FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 13 avril 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Chers collègues, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international reprend ses travaux. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, notre étude porte sur les États-Unis et la politique étrangère du Canada.
Nous avons avec nous, par vidéoconférence, Laura Dawson, directrice du Canada Institute au Woodrow Wilson Center. Elle se trouve ce matin à Washington, D.C. Nous avons aussi Christopher Sands, professeur principal de recherche et directeur du Center for Canadian Studies, de l'Université Johns Hopkins.
Bienvenue à vous deux. Je crois savoir que le greffier vous a informés de notre mode de fonctionnement.
Nous commencerons par écouter l'exposé de Mme Dawson, puis nous passerons directement à celui de M. Sands. Après quoi, si cela convient à tous ici, nous vous poserons des questions à tous les deux durant le reste de l'heure.
Bonjour à vous et merci d'être parmi nous ce matin.
Bonjour à tous. Merci de m'avoir invitée.
J'aimerais bien être parmi vous en personne, car je crois savoir que le printemps est arrivé à Ottawa. Mon fils et mon petit-fils vivent à Ottawa, et j'y suis donc toujours présente de coeur.
Comme on vous l'a dit, je suis directrice du Canada Institute au Woodrow Wilson Center, à Washington. Le centre est financé par un modeste crédit du Congrès et par des contributions du secteur privé. Compte tenu du caractère bipartisan du Centre Wilson, mais aussi du respect que je dois en tant que Canadienne vivant et travaillant à Washington, je tiens à préciser que mes remarques, ici, sont miennes et non celles de mon employeur, et qu'elles expriment également mon grand respect pour le processus démocratique aux États-Unis.
J'ai consacré les 25 dernières années à l'étude des enjeux du commerce international et notamment des relations commerciales bilatérales entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Ce sont donc les deux volets que je vais aborder aujourd'hui. J'ai enseigné à l'université, et il m'est difficile d'expliquer quoi que ce soit en huit minutes; je vais donc tâcher d'être disciplinée. Si vous désirez approfondir la discussion durant la période de questions, je me ferai un plaisir de creuser les choses avec vous.
Concernant les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis, la promesse électorale d'en finir avec l'ALENA a beaucoup inquiété les Canadiens. Étant donné qu'environ 7 % des exportations canadiennes sont acheminées vers les États-Unis, l'élimination de l'ALENA pourrait gravement déstabiliser l'économie du Canada, ainsi que les chaînes d'approvisionnement intégrées, les investissements et les coentreprises sur lesquels nous en sommes venus à compter pour assurer la pérennité de l'économie canadienne.
Les deux pays sont le plus important partenaire commercial l'un de l'autre — tout le monde le sait —, mais le Canada est beaucoup plus vulnérable dans la relation entre les deux. L'asymétrie ne tient pas seulement à la taille, mais aussi, malgré le rôle primordial de chacun dans les exportations de l'autre, au fait qu'environ 20 % du PIB du Canada dépend des exportations aux États-Unis, alors que les exportations américaines au Canada représentent moins de 2 % du PIB des États-Unis. Franchement, le Canada n'a pas autant d'importance pour les États-Unis.
C'est pourquoi le Canada est souvent oublié dans les considérations stratégiques des États-Unis en termes de politique étrangère et de politique commerciale. Le Canada ne va nulle part. Le Canada n'est pas un problème. Il y a donc parfois une certaine complaisance. Le Canada se trouve dans la trajectoire de mesures punitives qui ne le visaient pas au départ. On parle de mesures commerciales visant le Mexique et la Chine, et il se pourrait bien qu'elles aient des effets négatifs également sur le Canada.
Le gouvernement du Canada a très bien réussi à gérer cette relation à travers les turbulences des premiers jours de l'administration de Donald Trump. Il faut en créditer largement l'ambassadeur du Canada David MacNaughton, qui s'est révélé un quart-arrière habile à gérer les multiples dimensions de cette relation. D'anciens hommes d'État conservateurs rencontrent des membres du cercle intime de Trump. De jeunes libéraux rencontrent Ivanka Trump et Jared Kushner.
Ils font exactement ce qu'il faut et sont partout où il faut. Notamment ici, à Washington, c'est magnifique de voir des libéraux, des conservateurs, des députés de tous les partis participer à des réunions mixtes avec leurs homologues américains. Nous voyons aussi des premiers ministres provinciaux et des représentants du gouvernement fédéral. Il y a vraiment un front uni et un message commun. Je pense que le Canada fait exactement ce qu'il faut pour gérer cette relation.
Cela dit, le Canada doit passer d'un mode de réaction rapide à une stratégie plus ciblée, axée sur les secteurs où il pourra tirer parti de dispositions modernisées dans l'espace trilatéral. Je crois que nous sommes trop sur la défensive.... et que nous nous soucions trop de savoir ce qui se passera dans tel ou tel cas de figure. Nous voilà devant la possibilité de rouvrir un accord commercial vieux de 20 ans, et c'est l'occasion pour le Canada d'adopter un point de vue à long terme et de se demander comment devenir plus concurrentiel à l'échelle de l'Amérique du Nord dans les décennies à venir. Je dirais qu'il faudrait d'abord s'intéresser au secteur automobile, à l'aérospatiale, à l'agroalimentaire, à l'énergie et aux services.
Il y a deux ou trois semaines, un projet de notification en provenant du Bureau du délégué commercial des États-Unis, a été rendu public. Il s'agit de la notification qui doit précéder l'approbation accordée par le Congrès pour que les États-Unis puissent entamer de nouvelles négociations sur l'ALENA. À certains égards, ce texte provisoire était très rassurant pour le Canada, parce qu'il n'y était pas question d'éliminer l'accord ni d'éliminer les règles. Il était conforme à certaines conventions et orthodoxies assez traditionnelles et assez prévisibles en matière de règles commerciales. Les négociateurs canadiens sont très compétents et ils ont l'habitude de travailler dans le cadre du jargon et de la structure de l'OMC; donc ce projet de notification est plutôt réconfortant pour le Canada.
Par ailleurs, il est clair que les États-Unis s'intéressent à certains secteurs protégés. Le secteur laitier est certainement dans leur mire. Il semble également probable qu'ils vont adopter certaines des mesures qu'ils apprécient dans le Partenariat transpacifique, comme les mécanismes de contrôle des entreprises d'État et la protection accrue de la propriété intellectuelle.
Je dirais que l'ALENA est une raison de rester vigilant et que c'est une raison de garder l'oeil sur nos intérêts à défendre, mais aussi de se projeter dans l'avenir.
Plus que la renégociation de l'ALENA, ce qui menace le Canada, c'est l'ajustement fiscal à la frontière. On nous répète que Donald Trump n'aime pas cette idée, mais c'est un moyen de recueillir des fonds tellement attrayant, qui permettrait à l'administration américaine de financer les initiatives qu'elle souhaite réaliser, qu'ils ont du mal à y renoncer. Cet ajustement fiscal à la frontière aurait de graves répercussions pour tous les secteurs d'activité au Canada.
Je me ferai un plaisir de vous expliquer mon point de vue sur cet ajustement pendant la période de questions, mais j'aimerais maintenant parler du Mexique. Au Canada, on pourrait être tenté de laisser les États-Unis et le Mexique se débrouiller entre eux. Ce n'est pas le Canada qui a commencé cette bataille. Par ailleurs, le Canada et les États-Unis ont des relations commerciales prioritaires préexistantes grâce à l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis. C'est ainsi que certains estiment qu'il faut laisser le Mexique se débrouiller.
Selon moi, c'est une perspective à courte vue. Le Mexique est une économie jeune et en expansion, et c'est un pays dont la population fait quatre fois celle du Canada. Nos politiques commerciales sont déjà étroitement liées par 20 années d'ALENA, et les obstacles les plus importants au commerce ont été levés. Des entreprises comme Scotiabank, Linamar, Bombardier et Grupo Bimbo nous rappellent les possibilités importantes qu'ouvrent nos relations et qu'elles continueront d'ouvrir.
De plus, beaucoup de Canadiens ne se rendent pas compte du pouvoir de représailles important dont le Mexique dispose contre les États-Unis. Même si le Canada est l'importateur le plus important de produits américains tous secteurs confondus, les produits importés par le Mexique sont des marchandises plus fondamentales. Le Mexique achète tout le maïs exporté par les États-Unis; donc, si le Mexique se retourne et applique un droit de plus de 100 % sur ce maïs, ce sera une mesure très punitive pour les États-Unis. Commerce mis à part, le Mexique est un partenaire très important pour le contrôle de la frontière méridionale. S'ils décident de ne plus coopérer et d'ouvrir les portes aux migrants d'Amérique centrale jusqu'aux États-Unis, cela aura un effet très déstabilisant pour les États-Unis.
Par ailleurs, les Mexicains sont très offensés par la rhétorique qui leur a été appliquée durant la campagne présidentielle. C'est ainsi que le principal candidat de la prochaine élection au Mexique fait une campagne anti-Trump et promet de rétablir la dignité mexicaine, et que le Mexique va adopter des positions très dures dans les prochaines négociations de l'ALENA. Les États-Unis ont déjà fixé des positions de négociation dures, et il me semble que le Canada a un rôle important à jouer pour assouplir les négociations et être un médiateur, un facilitateur de consensus, afin que la question de l'ALENA puisse être réglée de façon productive pour tout le monde.
Aucune mesure ne représente de menace plus particulière pour le Canada. Ce n'est pas l'ALENA. Ce n'est pas le Mexique. Ce n'est pas l'ajustement fiscal à la frontière. Ce sont les effets agrégés de politiques qui perturberaient l'efficacité des chaînes d'approvisionnement et entraîneraient une volatilité inutile dans les taux de change et les droits de douane, comme tout autre facteur compliquant la tâche des entreprises qui veulent planifier et investir à long terme en Amérique du Nord.
Je n'ai pas eu le temps d'aborder la question de la sécurité dans la relation trilatérale, mais je me ferai un plaisir de répondre à vos questions tout à l'heure à ce sujet.
Merci beaucoup de m'avoir invitée et merci de votre attention.
Il semble que nous n'ayons pas de connexion audio. Monsieur Sands, nous allons reporter votre exposé et passer aux questions à Mme Dawson, puis nous vous reviendrons en espérant que le problème sera réglé d'ici là. Je vous prie de nous en excuser. Cela fonctionnait bien avant le début de la séance, puisqu'on a fait des tests.
Chers collègues, cela étant, passons aux questions concernant l'exposé de Mme Dawson, puis nous reviendrons à M. Sands une fois le problème réglé.
Monsieur Allison.
Laura, c'est un plaisir de vous revoir. Je suis heureux de constater que les choses se passent bien pour vous à Washington. J'ai quelques questions, puis je passerai la parole à M. Kent.
Il semble que l'administration soit encore en train de procéder au prédédouanement et à toutes ces autres choses, et, évidemment, c'est à souhaiter. Comment démêlez-vous cela de l'ajustement fiscal à la frontière et de certaines des mesures préjudiciables dont vous avez parlé? Vous avez dit que vous nous parleriez un peu plus de l'ajustement fiscal à la frontière.
Deuxième question, en fait une sous-question: pourriez-vous nous parler de ce que vous savez sur les subsides éventuels aux agriculteurs américains. Je sais qu'il est question du secteur laitier, mais des gens qui s'occupent de la gestion de l'offre m'ont dit que les subsides vont jusqu'à 30 milliards de dollars. Nous avons demandé à nos représentants, et ils nous répondront ultérieurement, mais êtes-vous au courant ou avez-vous une idée de l'ampleur des subsides versés aux agriculteurs américains?
Merci, monsieur Allison. C'est un plaisir pour moi aussi de vous revoir à distance.
L'une des grandes difficultés — et ce n'est peut-être pas la faute des États-Unis, puisqu'il peut s'agir simplement d'une fonction du gouvernement — est qu'il y a très peu de cohérence entre les silos des différentes politiques. Les États-Unis semblent encore tout à fait disposés à procéder au prédédouanement et à préserver l'entente Par-delà la frontière, qui facilite la circulation des biens et des voyageurs à travers la frontière. C'est un bon point pour l'avenir, mais il y a aussi l'ajustement fiscal à la frontière.
