FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 10 décembre 2018
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Je déclare la séance ouverte.
Bonjour à tous et bienvenue à la 120e séance du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
Aujourd'hui, nous allons terminer de recueillir des témoignages dans le cadre de notre étude sur les situations en Somalie, au Soudan du Sud et en République démocratique du Congo.
Nous entendrons tout d'abord M. Ken Menkhaus, professeur de science politique du Davidson College, qui comparaît par vidéoconférence depuis la Caroline du Nord.
Merci, monsieur Menkhaus, de témoigner.
Nous recevons également Jay Bahadur, du groupe de contrôle sur la Somalie et l'Érythrée du Conseil de sécurité des Nations unies, qui témoigne depuis Nairobi, au Kenya. Merci.
Messieurs, pourriez-vous présenter des exposés de huit à 10 minutes, en commençant par M. Menkhaus? Nous laisserons ensuite les membres du Comité vous interroger.
Vous pouvez commencer quand vous êtes prêt.
Distingués membres du comité permanent, je vous remercie de m'offrir l'occasion de traiter de la question de l'amélioration de notre capacité de régler les problèmes de conflits, de paix, de violence fondée sur le sexe, de sécurité, de justice, de respect des droits de la personne et de développement économique en Somalie.
Ces dernières années, des améliorations ont été observées dans certains de ces domaines en Somalie, dans quelques régions du pays du moins. Nombre de ces améliorations peuvent être attribuées aux efforts impressionnants des dirigeants civils et politiques de la Somalie. Ces Somaliens travaillent au péril de leur vie dans des conditions extrêmement difficiles et dangereuses; plusieurs ont d'ailleurs payé leurs efforts de leur vie. Toute discussion sur l'établissement de l'état de paix, les droits de la personne et la justice devait commencer par une admission de l'héroïsme de ces personnes.
Nous devons toutefois aussi être francs à propos de la nature toujours multidimensionnelle de la crise qui sévit aujourd'hui en Somalie. Même s'il n'y a pas actuellement de conflit armé ou de guerre civile à grande échelle en Somalie, le pays continue d'être aux prises avec une violence politique chronique qui prend la forme d'assassinats, d'attaques terroristes, de conflits entre communautés et de violence criminelle, motivés dans bien des cas par des rivalités politiques non résolues. De dangereuses lignes de faille relatives à des problèmes comme les frontières de l'État fédéral, le contrôle des forces de sécurité et les élections risquent de faire reculer le pays. La Somalie demeure un des pays les moins sécuritaires du monde.
La violence fondée sur le sexe est particulièrement grave au sein des groupes marginalisés, comme les personnes déplacées à l'intérieur du pays, les réfugiés qui sont de retour et les groupes minoritaires. L'absence de primauté du droit les rend particulièrement vulnérables aux comportements prédateurs, lesquels sont parfois le fait même du secteur de la sécurité qui est censé les protéger.
Le système de justice officiel est dysfonctionnel et manque de légitimité dans la plus grande partie du pays. Les Somaliens se tournent plutôt vers le droit coutumier ou la charia, voire vers al Shabaab, qui applique un système de justice parallèle dans une grande partie du pays. Les droits de la personne sont mal protégés, particulièrement dans le cas des femmes, des groupes sociaux faibles et des jeunes.
Pour ce qui est du développement économique, la Somalie a fait bien de la publicité sur son secteur privé dynamique et a observé des augmentations porteuses d'espoir de la croissance globale de l'économie nationale; elle reste toutefois un des pays les plus pauvres de la planète, avec un taux de chômage urbain exceptionnellement élevé et une économie rurale si mal en point que le pays a failli vivre sa deuxième famine de la décennie en 2017. Le coût élevé de la sécurité et l'état de décrépitude des infrastructures rendent encore plus difficile la situation des petits paysans, des pasteurs et des gens d'affaires. Sans les sommes totalisant 1,5 milliard de dollars envoyées au pays par la grande diaspora somalienne chaque année, le pays serait dans une situation économique encore plus désastreuse.
Que peuvent faire les acteurs externes pour aider le pays? Le fait est que les États donateurs ont versé des milliards de dollars à la Somalie depuis les années 1970, avec très peu de résultats. L'aide et le développement internationaux, la réforme du secteur de la sécurité et les efforts d'édification de l'État connaissent un taux élevé d'échec et, dans certains cas, aggravent la situation par inadvertance. Quand on envoie des ressources dans un pays où sévissent une pénurie, une violence, une corruption et une absence de reddition de comptes extrêmes, on peut alimenter la dynamique qui est à l'origine même de la crise.
La crise somalienne est, fondamentalement, une crise de politique et de gouvernance; elle ne peut donc être résolue que si les Somaliens changent eux-mêmes les structures, les normes et la culture politiques. Les acteurs externes peuvent contribuer à appuyer des mesures positives, mais ne peuvent pas en être les maîtres d'oeuvre. Je suis impatient de parler de certaines mesures positives que nous soutenons.
Voici quelques occasions qui s'offrent de soutenir la Somalie.
D'abord, les initiatives d'apprentissage novatrices des donateurs pourraient s'avérer une forme d'aide avisée. Par exemple, le consortium de donateurs connu sous le nom de Somalia Stability Fund est profondément déterminé à être une organisation d'apprentissage efficace capable de s'adapter. C'est exactement le genre d'approche qu'il convient d'adopter pour offrir une aide qui est plus susceptible de fonctionner en Somalie.
Les donateurs doivent aussi absolument faire preuve de souplesse pour travailler de manière pragmatique avec les autorités locales ou nationales qui s'avèrent être des partenaires fiables pour faire progresser les politiques et les programmes de développement. On obtient parfois de meilleurs résultats en collaborant avec les autorités municipales ou fédérales plutôt qu'en agissant à l'échelle nationale.
En outre, il est essentiel de négocier la paix et de contribuer à la consolider. La grande région de la Corne de l'Afrique est le théâtre d'un ensemble extraordinaire de changements politiques qui pourraient améliorer la collaboration interétatique et créer un environnement beaucoup plus propice à l'intégration économique régionale. Tout ce que nous pourrons faire pour consolider ces gains aidera énormément la Somalie.
Enfin, il est essentiel d'insister sur la reddition de comptes, particulièrement de la part de la grande diaspora somalienne. Cette dernière domine la politique et l'économie somaliennes aujourd'hui. De façon générale, elle joue un rôle très bénéfique, mais certains se montrent profondément complices de la corruption systémique et de la violence politique en Somalie. Ces personnes doivent être tenues responsables de leurs actes en vertu des lois de leur pays d'adoption, y compris le Canada.
Je vous remercie de votre attention. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Je vous remercie, monsieur le président et distingués députés, de me donner l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui.
Je commencerai par dire quelques mots sur ce que moi et mon groupe faisons.
