FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 2 avril 2019
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à tous.
La séance est ouverte. Notre premier point à l’ordre du jour est l’élection d’un nouveau vice-président.
Tout d’abord, j’aimerais souhaiter la bienvenue à M. Guy Caron, le nouveau membre de notre comité représentant le Nouveau Parti démocratique.
Nous allons procéder à l’élection d’un président.
Je tiens simplement à vous dire, monsieur Caron, que c’était vraiment un honneur et un privilège d’avoir Mme Laverdière parmi nous au cours des quatre dernières années. Nous avons fait beaucoup de bon travail pendant cette période, et c’est en grande partie grâce à ses efforts. Je vous souhaite donc la bienvenue, et je suis sûr que nous allons avoir des échanges tout aussi productifs avec vous au sein du Comité.
Nous allons procéder à l’élection d’un vice-président.
Je vais céder la parole à notre greffière à la procédure, Aimée, pour la tenue de l'élection.
La parole est à vous.
Conformément au paragraphe 106(2) du Règlement, le deuxième vice-président doit être un membre d’un parti de l’opposition autre que l’opposition officielle. Je suis maintenant prête à recevoir des motions pour le poste de deuxième vice-président.
Il est proposé par M. Aboultaif que Guy Caron soit élu deuxième vice-président du Comité.
Plaît-il au Comité d’adopter la motion?
(La motion est adoptée.)
La greffière (Mme Aimée Belmore): Je déclare la motion adoptée et Guy Caron dûment élu deuxième vice-président du Comité.
Des députés: Bravo!
Bienvenue.
J’aimerais vous présenter notre invité pour la séance d’information relative à l’étude sur les jeunes, la paix et la sécurité des Nations unies, M. Graeme Simpson, auteur principal de « Les absents de la paix: Étude indépendante sur les jeunes et la paix et la sécurité », publiée en 2018 dans le cadre de l’étude sur les jeunes, la paix et la sécurité des Nations unies.
M. Simpson est directeur d’Interpeace, aux États-Unis, et conseiller principal auprès du directeur général d’Interpeace, une organisation internationale mise sur pied par l’ONU pour élaborer des solutions novatrices pour renforcer la paix et appuyer les initiatives locales de consolidation de la paix dans le monde.
Monsieur Simpson, je vous souhaite la bienvenue à notre comité ce matin. De toute évidence, vous allez parler d'un sujet qui intéresse beaucoup notre comité. J’aimerais vous accorder environ 10 ou 12 minutes pour faire une déclaration préliminaire. Ensuite, bien sûr, nous donnerons la parole aux membres du Comité, qui auront certainement beaucoup de questions à vous poser.
Monsieur le président et messieurs les vice-présidents, je suis très reconnaissant au Comité des affaires étrangères et du développement international de m'avoir invité aujourd'hui. D’une certaine façon, j’estime qu’il est impératif de venir vous faire rapport, puisque nous sommes très redevables au Canada pour son appui à l’étude sur les jeunes, la paix et la sécurité, tout comme la Suède, la Norvège, l’Irlande et d’autres pays. Compte tenu de votre contribution à cette étude, j’espère que vous y verrez une véritable affirmation de certains des principes que vous défendez.
À titre d’information, l’étude a été demandée lorsque la résolution 2250 du Conseil de sécurité sur les jeunes, la paix et la sécurité a été adoptée en décembre 2015. Cela a suivi une période assez longue au cours de laquelle des organisations dirigées par des jeunes dans le monde entier ont exercé des pressions extrêmement intenses pour attirer l’attention de la communauté internationale et du système multilatéral sur le fait que les jeunes sont en grande partie marginalisés et sans voix.
Moussée par la Jordanie, un petit pays membre du Conseil de sécurité, dans les années qui ont précédé 2015, la résolution a en fin de compte été adoptée. Cela a pris beaucoup de gens par surprise. L’adoption de cette résolution nous montre au sein du Conseil des alliés improbables ayant néanmoins un intérêt commun à remédier aux lacunes en matière de participation et d’inclusion des jeunes. Certains ont estimé qu’il s’agissait d’une question de principe et que le monde avait besoin d’avoir accès à l’innovation, à la créativité, à l’ingéniosité et à la résilience des jeunes et de les intégrer au système. D’autres ont perçu un risque réel et une menace de violence et d’extrémisme si les jeunes demeuraient marginalisés et exclus. La résolution 2250 a donc été adoptée pour des raisons assez différentes à certains égards.
L'aspect vraiment inhabituel — et je m'en réjouis particulièrement —, réside dans le mandat de la résolution de mener une étude, qui est devenue une étude sur les jeunes, la paix et la sécurité. En réalité, comme il s’agissait d’une nouvelle résolution, il ne s’agissait pas tant d’une étude que de l’élaboration d’une stratégie pour la mise en oeuvre de cette résolution à l’échelle mondiale. À ce titre, j’ai été désigné par le secrétaire général auteur principal chargé de mener l’étude.
Je tiens à souligner que j’ai été désigné auteur principal indépendant. Cela m’a donné une marge de manoeuvre inhabituelle pour vraiment dire ce que j’avais besoin d'exprimer et aborder les questions que les jeunes voulaient soulever selon moi. L’autre aspect du mandat de l’étude consistait — ce qui est inhabituel — à mettre l’accent sur la contribution positive des jeunes à la paix.
Enfin, je pense qu’il s’agissait implicitement de reconnaître que le Conseil de sécurité tentait de s’attaquer à un problème persistant d’exclusion et à un problème croissant — qui est devenu très évident au début de l’étude — de méfiance des jeunes à l’égard de leurs gouvernements et du système multilatéral, et souvent d’une profonde méfiance même envers les organisations internationales de la société civile. Nous avons constaté que 1,8 milliard de jeunes s'estimaient sans voix et que le quart d’entre eux au moins — et c’est une estimation prudente — vivaient dans des situations d’exposition continue à la violence.
Comme il est devenu très clair que nous ne pouvions pas régler le problème de l’exclusion en reproduisant le problème dans notre méthodologie, j'aimerais m’attarder brièvement sur la méthodologie de l’étude. Comme l’a annoncé le représentant du secrétaire général lors de la publication de l’étude à l’Assemblée générale en septembre dernier, cette étude a été l’une des plus participatives jamais menées par l’ONU.
Grâce à l’aide du Canada, nous sommes allés au-delà des consultations régionales habituelles avec des jeunes qui pouvaient tous parler anglais, qui avaient les compétences linguistiques, qui avaient des passeports et qui connaissaient l’ONU. Nous avons insisté sur le fait que nous devions avoir accès à des jeunes qui étaient difficiles à rejoindre et qui n’auraient normalement pas voix au chapitre. Je ne peux pas rendre parfaitement justice à cette étude ici, mais je vais y revenir dans les 10 minutes qui me sont allouées. Je vous invite vraiment à examiner l’étude en soi. Elle reflète la voix dynamique et extraordinaire des jeunes.
Au bout du compte, au-delà des consultations régionales — et nous en avons menées sept —, nous avons mené cinq consultations nationales, dont une au Canada.
Grâce à un partenariat d’organisations de la société civile qui avaient un accès fondé sur la confiance aux jeunes sur le terrain, nous avons enfin pu avoir accès à des jeunes femmes migrantes dans les contreforts du Guatemala, à de jeunes combattants aux Philippines, à des migrants de deuxième génération dans les quartiers de Stockholm, à de jeunes afro-américains dans le quartier sud de Chicago, à de jeunes combattants ou réfugiés au Soudan du Sud, et ainsi de suite.
Quelque 280 groupes de discussion dans 44 pays du monde, 35 études thématiques et propres à chaque pays, ainsi qu'une enquête auprès d’organisations de consolidation de la paix dirigées par des jeunes ont donné un accès sans pareil à la voix des jeunes. C’est sur cette base que je veux vous faire part de certaines des principales constatations. Je répondrai ensuite à vos questions.
La première chose qui est devenue très claire, c’est que les jeunes étaient très conscients de la mesure dans laquelle ils étaient victimes de stéréotypes, particulièrement en ce qui concerne les jeunes, la paix et la sécurité. Dès que nous avons parlé de paix et de sécurité, l’image prédominante, une image très sexospécifique, était celle d’un jeune homme avec une arme à feu qui représentait une menace et d’une jeune femme confinée au statut passif de victime. Les jeunes ont dit que ces deux définitions font complètement abstraction de leur rôle, de leur contribution et de leur résilience à titre de contributeurs à la paix.
Ces stéréotypes ont également donné lieu à ce que nous appelons la « panique politique », une série d’hypothèses et de mythes en matière de politique qui ne sont pas, sur la base de nos explorations, fondés sur des données probantes importantes.
Le premier présuppose que « l’explosion de la jeunesse » — une proportion croissante de jeunes au sein d’une population — entraînera automatiquement des niveaux élevés de violence.
Selon le deuxième, les jeunes constituent le principal danger associé aux vagues migratoires, et les jeunes migrants constituent des menaces d’infiltration des groupes terroristes et de participation à leurs activités.
Le troisième stéréotype veut que tous les jeunes risquent de se joindre à des groupes armés violents.
