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Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à la 107e réunion du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes.
Avant de commencer, je tiens à rappeler les importantes mesures préventives suivantes à tous les députés et à tous les autres participants dans la salle.
Pour prévenir les incidents de retour de son perturbateurs et potentiellement nocifs qui peuvent causer des blessures, je rappelle à tous les participants dans la salle de tenir leur oreillette loin des microphones en tout temps.
Comme l'indique le communiqué que le a adressé à tous les députés le 29 avril, les mesures suivantes ont été prises pour aider à prévenir les incidents de retour de son.
Toutes les oreillettes ont été remplacées par un modèle qui réduit grandement le risque de retour de son. Les nouvelles oreillettes sont noires, tandis que les anciennes oreillettes étaient grises. Veuillez n'utiliser que les oreillettes approuvées.
Par défaut, toutes les oreillettes inutilisées seront débranchées au début des réunions. Lorsque vous n'utilisez pas votre oreillette, veuillez la poser face vers le bas au milieu de l'autocollant destiné à cet usage que vous trouverez sur la table, comme indiqué.
Veuillez consulter les cartons placés sur la table pour connaître les directives visant à prévenir les incidents de retour de son. L'aménagement de la salle a été ajusté pour accroître la distance entre les microphones et réduire le risque de retour de son venant d'une oreillette qui capte le son ambiant.
Ces mesures ont été mises en place pour que nous puissions mener nos travaux sans interruption et pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, notamment des interprètes.
Conformément à la motion de régie interne du Comité concernant les tests de connexion des témoins, je vous informe que tous les témoins ont réussi les tests de connexion requis avant la réunion d'aujourd'hui.
Je tiens également à faire quelques commentaires dans l'intérêt des députés et des témoins présents dans la salle et en ligne.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de parler.
Pour les députés dans la salle, veuillez lever la main si vous souhaitez parler. Pour les députés sur Zoom, veuillez utiliser la fonction « lever la main ». La greffière et moi ferons de notre mieux pour maintenir l'ordre des intervenants, et nous vous serions reconnaissantes de votre compréhension à cet égard.
À titre de rappel, tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
De 11 heures à midi, conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le lundi 27 novembre 2023, le Comité entame son étude du comportement coercitif.
Avant d'accueillir les témoins, j'aimerais vous mettre en garde. Nous allons discuter d'expériences liées à la violence et au contrôle coercitif, qui pourraient agir comme déclencheur pour les gens qui ont vécu des expériences semblables. Si vous vous sentez en détresse et que vous avez besoin d'aide, veuillez le faire savoir à la greffière.
Pour tous les témoins et tous les députés, il importe de reconnaître qu'il s'agit de discussions difficiles, donc soyons compatissants dans nos conversations d'aujourd'hui.
Sachez que vers la fin de votre temps de parole, je vais lever la main droite pour vous indiquer qu'il vous reste 30 secondes. Nous devons respecter cette consigne pour mener la réunion le plus efficacement possible et respecter le temps imparti à chacun.
J'aimerais maintenant accueillir les témoins. À titre personnel, Dimitra Pantazopoulos est parmi nous. Je crois comprendre qu'elle accepte d'être appelée par son prénom. Nous accueillons également Deepa Mattoo, directrice générale de la Barbra Schlifer Commemorative Clinic, qui se joint à nous par vidéoconférence; et Sunder Singh, directrice exécutive de l'Elspeth Heyworth Centre for Women, qui témoigne aussi par vidéoconférence.
Vous aurez chacune cinq minutes pour présenter votre exposé. Les députés vous poseront ensuite des questions.
J'aimerais commencer par donner la parole à Dimitra. Vous disposez de cinq minutes.
Merci.
Je tiens d'abord à exprimer ma plus sincère gratitude pour l'invitation à témoigner devant vous sur un sujet qui accable bien des enfants et des femmes: le contrôle coercitif.
Je suis ici pour demander que le Canada en fasse plus et applique le rapport de Mme Reem Alsalem, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes et les filles, qui indique que:
... des auteurs de violences utilisent le pseudo-concept d'aliénation parentale, non scientifique et largement réfuté, dans le cadre de procédures relevant du droit de la famille pour continuer à commettre des violences et maintenir leur emprise et pour contrer les allégations de violence domestique formulées par des mères qui cherchent à protéger leurs enfants.
Mme Alsalem poursuit en disant que:
... le maintien de force de relations entre un enfant et [son père] ... même lorsqu'il existe des preuves de violence domestique, bafouent le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Cela n'a rien à voir avec un manque de formation des juges et tout à voir avec leur aveuglement intentionnel et volontaire. Selon les juges, il faut à tout prix maintenir le contact avec les pères agresseurs.
Je suis ici pour demander que nos enfants soient immédiatement rendus à leur mère et que l'utilisation du concept pseudoscientifique de l'aliénation parentale et de termes semblables soit interdite...
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Je demande qu'on interdise les camps de réunification et la thérapie pour les enfants dans le cadre des décisions judiciaires.
Je demande que les tactiques abusives post‑séparation par lesquelles des pères accusent les mères d'aliénation des enfants soient reconnues comme une forme de contrôle coercitif, que les jugements en ce sens soient révisés et que les enfants soient rendus à leurs mères.
La roue de la violence domestique montre clairement que les agresseurs veulent obtenir le contrôle et se croient tout permis. Plus un homme est contrôlant, plus il est dangereux.
Le Canada encourage les femmes à partir pour protéger leurs enfants et se protéger elles‑mêmes, car nous avons le droit de vivre dans la dignité et en toute sécurité. Toutefois, lorsque nous partons, ce n'est pas ce que nous vivons en réalité, en tant que victimes. Dès que nous quittons notre agresseur, il devient soudain un monstre encore plus puissant, que j'assimile à la créature mythologique grecque Hydre: si on lui coupe la tête, trois autres vont pousser. Nous quittons un agresseur, et soudain, comme Hydre, il lui pousse d'autres têtes et d'autres agresseurs se joignent à lui, lui permettant d'étouffer, de tourmenter et de torturer nos enfants, nous‑mêmes et toute notre famille.
Comment? Comme vous le savez tous, mes enfants et moi avons souffert, et nous continuons de souffrir, en raison des violences et du contrôle coercitif de mon ex‑mari, George Giannopoulos. Mes deux mémoires et les documents d'appui que je vous ai soumis indiquent clairement la gravité de la violence et du contrôle qui ont commencé en 1997 et que nous subissons encore aujourd'hui.
George, comme vous le savez, a tenté de réduire votre comité, le Président de la Chambre des communes et la direction de la législation au silence par la menace de poursuites judiciaires. Si ce n'est pas une indication du contrôle immense qu'il exerce et du fait qu'il se croit tout permis, je ne sais bien pas ce que c'est.
Après notre séparation, George a invoqué l'aliénation parentale pour perpétuer sa violence et son contrôle. Plus mes enfants et moi divulguions ses agressions, plus cela était vu comme une preuve d'aliénation parentale. George, comme tous les agresseurs, a pu faire pousser d'autres têtes féroces et mettre à sa botte la direction de la protection de la jeunesse, les juges et les avocats. Autrement dit, tous ceux qui devraient protéger les victimes de violence étaient et sont, en théorie et dans les faits, ses alliés et ses facilitateurs les plus puissants et les plus solidaires.
Comme toutes les autres mères en pareille situation, comme si George et nos agresseurs avaient besoin de plus de pouvoir contre nous, j'ai perdu la garde de mes enfants, mon autorité parentale et même mon droit de voir mes enfants. Nous sommes forcées, par ordonnance judiciaire, de nous représenter nous‑mêmes. Nous avons perdu nos maisons. Ce contrôle coercitif accordé à nos agresseurs par ordonnance des tribunaux s'applique à tous les membres de la famille maternelle, et nous avons aussi perdu notre droit de voir nos enfants.
Comme vous le savez tous, ma mère est morte 1 000 jours après que mes enfants aient été kidnappés de façon barbare par ordonnance de la cour. Même s'il ne lui restait que quelques heures à vivre, on ne lui a pas permis de voir mes enfants.
C'est pourquoi j'aimerais que le projet de loi sur le contrôle coercitif soit nommé la « loi de Niki » en l'honneur de ma mère, pour que cela n'arrive plus jamais et faire en sorte que la mort tragique de ma mère ne soit survenue en vain.
Pensez‑y un instant. Les meurtriers condamnés à mort obtiennent leur dernier vœu, mais pas une grand‑mère aimante et innocente. Les violeurs et les meurtriers peuvent voir leurs enfants en prison, et pourtant on interdit tout contact à des mères protectrices.
Le contrôle coercitif ne connaît pas d'âge et va bien au‑delà des enfants et de leur mère. Il ne devrait y avoir aucun délai de prescription pour une victime qui dénonce de la violence et un comportement contrôlant. Les victimes qui ont déposé des accusations de violence devraient être en mesure de rouvrir leur dossier et d'ajouter le « contrôle coercitif » aux accusations. Nous devrions aussi pouvoir rouvrir notre dossier après le jugement de quelque tribunal que ce soit.