Le groupe de contrôle sur la Somalie et l'Érythrée est constitué de huit experts nommés par le secrétaire général des Nations unies, mais mandatés par le Conseil de sécurité pour faire rapport sur la violation des sanctions en Somalie.
Tout a commencé en 1992 par un embargo sur les armes, mais cela s'est depuis élargi à un éventail d'autres mesures, comme les violations du droit humanitaire, l'interdiction du charbon illicite de la Somalie ou les menaces générales à la paix et à la sécurité. Ces mesures visent certainement al Shabaab et, maintenant, la faction de Daesh en Somalie.
Mon rôle personnel au sein de ce groupe consiste à agir à titre d'expert des groupes armés. Avec votre permission, donc, je traiterai brièvement du travail que j'ai accompli. Le fruit de ce travail a été publié dans notre dernier rapport, paru au début de novembre.
Comme son titre l'indique, notre groupe s'intéresse également à l'Érythrée, mais je suis certain que la plupart d'entre vous savent que l'évolution extrêmement rapide de la situation dans la région a incité le Conseil de sécurité à lever les sanctions imposées à l'Érythrée il y a environ un mois. Dans une dizaine de jours, nous porterons donc le nom de groupe de contrôle de la Somalie et nous serons six au lieu de huit.
Je traiterai brièvement de mon domaine de travail, lequel englobe principalement al Shabaab et Daesh, ainsi que le trafic d'armes dans le Nord de la Somalie. Je commencerai par faire une récapitulation de notre dernier rapport sur al Shabaab.
Dans ce rapport, comme nous l'avons indiqué, al Shabaab demeure la menace la plus immédiate à la paix et à la sécurité en Somalie ces dernières années. Malgré les frappes aériennes que mènent continuellement les États-Unis et d'autres États membres voisins, al Shabaab reste en mesure de réaliser des attaques asymétriques routinières qui ont coûté la vie à bien plus de 700 Somaliens au cours de la dernière année, notamment lors du bombardement mortel du 14 octobre 2017, qui a fait près de 600 morts.
Al Shabaab demeure aussi capable de perpétrer à l'occasion des attaques traditionnelles contre les forces de l'AMISOM et l'armée nationale de Somalie.
Depuis la cessation des offensives de l'AMISOM en 2015, al Shabaab garde généralement le contrôle direct de trois parties distinctes du territoire somalien. La première et la plus importante se situe le long du corridor du fleuve Jubba, région qui englobe principalement les villes de Jilib, de Jamaame et de Bu’aale. Le groupe contrôle également une partie du centre du pays qui comprend Harardhere et El Dhere, ainsi qu'une petite région montagneuse du Nord de la Somalie, dans la région du Puntland, où il maintient l'insurrection.
Cependant, malgré le fait que la plupart des centres urbains demeurent sous le contrôle des forces de l'AMISOM et de l'armée nationale de Somalie, nos enquêtes indiquent qu'al Shabaab contrôle encore essentiellement les principales routes d'approvisionnement, qu'il exploite pour en tirer des revenus substantiels.
Dans notre dernier rapport, nous avons réalisé énormément de travaux sur le financement d'al Shabaab, nous intéressant particulièrement aux taxes prélevées aux points de contrôle, ainsi que, comme nous le faisons chaque année, sur l'exportation de charbon, qu'al Shabaab taxe également. Nous avons essentiellement constaté que la plupart des camionneurs commerciaux de la Somalie préfèrent les routes d'al Shabaab à celles du gouvernement fédéral ou des forces régionales en raison de la prévisibilité, du régime de taxation normalisé et du fait qu'ils recevront des reçus et ne se feront pas extorquer à d'autres points de contrôle.
Le fait qu'al Shabaab agisse à titre de gouvernement parallèle dans la plus grande partie du territoire de la Somalie et peut prélever des taxes plus efficacement que le gouvernement fédéral ou les forces régionales suscite de vives préoccupations.
À cela s'ajoute le problème actuel du retrait de l'AMISOM, lequel a essentiellement été reporté parce que la communauté internationale admet de façon générale que l'armée nationale de Somalie n'est absolument pas prête à prendre le relais de l'AMISOM quand cette dernière se retirera.
Nous sommes d'avis que cette situation a essentiellement provoqué une impasse, puisqu'al Shabaab ne peut supplanter l'AMISOM au moyen de taxes traditionnelles, mais que l'AMISOM n'a pas la volonté d'aller plus loin et de reprendre complètement le contrôle du territoire à al Shabaab.
La volonté des États membres et des bailleurs de fonds comme l'Union européenne de maintenir le financement de l'AMISOM reste incertaine; en ce sens, donc, al Shabaab est en train de gagner l'impasse, puisque le temps est de son côté.
Je dirai brièvement quelques mots sur la faction de Daesh dans le Nord de la Somalie.
Notre groupe a effectué une grande partie du travail initial, analysant la direction, le financement et l'organisation de cette faction qui existe essentiellement dans le coin Nord-Est de la Somalie, ici encore, dans la région du Puntland.
Même si ce groupe est demeuré relativement peu nombreux cette année, puisqu'il ne compte pas plus de 200 combattants, depuis novembre 2017, quand les États-Unis ont lancé plusieurs attaques aériennes contre les bases situées dans les régions montagneuses du Puntland où ces combattants sont concentrés, le groupe semble avoir entamé une phase de réorganisation et de retranchement dans le cadre de laquelle ils ont cherché à imiter les tactiques d'al Shabaab en imposant des taxes grâce à l'extorsion et à l'intimidation. Au cours des derniers mois, nous avons observé qu'ils déployaient un effort concerté pour prélever des taxes dans la région du Puntland en commettant des assassinats et des attaques au moyen d'engins explosifs artisanaux contre des membres de grandes banques, de compagnies de télécommunications et d'autres entreprises en activité dans la région du Puntland.
Fait peut-être encore plus préoccupant, ils ont, au cours de la dernière année, élargi leurs activités dans le Sud, aussi loin que Mogadishu et Afgooye, laquelle se trouve directement à l'ouest de Mogadishu, au point où le groupe de Daesh en Somalie a revendiqué 50 assassinats au cours de la période visée par notre rapport, c'est-à-dire de septembre à août dernier.
Nous craignons essentiellement que si ce groupe réussit à établir une source de revenus comme l'a fait al Shabaab, il sera finalement difficile de l'extraire de la société où il agit à titre de grand percepteur de taxe et, comme M. Menkhaus l'a fait remarquer, de fournisseur de services de justice de remplacement, agissant essentiellement comme un gouvernement parallèle pouvant offrir des services et accomplir des tâches relevant normalement d'un gouvernement légitime.
Je traiterais volontiers des questions de politiques en ce qui concerne le gouvernement fédéral, les gouvernements régionaux, les relations entre eux et les effets de la crise diplomatique qui secoue la région du golfe en Somalie actuellement. Ce sont toutes des questions auxquelles je me ferais un plaisir de répondre, mais je clorai ici mon propos. Merci beaucoup.
