:
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Français]
Mesdames et messieurs les membres du Comité, bonjour.
Je m'appelle Arjan de Haan et je suis le directeur du programme Économies inclusives, qui comprend le programme Gouvernance et justice, au Centre de recherche pour le développement international.
[Traduction]
Comme en 2007, nous avons l'honneur de comparaître aujourd'hui devant le Comité des affaires étrangères pour témoigner en faveur d'une étude actualisée sur le développement démocratique.
Le CRDI est une société d'État qui contribue largement aux efforts du Canada en matière d'affaires étrangères et de développement international. Notre approche à l'égard du développement démocratique est fondée sur la conviction que les chercheurs et les décideurs devraient avoir le pouvoir d'éliminer les obstacles à la démocratie dans leur propre pays au moyen d'outils et de solutions ancrés dans les réalités locales.
Un exemple actuel de cette approche est l'initiative à laquelle nous collaborons avec Affaires mondiales Canada intitulée Le savoir au service de la démocratie au Myanmar. Ce projet appuie la transition démocratique grâce à la recherche sur les politiques. L'objectif est de former une nouvelle génération d'acteurs étatiques et non étatiques qui participeront à un débat public ouvert, qui mèneront des recherches rigoureuses pour favoriser la prise de décisions fondées sur des données probantes, et qui encourageront les femmes et les autres groupes vulnérables à se faire entendre au gouvernement.
Outre l'initiative au Myanmar, je souhaite vous donner trois exemples de la manière dont le CRDI appuie les recherches qui renforcent les fondements de la démocratie. Le premier exemple illustre comment des sources d'information fiables contribuent aux processus démocratiques. Les fausses nouvelles et les fausses informations sont d'une banalité alarmante dans le monde entier. Seulement la semaine dernière, en prévision des élections qui auront lieu ici cette année, le Canada a annoncé l'octroi de 7 millions de dollars à des programmes d'alphabétisation en vue d'aider les Canadiens à améliorer leur capacité d'analyser de manière critique les reportages d'actualité en ligne.
Les rumeurs et les fausses informations peuvent être dangereuses: elles empêchent les gens de prendre des décisions éclairées; elles excitent l'hostilité, éveillent la suspicion et, dans le pire des cas, provoquent des violences et des conflits. Par exemple, dans le Sud-Est du Kenya, en 2012, des fausses rumeurs et des exagérations au sujet d'affrontements ou d'attaques imminentes ont alimenté de violents conflits entre deux groupes ethniques. Résultat: 170 personnes ont été tuées et 40 000 autres, déplacées.
Le CRDI s'est associé à une organisation non gouvernementale de Toronto, The Sentinel Project, pour déterminer comment les rumeurs se propagent et comment les étouffer. On s'est rendu compte que cette crise s'expliquait surtout par le manque d'informations fiables dans la région. Dans la foulée de l'étude, une application de téléphonie mobile appelée Una Hakika a été lancée pour contribuer au rétablissement de la paix. Le principe est simple: lorsqu'une rumeur circule, les abonnés peuvent la signaler au service pour vérification. Les bénévoles de la collectivité et la police locale enquêtent sur la rumeur et rendent compte de la situation par messages texte, appels vocaux et Facebook. En deux ans seulement, environ 45 000 personnes utilisaient régulièrement ce service quotidien gratuit pour obtenir des informations exactes. La nouvelle s'est répandue et, en 2017, les services d'Una Hakika ont contribué à apaiser les tensions pendant les élections générales et présidentielles du Kenya.
Aujourd'hui, ce service crucial rejoint 250 000 personnes de plus au Kenya. Il est également déployé à une échelle comparable au Myanmar, où un projet semblable dissipe les rumeurs anti-musulmans. Sa popularité ne cesse de croître, et nos partenaires vont maintenant adapter le service aux contextes locaux dans sept pays en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe.
Le deuxième exemple dont je veux vous faire part préconise la participation des femmes au gouvernement. Même si le point de vue des femmes est essentiel au développement de sociétés et de gouvernements véritablement démocratiques, elles ne sont toujours pas représentées adéquatement. Dans les parlements du monde entier, la participation des femmes stagne à seulement 24 %. Le groupe international appelé Partenariat pour un gouvernement transparent encourage la responsabilité et la réceptivité d'un gouvernement, mais seulement 1 % de ses 3 000 engagements vise les femmes.
C'est pourquoi le CRDI appuie la nouvelle initiative Gouvernement ouvert et féministe. Elle repose sur les engagements en vigueur pour aider les femmes à se faire entendre au gouvernement. Cette initiative soutiendra la recherche sur les facteurs sociaux et culturels qui entravent la participation des femmes à la vie politique et elle dégagera des solutions pour accroître leur participation. L'initiative Gouvernement ouvert et féministe vise à faire en sorte que, d'ici la fin de 2019, 30 % des 79 pays membres prennent des mesures concrètes pour accroître la présence des femmes au gouvernement. Ces mesures peuvent, par exemple, consister à mettre en place de nouvelles politiques et de nouvelles pratiques.
Le troisième exemple dont j'aimerais vous faire part porte sur la façon dont l'amélioration des services essentiels peut contribuer à stabiliser les conditions de vie des réfugiés et des pays qui les accueillent. La stabilité est la pierre angulaire du développement démocratique, bien sûr, mais avec plus de 68 millions de personnes en déplacement dans le monde, il est difficile d'y parvenir. De ce nombre, 25 millions de personnes ont dû fuir leur pays et sont considérées comme des réfugiées. Dans le monde, 85 % des personnes déplacées à l'étranger sont accueillies par des pays en développement, mais ceux-ci ont une capacité limitée pour les soutenir et les intégrer. Le fardeau social et économique est lourd. Les citoyens des pays d'accueil perçoivent souvent les nouveaux arrivants comme une menace pour leur bien-être. Cela attise les tensions et fait naître des mouvements populistes qui menacent de déstabiliser des pays et des régions entières.
Au Liban, pays qui a lui-même dû se reconstruire après la guerre, les réfugiés représentent une personne sur six. Là-bas, le CRDI subventionne des travaux de recherche visant à comprendre comment mieux exploiter les précieuses ressources du pays en matière de soins de santé et d'autres services, lesquelles sont limitées. La piètre qualité des données sur la santé fait en sorte qu'il soit difficile pour les décideurs d'évaluer les besoins avec précision et de fournir des services. À titre d'exemple, les réfugiés ont souvent des besoins particuliers en matière de soins de santé mentale.
La recherche que nous appuyons permet de déterminer là où les ressources sont les plus nécessaires et comment les utiliser avec le plus d'efficience, d'efficacité et d'équité possible. Cette approche permet d'alléger le fardeau des soins de santé et de stabiliser la situation au Liban tout en améliorant les soins et les services pour les réfugiés qui en ont désespérément besoin.