D'après moi, l'ajustement fiscal à la frontière est l'antithèse de l'ALENA, mais aussi de la participation à l'Organisation mondiale du commerce. Le principe fondamental de ces deux modes d'entente est le traitement national, ce qui signifie qu'on doit traiter de la même façon les produits internes et les produits importés. Lorsqu'on fait une discrimination et qu'on les traite différemment les uns des autres, on enfreint les règles de ces ententes, et je ne vois pas alors comment on peut rester partenaire de ces accords ou les maintenir.
Les États-Unis apprécient beaucoup des dispositions de l'OMC. Ils apprécient la protection de la propriété intellectuelle. Ils apprécient la possibilité d'employer des mesures antidumping et d'appliquer des droits compensatoires. Je n'imagine pas que les États-Unis ne fassent plus partie de l'OMC ou de l'ALENA. Ce serait un vrai paradoxe, me semble-t-il, que deux choses existant au même endroit soient mutuellement incompatibles.
Je ne peux pas entrer dans les détails des subsides agricoles, mais je vais souligner ce que vous avez dit. Je crois savoir que, quels que soient les subsides au Canada — agricoles ou autres —, il y en a en abondance. Mais le Canada aide son secteur agricole par des mécanismes qui ont des répercussions sur les prix à la consommation, alors que, aux États-Unis, les subsides sont plutôt directs. Comme ce sont des moyens différents d'aider le secteur agricole, les mécanismes américains semblent beaucoup plus souvent échapper au radar de l'OMC.
Mais, comme vous le savez aussi, le Canada a obtenu une exemption des règles commerciales de l'OMC à l'égard de la plupart des aspects de la gestion de l'offre de produits laitiers. Il a accepté de ne pas exporter ses produits laitiers en contrepartie du droit de conserver une protection élevée de ses produits. Il me semble que le gouvernement Harper aurait pu se montrer disposé à assouplir certaines de ces garanties dans le cadre du PTT, mais, en fait, personne ne lui a jamais rien demandé. Il y a peut-être un plan qui traîne sur une étagère quelque part, où est énoncé ce que le Canada pourrait se montrer disposé à faire pour réduire progressivement son aide à la gestion de l'offre.
Merci, madame Dawson. J'aimerais maintenant vous donner l'occasion de discuter de sécurité et de défense puisque vous n'avez pas pu le faire dans votre exposé initial. Le président Trump a clairement expliqué que, dans les relations multilatérales, il attend plus des alliés de l'Amérique, notamment parmi les pays de l'OTAN. Je crois qu'il faut en déduire que la coopération en matière de sécurité et de défense et l'importance qu'elle revêt pourraient faire du chemin du côté commercial pour faciliter nos relations avec les États-Unis.
Pourriez-vous nous parler de l'augmentation des investissements dans la défense et, peut-être, de l'expansion de l'OTAN? Par ailleurs, nous savons que la défense antimissiles balistiques est de nouveau sur la table, que le ministre de la Défense examine la question, et donc... je vous laisse la parole.
Chris va probablement vous donner une perspective plus complète de la situation en matière de sécurité dans son exposé, mais je dirais, en premier lieu, qu'on a accordé beaucoup d'importance au budget de 2 % pour l'OTAN. C'est ce que le gouvernement Trump attend de ses alliés, mais j'entends de plus en plus souvent dire — et je crois que la ministre des Affaires étrangères du Canada Chrystia Freeland en a également parlé — que tout le monde se rend compte des autres façons dont le Canada contribue à la sécurité de l'Amérique du Nord et à la sécurité territoriale des États-Unis.
Quand on additionne tous les autres mécanismes, qu'il s'agisse de NORAD, de la sécurité frontalière, de l'infrastructure frontalière, du partage d'information, etc., tout cela est pris en considération aux États-Unis.
Au début de l'ALENA, en 1994, on voulait intégrer l'Amérique du Nord sur le plan économique, mais on voulait aussi partager une politique étrangère et des mécanismes d'intégration comme on en voit dans l'Union européenne. Il y manquait une méthode, et c'est ainsi que les initiatives de sécurité trilatérales qui auraient pu être associées à l'ALENA ont été prises un peu au hasard des choses et n'ont pas vraiment été officialisées.
À chaque fois qu'on se heurte à des questions comme le partenariat pour la sécurité et la prospérité de l'Amérique du Nord ou comme l'accord Par-delà la frontière, les gens s'énervent de tous ces acronymes et les jettent par-dessus bord.
Il s'est donc développé un mode d'alignement et d'intégration au coup par coup et progressif entre le Canada et les États-Unis, et, dans une certaine mesure, le Mexique à l'égard de mesures de sécurité ayant trait à l'immigration, au maintien de l'ordre, à la cybersécurité et à la résilience vis-à-vis des menaces communes, aussi bien d'origine humaine qu'environnementale, mais rien qui ressemble à une stratégie institutionnelle systématique.
Par conséquent, ce que nous voyons aujourd'hui — ce que je vois aujourd'hui —, c'est que, à mesure que nous intégrons des choses comme le prédédouanement des passagers aériens, les Canadiens deviennent nerveux et se disent: « Dans quelles proportions partageons-nous des renseignements avec les États-Unis? Est-ce que c'est une bonne idée? Quels sont les coûts et les avantages de cet échange entre partage d'information, meilleur accès à l'information et plus de coopération? ».
Je pense que le Canada, dans le cadre de l'intégration de la sécurité nord-américaine avec les États-Unis — qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose et pourrait même être une excellente chose — doit avoir une conversation interne pour déterminer les principes et les valeurs auxquels il tient en termes de partage d'information, de coopération et de collaboration.
Excellent. Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci aux membres du Comité de me recevoir encore une fois et de montrer de la patience à l'égard des problèmes technologiques. J'espère que je ne répéterai pas trop ce qu'a dit Laura. J'ai entendu son exposé, mais pas la période de questions. Je tiens à dire que c'est une femme remarquable. Nous nous connaissons depuis nos études universitaires, et j'apprécie énormément ses travaux et ses analyses. Alors vous pouvez oublier tout ce que j'ai à dire. Du moment qu'elle est là pour vous conseiller, vous êtes entre bonnes mains. Mais, puisque vous m'avez invité, je vais vous en proposer quelques-uns.
Je vais commencer par une observation assez ordinaire, mais qui, je crois, est très rassurante à l'heure actuelle concernant les relations entre le Canada et l'administration Trump. Et c'est que les deux pays — le Canada et les États-Unis — sont des pays amis, essentiellement parce que les Canadiens et les Américains ont des relations d'amitié. Cela détermine tout, et, même à une époque où la politique américaine est très populiste, le Canada ne devrait pas s'inquiéter, parce que la plupart des gens, y compris les électeurs de Trump, pensent que les relations entre le Canada et les États-Unis devraient être positives, constructives, non sans désaccords, mais gérées de façon constructive. Je pense que c'est très important, parce que cela instaure une limite au degré de chaos ou de difficulté qui pourrait caractériser nos relations avec l'administration Trump. Nous n'avons aucune raison de penser non plus que le président ait la moindre animosité à l'égard du Canada, mais il y a des préoccupations à régler au sein de ces relations, et je vais faire écho à ce que disait Laura et essayer de remplir le mandat que m'a confié le Comité.
Tout d'abord, pour ce qui est des relations commerciales, elles sont excellentes. Grâce à la libéralisation des échanges, grâce à la coopération en matière de réglementation et grâce à la coopération en matière de sécurité, nous avons réussi à tisser d'extraordinaires chaînes de valeur qui permettent aux entreprises spécialisées des deux côtés de la frontière de collaborer pour fabriquer des produits de catégorie internationale. C'est ce qui fait marcher l'économie américaine comme l'économie canadienne. Les Canadiens créent des millions de bons emplois pour les Américains, et l'économie américaine alimente l'économie canadienne en créant aussi des emplois chez nous.
Le problème, cependant, est que l'administration Trump a introduit une bonne marge d'incertitude au sujet des fondements de ces relations. Plus précisément, il parle de renégocier l'ALENA, dont Laura a parlé. Et, peu importe ce qu'il en sortira, que ce soit majeur ou mineur, ou quelque chose de plus grand, je pense que cette incertitude sur le plan commercial est mauvaise pour les entreprises des deux pays. Plus tôt nous aurons réglé cela, mieux cela vaudra. Il n'y a pas de meilleure résolution qu'une résolution finale. Peu importe toutes les rumeurs et tous les gazouillis, ce qui importe, c'est de régler cela le plus rapidement possible.
Deuxièmement, depuis l'entrée en fonction de l'administration Trump et, en partie, depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement Trudeau, nos mécanismes de coopération pour la sécurité transfrontalière, le groupe de travail Par-delà la frontière, la coopération en matière de réglementation, le conseil de coopération en matière de réglementation entre nos deux pays, tout a quasiment disparu de la scène. On n'en entend plus guère parler. Ils sont intégrés au gouvernement du Canada, et ils ne sont pas particulièrement mis en valeur par le gouvernement américain, ni dans les réunions entre Trump et Trudeau, ni ailleurs. Ce travail est extrêmement important parce qu'il permet aux économies de se rapprocher sans que le président ou le premier ministre ait à s'en occuper: cela peut être confié à des fonctionnaires des deux pays. Nous avons besoin d'un feu vert pour continuer, et nous ne pouvons pas nous permettre de laisser ce travail se diviser.
Par ailleurs, je pense que notre réaction à l'idée de renégocier l'ALENA — et je crois que c'est quelque chose dont Laura a parlé — a été jusqu'ici incroyablement défensive. Ceux qui tiennent aux relations commerciales entre le Canada et les États-Unis disent qu'on veut garder les choses telles quelles si possible. Je pense que c'est une perspective à courte vue. Nous devrions songer à élargir la mobilité de la main-d'oeuvre, notamment, par exemple, en traitant ceux qui voyagent pour affaires comme des touristes. On pourrait autoriser des séjours de trois mois sans visa, permettre les allers-retours d'un pays à l'autre pour qu'un homme d'affaires puisse venir participer à une conférence ou à un appel de vente au Canada ou vice-versa sans être harcelé à la frontière au sujet d'une obligation fiscale ou de leur employeur. On pourrait faciliter les voyages d'affaires.
On pourrait aussi, de la même façon, conserver de bonnes relations en matière d'investissement. On pourrait envisager de réaliser des projets d'infrastructure mixtes pour contrer le principe d'achat aux États-Unis ou d'achat au Canada dans les prévisions budgétaires de nos gouvernements en matière d'infrastructure. Il y a bien des choses que l'on pourrait obtenir dans le cadre de la renégociation de l'ALENA à condition d'avoir un minimum de vision et d'ambition.
Permettez-moi d'ajouter un autre élément, que je propose à votre examen. J'aimerais que le Canada et les États-Unis négocient un accord de reconnaissance mutuelle d'une équivalence fonctionnelle des normes de réglementation et des inspections, de sorte que, si un produit est jugé sûr au Canada, il le soit automatiquement aux États-Unis et vice-versa.
Il ne s'agit pas d'harmoniser nos normes à la lettre près, mais de reconnaître que, en dépit de quelques différences mineures, nos normes sont fonctionnellement équivalentes. Cela réduirait considérablement le fardeau bureaucratique lié à la réglementation pour les entreprises des deux côtés de la frontière. Je dirais que c'est conforme à l'engagement du président Trump à se débarrasser de la bureaucratie et à alléger le fardeau de la réglementation, notamment pour les petites et moyennes entreprises.
Je suis d'accord avec ce qu'a dit Laura au sujet du Mexique. Du côté positif, c'est un marché émergent considérable. C'est un marché où la classe moyenne est presque aussi nombreuse que la population entière du Canada. Cela dit, depuis que le Canada a accès au marché mexicain grâce à l'ALENA depuis 20 ans, je pense que beaucoup de Canadiens ont oublié ou ont tendance à tenir pour acquis le marché mexicain tandis qu'ils se tournent vers la Chine, l'Inde et l'Europe. Tout cela est bien beau, mais n'oubliez pas le Mexique.
Il y a là des possibilités énormes. Laura a souligné le volet énergie, et je suis d'accord, mais il y a beaucoup d'autres éléments du marché mexicain qui permettraient au Canada de diversifier ses exportations et aux Canadiens de tirer parti de ces occasions. Il y faudra des efforts diplomatiques, parce que les Mexicains subissent la colère de Trump. Ils ont besoin d'un ami en ce moment, et je crois que le Canada peut être cet ami.