Merci beaucoup.
Nous irons immédiatement aux questions. C'est M. Aboultaif qui lancera la salve initiale.
Bonjour et merci de témoigner devant le Comité aujourd'hui.
Je suis fort impressionné par vos exposés, qui étaient très clairs et répondaient, à mos avis, à bien des questions, notamment à celle consistant à savoir jusqu'où nous pouvons aller pour être efficaces dans cette région et dans d'autres pays où la situation et l'environnement social sont uniques, mais particulièrement en Somalie.
Nous considérons que l'environnement social constitue un terreau fertile pour le mouvement al Shabaab, puisqu'il s'agit du même environnement dont Daesh a profité dans le Moyen-Orient et même au-delà, ce qui lui a permis d'être efficace, de pouvoir répandre la terreur et de causer des dommages ces dernières années.
La question à un million de dollars consiste toujours à savoir jusqu'où nous pouvons aller et quelle méthode secrète, s'il en existe une, le monde occidental peut adopter pour s'assurer que le temps et l'argent que nous investissons pour tenter de résoudre ces problèmes ne seront pas gaspillés, mais se révèleront efficaces.
Je vais revenir au succès que le mouvement al Shabaab remporte malheureusement en raison de l'environnement social favorable.
Je vous laisserai tous les deux répondre. Je commencerai par Ken, puis Jay pourra répondre.
Merci.
Vous avez effectivement posé la question à un million de dollars, et je voudrais avoir une réponse à un million de dollars.
Chose certaine, les approches traditionnelles que nous avons adoptées au cours des dernières décennies n'ont pas fonctionné. Nous sommes chroniquement insatisfaits de nos partenaires locaux, particulièrement à l'échelle nationale, mais parfois aussi à l'échelle infranationale. De plus, il se crée parfois en Somalie des conditions qui font en sorte qu'al Shabaab peut très aisément prospérer.
Certaines facettes de la relation entre le gouvernement, al Shabaab et la population somalienne vaudraient la peine d'être soulignées de nouveau.
Sachez notamment que même si la situation semble en être une de conflit entre un gouvernement aux abois et une organisation djihadiste, la réalité est bien plus complexe. Le fait est que les deux coexistent à titre de gouvernements parallèles qui s'adonnent tant à la collusion qu'à la lutte. C'est une relation très complexe.
Al Shabaab est à la fois un gouvernement et une organisation terroriste, gérant aussi ce qui constitue une mafia d'extorsion très efficace connue sous le nom d'Amniyat. Même si nous réussissons à réduire la capacité du reste d'al Shabaab, ce groupe risque fort de survivre et de hanter la Somalie de manières troublantes.
Nos options ne sont pas guère bonnes, particulièrement au regard du retrait des forces de l'Union africaine, qui offrira à al Shabaab des occasions de s'immiscer dans des régions habituellement patrouillées par l'Union africaine. Comme Jay l'a, selon moi, expliqué très clairement, al Shabaab considère que le temps joue en sa faveur.
Que pouvons-nous faire? Nous pouvons certainement tenter de modifier l'équation. Si al Shabaab ne considère plus le temps comme un allié, si le temps finit par jouer en faveur des gouvernements locaux et nationaux qui appuient et font progresser la primauté du droit, je peux vous assurer que la vaste majorité des Somaliens soutiendront ces gouvernements.
Al Shabaab est fort, souvent parce qu'il est le seul joueur sur le terrain. Le gouvernement est si corrompu, si faible et si peu fiable qu'il n'inspire tout simplement pas la confiance au sein de la population somalienne. Cependant, à l'échelle locale et municipale, à l'intérieur des districts et parfois à l'échelle fédérale dans certains États membres fédéraux, la gouvernance est vraiment excellente, et les Somaliens réagissent de manière très favorable.
Dans la mesure où nous pouvons choisir nos partenaires de danse de manière avisée en Somalie et collaborer avec des groupes et des autorités qui font ce qu'il faut en assurant le respect de la primauté du droit de base et en offrant un environnement sécuritaire pour les gens et les investissements, nous pouvons réduire la région qu'al Shabaab exploite actuellement. Ce sera toutefois un très long processus et le temps nous est malheureusement compté en raison du départ de l'AMISOM.
Je dirais que le groupe de contrôle sur la Somalie et l'Érythrée se trouve dans une position très favorable, car on nous demande souvent de formuler des critiques et de cerner ce qui ne va pas, mais on ne nous demande pas souvent de fournir des solutions.
J'aimerais formuler quelques commentaires personnels. Je crois qu'en général, le changement de tactique effectué par la communauté internationale au cours des quatre ou cinq dernières années à l'égard de la Somalie relativement au soutien aux administrations régionales, ou ce qu'on appelait auparavant la « solution progressive », au lieu de s'en remettre uniquement au gouvernement fédéral, a été une initiative très positive. Je pense que les dernières années ont prouvé que les forces régionales, qui ont beaucoup plus d'adhésion à l'échelle locale — qu'il s'agisse des milices claniques ou des forces régionales des États membres fédéraux actuels — sont non seulement beaucoup plus efficaces pour combattre al Chabaab, mais aussi pour encourager leurs propres membres du clan et les sous-clans d'al Chabaab à quitter ce groupe. C'est une façon beaucoup plus efficace de lutter contre al Chabaab que de procéder de haut en bas à partir du niveau fédéral. Je pense que le soutien aux forces régionales, c'est-à-dire à la gouvernance régionale, et dans une certaine mesure aux forces locales et régionales, a été une mesure positive.
Je crois que ce qui est toujours un problème grave, c'est que le gouvernement fédéral demeure la seule entité qui importe continuellement des armes, de façon légale, par l'entremise de la levée partielle de l'embargo sur les armes qui a eu lieu en 2013. Le problème, c'est qu'il y a une telle méfiance fondamentale entre le gouvernement fédéral et les États fédéraux membres que le gouvernement fédéral n'a pas voulu armer ou équiper les forces régionales. Ainsi, les forces régionales continuent essentiellement d'être équipées par les États membres régionaux, y compris l'Éthiopie et, dans une certaine mesure, le Kenya.
Le problème, c'est qu'avec cette méfiance fondamentale entre le gouvernement fédéral et les États membres fédéraux, l'architecture globale du secteur de la sécurité reste totalement floue. On ne sait toujours pas comment les forces régionales doivent être soutenues, armées et équipées face à la prise de conscience que l'Armée nationale somalienne a été un échec complet au fil des ans. Des millions de dollars y ont été versés par les États-Unis, les Émirats arabes unis, la Turquie et d'autres partenaires. Ils ont investi des ressources considérables dans la formation, les salaires et les allocations à l'armée. Toutefois, elle est très loin d'être en mesure de prendre la relève de l'AMISOM. Je pense que cela reste le problème principal auquel font face les donateurs.