En conclusion, le CRDI voit la recherche comme un investissement à long terme qui produit des éléments probants et aide à prendre des décisions éclairées. Elle permet aussi de cerner les occasions de créer des sociétés favorisant l'égalité, l'équité, la diversité et la prospérité. Comme j'espère l'avoir illustré, le CRDI estime qu'on peut y parvenir en fournissant des sources d'information fiables pour contribuer aux processus démocratiques, encourager la participation des femmes au gouvernement et atténuer les facteurs qui pourraient déstabiliser des États déjà vulnérables.
Comme j'espère que l'illustre notre témoignage, la recherche multisectorielle peut aider à promouvoir le développement démocratique. Notre approche vise à appuyer les fondements de la démocratie en donnant aux chercheurs et aux décideurs locaux les données de recherche et les outils nécessaires pour générer les éléments probants pouvant servir à bâtir des sociétés prospères et démocratiques. Nous estimons que, si elle est judicieuse, la recherche peut contribuer à inaugurer de nouvelles ères d'espoir et de changement.
[Français]
En terminant, j'aimerais remercier sincèrement le Comité d'avoir invité le CRDI à témoigner au sujet de cette étude de premier plan.
Je serai heureux de répondre à vos questions sur notre travail et de communiquer des renseignements supplémentaires à vos bureaux.
:
Très bien. Je vous remercie, monsieur le président.
Je vous remercie de m'avoir invité.
J'ai rédigé un document que je me ferai un plaisir de transmettre à la greffière après sa mise en page. Je vais m'y référer de temps à autre, et il constituera un outil plus détaillé que vous pourrez lire plus tard.
Je suis heureux que le comité des affaires étrangères se penche sur la norme du Comité de 2007 et son rapport historique. J'aimerais commenter certaines des recommandations formulées dans ce dernier, vous dire pourquoi je pense qu'elles sont toujours valides et faire quelques observations sur ce qui a changé au cours de la décennie qui s'est écoulée depuis la production de ce rapport. J'aimerais aussi conseiller vivement au Comité de consulter les principales conclusions de ses prédécesseurs pour que le Canada, en cette période difficile que traverse le monde, énonce très clairement ses valeurs et crée des organismes et des institutions chargés de les appliquer.
Le premier point, qui est au coeur du rapport de 2007, est que le développement démocratique constitue une part essentielle du développement global. Il est difficile de réduire la pauvreté et de donner aux gens de meilleures chances dans la vie lorsque les gouvernements qui les dirigent sont autoritaires et corrompus, et créent des divisions au lieu d'offrir des possibilités. Au début des années 1990, la Banque mondiale a énoncé le principe selon lequel la gouvernance devait être jugée comme faisant partie de l'approche globale du développement. Cela nous semble évident aujourd'hui, mais cette idée était révolutionnaire à l'époque.
En 2007, le Comité a soutenu que le développement démocratique devait être une question centrale et qu'il devait devenir une priorité et une force motivatrice de la politique étrangère canadienne. Il avait toujours eu sa place dans la politique étrangère canadienne — je parlerai plus tard de M. Pearson — sans en avoir jamais été un élément central. Il ne s'agissait pas que de voeux pieux: le développement démocratique s'inscrivait dans l'approche globale, mais n'avait jamais été une force motivatrice ou directrice à l'égard des ressources ou des activités des hommes et des femmes au service d'Affaires mondiales et de notre infrastructure de politique étrangère. Le dernier comité a déclaré que cela devrait être le cas. Il l'a fait pour deux raisons, qui, selon moi, s'appliquent encore aujourd'hui.
Il y a tout d'abord une question morale essentielle, le fait que la liberté et l'égalité des chances sont au coeur de l'identité et des traditions du Canada. Mais, pour les démocrates canadiens, il n'est pas suffisant de jouir de leur liberté. Il importe tout autant de faire de notre mieux pour nous assurer que le reste du monde est en mesure de le faire. Cette conclusion essentielle indique qu'il ne suffit pas de parler de nos valeurs; nous devons agir en fonction de celles-ci et faire en sorte que les pouvoirs gouvernementaux et la société civile les appuient.
Deuxièmement, en 2007, le Comité a affirmé que la démocratisation n'était pas qu'une question morale — qu'elle avait également des répercussions claires sur la sécurité. Nous savons qu'il existe très peu de lois ou de semi-lois en matière de relations internationales. L'une d'elles est que les démocraties luttent rarement, voire jamais, l'une contre l'autre. Si l'une d'elles fait participer ses citoyens à un processus décisionnel, le goût de l'aventurisme en est nettement réduit, en particulier à l'encontre d'une autre démocratie. L'avancement de la démocratie et des droits de la personne dans le monde ont également des répercussions sur la sécurité.
Les relations internationales nous ont appris qu'il est nettement préférable d'adopter une politique de prévention des crises que d'essayer d'y remédier après coup. C'est ce que permettent la protection des droits de la personne et le développement démocratique. En créant une culture fondée sur la liberté et le pluralisme, ce système permet la dissidence. Celle-ci ne dégénère donc pas nécessairement en guerre civile ou en violence. La démocratisation devrait donc être au coeur de notre politique étrangère pour des raisons tant morales que sécuritaires. C'est l'argument qu'on avait fait valoir en 2007.
Cela s'applique-t-il encore aujourd'hui? Si l'on observe les différentes vagues de démocratie, on constate que le comité a produit ce rapport à l'un des points culminants de la démocratisation. Presque tous les indices de mesure des relations internationales indiquaient de véritables progrès en matière de gouvernance et de démocratie. Le mouvement démocratique était à son zénith.
Que s'est-il passé depuis? Mesdames et messieurs, la situation s'est nettement dégradée. D'après Freedom House, tous ces indices liés à la démocratie et à la liberté ont baissé pendant 13 années consécutives. Son rapport de 2019 est paru il y a quelques jours. En 2018, il indiquait qu'environ 39 % de la population mondiale était libre, que 37 % des gens vivaient dans des sociétés répressives et autoritaires, et que 37 % encore étaient partiellement libres.
Près de 40 % de la population mondiale vit sous un régime autoritaire. Plusieurs indices nous montrent que, par exemple, cette année, le nombre de personnes libres a diminué de 35 % en Turquie, de 27 % au Venezuela, de 30 % en République centrafricaine, etc. Ce que j'essaie de vous dire, c'est que si la démocratisation était une initiative utile et importante en 2007, elle l'est encore bien plus aujourd'hui. Sa nécessité n'a jamais été aussi pressante. Nous avons connu plus d'une décennie de graves difficultés dans ce domaine.
Pour ce qui est de la sécurité, nul besoin de vous dire que cette semaine, à Ottawa, s'est tenu la réunion des nations au sujet du Venezuela. Ce n'est que la dernière crise qui témoigne de ce qui se produit lorsque l'autoritarisme croît pour s'emparer d'une société et provoquer des conflits. Trois millions de Vénézuéliens ont fui, soit près de 10 % de la population du pays. Un million d'entre eux se trouvent maintenant en Colombie, autre pays qui fait de gros efforts de démocratisation, et qui a de graves difficultés à répondre à la crise des réfugiés. En Syrie, nous savons que la crise a fait six millions de réfugiés et des centaines de milliers de victimes. Ce conflit est déstabilisant, non seulement au Moyen-Orient, mais également dans toute l'Europe. Ces deux aspects sont plus importants que jamais.
