans ce qu'on appelle les approches axées sur les systèmes de marché en matière de développement. Il investit dans l'aide aux pays, aux entreprises et aux gouvernements infranationaux afin qu'ils éliminent systématiquement les obstacles au marché dans les pays les moins développés et qu'ils pavent la voie à la viabilité financière grâce à ces interventions.
On fait cela, par exemple, dans l'énergie renouvelable. On a beaucoup de difficultés à aider les pays africains à investir dans des technologies qui atténuent les changements climatiques et à bâtir des modèles opérationnels durables dans le secteur de l'énergie. Des candidats au financement du développement viennent de ces programmes. Vous pourriez avoir, par exemple, une petite exploitante d'une centrale solaire qui a un flux net de trésorerie récurrent et une expertise éprouvée et qui désire reproduire son modèle opérationnel dans le cadre de nombreux autres projets. Même si le DFID l'aide, elle n'a pas accès à du capital ou fait face à des coûts d'immobilisations élevés, ce qui nuit effectivement à sa croissance.
Voilà les types de façons dont AMC et l'IFD peuvent travailler ensemble en adoptant une approche coordonnée à long terme, en investissant dans le développement élémentaire d'entreprises et en s'assurant que l'IFD cherche des candidats susceptibles de connaître une croissance lorsqu'ils seront prêts.
Ma quatrième recommandation est que l'IFD devrait se concentrer sur des secteurs ou des régions où les PME sont viables et ont le potentiel de croître d'une manière durable sur le plan financier. Le secteur de l'énergie renouvelable, le secteur de l'eau et les petites infrastructures sont des exemples. Incidemment, je ne crois pas que l'IFD devrait s'occuper de grands projets d'infrastructure. Ce sont les entreprises privées qui devraient s'en occuper, et ces projets sont peu susceptibles d'être de bons candidats au renforcement des capacités des PME ou des micro-entreprises si importantes au développement économique des pays en développement.
Je vais parler un peu d'instruments et de mécanismes. Les IFD qui connaissent du succès combinent leurs instruments financiers avec l'assistance technique faisant l'objet de subventions, qui est essentielle au moment de fournir la capacité dont le bénéficiaire a besoin. Par exemple, dans l'ancienne Union soviétique, la SFI a été très efficace lorsqu'il s'est agi d'investir dans de petites banques régionales afin qu'elles respectent les normes internationales en matière de gestion des risques, ce qui permettait également d'atténuer les risques pour la SFI dans le cadre de ses investissements et ses prêts. Pour que la banque évite les risques systémiques et bancaires, elle devrait mettre en place les pratiques de gestion des risques voulues.
Le financement de donateurs, afin de permettre à la banque de disposer d'assez d'argent pour rémunérer une équipe intégrée de conseillers pendant quelques années, associé à d'autres investissements, est l'élément clé qui a permis d'y arriver et la raison pour laquelle la SFI a été en mesure d'avoir un impact pertinent et réel sur le développement.
Le secteur privé canadien serait extrêmement bien positionné pour fournir ce type d'assistance technique et aider les pays en développement à bénéficier de l'expertise canadienne de calibre mondial.
Ma dernière recommandation est, par conséquent, que l'IFD mette en place un mécanisme pour travailler avec le secteur privé canadien afin de définir les projets en devenir qui auront un impact considérable sur le développement et au sujet desquels l'expertise canadienne peut grandement contribuer.
Merci d'avoir écouté mes remarques. Je suis heureux de répondre à vos questions.