Merci, Ken et Jay, d'être ici aujourd'hui.
J'aimerais d'abord m'adresser à vous, Ken. J'aimerais vous poser deux questions précises. L'une est une question militaire et l'autre, une question politique.
Comme vous le savez, en 2013, l'administration Obama a publié une orientation stratégique présidentielle comportant trois critères principaux. Tout d'abord, toute attaque de drone est assujettie à l'approbation interinstitutionnelle, deuxièmement, la menace ou la cible doit représenter une menace pour les Américains et troisièmement, l'attaque ne doit faire aucune victime civile.
Étant donné qu'en 2017, le président Trump a déclaré que la Somalie avait des zones d'hostilités actives, ce gouvernement a adopté une nouvelle politique intitulée « Principes, normes et procédures » qui a assoupli certains de ces éléments. En raison de cet assouplissement, le nombre d'attaques de drone a augmenté.
Maintenant que le nombre d'attaques de drone a augmenté, l'armée intervient beaucoup plus. C'est en partie pour gagner le temps et l'espace nécessaires pour faire progresser la gouvernance qui s'établit en Somalie, mais même avec toute cette activité, la stabilité politique ou l'édification d'institutions ne s'est pas produite là-bas. Vous avez publiquement affirmé que les attaques de drone pourraient avoir leur utilité, mais qu'elles ne pouvaient pas remplacer les stratégies politiques. Quelle est la stratégie politique utilisée en Somalie?
La stratégie politique en Somalie, qui devra réellement être administrée par le gouvernement ou les gouvernements somaliens et non par des intervenants externes, consiste à traiter les griefs.
Al-Chabaab se nourrit des griefs, qu'ils soient réels ou parfois exagérés, qu'expriment les clans et d'autres groupes sociaux. Certains groupes ont perdu leurs terres. D'autres groupes sont la proie des forces de sécurité. Certains groupes se sentent sous-représentés ou exclus des pactes politiques.
La Somalie représente fondamentalement un problème politique, et non un problème militaire. Si ces groupes étaient amenés à participer à un dialogue et s'ils étaient raisonnablement satisfaits de la situation politique du pays, al-Chabaab serait privé d'oxygène. Il aurait très peu de partenaires tactiques, et il compte surtout sur des partenaires tactiques, et non sur des groupes qui sont profondément engagés. Cela rendrait le problème militaire résiduel beaucoup plus facile à résoudre.
Comme vous m'avez cité, le simple fait de compter sur une politique militaire pour harceler et décapiter al-Chabaab affaiblit certainement le groupe, mais cela ne résoudra jamais le problème.
En ce qui a trait à la politique stratégique, je suis perplexe au sujet de la politique américaine en Somalie. Prenons l'exemple d'un conflit entre l'appareil militaire et l'appareil diplomatique. Il y a le département d'État, qui a été réduit dans une certaine mesure et qui ne peut pas faire son travail efficacement. Le Pentagone a accru sa présence là-bas, et il représente ainsi un bras politique des États-Unis.
Quelle est la politique américaine en Somalie? Comme vous le savez, les États-Unis ont des troupes dans seulement deux pays d'Afrique, et la Somalie est l'un d'entre eux.
Je ne suis pas certain de ce qui se passe. Le département d'État devrait prendre les rênes. L'USAID devrait prendre les rênes. S'il devait vraiment y avoir une stratégie politique, le département devrait en être responsable, mais il semble que le Pentagone prend davantage les rênes et suit la politique selon laquelle les problèmes africains exigent des solutions africaines.
Quelle est la place de la stratégie politique des États-Unis dans tout cela?
Comme vous l'avez dit à juste titre, il y a un vide sur le plan politique dans la politique américaine à l'égard de la Somalie. Par conséquent, on a remplacé la stratégie politique par une stratégie militaire.
La bonne nouvelle, c'est que c'est en train de changer. En effet, les États-Unis ont confirmé et envoyé un nouvel ambassadeur, l'ambassadeur Yamamoto. Je pense que lui et son équipe seront maintenant en mesure d'exercer une plus grande influence dans une stratégie cohérente à l'égard de la Somalie dans laquelle on intégrera une action militaire. Je crois que ce sont de très bonnes nouvelles pour la Somalie et pour nous tous.
Ma dernière question concerne le statu quo en Somalie.
Vous savez qu'à l'heure actuelle, des gens qui occupent certains postes en Somalie — surtout au sein de l'élite politique, de certains clans et de cartels puissants — ont tendance à profiter du statu quo et à ne pas vraiment tenter de résoudre le problème. Il y a tellement de fonds étrangers versés en Somalie que ces gens ont la capacité de contrôler ces fonds et de s'enrichir.
Comment pouvons-nous changer le statu quo? Comment pouvons-nous les convaincre de coopérer?
Dans une certaine mesure, la Chine a également un impact. Dans quelle mesure faisons-nous participer la Chine à cet exercice d'édification d'une nation?
Vous soulevez un problème fondamental en Somalie, et c'est que de nombreux groupes d'intérêts profitent du statu quo dans ce pays. Ce n'est pas une situation idéale pour qui que ce soit, mais c'est une situation dans laquelle certains intervenants très puissants de la Somalie — des cartels, des entreprises et d'autres — ont fait des millions de dollars.
La marchandisation de la sécurité privée est un exemple. Des entreprises de sécurité gagnent beaucoup d'argent en vendant de la sécurité en l'absence d'un corps policier et d'un système judiciaire efficaces. Ces gens sont parfois aussi des députés ou des ministres. Ils n'ont aucun intérêt à renforcer la primauté du droit, car cela nuirait à leurs entreprises.
Comment pouvons-nous contourner ce problème? Tout d'abord, nous devons faire le point sur l'aide étrangère qui arrive au pays et nous poser une question difficile, c'est-à-dire nous demander si nous perpétuons cette économie politique. Une aide plus intelligente, une aide adaptée à l'échelon local, n'attirera pas la même attention de la part du petit groupe de Somaliens qui sont complices de cette économie politique.
J'ai vu l'aide être utilisée très efficacement. Je l'ai vue contourner ces éléments, plutôt que passer par eux, mais nous devrons repenser cet enjeu en profondeur.
J'ai une dernière question. Elle concerne la situation à l'intérieur du pays, c'est-à-dire la situation politique de la Somalie. En effet, il y a le Puntland et le Somaliland, deux États autonomes dans une Somalie élargie.
Comment pouvons-nous les faire participer à la création d'une fédération qui ne serait pas composée de deux entités indépendantes flagrantes?
Le Puntland n'est pas un État sécessionniste. Il fait officiellement partie du gouvernement fédéral somalien, contrairement au Somaliland, qui a déclaré la sécession depuis 1991.