Quelle a été la cause de l'énorme déclin qui s'est produit ces 10 dernières années? Je vais répondre à cette question, puis je conclurai en parlant de ce que le Canada peut faire à cet égard en appliquant certaines des recommandations centrales du rapport de 2007.
Que s'est-il passé? L'un des principaux éléments est l'assurance nouvelle des États autoritaires. La Russie est désormais un important perturbateur. Un autre aspect, qui diffère de la situation de 2007, contribue à cette perturbation. Il s'agit de l'efficacité des outils de la cybersécurité et de la cyberguerre. Un groupe d'analystes peut désormais se réunir pour déstabiliser un pays, susciter des émotions, utiliser Facebook, et ce, pour un prix dérisoire. Ces outils sont très souples et sont utilisés par des personnes qui ne partagent pas notre système de valeurs.
La Chine possède l'initiative de la Ceinture et de la Route. Il s'agit du plan de développement économique le plus important depuis le plan Marshall, dont la valeur s'élève à près de 1 billion de dollars. Elle comporte bien des aspects positifs. On peut affirmer avec certitude que les droits de la personne et la démocratie ne font pas partie des nombreux objectifs de cette initiative. À mesure que la Chine élargit son influence dans le monde, le camp de l'autoritarisme voit ses forces croître.
Deuxièmement, il y a eu un recul prononcé de l'aide à la démocratie. Quand nous examinons les pays qui ont dirigé l'effort démocratique pendant de nombreuses années — notamment au milieu des années 2000 lorsque le rapport a été rédigé —, force est de constater que l'Europe subit maintenant les contrecoups des débats sur les réfugiés et l'immigration, débats qui découlent, en partie, de la crise syrienne.
Le nationalisme populiste amène beaucoup de pays à se replier sur eux-mêmes. L'objectif d'améliorer le sort d'autrui, un objectif tourné vers l'extérieur, est en plein déclin à mesure que les pays se battent pour maintenir leurs normes démocratiques à l'intérieur de leurs frontières.
S'ajoute à cela, bien entendu, l'exemple des États-Unis, à qui nous devons la création du National Endowment for Democracy au début des années 1980, mais dont le président actuel appuie ou, à tout le moins, reconnaît des régimes autoritaires aux quatre coins du monde, alors qu'il s'attaque à bon nombre des institutions démocratiques, comme la presse libre et les médias libres.
Thomas Carothers, le grand théoricien en matière de démocratie, affirme qu'il existe aujourd'hui, aux États-Unis, un « syndrome du soulagement autocratique » en faveur des dictateurs, compte tenu de la violence verbale exercée par le président. En tout cas, il suffit de dire que le nombre de défenseurs de la démocratie a diminué. Le problème s'est aggravé, mais le soutien a décliné. La situation est donc très différente de celle de 2007.
En dernier lieu, monsieur le président — et je ne veux pas prendre trop de temps —, que peut faire le Canada? Nous avons déjà commencé à prendre quelques mesures. Il faut dire que nous avons une longue tradition. En 1949, lorsque l'OTAN a été créée, l'une des grandes initiatives de politique étrangère canadienne, sous l'égide de M. Pearson et de bien d'autres... N'oublions jamais que c'est M. Pearson qui est à l'origine de l'article 2, au terme duquel les pays membres de l'OTAN s'engagent à renforcer leurs institutions éprises de liberté. Par conséquent, dès le début, lorsque nous avons commencé à bâtir le monde de l'après-guerre au Canada, la liberté et ce genre d'institutions se trouvaient au coeur de ces efforts.
Vint ensuite le gouvernement Mulroney, qui a réagi très favorablement au comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes en créant l'organisme Droits et Démocratie, une initiative très bien accueillie lancée par le même gouvernement en 1988.
Là où je veux en venir, c'est que l'appui à la liberté, à la démocratie et aux possibilités économiques se veut un engagement multipartite au Canada. Personne ne s'y oppose. Les exemples ne manquent pas. Songeons à l'initiative de Pearson, à celle de Mulroney. Au milieu des années 1990, M. Chrétien a présenté un manuel sur la gouvernance démocratique, qui allait devenir l'un des thèmes de l'ACDI. Au cours des 10 prochaines années, il a consacré environ 1,5 milliard de dollars à 900 projets axés sur la gouvernance démocratique. Nous avons donc commencé à utiliser des sommes considérables au sein de l'ACDI.
Ensuite, sous le gouvernement de M. Harper...
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je pensais que j'allais être la deuxième intervenante et que les députés ministériels allaient prendre la parole en premier, mais cela ne me dérange pas.
Messieurs Axworthy et de Haan, merci beaucoup à tous les deux d'être ici aujourd'hui. Je suis vraiment heureuse de pouvoir m'entretenir avec vous.
Monsieur de Haan, j'étais au Kenya cet été. Le travail en matière de transfert des pouvoirs là-bas a vraiment favorisé les processus démocratiques du pays. Cela permet de rapprocher le gouvernement de la population à mesure que les pouvoirs sont dévolus.
Avant d'être députée, j'ai travaillé à Affaires mondiales Canada pendant 15 ans en tant qu'agente du service extérieur. J'ai mené une carrière incroyable à l'étranger, surtout en Amérique latine. J'ai été adjointe au chef de mission à deux reprises. Manifestement, la démocratie était un des grands thèmes.
Plus récemment, et c'est la raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui en remplacement de notre ministre du cabinet fantôme pour les affaires étrangères, — qui, selon moi, a su défendre à merveille la démocratie au nom de l'opposition officielle et des Canadiens —, j'ai été nommée ministre du cabinet fantôme chargée des institutions démocratiques.
Monsieur Axworthy — et monsieur de Haan aussi —, vous avez parlé de la technologie, plus précisément de la dispersion des cybermenaces. Bien entendu, à mesure que nous nous dirigeons vers les élections de 2019, je trouve très important que nous protégions nos processus électoraux contre des influences étrangères négatives, comme celles que nous avons observées lors des dernières élections. En fait, le Centre de la sécurité des télécommunications a prévu qu'il y aurait une augmentation considérable de ces menaces en 2019 par rapport à la situation en 2015. Évidemment, c'est ce que nous avons vu dans le cas du Brexit et dans le processus démocratique des États-Unis menant à l'élection de leur président.
Par ailleurs, je suis très fière d'être membre de la Commission trilatérale, aux côtés de Mme Laverdière, ici présente. Lors de notre dernière réunion à Silicon Valley, certains membres ont indiqué que, selon eux, l'année 2018 était considérée dans le monde entier comme l'année où la démocratie avait pris un mauvais tournant.
Cela dit, monsieur Axworthy, il est très intéressant de vous entendre affirmer que les gestes sont plus éloquents que les paroles. Nous, les conservateurs, sommes ici, bien entendu, en tant que membres de l'opposition officielle.