En matière de sécurité, le président Trump a soulevé la question du partage du fardeau financier dans l'alliance de l'OTAN. Ce n'est pas une préoccupation nouvelle pour les États-Unis, mais c'est la première fois depuis la fin de la guerre froide que c'est à l'avant-plan. Je crois que beaucoup de gens en ont conclu que les alliés de l'OTAN doivent arriver à verser une contribution représentant 2 % de leur PIB, objectif convenu par tous les pays membres de l'OTAN au Sommet du pays de Galles. Je pense que c'est un point de repère raisonnable, mais je crois que le Canada doit faire un compte plus large de sa participation à la sécurité que sa seule participation militaire.
Nos alliés européens ont tendance à inclure toutes sortes de choses pour arriver à obtenir des chiffres se rapprochant du 2 % — par exemple les prestations aux anciens combattants ou les contributions à la diplomatie. Ils estiment que cela fait partie de leur contribution à la sécurité et ils en tiennent compte pour gonfler leurs chiffres.
Le problème est que le Canada est bien trop honnête. Nous ne comptons que nos dépenses militaires dans notre contribution à la sécurité collective. Pour ma part, compte tenu de la profonde intégration du Canada et des États-Unis, la GRC et les mesures prises par le Canada pour recueillir du renseignement de sécurité et protéger les frontières contribuent à la sécurité nationale des États-Unis et devraient être comptées dans la participation du Canada. Quand on additionne les dépenses militaires à ces dépenses internes en matière de maintien de l'ordre, le Canada est effectivement à 2 %.
Cela ne signifie pas que le Canada ne devrait pas régler la question de l'approvisionnement de défense ni essayer d'acheter un nouvel avion de chasse. Je pense que les relations avec les États-Unis seraient raffermies si les États-Unis pouvaient reconnaître leur dépendance à l'égard de la contribution du Canada à la sécurité de l'Amérique du Nord en dehors de la seule participation militaire.
Je voudrais, à titre d'observateur inquiet, inviter instamment l'administration Trump et le gouvernement Trudeau à retourner à Ogdensburg. Je pense que nous avons besoin d'une discussion bilatérale, ou d'une déclaration sur le partenariat entre le Canada et les États-Unis pour la sécurité, qui intègre les contributions internes et les contributions militaires traditionnelles et qui entérine ces contributions dans le cadre d'un partenariat fort, tout comme Franklin Delano Roosevelt et William Lyon MacKenzie King l'ont fait il y a 70 ans.
C'est d'autant plus important aujourd'hui que cette année marque le 60e anniversaire de NORAD. C'est aussi le 15e anniversaire de la réorganisation de la défense de l'Amérique du Nord, qui a permis de créer le Commandement du Nord des États-Unis. En cette année d'anniversaires, il est particulièrement important que nous renouvelions nos engagements passés dans une perspective d'avenir.
Pour ce qui concerne le reste du monde, vous m'avez donné un mandat très large. Je ne suis expert qu'en relations canado-américaines, et mes observations pour le reste seront un peu sommaires, mais je me ferai un plaisir d'en discuter plus avant.
Le monde d'aujourd'hui, notamment parce que c'est ce sur quoi Donald Trump insiste, est retourné à une politique des grandes puissances, comme c'était le cas au début du siècle précédent. Nous sommes à une époque d'incertitude. Donald Trump a repris, à l'échelle globale, la bannière de Ronald Reagan: la paix grâce à la force.
Il veut augmenter les dépenses militaires, mais il veut maintenir un certain ordre international en jouant un rôle très important à l'échelle mondiale. C'est une évidence depuis qu'il est président dans son engagement renouvelé à l'égard de l'OTAN. Je crois que vous le constaterez au prochain sommet de l'OTAN, en mai, où le président sera présent, et vous le constaterez aussi dans son opposition directe à la Russie. Malgré toutes les spéculations des médias au sujet de ses relations avec la Russie, il se montre particulièrement dur à l'égard du gouvernement Poutine.
Nous l'avons vu cette semaine dans l'invitation faite au Monténégro de devenir le 29e membre de l'OTAN, dans sa volonté d'affronter la Russie lorsque celle-ci affirme que des armes chimiques n'ont pas été employées en Syrie et de réfuter cette fausse information. Je pense que, dans les mois qui viennent, vous verrez les États-Unis s'engager plus fortement en Ukraine. Je sais que c'est très important pour le Canada, mais je pense aussi que c'est important pour les États-Unis. Ce n'était pas dans les intentions de Trump, mais c'est conforme à la façon dont il a tendance à rappeler à tous les pays l'importance des États-Unis dans leur avenir.
On l'a vu notamment avec la Chine, lorsque le président a tendu la main à Taiwan, a reçu un appel du président taïwanais et a secoué Beijing. Le président veut également que la Chine intensifie son action auprès de la Corée du Nord et contribue à la sanctionner. Je pense que c'est d'une importance capitale. Nous avons vu que la Chine s'oriente du moins dans cette direction, parce que cela invite la Chine à se conduire comme la grande puissance qu'elle est en train de devenir et à assumer une certaine responsabilité dans la sécurité de sa propre région.
Je crois que c'est un pivot important pour les États-Unis et que cela n'a rien à voir avec son action en Syrie. Je crois que cela montre que les États-Unis sont disposés à agir de façon proportionnée, mais décisive, pour défendre la sécurité et les normes internationales. Par ailleurs, la Chine sait que les États-Unis sont tout à fait déterminés à renouer des relations commerciales avec elle. Cela représente une certaine menace pour le Canada, qui essaie, lui aussi, de se tourner vers la Chine et de conclure un traité d'investissement bilatéral et un traité commercial bilatéral.
S'il y a divergence de point de vue entre le Canada et les États-Unis au sujet de la Chine, cela pourrait devenir un problème entre les États-Unis et le Canada. Je pense qu'il est important que nos deux gouvernements se mettent d'accord sur une perspective commune et qu'ils fassent en quelque sorte équipe à l'égard de la Chine au lieu de laisser celle-ci essayer de profiter de nos différences, voire d'utiliser le Canada comme porte d'accès à l'économie américaine, ce qui soulèverait des problèmes pour nos délégués commerciaux tout comme pour le président.
Le Moyen-Orient est une zone où nos deux pays combattent l'organisation État islamique. Le président est fortement engagé auprès d'Israël, mais il souhaite également jouer un rôle plus secondaire dans la région et éviter de se laisser sombrer dans ses conflits et son chaos. Je pense que c'est très difficile à faire pour les États-Unis. On ne peut pas simplement se retirer et s'attendre à voir la paix et la sécurité s'installer. Le président ne croit pas non plus à l'entente avec l'Iran proposée par l'administration Obama.
Je ne crois pas que l'administration Trump va rompre l'entente avec l'Iran, mais je pense, par contre, que les Iraniens vont le faire pour lui. Je crois qu'ils ont déjà repoussé les limites de ce que l'entente exige de l'Iran. À mon avis, d'ici un mois environ, l'administration va publier et révéler intégralement les détails de l'entente avec l'Iran pour que les médias et d'autres parties prenantes puissent vérifier si l'Iran s'y conforme. Je crois que, si l'Iran ne tient pas ses engagements, l'administration lui appliquera des sanctions.
Comme en Syrie, nous espérons que ces sanctions seront proportionnées et ne nous mèneront pas à la guerre. Remarquons cependant que, cette semaine, l'ex-président iranien Ahmadinejad s'est de nouveau mêlé de politique pour déclarer que ce sont peut-être les responsables politiques iraniens qui sont problématiques. Je pense que c'est un aspect de la vulnérabilité de l'Iran sur lequel les États-Unis vont faire pression pour essayer de changer le comportement des Iraniens. Cela pourrait créer une ouverture, mais je pense que l'administration prend l'Iran très au sérieux. À cet égard, il faut comprendre que la situation en Iran sera liée à la situation en Corée du Nord.
Le point de vue des États-Unis au sujet de la non-prolifération est beaucoup plus affirmé à l'égard de la Corée du Nord. Je crois que ce sera également le cas à l'égard de l'Iran, et il est important, je crois, que les États-Unis comptent sur l'appui du Canada à cet égard.
Enfin, il y a la question soulevée par le Comité au sujet des institutions multilatérales, et, à ce sujet, je veux seulement faire remarquer que les coupures prévues dans le budget du président doivent être examinées dans le contexte des coupures budgétaires prévues dans l'économie interne des États-Unis.
Nous avons vu que l'organisation de Laura, le Woodrow Wilson Center, est exclue du budget du président. Ce n'est pas le président qui décide d'attribuer des fonds, c'est le Congrès. Le budget du président est une proposition, comme celui du premier ministre ici. Il est de nature indicative et envoie un message, mais ce n'est pas le président qui a le dernier mot. Je ne crois pas que Laura va perdre son budget, mais, surtout, je ne crois pas que les institutions multilatérales seront exclues aussi drastiquement que le président l'a laissé entendre. Mais c'est un coup de semonce; les organisations sont invitées à se réformer; et il est difficile de réformer une organisation comme les Nations unies ou ses éléments. Il sera difficile de réformer l'Organisation mondiale du commerce, le FMI ou la Banque mondiale. En signalant sa volonté de se prendre du recul, les États-Unis prennent enfin des mesures actives concernant leurs préoccupations passées et s'attendent à des changements, faute de quoi ils modifieront leur position. Cela va faire pression sur toutes ces organisations, qui devront reconsidérer leur trajectoire.
Les résolutions condamnant Israël à l'ONU ne sont pas vraiment constructives, pas plus pour la réputation de l'ONU que pour les relations de celle-ci avec les États-Unis. Tandis que ces organisations essaieront de recalibrer leur position, rétablir la confiance et la conscience des États-Unis et régler leurs problèmes internes, elles ne sauraient avoir de meilleur ami que le Canada, qui est un pays voué au multilatéralisme et doté d'un corps diplomatique professionnel, et qui a contribué au succès de ces organisations jusqu'ici. Le multilatéralisme du Canada ne contredit pas l'action actuelle des États-Unis, mais pourrait permettre aux États-Unis d'obtenir ce qu'ils veulent, à savoir des institutions internationales efficaces. Le rôle des États-Unis, compte tenu de leur importance, est peut-être de menacer de couper les cordons de la bourse, mais celui du Canada pourrait être de traduire cela en réformes susceptibles de redorer le blason des Nations unies et de permettre que toutes les autres organisations soient plus efficaces et propres à appuyer l'ordre international.
Je vais m'arrêter ici. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Et maintenant je pourrai entendre Laura, si elle participe également.
Merci, monsieur Sands.
Passons aux questions. À vous la parole, monsieur Fragiskatos, je vous en prie.
Merci à vous deux d'être parmi nous aujourd'hui.
Madame Dawson, j'aimerais que vous nous parliez du projet d'ajustement fiscal à la frontière proposé par certains décideurs américains. Vous avez dit que cela n'a pas de sens ni sur le plan de la logique, ni sur le plan économique, que c'est compliqué et que cela pourrait ne pas produire le résultat escompté, mais donner lieu à représailles tarifaires de la part des partenaires commerciaux de l'ordre de 100 milliards de dollars. Vous avez également dit que ceux qui seraient le plus durement touchés seraient les Américains à faible revenu. Pourriez-vous nous expliquer plus précisément ces déclarations.
La taxe d'ajustement frontalier repose sur le principe que l'on peut imposer une taxe sur les importations mais non pas l'appliquer aux ventes intérieures. C'est pourquoi elle diffère assez de la taxe sur la valeur ajoutée du Canada, la TPS, tout comme des taxes de vente provinciales ou étatiques. Cette taxe vise uniquement les produits qui entrent au pays. Les consommateurs qui dépendent surtout de produits importés massivement — songeons à Costco, Walmart ou Dollar Tree — seront les plus touchés par une éventuelle augmentation de 20 % des prix. Aussi, si le prix de l'essence augmente comme il menace de le faire, une taxe d'ajustement frontalier nuirait considérablement aux travailleurs qui perçoivent le salaire minimum et font de longs trajets quotidiens avec un véhicule énergivore.