Le problème avec le Puntland, c'est qu'il a la capacité d'exercer un droit de veto sur les développements qu'il n'aime pas en menaçant de se retirer du gouvernement — il ne menace pas d'être sécessionniste, mais simplement de se retirer du gouvernement. Je crois qu'il faudra s'y prendre de façon différente pour obtenir la participation de chaque État.
Pour le Puntland, on utilisera le même processus qui amènera progressivement tous les autres États membres fédéraux à faire partie d'une union plus cohérente. C'est un système fédéral qui prendra du temps.
Actuellement, il s'agit d'un État médiateur dans lequel le gouvernement central dispose d'une influence limitée sur au moins certains des États membres fédéraux. Si le gouvernement fédéral a une stratégie dans laquelle il utilise des mesures incitatives pour attirer ces États et leur fournir des avantages au lieu de se contenter de tenter de les manipuler et de les affaiblir — ce qui a récemment été la voie suivie par Mogadiscio —, il pourrait créer un environnement dans lequel ces États comprendraient qu'il est dans leur intérêt de s'intégrer graduellement à la Somalie, que ce soit dans un cadre fédéral ou unitaire.
Merci. Je dois vous interrompre ici. J'espère que nous pourrons revenir sur cette question.
Nous entendrons maintenant Mme Duncan.
Merci beaucoup.
Vous pouvez continuer de parler de cela, car ma question aborde le même sujet. Il y a plus de 20 ans, la Banque mondiale a décidé d'adopter une approche différente en Indonésie, où le gouvernement central était très corrompu. Les intervenants ont décidé de tenter de déplacer l'aide vers les gouvernements régionaux, c'est-à-dire vers les provinces ou les États.
Monsieur Mekhaus, vous avez demandé des façons novatrices de fournir de l'aide. Certains des donateurs commencent-ils à s'engager dans cette voie en fournissant une aide directe aux États membres dans lesquels, selon eux, il sera possible d'améliorer la capacité de gouverner plus démocratiquement et plus efficacement, et de les amener à collaborer et à exercer des pressions, à leur tour, sur le gouvernement central?
De nombreux donateurs travaillent avec les autorités qu'ils jugent les plus fiables. Il ne fait aucun doute qu'il y a des secteurs de compétences au gouvernement fédéral; ils travaillent avec ces autorités. Il y a des secteurs de compétence, voire d'excellence, à l'échelle locale et infra-étatique, où nous avons vu de nombreuses organisations d'aide travailler, habituellement avec prudence et avec peu de ressources financières. C'est souvent essentiel. Lorsqu'on investit beaucoup d'argent, on attire certains des pires éléments et favorise certaines des pires habitudes en Somalie, mais il y a certainement un engagement à ce niveau.
Je pense qu'il y a une chose que nous devons reconnaître cependant à propos des donateurs occidentaux. La Banque mondiale est une exception intéressante en raison de son envergure et du financement important éventuel qu'elle peut offrir, principalement par l'entremise du gouvernement central. Cependant, nous devons signaler qu'il y a de nouveaux acteurs de l'aide en Somalie sur lesquels nous avons très peu d'influence. Cela dit, les rivalités entre les États du Golfe de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, ainsi que le Qatar et la Turquie se déroulent dans une guerre par procuration qui a malheureusement des répercussions sur le soutien offert au gouvernement fédéral ou à quelques-uns de ces États membres fédéraux infranationaux.
La politisation de cette question n'aide aucunement, par opposition à une approche pragmatique dans le cadre de laquelle l'agence, qui a les pouvoirs politiques, sera le plus efficace. Il y a eu une perte à ce niveau en conséquence.
J'aimerais vous adresser une question à tous les deux au sujet de l'embargo sur les armes partiellement levé.
De toute évidence, la Somalie a exercé des pressions pour que cet embargo soit levé. Quelle proportion des armes qui entrent dans les pays parviennent entre les mains du groupe Al-Chabaab et d'autres membres? Est-ce un problème? Est-ce en quelque sorte un exercice inutile?
D'accord.
Comme vous l'avez souligné, l'embargo sur les armes a été levé partiellement en 2013 pour permettre au gouvernement fédéral et, théoriquement, aux États membres fédéraux également d'importer des armes jusqu'à un certain calibre — essentiellement, des armes légères de calibre maximal de 14,5 millimètres et des mortiers dont le calibre peut atteindre 82 millimètres, si je ne m'abuse.
Le problème, comme vous l'avez signalé, c'est que l'armement se retrouve souvent entre les mains du groupe Al-Chabaab. La section de la logistique de l'Armée nationale somalienne est notoirement corrompue, tant à grande échelle, où le chef de la logistique détourne des armes directement, qu'à plus petite échelle, où des soldats non payés vendront leurs armes.
Depuis 2015, le gouvernement fédéral marque les armes, ce qui nous facilite la tâche pour déterminer les taux de détournement. Dans le dernier rapport, nous avons fait état que 60 armes que nous avons trouvées sur les marchés à Mogadishu et à Baidoa avaient été marquées par le gouvernement fédéral. Ce n'est qu'un très petit échantillon.
Nous croyons qu'en ce qui concerne le groupe Al-Chabaab, comme M. Menkhaus l'a souligné, ce n'est pas vraiment un problème militaire en soi. Des armes plus puissantes ou de plus haut calibre ne contribueront pas à régler ce problème, comme le gouvernement fédéral le soutient avec insistance. Le problème, c'est que même si l'embargo sur les armes était complètement levé et que les factions pouvaient importer toutes les armes qu'elles veulent, l'histoire démontre que les armes parviendraient rapidement entre les mains du groupe Al-Chabaab et qu'il y aurait une forme de parité à nouveau. Nous croyons fermement que le gouvernement fédéral n'est pas prêt à lever l'embargo sur les armes. En fait, comme le rapport en fait état, aucune des expéditions qui ont été reçues légalement au cours de notre dernier mandat n'a été dûment signalée au Conseil de sécurité, conformément aux exigences énoncées dans la résolution du Conseil de sécurité. Cela demeure une importante source de préoccupation pour nous.
Je me demande si vous constatez un certain clivage entre les différents groupes d'âge en Somalie. Avons-nous bon espoir que la jeune génération exercera des pressions pour favoriser l'engagement dans la société civile, un régime plus démocratique, une meilleure primauté du droit, ou est-ce l'inverse?
Très bien. Je vais vous donner une réponse hypothétique. J'aurais aimé que nous ayons de meilleures données. Des sondages d'opinion publique ont été menés auprès des jeunes, ce qui nous donne quelques pistes, mais je n'ai pas de réponse définitive à vous fournir.
Je pense que ce qu'il faut signaler en premier, c'est que 75 % de la population somalienne est âgée de moins de 30 ans. Donc, les trois quarts de la population ou plus n'ont aucun souvenir de leur vivant d'un État fonctionnel, et c'est un important point de départ. Nous parlons de gens pour qui la bonne gouvernance, la primauté du droit — tout ce que nous tenons pour acquis — sont des concepts qui leur sont étrangers dans leur cadre de référence.
