Passer au contenu

FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 051 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 9 mars 2017

[Enregistrement électronique]

(0845)

[Traduction]

    Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous étudions la situation en Europe orientale et en Asie centrale 25 ans après la fin de la guerre froide. Nous recevons aujourd'hui Paul Stronski, associé principal du programme de Russie et Eurasie, qui se joint à nous par vidéoconférence à partir de Washington.
    Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur. Nous sommes heureux de vous recevoir. Vous êtes notre seul témoin pour cette première heure. Nous vous invitons à présenter votre exposé d'une durée de 10 minutes environ, puis les membres du Comité vous poseront tour à tour des questions.
    Vous avez la parole.
    Je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler de la Russie, de l'Europe orientale et de l'Asie centrale.
    On m'a posé de nombreuses questions, et je ne pourrai pas répondre à chacune d'entre elles en 10 minutes; je vais donc centrer mes commentaires sur la Russie et son incidence sur l'Europe et la sécurité transatlantique, et sur l'Asie centrale, puisque ce sont mes domaines d'expertise. Je serai heureux de répondre à vos questions sur d'autres sujets également.
    Tout d'abord, je tiens à dire que la relation entre l'Occident et la Russie a atteint son niveau le plus bas depuis les années 1980. Les lignes de faille entre la Russie et la communauté transatlantique reflètent les intérêts et valeurs fort divergents, et n'ont pas seulement trait à l'Ukraine. La relation est cyclique et il n'y a pas de solution rapide pour régler les problèmes auxquels nous sommes confrontés. De nombreux leaders occidentaux, surtout les anciens présidents des États-Unis George W. Bush et Barack Obama, ont tenté de rétablir les relations avec la Russie, qui, au lieu de s'améliorer, se sont envenimées. J'espère vraiment que le président Trump réalisera cela très bientôt.
    Les relations entre le Canada et la Russie ont connu des hauts et des bas profonds, tout comme celles entre le Royaume-Uni et la Russie, et je crois que c'est le cas de presque tous les États occidentaux. Or, l'annexion de la Crimée et les agressions de la Russie dans l'Est de l'Ukraine ont perturbé le contexte de la sécurité de l'après-guerre froide. Ayant perdu une grande partie de sa puissance douce dans la région, la Russie tente de créer une sphère d'influence en Eurasie par la force militaire au besoin, les pressions économiques lorsqu'elle le peut, de même que de nouveaux outils hybrides.
    La Russie veut aussi repousser les valeurs et influences occidentales en Russie et dans l'ancien espace soviétique, mais elle ne s'arrête pas là. Elle veut discréditer les systèmes politiques démocratiques occidentaux, et nous avons vu ce qui s'est passé aux États-Unis et ce qui se passe actuellement en Europe.
    C'est notamment parce que le Kremlin et de nombreux autres leaders autocratiques de l'Asie centrale et d'ailleurs dans la région perçoivent la promotion de la démocratie et de la primauté du droit à titre de menaces pour la sécurité de leurs régimes. Aujourd'hui, la Russie n'aspire plus à faire partie de l'Occident, alors que c'était le cas pendant les 20 premières années suivant l'effondrement de l'URSS; elle tente de réécrire les principes de base de l'ordre international et de résister à un système mondial dominé par l'Occident depuis 25 ans.
    L'incursion de la Russie dans les élections américaines a perturbé le système politique des États-Unis, et soulève de nombreuses questions quant à l'engagement de Washington à l'égard de l'OTAN, de l'Europe orientale et de l'Eurasie. Nous sommes témoins de la propagande russe, d'opérations d'information et d'une subversion rappelant la guerre froide en Europe alors que les élections approchent. On nourrit une vague dangereuse de populisme qui menace l'unité européenne. Cela pourrait bouleverser les systèmes politiques de l'Europe, et les répercussions se font déjà sentir en Europe orientale et dans les pays de l'ancienne Union soviétique.
    Ainsi, le Canada et ses alliés sont confrontés à des défis de taille, à un moment où l'OTAN et l'Union européenne sont beaucoup moins unies qu'avant. Cette situation est en partie attribuable à l'engagement incertain de l'administration Trump à l'égard de l'Europe et de l'OTAN, mais aussi au Brexit et aux problèmes internes au sein de l'Union européenne. De plus, tout cela arrive à un moment où la situation sociale et économique est inconfortable dans l'ancienne Union soviétique.
    En ce qui a trait à l'Asie centrale maintenant, je crois qu'on doit se centrer sur deux principaux enjeux qui ont une incidence sur sa politique étrangère et sa politique en matière de sécurité. Tout d'abord, il importe de souligner que la région a été très mal gouvernée et que les populations ont été mal servies par leurs chefs depuis l'effondrement de l'URSS. Nombre des futurs problèmes de la région, tout comme ses problèmes actuels, sont tout aussi attribuables aux défis posés par les gouvernements et l'élite politique de ces pays qu'aux menaces externes, qu'elles viennent de la Russie ou du terrorisme international.
    Les leaders postsoviétiques de première génération de l'Asie centrale sont sur le point de laisser la place à la prochaine génération, et tous les autocrates sont là depuis au moins 10 ans; certains depuis plus de 25 ans. Au fil de cette transition, la stabilité politique demeurera un enjeu clé pour la région.
(0850)
    Au Kazakhstan et en Ouzbékistan, qui sont les pays les plus puissants, les plus riches et les plus peuplés de la région, la transition sera la clé de la stabilité régionale. En Ouzbékistan, ce processus a commencé par le décès du président Karimov l'automne dernier. Étonnamment, les choses se passent en douceur, ce qui est très bien. Toutefois, au Kazakhstan — le plus riche de tous les pays de l'Asie centrale — Nazarbaïev est très vieux et son successeur n'est pas encore connu. On semble être en train de trouver une solution.
    Je dois aussi dire que les périodes où les relations entre l'Occident, les États-Unis et la Russie ont été les plus difficiles au cours des 25 dernières années étaient habituellement associées à des changements de leadership dans d'autres anciens États soviétiques. La possibilité d'un changement de leadership au cours des 5 ou 10 prochaines années — et même au cours de la prochaine année — en Asie centrale et au Caucase du Sud, avec ces autocrates vieillissants... Des élections sont aussi prévues au Kirghizistan, un pays semi-démocratique, et en Arménie. La possibilité d'un changement de leadership est très élevée, tout comme la possibilité d'un malentendu.
    Le Kremlin perçoit toute forme de mécontentement socioéconomique ou de révolte populaire non pas comme un mouvement de bas en haut, comme nous le percevons ici en Occident, mais comme un mouvement orchestré par les puissances externes. C'est ce qui a mené à de nombreuses confrontations entre la Russie et l'Occident associées à Maïdan, en Ukraine, à la Révolution des roses en Géorgie, à la Révolution des tulipes au Kirghizistan et à d'autres. Je crois que la possibilité d'un malentendu entre l'Est et l'Ouest sera très élevée à l'avenir.
    De plus, ce changement de leadership se produira au cours d'une période de grandes difficultés socioéconomiques dans la région. L'Asie centrale exporte principalement des ressources naturelles, comme le pétrole, le gaz naturel, le coton, l'or et d'autres minéraux, qui se vendent tous à des prix plus bas que jamais. Les envois de fonds de la Russie sont à la baisse, et les taux élevés de corruption dans la région nuisent au climat d'investissement. Le contexte économique est mauvais dans l'ensemble de la région et les gouvernements de l'Asie centrale réduisent les budgets et abaissent la valeur de leurs devises, ce qui entraîne une augmentation de l'inflation et de la pauvreté. Certaines personnes tombent ainsi bien en deçà du seuil de pauvreté.
    Cela survient à un très mauvais moment, puisque la région a connu une explosion démographique. La moitié de la population de l'Ouzbékistan est née après l'effondrement de l'Union soviétique. Ces gens doivent trouver un emploi, ils ont besoin de soins de santé et doivent se sortir de la pauvreté, à un moment où les gouvernements ont très peu d'argent pour les aider.
    L'extrémisme islamique représente un autre problème possible. Ce n'est pas un problème pour le moment, mais ce pourrait l'être plus tard. Les gouvernements de l'Asie centrale et de la Russie exagèrent le problème pour justifier un pouvoir autoritaire, mais cette exagération brouille souvent les cartes quant à la réelle mesure actuelle ou éventuelle du problème. Ce que nous savons, c'est que l'Asie centrale est depuis longtemps un lieu de recrutement difficile pour les extrémistes en raison de la nature très autoritaire de la région et des legs de la sécularisation soviétique. Comme je l'ai dit plus tôt, environ la moitié de la population est née après l'effondrement de l'Union soviétique. Il n'y a pas vraiment de débat public sur l'extrémisme, ses causes et ses liens avec les inégalités socioéconomiques dans la région; on ne sait donc pas vraiment dans quelle mesure cela pourrait être un problème à l'avenir.
    Nous savons aussi que les frontières de la région sont très poreuses, ce qui représente un problème puisque le Nord de l'Afghanistan est maintenant très instable. On fait état de combattants étrangers de l'Asie centrale en Syrie, qui pourraient facilement se déplacer. Il faut surveiller la situation.
    Enfin, tout cela se passe en Asie centrale à un moment où l'Occident se dissocie de la région après s'être retiré progressivement de l'Afghanistan. Pour la plupart des pays occidentaux, l'Asie centrale n'est pas une priorité à l'heure actuelle.
    Or, ce n'est pas le cas de la Chine — l'investisseur principal dans la région —, qui investit surtout dans les infrastructures, les mines, le transport et les télécommunications. La Chine a dépassé la Russie et l'Union européenne à titre d'investisseur principal dans la région. La Russie, cette ancienne puissance coloniale, tente d'utiliser le peu de pouvoir de convaincre et d'influence économique qu'il lui reste, par l'entremise de l'Union économique eurasiatique, des accords bilatéraux et de l'Organisation du traité de sécurité collective. Toutefois, le conflit en Ukraine et l'approche contraignante de la Russie à l'égard de l'Ukraine ont perturbé de nombreux États de l'Asie centrale. Ils sont donc très nerveux à l'idée de ce qui pourrait venir de Moscou et ils tiennent à ce que l'Occident demeure engagé dans la région.
    Tout cela arrive aussi à un moment où l'Iran souhaite accroître son influence et son commerce après le PAGC, l'accord nucléaire de l'Iran.
(0855)
    Le contexte socio-économique et politique change beaucoup dans la région, à un moment où un grand changement géopolitique s'opère. Je crois que c'est une période fort intéressante et qu'il est important de maintenir l'engagement en Asie centrale et en Eurasie.
    Merci beaucoup. Je serai heureux de répondre à vos questions.
    Merci beaucoup, monsieur Stronski.
    Nous allons commencer par les membres de l'opposition.
    Monsieur Kent, vous avez la parole. Vous disposez de six minutes. Allez-y.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Stronski, de votre présence ici aujourd'hui.
    Mon introduction sera brève, parce que j'ai plusieurs questions à vous poser.
    Tout d'abord, j'aimerais connaître votre impression quant à la récente recrudescence de la guerre appuyée par la Russie dans l'est de l'Ukraine. S'agit-il, comme certains le prétendent, d'une simple mise à l'essai du président Trump et de la nouvelle administration ou de l'annonce d'une nouvelle tentative d'accroître le territoire au-delà de la ligne de contact? Quel est votre avis?