Je tiens d'abord à féliciter le gouvernement de mettre de l'avant cette initiative conservatrice de l'ère Harper, lorsque le gouvernement de l'époque défendait résolument la démocratie à l'étranger. Je songe à mes prédécesseurs, à Jason Kenney, à qui j'ai succédé dans ma circonscription, et à John Baird, pour qui mon mari a travaillé pendant un bon bout de temps. Voilà des gens qui ont défendu fermement la démocratie, au pays comme à l'étranger.
C'est pourquoi nous disons que les gestes sont plus éloquents que les paroles. Toutefois, n'est-il pas vrai que ce sont les gestes et les paroles de nos plus grands dirigeants qui ont eu le plus de répercussions sur la démocratie à l'étranger?
Monsieur Axworthy, vous avez parlé des diverses démocraties qui sont en chute libre un peu partout dans le monde à l'heure actuelle. Qui est responsable, au bout du compte, du Venezuela? C'est Maduro, dans le sillage de Chavez. Il s'agit d'un facteur important. En Russie, c'est Poutine qui détient la clé de la démocratie — ou, plutôt, de son absence. En Turquie, c'est Erdogan.
Comme je l'ai mentionné, je suis très fière du bilan des conservateurs, grâce aux efforts de dirigeants qui ont su réellement défendre la démocratie. J'aimerais donc poser la question suivante — et elle s'adresse peut-être à vous, monsieur Axworthy: n'êtes-vous pas d'avis que, lorsque notre actuel fait des choses comme vanter les mérites de la dictature chinoise, cela risque d'être perçu très négativement à l'échelle internationale? Cela pourrait même contrecarrer une initiative aussi formidable que celle dont nous sommes saisis.
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Nous venons de discuter, il y a un instant, du bon travail qu'effectue le ministère des Affaires mondiales depuis de nombreuses années dans ce dossier. Le rapport de 2007, et celui du comité consultatif de 2009, reposent sur l'argument selon lequel il faut, en plus de ce travail et de cette expérience, un nouvel instrument doté d'une plus grande souplesse, à savoir un organisme autonome qui rendrait des comptes au Parlement, mais qui serait indépendant du gouvernement. C'est un outil de plus qui peut s'ajouter à notre trousse quand vient le temps d'essayer de promouvoir la démocratie et les droits de la personne. Les ambassadeurs sont des gens très occupés. Ils mènent une foule d'activités. Oui, ils doivent, on l'espère, promouvoir la démocratie et les droits de la personne, mais ils font aussi la promotion du commerce, en plus de s'occuper d'une série d'activités consulaires. Ils ont des horaires très chargés. Ce qu'il faut, c'est un organisme qui s'emploie tous les jours à traiter le genre de questions que nous avons évoquées.
Je dirais que la question vénézuélienne relève de la haute politique ou de la haute politique démocratique. Elle exige l'intervention de la ministre des Affaires étrangères et du premier ministre. Toutefois, la plupart de ce qu'on fait en matière de développement démocratique relève de la basse politique. Il s'agit de construire la démocratie, une brique à la fois, en instaurant des systèmes judiciaires, en travaillant dans des villages. Il faut donc un organisme doté d'hommes et de femmes qui peuvent s'entretenir non seulement avec les chefs de l'opposition, lesquels pourraient ne pas jouir des bonnes grâces du gouvernement, mais aussi avec la société civile.
Un organisme indépendant peut faire des choses que les ambassadeurs ne peuvent pas. Comme votre comité l'a sûrement entendu dire — et je sais que les représentants de NDI et de l'International Republican Institute sont venus vous parler —, nous avons une énorme capacité au Canada. Partout dans le monde, des Canadiens donnent des conseils sur des questions comme l'élaboration d'une charte des droits, le système judiciaire, le fédéralisme, le développement des partis. Tous les pays du monde, sauf le Canada, emploient des Canadiens pour s'occuper de ces questions. Nous n'avons pas réuni ces gens dans un organisme spécialisé afin qu'ils travaillent ensemble. Il s'agit là d'une occasion perdue, car nous ne disposons pas d'un organisme doté d'une telle souplesse. C'est donc important.
Comment alors faut-il s'y prendre? Oui, l'organisme devrait rendre des comptes au Parlement. Il devrait avoir un conseil d'administration, de taille relativement modeste, mais il devrait aussi être guidé par un groupe consultatif beaucoup plus vaste, que j'appellerais un conseil de la démocratie, dans le cadre duquel on ferait appel à des intervenants. Le conseil d'administration devrait être composé non seulement de Canadiens, mais aussi de personnes d'autres nationalités qui sont bénéficiaires du programme et qui viennent des pays que nous essayons d'aider. Les membres du conseil d'administration devraient être nommés à la suite de consultations multipartites. Tout le monde devrait être consulté au sujet de la composition du conseil d'administration.
Dans le rapport de notre comité consultatif, nous avons présenté différentes options de budgets pour montrer ce qu'il serait possible de faire avec des crédits annuels de 30, 50 et 70 millions de dollars. Si nous jetons un coup d'oeil à NDI et à certaines fondations européennes, leurs budgets varient de 100 à 125 millions de dollars. Tout budget de l'ordre de 100 millions de dollars est considérable. Nous avons recommandé de commencer à 30 millions de dollars pour ensuite passer à 50 millions de dollars, puis à 70 millions de dollars sur une période de plusieurs années.
Nous avons établi des modèles qui montrent comment le tout peut fonctionner. L'un des principaux attributs devrait être le travail à l'échelle locale. Il est impossible de faire marcher la démocratie s'il y a un roulement incessant d'experts-conseils. Il faut vraiment des gens sur le terrain. À cette fin, nous avons recommandé qu'il y ait des bureaux locaux dans les pays qui revêtent une importance particulière; ces bureaux feraient le travail quotidien que les ambassadeurs n'ont pas le temps d'effectuer. Or, les bureaux locaux coûtent entre 3 et 5 millions de dollars sur le plan de leur fonctionnement continu. Par conséquent, la taille de votre budget dépend du nombre de bureaux locaux que vous avez, ainsi que des coûts liés aux programmes et des subventions accordées à d'autres organisations.
Nous avons élaboré le plan détaillé des budgets pour trois différents types de financement, le tout accompagné de recommandations sur la structure du conseil d'administration, la composition du conseil de la démocratie et les programmes que le centre devrait mettre en oeuvre au chapitre des évaluations, de la recherche, etc.
J’aimerais poser ma première question à M. de Haan et mettre l’accent sur la façon dont nous faisons les choses.
Le projet Sentinel est extrêmement encourageant. Il s’attaque à ce que je suppose être, dans la plupart des cas, des rumeurs interethniques latentes qui conduisent, comme vous l’avez dit, à des soupçons susceptibles de générer des conflits et des violences. Le succès de ce type de projet est encourageant.
Que se passe-t-il lorsqu’un gouvernement amorce méthodiquement et méticuleusement un conflit interethnique, par opposition à ce qui se passe lorsque ces conflits surviennent de manière organique?