Ils sont maintenant beaucoup plus habitués à un certain niveau d'islamisme dans leur vie, la politique et les systèmes judiciaires, ce qui aurait été assez peu connu de la vieille génération. Je pense que cela les marquera. Je pense que c'est une génération qui envisagera des solutions islamiques d'une certaine manière, et ce, beaucoup plus que leurs homologues plus âgés l'ont fait en Somalie.
Quant à savoir s'ils sont plus enclins à trouver une solution, je l'ignore. J'imagine qu'avec le temps, les Somaliens qui ont grandi dans cet environnement apprendront à gérer la situation. La Somalie est une énorme et horrible expérience en gestion du risque — c'est 10 millions de personnes qui ont trouvé un moyen de vivre dans un contexte d'insécurité chronique et de mauvaise gouvernance —, et l'aversion au risque est l'un des moyens de survivre. L'aversion au risque, dans ce contexte, signifie généralement de ne pas courir de risque dans un système radicalement nouveau de règles politiques; entre deux maux, on choisit celui que l'on connaît.
Je trouve que c'est quelque peu décourageant. Je pense qu'il sera plus difficile de promouvoir une véritable réforme politique, car les risques sont tout simplement très élevés pour les Somaliens.
Vous avez réclamé de l'aide novatrice. Avez-vous des idées brillantes et novatrices quant à la façon d'aborder ces problèmes?
Il y a un énorme danger à faire appel aux organismes d'aide et à leurs projets, et à dire, « Regardez à quel point ils s'en tirent bien ». Ils répondront directement, « Oh non, ils ont commis telle et telle autre erreur ». J'hésite un peu à faire appel à des organismes d'aide précis.
Lorsque je suis sur le terrain, il ne fait aucun doute que certains organismes travaillent plus fort que d'autres à trouver de nouvelles façons de faire des affaires en Somalie. Dans la mesure où les organismes d'aide peuvent mettre sur pied et conserver des équipes nationales de premier plan, ils risquent d'avoir un taux de réussite beaucoup plus élevé. La Somalie est très difficile d'accès aux intervenants de l'extérieur. Il est presque impossible pour des intervenants de l'extérieur de planifier efficacement des interventions en Somalie sans une équipe nationale qui sait vraiment ce qu'elle fait, et c'est une leçon que de nombreuses personnes ont tirée il y a longtemps.
Un grand nombre d'organismes ont fait preuve de créativité dans les façons de permettre à leur personnel national d'aborder les enjeux mondiaux — notamment les droits de la personne et les droits des femmes — et de les transformer de manière à ce que nous n'ayons pas l'air de vouloir les imposer aux Somaliens, car c'est un excellent moyen pour que ces programmes échouent. Le personnel national sait comment nationaliser ces questions, comment les autochtoniser — en s'appuyant sur les traditions islamiques, par exemple, pour défendre les droits des femmes. C'est très efficace et novateur.
Merci beaucoup à tous les deux.
J'aimerais parler un peu plus de cette idée de transition vers le fédéralisme et de la façon dont le Canada, un pays qui possède une vaste expérience en matière de fédéralisme, pourrait peut-être aider avec cette transition. Je sais, bien entendu, que c'est très difficile à faire dans une société clanique, où il n'y a aucun contrôle gouvernemental dans d'importantes régions du pays. Y a-t-il des mesures précises que le Canada peut prendre?
Monsieur Menkhaus, je sais que vous avez parlé de la flexibilité des donateurs de pouvoir cibler l'aide pour l'offrir à des gouvernements régionaux.
Monsieur Bahadur, vous avez parlé de la solution progressive, à savoir que nous pouvons mettre l'accent sur les gouvernements régionaux.
Est-ce que chacun de vous peut expliquer précisément ce que le Canada pourrait faire, à la lumière de notre expérience historique avec le fédéralisme?
Allez-y, monsieur Menkhaus.
La question du fédéralisme dans d'autres pays et les leçons que les Somaliens peuvent tirer existent depuis la fin des années 1990. Il y a eu une publication intitulée « A Menu of Options », qui a été produite par la communauté européenne, je pense. Elle s'est penchée sur des pays comme la Suisse, pas tant pour offrir des solutions aux Somaliens, mais plutôt pour leur enseigner la politique comparée afin qu'ils puissent comprendre qu'il existe de nombreux autres moyens que d'autres pays ont utilisés pour procéder à une décentralisation et gérer la politique identitaire dans un contexte fédéral.
Je pense que ce que le Canada pourrait faire — et dans la mesure où vous communiquez ces leçons à la Somalie, vous pourriez certainement nous aider ici aux États-Unis également —, c'est de trouver un moyen d'aider les Somaliens à comprendre la notion de cosmopolitisme.
L'un des problèmes en Somalie, c'est que le fédéralisme a dégénéré en une forme brute d'ethnofédéralisme — à savoir, chacun de ces États membres est perçu comme étant le domaine d'un clan dominant, ce qui multiplie les groupes minoritaires dans ces régions et crée des conflits que le groupe Al-Chabaab exploite dans tous les États membres.
La question en Somalie de savoir qui a le droit d'y vivre — les Somaliens parlent d'u dhashey et de ku dhashey, ou des droits de naissance, des droits de sang, des droits de citoyenneté — demeure complètement non résolue. En Somalie, personne ne contestera qu'un clan particulier a un pouvoir sur un territoire donné; les gens le savent. C'est dans les villes qu'ils n'ont pas encore trouvé une solution. Ils n'ont pas déterminé les villes qui sont des endroits cosmopolites où tout le monde a le droit de vivre, de faire des affaires, de se présenter aux élections ou d'être un policier. Si ce discours pouvait être tenu...
Vous avez de merveilleuses villes comme Montréal et Toronto. Ce sont d'excellentes leçons à tirer pour bon nombre d'entre nous. Je pense que les Somaliens pourraient en bénéficier. Bien entendu, vous avez l'avantage d'avoir une diaspora somalienne très importante dans ces villes canadiennes, et ces gens pourraient retourner dans leur pays et contribuer à promouvoir cette idée en Somalie.
Les problèmes en Somalie pour ce qui du fédéralisme et des tensions liées à l'identité et à l'ethnie seront réglés ville par ville, à mon avis.
Je ne suis pas encore un docteur, et je ne le serai probablement pas de sitôt.