    Je ne crois pas que la Russie tente de gagner un nouveau territoire dans l'est de l'Ukraine. Je ne crois pas que les Russes aient besoin de faire cela. Ils ont pratiquement tout ce dont ils ont besoin. À l'heure actuelle, ils sont capables de maintenir l'instabilité en Ukraine. Ils peuvent maintenir le désordre au sein du gouvernement ukrainien et ils ont la mainmise sur l'Ukraine. Je ne crois pas qu'ils ont besoin de plus de territoire, mais je crois qu'on teste l'administration des États-Unis. Je crois aussi que c'est un test pour l'Europe et l'Occident en général, puisque les divers États ne s'entendent pas sur l'intervention occidentale requise pour faire face à cette violence accrue. On ne teste pas seulement les États-Unis ou le président Trump, mais aussi l'unité de l'Europe et de l'OTAN en cette période d'inconfort en Occident.
    Merci beaucoup.
    Que proposeriez-vous pour résoudre cette nouvelle dimension, ce nouveau problème qui émane du blocage de l'acheminement du charbon et d'autres matériaux de l'est de l'Ukraine vers les régions de l'Ouest qui en ont besoin? C'est une nouvelle crise économique.
    Cela deviendra un grave problème. Ce l'est déjà et la sécurité énergétique de toute l'Ukraine est menacée.
    Je crois que l'Occident doit continuer d'aider l'Ukraine, surtout pour protéger sa sécurité énergétique. Il faudra aussi avoir des conversations difficiles avec les Russes. Il faut que la communauté internationale aide l'Ukraine à faire face à ce problème. Il faut aussi une diplomatie robuste.
    Dans votre document, Illusions versus Reality: Twenty-Five Years of U.S. Policy Towards Russia, vos coauteurs et vous faites valoir que les États-Unis et les alliés défendront les normes sous-jacentes à la sécurité européenne et que les États-Unis maintiendront leur appui ferme à l'égard de l'Ukraine.
    Comme vous le savez peut-être, le gouvernement canadien a annoncé cette semaine la prolongation de l'opération UNIFIER, mais n'a pas répondu aux demandes de l'Ukraine et aux appels récents à l'expansion de la formation, des armes de défense létales, des armes antichars, etc.
    Qu'en pensez-vous? D'un côté, on nous dit que l'ajout de nouvelles armes de défense ne fera qu'envenimer le conflit. De l'autre, l'apaisement et le repoussement risquent de décourager la population nationale et l'armée.
(0900)
    C'est difficile d'atteindre un équilibre parce que si on ne fait rien, le peuple ukrainien et l'armée ukrainienne se décourageront, et ils tentent tous de réformer leur gouvernement, de réparer l'Ukraine et d'amener leur gouvernement à rendre des comptes.
    J'ai travaillé au sein du gouvernement des États-Unis et ce qui m'inquiète, c'est que malgré ce qu'on dit par principe, l'Occident n'offre plus concrètement le soutien nécessaire. Je crains qu'on en vienne à une guerre par factions interposées et qu'en donnant ces armes, nous attisions le conflit sans aucune volonté de le régler.
    C'est un très gros dilemme. Il n'y a pas de réponse facile. Je crois que dans les faits, la Russie se préoccupera toujours plus de l'Ukraine que les gouvernements occidentaux et que, sachant cela et connaissant les conséquences d'une telle aide, nous devons faire preuve d'une grande prudence.
     J'ai une dernière question à vous poser.
     À l'occasion de récents voyages du Comité en Europe de l'Est et selon ce que certains experts d'ici nous ont dit, nous avons appris que, malgré ses propos belliqueux et ses activités en Syrie et en Ukraine, la Russie est beaucoup plus faible qu'elle ne le laisse entendre, tant sur le plan militaire que sur le plan économique, et que cela pourrait l'empêcher de tenter autre chose ailleurs.
    Qu'en pensez-vous?
    Je suis d'accord avec cette interprétation. Je crois que l'économie russe ne va pas très bien. Je ne pense pas qu'elle est sur le point de s'effondrer, mais elle est en difficulté. Nous ne devrions pas nous attendre à ce qu'elle s'effondre et nous ne devrions pas croire que des sanctions pourraient provoquer son effondrement.
    Je pense que la situation politique et la structure sur laquelle s'appuie le fonctionnement de ce système sont très fragiles. Le gouvernement russe en est conscient et c'est pour cette raison qu'il s'évertue à communiquer une interprétation musclée des faits à son propre peuple. C'est aussi ce qui explique pourquoi, parallèlement à cela, le régime est devenu très autoritaire. Je crois que le gouvernement sait que le système n'est pas aussi fort qu'avant. Il sait qu'il y a désormais des personnes qui posent des questions, mais il laisse clairement savoir que ces questions ne doivent pas dépasser certaines limites.
    Je ne pense pas que nous devrions croire que le pays est sur le point de tomber en morceaux d'ici peu, mais nous devrions toujours nous attendre à ce que... Cet endroit a un système politique, social et économique très fragile. Je crois néanmoins qu'il est en mesure d'absorber les chocs, et que c'est ce qu'il fera. Toutefois, le peuple russe ne sait pas grand-chose au sujet des échecs que le gouvernement a dû essuyer en Ukraine et en Syrie, ni en ce qui concerne les pertes qu'ont subies le gouvernement et l'armée russe.
    La majorité des interventions des hauts dirigeants russes sont très scénarisées. Elles ne sont pas comme dans les systèmes occidentaux, où les hauts dirigeants doivent faire des apparitions publiques et s'adresser au peuple. C'est une chose qui est très rare dans un environnement contrôlé, et je crois que le gouvernement russe fait beaucoup d'efforts pour s'assurer que cela n'arrive pas.
    Merci beaucoup, monsieur Kent.
    Nous allons maintenant laisser la parole à M. McKay, pour six minutes.
    Merci, monsieur, de votre témoignage.
    J'aimerais revenir au rôle de la Chine en général et au rôle grandissant de la Chine dans cette région particulière.
    Il est banal, mais vrai de dire que le pouvoir a horreur du vide. Tous ces coups d'éclat des Russes visent dans une certaine mesure à masquer un grave déclin économique et démographique. La population russe diminue. Cela les rend dangereux, mais aussi, vulnérables. Or, c'est tout le contraire pour les Chinois. La Chine est une puissance économique en croissance qui commence à affirmer son influence.
    J'aimerais connaître votre point de vue au sujet des deux aspects suivants. Tout d'abord, croyez-vous que le gouvernement chinois a des visées de plus grande envergure dans cette région particulière outre celle d'y affirmer sa présence économique?
    Ensuite, le gouvernement chinois est continuellement en conflit avec les Ouïghours, un groupe de peuples musulmans de la Chine occidentale, qui, je le présume, reçoivent un certain appui de certaines républiques d'Asie centrale. Pouvez-vous nous dire quelque chose sur les intentions cachées du gouvernement chinois et sur ses relations avec les musulmans de son propre pays, mais aussi avec ceux des républiques d'Asie centrale?
(0905)
    Je crois que votre question au sujet des Ouïghours de la province de Xinjiang est très bien choisie pour parler des ambitions globales que nourrit la Chine pour cette région. J'étais justement à Pékin et à Shanghai il y a environ deux semaines, et j'ai eu la chance d'y discuter de l'Asie centrale avec divers représentants du gouvernement et du secteur privé.
    L'engagement chinois en Asie centrale a deux fonctions. Le gouvernement veille avant tout à s'assurer que la situation en Asie centrale reste stable. L'instabilité en Afghanistan préoccupe beaucoup les Chinois, car ils craignent que cette instabilité enflamme l'Asie centrale et que la frontière qui jouxte la région des Ouïghours devienne elle-même très instable. Les investissements et les efforts des Chinois pour promouvoir le développement dans cette partie du monde visent en grande partie à stabiliser la région et à lui ouvrir des portes sur le plan économique.
    Le problème est intimement lié à des enjeux nationaux. Le problème, c'est leur façon de faire. En général, ils procèdent par l'intermédiaire des élites politiques et économiques, et les investissements dans cette région sont entachés de corruption à grande échelle. De plus, il n'est pas rare que les responsables fassent venir des travailleurs chinois pour travailler sur leurs différents projets. L'idée que les Chinois puissent créer de la stabilité et stimuler la prospérité économique en procédant comme ils l'ont fait en Afrique et ailleurs est, selon moi, malavisée. Je ne crois pas que cela soit vraiment... À mon avis, la façon d'investir des Chinois nourrit en partie les problèmes de corruption qui existent dans cette région du monde, et les retombées de ces investissements ne se rendent pas vraiment jusqu'aux gens ordinaires. Cela se voit. L'an dernier, il y a eu une protestation au Kazakhstan concernant l'influence de la Chine; les gens craignaient en outre que la Chine s'approprie des terres dans ce pays.
    Cela dit, je ne crois pas que l'influence chinoise dans cette région soit une si mauvaise chose. La région veut autant de joueurs de différentes puissances internationales qu'elle peut en avoir. Nombreux sont les pays de cette région qui craignent une agression de la part des Russes, et qui cherchent par conséquent à s'assurer l'engagement de grands États, d'États riches, ce qui comprend la Chine. C'est ce que nous voyons au Kazakhstan, mais aussi dans le Caucase, en Géorgie et jusque dans les États du Golfe. C'est aussi une façon pour eux d'améliorer leur sécurité en faisant grimper les coûts pour les Russes d'une intervention comme celle que nous avons vue en Ukraine.
    Je crois que la motivation de la Chine n'est pas vraiment d'aider l'Asie centrale. Elle le fait pour préserver sa propre stabilité. Je suis toutefois d'avis que cette présence a certains effets positifs puisqu'elle donne aux gouvernements d'Asie centrale l'assurance additionnelle que leur apporte l'engagement d'au moins une autre grande puissance.
(0910)
    En parlant des travailleurs chinois, vous avez utilisé le terme « malavisé ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
    Je sais qu'ils aiment les faire venir à pleins bateaux. Ils font tout le travail et s'en vont. Quels ressentiments cette façon de faire nourrit-elle?
    Au fil des ans, il y a eu des protestations et des griefs socioéconomiques se sont fait entendre au Turkménistan — un État pourtant totalitaire — et au Tadjikistan concernant le fait que les travailleurs chinois avaient de meilleurs emplois que les gens de la place, et qu'ils étaient mieux payés qu'eux. Les travailleurs locaux qui travaillent sur des projets chinois doivent attendre un certain temps avant d'être payés, et il arrive très fréquemment que ceux qui se plaignent perdent leur emploi. Cette situation explique une partie du ressentiment à l'égard des Chinois.
    Ces États ont retrouvé leur souveraineté il y a 25 ans. Avec tous ces investissements en provenance de l'extérieur, on s'est beaucoup inquiété de la vente des terres. À l'époque de l'Union soviétique, des terres ont été confisquées aux Kazakhs et aux Ouzbeks. Beaucoup de ces terres ont été rendues aux États souverains, privatisées. On s'inquiète du fait que ces pays pourraient perdre ou brader leurs ressources naturelles, leurs terres, etc. Cette dynamique est en partie responsable de la montée de certaines tendances nationalistes et d'élans populaires comme il y en a eu ailleurs. Toutefois, les choses se passent un peu différemment dans le contexte qui nous intéresse.
    Une autre raison qui explique l'engagement de la Chine est le fait qu'elle essaie d'exporter ses infrastructures industrielles excédentaires et sa main-d'oeuvre excédentaire. La Chine abrite d'immenses populations qui doivent être mises au travail, et c'est une façon pour elle de le faire. Ils ont déjà édifié la Chine dans toute la mesure possible... Alors, maintenant, ils le font à l'extérieur du pays. Sauf que c'est très près de chez eux, pratiquement la porte d'à côté. C'est beaucoup plus facile d'aller là que d'aller en Afrique ou en Amérique latine.
     Merci, monsieur McKay.
    Nous allons donner la parole à Mme Laverdière, pour six minutes.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Monsieur Stronski, merci beaucoup de votre présentation très intéressante.
    Vous avez parlé, entre autres, des efforts que la Russie déploie pour discréditer les systèmes démocratiques et l'État de droit. À ce sujet, le Comité a pris connaissance, dans le cadre d'une autre présentation, de la situation liée à ces enjeux en Asie centrale, région où la situation n'est vraiment pas rose.
    Nous savons aussi que les défis sont nombreux en Ukraine, notamment sur le plan de la corruption.
    Pouvez-vous nous donner davantage de détails là-dessus?