Comment le Canada peut‑il s'attendre à ce que les victimes signalent les violences subies si les tribunaux du pays ne font que donner plus de pouvoir à ces monstres? D'innombrables enfants et mères comme moi sont menacés par la direction de la protection de la jeunesse, les juges et leurs propres avocats de perdre la garde s'ils continuent de dénoncer ces violences ou d'en parler.
On tente de nous forcer, nos enfants et nous, à prendre part à une soi‑disant thérapie de réunification, mais en fin de compte, on veut nous faire dire, par la coercition et la force, que la violence n'a jamais eu lieu et qu'il est sécuritaire de côtoyer le père. N'est‑ce pas une façon de donner aux agresseurs le contrôle suprême sur nous?
À cause du système de protection de la jeunesse, des avocats, des tribunaux et des juges qui agissent tous solidairement avec l'agresseur et du concept machiavélien et pseudo‑scientifique de l'aliénation parentale, on fait délibérément de nos enfants des orphelins de leur mère et on les met en danger. Les documents que je vous ai remis sont clairs à ce propos. Nos enfants souffrent et sont en danger, et en tant que mères, nous ne pouvons rien faire pour aider nos enfants ou les protéger, à cause des ordonnances rendues par les tribunaux canadiens.
Je n'ai jamais trouvé de mots assez forts pour décrire la souffrance que je ressens tous les jours passés sans mes garçons, jusqu'au jour où j'ai enterré ma mère et que je suis tombée à genoux alors qu'on inhumait son cercueil. Le fait d'être sans mes enfants ressemble tous les jours à des funérailles doubles depuis le 9 octobre 2019. En date d'aujourd'hui, j'ai passé 1 673 jours sans mes garçons. Quel crime avons‑nous commis?
Le Canada doit faire mieux et nous aider.
Merci.
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Bonjour, madame la présidente, et bonjour aux honorables députés. Merci de l'invitation à témoigner aujourd'hui.
Je m'appelle Deepa Mattoo, et je suis directrice générale et avocate à la Barbra Schlifer Commemorative Clinic, une organisation qui se consacre au soutien des survivantes de violence, en particulier les femmes marginalisées et racisées et les personnes de diverses identités de genre qui habitent à Toronto.
Aujourd'hui, je veux vous parler des complexités du comportement coercitif. L'histoire de Maria me servira à illustrer les défis auxquels font face les survivantes qui veulent obtenir justice.
Nous sommes ici réunis à ce moment critique dans notre compréhension de la violence fondée sur le sexe. Ce type de violence est largement reconnu comme étant épidémique et transcendant les races, les origines ethniques et le statut socioéconomique. C'est dans ce contexte que se dessine la tendance insidieuse du comportement coercitif, qui est une série d'agressions, de menaces et d'humiliations visant à contrôler les survivantes. Le comportement coercitif fait partie intégrante de la violence fondée sur le sexe et se compose d'un ensemble de gestes nocifs. Ce n'est pas qu'un événement; c'est une série d'événements, souvent accompagnée de violence psychologique, qui amène les victimes à se sentir prisonnières et impuissantes. Les difficultés que présente le comportement coercitif sont particulièrement prononcées dans le système judiciaire, surtout pour les membres de groupes marginalisés, comme les immigrantes, les réfugiées, les femmes handicapées et les personnes de diverses identités de genre. Ces violences systématiques comprennent souvent de la manipulation émotive qui amène les victimes à se sentir piégées et impuissantes.
Or, comme vous venez de l'entendre, les poursuites abusives sont courantes dans toutes sortes de branches du droit, y compris en droit de la famille, dans les cas d'aliénation parentale, de garde d'enfants, d'absence de pension alimentaire et dans tellement d'autres expériences. Les agresseurs peuvent aussi intenter des poursuites criminelles ou en droit de l'immigration.
Permettez‑moi de vous présenter Maria, une femme courageuse aux prises avec le contrôle coercitif. Maria est une immigrante racisée qui a peine à parler anglais. Elle s'est retrouvée coincée dans un mariage violent ici, au Canada. Son mari, fort de ses ressources et maniant habilement l'anglais, a manipulé le système judiciaire à son avantage. Il a même inversé les rôles, accusant Maria au criminel alors que c'est lui le vrai agresseur. C'est une situation terrifiante où les déséquilibres des pouvoirs et les barrières linguistiques ont mené Maria à être injustement accusée et vulnérable. L'histoire de Maria se répète dans l'expérience d'innombrables survivantes que nous accueillons à notre clinique.
En réaction, bien des administrations ont édicté des lois pour lutter contre le contrôle coercitif. En Angleterre, au pays de Galles et en Écosse, on a présenté des lois pour criminaliser le comportement coercitif. Cependant, même si ces changements législatifs constituent un progrès, ils comportent leur lot de défis. La criminalisation du comportement coercitif ne mène pas toujours à plus de condamnations et à une prévalence moindre de la violence conjugale. En fait, dans bien des cas, les survivantes perdent davantage de pouvoir dans le système judiciaire et sont confrontées à diverses entraves à la justice. Le système judiciaire ne comprend pas les expériences des survivantes.
Peut‑on changer les choses? Bien sûr. Qu'est‑ce qui peut changer pour les femmes comme Maria?
Il faut donner de la formation aux acteurs du système de justice pénale et du droit de la famille pour qu'ils comprennent mieux le comportement coercitif et gèrent mieux ces affaires. Il faut accroître la diversité parmi les professionnels du système judiciaire pour donner du poids aux points de vue cruciaux qui favoriseront la confiance des survivantes. Il faut...
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Je vous en prie. Je vais aborder les recommandations pour les changements dont j'ai parlé plus tôt.
Peut‑on apporter des changements pour des personnes comme Maria, dont je vous ai raconté l'histoire? Il est possible de changer certaines choses. On peut notamment offrir une formation complète aux intervenants de notre système de justice pénale et de notre système du droit de la famille pour les aider à mieux comprendre les cas de comportement coercitif et à mieux y répondre. Il faut favoriser une plus grande diversité au sein des professionnels de notre système judiciaire, afin d'apporter de nouvelles perspectives essentielles et d'établir un lien de confiance avec les survivants. Nous devons également garantir un accès durable aux ressources en matière de justice. Le fait de soutenir des organismes qui offrent des services juridiques — comme le nôtre — peut changer la donne pour les survivants qui doivent traiter avec le système juridique.
L'éducation juridique du public joue un rôle essentiel en donnant aux personnes et aux collectivités les moyens de reconnaître les comportements coercitifs et de réagir en conséquence. Il est essentiel d'intégrer l'évaluation des risques dans une procédure judiciaire pour garantir la sécurité et le bien-être des survivants et pour éclairer les décisions concernant les mesures de protection et de soutien. Nous constatons qu'il y a un manque de collaboration entre les intervenants, ce qui est pourtant essentiel pour élaborer des plans de gestion des risques complets et adaptés aux besoins uniques des survivants touchés par des comportements coercitifs.
En terminant, je dirais que la lutte contre les comportements coercitifs nécessite une approche à volets multiples. La mise en œuvre de ces recommandations nous permettra de créer un environnement dans lequel les survivants comme Maria et notre témoin précédente pourront recevoir le soutien et la justice appropriés.
Je vous remercie. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Il y a 30 ou 40 ans, lorsque je me promenais sur la rue Yonge, à Toronto, je pouvais apercevoir des filles qui vendaient leur corps. Dieu seul sait qui les faisait travailler aux petites heures de la nuit, au cœur de l'hiver.
Madame la présidente, les temps ont changé. Nous vivons dans un monde numérique où l'on demande des filles de façon instantanée par téléphone et où des criminels répondent aux demandes des hommes qui exigent maintenant qu'on leur envoie des filles de 12 et 13 ans. Tout cela se passe à huis clos.
Chaque année, dans notre pays, des petites filles qui ne sont même pas encore adolescentes sont envoyées en réponse à la demande d'hommes qui recherchent des filles de plus en plus jeunes. Le Canada, autrefois considéré comme un endroit sûr et plein de possibilités, est aujourd'hui aux prises avec le problème de la traite des personnes et est considéré comme une plaque tournante dans ce domaine.
Les statistiques sont alarmantes. En trois ans, soit de 2019 à 2022, plus de 1 500 appels ont été faits par 2 170 victimes de la traite des personnes à une ligne d'assistance téléphonique qui est à la disposition des personnes qui souhaitent obtenir de l'aide. Un pourcentage stupéfiant de 67 % des appels de victimes de la traite des personnes provenaient de la seule province de l'Ontario, et 90 % de ces appels provenaient de femmes et de filles. C'est la province où s'installent de nombreux jeunes nouveaux arrivants.
Cependant, la traite des personnes est pratiquée partout au Canada, et c'est principalement attribuable au fait que les personnes très jeunes et vulnérables ne sont pas suffisamment informées à ce sujet. Ces personnes commencent leur vie ici en désespérant de trouver un emploi. Elles ont de la difficulté à payer leur loyer, qui est inabordable, et à faire face au coût élevé de la vie au Canada. Tous les jours, ces jeunes personnes font face à des difficultés financières. Elles ne veulent pas retourner dans leur pays d'origine pour diverses raisons. Ici, au Canada, elles « tombent de Charybde en Scylla », ce qui les rend vulnérables à la traite des personnes et des travailleurs, car elles doivent constamment se battre pour faire face au coût de la vie.
Elles sont attirées par des proxénètes qui se font passer pour des amoureux attentionnés. Il est difficile d'appréhender ces proxénètes, car ils sont actifs sur les médias sociaux, qui sont très utilisés par les jeunes.
La traite des personnes est une activité lucrative qui ne peut être éradiquée, mais qui peut être considérablement réduite si on sensibilise les jeunes filles à la réalité et au fonctionnement du système. C'est ce que nous faisons au Elspeth Heyworth Centre for Women, et les jeunes filles que nous aidons sont maintenant des bénévoles dans la collectivité et elles réussissent bien à l'école, elles respectent leurs parents, elles s'efforcent de terminer leurs études et elles cherchent ensuite un emploi. Elles sont conscientes des tactiques prédatrices exercées par les criminels qui se font passer pour des amoureux. Elles savent également qu'elles ne doivent divulguer leurs mots de passe et leurs renseignements bancaires à personne. Ces démarches ont prouvé leur efficacité à petite échelle, et elles doivent donc maintenant être entreprises à l'échelle du Canada.
Les lois canadiennes sont insuffisantes dans ce domaine. Les délinquants le savent et ils en profitent pour continuer à réaliser d'énormes profits aux dépens de nos jeunes femmes, en les privant de leur dignité et de leur bien-être. Ils échappent aux conséquences parce que c'est possible dans le système actuel.
Pour lutter efficacement contre cette épidémie, nous devons nous attaquer à sa cause première, à savoir le manque de sensibilisation de nos jeunes et de leurs parents à la véritable nature de la traite des personnes. L'illusion de séduction qui accompagne la traite des personnes peut être dissipée dès l'école primaire où, grâce à l'intervention du gouvernement fédéral, les enfants, à partir de la sixième année, participeraient à des discussions interactives et à des séances d'information de 30 à 45 minutes tous les matins, en vue de les aider à devenir des citoyens responsables.
Il est urgent de rendre les programmes d'intervention ciblée obligatoires dans les programmes scolaires de notre système d'éducation, en particulier dans les régions où les activités liées à la traite des personnes sont les plus répandues. L'étude des sujets humains fondamentaux est négligée dans notre système d'éducation. C'est également la raison pour laquelle nous observons une forte prévalence de la violence familiale. En effet, de nombreuses mères ont été arrachées à leurs enfants, qui sont placés dans des foyers d'accueil qui sont également des lieux de prédilection pour la traite des personnes.
En informant et en sensibilisant adéquatement nos jeunes au sujet de cette situation, nous pouvons interrompre la chaîne d'approvisionnement en victimes et éradiquer les activités d'exploitation à la source.
Que devraient ajouter les écoles aux programmes scolaires? Les écoles devraient proposer des discussions franches sur les réalités de la traite des personnes, y compris ses techniques et méthodes de recrutement, et parler de la manière dont les trafiquants tirent pleinement parti des outils offerts aujourd'hui, tels que les médias sociaux, le désespoir des immigrants et les promesses en matière de logement, d'éducation et d'emploi bien rémunéré. Nous devons faire prendre conscience aux enfants que les proxénètes sont en réalité des hommes et des femmes ordinaires qu'on ne soupçonnerait jamais, que la société fait involontairement confiance aux trafiquants de personnes qui se font passer pour des employeurs, des consultants, des représentants d'agence, etc., et qu'Internet et les médias sociaux jouent également un rôle dans ce domaine.
Madame la présidente, l'éducation ne suffit pas. Nous devons également nous attaquer à la demande pour la traite des personnes en appliquant des peines sévères à l'encontre de ceux qui alimentent ce commerce. La publicité sur les réseaux sociaux doit être interdite et les exploiteurs doivent être tenus immédiatement responsables de leurs actes. Nous devons fournir des services de soutien complets aux survivants, y compris une formation aux métiers spécialisés et des ressources en matière de santé mentale pour les aider à se rétablir et à se réinsérer dans la société à titre de travailleurs qualifiés. En outre, nous devons rester vigilants en surveillant de près les foyers d'accueil et d'autres structures de soins qui peuvent involontairement devenir des terrains propices à l'exploitation.
En terminant, madame la présidente, il ne faut pas oublier que la lutte contre la traite des personnes est une lutte que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre. L'exploitation ne devrait pas avoir sa place au Canada. Les dirigeants élus devraient prendre conscience de cet horrible problème, en se rappelant que tout problème a une solution.
Je vous remercie, madame la présidente.
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Je vous remercie, madame la présidente. Je tiens également à remercier nos témoins d'aujourd'hui.
Il s'agit d'une étude percutante et très chargée sur le plan émotif, comme un grand nombre de celles que nous menons au Comité permanent de la condition féminine. Dans ce cas‑ci, nous nous intéressons au contrôle coercitif.
J'aimerais d'abord m'adresser à vous, madame Singh. Je vous remercie de votre témoignage. Notre comité a mené une étude sur la traite des personnes et ma collectivité, Peterborough, en Ontario, a le troisième taux le plus élevé de traite des personnes au pays. Les jeunes enfants, et surtout les jeunes filles, sont à risque. Je vous suis donc reconnaissante de votre témoignage sur la traite des personnes et des liens que vous avez établis avec le contrôle coercitif.
Vous avez beaucoup insisté sur l'éducation, ce que je trouve incroyable, car il s'agit essentiellement d'une approche en amont par rapport à l'intervention. Dans le cadre de notre étude, nous intégrons les recommandations des témoins dans notre rapport, mais une grande partie de la question de l'éducation relève de la compétence des provinces, et j'aimerais donc savoir quel rôle, selon vous, le gouvernement fédéral peut jouer à cet égard.
Même si je pense qu'il est essentiel d'éduquer les enfants à l'école, j'aimerais vous demander votre avis sur la sensibilisation des parents. En effet, de nombreux parents ne savent pas comment utiliser les médias sociaux et ils permettent à leurs enfants d'y avoir accès librement. Nous avons entendu des histoires d'enfants qui sont victimes de la traite des personnes sous le nez de leurs parents, qui sont littéralement assis à côté d'eux pour regarder un match des Raptors tout en n'ayant aucune idée de ce qui se passe réellement.
Une autre femme à qui j'ai parlé et qui dirige Little Warriors, en Alberta, un organisme incroyable qui aide les enfants survivants, affirme que pour la première fois en 10 ans d'existence de l'organisme, elle voit des cas de parents qui font la traite de leurs enfants, non pas pour de la drogue ou de l'argent, mais parce qu'ils n'ont pas les moyens de se nourrir. C'est consternant et certainement choquant.
Même si je pense que nous devons éduquer les enfants à ce sujet, car je pense souvent qu'ils sont beaucoup plus vifs et intelligents que nous, comment le gouvernement fédéral peut‑il sensibiliser les parents qui ne connaissent rien d'autre? Les enfants qui sont exposés à des relations malsaines, les enfants qui voient un conjoint ou un partenaire exercer un contrôle coercitif, mais qui n'ont aucune idée de ce qui se passe, car c'est leur vie quotidienne... Selon vous, quel rôle le gouvernement fédéral devrait‑il jouer sans empiéter sur la liberté et la capacité des gens à vivre leur vie?
Je suis désolée. Je sais que c'est une question complexe.
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Je vous remercie de tous les renseignements que vous nous avez communiqués. Ils sont essentiels.
Le financement des provinces provient des coffres du gouvernement fédéral, et il faut donc que les gouvernements provinciaux soient obligés d'inclure, dans les programmes scolaires, des discussions obligatoires avec les enfants au cours desquelles on leur raconte, chaque matin, des récits qui leur permettront de comprendre comment devenir des citoyens responsables et comment l'égalité entre les sexes permet de créer un monde équilibré. Ces notions doivent être enseignées à l'école chaque jour.
Au centre Elspeth Heyworth, nous avons mis en place des programmes d'éducation pour les parents, afin de les aider à comprendre la situation. Le gouvernement fédéral peut donc financer les centres communautaires où les parents participent à des programmes communautaires au sein desquels on peut les informer et les sensibiliser au sujet de la violence familiale et de la traite des personnes.
Bien entendu, je comprends que le domaine de l'éducation relève de la responsabilité des provinces, mais leur financement provient du gouvernement fédéral.
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Le contrôle coercitif n'est pas un phénomène ponctuel, pas plus que la violence familiale. Je suppose que n'importe qui peut avoir une mauvaise journée et élever la voix à un moment donné. Toutefois, dans le cas de la violence familiale, il ne s'agit pas d'un événement ponctuel. Ce n'est pas qu'il s'est produit quelque chose de particulier. On ne sait jamais ce qui déclenchera la violence chez ces personnes.
Il s'agit de circonstances quotidiennes. Nous, les victimes, tant les mères que les enfants, sommes obligées de… Tout doit rester caché, car si quelqu'un l'apprend, que Dieu nous vienne en aide. En effet, notre partenaire nous dit sans détour que si nous faisons ou disons quoi que ce soit, cela lui coûtera 5 000 $, c'est‑à‑dire qu'il engagera quelqu'un pour nous tuer. Cela s'ajoute aux tentatives de me tuer ou de tuer mes enfants.
Nous devons faire bonne figure et sortir en public. Quand les gens nous rendent visite, quand nous allons à l'école ou quand nous sortons avec tout le monde, c'est l'image que nous présentons. Nous devenons des experts. En même temps, nous faisons cela pour nous protéger, mais l'agresseur présente aussi une certaine image. C'est ce que les tribunaux doivent reconnaître.
Comme je l'ai écrit dans mon témoignage, ce qui se passe à l'abri des regards et ce que le public voit sont deux choses différentes. Les juges et tous les intervenants sociaux doivent reconnaître que ces gens sont de grands manipulateurs. L'un de mes enfants, pour le citer, a déjà dit qu'il y a le Georges qui est à la maison, le Georges qui est en vacances et le Georges qui est au tribunal, c'est‑à‑dire qu'à la maison, il est violent, tandis qu'en vacances, il a l'air très gentil. Aujourd'hui encore, il a une beignerie. Il fait don de beignes, il parraine du personnel infirmier et des médecins, il donne l'impression qu'il est formidable. En réalité, ce n'est que l'image qu'il projette. Les juges doivent être conscients que même s'il a l'air d'un saint au tribunal… C'est un art que ces gens maîtrisent.
Pendant ce temps, devant les tribunaux, nous sommes accusées d'aliénation parentale, nous sommes obligées de nous représenter nous-mêmes, nous avons peur, nous sommes anxieuses et nous sommes nerveuses, car nous sommes obligées de poser des questions et d'agir comme des avocats, alors que nous n'avons absolument aucune idée de ce que nous faisons. Les juges doivent en être conscients.
Il ne s'agit pas seulement d'offrir une formation, car aucune formation… Lorsque je me représente moi-même et que je montre au juge une photo sur laquelle on voit clairement les mauvais traitements infligés à mon fils, le premier réflexe du juge est de me dire que j'aurais pu prendre cette photo sur Internet, même si la main du père est sur la photo. Ensuite, on me retire l'autorité parentale pour les voyages et on lui permet d'aller n'importe où. Aucune formation ne changera les opinions misogynes manifestées par certains juges — et il peut s'agir d'un juge ou d'une juge.
On semble tenir à préserver les contacts à tout prix. Je ne sais pas d'où viennent ce principe et cette idéologie. Bien entendu, ce serait formidable si les deux parents avaient des droits en ce qui concerne leurs enfants. Les enfants devraient pouvoir profiter de leurs deux parents.
Mais si l'un des parents représente une menace évidente pour la sécurité de sa famille, quel exemple montrons-nous à ces enfants, et quel genre de parents deviendront-ils plus tard? Nous leur disons essentiellement que plus ils mentent et plus manipulent et agressent les gens, plus les tribunaux leur accorderont tout ce qu'ils veulent.
La notion de contrôle coercitif doit être clairement définie. Il faut établir clairement le schéma des actions entreprises dans ce contexte, car il s'agit de discréditer la mère. Lorsque l'agresseur ferme les comptes bancaires et les comptes de courrier électronique de sa victime et qu'il fait envoyer ses paiements d'assurance ailleurs, ce sont des signes qui ne trompent pas.
Le contrôle coercitif n'a pas de limite d'âge. Il ne devrait y avoir aucune disposition limitative, car nous craignons de nous manifester pour quoi que ce soit.
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Je vous remercie vos témoignages ce matin. Cela nous démontre l'ampleur de ce fléau. Ce n'est pas pour rien que beaucoup de villes déclarent qu'il y a une épidémie de violence conjugale ou de violence envers les femmes.
La réflexion derrière cette étude découle du rapport « Rebâtir la confiance » qui a été déposé au Québec à la suite du constat du véritable fléau que sont les féminicides. Le Québec a fait des progrès à certains égards, mais il y a encore beaucoup de travail à faire. Il a fait des propositions. Par exemple, en ce moment, il utilise des tribunaux spécialisés. Par exemple, pour ce qui est de la formation, qu'ont évoquée plusieurs témoins, le Québec tente quelque chose au moyen de tribunaux plus adaptés aux victimes pour minimiser les possibilités qu'elles soient de nouveau victimisées. Il teste aussi les bracelets électroniques. On verra quels seront les résultats, mais le Québec a donc fait des progrès à certains égards.
Par contre, le sujet de cette étude vient d'une discussion que j'ai eue avec une députée du Québec qui a travaillé sur le rapport « Rebâtir la confiance » et qui m'a dit qu'ils étaient bloqués, en ce moment, parce qu'il y a quelque chose qui ne dépend pas d'eux. Ils ont constaté que la notion de contrôle coercitif était présente dans beaucoup de cas de violence et de féminicides, mais que ce n'est pas encore reconnu par le Code criminel. Il n'y a pas de façon d'expliquer que la violence n'est pas toujours physique, mais qu'elle fait toujours mal et qu'il y a tout un schéma. On constate que, dans la plupart des cas de féminicide, il y a du contrôle et de la manipulation, mais on ne peut rien faire, parce que ce n'est pas reconnu dans le Code criminel.
Puisque je vois Mme Pantazopoulos hocher la tête, j'aimerais lui poser une question.
Pourquoi est-il important de comprendre que le contrôle coercitif et la manipulation constituent une forme de violence souvent invisible et qu'il est dangereux de ne pas reconnaître que la violence prend beaucoup plus souvent cette forme?
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De nombreuses choses doivent se produire. Le contrôle coercitif doit être criminalisé, car il n'est pas…
Permettez-moi de revenir en arrière. Lorsque l'agresseur empêche quelqu'un de quitter la maison, de trouver un emploi, de voir ses amis ou sa famille ou de décrocher le téléphone lorsqu'ils appellent… Puisque le contrôle coercitif n'est pas criminalisé, la police dira qu'elle ne voit pas d'ecchymoses. D'une certaine manière, les gens croient que pour qu'il y ait abus et violence familiale, la victime doit être couverte d'ecchymoses, 24 heures sur 24, sept jours sur sept.
Mais ce n'est pas la réalité. La violence est présente 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Même si nous ne sommes pas couvertes d'ecchymoses sur le plan physique, nous sommes couvertes d'ecchymoses sur le plan émotionnel et psychologique. Notre cœur, notre âme et nos enfants en souffrent.
Tous les intervenants doivent travailler ensemble. Oui, le Québec a lancé l'initiative « Rebâtir la confiance », et M. Simon Lapierre a comparu devant le Comité. La province a pris des mesures et a mis en place les bracelets électroniques.
Cependant, on a accordé aux services de protection de la jeunesse un immense pouvoir et maintenant, lorsque nous portons des accusations criminelles, la police est impuissante parce que les services de protection de la jeunesse affirment qu'il s'agit d'aliénation parentale et que les contacts doivent être permis. Ils disent que s'il n'y a pas de contacts…
Nous ne pouvons rien faire. Si nous ne quittons pas l'agresseur, nous ne protégeons pas nos enfants. Les services de protection de la jeunesse nous disent que si nous ne le quittons pas, nos enfants nous seront retirés, car nous ne les protégeons pas. Cependant, dès que nous quittons notre agresseur, nous devons lui permettre d'avoir des contacts avec ses enfants. Si nous ne le faisons pas, on considère que nous aliénons le père. Nous avons tort dans un cas comme dans l'autre.
Un article a été publié dans Le Journal de Montréal, et je suis sûre que Mme Larouche l'a vu, car j'envoie beaucoup de choses à diverses personnes. On appelle cet organisme…
[Français]
la « direction de la protection des hommes violents ».
[Traduction]
Cela signifie que la Direction ne protège pas les jeunes, mais les hommes violents. Cela donne une idée précise de ce que fait cet organisme.
Tous les intervenants doivent donc travailler ensemble. Nous devons criminaliser le contrôle coercitif, car sans cela, ce qui rend un homme dangereux et capable de tuer ses enfants et sa femme, c'est la mesure dans laquelle il peut exercer ce contrôle et non le nombre d'ecchymoses qu'il lui a infligées. Lorsque ces hommes sentent qu'ils ne peuvent pas exercer le contrôle voulu, ils deviennent... Il n'y a pas de mots pour les décrire, mais c'est à ce moment‑là qu'ils sont les plus dangereux.
Tant qu'ils sont capables de nous contrôler, tout va bien. Dans mon cas, il était capable de nous frapper physiquement, mes enfants et moi. Mais dès notre séparation, il a dû faire preuve de plus de créativité. Il a donc fait appel aux services de la protection de la jeunesse. Il a fermé certains de mes comptes. Comme il ne pouvait plus me frapper physiquement, il a dû devenir plus…
Le contrôle coercitif s'intensifie après une séparation. Il existe pendant la vie commune, lorsqu'il contrôle nos moindres faits et gestes, mais lorsque nous nous séparons, le contrôle coercitif s'intensifie et l'agresseur fait appel à tous ceux qui facilitent son comportement.
À l'heure actuelle, en s'adressant à la Cour suprême, les services de la protection de la jeunesse ont perdu leur compétence. Aucune décision ne mentionne qu'il ne doit pas y avoir de contact entre moi et mes enfants. Si je me trouve au même événement que mes enfants et que j'essaie de m'approcher d'eux, il fera appel à tous ceux qui le soutiennent pour m'en empêcher.
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Je vous remercie beaucoup.
Tout d'abord, je tiens à vous féliciter, madame Larouche, d'avoir proposé cette étude. Je sais que vous avez attendu très patiemment.
J'aimerais également remercier tous les témoins d'être ici aujourd'hui. Je sais que ces discussions sont difficiles, et je tiens à le souligner.
Nous parlons de contrôle coercitif. Nous savons que le contrôle coercitif… Lorsque nous parlons de violence, il s'agit souvent de violence physique, mais même dans ce cas, l'aspect le plus violent est probablement la coercition, n'est‑ce pas? C'est l'aspect psychologique. La victime sait qu'il y a un danger et elle vit constamment dans la crainte.
Le Manitoba a mis sur pied quelques programmes à cet égard, mais je ne sais pas s'ils existent encore. Les parents doivent participer à l'un de ces programmes, qui s'appelle Pour l’amour des enfants, afin d'apprendre à éviter d'agir de façon toxique avec leurs enfants pendant une séparation. On exige souvent, surtout lorsqu'il y a plus de violence invisible, que les parents se soumettent à des évaluations psychologiques. Le problème, c'est que cela coûte beaucoup d'argent. En effet, une évaluation psychologique coûte environ 6 000 $, et ce sont les parents qui doivent payer la facture.
Cependant, les intervenants qui mènent ces évaluations psychologiques sont généralement en mesure de détecter certaines des choses dont vous avez parlé et qu'on ne peut pas détecter en posant de simples questions, car ce sont des experts en la matière.
Selon vous, devrait‑on fournir plus de services aux personnes qui fuient les situations de contrôle coercitif, notamment en payant des soutiens et en offrant, par exemple, des évaluations psychologiques gratuites aux parents qui vivent cette situation?
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Je vous remercie, madame la présidente. Je remercie également les témoins d'être ici aujourd'hui.
Il s'agit d'une étude très importante, et je vous suis reconnaissante de vos contributions, car elles nous aident à comprendre les recommandations que nous devons formuler pour nous assurer que la lutte contre le contrôle coercitif est une priorité absolue pour toutes les femmes.
J'aimerais d'abord m'adresser à Mme Sunder Singh.
Toutes mes félicitations pour l'Elspeth Heyworth Centre for Women. Je sais qu'il a été créé en septembre 1992. Vous et moi avons eu de nombreuses conversations. La déclaration des droits du client qui se trouve sur votre site Web contient huit éléments, et le premier élément me touche plus particulièrement, car on dit que chaque client a le droit d'être traité avec dignité, courtoisie, respect et équité.
Je sais que nous avons déjà parlé du fait que le Canada est une plaque tournante de la traite des personnes. Mme Timea Nagy, que nous connaissons toutes les deux, m'a récemment informée que la traite des personnes représente un chiffre d'affaires de 362 milliards de dollars américains par année. Vous avez mentionné, entre autres, les ressources en matière de santé mentale, les foyers d'accueil, l'éducation… Je suis d'accord avec tout cela, mais pour protéger nos enfants et mettre fin immédiatement à cette situation, nous devons modifier la loi. Je pense que nous devons inclure dans cette loi le mot « torture », car il s'agit bien de torture. Ces délinquants et ces proxénètes, ou quel que soit le nom qu'on leur donne, s'adonnent effectivement à la torture. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?
:
Ce que j'aimerais vraiment savoir, c'est comment pouvons-nous changer cette loi? Pouvons-nous adopter une loi qui ferait en sorte que ces criminels resteraient derrière les barreaux pour protéger les victimes?
Notre comité a souvent entendu des déclarations selon lesquelles les victimes craignent de se manifester parce qu'on les terrorise en leur disant que si elles se présentent devant les tribunaux pour témoigner, leur famille sera assassinée.
Seriez-vous d'accord pour dire que si nous pouvions faire passer, dans la loi, la peine maximale de 14 à 25 ans…?
Soyons honnêtes. Un grand nombre de ces criminels, comme vous venez de le dire et comme vous me l'aviez déjà dit auparavant, reprennent leurs activités dès leur sortie de prison, car ils savent très bien que la peine n'est pas à la hauteur du crime. Êtes-vous d'accord avec cela?
:
En Angleterre, le contrôle coercitif a été criminalisé en 2015. En Écosse, cela s'est produit en 2018. Les recherches menées dans ces deux États montrent que cela n'a pas eu d'incidence significative sur la prévalence des cas de violence conjugale. L'une des grandes difficultés est d'obtenir des condamnations pour contrôle coercitif. C'est cet aspect qui s'est révélé extrêmement épineux.
En fait, le modèle écossais est considéré comme la référence des références pour tout État qui souhaite criminaliser le contrôle coercitif. L'infraction visant précisément le contrôle coercitif est considérée comme l'étalon‑or des mesures législatives sur la violence conjugale.
Toutefois, une étude récente menée en Écosse auprès des survivantes révèle que nombre d'entre elles estiment que, dans leur cas, la sentence finale n'a pas tenu compte de l'ensemble des choses qu'elles avaient vécu. L'étude a révélé, en ce qui concerne la violence et le contrôle psychologiques — qui sont les éléments les plus importants dont nous parlons aujourd'hui —, les survivantes étaient d'avis que le tribunal n'avait pas pleinement tenu compte de ce qu'elles avaient vécu lorsqu'était venu le moment de condamner l'accusé. Elles soutiennent que seul un petit aspect des violences qu'elles ont subies a été révélé lors du procès.
Je pense que c'est là le cœur de la difficulté que représente le fait de criminaliser le contrôle coercitif sans d'abord changer l'attitude de notre système judiciaire et la misogynie qui y règne.
Cette solution de criminalisation d'un délit pourrait en fait déclencher une situation dans laquelle nous verrions des survivantes — comme Maria dans l'histoire que je vous ai racontée — découvrir que ce sont elles plutôt que les véritables auteurs — que nous voulons voir faire face aux conséquences et être responsabilisés — qui sont criminalisées par le système et qui doivent composer avec cette difficulté.
:
Merci, madame la présidente.
On voit que c'est une question extrêmement sensible et pour laquelle il faudrait vraiment penser à un continuum de services. Évidemment, la criminalisation du contrôle coercitif n'est pas une solution qui va tout régler, mais elle peut faire partie d'une réflexion que l'on peut avoir pour essayer d'aider davantage les victimes.
Madame Singh, vous avez beaucoup parlé de la traite des personnes, un autre fléau qui me préoccupe, en tant que membre du Groupe parlementaire multipartite de lutte contre l'esclavage moderne et la traite des personnes. Nous y avons aussi consacré une étude, au Comité permanent de la condition féminine.
J'aimerais que vous nous parliez du lien qui peut être fait entre le contrôle coercitif et cette traite des femmes et des filles.
:
Les services qu'offre l'État, y compris les services de première ligne, devraient être extrêmement soucieux des traumatismes et de la culture de la clientèle, et ce, dès l'étape de leur conception.
Je ne crois pas au concept de compétence culturelle, parce qu'il n'y a rien de tel que d'être compétent sur le plan culturel. En effet, les cultures évoluent, se déplacent et changent, et il n'y a pas deux personnes de la même culture qui vivent les choses de la même façon.