Je ne pense pas avoir une réponse exhaustive à ce sujet, mais je dirais qu'en ce qui concerne le fédéralisme, la constitution provisoire constitue un énorme problème; elle n'est toujours pas achevée après des années et des années d'examen constitutionnel. Il y a le problème du partage des ressources et des paiements de transfert, que le Canada gère, je pense, compte tenu des leçons qu'il a tirées avec des provinces riches et des provinces relativement moins riches. Ces connaissances pourraient être extrêmement utiles pour permettre au gouvernement fédéral de prendre une décision finale et d'établir un cadre définitif pour le partage des ressources qui inclut le pétrole, le gaz et les pêches, qui sont des secteurs dans lesquels le Canada a une vaste expérience, à mon avis.
Pour revenir à l'argument de M. Menkhaus, compte tenu du nombre de Somaliens à Toronto et des connaissances que l'on a sur les intérêts différents et opposés, on pourrait encourager ces jeunes à retourner dans leur pays, voire à se lancer en politique en Somalie ou à tout le moins entamer le discours politique, mais c'est très difficile de les convaincre de le faire.
Pour revenir au point sur les générations plus âgées et plus jeunes, l'une de mes craintes, c'est que les membres de la génération plus âgée en Somalie, qui connaissent la culture, qui ont grandi avant la guerre civile, qui savent comment interagir avec la diaspora, les donateurs et la population locale, sont des sexagénaires et des septuagénaires. Vous devez encourager les jeunes Somaliens éduqués à retourner dans leur pays et à faire entendre leur voix. Honnêtement, il y en a, mais les jeunes ne voient pas l'intérêt de retourner dans cet environnement s'ils sont des médecins ou des avocats éduqués. Comme je l'ai dit, ce n'est évidemment pas facile de les convaincre, car les politiciens là-bas sont confrontés à un risque élevé d'assassinat, à d'autres lésions corporelles et à un niveau de vie inférieur.
Cependant, si le Canada pouvait trouver un moyen d'encourager ces jeunes éduqués à s'intéresser et à participer à l'avenir de la Somalie, je pense que ce serait un moyen de générer une incidence très positive.
Merci.
Nous allons entendre deux derniers intervenants. Nous entendrons le député Baylis, suivi de la députée Alleslev, s'il vous plaît.
On vous écoute, monsieur Baylis.
J'aimerais assurer un suivi brièvement sur quelques-unes des questions que ma collègue Anita a posées.
Vous avez tous les deux dit qu'une approche fédéraliste descendante n'a pas fonctionné, car, d'un point de vue politique, le gouvernement national somalien ne réussit pas très bien dans ses démarches et l'armée nationale n'était pas très bonne. Est-ce exact? Ces deux tentatives ont-elles échouées?
Je vais commencer avec vous, Ken, si vous le voulez bien.
Les approches descendantes en Somalie n'ont pas réussi. C'est indéniable. C'est là où l'on a ciblé la grande majorité du soutien externe et où l'on a perdu la grande majorité de l'aide financière étrangère.
Le gouvernement fédéral a un certain nombre de problèmes à l'interne. L'un est qu'il est essentiellement un gouvernement exempt de circonscription. Il est situé à Mogadishu. Il ne rend des comptes qu'à lui-même. C'est là où l'aide financière étrangère est principalement versée et, par conséquent, cela attire... Cette aide attire d'excellentes personnes. Il y a de merveilleux Somaliens qui travaillent au sein du gouvernement et qui travaillent très fort. Il y a des compétences, mais les efforts ne se traduisent généralement que par une paralysie politique chronique et une corruption parmi les pires au monde.
L'armée nationale somalienne n'est pas une véritable armée; c'est un ensemble de divisions ou de brigades qui relèvent d'un commandant de clan. Les soldats sont essentiellement des paramilitaires d'un clan qui ne relèvent pas d'une chaîne de commandement civile. Par conséquent, on ne leur fait pas confiance. Dans certains cas, ils font la promotion d'intérêts du clan aux dépens des populations locales, qui se tournent vers le groupe al-Chabaab pour assurer leur protection.
Ironiquement, nous fournissons du soutien à une force armée qui pousse les gens à se tourner vers le groupe al-Chabaab. C'est quelque chose de très frustrant à dire aux contribuables.
Je suis tout à fait d'accord.
Nous avons fait beaucoup de travail sur l'imposition cette année, comme je l'ai mentionné. La réponse universelle des citoyens locaux qui devaient faire des échanges commerciaux, tels que des camionneurs et des entrepreneurs, est qu'ils préfèrent faire des affaires avec le groupe al-Chabaab que d'emprunter des routes sur lesquelles ils doivent traverser des points de contrôle gouvernementaux. Ce peut être soit l'armée nationale somalienne — peu importe ce qu'elle est, mais qui est souvent, comme M. Menkhaus l'a dit, une milice qui relève de la chaîne de commandement du clan —, soit des forces régionales, qui seront déployées au hasard et de façon ponctuelle pour se livrer à des manoeuvres d'extorsion.
Le groupe al-Chabaab se livre à des manoeuvres d'extorsion également, mais ses manoeuvres sont prévisibles et honorent son propre système. C'est extrêmement inquiétant.
Essentiellement, je conviens tout à fait que l'approche descendante a donné lieu au plus grand gaspillage d'argent des donateurs en Somalie.
Nous adoptons cette approche, car nous voyons la Somalie — même en ce moment dans le cadre de nos discussions — comme étant un pays, mais ce n'est pas véritablement un pays. Nous essayons de traiter avec la Somalie en tant que pays, mais c'est seulement un groupe de personnes à Mogadishu. L'argent est versé, et il y en a trop pour qu'il soit utilisé efficacement, alors il se fait voler, et des gens arrivent... Cette approche ne fonctionne pas. Nous adoptons cette approche depuis des décennies, et non pas des années.
Nous devons donc faire l'inverse: adopter une approche ascendante. Vous dites que ce sont des clans et que nous devrions essayer de transformer les membres en personnes cosmopolites. Il y a un avantage à ce que les jeunes soient plus cosmopolites que les personnes plus âgées, et le monde va dans cette direction, de façon générale. Les Somaliens sont-ils ouverts sur le monde, ou leur situation est-elle si unique que ces jeunes ne savent pas... ou ne sont-ils pas exposés aux jeunes occidentaux, qui considèrent les frontières nationales comme étant beaucoup moins rigoureuses que leurs parents?
Comment perçoivent-ils le monde?
C'est une excellente question, à laquelle il est vraiment difficile de répondre.
La culture politique somalienne est fascinante, en ce sens qu'il peut y avoir à la fois un esprit de clocher très tenace et profond axé sur les divers clans, un courant sous-jacent de nationalisme somalien très puissant, malgré tout ce qui s'est produit là-bas au cours des 30 dernières années, et un niveau assez impressionnant de cosmopolitisme.