[Traduction]

    Oui, je suis d'accord avec vous.
    Dans une large mesure, les systèmes politiques de ces pays sont sous l'emprise de la corruption. Je crois que le New Yorker de cette semaine a un très bon article sur la corruption en Azerbaïdjan. Cette corruption a des liens avec l'administration Trump et avec des gens qui ont des liens avec le président Trump. L'article donne une très bonne idée des liens étroits qui existent dans cette région entre la gouvernance et le pouvoir économique. On y apprend l'ampleur des efforts pro-privatisation qui ont été déployés peu de temps après l'effondrement du bloc soviétique, et comment le système judiciaire est très fréquemment utilisé à des fins économiques et non comme appareil judiciaire équitable. Il s'agit de problèmes d'envergure.
    En dehors des États baltes, il y a un pays de l'ex-Union soviétique qui s'est vraiment attelé à régler le problème de la corruption et c'est la Géorgie. Il y a beaucoup de chemin à faire. Qu'il s'agisse de recevoir des soins de santé ou de traiter avec les patrouilles routières — selon le pays où l'on est —, tout fonctionne avec des pots-de-vin. La Géorgie est la seule exception. Cette lutte a commencé en d'autres endroits, mais elle n'a pas eu autant de succès qu'en Géorgie.
    L'Ukraine connaît présentement de grandes difficultés. Cela me désole de penser que la corruption n'a rien pour faciliter la transition. Les stratagèmes de corruption, la puissance des oligarques et le pouvoir économique du président lui-même sont très préoccupants, et tout cela nuit beaucoup à la capacité qu'a l'Ukraine d'aller au-delà...
    D'une certaine façon, la Géorgie a réussi parce que c'est un très petit pays qui jouit d'une plus grande cohésion ethnique que ses voisins. On a beaucoup vanté les mérites de M. Saakashvili, l'ancien président de la Géorgie. On a dit que c'était un grand démocrate et qu'il avait réussi à réaliser la transition de manière démocratique, mais nous savons aussi qu'il dirigeait parfois d'une main de fer et que certaines réformes ont été imposées de la manière forte. Je crois que, dans des sociétés plus grosses et plus complexes, cela est beaucoup plus difficile à faire.
    Je crois que la démocratie et la primauté du droit proposées par les gouvernements occidentaux font peur à ces pays, au même titre que la transparence et le rôle de la presse, car ce sont des choses qui font planer la menace de l'ouverture d'une boîte de Pandore et la mise au jour des liens étroits qui existent entre les systèmes politiques et les manoeuvres de corruption. Je crois que c'est pour cette raison qu'ils perçoivent tout mouvement populaire, qu'il soit soutenu par l'Occident ou non — et ils le sont rarement —, comme une menace à leur sécurité.
    C'est pour cette raison qu'il est tellement difficile de faire avancer les droits de la personne et les réformes pour la primauté du droit dans ces pays, de fournir cette sorte d'aide. Au sein de la population, il y a des personnes très braves qui travaillent en ce sens, mais l'auditoire de personnes disposées à agir concrètement est très petit et la route est semée d'embûches, même dans les pays qui, comme l'Ukraine, ont pris résolument la décision de se tourner vers l'Occident.
    Je pense que c'est quelque chose avec quoi il faudra composer. Je serai heureux de répondre à n'importe quelle autre question, si vous souhaitez des précisions.
(0915)

[Français]

    J'aimerais vous poser une autre question.
    Vous avez mentionné que, dans les pays d'Asie centrale, on a qualifié les événements survenus en Ukraine d'agression russe. Selon d'autres experts que nous avons reçus, cette crainte de l'agression serait souvent quelque peu exagérée dans les pays baltes dans le but notamment d'assurer une certaine cohésion interne.
    À votre avis, jusqu'à quel point cette crainte d'une agression russe dans les pays d'Asie centrale est-elle légitime? Est-il possible qu'il y ait effectivement une agression russe?

[Traduction]