Permettez-moi de parler du travail que nous avons essayé de faire au Myanmar. Nous avions de grands espoirs. C’était presque l’euphorie. Nous avons accordé la citoyenneté à certaines personnes et, quelques années plus tard, il y a eu un génocide. De toute évidence, nous nous sommes trompés. Nous n’avons pas su voir les processus qui étaient déjà en place.
Avez-vous des idées sur un style de projet qui pourrait être différent? Et pendant que nous y sommes, permettez-moi de parler d’une autre partie du monde. Nous avons un projet de stage parlementaire à l’intention des jeunes étudiants ou diplômés ukrainiens, qui dure depuis environ 25 ans. Ce n’est pas un projet gouvernemental. En fait, il s’agit d’un projet de la diaspora. Je pense qu’ils sont plus de 1 000 qui évoluent maintenant au sein des différents paliers gouvernementaux: municipal, régional, provincial et fédéral. Certains sont devenus des ministres, des maires, etc. L’expérience qu’ils ont reçue ici a été inestimable.
Ne pensez-vous pas qu’il faudrait axer votre organisme — ou en créer un autre à cette fin — sur ces démocraties émergentes, ces pays en transition, pour faire...?
Ces choses-là n’arrivent pas du jour au lendemain. Nous avons cru que nos efforts au Myanmar allaient mener à quelque chose. C’est un long processus. Il est très facile de perturber la démocratie. Poutine trouve cela incroyablement facile.
Ne devrions-nous pas nous pencher sur ce genre de projets? Ensuite, en ce qui concerne les partis, ne devrions-nous pas avoir des stages parlementaires pour ces pays, stages à l’occasion desquels les parlementaires viendraient passer du temps dans nos bureaux, tout comme ces jeunes leaders qui sont ensuite devenus des leaders nationaux dans leur pays?
J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
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Merci, monsieur le président. Merci, chers membres du Comité.
Permettez-moi de commencer par mettre brièvement en contexte mes antécédents afin que vous compreniez où je veux en venir au cours de mon exposé.
Je suis avocat, et je suis établi à Eastern Passage, en Nouvelle-Écosse. Pendant quatre mandats — soit neuf ans —, j'ai été député provincial de Nouvelle-Écosse. Pendant quatre de ces années, j'ai été le leader parlementaire de l'opposition officielle. Il y a 12 ans, j'ai quitté ce travail, et j'ai commencé à travailler à temps plein dans le domaine du développement parlementaire international et de l'aide aux partis politiques.
Depuis, j'ai eu la chance de travailler surtout pour le Programme de développement des Nations unies. Au cours des dernières années, j'ai également travaillé avec le gouvernement américain, le gouvernement britannique, l'Union européenne et le gouvernement suisse. J'ai travaillé avec plus de 50 parlements du monde entier et avec des députés de plus d'une centaine de pays.
Cela dit, permettez-moi de parler pendant quelques minutes du dernier rapport de 2007, que vous avez tous eu la chance de lire, j'en suis sûr. À l'époque, j'ai eu l'occasion [Difficultés techniques] la carrière politique de faire un exposé aux anciens membres de votre comité.
Ayant lu le rapport en juillet 2007, je peux dire que j'approuve presque toutes ses recommandations. Toutefois, j'aimerais aujourd'hui mettre l'accent sur les recommandations 12 et 15.
Dans la recommandation 12, le Comité recommande la création d'une fondation canadienne du développement démocratique à titre d'organisation générale qui offrirait une aide au développement démocratique. Dans la recommandation 15, le Comité recommande la mise sur pied d'un centre pour la démocratie multipartite.
Permettez-moi maintenant de parler de certaines des questions clés que j'aimerais soulever. Veuillez comprendre que ma préoccupation repose sur mon expérience de travail au sein d'organisations internationales qui oeuvrent dans le domaine de la gouvernance démocratique. Je n'ai travaillé pour presque aucune organisation canadienne, mais, compte tenu du nombre de pays dans lesquels j'ai travaillé et de l'étendue du travail que j'ai réalisé, je me serais attendu à détecter davantage l'empreinte canadienne à l'échelle mondiale.
Comme je l'ai dit en 2007... Si vous avez mon rapport écrit devant vous, vous constaterez que je mentionne la citation particulière qui figure dans le rapport de cette année-là. En général, je tiens simplement à dire qu'au cours des 15 à 20 années de travail que j'ai effectué dans ce domaine, sous une forme ou une autre, j'ai rarement, voire jamais, vu de projets menés par des organisations canadiennes, ou financés par le Canada par l'intermédiaire d'autres organisations internationales, qui étaient axés sur mon domaine de travail.
Je l'ai mentionné en 2007, et je pense que c'est toujours le cas. Le Canada n'est pas un intervenant sérieux dans le domaine de la gouvernance démocratique, en particulier en ce qui a trait à la gouvernance politique sur laquelle mon travail est axé.
S'il y a une exception à la règle, ce serait probablement l'Ukraine. C'est un endroit où nous avons probablement investi une quantité considérable de ressources — surtout par l'intermédiaire d'organisations américaines, je crois —, mais, dans l'ensemble, nos activités dans ce domaine sont... « limitées » serait une façon polie de les décrire.
Le deuxième point que je tiens à faire valoir, c'est que, depuis 2007, les pays font preuve de moins de leadership — de formulation d'idées, de création d'approches novatrices — à l'échelle mondiale. Pendant un certain temps, alors que j'occupais à New York le poste de conseiller mondial en matière de parlements et de partis politiques, un processus permettait au Programme de développement des Nations unies, à la Banque mondiale et au ministère du Développement international du Royaume-Uni de se réunir deux fois par an avec d'autres intervenants afin d'apporter un leadership éclairé. Nous présentions de nouvelles approches et de nouvelles idées, et nous échangions des renseignements. Depuis les cinq ou six dernières années, cela ne se produit plus. Le Programme de développement des Nations unies et la Banque mondiale n'ont plus d'empreintes mondiales, ni même de conseillers mondiaux. Dans une certaine mesure, les ressources ont réellement été réduites.
Je crois que le Canada a l'occasion de participer à la fois à l'aide aux partis politiques et au développement parlementaire. À mon avis, quelqu'un a réellement l'occasion de faire un pas dans la bonne direction et de faire preuve de leadership. Le Royaume-Uni tente de le faire dans une certaine mesure. Si vous ne l'avez pas déjà vu, je vous signale qu'en 2015, le comité du développement international de la Chambre des communes du Royaume-Uni a publié son propre rapport sur le renforcement des parlements. Le rapport prônait vraiment l'idée selon laquelle le Royaume-Uni devrait posséder ses propres versions des fondations américaines comme le National Democratic Institute, le NDI et l'International Republican Institut, l'IRI.
Depuis, ils ont investi d'importantes sommes d'argent dans la Westminster Foundation for Democracy. Si votre comité n'a pas eu l'occasion de nouer un dialogue avec eux, je vous encouragerais à le faire. Toutefois, je dirais qu'en ce moment, ils sont en train d'élargir leur présence physique, bien que je n'aie pas nécessairement observé l'incidence de ces initiatives sur le terrain. Il y a un vide à combler dans ce domaine, et je pense que, si le Canada prenait les devants dans les années à venir afin d'être en mesure d'assurer un leadership à l'échelle mondiale, il aurait l'occasion de le combler. J'estime que le point de vue canadien est unique. Pour les gens des nombreux pays où je travaille, le fait que je viens du Canada signifie que je leur apporte un point de vue différent de ceux qu'ils entendent de la part d'autres pays, que ce soit les États-Unis, le Canada, l'Australie, la France ou l'Union européenne.
Mon dernier point est le suivant: contrairement à la dernière recommandation qui mentionne un centre indépendant d'étude des politiques, un centre pour la démocratie multipartite et une fondation distincte pour le développement démocratique, je pense que toutes ces initiatives doivent être réunies en un seul institut. Cela permettrait de créer — et je me fonde ici sur mon expérience dans le domaine de la formulation et de la mise en oeuvre de projets — une grande institution canadienne qui serait en mesure de travailler de façon sectorielle avec le Parlement, les partis politiques, les médias, la société civile, les responsables des élections et les gouvernements locaux. Tout ce travail pourrait être réalisé à l'échelle sectorielle, mais cela nous donnerait aussi l'occasion de travailler sur l'ensemble des secteurs. Je crois qu'une telle approche serait essentielle à la réussite de l'institution.
Comme je l'ai dit en 2007 — et je crois que c'est toujours le cas —, le Canada devrait désigner un groupe de pays de base; cette fois, je dirais qu'il devrait compter de 15 à 20 pays. Nous devrions investir substantiellement dans ces pays et devenir leur principal donateur dans le domaine de la gouvernance démocratique. Ensuite, je pense que nous devons également nous assurer d'investir dans ces pays à long terme. Je crois qu'il est important de se rappeler que le soutien en matière de gouvernance démocratique — le fait d'appuyer une transition vers la démocratie lorsque les gens et les gouvernements sont prêts à le faire — est une entreprise qui exige beaucoup de temps. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Nous devons nous préparer à investir substantiellement dans quelques pays et à le faire à long terme afin de nous assurer que cet investissement a l'effet voulu et donne les résultats escomptés.
Merci.
Monsieur le président, chers membres du Comité, je vous remercie infiniment de l'occasion qui m'est donnée d'aborder l'important sujet du rôle du Canada dans le soutien international au développement démocratique.
Je vais mettre surtout l'accent sur l'établissement d'une nouvelle fondation canadienne indépendante, ou d'une institution de ce genre. Je tiens également à faire écho aux commentaires que nous venons d'entendre. Je pense qu'il est préférable d'avoir une seule priorité institutionnelle dans le cadre de ce travail, plutôt qu'une multitude de mandats fragmentés.
J'aimerais aussi commencer par vous donner peut-être une idée de mes antécédents et de mon point de vue dans ce domaine. Comme vous l'avez entendu, je suis avocate, mais ma pratique de droit est inhabituelle en ce sens que je ne représente plus des particuliers. Je travaille principalement à un niveau organisationnel avec le PNUD, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. J'ai aussi travaillé avec les délégations européennes de l'Union européenne dans un certain nombre de pays. Enfin, j'ai travaillé dans quatre pays de l'Afrique subsaharienne, dont au Rwanda, afin d'établir deux des trois piliers institutionnels qui ont caractérisé le mandat du gouvernement d'unité nationale de l'après-génocide, de même qu'en Éthiopie, au Soudan, au Kenya, en Asie centrale, en Asie du Sud-Est et en Chine.
Mes observations seront réparties en deux principales catégories. La première catégorie donnera une vue d'ensemble des secteurs dans lesquels, à mon avis, le Canada peut apporter une valeur ajoutée importante au chapitre du développement démocratique. Je désire aussi parler un peu des leçons tirées relativement à l'établissement d'une institution indépendante comme la fondation canadienne — si je peux me permettre d'utiliser le terme qui figurait dans le document d'information de haut niveau.
J'aimerais commencer par souligner l'importance primordiale des droits de la personne dans toute discussion ayant trait au développement démocratique. Je sais que le rapport de 2007 faisait valoir des arguments en ce sens. Fait intéressant, ces arguments ne figuraient pas dans le document d'information de haut niveau qui a été distribué.
La plupart des gens sont d'avis que les droits de la personne sont intégrés ou sous-entendus dans le développement démocratique. Ce point de vue n'est pas nécessairement partagé de façon générale à l'échelle internationale. Toutefois, je pense que le Canada a un point de vue unique en raison de sa Charte des droits et libertés et des principes énoncés dans les textes de loi internationaux que le Canada cherche à respecter et auxquels il cherche à contribuer dans le cadre de son engagement international et de l'héritage qu'il souhaite laisser.
Le premier argument que je veux faire valoir, aussi évident qu'il puisse sembler, c'est qu'il faut s'assurer que toute initiative institutionnelle de ce genre est fondée clairement et explicitement sur les droits de la personne ainsi que sur le développement démocratique. Elle ne devrait pas être seulement attentive aux droits de la personne; elle devrait porter explicitement attention aux droits de la personne en tant que raison d'être centrale de toute stratégie institutionnelle qui fait la promotion du développement démocratique. À mon avis, les deux doivent aller de pair, et il ne faut pas présumer ou sous-entendre que le développement démocratique attirera nécessairement sur les droits de la personne l'attention requise. De plus, je soulignerais que, maintenant, cet enjeu revêt plus que jamais une grande importance. Nous sommes en effet témoins du début de l'érosion de la primauté du droit dans un certain nombre de soi-disant démocraties. Comme certains d'entre vous le savent peut-être, Freedom House vient de publier son rapport qui indique que nous observons un recul de la démocratie et des valeurs démocratiques à l'échelle mondiale.
Je crois que nous devrions tous être alarmés par cette nouvelle mais, en même temps, nous devrions constater que cela donne au Canada une occasion de renouveler son engagement et d'en jeter les bases.
Ce qu'on entend par démocratie varie en fonction de l'endroit où vous êtes. Je sais que, pour certaines personnes, cela peut sembler alarmant, mais le fait est qu'il y a de nombreuses perceptions différentes de la nature de la démocratie. Aucune loi internationale unique ne cerne ce en quoi consiste la démocratie, outre la définition d'élections libres et équitables, bien entendu. En revanche, des normes internationales établissent la signification des droits de la personne, et je pense que les deux doivent aller de pair.
Cela m'amène à parler d'un autre domaine auquel, à mon avis, le Canada apporte une valeur ajoutée, à savoir l'établissement d'institutions stables et transparentes.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, j'ai travaillé avec le gouvernement rwandais. Je les ai aidés à établir et à renforcer la commission des droits de la personne du Rwanda au cours de l'après-génocide, de même que la commission pour l'unité et la réconciliation, qui s'inspirait dans une certaine mesure de la Commission sud-africaine de vérité et de réconciliation.
Des Canadiens, dont moi-même, ont joué un rôle crucial dans ces initiatives. Il en va de même de l'organisation de l'ombudsman éthiopien au sein de la commission éthiopienne, de la commission soudanaise qui, comme vous pouvez l'imaginer, vit des moments difficiles en ce moment, et d'un certain nombre d'autres institutions à l'échelle mondiale.
Je ferai écho aux commentaires que nous venons d'entendre. Parmi tous les pays où j'ai travaillé, le Canada n'était certainement pas le pays auquel on pensait lors des projets sur la primauté du droit auxquels j'ai participé, quoique je pense que dire qu'il est sans pertinence serait trop fort. Dans les projets de création d'institutions sur lesquels j'ai travaillé, personne n'a proposé de prendre le Canada en exemple. On proposait de regarder du côté de la Suède ou des Pays-Bas. Je mentionne la Suède et les Pays-Bas parce qu'il est facile de repousser la critique que je viens de faire simplement en disant, évidemment, que les États-Unis sont plus importants et que l'Union européenne est plus importante. Toutefois, lorsqu'on regarde du côté des pays qui ont des institutions comme la SIDA, en Suède, ou l'Ambassade royale des Pays-Bas, notamment, il apparaît évident que le Canada s'est fait éclipser.
Je conviens aussi, comme on l'a dit plus tôt, que ce que je viens de dire ne s'applique pas à certains pays, comme l'Ukraine et l'Afghanistan, du moins historiquement, et Haïti, actuellement. Toutefois, outre dans ces pays, le Canada est loin de faire le poids.
Permettez-moi d'attirer votre attention sur un exemple précis. À mon avis, le Canada pourrait jouer un rôle important au Cameroun. Nous ne sommes pas une puissance coloniale. L'International Crisis Group et Freedom House placent tous les deux le Cameroun parmi les 10 régions les plus préoccupantes et les plus à risque d'un conflit international. Le Canada ne joue aucun rôle à cet égard. À Affaires mondiales, on considère toujours qu'il s'agit d'un conflit dans lequel se produisent des incidents malheureux, mais on ne reconnaît pas les graves problèmes qui ont été signalés. Il est important de reconnaître que le Canada, avec sa tradition de bilinguisme et de bijuridisme, pourrait offrir au Cameroun quelque chose que peu de pays peuvent lui offrir. Voilà les aspects pour lesquels nous pourrions ajouter de la valeur, outre accroître le financement sur le plan géopolitique, même si cela ne doit pas être écarté, évidemment.
Je tiens aussi à souligner brièvement, en ce qui concerne la mise en place d'institutions, qu'une approche ascendante est tout aussi importante qu'une approche descendante. Les deux sont nécessaires. Le Canada a une expertise unique et a donc quelque chose à offrir en réponse à l'idée qui circule dans la communauté du développement international, c'est-à-dire habiliter la société civile et oeuvrer dans un cadre axé sur les droits de la personne, pour veiller à ce que les organisations de la société civile soient appuyées et habilitées. Évidemment, j'entends par « société civile » les organisations de la société civile qui sont ancrées dans un cadre des droits de la personne. Donc, par exemple, je n'inclus pas le Ku Klux Klan parmi ces organisations.
C'est un exercice non partisan. Voilà pourquoi je pense qu'une fondation canadienne serait bien placée pour faire ce genre de travail.
Je pense qu'il me reste deux ou trois minutes. J'aimerais simplement faire quelques observations sur la forme que pourrait prendre cette entité, cette institution ou cette fondation.
Il est important que nous apprenions de nos erreurs. La débâcle et la controverse entourant Droits et Démocratie se sont peut-être produites sous le gouvernement précédent, mais je pense que cette situation découle d'une erreur de conception par le gouvernement qui l'a créé; il n'en a pas fait un organisme indépendant. Il faut une réelle indépendance. Il faut veiller à protéger ces organismes des impératifs politiques du jour qui les exposent à la corruption ou empêcher de placer à leur tête des gens qui n'ont pas l'expérience requise pour y travailler. Pour répondre aux préoccupations d'ordre politique et partisan, il faut offrir un financement complet d'entrée de jeu, plutôt qu'un financement continu par volet. À titre d'exemple, l'IRPP, à Montréal, a reçu un financement complet et a pu poursuivre ses activités. Il y a un précédent.
En terminant, je vous exhorte à veiller à ce que l'institution que vous créerez ait une indépendance suffisante, sur le plan financier, et que ses structures de gouvernance soient totalement indépendantes de tout parti politique au pouvoir, et ce, en tout temps.
Je conclurai sur une note semblable à celle de mon prédécesseur. Même s'il se targue d'être un champion à l'échelle internationale, le Canada n'est même pas près d'avoir une moyenne respectable au bâton. Nous avons maintenant une occasion réelle de changer les choses, et je félicite le Comité de cette initiative.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai été très privilégiée de travailler à Affaires mondiales Canada pendant 15 ans, et je suis maintenant ministre du cabinet fantôme chargée des institutions démocratiques.
Monsieur Deveaux, vous avez beaucoup parlé du manque de leadership qu'on observe depuis 2007. De toute évidence, bien que le travail sur le terrain soit d'une importance capitale, le leadership vient toujours du sommet. Avec le groupe de témoins précédents, nous avons brièvement parlé des relations et des approches à cet égard.
C'est très intéressant. J'en arrive même à penser aux comparaisons concernant certains aspects, comme les voyages de nos dirigeants en Inde, où les relations et la perception à l'égard des voyages respectifs du et de mon chef ont été très différentes, tant à l'étranger qu'en Inde et, évidemment, au Canada.
Cela m'amène à Cuba. J'ai eu le privilège d'agir à titre de conseillère politique auprès de , lorsqu'il était ministre d'État des Affaires étrangères pour les Amériques. C'était très intéressant. À l'époque, la politique des conservateurs à l'égard de Cuba était de traiter uniquement avec les dissidents.
Donc, dans le même esprit que celui adopté par ma collègue, Mme Vandenbeld, pour cette formidable initiative, j'examinais cela dans une perspective plus large, car je me demandais qui serait présent si le Canada ne l'était pas. Eh bien, le vide serait comblé par la Russie ou par la Chine. Même si le Brésil venait tout juste d'obtenir la Coupe du monde et les Jeux olympiques, je savais que sa démocratie n'était pas aussi bien établie qu'on le croyait à l'époque. C'était en 2009, bien sûr.
Cela dit, lorsque notre , par exemple, pleure la mort d'un dictateur et parle des relations étroites qu'il entretient avec cette famille, cela a-t-il une incidence sur votre travail sur le terrain?
Monsieur Deveaux.
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La réponse courte, c'est que je travaille pour d'autres organismes, des organismes multilatéraux, en particulier le PNUD, ONU Femmes et la Banque mondiale. Par conséquent, je suis en mesure de rester à l'écart des tractations politiques qui ont cours à Ottawa.
Toutefois, à mon avis, le point à retenir est lié à Cuba. Je n'ai pas eu l'occasion d'y travailler, mais j'ai travaillé au Turkménistan et en Ouzbékistan, deux pays plutôt fermés, pourrait-on dire, qui n'ont pas traversé de réformes, à certains égards, en particulier le Turkménistan. Pour le Canada, la meilleure façon d'être un chef de file n'est pas nécessairement d'être toujours en avance sur les autres, car il y aura toujours des difficultés et des perceptions, quel que soit le pays, que ce soit la Russie, les États-Unis, le Canada ou le Brésil. Il est toutefois possible de trouver des façons d'y parvenir par l'intermédiaire d'organismes multilatéraux.
Encore une fois, si le Canada jouait régulièrement un rôle actif au sein des agences de l'ONU et ne se préoccupait pas nécessairement d'obtenir un siège au Conseil de sécurité, ce qui n'a pas beaucoup de portée et d'effet, à mon avis, et s'il investissait plutôt dans des organismes comme le PNUD et ONU Femmes et par leur intermédiaire, puisqu'ils sont neutres, cela permettrait d'ouvrir la porte, de faire preuve d'ouverture et de partager les connaissances. À terme, au fil des réformes, on pourrait construire quelque chose. Cela pourrait être une façon d'y arriver. Nous pourrions ainsi construire des relations indirectement, par l'intermédiaire d'autres institutions, tout en ayant la possibilité de commencer à soutenir les réformes que nous envisageons.
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Merci beaucoup. Mes questions s'adressent à M. Deveaux.
Kevin, je suis heureuse de vous revoir. Je me souviens des années pendant lesquelles nous travaillions au Programme mondial pour le renforcement parlementaire du PNUD, et de vos propos à ce sujet. Il y a un vide dans ce domaine actuellement à l'échelle internationale.
Je sais qu'à l'époque, le GPPS élaborait des pratiques exemplaires et des normes pour un secteur dans lequel il n'y en avait jamais eu. Je pense que le Canada est dans une position exceptionnelle actuellement pour faire ce travail. C'est ce que vous avez appelé une occasion de leadership éclairé.
Je tiens à vous dire que même si les organismes canadiens ne sont pas aussi présents qu'auparavant et même si le financement est moins élevé, les Canadiens sont présents. Je pense que c'est ce que nous constatons ici, autour de cette table. Les expériences que vous, d'autres et moi avons vécues en témoignent. Avant d'être élue, j'ai surtout travaillé pour des organismes multilatéraux, des organismes américains. J'ai travaillé pour le Centre parlementaire seulement une fois. La plupart du temps, les Canadiens ne travaillent pas au sein d'organismes canadiens. Une fois, par exemple, j'ai été embauchée par NDI, un organisme américain, grâce à des fonds canadiens. L'organisme a embauché une Canadienne pour diriger le projet.
Pourriez-vous parler brièvement de cet aspect? L'expertise existe. Nous avons une crédibilité sur la scène internationale. Comme Pearl l'a indiqué, nous n'étions pas une puissance coloniale. Nous comprenons les deux systèmes juridiques. Nous comprenons la démocratie du modèle de Westminster. Voilà pourquoi les organismes comme NDI et l'IRI embauchent des Canadiens. Toutefois, nous ne sommes pas dans un cadre nous permettant de mettre cela en place en fonction des valeurs canadiennes. Je me demande si vous pourriez nous en dire plus à ce sujet.
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Merci, madame Vandenbeld. C'est un plaisir de vous revoir, même si c'est à l'autre bout du monde.
Je vous remercie d'avoir soulevé ce point, car c'est vrai, je pense en avoir également parlé lors de ma présentation en 2007. Même si les organismes canadiens ne sont pas présents sur le terrain et que le financement canadien se fait rare, parfois, ou plutôt la plupart du temps, beaucoup de Canadiens oeuvrent dans ce domaine.
Je vais vous donner un exemple très personnel. La semaine prochaine, je serai en Malaisie, qui a connu l'an dernier son premier changement de gouvernement en 60 ans. Le pays a demandé l'aide des États-Unis par l'intermédiaire du NDI, de l'IRI et d'un autre organisme appelé DAI, qui travaille sous l'égide de USAID. Quant à moi, je vais me rendre là-bas pour travailler avec les Américains. C'est un pays du Commonwealth et les Américains ne connaissent pas très bien son système. Ils font donc appel à des Canadiens.
Mme Elizabeth Weir, pour ceux qui la connaissent, est une ancienne députée provinciale et ancienne chef du NPD au Nouveau-Brunswick. Elle travaille là-bas avec NDI. Les Américains font souvent appel aux Canadiens.
Je me rappelle qu'à l'époque où je travaillais chez NDI, les Canadiens représentaient probablement le tiers de l'effectif. Donc, beaucoup de Canadiens font ce travail, c'est certain. L'idée serait de regrouper ces ressources sous le drapeau canadien. Je suis convaincu que ce serait un honneur pour la plupart d'entre nous.
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Merci beaucoup de la question.
Il y a deux réponses à cette question.
Tout d'abord, il est vrai que les questions d'expertise sont intimement liées aux questions financières.
Voici ce que je veux dire. Quand je suis autour de la table, au Tadjikistan ou encore au Timor-Leste, les gens disent qu'il faut passer le chapeau pour voir qui va subventionner un projet. Dans les pays où j'ai personnellement vécu une expérience, tout le monde savait que le Canada n'avait pas les fonds et que souvent, malheureusement, il n'avait pas l'expertise sur le plan officiel, si vous voulez, pour aller de l'avant.
Cela dit, ce que mon collègue a dit est tout à fait vrai. Les Canadiens et les Canadiennes sont très impliqués et très présents dans le cadre international. Il s'agit d'être capable d'aller chercher ces gens et de les mobiliser dans le cadre d'une institution mondiale.
Bref, il me semble très important que l'argent soit là, mais aussi que le Canada soit présent et qu'il ait une voix indépendante pour exprimer ses valeurs. Contribuer à l'effort financier mondial, c'est important, mais souvent on perd sa voix.
J'aimerais aussi réitérer le point qui vient d'être exprimé.
[Traduction]
Je vais poursuivre en anglais pour la deuxième partie, car c'est dans cette langue que j'ai l'habitude de réfléchir à cela. Le financement de base est un aspect essentiel de la question de financement. L'idée du financement par projet qui a gagné en popularité au début des années 2000 et qui caractérise le financement du gouvernement — et qui s'est malheureusement répandue au financement des grandes fondations canadiennes — a condamné les travailleurs de la société civile et des ONG à des salaires de subsistance. Cela signifie que notre pérennité n'est pas assurée, car nous devons toujours penser au projet suivant, et nos méthodes et nos activités sont toujours centrées sur le projet suivant. Je demande instamment au Comité, surtout dans l'optique de la création d'une fondation, de rejeter l'idée de financement par projet et de se concentrer réellement sur les droits de la personne et sur la gouvernance politique. Il doit examiner ce qu'il tente de réaliser en tant que concept, selon une vision holistique, plutôt que de se concentrer sur le principe absolument rétrograde du financement par projet.
Les droits de la personne ne peuvent être considérés de façon isolée. Il en va de même pour la gouvernance politique. Ce sont de vastes projets qui nécessitent une approche holistique et, à mon avis, une approche multilatérale.