Les Somaliens voyagent beaucoup. La diaspora est un vecteur de toutes sortes d'idées provenant tant du monde oriental que du monde occidental et de partout ailleurs. Les Somaliens sont, en général, des consommateurs très avides de nouvelles et de tout ce qui vient des médias; ils peuvent donc s'adapter aux trois cultures à la fois. L'essentiel pour eux, c'est de trouver un moyen de tirer parti de ce qu'il y a de meilleur dans les trois et de ne pas diaboliser le clanisme, par exemple, parce qu'un clan remplit des fonctions vraiment utiles comme filet de sécurité sociale dans un pays où il y a très peu de sécurité. C'est l'une des sources de résilience.
Toutefois, vous avez raison de dire que la collaboration avec les unités infranationales risque de renforcer l'esprit de clocher, dans la mesure où bon nombre d'entre elles sont dominées par un seul clan, mais il y a des villes et villages où coexistent de nombreux clans. Ce sont des endroits où les gens font des affaires et où il existe de bonnes écoles; ainsi, les membres de tous les clans utilisent ces services. Voilà, selon moi, les principales pistes de solution au pays.
Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre notre dernière intervenante.
Madame Alleslev, la parole est à vous.
Merci beaucoup.
J'aimerais obtenir une réponse sommaire, si possible.
Nous avons consacré des milliards de dollars depuis les années 1970, mais nos efforts ont souvent donné peu de résultats et même aggravé la situation de façon involontaire. Nous avons entendu que les approches conventionnelles ne fonctionnent pas et qu'il y a des gouvernements parallèles qui s'adonnent souvent tant à la collusion qu'à la lutte.
Nous avons entendu que Daesh est en train de gagner du terrain. Le groupe al-Chabaab est bien établi, et sa présence pourrait donc s'intensifier. J'ignore au juste où en sont les choses avec le gouvernement actuel. Pouvez-vous me donner une idée de la tendance qui se dégage depuis les années 1970 ou, du moins, disons, au cours des cinq dernières années? Dans l'ensemble, la situation demeure-t-elle la même? Observons-nous une amélioration ou une aggravation?
L'amélioration ou l'aggravation de la situation en Somalie varie selon l'endroit et le secteur. Quand on parle de...
Mais je vous demande de façon générale. Je dis « dans l'ensemble ». La communauté internationale a accordé des milliards de dollars depuis les années 1970. Dans l'ensemble, faisons-nous des progrès, peu importe les critères que vous voulez utiliser pour définir un progrès général ou une amélioration globale?
Oui, parce que je suis une politicienne et je dois sauter aux conclusions. En tant que politicienne, j'ai entendu de sages conseils selon lesquels nous devons repenser complètement notre approche. Par conséquent, si j'envisage de revoir le tout, je dois aller dire aux contribuables canadiens: « Voici pourquoi nous utilisons l'argent de vos impôts pour aider la Somalie; c'est parce que nous améliorons les choses ». Dans le cas contraire, il faut leur dire: « Non, nous n'améliorons pas les choses, alors nous devons nous y prendre autrement. »
Je tâcherai de répondre à votre question aussi directement que possible.
Dans l'ensemble, selon la tendance observée, il se passe de bonnes choses dans certains domaines, mais le bilan général à l'échelle nationale est soit stagnant, soit inquiétant. Nous pourrions être aux prises avec une situation qui risque de se détériorer sérieusement au cours des prochaines années si les bonnes politiques ne sont pas adoptées.
C'est une évaluation pessimiste. Bon nombre de mes collègues à Nairobi ne partagent pas cet avis, mais pour ma part, je suis inquiet.
Mais c'est pragmatique, et nous ne pouvons pas régler un problème si nous ne sommes pas disposés à le définir, à l'évaluer et à le quantifier.
Jay, qu'en pensez-vous?
Je vais m'en tenir aux cinq dernières années. C'est ce que j'ai surveillé de près sur le terrain, dans une certaine mesure.
Pour vous répondre, là encore, sans ménagement, je crois qu'il y a eu des améliorations sur le plan politique. À mon avis, la tendance générale consiste à créer et à appuyer des États membres fédéraux pour instaurer une sorte de tribune politique en vue de traiter les griefs à cet échelon, ce qui est une bonne chose.
Nous observons une maturité accrue de la part du gouvernement fédéral en ce qui concerne sa capacité, par exemple, de créer un budget, de se comporter comme un gouvernement, de collaborer avec les donateurs et d'agir de façon plus raisonnable sur la scène internationale. Il y a eu des améliorations sur le plan institutionnel, et la qualité des personnes au sein des gouvernements partout en Somalie s'est également améliorée. Politiquement parlant, je crois que des progrès ont été réalisés, et c'est certainement le cas au cours des cinq dernières années.
En fait, c'est en 2009, je crois, que le budget national a été griffonné au dos d'une serviette de table. Aujourd'hui, il y a la Banque mondiale qui a mis en oeuvre un système de gestion financière. Ce sont là, selon moi, des améliorations.
Par contre, en ce qui a trait à la sécurité, la situation ne s'est pas améliorée. Le problème fondamental en Somalie, c'est l'intégration du groupe al-Chabaab dans la société et l'incapacité de démanteler son réseau mafieux — beaucoup l'ont d'ailleurs comparé à la Mafia — et d'en éliminer la présence dans le tissu social. Cela n'a pas changé.
Pour ce qui est de la situation militaire sur le terrain, ces dernières années, les choses ont empiré, et ce, pour plusieurs raisons: le retrait de l'AMISOM, les compressions budgétaires, l'absence de patrouilles actives, le manque d'intervention active dans la société et, en somme, l'immobilisme. En ce sens, comme je l'ai déjà dit, je crois que le groupe al-Chabaab est en train de gagner l'impasse. Selon moi, le temps ne joue pas en faveur de ceux qui essaient de stabiliser la Somalie.
Maintenant, devant la crise qui secoue la région du golfe, on assiste carrément à une guerre par procuration sur le plan politique qui risque de diviser le pays et d'annuler les progrès qui ont été réalisés entre les niveaux fédéral et régional.
Il me reste très peu de temps, mais je vais poser une question un peu incendiaire, histoire de susciter des réactions ou des idées.
Pourquoi devrions-nous continuer à investir, et qui s'occupera de repenser complètement l'approche pour veiller à ce que ces investissements soient couronnés de succès?
Je crois que nous devons continuer de collaborer, parce que si jamais la Somalie devait s'enfoncer à nouveau dans une véritable crise, cela causerait d'énormes remous dans la région, et il y aurait des conséquences impensables sur le plan humanitaire.
Encore une fois, sans savoir précisément comment le Canada entend utiliser l'argent des contribuables, en gros, je crois qu'il n'y a pas d'autre solution. Je suis tout à fait d'accord avec Ken là-dessus.
Sans l'appui de la communauté internationale, sans l'AMISOM, sans les engagements financiers de l'Occident à l'égard de l'AMISOM, le groupe al-Chabaab prendrait le contrôle du pays en l'espace de 24 heures. Je ne pense pas que ce soit là une solution défendable ou acceptable pour quiconque, y compris pour le gouvernement canadien.
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