    Je pense que cela dépend du pays dont on parle. Je suis d'accord avec la notion qui veut que, dans la Baltique, la crainte d'une agression soit exagérée. Cette crainte aide effectivement à maintenir l'unité au sein des pays et elle aide — ou tente d'aider — à préserver l'unité au sein de l'OTAN. Jusqu'à nouvel ordre, l'OTAN reste une organisation très forte. Aussi longtemps que l'OTAN reste forte et qu'elle montre son soutien aux membres de son flanc oriental, les Russes continueront de croire que le fait d'être membre de l'OTAN signifie quelque chose. Je crois que les États de la Baltique et la Pologne sont en bien meilleure posture que certains autres anciens membres du bloc de l'Est.
    Ce qui joue en faveur des autres États de l'ex-Union soviétique — comme l'a dit l'un des anciens membres —, c'est le fait que les ressources militaires de la Russie sont étirées au maximum. Comme elle est présente en Ukraine et en Syrie, on peut se poser des questions sur sa capacité de tenter quelque chose d'autre, mais je crois tout de même que certains endroits sont plus à risque que d'autres. Des petits pays comme le Tadjikistan et le Kirghizistan sont pratiquement dans la poche de la Russie sur le plan économique, alors je ne m'attendrais pas à un changement de cap radical. Jusqu'ici, en Ouzbékistan, la transition se fait en douceur, mais il s'agit là aussi d'un pays relativement modeste.
    L'endroit qui m'inquiète un peu, c'est le Kazakhstan. Le pays a une longue frontière commune avec la Russie. Une partie de sa population septentrionale est russophone. C'est un pays qui a des liens très étroits avec la Russie, et c'est l'un de ceux qui se font beaucoup de mauvais sang. Les gens sont inquiets. Lorsque vous allez là-bas, les gens vous diront qu'ils sont préoccupés par la façon dont leur pays est représenté dans les médias russes. Si vous jetez un coup d'oeil aux médias russes, vous allez voir qu'ils parlent d'une menace, qu'ils parlent de la possibilité que des extrémistes puissent se rendre jusqu'aux portes de la Russie. Je ne suis pas convaincu que les Russes répéteraient ce qu'ils ont fait en Ukraine pour défendre les intérêts russes, mais le Kazakhstan possède aussi des réserves d'uranium. Il possède toutes sortes de choses dont on voudra s'assurer qu'elles ne tombent jamais dans les mains de terroristes.
     Si le Kazakhstan montre des signes d'instabilité ou qu'il tente un rapprochement trop sérieux avec l'Occident, la Russie pourrait profiter de cette excuse pour intervenir et traverser la frontière. Je suis très impressionné par les fonctionnaires kazakhs d'échelon moyen. Le Kazakhstan a investi beaucoup d'argent pour envoyer certains de ses fonctionnaires étudier dans des endroits comme Singapour, Hong Kong, le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni. Lorsque vous rencontrez ces fonctionnaires, vous avez l'impression qu'ils sont à l'échelon de sous-ministre et qu'ils sont en mesure de comprendre les choses comme nous les concevons.
    Je crois que la Russie est terrifiée à l'idée que l'un de ces peuples puisse acquérir beaucoup de pouvoir. Étant donné la longue frontière commune qu'il a avec la Russie, et vu l'image d'instabilité potentielle relayée par les médias russes à son sujet, le Kazakhstan est un État dont nous devrions aussi nous préoccuper.
(0920)
    Merci beaucoup. C'est tout le temps que nous avions pour cette question.
    Nous allons passer à M. Saini.
    Bonjour, monsieur Stronski.
    Ma question est de nature géopolitique. Si nous regardons cette partie du monde qu'est l'Asie centrale, les trois grands pays d'influence sont la Russie, la Chine et les États-Unis. À l'heure actuelle, certaines rumeurs laissent entendre qu'il y aura un grand marchandage entre les États-Unis et la Russie, si bien que celle-ci pourra entre autres maintenir son « proche étranger » ou ses sphères d'influence.
    Vous en avez parlé dans votre déclaration préliminaire. Si nous examinons le Turkménistan, qui a adopté une position de neutralité permanente, ainsi que le Kirghizistan, force est de constater que ces deux pays penchent maintenant en faveur de la Chine, et ce, pour différentes raisons. Dans le cas du Turkménistan, c'est parce que, comme vous l'avez mentionné, les envois de fonds ont diminué de moitié. Le tiers de son PIB dépend des envois de fonds de la Russie; donc, manifestement, la Chine joue maintenant un plus grand rôle. Comme vous le savez, le Turkménistan était un royaume hermétique pendant de nombreuses années et, aujourd'hui, la Chine exploite là-bas des champs de gaz naturel.
    À mon sens, si l'Occident se tient à l'écart de cette région, les deux grands joueurs seront la Chine et la Russie. Mis à son pouvoir militaire, la Russie exerce une influence très limitée. Si la Chine parvient à accroître son influence, surtout grâce à son initiative « une ceinture, une route », assistera-t-on à une source de conflit? À l'avenir, il se peut qu'un conflit oppose un jour la Chine et la Russie. Si la Russie ne peut offrir qu'un mécanisme de type militaire, alors que la Chine propose un mécanisme économique, tôt ou tard, ces deux mondes finiront par entrer en collision.
    D'après vous, quand et comment les choses en arriveront-elles là?
    Je crois que c'est la grande question.
    Quand on songe à la politique américaine relative à la région dans les années 1990 et 2000, elle visait surtout à libérer les ressources énergétiques et à les acheminer vers l'Europe [difficultés techniques].
    Nous avons perdu la connexion pendant un instant. Il va falloir rétablir le son.
    Continuez à parler, mais nous attendons toujours que le son soit rétabli. Nous pouvons vous voir, mais nous ne pouvons pas vous entendre.
    Voilà. C'est reparti.
    Même si nos politiques des années 1990 visaient à faire parvenir toutes les ressources énergétiques de l'Asie centrale vers l'Occident, la Chine y est parvenue bien plus efficacement. Tout le gaz du Turkménistan et une bonne partie de celui de l'Ouzbékistan sont acheminés vers la Chine.
    J'estime qu'il existe déjà des frictions dans la relation. Quand on parle aux hauts fonctionnaires, ils ne s'entendent pas sur la question de savoir si les choses vont se faire de façon bilatérale entre les pays d'Asie centrale et la Chine ou si tout est censé se dérouler comme la Russie l'entend, par l'entremise de l'Union eurasiatique. Il s'agit d'une région où les dirigeants sont passés maîtres dans l'art de dresser les puissances mondiales les unes contre les autres. Ils diront à la Russie, oui, nous allons procéder par l'entremise de l'Union eurasiatique, mais ils iront plutôt conclure des ententes directement avec les Chinois. Je pense que cela alimente le ressentiment des Russes. Le problème, c'est qu'à l'heure actuelle, les deux pays ont presque une relation de copropriété: la Chine est en train de devenir le joueur économique, alors que la Russie continue d'assurer la sécurité. Jusqu'à présent, cela semble avoir fonctionné, mais la question à long terme est de savoir si la Chine sentira le besoin de développer sa propre infrastructure de sécurité.
(0925)
    Je pense que c'est possible, parce que, dans la foulée des problèmes au Kirghizistan, lorsque le gouvernement kirghiz a demandé, en 2010, à l'Organisation du traité de sécurité collective d'intervenir pour réduire la violence ethnique, la Russie est restée à l'écart.
    La plus grande question et une des préoccupations de la Chine, c'est de savoir si la Russie est un partenaire fiable en matière de sécurité. Si elle ne l'est pas, la Chine va-t-elle faire quelque chose à ce propos? Si jamais la Chine décide de jouer un rôle plus important sur le plan de la sécurité dans la région, c'est là qu'on assistera à une friction entre les deux pays. La Chine investit des milliards et des milliards de dollars, alors elle devra protéger cela à un moment donné.
    J'aimerais enchaîner là-dessus.
    À mes yeux, le développement de la Chine est comme un anneau qui encercle cette région parce que, si on regarde chacun des pays, on constate que la Chine y joue, directement ou indirectement, un rôle très important. L'intervention chinoise en Russie est d'autant plus importante. Depuis les sanctions de 2014, la Chine sert de moyen pour le crédit et les transactions financières. De plus, la Russie a signé un énorme contrat à long terme pour acheminer du pétrole et du gaz vers la Chine. Selon moi, tôt ou tard, la Russie s'affaiblira différemment par rapport à la Chine.
    À l'heure actuelle, la Chine, grâce à sa progression économique insidieuse dans cette région... je ne vois pas comment la Russie maintiendra sa position dans la région lorsqu'elle n'a rien à offrir. Même sur le plan militaire, si la région connaît un développement économique accru, la question militaire s'amenuisera par elle-même. Au bout du compte, quel sera le rôle de la Russie là-bas?
     Je pense que vous soulevez là la grande question. La Russie est un peu déçue par l'aide de la Chine à la suite des sanctions parce que la Chine est devenue un pivot, mais d'après ce qu'on me dit, les modalités de l'accord gazier ont été très néfastes pour la Russie, et cela a suscité un peu de colère chez certains fonctionnaires russes.
    Je crois comprendre également que les banques commerciales en Chine et à Hong Kong ont refusé de prêter des fonds parce qu'elles ont peur d'être visées par les sanctions américaines, et elles accordent davantage d'importance à leur capacité de faire des transactions aux États-Unis qu'en Russie. La Russie reçoit du financement, mais cela provient surtout du gouvernement et des banques d'État, plutôt que des banques commerciales. Je pense qu'il y a déjà des gens en Russie qui considèrent que leur pays se retrouve perdant dans cette affaire et qui voient comment la Chine devient une puissance grandissante. À ce stade-ci, la Chine a pratiquement englouti le Turkménistan, et il n'y a pas grand-chose que la Russie puisse faire à cet égard.
    À mon avis, la Russie tient à garder ces pays dans son orbite par tous les moyens à sa disposition. Dans l'état actuel des choses, bon nombre de ces relations sont de nature symbolique. L'Union eurasiatique n'est vraiment pas aussi fonctionnelle que l'Union européenne. Selon moi, elle ne le sera jamais. Tous les États de l'Union eurasiatique ne se réjouissent pas de leur adhésion. Ils ont été forcés d'en faire partie, et ils ont exploité la position de faiblesse de Poutine après la Crimée et les sanctions de l'Occident, car les présidents Nazarbaïev et Loukachenko ont essayé de retirer beaucoup d'avantages politiques. Il s'agit d'un accord très vide.
    Les Russes essaient également d'affaiblir l'Organisation de coopération de Shanghai en l'élargissant pour y inclure le Pakistan et l'Inde. Ils font tout ce qu'ils peuvent pour réduire l'influence de la Chine, sans en donner l'impression, mais je crois que la Russie reconnaît qu'elle est en train de perdre la bataille en ce moment.
    J'estime qu'il en va de même pour le pouvoir en matière culturelle. Ce qui me frappe dans l'ensemble de la région, c'est qu'il y a environ 20 ans, on entendait beaucoup plus de gens parler le russe et, aujourd'hui, on observe la présence de centres Confucius dans les grandes villes et les grandes universités. C'est le cas non seulement dans des endroits comme le Kirghizistan, mais aussi en Arménie et au Kazakhstan. Proches alliés de la Russie, ces pays ont des liens de dépendance avec cette dernière, et je crois que cela en dit beaucoup sur leur volonté de s'assurer qu'ils ont d'autres options que la Russie. En tout cas, selon moi, la Russie se retrouve perdante dans cette bataille.
(0930)
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant entamer la prochaine série de questions. Commençons par M. Sidhu.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Stronski, de vos observations ce matin.
    À cette étape cruciale dans la politique mondiale, votre opinion est très utile. Comme nous le savons bien, le défi pour les pays d'Asie centrale consiste à établir un équilibre politique et économique entre leur engagement envers la Russie et les pays occidentaux.
    Compte tenu de l'agression croissante de la Russie dans les régions de l'Europe et des sanctions imposées par les puissances occidentales, comment envisagez-vous l'avenir de l'Asie centrale sur le plan de sa relation avec le monde occidental ou le reste du monde?
    Une chose qui ressort clairement chaque fois que je vais en Asie centrale, c'est que ces pays veulent maintenir une relation avec l'Occident; ce n'est peut-être pas le cas du Turkménistan, qui est un cas à part entière, mais même l'Ouzbékistan, après le règne de Karimov, cherche à établir un dialogue avec l'Occident.
    Certains pays, nous l'avons vu, ont de mauvaises relations avec l'Occident. Je peux voir cela à partir de Washington. Le Kurdistan en est un exemple, mais ce pays essaie maintenant de s'assurer que l'Occident ne l'oublie pas. Le message qui ressort de cette région, c'est que ces pays ne veulent pas que nous les laissions pour compte. Ils ne veulent pas être coincés entre la Chine et la Russie. Toutefois, le message que nous leur transmettons, c'est que nous faisons parfois des déclarations fermes au sujet de la Géorgie ou de l'Ukraine, sans nécessairement offrir une garantie de sécurité par la suite.
    Ils voient un président américain qui remet en question les alliances fondamentales et ils se demandent: « Si le président des États-Unis peut remettre en question l'OTAN, qu'est-ce que cela signifie pour un partenaire comme le Kazakhstan? »
    Bon nombre de ces pays se tournent vers l'Occident. Ils voient une Union européenne qui est en désarroi, et ils font appel à d'autres pays occidentaux, dont le Canada. Je crois que le Canada a un rôle à jouer, et c'est ce qu'ils aimeraient. On voit souvent ces pays se tourner vers le Japon et la Corée du Sud, qui ont une présence économique très active dans la région. Comme ils voient l'Europe et les États-Unis se replier sur eux-mêmes, ils espèrent maintenant accroître leurs engagements avec des pays qui ne sont pas au premier plan de l'Occident.
    D'un point de vue canadien, je crois que les gens de la région souhaitent probablement qu'on assure une présence accrue ou qu'on se concentre davantage sur l'Asie centrale. On entend aussi dire que les pays nordiques constituent un autre endroit visé par les pays d'Asie. Ils veulent clairement avoir une relation avec l'Ouest. Ils veulent un engagement économique, et certains pays sont plus disposés que d'autres à faire des compromis, du moins au chapitre de la gouvernance.
    Le Kurdistan peine à y arriver. Le Kazakhstan, pour sa part, tient de beaux discours. Ils ont de beaux projets. Tout ce qu'ils doivent faire, c'est les mettre en oeuvre. Quant aux autres pays, ils régressent de plus en plus. L'Ouzbékistan, toutefois, s'ouvre un peu et fait actuellement des choses intéressantes, mais il est encore trop tôt pour dire où cela aboutira.
    Si je comprends bien, la relation avec l'Asie centrale devient de plus en plus solide; c'est ainsi que vous voyez les choses. Comme ces pays maintiennent leur relation étroite avec la Russie, seraient-ils en mesure de renforcer leurs liens avec le monde occidental?
(0935)
    Cela dépend. Aucun de ces pays ne veut suivre l'exemple de l'Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie, c'est-à-dire signer des accords officiels avec l'Occident et établir un partenariat officiel comme celui prévu aux termes des accords d'association avec l'Union européenne. Ils sont parfaitement disposés à accroître les négociations commerciales bilatérales, et certains d'entre eux sont prêts à renforcer la coopération en matière de sécurité, mais ils ne veulent pas que cela se fasse au vu et au su de tous, en pleine page couverture des journaux.
    Tout ce qui peut se faire sans bruit intéresse beaucoup ces pays. Ils ne veulent tout simplement pas devoir s'expliquer. Quand on songe à ce qui s'est passé en 2013 et 2014, je crois que l'Union européenne a commis une grave erreur en essayant d'amener tout le monde à signer un document le même jour. Tant que ces pays peuvent bénéficier d'une couverture politique pour dissimuler leurs agissements, je crois qu'ils sont partants.
    Selon vous, en ce qui concerne l'idée de M. Trump de lever les sanctions contre la Russie, dans quelle mesure cela représente-t-il une menace réelle?
    Je crois que cela dépend. Beaucoup de membres de son équipe semblent être résolus à améliorer la relation avec la Russie; d'ailleurs, si l'ancien conseiller en matière de sécurité nationale, M. Flynn, a démissionné, c'est de toute évidence parce qu'il avait évoqué le sujet trop rapidement.
    À mon avis, la divulgation de certains renseignements sur les liens entre la campagne de Trump et des fonctionnaires russes, dont on entend parler chaque jour, rend la tâche difficile pour M. Trump. Nous constatons donc, à tout le moins, un retard. Toutefois, l'idée que M. Trump puisse se débarrasser très facilement de toutes les sanctions est malavisée pour lui et pour la Russie.
    Les Russes veulent que toutes les sanctions soient levées. Cela comprend les sanctions de Magnitski, qui ont été mandatées par le Congrès. Elles ne peuvent être révoquées par le président. Notre ambassadrice aux Nations unies a dit que les sanctions relatives à la Crimée ne seront pas révoquées; il est donc question uniquement des autres sanctions. Je crois qu'il y aura beaucoup de résistance aux États-Unis, et le Congrès tentera de les codifier dans une loi, ce qui compliquerait toute entente éventuelle entre M. Trump et M. Poutine. Je crois que s'il essaie de le faire, ce sera un processus compliqué.
    Merci, monsieur Sidhu.
    Nous allons terminer avec M. Aboultaif. Bienvenue au Comité, monsieur.
    Bonjour, monsieur Stronski, et merci beaucoup de votre contribution ce matin.
    J'aimerais commencer par demander votre avis sur certaines hypothèses dont je veux discuter ce matin. Les voici: nous sommes toujours à l'époque de la guerre froide; l'Union soviétique n'est pas dissoute, elle existe toujours; la Russie est plus agressive que l'ancienne Union soviétique; enfin, en ce qui concerne notre plan et notre influence dans certaines régions du monde, nous avons failli à la tâche de promouvoir la démocratie, les droits de la personne et la liberté.
    Souscrivez-vous à toutes ces affirmations?
    Je ne suis pas certain d'être d'accord pour dire que l'Union soviétique n'a pas été dissoute. Nous avons maintenant 15 États indépendants qui ont en fait leur propre identité et qui sont vraiment déterminés à protéger cette identité et leur souveraineté. Par ailleurs, ils ont institutionnalisé des gouvernements postsoviétiques. Bref, je crois qu'il y a encore certaines mentalités qui subsistent, et le Kremlin aimerait certainement récupérer le plus de territoires possible, mais je crois que bon nombre de dirigeants politiques y sont réfractaires. D'après moi, nous l'avons vu concernant la résistance au sujet de l'Union eurasiatique et les inquiétudes qui ont été soulevées au sujet de certains comportements agressifs de la Russie.
    Moscou ne le reconnaîtra peut-être pas, mais je crois qu'il sera difficile d'entièrement reformer une certaine Union soviétique... La Russie se montre actuellement extrêmement agressive. Elle tire profit des vides dans le monde et des gens qui sont distraits. Je crois que personne ne portait vraiment attention à l'Ukraine jusqu'à ce que surviennent les événements en Crimée, et la Russie veut repousser l'Occident chaque fois qu'une occasion se présente. L'influence négative que la Russie avait aux États-Unis n'a peut-être pas causé la victoire de Trump, mais elle y a certainement contribué. Cela a certainement nui à l'ancienne secrétaire Clinton, et je crois que nous voyons cela se répéter en Europe. Nous voyons des tactiques, que la Russie réservait davantage pour ses voisins immédiats, être utilisées ailleurs. Je crois que tous les pays occidentaux, y compris le Canada, doivent renforcer leur résilience face à ce type de pression.
    S'agit-il d'une guerre froide? La guerre froide impliquait des idéologies très rigides. Nous n'avons pas le même type d'idéologies actuellement, mais la situation est très dangereuse. Nous avons un gouvernement russe qui est farouchement antiaméricain et anti-occident. Du côté des États-Unis, la moitié de la population américaine n'a jamais été aussi farouchement antirusse, alors que ce n'était pas le cas il y a seulement quelques années.
    Je ne vois pas les idéologies, mais je constate une montée de l'animosité. Je remarque également que s'enrayent les mécanismes qui essayaient de maintenir stables les règles du jeu à l'échelle internationale et d'empêcher les armées des pays membres de l'OTAN et du Pacte de Varsovie de déclencher un conflit par mégarde. Je redoute donc énormément le jour où des navires seront survolés par des appareils ou que des avions de chasse passeront trop près l'un de l'autre.
    La promotion de la démocratie est-elle un échec? Je crois que c'est le cas à certains endroits. À mon avis, la situation ne semble pas très reluisante en Russie. Il en va de même pour certaines régions en Asie centrale. L'Ukraine connaît des difficultés, mais elle permet la liberté de la presse, et un pan de sa population est prêt à manifester dans les rues. Je crois que la promotion de la démocratie a été une réussite en Géorgie. En Moldavie, je crois que nous avons connu des hauts et des bas, mais c'est plus ou moins une réussite. Si nous prenons par exemple l'Arménie, qui entretient des rapports très étroits avec la Russie, elle permet une certaine liberté de la presse et est plus démocratique. Ce n'est pas une démocratie, mais l'État est plus démocratique que certains autres dans le monde.
    Je ne pense pas que cela peut être une réussite sur toute la ligne, mais je crois que, si nous prenons la question de l'aide en la matière, nous devons déterminer le type d'aide qui sera utile. Dans des pays comme la Géorgie, l'Ukraine, même l'Arménie ou le Kirghizistan, où la promotion de la démocratie a connu un peu plus de succès, c'est encore très important de le faire. Toutefois, je pense également à des pays comme le Tadjikistan et l'Ouzbékistan dont les populations sombrent dans la pauvreté; nous pouvons intervenir pour améliorer la sécurité humaine qui est également liée aux droits de la personne. Cela peut prendre la forme d'éducation de base, de soins de santé, de vaccins ou d'aide pour renforcer la sécurité alimentaire. Tous ces gestes aideront les gens qui ont vraiment de la difficulté dans des pays où notre aide en vue de faire la promotion de la démocratie et de la primauté du droit n'a pas eu le succès escompté.
(0940)
    Je crois également que les pays qui ont décidé de se joindre à l'OSCE et au Conseil de l'Europe doivent rendre des comptes par rapport à cette décision, et je crois que nous devrions imposer des conséquences aux membres de ces organisations qui continuent de faire fausse route. L'Azerbaïdjan ne respecte pas beaucoup de ses engagements à ce chapitre.
    C'est tout le temps que nous avions.
    Merci.
    Monsieur Stronski, merci beaucoup d'avoir pris le temps de nous parler par vidéoconférence du Carnegie Endowment for International Peace, à Washington. Nous vous sommes reconnaissants des commentaires que vous avez formulés aujourd'hui. Si vous pensez à d'autres renseignements que vous croyez que nous devrions avoir, je vous prie de les faire parvenir à la greffière du Comité. Ce serait excellent.
    Merci beaucoup.
    Nous prendrons une pause pendant que le prochain groupe de témoins s'installe.
(0940)