La vérité, c’est que les preuves montrent le contraire dans bien des cas. Ce n’est qu’une infime partie des jeunes qui s’engagent dans cette mauvaise voie. Dans le cadre de notre étude, nous avions pour mandat de découvrir et d’articuler les solutions de rechange pour l’investissement dans les jeunes, dont la majorité ne font que commencer leur vie — je pense que nous ne devrions ni les diaboliser, ni les idéaliser — alors qu’un grand nombre contribuent activement à la paix.
Suivant le message central de l’étude, communiqué par la voix des jeunes, tant que nous ne nous attaquerons pas à la « violence résultant de l’exclusion » — ce sont leurs mots, et non les miens —, nous ne préviendrons jamais la violence de l’extrémisme. Pour les jeunes comme tels, il s’agissait à la fois d’inclusion politique et de rebâtir leur confiance dans des systèmes économiques inclusifs. Il s’agissait de reconnaître l’espace dont ils ont besoin pour leurs opérations et leur liberté de mouvement et de réunion. Il s’agissait aussi de leurs possibilités de dissidence et, souvent, de manifestations pacifiques qui étaient perçues comme menaçantes. Nous avons fait valoir qu’il s’agissait en fait d’une contribution très importante au changement et à la paix.
Fait notable, elles ont vécu des expériences différentes en tant que jeunes femmes par opposition aux jeunes hommes, ainsi que l'exclusion et la marginalisation sexospécifiques, qui veulent que le programme pour les jeunes, la paix et la sécurité et celui pour la paix et la sécurité des femmes soient intimement liés. Il s’agissait en particulier de l’expérience unique des jeunes femmes. L’une des autres choses que nous avons découvertes, et qui est vraiment importante, c’est l’importance d’offrir des solutions de rechange à la masculinité toxique. La question de la masculinité comme facteur de violence et de conflit était très importante. Une approche intégrée de l’égalité entre les sexes est au coeur de tout cela.
Les jeunes ont également exprimé des préoccupations au sujet de l’exclusion dans le système d’éducation, de la réforme du secteur de la justice pénale et de la sécurité et de la réintégration des anciens combattants. Nous avons été très impressionnés d’apprendre à quel point la majorité des jeunes réintégrés comme anciens combattants dans des sociétés touchées par des conflits sont jeunes, alors qu’ils sont souvent réintégrés dans des collectivités dirigées par des aînés, ce qui les marginalise de nouveau. Les jeunes nous ont demandé d’imaginer à quoi cela ressemblerait si les communautés d’accueil étaient des organisations composées de jeunes et dirigées par des jeunes.
Si, suivant le premier message, nous devons nous attaquer à tous ces aspects de l’exclusion afin de contrer l’extrémisme, le deuxième message établit qu’il y a une possibilité extraordinaire pour les jeunes, à savoir qu'il faut non pas les considérer comme un problème à résoudre, ou comme un risque, mais plutôt se réjouir de leur résilience et de leur ingéniosité comme autant d'attributs pour la paix.
Les jeunes l’ont vraiment démontré. Vous verrez que la deuxième partie de l’étude décrit tout ce que nous avons constaté que les jeunes faisaient contre toute attente. Ils fonctionnent à travers différentes phases de conflit, différents modèles d’intervention précoce et des approches exemplaires de prévention auprès des jeunes enfants, jusqu’à la participation à des processus de paix informels après un conflit. Ils sont mobilisés à tous les niveaux, des processus de consolidation de la paix les plus locaux et les plus intimes, et de personne à personne au niveau local jusqu'aux coalitions et partenariats mondiaux. Ils examinent différentes typologies de violence, de la violence fondée sur le sexe à la violence terroriste en passant par la violence politique et criminelle, et ils reconnaissaient l’interface et les liens entre ces types de violence.
Ils sont engagés dans des partenariats uniques là où ils ne peuvent pas avoir accès à leurs gouvernements. Très souvent, ils travaillent avec les maires, des acteurs locaux et différents intervenants. Ils nous ont dit de ne pas ghettoïser les jeunes, parce qu'ils sont à différents endroits. Ils se trouvent dans des organisations de jeunes, mais aussi dans des organisations de femmes, de défense des droits de la personne, de la société civile. Ils sont au gouvernement. Ils sont des deux côtés de la division entre la police et la collectivité.
Ils nous ont dit que chacun des ODD est pour les jeunes, et nous ont demandé de ne pas traiter uniquement de questions d’éducation ou de sport et de loisirs. Ils veulent participer à l’ensemble du développement de nos sociétés et à la politique à cet égard.
Les jeunes ont également démontré les méthodes les plus extraordinaires, les plus nouvelles et les plus novatrices, qu’il s’agisse du sport, de la culture et des arts, ou, surtout, de l’occupation progressiste et créative du cyberespace et des médias sociaux comme outils pour construire la paix et développer de nouvelles technologies de la paix.
Ce qu’ils nous ont demandé se trouve à la conclusion de l’étude, c’est-à-dire que si nous voulons profiter de ce dividende démographique, surtout de la forte proportion de jeunes dans les sociétés touchées par les conflits — mais pas exclusivement — nous devons investir dans les jeunes comme dividende de la paix. Il faut pour cela que les gouvernements et le système international modifient leur façon de s’attaquer à ce problème en adoptant des approches de prévention qui reposent en grande partie sur des mesures correctives et des mesures de sécurité concrètes et qui n’investissent pas dans le risque, mais dans la résilience des jeunes.
Il s’agit d’investir dans les partenariats que les jeunes mènent dans nos sociétés, de concert avec les gouvernements et la société civile, et en particulier dans les organisations dirigées par des jeunes. Il faut aussi élaborer de nouvelles normes dans notre société pour socialiser la résolution 2250 à titre d’outil national utile.
L’étude produit trois catégories de recommandations. Je n’entrerai pas dans les détails, puisque je n'en ai pas le temps.
Dans la première catégorie, nous sommes très motivés à investir dans la résilience des jeunes, dans leur rôle, dans leur leadership et dans leurs organisations en finançant et en soutenant les réseaux de paix dans le secteur de la jeunesse, en renforçant les capacités organisationnelles et en comblant les lacunes en matière de données. Il est incroyable de constater à quel point il est difficile de trouver des données ventilées selon le sexe et l’âge sur les jeunes.
La deuxième catégorie vise à aborder tous les aspects de l’exclusion dans les domaines de la politique, de l’économie, des politiques de développement, de l’éducation et selon le genre en ce qui concerne les jeunes dans la société.
Troisièmement, il faut investir dans les partenariats que les jeunes forgent, que ce soit à l’ONU ou dans l’établissement de délégués de la jeunesse au sein des organismes de l’ONU et par l’entremise de représentants gouvernementaux à l’ONU. Il s’agit des espaces de consultation que nous devons créer pour les jeunes et de l’intégration complète des jeunes dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030; la résolution 1325 — le programme relatif aux femmes, à la paix et à la sécurité — et le rapport annuel du secrétaire général au Conseil de sécurité. Dans tous ces domaines, nous avons formulé une série de recommandations pour régler ces problèmes d’exclusion.
Sur ce, je vais vous laisser, mais j'aimerais d'abord dire une dernière chose. J’ai été vraiment impressionné, à la lecture de la Politique d’aide internationale féministe du Canada en voyant les expressions « dignité humaine », « croissance qui profite à tout le monde », « environnement et action climatique », « gouvernance inclusive » et « paix et sécurité ». Ce sont là toutes les plates-formes du programme pour les jeunes, la paix et la sécurité. Nous constatons une très forte parenté entre les préoccupations internationales du Canada et celles du programme pour les jeunes, la paix et la sécurité. J’irais même un peu plus loin. Je vous encourage à reconnaître la présence des jeunes partout dans la société. C’est aussi une question qu’il est essentiel pour le Canada de considérer comme une question intérieure autant qu’une question internationale.
Merci.
Merci beaucoup, monsieur Simpson.
Nous allons passer directement aux questions des députés, en commençant par le député Aboultaif, s’il vous plaît.
Merci pour cet excellent exposé ce matin.
Au paragraphe 7 à la page 4, il est écrit dans le rapport que les jeunes se trouvent souvent dans une zone grise entre les droits et les protections accordés aux enfants et les droits et privilèges politiques des adultes et, dans ce cas, on s’attend à ce que les jeunes aient aussi ces droits. Pouvez-vous s’il vous plaît nous parler des types de droits et libertés des jeunes qui sont couramment bafoués en raison de leur âge et, s’il y a des points communs entre les régions dans ce déni de droits, quels sont-ils?
C’est une excellente question, et je vous en remercie.
Permettez-moi de commencer par dire que, même si la résolution 2250 définit les jeunes comme le groupe des 18 à 29 ans, ce qui est devenu très clair pour nous, c’est que la jeunesse est beaucoup plus un phénomène socioculturel qu’un âge chronologique, et l’un des phénomènes que nous avons identifiés, c’est comment, en fait, les jeunes sont souvent pris dans le piège de la jeunesse — un auteur parle d'une « attente » — parce que le fait est que les rites de passage qui dictent le progrès vers l’âge adulte sont refusés à beaucoup de jeunes.