La taxe d'ajustement frontalier est censée réussir parce qu'elle viendrait ajuster les taux de change en augmentant la valeur du dollar américain. Je pense que ce serait de 20 % également. Aux États-Unis, même 1 % est toute une affaire et cause beaucoup de volatilité. Je ne sais pas ce qu'un changement de 20 % ferait. Je ne m'y connais pas trop en politique monétaire, mais je sais qu'il y a beaucoup de facteurs qui influent sur les taux de change. Il est assez difficile de faire la corrélation entre cette taxe et la variation du taux de change. Toutes sortes d'autres facteurs interviennent dans la fluctuation des taux de change, tels que les activités mondiales, les échanges commerciaux et les spéculations sur les devises. Le principe fondamental de cette taxe est que le taux de change va augmenter comme prévu, mais je ne pense pas que l'on puisse faire une telle prédiction.
Cela dit, je vous rapporte les propos de républicains modérés qui ont cherché à me consulter: « Bon, si cela ne fonctionne pas, dites-moi comment fonctionne la TPS. Dites-moi comment vous vous y prenez au Canada. Comment gérez-vous une taxe sur la valeur ajoutée comme mécanisme pour générer des recettes? Comment faites-vous pour accorder un crédit à l'importation d'un produit pour lui ajouter de la valeur et l'exporter ensuite? Dites-moi comment vous rendez cela financièrement neutre. » Ils sont donc en train d'étudier d'autres modèles comme mécanismes pour obtenir des fonds.
C'est vraiment compliqué. Vous vous imaginez un peu toutes les formalités que les petites et moyennes entreprises devront remplir pour pouvoir bénéficier d'une taxe d'ajustement frontalier? Au Canada, nous le savons, les PME sont réticentes à remplir toute formalité supplémentaire, même pour obtenir un crédit prévu par l'ALENA ou un accord de libre-échange avec le Costa Rica. Elles ont tendance à s'en tenir systématiquement à l'OMC parce que la paperasserie est toute simple. Je ne vois pas comment les PME américaines pourraient bénéficier de cette taxe d'ajustement frontalier. Ce n'est que mon avis, bien entendu, mais c'est ce que je vois.
Vous avez mentionné certains secteurs — l'automobile, l'agroalimentaire, l'énergie, les services et l'aérospatiale — en soulignant que le Canada devrait les considérer en priorité. De toute évidence, les représentants du gouvernement canadien vont parcourir les États-Unis — bien au-delà de Washington —, des endroits comme le Kentucky et l'Iowa, en plein cœur du pays.
Pourriez-vous développer le point que vous avez fait dans les médias? Vous avez suggéré que les chefs d'entreprise des divers secteurs énumérés dans votre exposé devraient également aller aux États-Unis pour faire valoir l'importance du Canada pour l'économie américaine, pas seulement à Washington, mais partout dans le pays. Je me demande si vous pourriez y répondre.
Merci.
Comme Chris l'a déjà dit — et moi aussi —-, entreprendre ces négociations à la défensive, cherchant à maintenir le statu quo ou s'accrochant à défendre ses intérêts ou des secteurs traditionnellement protégés, c'est laisser passer une occasion toute désignée d'apporter de véritables améliorations au commerce et à la compétitivité en Amérique du Nord. C'est pourtant à cela que se résume la notification du représentant des États-Unis pour le commerce: une politique commerciale orthodoxe extrêmement traditionnelle.
Le Canada s'est attaché à accroître la compétitivité et à multiplier ses perspectives en Amérique du Nord à la suite de l'accord. Les secteurs que j'ai cités sont des domaines dans lesquels nous pouvons vraiment renforcer la compétitivité nord-américaine et où des engagements volontaires seraient de grande utilité.
Prenez l'aérospatiale, par exemple. L'aérospatiale est déjà très bien intégrée à l'échelle trilatérale. Nos trois pays excellent en matière de formation et nos universités à Montréal et à Mexico demeurent branchées sur la collaboration. Que pouvons-nous faire d'autre en termes de développement de la main-d'œuvre, dans un effort de coopération tripartite, afin de favoriser la création d'excellents emplois dans le secteur aérospatial?
Quant au secteur de l'énergie, l'ALENA n'a qu'une très faible composante énergétique. Les sociétés énergétiques pourraient s'en éloigner et ne pas trop s'intéresser aux négociations. Par contre, si nous considérons toutes les façons dont les trois pays peuvent s'entendre pour être de meilleurs collaborateurs... Je sais que nous sommes également des concurrents dans certains secteurs énergétiques, mais que pouvons-nous faire pour autoriser les pipelines, régler les questions de réglementation, réduire les coûts des transactions et veiller à obtenir une énergie abordable et accessible pour les fabricants et les consommateurs dans les trois pays afin que l'Amérique du Nord soit une véritable puissance économique?
Enfin, sur la question de savoir ce que les entreprises doivent faire, nous voyons beaucoup de députés et d'entreprises canadiennes à Washington. Vous êtes toujours les bienvenus. J'ai toujours une tasse de café toute prête dans mon bureau et Chris Sands se fera un plaisir de vous rencontrer. Quand ils sont à Washington, les législateurs sont différents de ce qu'ils sont dans leurs circonscriptions à Bismarck, à Détroit ou à Lansing.
Je pense qu'il est vraiment important de nous concentrer à présent sur les demandes positives du Canada dans ces nouvelles négociations et d'aller voir les législateurs américains dans leurs circonscriptions pour leur rappeler l'importance de leur relation avec le Canada et à quel point elle pourrait s'améliorer. Il s'agirait de se déplacer en groupe avec des partenaires locaux de la chaîne d'approvisionnement américaine qui pourraient mobiliser les électeurs et promouvoir l'emploi pour mieux souligner le message de l'importance du Canada.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les deux témoins de leurs présentations.
Vous avez tous deux mentionné plusieurs secteurs où il y a encore beaucoup de travail à faire, par exemple en ce qui concerne l'ALENA, le plan d'action Par-delà la frontière, les discussions en matière de sécurité, et ainsi de suite. En même temps, on constate que l'administration Trump prend du temps pour nommer les hauts fonctionnaires et les hauts responsables.
Comment voyez-vous cet enjeu progresser dans les semaines ou les mois à venir? La question s'adresse à vous deux.
[Traduction]
Merci, madame.
Je commencerai par dire que vous avez abordé l'un des problèmes les plus importants auxquels les États-Unis sont confrontés, celui du personnel. Il faut quelque 4 000 personnes nommées politiquement pour diriger l'administration. Le président a très lentement commencé à nommer ces personnes. Sur ces 4 000 personnes, environ 500 requièrent la confirmation du Sénat, notamment pour le poste d'ambassadeur à Ottawa. Cela prendra du temps.
J'ajouterais que la majorité de la fonction publique américaine est de la génération du baby-boom et se rapproche de la retraite. Beaucoup sont demeurés tout au long de l'administration Obama et se disent qu'ils pourraient rester un peu plus longtemps à Washington au vu du gel des embauches, mais ils commencent à songer à la retraite. Je crois que nous allons assister à une véritable perte de mémoire institutionnelle.
Le Canada s'est attaché à avoir de bonnes relations avec des fonctionnaires américains, des relations durables de 20 ans et plus. Or, qui remplacera ces personnes lorsqu'elles prendront leur retraite? Beaucoup d'étudiants de la génération millénaire, les enfants des baby-boomers que j'ai en classe maintenant, ne se voient pas faire carrière dans la fonction publique, ou ils y songent comme une brève étape dans leur vie professionnelle — travailler par exemple quatre ou cinq ans pour le Département d'État ou l'USTR avant de passer au secteur privé. Cela va changer l'approche suivie par les États-Unis à l'égard du Canada et il nous sera très difficile de poursuivre les négociations.
Le président a beaucoup insisté sur les gestes symboliques que la présidence peut faire pour que les gens sachent quelles sont ses intentions. Je pense que c'est un peu l'emblème de son style de leadership, pour le meilleur ou pour le pire. Ses gestes — « drainer le marais », bloquer l'embauche de fonctionnaires, couper les budgets de façon spectaculaire — ont envoyé tous les signaux erronés à notre fonction publique et nous aurons désormais beaucoup de difficulté à poursuivre notre coopération dans les domaines que vous avez évoqués. Je pense que les États-Unis finiront par se faire une raison, mais nous avons eu la mauvaise habitude de faire abstraction d'un problème jusqu'à le laisser devenir trop grand, et voilà que nous réagissons de manière exagérée. Le renouvellement de la fonction publique est un domaine que nous avons négligé depuis longtemps. Nous sommes en train de réagir exagérément et ça va être la pagaille.
Je pense que le Canada a en fait une excellente opportunité, de planifier et d'élaborer des programmes à plus long terme. Aucune de nos négociations sur les accords de libre-échange ne se sont faites du jour au lendemain. Ma thèse doctorale portait sur le pacte canado-américain de l'automobile — celui de Chris aussi, d'ailleurs. Ce pacte a exigé beaucoup de temps et il y a eu de faux départs, mais cette politique commerciale et industrielle avant-gardiste continue de façonner nos échanges dans le secteur automobile 51 ans plus tard. Je pense que nous avons eu l'occasion de réfléchir, de planifier et de trouver un rôle de chef de file.
Parallèlement, le Canada doit s'occuper de ses propres affaires. J'ai été ravie de la publication de l'accord de libre-échange interprovincial la semaine dernière. Il contient de très bonnes choses, mais il y aurait mieux — il y aurait du travail à faire au chapitre de l'exclusion du vin et des spiritueux, par exemple. Quant au bois d'œuvre, il est très difficile de résoudre la question lorsque les quatre entités provinciales les plus présentes dans les négociations ont des politiques et perspectives différentes. Les États-Unis peuvent très facilement exclure le Canada.
Aussi, Chris et moi avons beau être absolument d'accord sur presque tout, je vais m'écarter un peu de son avis sur la Chine. Le Canada ne peut plus miser sur un seul marché et une seule économie, et les avantages économiques qu'il peut avoir avec la Chine, en particulier dans le secteur agroalimentaire avec le canola, sont si importants qu'il vaut la peine de prendre le risque d'entamer des négociations indépendantes.
J'affirme qu'il y a un risque. La Chine ne suit pas les règles reconnues du commerce international; l'asymétrie est énorme. En même temps, il est plus facile de travailler avec la Chine avec des règles que sans elles. Je félicite le Canada d'avoir eu un dialogue avec la Chine sur le besoin d'augmenter la rigueur et la portée des règles qui régissent nos échanges bilatéraux. J'espère, comme Chris l'a averti, que ce processus sera un moyen de nourrir et de soutenir le commerce nord-américain, tout comme les premières négociations du Canada avec l'Union européenne ont contribué à conditionner les négociations que je crois que les États-Unis poursuivent pour leur propre accord de libre-échange avec l'UE.
[Français]
Concernant le « rule-based framework », j'étais à Washington il y a quelques semaines. Il y avait des gens qui étaient sceptiques et critiques à l'égard de la Border Adjustment Tax, qu'on appelle BAT en anglais, ce qui est un peu effrayant. On ne s'entendait pas quant à la probabilité que cela se réalise.
J'aimerais obtenir votre opinion là-dessus. J'aimerais aussi savoir quelles seraient les conséquences de cette mesure pour l'Organisation mondiale du commerce.
Merci.
[Traduction]
Je ne vois vraiment pas comment la taxe d'ajustement frontalier pourra être appliquée compte tenu du volume excessif des documents que les entreprises devront présenter.
Ce n'est pas compatible avec les engagements pris à l'OMC, selon moi. L'OMC a longuement évalué divers types de taxes sur la valeur ajoutée. La TPS du Canada est considérée conforme parce qu'elle ne viole pas les règles de traitement national et ne fonctionne pas comme une subvention à l'exportation. Or, la taxe d'ajustement frontalier semble violer ces deux règles.
S'il en est ainsi, les États-Unis se disent tant pis pour ces règles, allons-y tout de go. D'autres partenaires commerciaux mondiaux ont répliqué qu'ils contre-attaqueraient avec leurs propres droits compensatoires. Or, selon les estimations de l'Institut Peterson pour l'économie internationale — vous trouverez le document sur son site Web — ces représailles peuvent supposer une somme de plus de 100 milliards de dollars pour les États-Unis, dont environ 40 milliards venant du Canada.
À tout point de vue, y compris celui du président lui-même qui n'est pas très chaud à l'idée de la taxe, on ne dirait pas que c'est une politique gagnante. En même temps, c'est un moyen d'obtenir des fonds pour un gouvernement qui en a désespérément besoin et qui ne veut nullement s'en passer.
J'utiliserai volontiers un peu de mon temps et je voudrais vous remercier tous les deux de vos témoignages si intéressants.