(0950)
    Bonjour et bienvenue.
    Rand Sukhaita, bienvenue. C'est un plaisir de vous accueillir au Comité. Nous lisons votre biographie, et je crois que tous les membres du Comité ont vraiment hâte d'entendre ce que vous faites, votre travail en Syrie, la façon dont vous aidez les femmes et tout le reste. Nous avons certainement hâte d'entendre votre témoignage.
    Normalement, le Comité vous donne environ 10 minutes pour faire votre exposé, puis les membres du Comité vous posent des questions sur un élément que vous avez dit ou un élément dont vous n'avez peut-être pas parlé et au sujet duquel les gens aimeraient avoir de l'information.
    Elana Wright, je vous souhaite également la bienvenue. C'est un plaisir de vous accueillir au Comité.
    Vous avez la parole, puis nous passerons aux séries de questions.
    Bonjour à tous. J'aimerais tout d'abord remercier l'organisme Développement et Paix de m'avoir invitée au Canada pour raconter mon histoire et parler du travail que je fais dans les Centres Darna en Syrie, qui viennent en aide aux familles syriennes vulnérables qui ont choisi de demeurer en Syrie pendant que la guerre fait rage.
    Je souhaite également remercier le Comité de son invitation.
    Je m'appelle Rand Sukhaita; je suis Syrienne. Je suis pharmacienne et mère. Je viens d'une petite ville du nord de la Syrie qui s'appelle Idlib. J'ai trouvé refuge en Turquie il y a près de quatre ans avec ma petite famille. Avant cela, je me suis déplacée de ville en ville pour essayer de trouver un endroit sécuritaire où accoucher. La première année en Turquie a été la plus difficile, parce que je ne savais pas si je pourrais retourner bientôt en Syrie ou si je devais rester en Turquie. J'écoutais les nouvelles chaque jour. Il m'a fallu un an pour comprendre que je ne retournerais pas de sitôt en Syrie.
    J'ai ensuite décidé de penser aux Syriens qui sont encore sur place et qui doivent composer chaque jour avec divers problèmes: le déplacement, les bombardements et les pilonnages, les armes chimiques utilisées par le régime et ses alliés et les extrémistes qui détruisent tous les biens de valeur des villages et qui restreignent les libertés personnelles. En dépit de tout cela, ces gens essayent tout de même d'améliorer leur sort et leur avenir. Ils doivent lutter pour protéger leurs libertés et leur dignité, et cela rejoint la mission des Centres Darna qui est de bâtir une société qui vit dans la dignité.
    Nous avons trois centres en Syrie: un au sud et deux au nord, soit à Alep et à Idlib. Malheureusement, nous avons fermé notre centre à Alep après l'évacuation qui est survenue en décembre.
    Darna signifie « notre maison » en arabe, et c'est le principal objectif des centres. En plus de l'accès aux services, les centres offrent un endroit sécuritaire aux familles et aux personnes, ce qui leur permet de reconstruire leur réseau social qui a été perdu en raison du déplacement et de retrouver un sentiment d'appartenance à une collectivité. Tous nos centres adoptent une politique de la porte ouverte; tout le monde peut se présenter pour avoir accès aux services. Notre personnel peut offrir des services ou orienter les gens vers un autre fournisseur de services dans la région. Voilà pourquoi les centres ne fonctionnent pas de manière indépendante et font plutôt partie d'une approche globale qui vise à renforcer la résilience au sein de la collectivité.
    Les centres offrent de la formation professionnelle, des cours d'anglais, des cours d'informatique, des cours d'administration des affaires et des ateliers de couture pour les femmes. Les femmes y sont formées pour coudre des vêtements, ce qui leur permettra de trouver un emploi dans le marché du travail local. Notre travail nous a permis d'apprendre qu'il est important d'offrir en même temps des programmes de développement des compétences qui permettront aux participants de gagner un revenu et du soutien psychosocial et des programmes de protection qui aideront les femmes à surmonter les traumatismes qu'elles ont vécus durant la guerre et à adopter leur nouveau rôle. Par ailleurs, les programmes de développement des compétences doivent tenir compte des marchés d'emploi locaux pour que les participants aient des perspectives d'emploi après coup.
    Les Syriennes sont plus susceptibles d'être victimes de discrimination et d'exclusion sociale et de vivre dans la pauvreté que les Syriens en raison des normes sociales et culturelles dans la région. Bon nombre de ces femmes sont devenues pour la première fois le seul soutien de leur famille, parce que les principaux pourvoyeurs masculins sont morts ou devenus inaptes au travail ou que les familles sont séparées. Or, celles qui se retrouvent dans une telle situation ont également tendance à ne pas posséder les compétences, la capacité et la confiance pour occuper un emploi rémunéré. Cela fait souvent en sorte que les femmes sont incapables de subvenir à leurs propres besoins et aux besoins de leur famille.
    Lorsque les femmes gagnent un revenu, nous savons qu'elles prennent de meilleures décisions à cet égard. Leur priorité sera principalement d'offrir une éducation à leurs enfants et d'avoir accès à la collectivité. Voilà pourquoi nous devrions commencer à collaborer avec les femmes et à les écouter si nous voulons rétablir la paix. Nous devrions inclure les femmes à chaque étape du processus.
(0955)
    Il est très important de nous employer à donner aux femmes les moyens d'assumer leur nouveau rôle. Nous devrions en même temps préparer leur entourage, soit leur mari et leur famille, à les accepter dans leur nouveau rôle et à accepter qu'elles puissent sortir de la maison, travailler, gagner un revenu, prendre de meilleures décisions et soutenir leur famille. C'est le principal défi que nous devons surmonter maintenant en Syrie dans certaines régions. Même si je crois que la guerre est la pire chose que peuvent vivre des êtres humains, cela ouvre vraiment la porte à de véritables changements.
    Après la révolution, j'ai commencé à voir des femmes agir différemment. Elles prenaient part à l'organisation de manifestations, travaillaient dans des hôpitaux de campagne, enseignaient et étaient même actives sur le plan de la protection civile. Elles consignaient les violations des droits de la personne. Elles étaient arrêtées et enlevées. Elles travaillaient dans les médias. Voici un exemple de ce qui s'est passé à Alep durant l'évacuation. La seule activiste qui a relaté ce qui se passait à Alep était une femme du nom de Lina al-Shami.
    J'aimerais maintenant vous parler de Hannan, qui est mariée et a trois enfants. Elle doit subvenir seule aux besoins de sa famille depuis que son mari a subi un AVC qui l'a partiellement paralysé. Elle a récemment suivi un cours de couture de 11 semaines qui était offert dans l'un de nos centres. Voici son témoignage: « La formation m'a permis d'évoluer beaucoup en tant que personne. Je ne suis plus Hannan la timide; je suis maintenant Hannan la femme responsable qui subvient aux besoins de sa famille. J'ai plus confiance en moi. Même mon mari me regarde différemment. Je n'aurais jamais imaginé me retrouver un jour dans une telle position. Aujourd'hui, je rêve d'enseigner la couture ou de gérer un centre de formation. »
    Les Syriens ont besoin que nous racontions leurs histoires et montrions au monde la bravoure dont ils font preuve chaque jour face à cette crise. Ils ont besoin que nous croyions en eux, que nous investissions en eux et que nous développions leur capacité de renforcer la société civile syrienne pour que de nouveaux dirigeants émergent et insufflent un vent de changement. Nous devons directement soutenir les organismes syriens, investir en Syrie et renforcer la capacité des Syriens d'apporter de véritables changements en intervenant moins à court terme et en misant davantage sur des approches fondées sur la résilience.
    Pensons aux civils qui doivent faire face à des groupes extrémistes dans certaines régions. Comment peuvent-ils y arriver sans notre soutien s'ils sont laissés à eux-mêmes et qu'ils n'ont aucun outil pour ce faire? Comment la prochaine génération sera-t-elle en mesure de résister si elle n'a pas accès à l'éducation? Nous devons comprendre que seuls les Syriens seront en mesure de reconstruire leur pays. Toute solution qui ne les inclut pas ne sera pas couronnée de succès.
    Je vous demande de me croire lorsque je dis que beaucoup de Syriennes doivent lutter chaque jour pour survivre, protéger leur dignité et se doter d'un avenir meilleur. De plus, ces femmes servent d'exemples et montrent ce que les femmes peuvent et devraient être. Cette semaine, tandis que nous célébrons la Journée internationale des femmes, j'aimerais que nous ayons une pensée pour les milliers de femmes qui risquent d'être torturées à mort et les milliers de femmes disparues.
    Merci.
(1000)
    Merci beaucoup.
    Chers collègues, à titre informatif, j'ai sept intervenants sur ma liste, et chaque personne devait avoir six minutes. Je laisse les intervenants prendre un peu plus de temps pour faire valoir leurs arguments. Pour donner l'occasion à tout le monde d'intervenir, ce serait merveilleux si nous pouvions essayer de nous en tenir à six minutes.
    Monsieur Kent, vous aurez la parole en premier, puis ce sera à tour de rôle en fonction de la liste.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de leur présence devant le Comité aujourd'hui.
    J'aimerais traiter d'un aspect que j'entends lorsque je siège occasionnellement au Comité permanent de l'immigration. Nous entendons de plus en plus dire que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ne reconnaît pas les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays comme de véritables réfugiés. Nous l'avons entendu en ce qui concerne les yézidis et d'autres minorités religieuses dans la région autonome kurde dans le nord de l'Irak, où ces groupes ne reçoivent aucun soutien de la part du gouvernement irakien ou de la région autonome kurde; ces groupes sont dans un état lamentable. La situation des minorités religieuses est-elle similaire en Syrie en ce qui concerne les populations déplacées à l'intérieur de leur propre pays?
    Si je vous comprends bien, c'est la même situation qui prévaut pour les groupes minoritaires que le groupe majoritaire. La majorité des Syriens ont été déplacés de force. La majorité d'entre eux ont décidé d'aller vivre dans d'autres villes au nord et au centre de la Syrie, et il en va probablement de même pour la majorité musulmane.
    On a souvent entendu dire que, dans de nombreux camps pour personnes déplacées en Irak, le personnel humanitaire ne distribue pas équitablement les ressources, les fournitures et les médicaments aux membres des minorités. Je me demande si c'est le cas en Syrie.
    Oui, c'est le cas dans la plupart des camps, même dans ceux situés dans la zone contrôlée par les Kurdes ou le régime. La situation est très différente dans la zone libérée.
    Pourriez-vous nous parler de la situation des quelque cinq millions de réfugiés syriens qui vivent à l'extérieur de leur pays, notamment en Turquie et en Jordanie?
    Je pourrais vous parler des réfugiés en Turquie, ce qui est mon cas. Je ne peux pas vous présenter un tableau complet de la situation des réfugiés, mais je la connais en général.
    Je vous prierais de nous parler de votre expérience.
    Je vis en Turquie depuis quatre ans. En Turquie, la plupart des réfugiés syriens vivent en milieu urbain. Personne ne connaît le camp, et aucune organisation locale ou internationale ne peut y travailler. Le camp est desservi uniquement par le gouvernement. La plupart des Syriens entrent en Turquie illégalement, sans les documents officiels nécessaires. Ils obtiennent une carte temporaire, qui leur donne accès à des soins de santé et à des services d'éducation. Toutefois, ils font l'objet de discrimination dans ces établissements, et il y a la barrière de la langue. En Turquie, les Syriens vivent dans des collectivités séparées parce que très peu d'entre eux parlent le turc, et vice versa.
    La plupart des Syriens travaillent illégalement et gagnent moins que le salaire minimum. Ils travaillent plus de huit heures par jour, parfois sans même disposer d'un jour de repos. C'est le cas surtout pour les enfants et les adolescents de plus de 11 ans. L'an dernier, le gouvernement a autorisé les Syriens à obtenir un permis de travail, mais ils ne peuvent pas tous en avoir un. La plupart des travailleurs humanitaires, moi y compris, détiennent un permis de travail. Cela me permet de me déplacer facilement en Turquie. Toutefois, la plupart des Syriens qui travaillent tous les jours n'ont pas de permis de travail. Pour obtenir un permis de travail, ils doivent payer des taxes très élevées. C'est la raison pour laquelle la plupart des employeurs ne demandent pas de permis de travail pour leurs employés.
    Les titulaires d'une carte leur assurant une protection temporaire ne peuvent pas se déplacer d'une ville à l'autre sans la permission du gouvernement. Ils peuvent avoir accès aux services offerts dans la ville où ils habitent, mais pas ailleurs. En Turquie, la plupart des Syriens se déplacent à l'intérieur des villes pour se trouver du travail, ce qui rend leur situation encore plus difficile.
(1005)
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Kent.
    Nous allons maintenant passer à M. Lefebvre.
    Bienvenue au Comité. Nous sommes heureux que vous soyez ici aujourd'hui. Vous avez maintenant la parole.
    Je suis ravi d'être ici. Merci beaucoup.
    Je vous remercie d'être ici ce matin pour nous faire part de votre expérience.
    Je vais poursuivre dans la même veine et vous poser des questions sur les réfugiés dans les pays voisins et sur votre expérience en Turquie.
    Vous avez dit que beaucoup de gens doivent se déplacer pour trouver du travail. J'aimerais savoir quels problèmes cette situation cause aux femmes. Pourriez-vous nous expliquer les problèmes auxquels sont confrontées les femmes qui ont perdu leur mari et qui doivent se trouver du travail? Quelle est la situation des femmes réfugiées dans des pays voisins, comme la Turquie, le Liban et la Jordanie?
    Selon moi, il est plus difficile pour les femmes de se trouver un emploi. Comme c'est le cas ici, les femmes sont réparties dans deux catégories. La première est celle des femmes qui ont reçu une éducation et qui possèdent les compétences nécessaires pour trouver du travail. De nombreuses organisations turques et syriennes travaillent à l'échelle internationale et locale, y compris en Turquie. Elles offrent des emplois à des femmes, mais uniquement à celles qui possèdent les compétences voulues. Elles doivent parler anglais et pouvoir travailler à l'ordinateur. L'autre catégorie englobe les femmes qui, dépourvues de telles compétences, ont beaucoup de mal à trouver du travail. Comme ces femmes ne pouvaient pas occuper un emploi, le nombre d'enfants forcés de travailler ou de devenir des soldats et d'enfants victimes de viol a été très élevé au cours des deux dernières années. Elles ont dû envoyer leurs enfants et leurs adolescents travailler dans des usines, dans la rue ou dans des magasins turcs, où ils ont touché un revenu très faible.
    C'est pourquoi il est très important de soutenir les organisations syriennes qui travaillent auprès des femmes. D'après notre expérience, ainsi que celle d'autres ONG présentes au Liban et en Turquie, il faut aider ces femmes à acquérir des compétences et leur octroyer de petits prêts — ce que nous faisons en Syrie — pour que, après leur formation, elles puissent disposer d'un montant modeste leur permettant de démarrer une entreprise. Certaines d'entre elles ont ouvert des gymnases ou des pâtisseries, tandis que d'autres ont commencé à vendre des métiers à broder. Après leur formation, elles peuvent ainsi disposer d'un petit revenu pendant trois mois et se familiariser avec leurs nouvelles fonctions.
    Qui fournit des ressources à ces femmes et à ces organisations? Pourriez-vous nous en dire plus là-dessus?
    Comment nous fournissons les ressources?
    D'après votre expérience, qui vient en aide à ces organisations à l'heure actuelle?
    Nous avons mis sur pied des centres en Syrie avec l'aide de Développement et Paix. Après avoir cerné les besoins réels et les mesures à prendre, nous avons envoyé une proposition à un grand nombre d'ONG internationales, puisque c'est toujours par leur entremise que l'on peut obtenir de l'aide. Dans notre proposition, nous avons précisé la nature du programme envisagé, les femmes qui en seraient bénéficiaires et les répercussions escomptées sur la collectivité. Notre financement provient surtout de conseils et d'ONG internationales.
    C'est votre expérience en Turquie, n'est-ce pas? Vous faites cela...
    Non, même à l'intérieur de la Syrie. La plupart des organisations présentes en Turquie oeuvrent en Syrie. Comme nous, elles ont même des équipes en Syrie. Nous avons des équipes en Syrie. Des gens vont là-bas, puis reviennent au pays. C'est plus difficile à l'heure actuelle, mais c'est ce que nous continuons de faire.
(1010)
    Selon vous, combien y en a-t-il? Combien existe-t-il d'organisations comme la vôtre qui sont présentes en Syrie et qui tentent d'offrir de l'aide?
    Combien d'organisations travaillent en Turquie?
    Des organisations comme la vôtre, qui travaillent directement sur le terrain... Vous venez de cette région et la connaissez donc à fond. Vous connaissez la population et les collectivités.
    Oui, beaucoup d'organisations travaillent là-bas, mais très peu d'entre elles prennent la voie du milieu — je ne sais pas comment dire cela en anglais.
    Une voix: Neutres.
    Mme Rand Sukhaita: Neutres. Beaucoup d'entreprises à but non lucratif travaillent aussi là-bas. Elles ont des bureaux en Turquie et elles oeuvrent aussi en Syrie.
    La dernière fois que j'ai consulté les statistiques — il y a cinq mois environ —, on dénombrait 600 organisations, je crois. Comme je l'ai mentionné, la plupart d'entre elles sont associées à des partis et ont donc des opinions politiques. Je ne crois toutefois pas que cela soit souhaitable en Syrie.
    Merci beaucoup.
    Madame Laverdière, je vous cède la parole.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Madame Sukhaita, merci beaucoup de votre présentation fort intéressante.
    Vous dites que seuls les Syriens eux-mêmes peuvent rebâtir leur avenir, et je pense que c'est là un point très important.
    Il y a un autre point que j'ai trouvé particulièrement intéressant. C'est le fait de montrer que le travail auprès des femmes et des mères avait un effet sur le travail des enfants, par exemple. En effet, quand on aide les mères à avoir un revenu, on a moins d'enfants en bas âge qui travaillent.
    D'ailleurs, connaît-on approximativement le nombre d'enfants qui sont en situation de travail intensif?
    Je vais avoir une deuxième question à vous poser par la suite, alors il faudrait garder un peu de temps pour cela.