Par conséquent, la sensibilité sur le plan culturel exige de faire intervenir tous ces bons éléments que sont les renseignements sur les traumatismes, la lutte contre le racisme et l'oppression, et l'écoute attentive et réfléchie. Malheureusement, en raison des préjugés sexistes, de la misogynie et du patriarcat qui existent dans le système, nous constatons encore et encore que la réponse de l'État ne tient pas compte de cela.
La sensibilisation aux réalités culturelles est certainement nécessaire, mais je ne suis pas nécessairement d'accord pour dire qu'elle peut être fournie uniquement dans des endroits conçus pour des cultures particulières, parce que cela favorise l'homogénéisation et l'aliénation des communautés.
Je pense que ce qu'il faut vraiment, c'est que toutes les personnes qui sont dans ces endroits apprennent ce que signifie la prise en compte des traumatismes et la sensibilité à l'égard des réalités culturelles.
:
Le Comité reprend ses travaux et son étude au sujet du comportement coercitif.
Nous accueillons maintenant notre deuxième groupe d'expertes. J'aimerais toutefois d'abord formuler quelques observations à leur intention.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous désigne par votre nom. Pour celles qui participent par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone lorsque vous prenez la parole et mettez-vous en sourdine lorsque vous ne parlez pas. Le micro des personnes qui sont sur place sera contrôlé par l'agent des délibérations et de la vérification.
Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Des services d'interprétation sont à votre disposition. Pour votre oreillette, vous avez le choix entre le son du parquet, l'anglais et le français. Si l'interprétation fait défaut, veuillez me le signaler immédiatement.
Je vais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins.
Il s'agit d'abord de Suzanne Zaccour, directrice des affaires juridiques à l'Association nationale Femmes et Droit. Puis, il y a Andrea Silverstone, directrice générale, et Carrie McManus, directrice de l'innovation et des programmes, de l'organisme Sagesse Domestic Violence Prevention Society, qui nous joignent toutes deux par vidéoconférence avec l'intention de partager leur temps de parole.
Chaque organisme dispose de cinq minutes pour sa déclaration liminaire. Les déclarations seront suivies d'une série de questions.
Madame Zaccour, vous avez la parole pour cinq minutes.
Merci.
:
Merci, madame la présidente.
Je remercie le Comité de son invitation à comparaître aujourd'hui.
Je m'appelle Suzanne Zaccour. Je possède un doctorat en droit et je suis directrice des affaires juridiques à l'Association nationale Femmes et Droit.
[Traduction]
L'Association nationale Femmes et Droit, ou ANFD, est un organisme féministe de réforme du droit qui, en 2024, célébrera 50 ans d'activisme juridique pour faire avancer les droits des femmes.
Le contrôle coercitif est une forme grave et souvent mortelle de violence à l'égard des femmes, caractérisée par un emprisonnement et une privation de liberté graves. La réponse à cette violence pourrait consister à en faire un nouveau crime, ce qui permettrait de reconnaître les lacunes persistantes dans la manière dont le système de justice pénale traite la violence entre partenaires intimes. Parallèlement, la capacité du système de justice pénale à faire en sorte que justice soit rendue pour les personnes qui subissent de la violence entre partenaires intimes a été remise en question. Il est important de noter que de nombreuses survivantes, y compris certaines des plus marginalisées, choisissent de ne pas s'adresser à la police ou au système de justice pénale. Ces survivantes devraient elles aussi être protégées par notre société et nos institutions.
J'aimerais vous démontrer comment, lorsqu'il y a des enfants, les partenaires coercitifs et contrôlants se servent du système de justice familiale pour continuer à exercer leur emprise sur les femmes.
Il y a deux jours, alors que je préparais mon témoignage, j'ai reçu un courriel d'une victime qui me disait risquer — elle, et non son agresseur — une amende et une peine d'emprisonnement de huit jours, la raison étant qui si elle ne rendait pas son enfant à son ex violent, elle serait reconnue coupable d'outrage au tribunal.
[Français]
À quelques détails près, les femmes qui nous contactent nous racontent toutes la même histoire: elles ont quitté leur conjoint, se sont embourbées dans le système de justice familiale et ont vu leur enfant confié au père violent, d'abord en temps parental partagé, puis de façon exclusive.
Comment des tribunaux en viennent-ils à confier des enfants à des pères violents? Ils se basent sur une théorie pseudoscientifique qui a pris racine dans nos cours de justice: la théorie de l'aliénation parentale.
[Traduction]
L'aliénation parentale est une théorie qui soutient que lorsqu'un enfant ne veut pas voir son père, c'est la faute de la mère. En pratique, ce concept est utilisé dans les tribunaux de la famille de tout le pays pour punir les mères qui rapportent des violences familiales. Au lieu d'être écoutés et validés dans leur expérience de la maltraitance ou de la négligence, les enfants se voient dire que leurs sentiments ne sont pas appropriés. Les enfants sont contraints de passer du temps, voire de vivre avec leur père, même s'ils le craignent intensément.
Le concept d'aliénation parentale et ses interventions spectaculaires, comme le fait d'empêcher les enfants d'avoir le moindre contact avec la personne qui s'occupe d'eux, ne sont pas étayés par des données scientifiques crédibles. Le concept repose sur des mythes et des stéréotypes concernant la violence familiale et cause un préjudice extrême aux mères et aux enfants. C'est pourquoi l'Association nationale Femmes et Droit et 250 autres organismes féministes de toutes les provinces et de deux territoires du Canada demandent au gouvernement fédéral d'interdire l'utilisation des accusations d'aliénation parentale dans les tribunaux de la famille. Cette demande fait écho à un récent rapport de la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes et les filles, qui demande à tous les pays de légiférer pour interdire l'utilisation du concept d'aliénation parentale dans le droit de la famille. L'Espagne a explicitement interdit par voie législative l'utilisation de ce pseudo-concept. Le Canada doit être le prochain pays à le faire.
Il ne peut y avoir ni justice ni sécurité pour les victimes d'un contrôle coercitif si elles sont dissuadées de quitter ou de dénoncer un partenaire violent par crainte de perdre leurs enfants parce que les tribunaux de la famille s'appuient sur des mythes et des stéréotypes préjudiciables. Pour protéger les victimes et libérer les mères et les enfants de la coercition et du contrôle, nous demandons à ce comité de relayer notre appel au en incluant dans son rapport la recommandation d'interdire l'utilisation des accusations d'aliénation parentale dans les tribunaux de la famille.
[Français]
Je vous remercie de votre attention.
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions et parlerai davantage de la situation dans d'autres pays.
:
Je vous remercie beaucoup de nous avoir invitées à vous entretenir de ce sujet important.
La violence conjugale est bien plus qu'un œil au beurre noir ou un os cassé, mais nous nous concentrons trop souvent sur les cas de violence physique, car c'est ce que nos lois reconnaissent en général. En faisant cela, nous ignorons 60 à 80 % des survivants de la violence conjugale qui subissent des formes non physiques de violence, et nous omettons de les soutenir ou de valider leurs souffrances.
J'espère que cette étude vous convaincra que nous devons mettre un terme à cette épidémie de violence en envisageant sérieusement d'élaborer des mesures législatives pour nous permettre de prévenir les cas de contrôle coercitif ou d'intervenir lorsqu'ils sont signalés.
De nombreux pays du monde entier ont pris des mesures pour lutter contre le contrôle coercitif, que nous définissons comme un modèle de comportement qui supprime l'action personnelle.
Comme cela a déjà été mentionné, l'Angleterre, le pays de Galles et l'Écosse ont adopté des lois relatives au contrôle coercitif. De plus, des lois visant à lutter contre le contrôle coercitif exercé dans le cadre de la violence conjugale ont été adoptées en Irlande, en Australie, dans trois États américains, et en Afrique du Sud, et des lois sont en voie d'être adoptées dans trois autres États américains. Ces administrations ont mis en place des tribunaux spécialisés dans la violence conjugale qui obligent les services de police à orienter les victimes vers des services de soutien appropriés, et elles ont adopté des dispositions relatives au soutien financier des survivants.
La France est le seul pays qui dispose d'une loi sur le contrôle coercitif qui régit à la fois la violence conjugale et les sectes ou groupes qui utilisent la manipulation mentale.
Bien qu'il y ait beaucoup d'enseignements à tirer de ces administrations, l'enseignement le plus important que nous voulons souligner aujourd'hui, c'est que ces mesures législatives relatives au contrôle coercitif offrent un cadre qui permet de reconnaître les expériences vécues par les victimes. Par la suite, ces victimes sont en mesure de raconter leur histoire et de demander de l'aide.
Trois ans avant que le Royaume-Uni ne criminalise le contrôle coercitif, il a modifié sa définition de la violence conjugale afin qu'elle englobe le contrôle coercitif. Son ministère de l'Intérieur a commencé à en parler de cette manière, et le secteur social a également abordé la question. Au cours de ces trois années, les appels que les services de police ont reçus concernant la violence conjugale ont augmenté de 31 %.
En outre, une étude menée par le College of Policing du Royaume-Uni a démontré qu'après sa promulgation, la loi a amélioré la façon dont les services de police réagissent dans les cas de violence conjugale, en leur permettant d'intervenir plus tôt et plus efficacement. L'étude a également démontré qu'aucun problème lié aux accusations portées contre les victimes n'est survenu. Ce changement radical d'attitude met en lumière l'importance de modifier le discours public et les lois liées au contrôle coercitif et aux mauvais traitements.
Cela dit, je vais céder la parole à ma collègue, Carrie McManus, notre directrice de l'Innovation et des Programmes.
:
Je vous remercie, madame Silverstone.
Aujourd'hui, je voudrais parler de ce que nous ont dit les personnes touchées par le contrôle coercitif.
Je ne saurais trop insister sur le fait que la façon dont nous parlons des mauvais traitements à l'heure actuelle a des répercussions très personnelles sur la façon dont les survivants se considèrent, sur la façon dont ils comprennent et contextualisent leurs expériences et sur les démarches qu'ils entreprennent pour obtenir de l'aide.
Pour bon nombre de personnes, le contrôle coercitif est comme une cage invisible. Ils en ressentent les effets, mais ont du mal à le définir dans leur propre vie. Trop souvent, à Sagesse, nous recevons des appels de survivants qui minimisent les mauvais traitements qu'ils ont subis, même si on les a privés de la capacité de prendre des décisions dans leur propre intérêt. Ils ne sont pas sûrs de mériter notre aide ou d'en avoir besoin.
Un client m'a raconté qu'un de ces anciens petits amis surgissait à n'importe quel moment, y compris lorsqu'il sortait socialement ou allait courir. Ils n'échangeaient jamais de paroles, mais mon client était terrifié, même si on lui disait, ou s'il se disait, qu'il s'agissait d'une coïncidence et qu'il n'était pas en danger.
Ce doute et cette remise en question surviennent souvent lorsque les survivants affrontent courageusement la stigmatisation sociale et la honte qu'ils vivent en racontant leur histoire à leurs amis, leur famille et leurs collègues. C'est la raison pour laquelle toute initiative visant à lutter contre le contrôle coercitif doit inclure ceux qui offrent un soutien officieux et qui jouent un rôle essentiel dans l'éradication de la violence.
Quatre-vingts pour cent des personnes victimes de mauvais traitements en parlent d'abord à un ami ou à un membre de leur famille. Si elles ont une conversation positive au cours de laquelle leurs expériences liées au contrôle coercitif sont prises au sérieux, elles sont plus susceptibles de chercher à obtenir un soutien officiel et d'obtenir des résultats positifs.
Un exemple qui me vient à l'esprit est celui d'une source improbable de soutien officieux. Cette personne travaillait à titre d'employé bancaire et était en mesure de fournir un aperçu unique de la vie personnelle de ces clients, y compris ceux qui subissaient un contrôle coercitif. Au fil des mois, il a noué une relation amicale avec un client nouvellement arrivé au Canada. Un jour, lorsque le client est venu ouvrir un compte bancaire, il semblait particulièrement distrait et vérifiait son téléphone toutes les quelques minutes. Lorsque l'employé bancaire lui a demandé si tout allait bien, le client a expliqué que sa situation à la maison était stressante et que son partenaire suivait ses déplacements tout au long de la journée. Comme d'autres clients lui avaient révélé des situations semblables — en particulier des nouveaux arrivants qui ne savaient pas à qui s'adresser pour obtenir de l'aide —, il a été heureux de les orienter vers l'organisme Sagesse.
Il s'agit là d'un des nombreux exemples de Canadiens ordinaires qui sont en mesure d'intervenir parce qu'ils comprennent le contrôle coercitif et ses terribles répercussions sur les personnes, les familles et les communautés.
Pour inverser la tendance en matière de mauvais traitements, nous devons en faire plus, notamment en envisageant les choses sous l'angle du contrôle coercitif lorsque nous élaborons des mesures législatives, que nous aidons chaque Canadien à reconnaître les mauvais traitements et à en parler, et que nous accroissons le soutien apporté aux survivants et à ceux qui les aident. Ces personnes seront ainsi en mesure de chercher de l'aide en bien plus grand nombre.
Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé aujourd'hui et de l'attention que vous prêtez à cette forme dangereuse de mauvais traitements.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens à dire que nous sommes assez vieux et vieilles, ici autour de la table, pour nous dire que le contrôle coercitif ne touche pas nécessairement que les jeunes femmes ou que les femmes en situation d'autonomie précaire sur le plan financier. Je pense que cela touche particulièrement les femmes, bien évidemment, et que cela peut les toucher presque toutes.
Ma première question s'adresse à Mme Silverstone ou à Mme McManus, étant donné qu'elles sont de la même organisation.
Vous avez soulevé l'élément de la famille, de l'entourage aussi. Je pense que ce sont des remparts, en tout cas des sentinelles qui devraient exister et qui devraient pouvoir dénoncer ces situations.
Selon vous, existe-t-il des caractéristiques particulières de quelqu'un qui exerce un contrôle coercitif?
:
Ceux qui exercent un contrôle coercitif sont aussi assez intelligents pour cacher leur jeu à un moment donné.
Je vous remercie beaucoup de ces réponses.
Madame Zaccour, je vous remercie d'être des nôtres et de nous faire part de vos réflexions.
J'ai deux questions à vous poser.
D'abord, j'aimerais que vous reveniez à l'exemple de l'étranger, duquel nous pourrions nous inspirer. En effet, nous devrons déposer des recommandations qui devront être sérieuses et être suivies pour que nous puissions vraiment améliorer la situation.
Dans le cursus universitaire et au barreau, on pourrait aussi mettre l'accent sur la formation des intervenants, des juges, des procureurs de la Couronne, et même des avocats. Quelle formation devrait-on développer pour ces personnes afin qu'elles comprennent bien ce qu'est le contrôle coercitif? Elles auront affaire à des pervers narcissiques et à toutes sortes de profils de personnalité.
Comment forme-t-on les gens du milieu juridique?
:
Je vais commencer par répondre à la deuxième question.
Selon moi, il est très important de clarifier le fait qu'en ce moment, le droit permet aux tribunaux de la famille d'utiliser la notion d'aliénation parentale, pourtant discréditée. Même si on forme bien ces personnes, ce ne sera jamais suffisant. Il faut changer la loi.
Nous avons entendu plus tôt d'autres témoins dire que les survivantes minimisent les violences qu'elles ont vécues. C'est tout à fait vrai. Pourtant, les tribunaux appliquent une théorie qui dit que les femmes exagèrent les violences qu'elles ont vécues. Bien sûr, personne ne peut être contre la formation, mais cela n'a pas donné les résultats qu'on espérait.
Nous espérons vraiment que le Comité recommandera un changement à la loi en matière de droit familial, parce que même si les juges comprennent ce qu'est le contrôle coercitif, il reste la théorie selon laquelle ce que dit la mère n'est pas vrai. De toute façon, même si c'est vrai, il faut quand même forcer l'enfant à vivre avec le père, qu'il ait été condamné ou non.
:
Tout à fait. Je vous remercie de votre question.
Selon un des mythes, la société — cela inclut les tribunaux familiaux — doit être très suspicieuse.
[Traduction]
Je suis désolée. Vous avez posé votre question en anglais.
L'un des principaux mythes, c'est l'idée qu'il faut être très méfiant lorsque la violence conjugale est signalée. Si la mère ou l'enfant signale des actes de violence, ou plus particulièrement si la mère signale que l'enfant est victime d'agressions sexuelles, nous devrions faire preuve de méfiance. Le mythe veut que les femmes mentent ou exagèrent et que les enfants ne soient pas dignes de confiance. Par ailleurs, les femmes doivent pardonner. Des années se sont écoulées, et la femme ou l'enfant est toujours en colère, alors quelque chose doit clocher. Il ne peut s'agir des effets normaux de la violence familiale.
Ce sont là quelques-uns des mythes qui sont très répandus dans notre système judiciaire.
:
Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins de nous faire part de leurs réflexions sur cet important sujet.
Il est impossible de penser que, d'un coup de baguette magique, nous pourrions éliminer la violence envers les femmes, qui est devenue une vraie épidémie.
Je pense que nous devons faire cette étude très sérieusement, en essayant de nous faire une opinion, le plus possible en nous basant sur ce qui se fait ailleurs. J'aimerais y revenir.
Ma question s'adresse à Mmes Silverstone et McManus.
Vous avez beaucoup parlé de la situation à l'étranger. Des questions ont ensuite été posées par mes collègues.
À votre connaissance, dans les pays qui ont criminalisé le contrôle coercitif, l'expérience se poursuit-elle plutôt positivement, malgré les craintes que certains avaient au préalable? Certains d'entre eux ont-ils plutôt tenté de revenir en arrière parce qu'ils regrettaient d'avoir appliqué cette criminalisation?
:
Je pense que j'ai mal saisi votre pensée quand vous avez parlé de l'exception française. Je croyais que la France avait déjà cette exception. Je vous remercie de cet éclaircissement.
J'ai récemment participé à un colloque portant sur les violences faites aux femmes. Il était organisé par des groupes de femmes de ma région. L'importante question du contrôle coercitif y a évidemment été abordée. La violence, ce n'est pas toujours des bleus sur les bras. En effet, c'est beaucoup plus que cela. À l'adolescence, j'ai été marquée par le slogan « La violence, c'est pas toujours frappant mais ça fait toujours mal ». C'était le slogan d'une campagne visant à sensibiliser le public québécois à la violence faite aux femmes.
En ce moment, un projet de loi aborde la question du contrôle coercitif, soit le projet de loi . De plus, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a mené une étude sur cette question.
J'aimerais revenir sur cette étude. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de vous pencher sur le projet de loi C‑332 et de vous faire une opinion sur celui-ci.
Mesdames Silverstone et McManus, voulez-vous ajouter quelque chose sur ce qui est actuellement à l'étude au Canada?
:
Merci beaucoup. Je remercie tous les témoins d'être avec nous aujourd'hui.
Je tiens à dire clairement que je crois fermement que le contrôle coercitif existe. Il s'agit d'une violence très mal comprise, et il incombe souvent à la victime de prouver qu'elle se produit.
Je vous suis très reconnaissante de ce que vous avez dit, madame Zaccour, et je suis d'accord avec vous sur tout. Je pense que ce qui complique les choses, c'est que les victimes minimisent souvent la violence qu'elles subissent. Nous savons quels groupes sont les plus victimes de violence — nous le savons grâce aux statistiques —, et il y a encore beaucoup de discrimination dans le système judiciaire à l'égard, je dirais, des Noirs, des Autochtones et des personnes de couleur. Il faut faire quelque chose pour remédier à cette violence, il faut s'y attaquer.
Lors de la dernière série de questions, j'ai posé une question précisément sur le contrôle coercitif. J'aimerais revenir, en fait, à la question de l'aliénation parentale. Pensez-vous que le fait d'avoir un projet de loi sur le contrôle coercitif, sans d'abord s'attaquer à cette réalité non scientifique, souvent utilisée principalement contre les femmes, les met davantage en danger?
:
C'est une question qui nous préoccupe effectivement. Il y a deux choses qui sont importantes, peut-être trois. Premièrement, tout projet de loi pénal n'aidera pas les victimes si elles ne portent pas plainte ou s'il n'y a pas d'accusation ou de condamnation. Cela peut même être pire s'il n'y a pas de condamnation, parce que cela soulève alors le doute qu'elle a menti.
L'autre chose, c'est que même lorsqu'il y a une condamnation pour violence familiale, les tribunaux continuent d'utiliser la carte de l'aliénation parentale et de conclure que, malgré la condamnation ou l'aveu de culpabilité, la mère doit passer à autre chose et l'enfant doit aimer son père. C'est ce qui se passe, y compris dans des dossiers où nous sommes intervenus.
La troisième chose qui pourrait se produire, c'est que l'agresseur va prétendre que le comportement protecteur de la mère est de l'aliénation et qu'il s'agit en soi d'une forme de contrôle coercitif. Nous voyons des agresseurs réutiliser ce langage, ce qu'ils font souvent, utiliser le langage de l'égalité pour le déformer. Pour de nombreuses femmes qui ont des enfants, la priorité est d'abord de se séparer en toute sécurité, et le système de justice pénale n'interagit pas directement avec le système de justice familiale, alors cela n'est pas suffisant pour les aider à se séparer en toute sécurité de l'agresseur et de protéger leurs enfants.
:
Merci, madame la présidente.
Il y a tellement d'éléments à décortiquer ici, parce qu'on essaie d'aller au cœur de la question de la justice.
Au cours de la 42 e législature, la ministre de la Justice de l'époque, Jody Wilson-Raybould, a modifié la Loi sur le divorce dans le projet de loi pour introduire le terme « violence familiale ». La définition dit:
« violence familiale » S'entend de toute conduite, constituant une infraction criminelle ou non, d'un membre de la famille envers un autre membre de la famille, qui est violente ou menaçante, qui dénote, par son aspect cumulatif, un comportement coercitif et dominant ou qui porte cet autre membre de la famille à craindre pour sa sécurité ou celle d'une autre personne...
Elle dit ensuite: « et du fait, pour un enfant ».
Il existe un groupe, le Canadian Equal Parenting Council, et je pense qu'il est très important de le dire... Nous sommes le comité de la condition féminine, alors nous sommes ici pour défendre les femmes, mais je pense qu'il est vraiment important de souligner que les hommes sont et peuvent souvent être victimes de contrôle coercitif également, et que les enfants sont souvent ceux qui sont blessés.
Je suppose que ma question s'adresse à vous, madame Zaccour. Lorsque nous parlons d'aliénation parentale, je veux simplement lire ce qui suit aux fins du compte rendu: « L'aliénation parentale survient lorsqu'un parent contraint un enfant, ou le manipule pour qu'il le fasse, à rejeter l'autre parent sans justification. En pratique, elle se distingue de l'éloignement par des preuves et des enquêtes professionnelles. Des recherches universitaires évaluées par des pairs et publiées concluent que l'aliénation des enfants par un parent est une forme de violence émotionnelle. Les effets à long terme sur les enfants sont bien documentés, car ils perdent la capacité d'aimer un parent et d'accepter son amour. »
Le problème comporte quelques éléments. Le premier, qui a été soulevé, c'est que nous avons besoin des bonnes personnes pour mener les enquêtes et interroger ces enfants. J'ai récemment visité le Toba Centre à Winnipeg, et je recommande fortement à tous ceux qui sont ici de regarder ce que le centre fait. C'est un centre d'appui aux enfants.
Comment pouvons-nous changer la loi? Ce qui se passe, c'est que le parent pourrait exercer un contrôle coercitif, mais une fois que l'enfant a environ 15 ans, à l'adolescence, il ne sait pas qu'il se trouve dans une situation de « contrôle coercitif » comme tel. C'est tout le problème à ce sujet. C'est très difficile, parce que souvent, les gens ne savent même pas qu'ils sont dans une relation malsaine. Les enfants se retrouvent dans des situations terribles, mais ils ne savent pas qu'un parent les manipule ou exerce ce type de contrôle.
Comment intégrer cela dans un système juridique? Comment formons-nous les juges pour qu'ils sachent de quoi il s'agit?
Je sais que je pose un tas de questions ici, mais je pense que nous essayons de formuler deux recommandations. Devrions-nous rendre l'aliénation parentale illégale, et devrions-nous rendre le contrôle coercitif illégal dans le Code criminel?
Je vais commencer par qui veut bien répondre.
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C'est vraiment important. Ce que nous demandons, c'est d'interdire les accusations d'aliénation parentale. Si nous décidons de rendre l'aliénation parentale illégale, nous allons nous retrouver dans la même situation que le Brésil et le Mexique, où les femmes sont punies pour avoir dénoncé de mauvais traitements.
Je ne sais pas d'où provient la définition que vous avez lue, mais il n'est pas vrai de dire que l'on fait la distinction en pratique entre l'aliénation parentale et l'éloignement concret en raison de la violence. On ne fait pas la distinction entre l'aliénation parentale et la violence familiale. Dans la littérature scientifique, il n'y a pas d'instrument objectif et fiable pour faire la distinction entre les deux. Ce n'est donc qu'une opinion.
Le problème, c'est que chaque fois qu'on dit qu'un enfant est aliéné par sa mère — c'est souvent la mère qui est accusée —, il se peut très bien que l'enfant réagisse à la violence du père, et c'est souvent le cas, mais c'est la mère qui est punie.
Je vais faire parvenir au Comité un mémoire pour répondre aux questions fréquemment posées sur ce que les données scientifiques révèlent et ne révèlent pas, mais il est vraiment important de comprendre que les accusations sont utilisées pour punir les victimes.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie nos témoins d'être avec nous et de leurs témoignages.
Je vais passer à un autre sujet, parce que nous avons parlé du fait que les victimes ne se manifestent pas souvent. Elles ont peur, et elles ne savent pas toujours qu'elles méritent d'avoir de l'aide ou qu'elles se trouvent dans une situation où elles en ont besoin. Nous parlons ici de maîtres de la manipulation, ils sont sur le Web, et on ne s'en rend pas nécessairement compte.
Je pense que le premier appel à l'aide, si une personne se trouve dans cette situation, c'est probablement à la police. Comme vous avez sans doute travaillé avec de nombreuses victimes, quelle est l'expérience d'une victime avec cette première ligne de contact qu'est la police? Est‑ce qu'on l'écoute? Est‑ce qu'on la prend au sérieux?