Madame Dawson, vous avez mentionné au début de votre témoignage les nombreux comités et représentants du Parlement et des entreprises qui se rendent à Washington. J'ai eu la chance d'y accompagner un groupe. Je préside le Sous-comité des droits internationaux de la personne et nous y sommes descendus avec un groupe multipartite il y a environ trois ou quatre semaines. Nous avons pu rencontrer des membres du Congrès, du Sénat et de la Commission Tom Lantos pour examiner la synergie qui existe sur les questions portant sur les droits internationaux de la personne et déterminer comment nous pouvons travailler ensemble.
C'était vraiment intéressant et il y avait clairement beaucoup de terrain d'entente. Nous avons rencontré un nombre plus ou moins égal de républicains et de démocrates à ce sujet. Nous nous sommes bien compris sur beaucoup d'enjeux, dont les Rohingyas au Myanmar, le Venezuela, le Burundi, les Yézidis et le Soudan du Sud, un certain nombre de domaines que notre sous-comité continue à étudier.
Je pense que républicains et démocrates se posaient des questions sur l'orientation que prenait l'administration. Il y a eu beaucoup d'entente entre les représentants des partis que nous avons rencontrés, mais quant à savoir ce que l'administration compte faire sur ces enjeux, ils ne savaient pas trop encore à quoi s'attendre.
Sur les 553 nominations clés qui nécessitent l'approbation du Sénat, je crois qu'il y a à peine une vingtaine qui ont déjà reçu une confirmation. Comme cela fait partie de la donne et que nous cherchons à sensibiliser les parlementaires américains, pourriez-vous nous parler un peu de cette incertitude et de la déconnexion entre eux et leur administration et comment nous devrions aborder la question. Sommes-nous en train de faire la bonne chose en communiquant au niveau du Congrès et du Sénat? Comment devrions-nous jouer?
Assez bien.
Il y a de l'incertitude et un manque de coordination. Il n'y a pas de grand programme ou dessein que nous puissions voir pour leur dire qu'ils ne devraient pas agir de telle ou telle façon.
Au lieu d'être les Canadiens aimables légendaires, je pense que nous devrions être des Canadiens omniprésents, car, comme le disent les Chinois, c'est en tâtonnant pierre à pierre qu'on traverse la rivière. Personne ne sait avec certitude où on s'en va.
Puisque le Canada siège à des comités des droits de la personne... J'ai entendu de grands compliments sur ce que le Canada a fait au sein de l'OEA pour le Venezuela, le... canado-mexicain...
Eh bien, chapeau!
Il y a les groupes d'entrepreneuriat féminin avec Justin Trudeau et Ivanka Trump. C'était aussi très bien.
La pièce Come From Away à New York a été excellente, car on est continuellement en train de se demander ce qui va se produire ensuite.
Si je dois vous donner un conseil pour vous aider à maîtriser l'art du commerce, c'est de ne pas vous contenter d'être des Canadiens aimables qui trouvent des terrains d'entente. Assurez-vous de demander quelque chose en leur rappelant à quel point vous êtes important pour eux.
Je participe à de nombreuses rencontres avec des fonctionnaires des États-Unis. Les Canadiens entrent et sortent. Quand ils s'en vont, le commentaire est le suivant: « Ils étaient très gentils. Que voulaient-ils au juste? »
Je pense que le bilan du Canada en matière de droits de la personne est remarquable. Il a toujours été cohérent sous les différents gouvernements — conservateurs et libéraux. C'est vraiment l'un des points forts du Canada.
L'engagement de l'administration Trump en matière de droits de la personne semble fort. Vous avez vu la réaction personnelle du président face aux enfants syriens tués au gaz. Il était pris aux tripes.
Le défi pour les États-Unis, c'est que même si elles ne sont pas entièrement concrétisées, les grandes coupures à l'aide étrangère — il est déjà question d'une réduction de 37 % au département d'État —, les empêcheront de s'engager sur ces questions. La rhétorique ne suffit pas. Le président aura beau s'exprimer, il faut des gestes et un suivi.
Il est difficile pour moi de demander au Canada d'aider à combler le vide, mais si nous dérapons, peut-être que nous pouvons compter sur les Canadiens pour nous le faire voir.
En définitive, nous devrions remarquer et financer ces choses nous-mêmes, mais si vous constatez un domaine qui n'a plus l'attention que les États-Unis lui accordaient par le passé, que ce soit en raison des coupures ou d'une distraction attribuable au roulement du personnel, dans la mesure où nous sommes du même avis, la voix du Canada sera plus importante que jamais.
Merci, monsieur Levitt.
Merci beaucoup à Mme Dawson et à M. Sands, tout particulièrement à M. Sands, pour avoir patienté. Nous avons beaucoup apprécié votre exposé et vos réponses aux questions ce matin, une fois que vous avez pu vous y mettre.
Ce débat est extrêmement important pour le Canada. Il est manifeste que les relations entre le Canada et les États-Unis sont un sujet très complexe, d'autant plus qu'elles datent depuis longtemps.
J'avoue que je suis entièrement d'accord avec vous: les Canadiens ont tendance à être très aimables, tellement qu'en quittant une réunion, il nous arrive de nous demander si nous étions là simplement pour échanger des propos aimables. Il n'y a pas de mal à être un peu plus strident. Je conviens avec vous que le Canada doit envoyer les messages appropriés au fur et à mesure.
Vous verrez beaucoup d'entre nous à Washington. Notre comité s'y rendra également, mais nous attendrons encore un peu, le temps de voir l'écart auquel vous faites allusion — toutes ces personnes qui n'ont pas été nommées et qui causent certains problèmes à l'administration Trump — commencer à se combler de lui-même. Je crois que l'automne serait un bon moment pour y aller.
Une fois de plus, mes remerciements au nom du Comité.
Chers collègues, nous allons prendre une petite pause de deux minutes avant d'accueillir nos prochains témoins.
Reprenons. Dans le cadre de notre étude sur les relations entre le Canada et les États-Unis et nos obligations en matière d'affaires étrangères, nous allons consacrer cette deuxième partie à entendre Mme Momani, professeur de l'Université de Waterloo; et M. Paul Heinbecker, membre distingué du Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale. Nous les avons accueillis tous deux à maintes reprises — pas moi, mais d'autres membres de notre comité.
Nous commencerons ce matin par Mme Momani pour passer ensuite à M. Heinbecker. Chacun d'eux fera un bref exposé et ensuite nous leur poserons des questions.
Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée.
J'ai reçu une liste de neuf questions sur lesquelles je pourrais m'étendre pendant des heures, mais je vais essayer d'y répondre en huit minutes. Espérons que ce sera utile.
Comme la plupart d'entre vous qui regardez les nouvelles aussi assidûment que moi le savez, il y a essentiellement beaucoup d'imprévisibilité. Comme nous ne savons pas à quoi nous attendre de la Maison-Blanche, il est extrêmement difficile de déterminer avec exactitude ce que sera la politique étrangère américaine d'une semaine à l'autre, tellement ça fluctue.
Je ne vous apprends rien en disant que le défi réside entre autres dans la tendance à personnaliser la politique étrangère. Je pense que le président des États-Unis agit souvent sur des coups de tête et qu'il se laisse influencer par des facteurs imprévisibles. Nous sommes dans un terrain inconnu.
J'ai beaucoup travaillé à Washington ces derniers temps, avec le FMI et Brookings, auquel je suis affiliée. Une bonne partie de mes entretiens avec des fonctionnaires de l'administration américaine, qu'il s'agisse du Trésor, des États ou de certains aspects de la défense, me laissent penser qu'ils ne sont pas de la partie. Il y a beaucoup de frustration à Washington.
Il y règne un véritable climat de malaise, qui est également attribuable à la grave pénurie de personnel et au manque de capacité et d'expertise, même à la Maison-Blanche, ce qui n'aide guère. Il y a beaucoup d'incertitude quant à savoir si des gens comme Jared Kushner et Ivanka Trump exercent oui ou non une forte influence sur la politique étrangère américaine, qui demeure très imprévisible. Franchement, il n'y a pas d'expertise dans leurs répertoires, ce qui rend la situation d'autant plus difficile.
Ce type de personnalisation de la politique étrangère signifie qu'il faut prévoir tous genres d'éventualités, les scénarios les plus favorables et les moins favorables sur toutes les questions de politique étrangère intéressant les États-Unis, car les choses sont extrêmement floues. On ne peut s'empêcher de voir qu'en cette semaine seulement, cinq importantes positions en politique étrangère ont été complètement inversées par Trump, de la manipulation de la devise chinoise aux questions sur la Russie, en passant par l'OTAN qui, n'est subitement plus obsolète. Il y a tellement de volte-face que ça donne le vertige quand on essaie d'analyser tout cela.
Pour ce qui est des enjeux à surveiller, je pense que le Canada a intérêt à faire attention à la dérégulation de l'industrie financière, car les retombées peuvent être positives et négatives, suivant le déroulement des choses. L'argent coulera à flots à l'issue de la dérégulation de certaines règles de Dodd-Frank, quand nous commencerons à assister à l'autonomisation de banques américaines plus modestes. L'administration Trump est très enthousiaste à cet égard et c'est qu'elle compte sur divers conseillers de Goldman Sachs, qui sont également très favorables au démantèlement de cette réglementation autrefois odieuse pour le secteur financier. Je pense que c'est un aspect à surveiller.
Côté commerce, j'ai remarqué que le Comité avait quelques questions là-dessus. C'est à surveiller, bien sûr. La guerre commerciale que tout le monde attendait entre la Chine et les États-Unis peut désormais être évitée. Il semble que l'administration Trump ait renoncé à penser que la Chine manipule les devises. Même si c'est un fait, là n'est pas la question. La valeur de la devise chinoise a en fait augmenté ces dernières années pour empêcher que l'argent quitte la Chine. C'était donc pour ses propres raisons politiques nationales et non pour obtenir un avantage commercial. Quant au moment de demander à la Chine de surévaluer sa monnaie, il aurait fallu le faire il y a trois ou quatre ans.
Les taux d'intérêt fédéraux sont un autre élément à surveiller. Des augmentations sont prévues, comme Janet Yellen l'a déjà fait valoir. Nous attendons au moins deux autres augmentations d'ici la fin de l'année. Retenez bien que Trump veut plutôt une diminution de ces taux. Le conflit pourrait donc être imminent. Encore une fois, il s'agit d'un président qui ne croit pas en l'indépendance de la banque centrale et c'est donc encore quelque chose à surveiller. Il va de soi que le Canada s'intéresse à tout mouvement des taux d'intérêt aux États-Unis.
Votre quatrième question cherchait à savoir ce qu'il en serait des enjeux frontaliers. Je pense que nous devons garder à l'esprit que beaucoup de ceux qui entourent Trump continuent à propager le mythe qu'un bombardier du 11 septembre est entré par la frontière canadienne. C'est quelque chose qui continue à faire les échos dans les fausses nouvelles et chez des personnes de l'entourage de Trump, tel Breitbart. Il faut donc que nous demeurions très conscients de la question. Je ne pense pas qu'il y aura nécessairement de véritables changements en matière de sécurité à la frontière, mais les décrets présidentiels ont donné une nouvelle marge de manœuvre aux garde-frontières américains. Ainsi, si le mythe se propage et s'il est bien intériorisé par ces agents, les Canadiens pourront avoir davantage de difficulté à traverser la frontière. C'est un véritable problème d'après moi.
Il s'agit bien entendu de surveiller les décrets présidentiels, car ils affectent outre mesure des Canadiens de divers milieux. Je peux vous parler de mon expérience personnelle. Si vous avez plusieurs timbres du Moyen-Orient sur votre passeport, on vous interrogera tout autrement. Il y a un problème et les Canadiens doivent s'en préoccuper. Le gouvernement doit réfléchir à la manière dont il devrait s'occuper de ces problèmes de discrimination à la frontière.
Un autre aspect à souligner d'après moi, c'est quelque chose de vraiment excitant du côté de la Russie. Pour en revenir à un point qui a déjà été soulevé, il y a eu beaucoup de changements au cours de la dernière semaine. Alors que nous nous attendions à une détente accrue entre Trump et Poutine, il semble que c'est plutôt cahoteux. Quant à la façon dont cela affectera l'OTAN, je pense qu'il est réconfortant d'entendre des gens comme Trump et Tillerson réaffirmer leur engagement à l'endroit de l'OTAN et de l'alliance. Bien entendu, si Trump recommence à dire que l'OTAN est obsolète ou qu'il faut renverser l'alliance, ce sera problématique.
Quant aux alliés en Europe de l'Est, ils sont toujours aussi anxieux de faire partie de l'OTAN. Les troupes russes s'approchent de la Biélorussie, par exemple. On ne saurait pas non plus faire abstraction de l'occupation continue de la Crimée, de l'est de l'Ukraine et de la Géorgie. D'après ce que j'ai constaté en assistant à diverses conférences sur la sécurité en Europe de l'Est, les dirigeants de ces pays ont très, très peur. Ils sont constamment bombardés par de fausses nouvelles dans leur propre langue. Ils n'ont pas accès aux mêmes nouvelles gouvernementales, à des réseaux privés ou à diverses opinions susceptibles de contrer certaines de ces fausses nouvelles. Dans de nombreuses régions d'Europe de l'Est, il existe une prépondérance de médias russes ou soutenus par la Russie qui font vivre les alliés dans la crainte. C'est un message assez puissant que nous ne saurions négliger à mon sens.
Bien sûr, à présent que nous nous dirigeons vers des élections très importantes en Allemagne et en France, la pénétration russe est bien documentée. Que ce soit le soutien pour Le Pen et d'autres ultra-nationalistes en Allemagne ou simplement la prépondérance des fausses nouvelles, c'est à surveiller. Quant à l'administration Trump, la semaine dernière, j'aurais dit qu'il essayait complètement d'éviter cet argument et maintenant, cette semaine, nous avons entendu Tillerson parler de fausses nouvelles russes en Europe de l'Est. Il est vraiment dur d'y voir clair.
Mes quelques minutes restantes porteront sur la politique des États-Unis envers le Moyen-Orient et le plan d'action global commun, le JCPOA. En ce qui concerne la politique étrangère des États-Unis envers le Moyen-Orient, tout ce que nous avons vu la semaine dernière a ébranlé beaucoup de nos hypothèses de longue date. Cependant, je pense que l'attaque contre la Syrie par l'administration américaine est une chose limitée et ponctuelle. Je ne m'attends pas à voir plus d'escalade. Je ne pense pas que les Américains veuillent mettre plus de bottes sur le terrain. Ils ont déjà environ 5 000 soldats, peut-être un peu plus, entre l'Irak et la Syrie dans la lutte contre l'EIIL. Je ne vois pas beaucoup d'appétit là-bas.
Il faut lire l'analyse très judicieuse de personnes comme Mattis et d'autres au Pentagone qui, je pense, sont très prudentes à l'idée de s'impliquer ou de s'enchevêtrer davantage au Moyen-Orient. L'attaque elle-même, 59 missiles Tomahawk sur la base aérienne syrienne, n'a probablement pas excessivement démantelé la capacité de la Syrie, mais elle a donné un signal positif, du moins au régime d'Assad, qu'il est un type d'arsenal tout à fait inacceptable, c'est-à-dire les armes chimiques.
Cela n'empêchera évidemment pas le régime syrien de poursuivre son agression très cruelle contre son peuple avec des armes conventionnelles. Cela se poursuivra.
Si vous me le permettez, je parlerai très rapidement de la situation syrienne et de ce qui va se passer d'après moi. Les gouvernements syrien et russe semblent avoir un plan pour continuer à dépeupler et à frapper des endroits comme Ghouta, Daraya et d'autres parties de Madaya, en essayant essentiellement de récupérer les quelques poches qui restent au sud du pays et autour de la capitale. Ils essaient d'attaquer des segments continus de population, afin que les rebelles dans ces régions déposent leurs armes et acceptent essentiellement d'être réinstallés à Deir ez-Zor dans le nord.
Tant que le régime syrien pourra reprendre l'autoroute d'Alep-Damas à la côte, je pense qu'il sera satisfait. C'est ce que beaucoup d'agents internes du régime syrien continuent d'appeler la partie utile de la Syrie. Je pense qu'il s'efforce d'y arriver et qu'il lui faudra encore trois à quatre ans.
En ce qui concerne la lutte contre EIIL, plus généralement, les choses se sont très bien passées dans certaines parties de l'Irak. Or, beaucoup ne se sont pas aperçus que certaines parties comme Ramadi ont vu une réinsertion d'EIIL en raison du manque de gouvernance ou de l'incapacité du gouvernement central d'entrer et de stabiliser la situation. Il existe un risque, tout comme à Palmyre, que les gouvernements, syrien aussi bien qu'irakien, ne soient pas bien équipés pour maintenir réellement le contrôle des villes qu'ils libèrent. C'est vraiment une préoccupation.
Quant à Mossoul, l'est de la ville a été libéré. On procède lentement dans l'ouest, ce qui est une bonne chose à cause de sa grande densité. On se précipitera pour essayer de terminer ceci avant l'arrivée des grandes chaleurs, car elles sont tout à fait intolérables à Mossoul comme partout en Irak. La bataille se fait rue par rue. Bien entendu, les Américains ont changé leurs règles d'engagement. Je pense qu'il est stupide de le nier. Il y a eu un changement dans les règles d'engagement, ce qui signifie que les Américains ont reçu la consigne d'intensifier les agressions aériennes sur l'ouest de Mossoul. Cela a augmenté le nombre de décès parmi les civils. C'est donc à déconseiller.
Est-ce qu'il nous reste du temps pour parler du JCPOA ou dois-je conclure?
Merci, mesdames et messieurs.
J'ai également examiné cette liste et j'ai décidé de m'en tenir à une ou deux questions. Je suis entièrement d'accord avec ce que Bessma a dit. Nous avons travaillé ensemble pendant longtemps, ce qui fait nous avons fini par avoir une même vision des choses.
Je parlerai un peu de la politique étrangère de Trump. Comme Bessma le disait, l'imprévisibilité et l'incertitude semblent être les mots d'ordre. La meilleure description de la politique étrangère de Trump que j'aie vue était une bande dessinée dans le Washington Post d'hier. On y voit Trump armé d'un genre de canon qui daterait de la guerre civile, faire un gros trou dans le mur du Bureau ovale. Il dit à son adjoint, Reince Priebus, « Bon, maintenant dessinez-moi une cible autour de ça. » Ensuite, la deuxième ligne dit: « Et demandez à Spicey de la distribuer aux journaux. »
Il s'agit d'un gouvernement qui n'a pas de politique étrangère. Il a des impulsions erratiques, ce qui rend les gens littéralement nerveux dans le monde entier.
Je voudrais parler un peu plus concrètement du budget proposé par les États-Unis, des compressions et de ce qui peut en résulter. On prévoit une coupure d'environ 10 milliards de dollars au Département d'État — soit environ 28 % de son budget —, ce qui sera particulièrement lourd pour les Nations unies et d'autres organisations. On parle toujours beaucoup de la taille du budget des États-Unis et des sommes dépensées. Le budget de l'ONU tourne autour de 13 ou 14 milliards de dollars et la part des États-Unis est d'environ un quart. Si on soustrait ce quart, on aura un trou de 4 milliards que d'autres devront trouver le moyen de combler ou il s'agira de couper les programmes qui ne seront pas nécessaires. La part canadienne du budget de l'ONU est d'environ 3 %.
Il y a toujours beaucoup de malentendu dans l'esprit des gens sur la taille du programme d'aide. Un sondage récent m'a appris que les Américains pensent qu'un tiers de leur budget est destiné à l'aide étrangère, alors qu'il s'agit en fait d'environ 1 %. La part canadienne se dirige également dans cette direction. Il s'agira de se rattraper.
J'ai étudié cela à la fin des années 1990, quand les Américains ont décidé de cesser de régler la totalité de leurs cotisations. La facture était importante mais ils ont fini par payer et l'ONU a été essentiellement restaurée.
On a parlé à l'époque de réduire la part des États-Unis du budget de l'ONU à environ 15 %. Ce discours ne provenait pas de Washington, mais de la table à l'ONU, car les gens voulaient réduire l'influence des Américains dans l'organisation. Le paradoxe, c'est que nul ne profite davantage de l'ONU que les États-Unis et ils sont les premiers à faire fi de l'organisation.
Je dirai un mot ou deux au sujet de l'importance de l'ONU et de la raison pour laquelle nous ne devrions pas l'abandonner. Tout d'abord, la Charte des Nations unies fournit les règles internationales que la plupart des pays acceptent presque invariablement. C'est dans leur intérêt. C'est le seul livre de règles qui existe pour la situation politique stratégique internationale.
Ensuite, il y existe une sorte de diplomatie permanente, qui n'est pas bien comprise. Il n'y a pas eu de guerre entre les grandes puissances depuis la Corée et là encore, ce serait une exception car la Chine ne faisait pas partie des Nations unies ni du Conseil de sécurité.
Il n'y a pas eu de guerre depuis 1945 entre les puissances membres du Conseil de sécurité. C'est en partie parce qu'elles sont là, du matin au soir, au Conseil de sécurité de l'ONU. Les cinq membres permanents sont maîtres du Conseil — n'en doutez pas — et ils se réunissent constamment, du matin au soir, souvent pendant le week-end. Je suis le dernier Canadien à avoir siégé au Conseil de sécurité de l'ONU, et si l'on vous raconte que personne n'est chez lui le week-end et que personne n'est là après 17 heures, c'est de la légende urbaine. Je me rappelle avoir siégé des nuits entières et avoir été maintes fois appelé en pleine nuit pour une réunion.
C'est une diplomatie sans arrêt, et cela signifie que les Russes, les Américains et les Chinois connaissent la ligne rouge de chacun des autres, savent où sont les limites, et ne déclencheront pas la guerre par erreur de calcul ou par malentendu.
Une troisième valeur du Conseil de sécurité de l'ONU est qu'il a essentiellement stigmatisé l'agression. Pourquoi les Russes se faisaient-ils passer pour des petits hommes verts en Crimée? Ils ne voulaient pas admettre qu'ils violaient le droit international. L'une des grandes et délicieuses ironies de la situation syrienne est que les Russes se sont précipités au Conseil de sécurité pour se plaindre que les Américains violent le droit international: quelle chose terrible?
Eh bien, à certains égards, c'est très regrettable, mais c'est aussi très compréhensible. Si la loi vous empêche de secourir des personnes qui sont gazées et bombardées par leur propre gouvernement, alors la loi est stupide et il faut y faire quelque chose, et c'est ce que nous avons vu. Tel était l'espoir, du moins, avec Trump.
Toujours avec Trump, par contre, il y a plus que cela — ou moins — et, dans ce cas précis, s'ils ne font pas de suivi, les Américains pourraient bien avoir aggravé plutôt qu'amélioré la situation en Syrie, parce que la population a désormais des attentes. Pour les Syriens ordinaires qui ont espéré des secours, il n'y en aura probablement pas.
Il y aurait des choses à faire. Bessma et moi en avons parlé à diverses occasions. À chaque stade de cette crise, il a été plus facile d'agir la veille que le lendemain. Il en va de même pour les zones d'exclusion aérienne et les zones sûres. Ainsi, le gouvernement turc préconise depuis le tout début qu'il y ait un endroit en Syrie — et il a plus qu'une seule motivation pour cela — où les Syriens pourraient se rendre et être en toute sécurité sans avoir à prendre leurs chances dans la Méditerranée.
Mon temps est écoulé, monsieur le président.
Merci, monsieur Heinbecker.
Il est de la même génération que moi — bien à l'heure.
Très bien, commençons par M. Anderson, s'il vous plaît.
Merci, monsieur le président.
C'est un plaisir d'être au Comité aujourd'hui. J'aurais plusieurs avenues à explorer pendant le peu de temps dont je dispose. Madame Momani, j'aimerais vous demander quel rôle les gouvernements d'État devraient jouer pour protéger notre relation commerciale. Sauf erreur, le Canada est le principal partenaire commercial de plus de trois douzaines d'États.
Pourriez-vous commenter?
Oui. C'est une bonne question et les États ont des pouvoirs très vastes et une grande marge discrétionnaire. Si vous me permettez, je rattacherai la question au Plan d'action global conjoint, le PAGC. Même avec l'effondrement multilatéral de... pour le retrait de certaines sanctions contre l'Iran, par exemple, avec le PAGC, les États conservent un grand pouvoir discrétionnaire. À cause de cela, c'est devenu un cauchemar juridique pour les investisseurs américains de faire quoi que ce soit en Iran. Il y a beaucoup de pouvoir au niveau des gouvernements d'État.
Cela soulève un point important de diplomatie économique, car un grand nombre de ces gouvernements d'État peuvent, à certains égards, être nos meilleurs partenaires, et peuvent aussi, selon moi, succomber à leur populisme au point de ne pas nous voir comme des partenaires, mais comme des voleurs d'emplois et d'autres services. Cela dépend véritablement de la diplomatie publique État par État.
J'ai vu le meilleur et le pire de cela. Certains gouverneurs se sont affirmés en disant qu'ils n'ont pas besoin de ces taxes frontalières de rajustement, mais le marquage du pays d'origine vient de certains des États frontaliers, et le boeuf va et vient sans cesse. Ils auraient dû avoir plus de jugement, mais certains intérêts spéciaux ont très bien tiré leur épingle du jeu.
Essentiellement, les États-Unis veulent dominer le secteur de l'énergie. Ils ont apporté un grand changement, selon moi, dans leur engagement envers le changement climatique et certaines de ces choses-là. Selon vous, quelle sera leur relation avec l'Arabie saoudite et certains des autres pays producteurs de pétrole désormais? Vaudra-t-il la peine d'étudier le financement de l'extrémisme que l'on a constaté dans quelques-uns des pays, et surtout en Arabie saoudite, au fil des ans? Cela entrera-t-il en ligne de compte dans la conversation sur l'énergie, selon vous?
Pour ce qui est de la conversation sur l'énergie, l'industrie américaine, aujourd'hui, tout comme la canadienne, cherche à faire monter le plus possible la valeur du dollar par baril, parce que, franchement, une bonne part de l'industrie de la fracturation, où se trouvent aujourd'hui le gros des gains économiques des États-Unis, a besoin que le cours du pétrole s'établisse à 60 $ ou 70 $ le baril, et qu'elle ne sera pas rentable tant que le prix restera dans les 50 $. C'est un enjeu clé que nous observons également dans les sables bitumineux.
Ce que cela signifie pour les relations américano-saoudiennes, honnêtement, c'est que nous sommes à une époque où le pétrole n'a plus tout à fait sa place dans l'équation. La relation américano-saoudienne, du moins pour la Maison-Blanche d'aujourd'hui, s'articule davantage sur l'Iran. C'est là que sont concentrés une bonne part de ces deux alliés, et c'est là que les esprits se rencontrent. Les États-Unis et l'Arabie saoudite ont une très forte convergence de vues sur l'Iran: l'Iran est la bête noire de la région; il faut le contrer; il est expansionniste, au Yémen comme en Syrie; la dimension pétrolière est donc intéressante; je suis d'accord là-dessus. Dans ce cas, les Saoudiens souhaitent aussi une remontée des cours du pétrole maintenant. Ils ont déjà inondé le marché de leur pétrole pour en maintenir le coût à bas niveau afin de mettre la pression sur les Iraniens, mais c'est fini maintenant et les Saoudiens ont envie de voir le prix remonter.
Sur le même point, si vous me permettez, la raison pour laquelle les cours du pétrole sont si bas ne tient pas aux politiques de l'Arabie saoudite ou de l'OPEP. La réalité est que l'économie mondiale ne croît pas suffisamment et que les principaux acheteurs de pétrole dans le monde, des pays comme la Chine et, dans une mesure moindre, l'Inde et d'autres, ne connaissent pas la même croissance qui justifierait la marque magique de 150 $ que voudrait l'industrie pétrolière. Le cours du pétrole n'augmentera pas jusqu'à produire des taux de croissance du PIB de 46 % en Chine, par exemple.
Selon vous, quelle sera la place de la Turquie dans cette relation? Bien sûr, il y a toute la question kurde qui se pose par l'activité de Daech. Nous avons passé pas mal de temps au sous-comité des droits de l'homme à parler de la situation yézidie et des problèmes qui se posent dans les plaines de Ninive, mais comment voyez-vous les relations entre la Turquie et les États-Unis dans cette relation dont vous parlez également?
Encore une fois, il y a quelques semaines, j'aurais été plus confiante dans une analyse parce que le général Flynn se trouvait au coeur de la relation américano-turque, le général Flynn qui, nous le savons tous, est aujourd'hui discrédité. Flynn avait travaillé comme entrepreneur pour les Turcs, mais il aurait aussi promis à Erdogan et à d'autres en Turquie d'enlever et de prendre Gülen, le prêcheur autoproclamé et méprisé que l'establishment turc considère comme un cerveau du coup d'État terroriste de juillet de l'an dernier, de sorte que les Turcs donnaient l'impression de se lier d'amitié avec Flynn, et c'est pourquoi nous avons joui d'un certain appui réservé de Trump pour cela.
Bien sûr, maintenant que Flynn n'est plus là, c'est très difficile à dire. Trump et Erdogan sont censés se rencontrer très bientôt. Ce sera très intéressant à observer parce que, naturellement, la Turquie est un allié vital dans la lutte contre le groupe armé État islamique. Les États-Unis ont besoin de la Turquie pour sécuriser la frontière, pour faire cesser l'approvisionnement de l'État islamique comme avant. La frontière n'était pas la priorité de la Turquie jusqu'à ce que nous voyions une grande quantité d'armes la déjouer. Certes, pour la Turquie, tout concerne les réfugiés, et le besoin de trouver des alliés pour appuyer ses appels à la collectivité mondiale pour le financement de ces réfugiés et appuyer ses efforts pour poursuivre la lutte contre les Kurdes dans le Sud; c'est donc mixte.
Enfin, Trump a donné un appui solide aux Turcs, du moins dans ses propos. Il ne reconnaît pas vraiment que les Kurdes sont partout, de sorte que son amour pour les Kurdes en Irak, par exemple, pour les peshmergas, n'est pas nécessairement un amour pour les Kurdes turcs ou les Kurdes syriens, ce que ne comprennent pas toujours le gouvernement turc et les Kurdes eux-mêmes.
Monsieur l'ambassadeur Heinbecker, j'allais vous poser une question sur le témoignage de M. Sands concernant l'accord d'Ogdensburg, et en particulier la Commission mixte de défense. Il a exprimé l'avis que, étant donné que c'est le 60e anniversaire du NORAD, et que la défense et la sécurité sont un souci pour les Américains, le moment serait idéal pour revoir l'ensemble du fonctionnement de la Commission mixte de défense. Je porte un intérêt personnel à la question, parce que je suis le coprésident canadien de la prochaine réunion, qui aura lieu en juin.
J'aimerais connaître votre pensée au sujet d'abord de la grande question de savoir s'il faut revoir l'ensemble de l'accord d'Ogdensburg, et ensuite des points particuliers que le Canada devrait, selon vous, inscrire à l'ordre du jour de cette réunion en juin.
La Commission permanente mixte de défense est là depuis l'accord d'Ogdensburg. Dans les premiers temps, c'était une organisation plus essentielle qu'aujourd'hui. Par ailleurs, elle est utile. La diplomatie militaire et politique est particulièrement utile aujourd'hui parce que, parmi bien d'autres choses que nous ignorons, nous ne savons pas quelles sont les attitudes de Trump à ce sujet, non plus. Il est arrivé au pouvoir avec une sorte d'expertise internationale acquise dans les cocktails de New York, et son intérêt fondamental pour les relations internationales était le genre de choses où il croyait ce qu'il avait pu entendre d'intéressant la veille au soir — et qu'il croit encore, apparemment.
Il est dans l'intérêt du Canada que la CPMD soit maintenue et qu'elle se réunisse périodiquement. Je ne sais pas si elle doit faire beaucoup plus que tout simplement exister. Il est plus facile de maintenir un organisme en marche que de le créer lorsqu'il est disparu. C'est essentiellement le cas de la CPMD. Elle réunit des militaires et des politiciens de haut rang, ce qui crée une certaine mesure de sympathie que l'on n'aurait pas autrement. C'est une assurance pour le jour où on pourrait en avoir besoin.
Quant à l'ordre du jour, l'un des points que nous pourrions mettre à l'ordre du jour canado-américain est les dépenses militaires. Il y a quelques années, nous avons fait un exercice dans l'Arctique canadien à peu près en même temps que les Russes en ont fait un dans leur Arctique. Notre exercice a mobilisé 200 Rangers canadiens. Le leur a mobilisé 30 000 militaires russes, 14 navires de guerre et toutes sortes d'équipement militaire. Si j'étais à la place des Américains, je voudrais voir à l'ordre du jour de la CPMD — et peut-être même soulever dans le contexte du NORAD — une discussion sur ce que l'Armée canadienne a l'intention de faire à ce sujet. Nous sommes au plus bas niveau de dépenses militaires depuis la Seconde Guerre mondiale, du moins selon ce qu'affirmait Granatstein il y a quelques années. Nous sommes à l'un des plus bas niveaux jamais vus pour l'aide étrangère. Les ressources consacrées dans ces deux domaines de notre politique étrangère ne font rien pour notre crédibilité lorsque nous nous disons efficaces au niveau international.
Dans une perspective canadienne, j'aimerais voir un plus grand intérêt pour l'Arctique. J'aimerais voir une plus grande collaboration avec les Américains, mais j'aimerais voir une place plus solide pour le Canada dans cette collaboration.
Merci.
Madame Momani, dans l'accord sur le bois d'oeuvre, qui fait le désespoir de tous les négociateurs commerciaux, nous semblons tourner en rond. La principale raison pour laquelle cet accord nous fait tourner en rond est que c'est un commerce géré et que l'industrie américaine du bois d'oeuvre jouit d'un droit de veto. Nous n'arrivons pas à en sortir. Nous pouvons continuer de faire ce que nous faisons, c'est-à-dire négocier, pour peut-être remonter à l'OMC, où nous avons un règlement massif en notre faveur, auquel, d'une façon ou d'une autre, nous renoncerions; ou nous pourrions prendre une autre approche.
Une des différences pourrait être que, lorsque nous rouvrirons l'ALENA — M. Trump semble bien aimer l'idée de rouvrir l'ALENA —, nous insistions pour y inscrire le bois d'oeuvre. Il pourrait y avoir d'autres idées. J'aimerais connaître vos réflexions sur la façon de gérer ce problème extrêmement irritant.
Je ne saurais me dire experte là-dessus, mais pas du tout, pour être bien honnête avec vous.
Je dirais simplement que le mécanisme de règlement des différends de l'OMC... Une des positions que nous devrions prendre serait de chercher à renforcer celui de l'ALENA... Je pense que cela nous favorise. Une des possibilités, ou la bonne nouvelle, de la réouverture de l'ALENA est que nous pourrions renforcer le mécanisme de règlement des différends. Celui de l'OMC, je pense, a généralement bien fonctionné.
Naturellement, dans ce cas particulier avec le gouvernement Trump, toute l'imprévisibilité et, honnêtement, une tendance protectionniste, signifient que ce que nous pouvons faire pour que le mécanisme de règlement des différends soit utilisé sous l'une ou l'autre forme facilitera vraiment notre positionnement, car rien ne saurait justifier ce que nous voyons venir du gouvernement américain.
Permettez-moi de revenir sur vos commentaires concernant la loi Dodd-Frank pour vous demander de nous en dire plus long sur votre préoccupation dans ce cas. Je sais qu'ils mettent au rancart l'amendement Cardin-Lugar, de sorte que la corruption pourra vraiment être bien occultée encore une fois. Quelles sont vos autres craintes quant à la façon dont l'abrogation pratique efficace de la loi Dodd-Frank se répercutera sur les institutions financières canadiennes?
Bonne question. Pour être honnête avec vous, je ne saurais vous dire quel serait l'effet sur les institutions financières canadiennes. Les économistes du monde, je pense, craignent que l'argent soit massivement dirigé vers les États-Unis dans l'espoir qu'il rapporte de meilleurs rendements.
Les financiers, comme nous le savons tous, salivent à l'idée de pouvoir reconditionner ce qu'on a appelé les actifs toxiques. C'est donc toute la question du reconditionnement possible de ces actifs toxiques qui a essentiellement, motivé l'adoption de la loi Dodd-Frank. Il fallait empêcher ce genre de manoeuvre. Ma crainte se situe au niveau mondial: je crains de fait que nous commencions à voir le capital délaisser certains de ces avoirs immobiliers et s'investir dans ces genres de rendements financiers éventuellement lucratifs. Nous le percevons dans les craintes exprimées au sujet de la crise du logement, aujourd'hui, et nous pouvons le constater ailleurs, où l'on craint la formation de bulles dans différents marchés immobiliers.
La crainte devrait être plus mondiale. Je ne dis pas que l'abrogation de la loi Dodd-Frank va provoquer d'autres crises financières internationales, car il y a de nouvelles protections au niveau international, au niveau de la Banque des règlements internationaux et dans l'accord de Bâle III. Il se passe beaucoup de belles choses à l'échelle internationale pour empêcher que la chose se reproduise, mais il y a ce que nous, au niveau de l'économie publique internationale, appelons un « capitalisme de casino » appliqué au monde d'aujourd'hui, où les rendements donnent faim.
Impossible de trouver des gens plus excités que ceux qui sont à Wall Street aujourd'hui, qui peuvent espérer le retour d'exactement les mêmes conditions qu'en 2006 et 2007, lesquelles ressemblaient beaucoup à ce que nous avons aujourd'hui, c'est-à-dire des prix de l'immobilier très élevés, une incursion dans le marché hypothécaire et un tas de gens qui ne devraient pas avoir d'hypothèque, mais qui en ont, et la même sorte de faim mondiale pour les gros rendements — qui, honnêtement, ne viennent pas des autres marchés — arrivant à flots aux États-Unis.
Ces genres de facteurs mondiaux m'inquiètent. C'est l'aspect mondial qui pourrait avoir un potentiel négatif pour le secteur bancaire canadien, spécifiquement.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie beaucoup les deux témoins de leurs présentations toujours aussi riches et intéressantes.
Je ne peux pas m'empêcher de mentionner deux gazouillis du président Trump ce matin. Je vais lire le premier textuellement:
[Traduction]
« Les choses vont s'arranger entre les États-Unis et la Russie. Au bon moment, tout le monde reprendra ses esprits et il y aura une paix durable! »
[Français]
Dans l'autre gazouillis, il dit avoir
[Traduction]
« confiance que les Chinois sauront traiter comme il se doit avec la Corée du Nord. S'ils en sont incapables, les États-Unis, avec leurs alliés, s'en chargeront! »
[Français]
On a toujours l'impression de se faire souffler le chaud et le froid et on ne sait plus sur quel pied danser. Évidemment, il y a des répercussions sur les relations bilatérales, mais il y en a aussi à l'échelle mondiale, et le Canada sera touché. On parle d'une crise économique potentielle et de toute la question de la sécurité mondiale. Là où le Canada est situé géographiquement, à partir du pôle Nord, il est quand même dans une position pas tout à fait confortable.
J'ai une drôle de question pour vous, mais je ne peux pas m'empêcher de la poser. Qu'est-ce que le Canada peut faire, en collaboration avec ses alliés européens, le Mexique, le Japon ou d'autres pays, pour amener un peu plus de prévisibilité et de stabilité dans la situation actuelle? Je sais que c'est une question étrange, mais je devais la poser.
[Traduction]
Qu'est-ce que le Canada peut faire au sujet de l'incertitude créée par Trump, et quelles répercussions cela a-t-il sur la politique étrangère du Canada, avec l'accent que nous mettons sur multilatéralisme — la Banque mondiale, le FMI, l'ONU et l'OTAN? L'OTAN n'est plus désuète, mais elle pourrait le redevenir bientôt si les Russes ont leur... et les Américains emboîtent le pas, comme le président Trump le prédit.
Il y a deux ou trois choses, à mon sens.
D'abord, ce n'est pas dans tous les cas, mais il semble bien que quiconque a pu être le premier à parler à Trump l'a fait changer d'idée. Le premier ministre Trudeau s'est amené là-bas très tôt, je pense, avec une très bonne stratégie, avec certaines choses qui étaient intéressantes pour lui et pour sa famille. Cela a lancé les relations sur un parcours qui est bien moins dangereux qu'il aurait pu l'être. Je ne pense pas que tout se résume à cela. Il y a des personnes... Je pense en particulier au futur secrétaire Ross et aux négociations de l'ALENA, où la liste semble largement dépasser les petits rajustements.
J'ai déjà été à l'ambassade à Washington et, avant cela, directeur des relations avec les États-Unis au ministère des Affaires étrangères. À mon sens, le gouvernement a traité la situation aussi bien qu'il pouvait. Je ne dis pas cela pour des raisons partisanes.
Le premier ministre y est allé tout de suite. C'était constructif. Les ministres passaient beaucoup de temps à Washington à cultiver les personnes, à monter sur la Colline et à voir tout le monde qu'ils pouvaient. Les premiers ministres des provinces ont été mobilisés. Tout le monde est au travail pour faire en sorte que la relation américaine ne déraille pas. La grande priorité pour tout gouvernement canadien, la grande priorité en politique étrangère, ce sont les relations avec les États-Unis. Je pense qu'elles vont très bien. Je pense qu'il est important d'aller voir le président.
Je ne dis pas que tout s'est bien passé dans tous les cas. Cela ne s'est pas particulièrement bien passé avec Mme Merkel, par exemple. Honnêtement, je ne pense pas que vous pouvez inviter le président de la Chine à votre table, faire tourner les caméras et lui dire que des fusées ou des missiles sont en route vers la Syrie. Cela le ferait paraître complice. Il y aura des troubles de... Cela n'est pas près d'être oublié. Cela n'a pas été vu comme très poli.
Généralement parlant, le président a le degré de raffinement que l'on trouve chez les gens d'affaires de New York, mais sa courbe d'apprentissage est presque verticale. Son entourage au Département d'État et à la Maison-Blanche trouve sa place. Il apprend, comme bien des gouvernements l'ont appris avant lui, que les personnes qui vous font élire ne sont pas celles qui vous maintiennent au pouvoir ou qui vous font réélire. Nous observons un grand ménage là-bas.
Comme l'a dit un de vos témoins qui m'a précédé — M. Sands, je crois —, il y a eu très peu de nominations. Tout dépend du raffinement, de l'énergie, et de la capacité des personnes qui sont directement à la Maison-Blanche pour tout simplement continuer de travailler. Heureusement, il y a, c'est sûr, certains bourreaux du travail — le mot est peut-être juste — qui travaillent là.
Nous pouvons maintenir ce genre de politique, veiller à ce que les personnes qui comptent sur la Colline comprennent ce dont nous parlons.
Soit dit en passant, à titre de commentaire sur l'importance des États, nous avons une bonne nouvelle à annoncer au sujet de 35 États dont la principale relation économique à l'international est avec le Canada, et au sujet du nombre d'emplois qui en dépendent. Mais, n'oubliez pas que c'est un tout petit pourcentage de leur PIB. Si cela devait disparaître, ce serait très regrettable, mais ce ne serait pas la catastrophe. Nous sommes dans une position où, comme toujours, nos relations sont beaucoup plus importantes pour nous qu'elles ne le seront jamais pour eux, quoi que nous fassions.
Un dernier point, dirais-je — et on pourrait en parler toute la matinée — est que nous devons prendre garde de ne pas pousser les Mexicains sous l'autobus. Je ne pense pas que ce soit dans notre intérêt. Trump pourrait être là jusqu'à la fin du monde, mais, très probablement, il a huit ans, ou quatre. Il sera parti, et les composantes mexicaine et latino-américaine de la politique américaine prendront encore plus d'importance.
Nous devons penser au long terme ici également. Il est dans notre intérêt de veiller à ce que, quoi que nous fassions, notre relation avec le Mexique ne soit pas sacrifiée à un intérêt qui pourrait disparaître dans quatre ans.
Merci.
Bonjour à vous deux — deux personnes de mon coin —, et merci beaucoup d'être là aujourd'hui. Je suis très heureux de vous accueillir.
Je pense avoir le temps pour une seule question, et je vais la poser à Mme Momani.
Je voudrais parler de Bretton Woods, et du FMI en particulier. Comme vous le savez, Bretton Woods a été créé pour renforcer l'ordre international économique libéral. Nous sommes au courant aussi de la formation de la Banque mondiale et du FMI.
Un des grands principes ressortis de cet accord est que nous réduirions le concept de l'appauvrissement du voisin, qui a pris une grande importance dans notre désir d'accroître le libre-échange. Nous avons entendu hier les commentaires de Christine Lagarde, selon qui la restriction du commerce serait de l'automutilation.
Avec le gouvernement américain d'aujourd'hui, surtout avec l'orientation du président Trump, qui voudrait se retirer de certaines institutions mondiales, ainsi qu'avec la présence au sein de son équipe du Trésor de personnes qui ne sont pas des champions du FMI, comment allons-nous maintenir cet ordre international libéral si les États-Unis ne sont pas nécessairement en faveur du FMI? Comment cette relation va-t-elle déboucher sur une relation à l'échelle mondiale?
Pourriez-vous nous donner votre commentaire à ce sujet?
Je ne saurais être plus d'accord.
En effet, les Américains viennent de nommer le sous-secrétaire du Trésor, qui aura la responsabilité du dossier du FMI. Cette personne est bien connue pour ses critiques à l'endroit du FMI.
La réalité est que le FMI, tout comme l'ONU, avantage plus les Américains que n'importe qui d'autre. À vrai dire, dans le cas du FMI, la contribution des Américains est de 17 % des ressources — c'est leur quote-part du FMI —, mais le FMI est un énorme gain pour les sociétés américaines et pour la position commerciale des Américains. Leurs vues anti-FMI placent les Américains dans une drôle de position. Elles découlent de la conviction que, d'une certaine façon, les Américains assurent 99 % du financement.
Selon un point de vue de la droite qui est très farouchement défendu par le Tea Party au sujet du FMI, le FMI est en quelque sorte un sauvetage ou du bien-être mondial pour les pays. C'est tout le contraire, mais on ne le croit pas. Ce n'est pas un sauvetage. Les pays peuvent emprunter au FMI. De fait, en veillant à ce que ces pays ne fassent pas faillite, le FMI leur donne les moyens de continuer d'acheter et de survivre comme pays et comme membres qui contribuent à l'économie mondiale.
Comme vous le savez, le mandat prévoit que la présidence du FMI revient à un Européen et celle de la Banque mondiale à un Américain. Croyez-vous qu'il pourrait y avoir des tensions dans ce cas, parce qu'il est dirigé par une Européenne, et qu'il pourrait ne pas être aussi favorable à...
Je n'ai pas entendu leurs commentaires au sujet de la Banque mondiale; la plupart des commentaires visaient le FMI.
Oui, c'est ironique, parce que la Banque mondiale, franchement, est l'endroit où il y a beaucoup plus de gaspillage. Si vous voulez parler de bien-être social et être une sorte d'analyste de la droite à cet égard, vous observerez beaucoup plus de critiques valides reprochant à la Banque mondiale de ne pas avoir une gestion aussi serrée que le FMI. C'est vraiment très étrange.
Je ne le pense pas. J'ai suivi les délibérations du conseil exécutif, et je n'ai pas constaté ce point de vue. Bien sûr, le Congrès est bien content que ce soient les Américains qui nomment le président de la Banque mondiale.
Sur ce plan, le président Kim a été reconduit. Le gouvernement Obama a veillé à ce que ça se fasse tôt. Le mandat est de cinq ans, de sorte que la nouvelle administration américaine, qui allait peut-être être dirigée par Trump, ne pourrait pas tenter de nommer quelqu'un d'autre qui serait aussi terrible que les années précédentes, des gens comme Wolfowitz et d'autres. Ils...
Je ne pense pas que ce soit un gros problème, pour être honnête avec vous, mais cela fait certainement l'affaire des gens de la droite au Congrès, c'est sûr.
Merci beaucoup, madame Momani et monsieur l'ambassadeur Heinbecker. Nous sommes très heureux d'avoir pu vous entendre témoigner.
C'est le début d'une très longue discussion à notre Comité permanent des affaires étrangères sur un sujet que nous jugeons très important, mais, en même temps, nous réalisons l'imprévisibilité et le changement de paysage de jour en jour, et encore plus de semaine en semaine. Nous voulons suivre cela de très près pour les Canadiens, et votre témoignage d'aujourd'hui était important. Donc, merci beaucoup.
Chers collègues, c'est la fin de notre deuxième heure, et je tiens à vous remercier. Bonne chance pour les deux prochaines semaines que vous passerez dans vos circonscriptions. Je vous remercie beaucoup de votre temps. Au plaisir de vous revoir dans deux semaines le mardi.
La séance est levée.
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