[Traduction]

    Merci.
    En fait, j'ai consulté beaucoup de statistiques ces derniers temps, mais je ne me souviens pas du nombre exact. Je suis sûre que vous pourrez trouver ces chiffres en faisant une simple recherche sur Internet.

[Français]

    Il me semble que vous aviez l'intention d'aller aux États-Unis pour y présenter le travail que fait votre organisation. Est-ce toujours dans vos plans de le faire?

[Traduction]

    Oui. En fait, j'ai été invitée par l'organisme Institute for War & Peace Reporting. Chaque année, il fait venir des Syriennes aux États-Unis pour qu'elles puissent y rencontrer des organisations et des décideurs.
    Cette année, l'organisme a annulé cette activité. Je devais me rendre aux États-Unis et j'avais inscrit le tout dans mon agenda, mais, à la dernière minute, l'activité a été annulée à cause de la décision de Trump. L'organisme m'a dit qu'il pourrait m'aider à obtenir un visa, puis il a annulé l'activité. Il a dit qu'il tenterait d'inviter des femmes ayant une autre nationalité, puis il a tout annulé.

[Français]

    Cette situation est vraiment très triste.
    Dans ce comité, nous croyons à peu près tous à l'importance de financer les organisations de base.
    En ce qui a trait au financement, avez-vous beaucoup de défis à relever en ce moment?