C’est très sexospécifique et, en fait, ce n’est pas uniforme. Les jeunes hommes qui n’ont pas les moyens de se marier, qui ne peuvent pas trouver d’emploi, qui ne peuvent pas acheter une maison et qui ne peuvent pas acquérir le statut officiel d’adulte sont pris au piège de la jeunesse malgré leur âge. Souvent, les jeunes femmes qui sont mariées, souvent de force, et qui portent des enfants à un âge beaucoup plus jeune acquièrent le statut officiel de femmes adultes beaucoup plus jeunes qu’elles ne le devraient.
C’est un exemple, parce que cela montre que souvent les jeunes ne font pas partie d’une catégorie officiellement protégée en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant, de sorte qu’ils ne sont pas protégés de la même façon que les enfants, mais à cause de cette attente, il leur arrive souvent de ne pouvoir éviter les pièges de l’âge adulte comme devraient le leur garantir ces droits.
Nous parlons d’une lacune dans la réalisation des droits. Je soulève cette question parce qu’il s’agit d'aspects distincts. D’une part, ce que nous avons certainement constaté, particulièrement dans les sociétés touchées par des conflits où l’espace de la société civile est très souvent fermé, c’est que les droits de réunion, de participation et d’engagement politique sont souvent refusés aux jeunes. L’âge empêche les jeunes de se présenter aux élections. De plus, l’espace répressif fait souvent des victimes parmi les jeunes. D’une part, nous examinons cet ensemble de mesures de protection qui sont vraiment essentielles.
Mais je pense que nous ferions fausse route si nous ne reconnaissions pas que, parfois, il s'agit d'un écart entre les droits officiels, qui existent dans la loi, et les droits fondamentaux auxquels les jeunes n’ont pas vraiment accès en raison de problèmes générationnels et sexospécifiques. Cela comprend les droits socioéconomiques, l’accès aux terres, etc., et les droits de fonctionner au sein d’organisations dirigées par des jeunes.
J’aimerais attirer votre attention sur ces deux aspects distincts, certains étant formels, et d’autres portant sur des protections qui devraient être garanties et qui ne le sont pas, et d’autres sur un écart de réalisation des droits où les jeunes sont exclus et marginalisés politiquement, économiquement et socialement.
Vous avez dit qu'en un sens, 1,8 milliard de jeunes sont marginalisés ou privés de ces droits et qu’ils ne reçoivent pas ce qu’ils méritent. Ces jeunes représentent environ 25 % de la population mondiale; autrement dit, ils se trouvent dans des régions particulières, dans des régions où la société tribale influe davantage sur la vie et sur l’avenir de ces jeunes que le font les sociétés civiles, où l’État est de plus en plus présent.
Que font les Nations unies pour corriger cette situation? Pensez-vous qu'il soit possible de régler ce problème? Nous savons qu'il s’aggrave avec la croissance de la population, et dans certaines régions, la population des jeunes augmente très vite par rapport à celle des pays industrialisés. Que pensez-vous de tout cela?
Vous avez tout à fait raison. Il faut reconnaître et distinguer les pays où la population de jeunes diminue et la population de personnes âgées augmente et ceux dont la population de jeunes est en plein essor. Ces sociétés font face à un défi redoutable pour leur capacité d’absorption. À mon avis, il est crucial d'aborder ces problèmes.
Je ne crois pas que nous puissions déterminer trop hâtivement quelles sociétés sont en conflit et lesquelles sont exemptes de conflits.
Nous avons été frappés — et je fais cette comparaison délibérément —, d’entendre un jeune homme du Sud de Chicago parler des armes à feu d’une façon très similaire à la manière dont les jeunes Soudanais du Sud en parlent. Il est crucial de reconnaître cela, parce que la marginalisation et l’exclusion des jeunes ne se produisent pas uniquement dans les sociétés du Sud ravagées par des conflits.
Ces constatations sont importantes, mais à mon avis, il faut les nuancer en fonction des conclusions de notre étude.
Merci beaucoup d'être venu aujourd'hui pour nous présenter ce rapport.
Vous nous parlez de marginalisation et d'exclusion. Quelle influence ont ces facteurs sur les processus démocratiques électoraux? Les résultats de plusieurs études indiquent que partout dans le monde, les jeunes d'aujourd'hui s'attachent moins à la démocratie que ceux des générations précédentes et qu'ils sont prêts à accepter certaines formes d'autocratie. J'ai remarqué que dans votre rapport, vous suggérez plusieurs manières d'inciter les jeunes à participer aux processus démocratiques. Quel est votre point de vue de la situation?
Je sais que les jeunes gens se méfient des élections et des gouvernements démocratiques traditionnels. Plusieurs d'entre eux les jugent inutiles et incapables d'apporter des changements. Y voyez-vous une manière de se mobiliser pour essayer de changer les choses? Tournent-ils le dos à ces processus démocratiques? Quel avenir nous réservent-ils, surtout dans certaines démocraties naissantes?
Ils nous incitent à agir et à renforcer les activités et les processus d'inclusion et de participation. Vous avez raison, il faut accréditer les systèmes. Nous devrons tout d'abord définir ce que nous entendons par participation électorale. Aux Nations unies, le Département des affaires politiques nous a remis un mémoire qui nous a été très utile, car en examinant ses propres pratiques, il se demande comment ventiler la participation électorale des jeunes.
D’une part, le Département y décrit le régime politique formel, les processus électoraux et les questions de gouvernance officielle. Cependant, il y mentionne aussi les processus de dialogue national, la participation des jeunes ainsi que notre réceptivité à leur demande d'être entendus dans l'arène politique dont leur vie dépend, mais au sein de laquelle ils n'ont que très peu d’influence.
Je vais vous donner deux exemples. Nous sommes frappés d'entendre les jeunes décrire si souvent deux secteurs parmi tant d’autres où, de leur point de vue, ils ont la relation la plus directe avec l'État. Il s'agit du système de justice pénale et de celui de l’éducation. Ils sont au courant des processus de réforme de la justice pénale, des processus de justice pour les jeunes, etc., mais ils n’ont aucune influence politique dans ces domaines. De même, ils sont les cibles principales d’un système d’éducation qui ne les écoute que très peu en définissant ses priorités en matière d’éducation, les programmes d’études qu'il offrira, etc.
On observe donc toute une sphère de participation concrète, mais sous-jacente à la politique traditionnelle. Les jeunes ont tout à fait raison d'affirmer, en parlant de leur participation plus active au processus électoral, que ces deux secteurs les touchent particulièrement, qu'ils devraient pouvoir y être entendus, mais qu'on ne leur donne pas voix au chapitre.
Le rapport du Département des affaires politiques est très intéressant, parce qu'au lieu de s'en tenir au processus officiel de la politique électorale, il touche les processus de réconciliation dans la foulée des conflits, les processus d’établissement et de réforme des constitutions ainsi que tout un éventail d’engagements politiques. Je le trouve enrichissant, parce qu'il étend aussi les espaces dans lesquels nous pourrions regagner la confiance des jeunes et rétablir leur sentiment d’appartenance.
Le Département s’inquiète particulièrement du fait que les jeunes ne peuvent pas, en raison de leur âge, se présenter aux élections et exiger qu'un plus grand nombre d'entre eux accèdent au pouvoir. Il ne suffit pas de leur permettre de voter. Il faut qu'ils puissent présenter leur candidature, et certaines sociétés les en empêchent. Les jeunes reconnaissent très honnêtement que, dans de nombreuses régions, leur inclusion à l'arène politique les a assujettis à des manoeuvres de manipulation, au contrôle politique des partis, à une série d’intentions manipulatrices et corrompues. Ils refusent de prendre part à des systèmes qui leur semblent corrompus, qui favorisent l'élite, etc.
Tous les jeunes ne parlent pas ainsi. Mais à mon avis, ces opinions sont très importantes, parce qu'elles influencent notre réflexion sur cette situation.
Pour répondre à votre dernière question, oui, je pense bien que nous faisons face à de la méfiance. Les jeunes affirment toujours plus fortement qu'ils ne font plus confiance à la politique représentative traditionnelle. Or, il y a d'autres façons de participer que de s'en tenir aux modes de représentation traditionnels.
Il faut que nous nous rendions à l'évidence que les jeunes ne nous demandent pas simplement de les inviter à une table déjà bien dressée, mais de reconnaître celle qu’ils nous présentent. Il existe des espaces novateurs et créatifs dans lesquels les jeunes lancent une action directe, une démocratie participative par les médias sociaux et par Internet. Oui, ces actions présentent leurs propres risques si on ne les modère pas. D'autres pourront s'en emparer et les contrôler à des fins malveillantes. Toutefois, ce sont des technologies participatives très importantes, et les jeunes peuvent nous montrer des manières d’élargir notre démocratie et d'y participer.
Le fossé numérique qui, soit dit en passant, est également très sexospécifique, a aussi d'importantes répercussions que nous ne devons pas négliger.
J'espère avoir répondu à votre question sans en avoir soulevé de nouvelles.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci, monsieur Simpson, de votre très intéressante présentation. J'aimerais vous poser quelques questions sur les recommandations de l'étude.
Au sujet de l'inclusion, il y a quelque chose qui m'a frappé. On peut voir et imaginer de quelle manière, pour les jeunes, la liberté d'association, la liberté d'opinion et la liberté d'expression peuvent être atteintes. Je suis curieux quant à la question de la liberté syndicale et de la liberté de réunion pacifique.
Qu'est-il ressorti de l'étude en ce qui a trait aux obstacles visant ces différents types de liberté?
Ma deuxième question porte sur l'atteinte de l'ensemble de ces libertés. J'imagine qu'on a beaucoup parlé des obstacles et de la définition des barrières. Des pistes de solution ont-elles été abordées, ou attend-on la suite des événements ou le suivi de cette déclaration?
[Traduction]
Je crois que j'ai déjà un peu parlé de ces libertés en répondant à une question précédente sur les droits de la personne, alors je ne vais pas m'y arrêter trop longtemps.
Je pense que de façon générale, les jeunes sont surtout frustrés de se voir perçus comme des risques et des menaces. Même leurs manifestations et leurs dissidences les plus paisibles sont souvent traitées comme des problèmes à résoudre, comme des facteurs de risque, et cela non seulement par les gouvernements antidémocratiques, mais par les autres aussi. Nous nous inquiétions surtout de la surabondance des fonds affectés aux interventions en matière de sécurité et de justice pénale qui devraient plutôt financer la résilience, l'ingéniosité et la créativité des espaces des jeunes.
En un sens, je crois que les jeunes nous démontraient une cible plus efficace pour ces investissements. Voilà l'une des raisons pour lesquelles nous recommandons l'établissement d'un fonds de 1,8 milliard de dollars, soit un dollar pour chaque jeune, afin de souligner le genre d'investissement qu'il faut faire. Ce n'est pas énorme. Il est crucial d'investir dans des organismes dirigés par des jeunes pour qu'ils puissent participer librement.
Il ne s’agit pas seulement d'établir et de financer des institutions — nous risquons de ternir leurs intentions en faisant cela —, mais de leur fournir un espace dans lequel ils puissent participer librement. À mon avis, ce sont là les droits fondamentaux que les jeunes du monde entier nous demandaient de respecter.
Vous me demandez si nous avons des solutions à vous présenter, mais notre rapport est truffé de suggestions qui n'exigeraient qu'un minimum de ressources... En fait, l’enquête menée auprès d'organismes de consolidation de la paix dirigés par des jeunes a révélé que 80 à 90 % d'entre eux sont gérés par des bénévoles avec des ressources extrêmement limitées, comme peut-être 10 000 $ par année. À peu près 8 % d'entre eux dépensent 100 000 $ ou plus par année. En investissant dans ces organismes, nous pourrons multiplier les occasions de participer à la démocratie.
[Français]
Merci beaucoup.
J'ai une autre question à vous poser, et il vous faudra peut-être un peu de temps pour y répondre.
Il y a quelque chose qui unit les jeunes partout sur la planète, et c'est la question de la technologie, les médias sociaux en particulier. Cela peut être une force très intéressante sur le plan de l'organisation et de la mobilisation, mais elle peut se révéler un problème, parce qu'elle peut mener aussi à l'isolement. Les réseaux sociaux fonctionnent beaucoup selon des algorithmes qui font que les gens se voient et se rassemblent selon leurs propres champs d'intérêt, mais avec une perte de la diversité.
Quelle place la technologie prendra-t-elle pour les jeunes en ce qui concerne l'avancement de la situation et leur contribution à la paix et à la sécurité dans le monde?
[Traduction]
Vous avez tout à fait raison. D'une certaine façon, tout le débat sur les médias sociaux et sur l'informatique en général reflète les problèmes plus généraux dont nous parlons ici. On constate ce problème très clairement, surtout puisqu'il s'agit d'un espace menaçant où les jeunes risquent d'être recrutés par des organismes malveillants, où ils sont en danger. Mais d'un autre côté, ils utilisent très souvent ces espaces à bon escient avec beaucoup de créativité et d'innovation.
Il serait très enrichissant d'examiner les avantages et les limites de ces formes d'interaction sociale. Je dois dire que les jeunes ne m'ont jamais indiqué que ces espaces devraient remplacer les autres forums de la société. Du point de vue organisationnel, les jeunes comprennent mieux que personne que ces outils permettent de relier les gens sans vraiment les attacher de façon durable et qu'ils ne remplaceront jamais les mouvements sociaux, par exemple.
Je crois que les jeunes savent très bien établir le bon équilibre, ce qui n'est pas une chose simple.
Cela dit, je crois qu'en essayant d'atténuer les répercussions négatives des médias sociaux et du cyberespace, nous risquons de bloquer des innovations et des initiatives technologiques qui contribueraient à restaurer la paix. Notre étude le démontre très clairement. Nous ne présentons pas toutes les réponses, mais nous reflétons l'opinion des jeunes sur la complexité que vous avez soulevée. Il faut que nous abordions ce problème, mais je ne crois pas que pour le régler, il faille fermer ces espaces. Il faut investir dans les espaces démocratiques positifs ainsi que dans les moyens de les utiliser et de les concevoir.
[Français]
[Traduction]
Merci, monsieur Simpson, d'être venu témoigner aujourd'hui.
La ministre Freeland a annoncé un financement de l'Initiative Elsie pour la participation des femmes aux opérations de paix. Pourriez-vous nous en parler et nous dire quelles répercussions cette initiative aura dans le monde grâce aux petits financements qui lui sont accordés?
Je pourrais vous en parler, mais je ne devrais probablement pas me prononcer sur ce sujet, qui ne relève pas de mon domaine d'expertise. Je crois qu'on peut tracer un parallèle important entre notre façon de penser à... et les dangers que nous créons en concentrant la conversation sur la sécurité, en mobilisant autant les jeunes que les femmes pour la paix et la sécurité. Je perçois des liens étroits entre ces deux initiatives.
On lance un message puissant et très important en assurant la présence de jeunes femmes dans les forces armées, dans les forces de maintien de la paix et dans les services policiers, en les plaçant non seulement dans ces institutions, mais dans des structures de commandement et de contrôle. La contribution des femmes est très importante, parce que je crois que les femmes apportent une approche différente aux secteurs de sécurité et de maintien de l'ordre.
D'un autre côté, il ne faut pas non plus négliger les solutions qui reposent sur d'autres secteurs que celui de la sécurité. Alors, tant que nous investirons autant dans la participation des jeunes gens et des jeunes femmes dans d'autres secteurs de la société qui ne sont pas liés à la sécurité, notre approche envers les femmes, la paix et la sécurité demeurera plus holistique et complète. Ce que je dis là s'applique aussi aux secteurs de l'économie et des régimes politiques plus ouverts, etc.
Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
Oui, plus ou moins.
Vous avez prononcé le mot « jeunes » une vingtaine de fois pendant votre allocution. Les femmes sont-elles plus efficaces pour maintenir la paix dans le monde que les hommes ou que les jeunes garçons?
Je crois bien que les données le démontrent. Toutefois, cela ne relève pas de mon expertise. Je ne pourrais pas vous citer des études qui soutiennent cela. Mon étude ne porte pas particulièrement sur la participation des jeunes femmes aux opérations de paix. Je sais cependant que les jeunes exigent de participer, d'être présents dans ces secteurs. Je constate aussi un fossé entre les hommes et les femmes, et même dans les régions où l'on s'efforce de résoudre ce problème, on observe une prévalence d'hommes dans ces institutions. À mon avis, il est très important que nous y invitions plus de femmes. Cependant, je ne possède pas de preuves empiriques indiquant qu'elles sont plus efficaces dans le maintien de la paix.
Parlons maintenant de la participation des jeunes partout au monde. Vous avez dit qu'elle était aussi importante à l'étranger que chez nous. Le Canada est-il en retard sur les autres pays dans ce domaine?
Non, je ne pense pas. Je dirais que le Canada peut montrer l'exemple au reste du monde, car sa société est plus attachée que bien d'autres au principe de l'inclusion. Je pense que le Canada est aux prises avec l'expérience très particulière de répondre aux besoins de sa population autochtone. Les répercussions transgénérationnelles sur les jeunes de ces communautés ont probablement soulevé l’attention. Je ne me risquerai pas de dire qu’elles n'ont pas reçu assez d’attention ou qu'il est possible de leur porter toute l'attention qu'il faut. Toutefois, j'y vois un véritable atout. En partenariat avec d’autres sociétés, le Canada a beaucoup à offrir.
Voilà pourquoi je tiens à souligner qu'il est important que le Canada considère cette question comme un enjeu national. Il est toujours possible d’accroître la participation des jeunes en équilibrant la présence des deux sexes. Le Canada a une plateforme extraordinaire pour le faire. J’irais même plus loin en disant, d'une façon peut-être provocatrice, qu'il s'agit d'un véhicule très puissant dans la politique des affaires internationales du Canada. À l’avenir, le Conseil de sécurité de l’ONU aura besoin de membres qui défendent la cause de la jeunesse, de la paix et de la sécurité et qui maintiennent ces enjeux à l'avant-plan. À mon avis, le Canada sera très bien placé pour assumer ce rôle quand il le faudra.
J'aime beaucoup New York. J'ai aussi de la famille à Toronto. Je suis donc attaché aux deux villes, et cela ne me dérangerait pas du tout. Toutefois, j'assume un rôle plus important que cela. Je représente un organisme international de la société civile et du maintien de la paix. En fait, notre étude sur les jeunes, la paix et la sécurité a très discrètement remis en question les présomptions qui règnent depuis des dizaines d'années sur l'incapacité qu'aurait l'ONU de s'unir en partenariat avec la société civile. Cette étude nous a permis de réunir des acteurs de la société civile qui pourraient communiquer avec les jeunes de manière beaucoup plus efficace que les gouvernements et les systèmes multilatéraux.
Si vous désirez établir un centre d'excellence à Toronto, je vous recommanderais fortement de ne pas chercher à reproduire les bureaux de l'ONU à New York, mais de le concevoir très créativement en fonction du rôle que le Canada peut assumer pour relier les acteurs non étatiques des systèmes multilatéraux et de la société civile. À mon avis, il y a là une profonde lacune à combler. Servez-vous de Toronto pour le faire.
Merci.
J'allais en fait vous poser une question sur les médias sociaux, que vous avez mentionnés en répondant à celle de M. Caron.
J'ai cependant autre chose à vous demander. Je sais que dans de nombreux pays, l'action des jeunes est coordonnée par des congrès nationaux de la jeunesse. Pourriez-vous nous donner un exemple de leur succès et nous dire si le Canada devrait en créer un?
La question est fort intéressante, et je crains qu'il n'y ait aucune réponse simple.
Les congrès, les conseils de jeunes, les structures parallèles... Il existe des exemples étonnants de dispositifs qui assurent une représentation réelle. Il y a là pour les jeunes un accès véritable au processus politique, et il s'agit d'un tremplin, surtout s'il existe des relations originales et réciproques entre les structures politiques officielles des parlements et les parlements de la jeunesse ou les structures et congrès de jeunes qui en relèvent. Cela exige une conception très soignée.
Ce n'est pas facile, car il nous faut reconnaître que la jeunesse est une étape de transition et qu'il faut constamment renouveler le leadership chez les jeunes. Ces entités peuvent constituer de très solides moyens d'assurer ce renouvellement, de favoriser l'émergence de jeunes chefs de file, qui sont alors guidés vers de nouvelles tribunes politiques. Il faut que la voie soit claire et dégagée.
Si les jeunes ont l'impression qu'il s'agit d'un substitut au cadre réel, ils se méfieront. Pis encore, il arrive que des jeunes soient, pour d'excellentes raisons, allergiques aux conseils ou congrès de jeunes parce qu'ils les perçoivent comme une stratégie délibérée de gouvernements oppressifs ou non démocratiques qui cherchent à les orienter, à susciter chez eux un discours asservi à leur contrôle politique et à leurs manipulations. Je crains qu'il n'existe aucune panacée.
J'ai encouragé des conseils de jeunes qui ont les qualités voulues, en Finlande et au Danemark, à travailler avec les conseils semblables dans d'autres sociétés en proie à des conflits, afin de les aider à affirmer davantage leur indépendance par rapport aux structures. Ce serait une erreur, je dois le préciser, de ne pas s'en tenir à la pertinence et de l'importance de la participation de la jeunesse et de consulter à ce sujet des jeunes de notre pays à propos de quelque autre pays. Une solution uniforme risque de renforcer des structures qui se substituent aux jeunes et deviennent plutôt une source de corruption.
La résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, qui a été l'une des sources d'inspiration de la résolution 2250, prévoit des plans d'action nationaux pour différents pays.
Connaissez-vous des pays qui ont un plan national d'action relativement à la résolution 2250 du Conseil de sécurité? Quels sont ces pays? Y a-t-il là des plans que nous pourrions adapter au Canada.
Oui, il y en a. La Finlande s'est engagée dans l'élaboration d'un plan d'action national. Un ou deux autres pays en ont fait autant. Je ne sais pas au juste où ils en sont.
Nous avons sérieusement songé à le faire. Les intervenants du Programme mondial sur les femmes, la paix et la sécurité ont eu une attitude à la fois très constructive et extrêmement prudente au sujet de la possibilité que nous reproduisions l'entreprise qu'a été le plan national d'action.
Dans les pays où il était possible d'élaborer un plan, celui-ci pouvait être produit très rapidement, et il a été un moyen très puissant. Il témoignait du bon type d'engagement, et il a été assorti de mécanismes de reddition de comptes pour les pouvoirs publics, par exemple.
Dans les sociétés où la production du plan a mobilisé une capacité déjà limitée, ce plan est devenu une fin en soi et beaucoup d'organisations féminines ont eu l'impression que les grands enjeux s'étaient perdus dans les arcanes d'un plan d'action dysfonctionnel et inefficace et que ce plan, à certains égards, était devenu l'apanage du gouvernement au lieu d'être une entreprise qui faisait de la place à tous ceux qui voulaient participer.
Là non plus, il n'y a pas de solution qui puisse convenir à tous.
Je dois ajouter que, dans certains pays, il est facile et possible d’avoir un large engagement à l'égard du programme de la jeunesse, de la paix et de la sécurité, de l'autonomisation de la jeunesse et de sa participation.
Dans d'autres sociétés, il sera plus important, du point de vue tactique, de mener une réflexion pour choisir les angles d'intervention, que ce soit l'éducation, l'emploi ou la participation politique, et les harmoniser. Il ne faudra pas nécessairement élaborer un plan national d'action qui porterait sur à peu près tout ce qui concerne la jeunesse et serait donc d'application plus difficile.
La création de coalitions nationales a reçu moins d'attention que le plan d'action, comme marche à suivre. Selon nous, il faut insister sur la constitution de partenariats comme objet d'investissement pour l'État. Les partenariats réunissant l'État, les acteurs de la société civile et divers protagonistes intéressés par l'élaboration d'un programme sur la jeunesse, la paix et la sécurité sont bien plus importants, comme angle d'attaque, qu'un plan d'action qui fixerait la marche à suivre. Ce plan n'est pas une possibilité à exclure, mais ne présumez pas qu'il convient à tous les régimes ni à toutes les sociétés.
Ce qui nous intéresse ici, c'est la paix, la sécurité et la jeunesse. D'après le rapport, les jeunes ont beaucoup d'espoir quant au rôle de l'éducation, car il peut s'agir d'un outil de transformation dans l'édification de la paix. À cet égard, l'insistance sur l'éducation est aussi liée à la consolidation de la paix et aux progrès à accomplir. Comment cela peut-il se réaliser? Comment cela peut-il se concrétiser, d'autant plus que l'éducation ne porte pas sur un seul sujet, surtout dans le monde d'aujourd'hui? Comment pouvons-nous faire une distinction et prendre conscience des moyens d'aller de l'avant et de donner un sens, pour les jeunes, à la notion de paix et de sécurité?
Excellente question. Je voudrais pouvoir rendre justice à la complexité des réactions que nous avons eues des jeunes à ce sujet.
D'une part, vous avez raison: il faut être conscient du cadre innovateur et diversifié de l'éducation. Les jeunes parlent sans cesse d'études primaires, secondaires et tertiaires. Ils n'ont pas cessé de parler d'éducation formelle et informelle, de sociétés qui s'informent sur leur passé, de musées et de tout un éventail d'éléments. L'éducation, ce ne sont pas seulement les études structurées dans les écoles et les établissements de troisième niveau, mais aussi l'éducation informelle.
Nous avons été étonnés du nombre d'organisations qui existent sur le terrain, des organisations de la société civile, ou dirigées par des jeunes, et qui réalisent un travail novateur et créatif sur des questions d'éducation comme les modèles d'intervention précoce en ce qui concerne la masculinité. Les jeunes disent qu'il faut s'intéresser à la masculinité.
J'ai discuté avec un jeune gangster du Honduras. Il m'a dit: « Vous me parlez de l'identité masculine comme d'une force destructrice. J'ai 20 ans; vous arrivez une quinzaine d'années trop tard. » Il me disait que les interventions pendant la petite enfance, au stade où on propose des approches fondées sur des valeurs, où on parle de notions comme la masculinité, où on essaie d'aborder les expressions négatives de la masculinité ou d'inculquer un discours plus constructif, non violent, sur la masculinité, discours qui n'est pas nécessairement axé sur le pouvoir à l'égard des jeunes femmes et sur l'accès à ces jeunes femmes, doivent commencer beaucoup plus tôt.
L'UNICEF, même s'il se consacre aux jeunes de moins de 18 ans, reconnaît que, comme contribution à la stratégie de la jeunesse, de la paix et de la sécurité, les modèles d'intervention précoce dans les écoles primaires et secondaires sont absolument indispensables. Le début de l'adolescence est une étape tout à fait cruciale.
D'autre part, il a été intéressant de constater que les jeunes — et cela tient peut-être à la composition des groupes de jeunes avec qui nous avons discuté, même si, me semble-t-il, nous nous sommes adressés à un large échantillon — nous demandaient d'être prudents et de ne pas nous cantonner dans la formation professionnelle. Ils ne veulent pas être considérés comme des automates conçus pour certains secteurs de l'économie, pour certains emplois dans la société. L'éducation, c'est bien plus que cela.
Cela ne veut pas dire que la formation professionnelle soit sans importance pour les jeunes, mais ils nous ont dit que, en matière d'éducation, il ne fallait pas nous attarder au seul aspect professionnel, axé sur l'emploi. Dans certaines sociétés, en effet, les jeunes ont dit que le décalage entre les diplômes qu'ils peuvent décrocher et les possibilités d'utiliser ces compétences dans des créneaux créatifs, inclusifs, dans la société, était la source d'une profonde exaspération. Si nous n'admettons pas que les études doivent être utilisables pour les jeunes, nous commettons une grave erreur, mais cela ne veut pas dire qu'il faut se limiter à la seule formation professionnelle.
Dans tous ces domaines, donc, les jeunes estiment que l'éducation est essentielle, mais je dirai ceci: la façon dont ils ont décrit les relations triangulaires entre les études, l'emploi et l'engagement citoyen a été très éclairante. Les jeunes ont dit qu'ils ne voulaient pas d'une éducation qui ne leur ouvre aucune avenue, mais l'éducation en matière de paix est très importante à leurs yeux. Ils ne veulent pas d'emplois qui les limitent à balayer des rues; ils veulent des emplois qui ont du sens et qui leur permettent d'apporter quelque chose à la société. Voilà qui est très éloquent, en ce qui concerne les rapports entre les études, les emplois et la paix pour les jeunes.
Considérez-vous avec optimisme les programmes d'études de certains pays comme moyens de réaliser cette initiative en matière de paix et de sécurité dans le domaine de l'éducation et d'allier les études axées sur l'emploi et une éducation qui vise à mettre en place un processus, à bâtir une société meilleure?
Sur le plan de l'éducation, nous avons observé une innovation et une créativité inimaginables chez les jeunes qui ont pris en main le programme d'études. Des organisations extraordinaires de la société civile, qui sont souvent en marge du programme de l'éducation institutionnelle, participent parfois à des partenariats très originaux avec les systèmes d'éducation pour établir des liens entre éducation formelle et éducation informelle. Nous avons remarqué chez les jeunes un réel appétit pour une éducation fondée sur des valeurs, axée sur les valeurs maîtresses de la société. Toutes ces observations sont très importantes. Elles sont liées au privilège que j'ai eu de passer deux ans avec des jeunes, des jeunes qui seraient probablement encore plus intimidés que moi par les protocoles et les formalités de ces espaces dont ils se sentent souvent exclus. Je voudrais communiquer tout ce que j'ai vu pendant ces deux dernières années, diffuser tout cela dans cette salle pour que vous puissiez ressentir l'inspiration dont mes échanges avec les jeunes ont été la source, ces jeunes qu'il nous arrive tellement souvent de considérer comme dangereux.
Monsieur Simpson, je tiens à vous remercier du témoignage que vous nous avez livré ce matin. Les questions et les échanges vous auront montré qu'il a été très bien reçu et exceptionnellement éclairant.
Nous allons suspendre la séance pour que les prochains témoins puissent prendre place.
La séance reprend.
Ces dernières années, il n’y a pas eu d'enjeu plus important et plus discuté, tant au Sous-comité des droits internationaux de la personne qu’au Comité des affaires étrangères, que le piètre état de la démocratie au Venezuela. Nous avons eu de multiples activités. Nous avons accueilli des députés démocratiquement élus à l’Assemblée nationale en 2016. À l'extérieur du Comité, il y a eu de nombreuses tables rondes avant et après la déclaration du gouvernement appuyant l’initiative du Groupe de Lima.
Là-dessus, accueillons Orlando Viera-Blanco, le représentant au Canada de Juan Guaidó, président intérimaire du Venezuela. Il nous renseignera sur la répression qui se poursuit au Venezuela et dont les médias nous transmettent des images.
J’ai eu l’occasion de passer plusieurs jours avec l’ambassadeur Diego Arria, qui m'a parlé directement de ce qui se passe dans les rues et de la situation horrible de ceux qui doivent se déplacer, surtout vers la Colombie.
Monsieur Viera-Blanco, c’est un honneur de vous accueillir. Nous attendons tous avec un vif intérêt que vous nous mettiez au courant de ce qui s'est passé ces derniers mois. Je vous souhaite la bienvenue au Comité.
Fidèle à nos usages, je vous invite à prendre une dizaine de minutes pour faire un exposé. Je sais que les députés de tous les partis manifesteront un grand intérêt et qu'ils auront beaucoup de questions à vous poser.
Je vous en prie.
Bonjour. Merci beaucoup de votre aimable invitation à faire le point sur ce qui se passe au Venezuela.
Il y a cinq ans, j’ai comparu devant le Comité avec de nombreux témoins, des dirigeants politiques vénézuéliens, pour faire état du terrible drame qui secoue le Venezuela. Cinq ans plus tard, la situation s’est aggravée. C'est une situation d’urgence. Nous vivons la pire crise humanitaire de l’histoire de mon pays et même de tous les pays de l'Amérique latine.
Huit mille personnes ont été exécutées au Venezuela; 30 000 sont victimes de persécutions; 3,5 enfants sur 10 qui naissent au Venezuela décèdent; depuis 20 ans, 300 000 personnes sont mortes, victimes de crimes que la justice ne réprime pas, puisque le taux d'impunité atteint 94 %. Ce sont là des données embarrassantes que nous devons au régime.
Le régime ne se contente pas de dévaster l’économie du pays. Il nous enlève notre stabilité. La dévastation prend une dimension sociale, humanitaire, politique. Au bout du compte, c’est l'idée même d’État qui est détruite.
Nous n’avons pas d’institutions; il n'y a pas de séparation entre les pouvoirs. Maintenant, nous n’avons plus d’énergie, nous n’avons plus d’électricité, nous n’avons plus d'éclairage. Nous n’avons rien à manger, rien à boire et nous n'avons pas de médicaments.
Chaque fois que j’en ai eu l’occasion, j'ai rappelé le chiffre qui suit parce qu'il est important pour comprendre l'ampleur de la dévastation. En 20 ans, le Venezuela a reçu 1,4 billion de dollars, soit 1,4 million de millions de dollars. Le chiffre comparable, pour l'ensemble de la ville de Dubaï, n'est que de 250 milliards de dollars, soit un cinquième de ces 1,4 billion de dollars. Voilà qui montre l'immensité des dégâts causés par la corruption et les abus au Venezuela. C'est une sorte de record.
Récemment, le chef de cabinet du président intérimaire Juan Guaidó a été arrêté. Ce n’est pas un simple prisonnier. Il est le chef de cabinet du président intérimaire reconnu par le Canada et par les plus importantes démocraties du monde. Voilà la situation. C’est la réalité. La communauté internationale doit réfléchir à ce que cette situation signifie pour l’ordre public international.
Nous avons d'autres statistiques pénibles. Je ne parle pas aujourd’hui en tant qu’ambassadeur. Je parle du fond du coeur, au nom de mon peuple. On voit des enfants vénézuéliens boire de l’eau tirée d’une rivière toxique. Samedi dernier, j’ai vu une jeune fille de 23 ans accoucher dans la rue. J’ai vu un vieil ami de ma famille mourir à l’hôpital dimanche parce qu’il n’y avait pas d'électricité pour faire fonctionner les appareils d'assistance respiratoire.
Il ne s’agit pas d’une situation unique au milieu du XXIe siècle. Rappelons-nous ce qui s'est passé au Rwanda en 1994, ce qui s'est passé en Somalie, ce qui s'est passé dans tant d'autres pays dévastés avant qu’un génocide ne se produise. Au Venezuela, nous sommes au bord de la guerre civile. Je le répète, il n’y a pas d’eau, pas de médicaments, pas de nourriture, pas d'éclairage, pas d'électricité et pas de justice. Il est impossible de vivre dans de pareilles conditions.
Une dernière réflexion. Lorsque je suis venu au Canada pour la première fois, j’avais 17 ans. Je suis venu à l’invitation de mon beau-père pour visiter le pays. Il n'y a pas que l'immensité du pays qui m'ait fasciné. À 17 ans, j'ai été fasciné par un seul concept: la justice. Le Canada respire la justice. La justice, aujourd'hui, signifie la liberté. La liberté, c’est le bonheur; le bonheur, c’est l’amour. C’est pourquoi j’aime le Canada: vous avez la justice, vous avez le bonheur, vous avez la liberté et vous avez l’amour.
Au Venezuela, nous avons perdu la justice, la liberté, le bonheur et la possibilité de vivre dignement. Nous avons besoin de l’aide de la communauté internationale, mais nous avons besoin d’autre chose de la part du Canada et de la communauté internationale, c’est-à-dire une grande réflexion sur cette situation. Sauf votre respect, il ne suffit pas de dénoncer la situation. Il ne suffit pas de faire des déclarations. Il faut aller de l’avant et réfléchir à la façon de créer une coalition pour sauver notre pays et pour instaurer la justice, la liberté, la démocratie et la primauté du droit.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup.
Passons directement aux questions. Nous allons commencer par M. O’Toole. Je vous en prie.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci d'être là, monsieur l’ambassadeur. C'est un plaisir de vous revoir. Par votre entremise, je tiens à dire au président Guaidó et aux Vénézuéliens que tous les partis au Canada vous appuient dans la crise que vous traversez.
Puisque la séance est télévisée, il est important que les Canadiens connaissent toute l’ampleur de la crise. Je vais donc en dire un mot. Je me reporte au rapport préliminaire de l’OEA, l'Organisation des États Américains, sur la crise des réfugiés en particulier, qui y est qualifiée de plus grande crise de l’histoire de l’hémisphère occidental. D'après les estimations, le nombre des réfugiés vénézuéliens atteindra cette année près de cinq millions et demi. Et ceux qui restent au Venezuela ont du mal à se nourrir, ils sont aux prises avec des pénuries alimentaires et ils manquent de soins de santé. Ceux qui s'enfuient se dirigent vers les pays environnants. Au cours de la dernière année, estimez-vous que ces migrations, ces départs de réfugiés se sont intensifiés? Y a-t-il une fin en vue, si le régime Maduro s’accroche au pouvoir?
Bien sûr, avec l'augmentation de l'exode au Venezuela ces trois ou quatre dernières années, on a peut-être dépassé les trois millions de personnes. En 2014, certaines études avaient démontré qu’un million et demi de Vénézuéliens avaient émigré, nous en sommes maintenant facilement à environ 4,5 millions. Les gens marchent de Caracas à l’Argentine; il n’y a pas qu’un seul émigrant par avion ou par voiture. Des gens marchent du Venezuela et meurent en route vers la Colombie, le Pérou ou l’Équateur. Les répercussions sur l’économie du pays et de la région sont énormes.
La Colombie compte 1,2 million de Vénézuéliens et le coût par personne est d’environ 3 500 euros. Donc, si vous faites le calcul, cela représente 4 milliards d’euros par an simplement pour essayer de maintenir ou d’aider ces gens dans une telle économie.
L’économie latino-américaine ne peut pas absorber ce genre de migration. Cela fait partie des conséquences de la migration. Dans 90 % des hôpitaux publics du Venezuela, il n’y a ni médicament ni équipement pour soigner les patients.
Nous devons tenir compte du fait que des gens sont morts au Venezuela parce qu’il n’y avait pas de médicaments pour traiter certaines maladies comme le sida, le diabète, etc. De nouvelles maladies sont apparues, comme le paludisme ou d’autres maladies infectieuses qui ont été éradiquées dans mon pays. Les répercussions de la crise des trois ou quatre dernières années ne font qu’empirer. C’est pourquoi les gens décident de partir.
Enfin, pour que vous le sachiez — c’était dans les nouvelles d’hier —, l’ancien gouvernement du Venezuela essaie de retirer l’immunité au président Guaidó, peut-être pour le jeter en prison.
C’est la situation au Venezuela.
Merci.
Dans vos remarques d'introduction, vous avez parlé de 8 000 personnes tuées et de 30 000 persécutées. Dans ce rapport, l’OEA attribue l’exode de citoyens vénézuéliens à trois facteurs, à savoir la violence généralisée, la crise humanitaire et les pénuries, mais aussi la violation généralisée des droits de la personne par le régime Maduro qui, comme l'indique ce rapport, ont été considérées par un groupe d’experts comme étant des crimes contre l’humanité remontant à 2014.
Nous en sommes au point où le régime Maduro, comme vous l’avez dit, a procédé à l'arrestation du chef de cabinet de M. Guaidó, prétendant que M. Guaidó ne pourra plus occuper de charge publique pendant 15 ans. À quel point la communauté internationale et la doctrine de la responsabilité de protéger interviennent-elles? Nous nous retrouvons dans une situation où des milliers de personnes sont touchées par ce que les experts ont qualifié de crime contre l’humanité et d'immenses souffrances pour un peuple où, essentiellement, il y a paralysie même pour obtenir de l’aide. Pensez-vous que nous abordons des situations où la doctrine de la responsabilité de protéger devrait être examinée pour atténuer cette souffrance et mettre fin aux crimes contre l’humanité?
L’étude que vous avez lue date de 2016. Nous sommes déjà en 2019. Si vous m’aviez demandé en 2016 si la responsabilité de protéger s’appliquait au Venezuela, j’aurais répondu oui et j’ai beaucoup écrit à ce sujet. Trois ans plus tard, combien de personnes sont mortes au Venezuela parce que nous avons toujours considéré la responsabilité de protéger comme une doctrine théorique ou un principe unique?
La réponse est oui, bien sûr, et je ne veux pas voir mon pays attendre trois ans, voire même un an de plus pour que sa situation soit vraiment prise en considération, au bon vouloir de la communauté internationale.
Bonjour, monsieur Viera-Blanco. Merci beaucoup d’être venu aujourd’hui et merci beaucoup de votre témoignage percutant.
J’ai trois questions. L’une est fondée sur la légitimité de ce qui se passe; la seconde concerne la crise humanitaire, surtout lorsque vous avez parlé de la Cour suprême du Venezuela; l’autre porte sur la situation géopolitique.
Commençons par la légitimité. Il y a des gens au Canada et certains partis politiques qui croient que Maduro était le dirigeant dûment élu du Venezuela parce qu’il semble qu’il y ait eu des élections libres et justes.
Il y a trois principes dans votre constitution: l’article 233, l’article 333 et l’article 350. Les articles 233 et 333 sont peut-être discutables, mais j’aimerais vous lire l’article 350, parce que je pense qu'il démontre clairement la légitimité de M. Guaidó comme président intérimaire. L’article 350 affirme que:
Le peuple vénézuélien, fidèle à sa tradition républicaine, à sa lutte pour l’indépendance, la paix et la liberté, ne reconnaîtra aucun régime, législation ou autorité contrariant les valeurs, principes et garanties démocratiques ou portant atteinte aux droits de la personne.
Selon ces trois parties de la constitution, jugez-vous légitime le fait que M. Guaidó se soit déclaré président intérimaire?
Je dois peut-être préciser pourquoi la présidence de M. Maduro est illégitime. En 2018, nous devons nous rappeler qu’il a demandé que la constitution... c'était illégal parce qu’en vertu de notre constitution, il n’est pas possible que le président convoque une assemblée constitutionnelle et une telle convocation sans cause doit être ratifiée par un vote populaire. Ce n'est pas ce qui s'est produit. C’est pourquoi la convocation était illégale. Toutefois la constituante vient d'appeler à une élection présidentielle sans y avoir été davantage mandatée, moyennant les nombreux inconvénients que cela représente pour l’opposition, pour la légalité de nombreux partis de l’opposition.
Donc, M. Maduro est devenu président suite à une élection illégale et illégitime.
C'est à l'échéance du mandat, le 10 janvier 2019, que l’article 233 s’est appliqué, lequel article prévoit la nomination constitutionnelle d'un autre président en l'absence d'un président légitime au pouvoir. Dans l'ordre de succession, le président de l’assemblée a légitimement assumé la présidence du Venezuela. M. Guaidó a donc bénéficié de l'ordre de succession au pouvoir.
Dans un premier temps, nous demandons la cessation de l’usurpation, parce qu’il s’agit d’une usurpation de la part de M. Maduro, qui est actuellement un président illégitime. Nous demandons l’application de l’article 350 sur le droit légitime du peuple de défendre la démocratie constitutionnelle. Ensuite, nous souhaitons une transition politique avec déclenchement d'élections libres.
Je ne pense pas avoir le temps de poser mes trois questions, mais je vais vous poser ma dernière au sujet de la situation géopolitique actuelle au Venezuela. Vous avez sûrement lu, la semaine dernière, que la Russie a envoyé 100 conseillers militaires et de l’aide humanitaire au Venezuela. La Chine a également envoyé quelque 65 tonnes de fournitures médicales.
Quand on examine la situation actuelle, on constate que la Chine investit massivement au Venezuela et que la Russie y a investi ou y a fait des investissements par le passé, où qu'elle essaie de récupérer ses investissements soit avec le pétrole, soit par d’autres moyens. Comment le Venezuela va-t-il maintenant aller de l’avant compte tenu de la prise de participation de la Russie et de la Chine?
La participation de la Chine au Venezuela s'élève à près de 60 millions de dollars américains. Les Chinois participent à l’économie vénézuélienne, mais il y a aussi la Russie qui envoie maintenant des conseillers militaires.
À l’avenir, comment négocierez-vous avec deux superpuissances qui sont effectivement des acteurs sur le terrain?
Je ne sais pas comment la communauté internationale qui se préoccupe des droits de la personne au Venezuela et de cette situation va traiter avec la Russie et la Chine. C’est une question qui doit être négociée. Elle doit être résolue par la communauté internationale. Mais je peux vous dire une chose. Les premiers investisseurs qui doivent changer le gouvernement au Venezuela en raison de la dévastation et de la paralysie totale du pays sont la Russie et la Chine. Ils ne récupéreront jamais l’argent qu’ils ont investi au Venezuela avec ce genre de situation. Ils ont besoin d’un changement.
Je ne pense pas que ce soit vraiment un obstacle à la négociation d’un changement avec la Chine et la Russie. À mon avis, la Chine et la Russie sont des questions qu’on ne peut pas régler autour d'une table.
Le problème est de savoir comment nous pouvons résoudre la situation. Comment le peuple vénézuélien peut-il régler cette situation seul? Il défend un pays et un peuple sans armes et qui n'a pas l'intention de s'armer. C’est un peuple pacifique. Voilà le vrai problème.
Il y a autre chose. Ce n’est pas une question d’investissement, une question économique ou matérielle qui justifie le genre de crimes contre l’humanité qui sont commis au Venezuela. On ne peut justifier un investissement sur les bases d'une conduite exemplaire et d'une confiance réciproque [Inaudible] un régime comme celui-ci.
Avant de donner la parole à M. Caron, je tiens à informer les membres du Comité qu’un vote est prévu à 10 h 35. Si tous les membres du Comité sont d’accord, nous pourrons poursuivre 20 à 25 minutes de plus. Ensuite, nous lèverons la séance et irons à l'étage. Cela vous convient-il?
Monsieur Caron.
[Français]
Bonjour et bienvenue, monsieur Viera-Blanco. Je crois que la langue française vous est familière, n'est-ce pas?
Excellent.
J'aimerais revenir sur la question de l'aide humanitaire. Elle est nécessaire présentement, c'est évident. Une des préoccupations que nous pouvons avoir, cependant, c'est la politisation de l'aide humanitaire. Nous l'avons vu, par exemple, à la suite du refus de l'aide américaine et de celle des pays du Groupe de Lima, ainsi que de l'acceptation par M. Maduro de l'aide qui vient de la Russie et de la Chine. Selon M. Guaidó, une dépolitisation de l'aide peut-elle se faire? Cette dépolitisation est-elle nécessaire et désirable pour que l'aide humanitaire puisse vraiment parvenir au Venezuela, dans la situation actuelle?
Du point de vue de M. Guaidó, en ce qui concerne l'aide humanitaire, il ne peut y avoir de politisation. L'aide humanitaire, c'est de l'aide humanitaire, point final. Il ne peut donc pas y avoir de politisation de quelque façon que ce soit.
La politisation de l'aide humanitaire, c'est ce qui s'est passé avec le gouvernement Maduro, qui a demandé la participation ou l'apport d'autres institutions de la Chine et de la Russie pour justifier de bonnes dispositions à l'égard de l'aide humanitaire. C'est cela, la politisation.
Toutefois, pour M. Guaidó, il n'y a pas de politisation, ce qui est reflété dans les citations des meilleurs sites américains. Ce sont des citations vraiment sans équivoque qui font état d'une urgence humanitaire au Venezuela en s'appuyant sur toutes les statistiques que je vous ai fournies aujourd'hui.
Quels gestes souhaitables le Canada pourrait-il faire pour venir en aide aux pays limitrophes qui sont touchés par l'exode des réfugiés? On parle beaucoup de la situation de l'aide humanitaire au Venezuela, mais les pays limitrophes, comme le Pérou et la Colombie, subissent beaucoup de pression présentement. De quelle façon pouvons-nous agir, en tant que pays, pour venir en aide à ces États qui subissent actuellement les contrecoups de cette situation?
Au Canada, il y a déjà une politique d'aide humanitaire au Venezuela, d'aide humanitaire en Colombie et de stimulation de l'économie de la Colombie, du Pérou et de l'Équateur. Cependant, cette aide est très importante, parce que l'exode de la population vénézuélienne a une incidence économique immense sur le pays. Pour le Canada, il est clair que la meilleure manière d'aider actuellement à corriger la situation des autres pays, comme la Colombie, est de stimuler l'économie de ces pays puisque l'aide humanitaire est bloquée par le gouvernement Maduro.
Comme il me reste encore du temps, j'ai encore une question.
Jusqu'à un certain point, je vois des parallèles entre ce qui se passe actuellement au Venezuela et ce qui s'est passé en Syrie. En tout cas, cette situation présente peut-être un risque, étant donné le jeu des acteurs internationaux, soit la Russie et la Chine d'un côté, et les États-Unis de l'autre. Est-ce une préoccupation que vous avez? À votre avis, de quelle manière pouvons-nous en arriver, de l'extérieur, à favoriser une solution qui nous éloignerait de ce qui s'est passé en Syrie et qui pourrait, en fait, être plus constructive, compte tenu de la situation géopolitique?
Pour le moment, une coalition internationale est mise sur pied pour essayer de maintenir la loi au Venezuela. C'est très important. Il s'agit d'une coalition internationale et stratégique. Comme c'est une dynamique économique du régime avec d'autres pays, il faut que nous invitions d'autres pays pour être du bon côté de l'histoire.
Ce sont là la politique et les stratégies de la coalition internationale et des dirigeants. Cela fonctionne, mais je ne suis pas certain que cette politique sera suffisante pour arriver à un bon résultat.
J'ai une dernière question.
Dans l'éventualité où M. Guaidó deviendrait le président reconnu et légitime du Venezuela, est-ce son intention de procéder à des élections? Le cas échéant, dans quel délai se tiendraient-elles?
Oui.
M. Guaidó a déjà parlé de tenir des élections démocratiques au Venezuela s'il devenait le président reconnu et légitime. Le ferait-il?
Bien sûr.
Si on parle de la séquence des événements après la cessation de l'usurpation, un gouvernement de transition pourrait préparer une élection libre, juste et transparente.
[Traduction]
Je reviens à cette question. Je pense au chef du NPD qui a émis l’hypothèse que nous ne devrions peut-être pas reconnaître le gouvernement de Guaidó, parce qu’il devrait y avoir des élections immédiates. Pensez-vous que les circonstances actuelles, sous Maduro, permettent la tenue d’élections libres et justes? Selon vous, que faudrait-il mettre en place avant que cela puisse se produire?
Excellente question, parce que nous traversons ce que les avocats appellent « une urgence constitutionnelle ». Dans une telle situation, la constitution prévoit que cette transition nécessite une trentaine de jours avant le déclenchement d'une élection libre. Or, cela n'arrivera pas parce que nous vivons une situation d’urgence au Venezuela.
Par contre, pour avoir une élection réelle, libre, transparente et juste, il faut changer les autorités électorales. Tout le monde sait que les dernières élections au Venezuela ont été frauduleuses et que le gouvernement est intervenu sur de nombreux points, ce qui est très compliqué à expliquer ici.
Nous devons apporter des ajustements au registre électoral du Venezuela, car il penche manifestement pour le gouvernement, afin de permettre la tenue d’élections libres. Entretemps, nous devons mettre fin à cette usurpation. C’est l’objectif actuel.
Je signale que le Canada n’a pas reconnu les élections présidentielles de mai dernier comme étant légitimes. Diriez-vous qu'il faudrait mettre en place certaines mesures qui seraient différentes de celles en mai dernier pour que nous ayons la capacité, à l’heure actuelle, de tenir des élections équitables?
C’est exact. Le Canada a reconnu Juan Guaidó parce qu’il n’a pas reconnu l'élection de Maduro l’an dernier.
Merci, monsieur le président.
Merci de votre témoignage.
Le Canada a reconnu le président Guaidó dont vous êtes le représentant ici au Canada. Le gouvernement vénézuélien possède des propriétés diplomatiques ici, au Canada. Comme vous êtes le représentant du gouvernement vénézuélien reconnu, avez-vous accès à ces propriétés diplomatiques ici au Canada?
Au Canada, le Venezuela a une ambassade, une résidence pour l’ambassadeur et quatre consulats, autant de propriétés qui sont actuellement aux mains des fonctionnaires de Maduro. Nous n'avons pas pour priorité d’essayer de prendre possession de ces installations.
Nous cherchons à expliquer l'aide dont nous avons besoin et à aider le Canada à déployer des efforts humanitaires au service des Vénézuéliens, ici au Canada, afin de résoudre les nombreux problèmes liés à [Inaudible]. Nous nous intéresserons plus tard au reste.
Oui, je reconnais que c’est loin d’être l'élément le plus important, mais j’étais curieux de savoir comment se traduit concrètement la reconnaissance de votre statut par le Canada.
... pour orchestrer une sorte de confrontation sur ce plan. L’idée, c’est l’inclusion. L’idée n’est pas de les empêcher d’essayer de [Inaudible] pour les Vénézuéliens qui vivent au Canada. C’est notre position à l'heure actuelle.
Je tiens à vous remercier de vos commentaires et de votre témoignage de ce matin.
Vous savez que cela demeure une priorité pour le gouvernement et pour les parlementaires également. Le peuple canadien, le gouvernement du Canada sont tous solidaires du peuple vénézuélien et nous continuerons, comme vous l’avez dit aujourd’hui, à travailler pour trouver des moyens de vous apporter une aide et d'atteindre des résultats positifs. Nous constatons la répression. Nous constatons l’aggravation de la situation sur le terrain, le phénomène de déplacement, la faim, la malnutrition, le déni des droits démocratiques et nous savons que les choses ne peuvent continuer ainsi.
Merci beaucoup pour votre présence aujourd’hui.
La séance est levée.
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