[Traduction]

    En effet, cette situation nous cause de nombreux problèmes.
    Premièrement, les fonds proviennent de différentes organisations. Nous obtenons du financement de l'Union européenne, mais il doit d'abord passer par Expertise France. Ce n'est pas efficient. C'est la même chose dans le cas des agences des Nations unies. Comme les frais d'administration sont très élevés, il reste moins d'argent pour les personnes qui en ont besoin.
    Deuxièmement, nous n'avons pas de projets à long terme. Par exemple, nous faisons une demande en vue de mettre en oeuvre un nouveau programme et d'embaucher le personnel nécessaire. Nous assurons la formation des employés, puis ils commencent à faire du travail efficace. Au bout de six mois, tous les fonds sont épuisés. Nous ne pouvons pas garder nos bons employés — ceux dûment formés et expérimentés — parce qu'ils tentent de se trouver du travail ailleurs. Nous ne réussissons donc pas à avoir une incidence concrète sur la vie des gens. Jusqu'à maintenant, nous n'avons jamais reçu de financement pour plus d'un an. C'est la période la plus longue pour laquelle nous avons obtenu des fonds. Comme nous avons besoin de deux mois pour faire le travail préparatoire, pour recruter du personnel et pour assurer sa formation, nous avons du mal à renforcer notre capacité, à élaborer des organigrammes et à mettre l'accent sur des politiques et des procédures financières ou en matière d'égalité entre les sexes. L'insuffisance de fonds nous empêche de mener à bien les programmes. C'est peut-être là un des principaux défis auxquels nous sommes confrontés.
(1015)
    Merci beaucoup.
    Je cède maintenant la parole à M. McKay.
    Merci, monsieur le président.
    Je vais prendre un grand risque politique et complimenter une femme sur sa veste. Je la trouve très élégante.
    Merci.
    Je suis d'accord.
    Elle a été fabriquée par un groupe de Syriennes en Turquie.
    Très bien. C'est le fruit du travail des centres Darna?
    Bien sûr, les centres Darna fabriquent des vêtements de ce genre, mais cette veste n'en fait pas partie. Elle a été fabriquée par un groupe de réfugiées syriennes. Ma mère a participé au projet et a assuré la formation de ces femmes. Elles essaient de... Je m'occupe du marketing pour elles.
    Vous avez du succès. Votre veste est superbe.
    Merci.
    La Syrie est un pays très complexe même en temps de paix. Depuis environ un siècle, les alaouites dirigent le pays d'une main de fer, avec un régime brutal qui a recours à l'oppression politique. Pourtant, la guerre a forcé des membres de tous les groupes à se déplacer, qu'il s'agisse d'alaouites, de chrétiens, de Druzes, de Kurdes, de sunnites ou de chiites.
    Vous avez été obligée de quitter la Syrie. Vous vous êtes retrouvée dans un camp de réfugiés en Turquie. Est-ce que les tensions qui existent habituellement en Syrie sont aussi palpables dans ce camp de réfugiés?
    En fait, je ne me suis pas retrouvée dans un camp de réfugiés. J'ai eu de bonnes expériences avec des réfugiés en Turquie. J'ai fait du bénévolat auprès de nombreuses organisations. En effet, il existe des tensions entre les gens qui ont des idées politiques et religieuses différentes. J'aimerais préciser que nous n'avions encore jamais connu une telle situation. C'est le conflit qui a fait naître ces tensions. Cette situation est apparue pour la première fois après la guerre. Avant, lorsque j'étais à l'université, ce n'était pas comme ça. Nous fréquentions tous la même université et les mêmes écoles. En quelque sorte, nous vivions dans une seule collectivité, alors que, après la guerre, la situation s'est dégradée. C'est pourquoi il est très important que le centre crée des milieux sûrs.
    J'aimerais vous donner un exemple. Un de nos programmes porte sur la sensibilisation à la paix. Il s'agit d'un programme de soutien psychosocial destiné aux enfants et aux adolescents. Les enfants adoptent le point de vue de leurs parents. Par exemple, si leurs parents s'opposent au régime, les enfants vont les imiter. Il y a beaucoup de tensions entre les enfants au centre.
    Au centre, nous avons installé un grand tableau blanc où sont inscrites les règles à suivre. Il y est dit notamment que nous devons respecter les autres, que nous sommes tous Syriens, que nous devons assurer un avenir meilleur à notre pays et que, dans la salle, nul ne doit discuter de politique. Nous avons réussi à faire une seule équipe, afin que tout le monde ait un sentiment d'appartenance.
    Ce dont vous avez parlé représente un défi de taille à l'heure actuelle. C'est pourquoi il est très important de mettre en oeuvre des programmes d'aide psychosociale auprès de tout le monde — enfants, adolescents, femmes et hommes. C'est aussi pourquoi il est très important d'appuyer la création de ces milieux sûrs.
(1020)
    C'est une initiative intéressante, et je vous souhaite beaucoup de succès. Cependant, le président Assad compte certainement des partisans au sein des groupes minoritaires. Comment les membres de ces groupes parviennent-ils à survivre sur une base quotidienne ou annuelle lorsqu'ils sont déplacés en Turquie, au Liban ou en Jordanie? Est-ce que les conflits peuvent se régler autrement qu'au moyen des programmes que vous proposez? Je vous félicite de votre initiative.
    En fait, je ne crois pas qu'Assad appuie les minorités.
    Une de mes amies, Marcell Shehwaro, est une militante originaire d'Alep. Elle a été arrêtée pour avoir pris part à une manifestation dans ma ville, Idlib. Elle a pris le micro. Elle est chrétienne. La plupart des habitants de ma ville sont musulmans et conservateurs. Elle a dit qu'Assad ne l'avait pas protégée. Il l'a fait arrêter. Il a aussi fait tuer sa mère à l'un des points de contrôle.
    C'est l'image qu'il tente de véhiculer, mais je ne crois pas qu'elle traduise la réalité. Même les chrétiens sont déplacés. Comme vous l'avez mentionné, la plupart d'entre eux sont allés au Canada ou en Europe illégalement, à bord de petites embarcations. S'ils s'étaient sentis en sécurité, ils seraient restés en Syrie. Ce n'est pas le cas.
    Je tiens à dire que le conflit a certainement touché toutes les régions où il a fait rage. J'estime que la plupart des régions de la Syrie ont été touchées, à commencer par Damas, où l'eau a été coupée pendant un mois. Le mois dernier, les autorités ont dû fermer les écoles en raison des coupures d'eau et d'électricité. Par conséquent, je pense qu'aucune région de Syrie n'est sûre. La situation touche l'ensemble du pays. La présence du groupe État islamique, de Jabhat al-Nusra et d'extrémistes aide Assad à présenter cette image de lui-même.
    J'espère que mes explications étaient claires même si mon anglais n'est pas très bon.
    Vous avez bien décrit la situation.
    Nous allons maintenant passer à Mme O'Connell.
    Bienvenue au Comité. Vous avez la parole.
    Je vous remercie de votre travail.
    Mes questions porteront sur certains propos que vous avez tenus dans votre déclaration liminaire. Vous avez parlé de la nécessité de préparer les gens à ces changements, qu'ils se trouvent en Turquie, comme vous, ou qu'ils comptent un jour retourner en Syrie — ce qui, je crois, est le cas de la plupart des Syriens déplacés. Compte tenu du travail réalisé par votre centre, comme je l'ai dit, ce commentaire m'a vraiment frappée — à savoir préparer la collectivité en vue de ces changements.
    De plus en plus de femmes entrent sur le marché du travail ou deviennent l'unique gagne-pain de leur famille. Est-ce que la mentalité des hommes va changer en conséquence, alors qu'ils se trouvent maintenant en Turquie ou dans un autre pays relativement sûr ou lorsqu'ils vont rentrer en Syrie? Je me demande si la dynamique va changer. Nous avons déjà constaté des situations où, en raison du nouveau rôle assumé par les femmes dans la société, les actes de violence sexuelle ou les mauvais traitements à leur endroit ont augmenté. Votre centre s'est-il penché sur cette question? Que type de travail fait-il à cet égard? Existe-t-il des statistiques sur l'augmentation de la violence faite aux femmes en raison du nouveau rôle qu'elles assument dans la société en tant que chef de famille?
(1025)
    Ce que vous dites est tout à fait exact. Pour la plupart des femmes, leur rôle au sein de la famille a changé. Elles assument de nouveaux rôles après que leur famille ait perdu son gagne-pain, mais cela terni l'image de l'homme de la famille. Voilà pourquoi nous appuyons les femmes et la plupart des organismes disent qu'il faut les appuyer.
    Lorsque nous avons commencé à oeuvrer en Syrie, nous voulions simplement que les femmes puissent sortir de chez elles. Parfois, nous devions nous entretenir avec l'époux pour lui expliquer cela... et c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de donner des ateliers de couture, car c'est un rôle que les femmes comprennent mieux. Nous ne pouvons pas commencer à enseigner des compétences en informatique, car cela leur semble étrange et elles se demandent pourquoi elles devraient apprendre cela. Alors, nous allons voir les époux et leur expliquons que le centre est un lieu sûr réservé aux femmes où nous offrons également la maternelle pour que les femmes n'aient pas à se soucier de trouver un endroit pour leurs enfants. Il faut déployer beaucoup d'efforts simplement pour les convaincre de sortir de chez elles. Mais une fois qu'elles en font l'essai, elles veulent apprendre davantage.
    Je peux donner un exemple. Nous offrons aux femmes une séance sur la protection. Après un an, un homme trouvait ces séances ridicules et n'en comprenait pas l'utilité. Un jour, il est rentré à la maison stressé par son travail et les nombreuses difficultés personnelles dans sa vie et a crié après sa fille. Celle-ci lui a répondu qu'il ne devait pas faire cela, qu'il ne respectait pas les droits des enfants. Puis, il a crié après son épouse, qui lui a dit qu'il la maltraitait. Alors, il est venu à la séance et nous a avoué qu'il avait peut-être tort car il était stressé et son comportement n'était pas la bonne solution. Il a même dit qu'il devrait peut-être suivre ces séances. Il ne l'a pas fait, mais au moins, il a admis ses torts.
    Nous devons préparer la communauté, car même les groupes militaires qui contrôlent les régions libérées ne s'attendent pas à ce qu'une femme sorte de chez elle, gagne un revenu, et prenne des décisions au sein de sa famille. C'est pourtant le genre de pouvoir dont nous avons besoin.
    Merci beaucoup.
    Pour continuer dans le même ordre d'idées, parlons des régions libérées ou, encore une fois, des collectivités où des Syriens ont dû quitter la Syrie. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné l'exemple d'une famille où l'époux a subi une crise cardiaque et ne peux pas travailler. Dans le cadre du travail que vous faites, avez-vous envisagé, ou votre centre a-t-il envisagé la problématique que nous avons vu surgir à la suite d'autres conflits ou d'autres évolutions dans le monde à divers moments de l'histoire, c'est-à-dire l'amertume croissante à l'égard du manque d'emploi une fois que le conflit se résorbera, lorsque les hommes voudront réintégrer la population active alors que les femmes se seront habituées à cette nouvelle indépendance, à l'éducation et à la participation à la population active et y auront pris goût. Car le nombre d'emplois est limité.
    Je reconnais qu'il y a beaucoup à faire à l'heure actuelle alors que le conflit sévit toujours, mais j'aimerais savoir si l'on a songé à l'incidence à long terme, car le nombre d'emplois est limité et les femmes continuent de prendre de plus en plus de place au sein de la société et d'acquérir une éducation et une certaine autonomie. Selon les témoignages que nous entendons et l'information qui nous est fournie dans les mémoires, les femmes faisaient de grands progrès et maintenant, le conflit complique la situation, évidemment.
    Avez-vous également une vision à long terme pour remédier à un éventuel ressentiment au sein de la population active et prévoir comment les femmes pourront continuer d'acquérir une éducation et de mener une vie financièrement autonome?
(1030)
     Oui, vous avez raison.
    Jusqu'à maintenant, nous ne sommes pas en mesure de prévoir à long terme pour aucun de nos programmes. Même si nous investissions beaucoup en pensant que cela pourrait générer un revenu, ce n'est pas viable tant qu'il n'y aura pas de sécurité. Nous vivons dans l'incertitude. Nous pourrions nous réveiller demain matin et voir notre centre évacué, comme cela s'est produit à Aleppo, ou le voir détruit par un bombardement. Jusqu'à présent, même si nous demandons toujours pour des projets à long terme, les lieux ne sont pas sûrs. C'est risqué. Tant qu'il n'y aura pas de solution et qu'il n'y aura pas de région sûre en Syrie, nous ne pourrons pas rendre cela viable ou mieux penser à l'avenir.
    Il faut penser aux besoins de la société civile syrienne polo. Nous sommes nouveaux dans le domaine. Avant 2011, il n'existait aucun organisme de la société civile. La plupart des Syriens apprennent de leurs erreurs. C'est ce qui s'est produit dans notre cas. Tous nos programmes ont été modifiés à un moment ou à un autre parce que nous avons fait des erreurs et avons appris. Peut-être que nous avons également besoin de ce genre de soutien. Nous n'avons pas seulement besoin de soutien financier; nous avons aussi besoin de renforcer nos capacités. Peut-être que d'autres ONG ou d'autres gouvernements qui sont au courant de ce qui se passe dans d'autres conflits dans le monde peuvent nous aider en matière de politique d'égalité des sexes ou d'étude des revenus. De concert avec Développement et Paix, nous essayons de faire de cet atelier à but non lucratif un atelier lucratif pour que les femmes puissent vendre leurs produits.
    C'est entièrement nouveau. Nous avons besoin de cette expérience pour nous aider à trouver de meilleures façons de faire. Malheureusement, la plupart de la formation que nous recevons porte sur la rédaction de notre proposition. Nous ne sommes pas formés sur ce que nos objectifs devraient être, sur comment nous pouvons apporter un changement. Cela nous serait peut-être utile.
     Si je peux me le permettre, j'aimerais compléter la réponse de la perspective d'un ONG canadien, Développement et Paix. Le gouvernement canadien est très généreux et a annoncé pas plus tard que la semaine dernière un nouveau financement généreux pour la Syrie et les pays voisins. Toutefois, du côté du développement, peu de fonds sont offerts.
    Nous avons bien peu de projets pour appuyer ces femmes qui deviennent autonomes et apprennent à gagner leur vie. De plus, nous avons également besoin que ces femmes participent à la société civile et deviennent des chefs de file communautaires. Nous aurons besoin d'elles plus tard pour rebâtir la Syrie. Comme vous tous qui participez à cette étude, nous savons que si les femmes deviennent autonomes, cela créera une société moins violente, moins patriarcale et plus pacifique. Nous savons que c'est la clé, alors nous devons avoir à la fois l'approche humanitaire à court terme et la vision à long terme.
    Merci beaucoup.
    Nous passons à vous, Ziad. Vous disposez de six minutes.
     [Le député s'exprime en arabe]
    Elana, bienvenue.
    J'aimerais me concentrer sur l'éducation des enfants. Le développement humain est le plus gros problème avec lequel la Syrie sera aux prises non seulement au cours des prochaines années, mais pendant les décennies à venir. En matière d'éducation, d'après vos connaissances et votre expérience, les enfants syriens reçoivent-ils une éducation suffisante pour rattraper le retard accumulé jusqu'à présent? De quel ordre de retard parlons-nous dans ce domaine?
    Le principal problème en matière d'éducation en Syrie, du moins dans la région libérée, c'est qu'à la fin de leurs études, les étudiants n'obtiennent pas de diplôme qu'ils peuvent utiliser pour faire une demande d'admission à une université ailleurs dans le monde.
    Dans la région contrôlée par le régime, oui...
    L'absence de...
    Il n'y a pas de diplôme officiel qui leur permette de faire une demande d'admission à une université à la fin des études secondaires. Aucune université n'accepte les Syriens. C'est drôle parce que certains pays même n'acceptent aucun diplôme de la Syrie car beaucoup sont falsifiés. Donc, que peuvent faire les étudiants après l'école secondaire? C'est ce que nous disent les mères: « Pourquoi envoyer nos enfants à l'école s'ils doivent arrêter leurs études à 15 ans ou à 20 ans? » C'est le principal problème.
    La plupart de l'éducation offerte au Liban et en Turquie est non officielle, ce qui mène au même problème, soit l'absence de diplôme approuvé et de moyen pour que les étudiants puissent poursuivre leurs études. La plupart des enfants en Syrie et également en Turquie décrochent. Cela fait quatre ou cinq ans qu'ils ne fréquentent plus l'école et il n'y a pas de classe d'appoint ou de rattrapage pour les aider à s'inscrire à l'école du gouvernement. En Turquie, la barrière linguistique est une difficulté supplémentaire.
    À son tour, la loi mène à moins d'enfants inscrits dans les écoles parce qu'ils travaillent, en particulier les jeunes en Syrie. Ils n'ont rien à faire. Ils vont simplement combattre avec les groupes militaires parce que cela leur donne un sentiment de puissance. Aussi, parfois, les enfants et les jeunes touchent une somme d'argent s'ils se joignent à ces groupes.
(1035)
    J'étais au Liban en décembre. Nous avons visité certaines des régions où se trouvent des camps syriens. Je me suis informé à savoir quelle éducation ils reçoivent. Jusqu'à présent, d'après ce que je sais à propos du Liban, d'où je viens d'ailleurs, je suis satisfait de l'éducation que les Syriens reçoivent, du moins au sein du système d'éducation libanais, qui demeure dans l'ensemble le meilleur ou du moins le plus acceptable pour offrir une éducation adéquate.
    J'ai également quelques renseignements à propos de la Jordanie, mais ce qui me préoccupe, c'est la Turquie. Le gouvernement fournit-il le curriculum d'éducation turc? Je parle de la maternelle à la 12e année, ou de la maternelle à la 9e année, et de ces petits enfants qui ont le plus besoin de développement. Savez-vous quel type de curriculum est fourni? À quel point êtes-vous satisfaite de l'éducation que les Syriens obtiennent en ce moment, supposons que vous l'évaluiez pour vos propres enfants?
    Comme je l'ai dit, les réfugiés syriens en Turquie n'ont pas de statut de réfugié. Voilà pourquoi ils sont traités comme des visiteurs depuis plus de quatre ans.
    Cela dit, en Turquie, nous avons un centre d'éducation temporaire. Il est situé dans les écoles turques. Une fois que l'enseignement se termine à 14 heures, les Syriens y viennent et les utilisent jusqu'à 18 heures ou 19 heures. Ils utilisent le curriculum syrien, mais encore une fois, il n'est pas approuvé.
    Par le régime? Parlez-vous de l'après-guerre?
    Le régime a fait quelques ajouts, de concert avec la coalition syrienne, et le gouvernement provisoire a fait quelques ajouts, tous concernant le régime. On peut le voir dans chaque image, sur chaque page, dans toutes les matières.
    Ils ont fait des ajouts au curriculum et l'ont offert pendant quatre ans dans ce centre d'éducation temporaire, mais maintenant, ils ont un nouveau plan qui consiste à intégrer tous les enfants syriens dans les écoles turques. Le plan s'échelonne sur quatre ans à compter de maintenant. Ils offrent des cours de turc, d'abord à quelques niveaux, puis les offriront aux autres niveaux. Espérons que cela sera satisfaisant par la suite.
    Merci.
    Nous terminons avec M. Saini.
    Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. Je suis également pharmacien de profession. Mes questions seront donc liées à la santé.
     Ne me posez pas de question liées à la pratique pharmaceutique.
    Non, je ne vous poserez pas de questions au sujet de médicaments. J'ai oublié moi aussi, alors je ne vous mettrai pas ainsi sur la sellette.
    Vous parlez d'essayer de faire toutes ces choses, et je vous félicite de tout votre travail. L'une des choses qui est également très importante, en particulier pour les femmes et les filles, c'est la santé. L'économie est un point de vue, et changer les stigmates sociaux et les normes sociales en est un autre, mais en ce qui a trait à l'alimentation ou à la santé, qui sont fondamentaux, quelle est la situation sur le terrain là-bas? Peut-être nous pourrions simplement nous concentrer sur la santé, car je crois que vous auriez une explication très concise.
(1040)
    Puisque nous n'oeuvrons pas dans le domaine de la santé et qu'il existe des organismes médicaux qui se spécialisent à cet égard, il serait plus approprié de leur poser la question. Je n'ai pas d'exemple de la situation sur le terrain. Je peux vous donner mon impression personnelle générale.
    En Syrie, comme la plupart d'entre vous le savez, les hôpitaux ont été ciblés. Avant que les gens soient évacués d'Aleppo, il n'y avait aucun hôpital en exploitation dans les régions libérées. Ils sont tous hors service. Il y a donc un besoin. Je sais que les femmes qui viennent à notre centre demandent des trousses d'hygiène. Nous offrons toujours des séances de sensibilisation spécialisées pour les femmes, et notre travailleuse sociale tente de leur offrir des séances de sensibilisation à propos de leurs droits, de la santé de la maternité — je ne sais pas si c'est le bon mot...
    Voulez-vous dire la santé maternelle?
    Oui, à propos de la santé maternelle et de comment elles peuvent soutenir leurs jeunes filles à cet égard.
    La situation est la même en Turquie, mais en Turquie, elles peuvent accéder sans frais aux hôpitaux gouvernementaux au moyen de cette carte de protection temporaire.
    Compte tenu de la situation, vous devez également être appelée à composer avec beaucoup de gens qui vivent un traumatisme. Comment composez-vous avec cela? Vous tentez d'offrir une occasion d'autonomie financière et d'indépendance, mais vous faites également affaire avec des familles qui, dans certains cas, ont perdu des membres, ont vécu des événements tragiques ou qui traversent une situation très tragique.
    Essentiellement, comme vous le dites, vous offrez un lieu sûr, mais cela implique tellement plus. Comment composez-vous avec cela de façon continue?
    En fait, nous avons des spécialistes qui sont en mesure de déceler certains cas, voire de leur offrir du soutien, mais nous faisons également de l'aiguillage. Parfois, on ne peut tout faire soi-même. D'où l'importance de la coopération. Il existe de nombreux organismes spécialisés en Syrie et en Turquie. Ils ont des psychiatres et des centres de santé mentale. Nous coordonnons nos services avec les leurs et les aiguillons vers eux. Ils font également des suivis. Dans bien des cas, nous ne connaissons pas les noms ou les causes.
    Y a-t-il des ressources adéquates? Je suis certain que bon nombre des professionnels qui se trouvaient en Syrie il y a quatre ou cinq ans ont déjà quitté les lieux, en particulier à Aleppo. Comment fournissez-vous...
    C'est effectivement un autre problème, en particulier dans le domaine de la santé, du soutien aux victimes de traumatisme et du soutien psychologique. Il est très difficile de trouver encore en Syrie des gens formés et spécialisés.
    Auparavant, lorsque les frontières étaient ouvertes, il était très facile pour eux de se rendre en Turquie et d'obtenir une formation pendant un ou deux mois, ainsi que des séances de suivi, puis de rentrer en Syrie pour mettre leurs connaissances en pratique. Maintenant que la frontière est fermée, il est de plus en plus difficile de faire venir notre personnel de la Syrie pour le former. Beaucoup d'autres organismes spécialisés ont des spécialistes et offrent de la formation aux gens qui sont en Syrie. Ils forment également notre personnel à savoir comment déceler certains cas et ils viennent faire un suivi.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui et d'avoir fait le point sur ce que vous faites et ce qui se passe là-bas en première ligne. Nous vous en sommes reconnaissants.
    Voilà qui met fin au programme d'aujourd'hui, mesdames et messieurs.
    Merci.
    La séance est levée.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU