Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Bonjour à tous. Je vous souhaite la bienvenue à la sixième séance du Comité permanent de la condition féminine.
Je déclare la séance ouverte. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le mardi 4 février, le Comité reprend aujourd'hui son étude sur la violence entre partenaires intimes et sur la violence domestique au Canada.
Dans le contexte pandémique et à la lumière des recommandations des autorités de la santé publique et de la consigne du Bureau de régie interne du 19 octobre 2021, il est recommandé que tous ceux qui participent à la réunion en personne suivent les règles que j'énoncerai pour veiller à la santé et à la sécurité de tout un chacun.
Quiconque souffre de symptômes devrait participer à la réunion par Zoom et non pas en personne. Tous doivent maintenir une distance physique de deux mètres avec les autres, qu'ils soient assis ou debout. Tous doivent porter un masque non médical lorsqu'ils se déplacent dans la salle. Il est fortement recommandé que les membres du Comité portent leur masque en tout temps, même lorsqu'ils sont assis. Les masques non médicaux sont plus pratiques pour la compréhension que les masques en tissu, et vous en trouverez à votre disposition dans la salle. Tous ceux ici présents doivent maintenir une bonne hygiène des mains en utilisant le gel antiseptique pour les mains à l'entrée de la salle.
Les salles de comité sont nettoyées avant et après chaque réunion. Dans cet esprit, chacun est invité à nettoyer les surfaces telles que les bureaux, les chaises et les micros avec les lingettes désinfectantes fournies lorsqu'ils prennent place autour de la table ou lorsqu'ils quittent les lieux.
J'aimerais énoncer quelques règles à suivre pour ceux qui participent à la séance virtuellement.
Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Les services d'interprétation sont offerts pour cette réunion. Au bas de votre écran, vous pouvez choisir l'option parquet, anglais ou français. Si vous n'entendez pas l'interprétation, veuillez m'en aviser immédiatement et nous veillerons à ce que le problème soit réglé avant de poursuivre les délibérations du Comité.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez à la réunion virtuellement, veuillez cliquer sur l'icône du micro pour l'activer. Pour ce qui est des participants dans la salle, sachez que votre micro sera contrôlé comme d'habitude par l'agent des délibérations et de la vérification. Je vous rappelle que toutes les interventions doivent se faire par l'entremise de la présidence. Veuillez parler lentement et clairement lorsque vous vous exprimez. Si vous n'êtes pas en train de parler, votre micro devrait être en sourdine.
Avant d'accueillir nos témoins, j'aimerais vous donner un avertissement. Nous allons discuter d'expériences de violence et d'agressions. Cela pourrait s'avérer difficile pour ceux à l'écoute qui auraient vécu des expériences semblables. Si vous vous sentez bouleversé ou si vous avez besoin d'aide, veuillez en informer la greffière.
Je sais que nous commençons en retard. La réunion doit normalement se terminer à 17 h 30, et nous entendrions le premier groupe de témoins de 15 h 30 à 16 h 30. Les témoins seraient-ils en mesure de rester un peu plus longtemps, jusqu'à 16 h 45? Pourriez-vous tous rester avec nous jusqu'à 16 h 45? Pouvez-vous me faire un signe du pouce?
C'est fantastique. Merci beaucoup. Je vous en suis vraiment reconnaissante, car cela donnera à tout le monde une plus grande chance de vous parler.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins.
Notre premier groupe d'aujourd'hui se compose de Lucie Léonard, directrice du Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités, à Statistique Canada, et de Kathy AuCoin, cheffe d'analyses du Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités. Nous entendrons également Lana Wells, professeure agrégée à la Chaire Brenda Strafford en prévention de la violence familiale de l'Université de Calgary, qui comparaît à titre personnel. De même, nous accueillons Katreena Scott, professeure au Centre for Research and Education on Violence Against Women and Children.
Prenez tous bonne note que nos témoins auront cinq minutes pour leur déclaration préliminaire.
Je vous ferai signe lorsque viendra le temps de conclure. Je me manifeste habituellement de 10 à 15 secondes avant la fin du temps imparti, donc je demande à chacune de bien respecter les limites de temps pour que tout le monde dispose de tout le temps prévu.
Sans plus tarder, nous entendrons les représentantes de Statistique Canada.
Vous avez cinq minutes pour nous présenter votre exposé. Allez‑y.
Madame la présidente, honorables membres du Comité permanent, je vous remercie de m'offrir cette occasion de présenter nos plus récentes statistiques sur la violence entre partenaires intimes au Canada. Une bonne partie des renseignements dont je parlerai cet après-midi a été diffusée dans plusieurs publications. Aux fins de référence, la liste complète de ces publications et des principaux points de données figurent dans un mémoire écrit, que j'ai remis à la greffière. Il est important de souligner que les données dont il sera question ici sont tirées de différentes sources et comprennent notamment des données déclarées à la police et des données autodéclarées fournies dans le cadre d'enquêtes auprès des victimes.
Les données des services de police rendent compte de formes de violence entre partenaires intimes qui répondent aux critères de criminalité et qui ont été signalées à la police. Toutefois, comme plusieurs d'entre vous le savent, bien souvent, la violence entre partenaires intimes n'est pas signalée aux autorités, et elle englobe un vaste éventail d'actes de violence. Il peut s'agir de violence psychologique, de violence émotive et d'exploitation financière, lesquelles peuvent toutes être extrêmement préjudiciables, mais ne figureraient pas dans les données des services de police. Ainsi, je me fonderai sur les deux types de sources de données pour brosser un tableau complet de la nature et de l'ampleur de la violence entre partenaires intimes au Canada.
La violence entre partenaires intimes a suivi une tendance générale à la baisse au cours des deux dernières décennies. Selon l'Enquête sociale générale sur la victimisation de 2019, la violence conjugale (c'est‑à‑dire les agressions physiques et sexuelles et les menaces de violence) dans les provinces était beaucoup moins courante en 2019 qu'en 1999. Au cours de cette période, la violence conjugale a diminué aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Dans l'ensemble, selon les tendances dégagées des données déclarées par la police, la violence entre partenaires intimes a diminué au cours de la période de 2009 à 2015. Toutefois, plus récemment, on observe des augmentations graduelles d'une année à l'autre. Plus précisément, le taux de violence entre partenaires intimes contre les femmes déclarée par la police a augmenté de 10 % en 2020 par rapport à ce qui avait été enregistré en 2017. Des augmentations similaires ont été observées pour les hommes au cours de la même période.
Des préoccupations ont été relevées concernant les répercussions des confinements imposés pendant la pandémie. Dans le cadre d'une enquête par panel Web menée au cours des premiers mois de la pandémie, 8 % des Canadiens ont indiqué être très ou extrêmement préoccupés par la possibilité de violence à la maison. Cette proportion était plus élevée chez les femmes que chez les hommes.
À partir des données de l'Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés, nous avons mesuré les expériences relatives à toutes les formes de violence entre partenaires intimes vécues au cours de la vie, y compris la violence physique et sexuelle, la violence psychologique et émotive et l'exploitation financière. Selon cette enquête, 44 % des femmes ont déclaré avoir subi une forme quelconque de violence de la part d'un partenaire intime au cours de leur vie, c'est‑à‑dire depuis l'âge de 15 ans. De plus, près du quart des femmes ont dit avoir subi de la violence physique, comparativement à 17 % des hommes. Plus précisément, les femmes étaient six fois plus susceptibles que les hommes d'avoir subi de la violence sexuelle aux mains d'un partenaire intime au cours de leur vie.
Les femmes de certains groupes de population sont plus susceptibles d'être victimes de violence entre partenaires intimes au cours de leur vie. Les femmes autochtones sont beaucoup plus susceptibles d'être victimes de violence d'un partenaire intime au cours de leur vie. Ainsi, environ 6 femmes sur 10 parmi les membres des Premières Nations et les métisses ont déclaré avoir été victimes d'une forme ou d'une autre de violence psychologique, physique ou sexuelle de la part d'un partenaire intime au cours de leur vie, tout comme 44 % des femmes inuites. Prises ensemble, ces données représentent 61 % des femmes autochtones.
Les personnes de minorité sexuelle — les personnes gaies, lesbiennes ou bisexuelles ou ayant une orientation sexuelle autre — sont beaucoup plus susceptibles de subir toutes les formes de violence entre partenaires intimes. Par exemple, en 2018, les deux tiers des femmes appartenant à une minorité sexuelle avaient subi au moins un type de violence entre partenaires intimes depuis l'âge de 15 ans. Plus du quart des femmes de minorité sexuelle ont déclaré avoir été agressées sexuellement par un partenaire intime à un moment donné depuis l'âge de 15 ans.
En outre, plus de la moitié des femmes ayant une incapacité ont subi une forme ou une autre de violence entre partenaires intimes au cours de leur vie. Près du tiers d'entre elles ont déclaré avoir subi de la violence physique aux mains d'un partenaire intime au cours de leur vie et 18 %, de la violence sexuelle. Plus du quart des victimes de violence entre partenaires intimes subissent de la violence ou de l'abus au moins une fois par mois, et une femme sur 10 en subit presque tous les jours.
Les mesures de la violence entre partenaires intimes tiennent souvent compte des niveaux de peur que ressentent les victimes. La peur d'un partenaire peut indiquer que les expériences de violence au sein d'une relation sont plus coercitives, relativement plus graves et plus susceptibles de refléter un comportement habituel de la part d'un partenaire violent. Les sentiments de peur sont beaucoup plus courants chez les femmes victimes de violence entre partenaires intimes que chez les hommes: près de 4 femmes sur 10 ayant subi de la violence ont dit avoir eu peur de leur partenaire à un moment donné de leur vie en raison de la violence.
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Le type de violence entre partenaires intimes subie a une incidence sur la probabilité d’avoir peur. Parmi les victimes de violence entre partenaires intimes qui ont subi de la violence psychologique seulement, 12 % des femmes et 4 % des hommes ont déclaré avoir déjà eu peur d’un partenaire. En revanche, 55 % des femmes...
Je suis désolée, madame Léonard. Je vais vous accorder quelques secondes de plus. Si vous pouviez conclure en 10 secondes, nous pourrons ensuite vous poser des questions pour aller au fond des choses.
Nous venons de nous rendre compte qu'il vous est impossible de me voir, car j'apparais sur l'autre écran. Je vais donc devoir vous interrompre quand on en sera rendu à cinq minutes.
Je vais maintenant donner la parole à Mme Lana Wells, professeure agrégée et titulaire de la chaire Brenda Strafford en prévention de la violence familiale à l'Université de Calgary.
Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du Comité, de m'avoir invitée [difficultés techniques] privilège d'être ici avec vous aujourd'hui. Je tiens à tous vous remercier des efforts que vous déployez pour mettre fin à la violence entre partenaires intimes au Canada.
Je vous parle depuis Canmore, ville située dans la région visée par le Traité no 7 dans le sud de l'Alberta. Nous sommes sur le territoire de la nation métisse de l'Alberta (zone 3).
Depuis 2010, je suis titulaire de la chaire Brenda Strafford en prévention de la violence familiale à la faculté de travail social de l'Université de Calgary. J'y dirige le projet Shift qui vise à mettre un terme à la violence familiale. Nous mettons l'accent sur la prévention primaire de la violence familiale et sexuelle et de la victimisation dans ce contexte. Pour ce faire, nous mettons au point et déployons des interventions ciblant les conditions structurelles et culturelles qui alimentent et aggravent la violence, tout en nous efforçant d'accroître la volonté et la capacité des gens, des familles, des collectivités, des organisations et des systèmes à prévenir la violence.
Au fil des ans, nos efforts de prévention primaire ont notamment été axés sur la conception d'interventions à plusieurs niveaux pour prévenir la violence dans les relations amoureuses chez les adolescents. Nous savons en effet que la violence touche un jeune Canadien sur trois, et qu'il y a une corrélation entre la victimisation à l'adolescence et une nouvelle victimisation à l'âge adulte. Ainsi, les jeunes vivant une situation de violence risquent davantage d'être victimes de violence familiale dans leurs relations à l'âge adulte. Le travail auprès des jeunes et des adultes qui les entourent est donc une stratégie efficace pour prévenir la violence.
Nous avons également orienté nos recherches en faveur d'une transformation du secteur de la lutte contre la violence afin de mieux servir et appuyer les réseaux informels et naturels de soutien. Nous savons en effet que seulement 12 % des Canadiens vivant une situation de violence entre partenaires intimes vont s'adresser directement à la police. La plupart des survivants et des agresseurs se tournent d'abord vers leurs amis, leurs proches, leurs voisins et leurs collègues de travail. En fait, les recherches démontrent qu'un bon réseau de soutien informel diminue les risques d'être victime de violence familiale, surtout lorsqu'on a accès à un tel soutien avant que la relation devienne violente et que les premiers problèmes commencent à émerger. Il faut donc sensibiliser tous les Canadiens à l'importance d'intervenir rapidement en pouvant s'appuyer sur les compétences nécessaires.
Depuis 11 ans, notre centre de recherche s'emploie à concevoir, mettre en œuvre et assimiler des moyens de conscientiser et de mobiliser davantage d'hommes et de garçons en faveur de la prévention de la violence et de l'égalité des sexes. Nous croyons que la violence est un comportement acquis et qu'il faut, pour y mettre fin, travailler auprès des hommes et des personnes s'identifiant comme tels pour leur offrir le soutien nécessaire. L'un de nos partenariats les plus récents nous a amenés à travailler avec le Service de police de Calgary, un milieu de travail à prédominance masculine. Nous y avons mis à l'essai une approche misant sur les changements contextuels et les normes sociales pour cheminer vers une évolution structurelle et culturelle, car nous savons pertinemment que les politiques et la formation ne suffisent pas pour opérer les transformations que nous souhaitons tous.
Depuis le début de la pandémie, nous cherchons à mieux comprendre comment les métadonnées, l'intelligence artificielle, l'apprentissage automatique et l'analyse prédictive peuvent être utilisés pour appuyer les efforts de prévention. Nous essayons de tirer parti des nouvelles technologies pour évaluer les impacts de la COVID en vue de guider en temps réel les mesures de lutte contre la pandémie et de redressement. C'est d'autant plus important que nous ne pouvons pas compter en Alberta sur un répertoire centralisé et détaillé de données sur la violence ayant fait l'objet d'une analyse croisée. Nous travaillons donc en partenariat avec une organisation s'intéressant aux répercussions collectives qui représente des centaines de services et de réseaux de lutte contre la violence afin de recueillir de meilleures données que nous pouvons utiliser pour orienter nos efforts de prévention.
Enfin, nous réalisons un projet de recherche afin de mieux comprendre les approches de justice alternative pour la prévention de la violence sexuelle et la guérison des protagonistes. Nous parlons ici de processus extrajudiciaires qui sont axés sur les survivants et tiennent compte des traumatismes vécus afin de favoriser la prévention et la guérison chez les personnes qui sont victimes ou coupables de violence sexuelle.
Nous estimons nécessaire de mener des initiatives qui nourrissent l'espoir, la guérison et la possibilité de transformer les normes et les relations entre les sexes, qui favorisent la responsabilisation et la réparation, et qui sont axées sur les survivantes et les survivants. Selon nous, un modèle facultatif intégrant les principes de réparation et de transformation pourrait permettre de répondre aux besoins des survivants, de faciliter l'adaptation des délinquants, de corriger les injustices et de prévenir les actes de violence.
Je suis vraiment ravie d'être des vôtres aujourd'hui. Votre comité a un mandat très vaste et d'une grande importance. J'ose espérer que nos échanges contribueront à vous motiver encore davantage à démanteler les mécanismes d'oppression qui font des victimes et accentuent la violence. Il faudra pour ce faire du temps, des ressources et de la volonté politique pour s'attaquer aux causes profondes de la violence.
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Je sais que cette tâche peut sembler décourageante et accablante, mais il nous faudra absolument, pour venir à bout de la violence, mettre un terme à la suprématie blanche, au patriarcat, au colonialisme et au capitalisme racial, car ce sont les fondements mêmes des manifestations individuelles et collectives de la violence. Ces régimes ont normalisé l'iniquité et le racisme systémique, fait passer le profit et l'exploitation avant le bien-être des gens, fait primer l'individualisme sur la coopération et la cohésion sociale, et systématisé la compétition, l'agression et de nombreuses formes de violence que bien souvent nous ne reconnaissons pas comme telles...
Je suis vraiment désolée. Je déteste devoir vous interrompre de la sorte, car je sais que vous avez énormément d'information à nous communiquer, mais nous essaierons de vous permettre de le faire en répondant à des questions.
Nous allons maintenant entendre Mme Katreena Scott du Centre for Research and Education on Violence Against Women and Children.
Je veux remercier le Comité de me permettre de prendre la parole aujourd'hui. Je vous salue depuis Niagara, en Ontario, le territoire ancestral des Haudenosaunee et des Anishinabes.
Je m'appelle donc Katreena Scott et je suis directrice du Centre for Research and Education on Violence Against Women and Children, l'un des cinq centres avoir été créés au Canada à la suite du meurtre ciblé de 14 femmes à l'École polytechnique de Montréal en 1989.
On vient tout juste de nous rappeler la prévalence et les répercussions de la violence familiale. Il est vrai que différentes mesures devront être prises pour venir à bout de ces problèmes, mais de véritables possibilités de transformation s'offrent à nous. Nous n'ignorons pas que nous devons réaliser des progrès considérables en matière d'égalité entre les sexes grâce à des initiatives comme un programme national de garde d'enfants et le congé de paternité « à prendre ou à laisser ». Nous savons qu'il est nécessaire de poursuivre le débat public sur la violence sexiste en y intégrant les considérations liées à la violence structurelle et à l'intersectionnalité. En outre, comme vient de le souligner ma collègue Lana Wells, nous devons beaucoup mieux faire en matière de prévention.
J'aimerais vous parler aujourd'hui de ce qui arrive lorsque les mesures d'éducation publique et de prévention ne produisent pas les résultats voulus. Quelles solutions sont accessibles aux Canadiens en pareil cas? Vous allez entendre de nombreux témoins vous parler des gestes qui doivent être posés pour aider les survivantes et les survivants. Nous savons que la réponse réside en partie dans un financement stable et suffisant des refuges pour femmes, des centres pour les victimes d'agression sexuelle et des autres programmes pour les victimes de mauvais traitements. Il faut toutefois également se demander ce qu'il convient de faire pour ceux et celles qui ont des comportements violents et qui causent du tort à autrui. Vers qui peuvent se tourner pour obtenir de l'aide les Canadiens qui sont préoccupés par leurs propres comportements envers leurs proches?
Nous avons été témoins d'investissements fédéraux, provinciaux et territoriaux dans la formation professionnelle pour veiller à ce que la violence sexiste soit mieux reconnue par les professionnels de la santé et des services sociaux ainsi qu'en milieu de travail. Ces nouveaux fonds et ces changements sont certes les bienvenus, mais la question continue de se poser. À qui faut‑il s'adresser pour qu'une personne puisse avoir accès à des services? Que doivent faire tous ces Canadiens qui ont un proche, un collègue ou un voisin qui se tourne vers eux pour leur parler d'un comportement dégradant, violent ou menaçant? Comment trouver de l'aide pour la personne dont on souhaite changer le comportement?
Le fait est qu'il est vraiment très difficile de trouver de l'aide au Canada pour une personne qui a des comportements violents. Toutes les provinces et tous les territoires offrent au moins un programme spécialisé dans le travail auprès de ces personnes violentes. Cependant, dans bien des régions du pays, la seule façon d'avoir accès à ce programme est de se faire arrêter par la police. On ne peut pas accepter que le système fonctionne de cette manière. Toutes les administrations ont un programme en ce sens, mais l'aide se limite en grande partie à ce seul programme qui offre à court terme des interventions en groupe suivant une formule non adaptée et qui, dans de nombreuses collectivités rurales, n'est accessible qu'une ou deux fois par année.
Nous savons depuis de nombreuses années qu'une telle approche universelle ne fonctionne pas. Je pourrais vous donner bien des exemples, mais je vais me contenter d'un seul. Voilà longtemps déjà que nous sommes au fait de la corrélation entre la violence entre partenaires intimes et la consommation d'alcool et de drogue. Nous savons que la violence n'est pas causée par l'alcool ou par la drogue, mais qu'il faut intervenir auprès des gens qui consomment et ont des comportements violents en traitant ces deux problèmes en tandem. Malheureusement, il n'existe toujours pas au Canada de programmes collaboratifs et conjoints en la matière malgré les nombreuses recommandations en ce sens qui ont été formulées au fil des ans. Même pour les personnes qui ont les moyens de payer pour ces services au privé, il est très difficile de trouver un thérapeute qui effectue ce genre d'intervention.
Que pouvons-nous y faire? C'est en partie un problème de main-d'œuvre. Il faut des connaissances et des compétences spécialisées pour travailler auprès des agresseurs, pour avoir avec eux des conversations pouvant être difficiles, pour les aider à prendre conscience de leurs mauvais comportements et à en être davantage troublés, et pour pouvoir repérer les risques de violence, intervenir et trouver des solutions. Ce n'est pas quelque chose qu'on enseigne dans les programmes de formation des psychologues, des travailleurs sociaux, des infirmières ou même des psychothérapeutes. L'apprentissage se fait surtout sur le tas.
Un sondage récent auprès des spécialistes offrant des services au Canada nous a notamment révélé que seulement 8 % de ceux qui interviennent auprès des hommes causant des torts à autrui étaient préparés à faire un tel travail lorsqu'ils l'ont entrepris. Ils ont en outre été presque unanimes pour dire que la formation continue offerte par leur organisation était inadéquate.
Le gouvernement fédéral pourrait s'employer à renforcer la capacité de la main-d'œuvre dans ce domaine. Nous venons tout juste de terminer un projet financé par Femme et Égalité des genres Canada qui a misé sur la collaboration entre les fournisseurs de services, les survivants et les chercheurs de l'ensemble des provinces et des territoires canadiens pour établir un cadre de pratique cernant l'expertise nécessaire pour les fournisseurs de services dans ce domaine.
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Le gouvernement pourrait également intégrer à notre plan d'action national la conception et la mise à l'essai d'un large éventail de programmes d'intervention auprès des agresseurs.
Nous allons commencer notre premier tour de questions où chaque député aura droit à six minutes. Je vous indiquerai lorsqu'il vous restera une minute pour vous permettre de conclure.
Un grand merci à tous nos témoins. Ce n'est pas un sujet facile pour un mardi. À moins que ce ne soit pas mardi aujourd'hui; difficile maintenant de savoir où nous en sommes.
Je ne sais pas qui va vouloir répondre à ma première question. Je vous invite toutes à le faire. Cela concerne surtout les statistiques.
Il a été établi que la violence psychologique durant l'enfance pouvait être associée à un risque accru de victimisation par un partenaire intime à l'âge adulte. Existe‑t‑il des statistiques qui montrent la corrélation entre la violence psychologique durant l'enfance et les comportements violents à l'encontre d'un partenaire intime?
Il y a des liens bien établis entre le risque d'être victime de violence aux mains de partenaires intimes et les mauvais traitements subis avant l'âge de 15 ans. Cela peut toucher aussi bien les enfants exposés à des pratiques parentales sévères que ceux qui sont témoins de violence à la maison. Du point de vue d'un enfant, les comportements ainsi observés peuvent être considérés comme étant acceptables et normaux une fois rendu à l'âge adulte. Une corrélation bien nette a été établie entre les deux.
De plus, nous savons également que les enfants exposés à de tels comportements peuvent être victimes d'autres formes de violence en dehors du cadre d'une relation entre partenaires intimes. Il y a assurément des corrélations claires…
Je cherche également des statistiques à propos des hommes. Avez-vous actuellement des statistiques — et je vous demanderais encore une fois de nous les communiquer — au sujet des hommes qui sont conscientisés à la violence entre partenaires intimes dès leur jeune âge?
Nous n'avons pas de données sur ce phénomène précis.
Nous avons toutefois d'autres résultats que je pourrais vous faire parvenir. Dans le cadre de l'Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés, nous avons posé une série de questions pour mieux connaître les attitudes à l'égard de la violence sexiste. Il s'agissait de questions d'ordre très général. Nous avons fait une ventilation hommes-femmes des réponses données en faveur ou à l'encontre de différentes affirmations.
Nous pourrions fournir au Comité ces données qui vont un peu dans le sens de votre question.
Ma prochaine question est pour la Dre Scott. C'est bien vous qui avez été la dernière à prendre la parole? Je veux toujours m'assurer que je m'adresse à la bonne personne.
Vous avez amplement parlé des gens qui doivent travailler dans ce domaine pour aider, et de l'importance d'une expérience vécue et de la nécessité d'apprendre sur le tas. Je me demandais si vous aviez envisagé la possibilité de faire appel à des hommes qui ont repris leur vie en main après avoir vécu une semblable expérience.
Oui, certainement. Je pense que ces voix‑là sont importantes aussi.
Pour l'établissement de notre cadre sur la capacité de la main-d'œuvre, des survivants de la violence entre partenaires intimes figuraient parmi nos principaux collaborateurs. Nous ne l'avons pas fait avec ceux qui s'étaient livrés à des comportements violents. Cependant, bon nombre de nos échanges étaient validés par des hommes possédant de nombreuses années d'expérience de travail auprès d'autres hommes et pour lesquels une rétroaction de la sorte s'inscrivait dans le processus d'amélioration continue du programme.
Nous en avons effectivement. Dans la documentation que nous vous avons fournie, il y a un tableau. J'en ai un autre au bureau qui établit la comparaison entre 2019 et 2020. Je pourrais vous le faire parvenir.
Pour ce qui est des femmes victimes de violence entre partenaires intimes, nous savons que les taux sont plus élevés dans le Canada rural que dans les secteurs urbains. Il faut faire bien attention de ne pas considérer le Canada rural comme un tout uniforme. La situation varie d'une province à l'autre. La réalité rurale du Québec est différente de celle de l'Ontario, de la Saskatchewan ou du Manitoba.
Les taux les plus élevés de violence entre partenaires intimes subie par des femmes sont enregistrés dans les territoires, ainsi que dans les secteurs ruraux de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba.
Je vais laisser à nos expertes de la prestation des services le soin de vous répondre à ce sujet. Ce sont elles qui connaissent le mieux les politiques et les programmes.
Je pense que le Canada a investi, en particulier [difficultés techniques] en essayant de redoubler ses efforts, là où on essaie en fait de cibler les garçons de 7e, 8e et 9e années pour faire du travail de transformation en matière de genre et de droits de la personne, afin qu'ils puissent être sensibilisés à même leurs expériences de socialisation entourant les normes de masculinité, de relations saines, d'équité et d'égalité entre les sexes, et ainsi de suite. Le contenu doit être intégré aux programmes scolaires. Je sais que cela ne relève pas du gouvernement fédéral — cela relève des gouvernements provinciaux —, mais je crois que nous pouvons encourager les gouvernements à adopter ce type de programme et qu'il en soit de même pour les programmes de formation des enseignants, pour veiller à ce que ce soit intégré lors de leur formation. Bien évidemment, pour soutenir tous les genres…
Je vous remercie, madame la présidente. Merci aux témoins de leurs témoignages.
Je poserai ma première question à l'équipe de Statistique Canada.
Dans votre mémoire, vous indiquez que vous allez recueillir une autre série de données en 2024. Pouvez-vous nous parler des lacunes qui, selon vous, pourraient exister dans vos données et vos recherches et, le cas échéant, de la façon dont vous pourriez combler ces lacunes à l'avenir?
C'est une excellente question, madame la présidente.
Avec l'aide du financement de nos partenaires, je pense que Statistique Canada a fait un excellent travail de surveillance au fil des années en matière de violence entre partenaires intimes. Nous croyons comprendre que les lacunes se trouvent dans le groupe des nouveaux immigrants qui ne parlent ni anglais ni français. Ces personnes ne sont pas recensées dans nos enquêtes sur les ménages. De plus, elles pourraient être réticentes à faire un signalement à la police. Il s'agirait d'une étude qualitative. À mon avis, l'ajout d'études qualitatives à nos études quantitatives permettrait de brosser un tableau complet.
Lorsque je songe aux problèmes à long terme, les responsables de refuges nous disent que le recours aux refuges par les victimes de violence d'un partenaire intime n'a pas diminué. Le besoin est constant et les responsables de refuges nous disent que les femmes partent souvent pour retourner auprès de leurs agresseurs. Ce n'est pas parce qu'elles le veulent, mais plutôt parce qu'il n'y a pas assez de logements adéquats. Ce problème structurel existe depuis plus de 20 ans. Si une personne n'a pas d'endroit où se tourner, elle est coincée.
Il s'agit donc d'explorer de façon qualitative et quantitative la situation des victimes de violence par un partenaire intime et ce dont elles ont besoin afin de pouvoir quitter une situation abusive. C'est une lacune. Encore une fois, à mon avis, il faut une étude qualitative.
Quel genre de soutien en matière de santé mentale offre‑t‑on aux femmes et aux filles qui subissent la violence d'un partenaire intime, et quelles méthodes se sont avérées les plus efficaces? Quelle est votre opinion? Avant tout, c'est leur santé mentale qui est touchée.
Les survivants de la violence du partenaire intime ou de la violence familiale se tournent d'abord, et surtout, vers les amis et la famille, puis ils se tournent vers les refuges et les défenseurs des femmes auprès desquels ils peuvent obtenir du soutien. L'un des aspects les plus importants du travail effectué par les refuges et par les défenseurs des femmes dans les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle est l'attention portée sur l'identité, les forces et les besoins des survivantes. Ainsi, les intervenants reconnaissent que les répercussions de la violence ne proviennent pas d'un problème de santé mentale individuel. Ils reconnaissent les effets de la violence sur la personne et sont en mesure de travailler sur les problèmes de santé mentale à partir d'une optique qui tient compte des traumatismes et de la violence subis. Il est essentiel d'avoir cette optique. Il s'agit d'un point de départ très important pour traiter des problèmes de santé mentale, si on veut les appeler ainsi, qui découlent de la violence et de sévices vécus.
Madame Wells, les femmes marginalisées qui sont victimes de violence conjugale peuvent être confrontées à des obstacles précis pour accéder à des services et à la justice. Pourriez-vous nous expliquer comment la stigmatisation et les préjugés touchent les femmes et les personnes de divers horizons lorsqu'elles tentent d'obtenir du soutien à la suite d'une expérience de violence conjugale, en raison des barrières linguistiques? Vous parlez également d'efforts en matière de prévention, de nouvelles technologies et d'intelligence artificielle. Quelle est votre opinion? Comment ces outils peuvent-ils être plus efficaces pour ces femmes?
C'est une excellente question. Je pense que les groupes en quête d'équité ont été tenus à l'écart des services traditionnels depuis un bon moment. Un grand nombre d'organisations et associations communautaires font un excellent travail pour offrir des services à ces personnes, mais je ne pense pas que les services traditionnels disposent suffisamment, je dirais, de ressources pour transformer leurs services afin de mieux servir les populations uniques dont vous parlez.
Il n'y a pas que les formes de violence que ces personnes subissent. Elles sont également victimes de discrimination en milieu de travail, de discrimination systémique et de racisme, comme vous l'avez mentionné, alors je pense que ce sont là les enjeux... Si le Comité tient vraiment à remonter en amont et à réfléchir aux causes profondes, nous devons commencer à décortiquer ces systèmes et à déterminer comment ils se manifesteront dans notre culture et nos systèmes, puis à les repenser pour qu'ils servent mieux toutes les populations au Canada.
J'aimerais beaucoup si vous me le permettez, car il y a un aspect qui, à mon avis, est très important pour créer des services — pour ajouter à ce que Mme Wells a dit — dans des organismes adaptés aux réalités culturelles qui peuvent fonctionner d'une manière intégrée et parallèle à d'autres services. Il y a eu des services très bien établis qui abordent et reconnaissent la migration et la prémigration, les traumatismes et les expériences et, comme Mme Wells l'a mentionné, les répercussions continues du racisme et de la discrimination. Tous ces facteurs doivent être pris en considération. Lorsque nous pouvons apporter cette vigueur dans des organismes culturels et des services et projets adaptés à la culture parallèlement aux services traditionnels, je pense que nous gagnons sur les deux tableaux.
Caring Dads est l'un de ces programmes qui portent sur les autres besoins à combler. Pouvons-nous offrir autre chose qu'un seul programme? Caring Dads est un programme que nous avons élaboré pour répondre aux besoins des pères qui ont commis des actes de violence et d'agression dans leur famille, que ce soit envers leurs enfants ou la mère de leurs enfants.
Je remercie l'ensemble des témoins qui sont ici aujourd'hui. Nous leur en sommes reconnaissants, même si nous espérons ce jour où leur présence ne sera plus requise parce que nous n'aurons plus besoin d'étudier ce genre de dossier.
Ma première question s'adresse à Mme Wells.
Vous avez parlé de programmes de justice réparatrice. Dans ma circonscription, il y a un organisme qui effectue des démarches de justice réparatrice auprès d'adolescents dans le cadre de la Loi sur les jeunes contrevenants. En effet, on peut parfois avoir l'impression qu'il est plus efficace d'avoir une approche réparatrice auprès d'un jeune.
J'aimerais entendre ce que vous avez à dire sur la possibilité d'appliquer ce genre de mesure à des personnes plus âgées qui seraient des agresseurs. Peut-on espérer que cela va fonctionner, malgré tout?
Dans tous les cas, cela peut-il être une bonne chose aussi pour la victime?
Merci de soulever ce point, car je crois sincèrement que la réponse pour combattre et prévenir la violence entre partenaires intimes et la violence sexuelle est une approche réparatrice et transformatrice qui est en dehors du système de justice pénale. Le gouvernement fédéral peut jouer un rôle important pour appuyer son volet de financement et de services, de même que l'adaptation et l'adoption par de multiples intervenants partout au pays qui tentent de faire ce type de travail dans les communautés. Ils travaillent avec la victime, la survivante, et c'est elle qui décide. C'est pour soutenir ce qu'ils appellent l'« agresseur », et non pas l'« auteur de l'acte ». On mise à soutenir non seulement les deux parties, mais aussi leur famille, leur communauté et leur système de soutien, dans leur guérison et leur rétablissement, dans le but de faire avancer la justice sociale et le changement.
Nous menons un gros projet de recherche, et il y a des groupes comme Women at the Centre à Toronto et d'autres groupes... Je sais que Mme Jo‑Anne Wemmers, qui est spécialiste en la matière à Montréal, fait des recherches dans le domaine, alors de nombreux travaux de ce genre sont menés au Québec également. Nous mettons les gens en relation, et de nombreuses communautés autochtones et des Premières Nations exécutent ce travail ensemble à l'heure actuelle pour voir comment nous pouvons créer un ensemble de principes, de pratiques et de formations, et commencer à réfléchir à la façon dont nous pouvons adopter les meilleures façons de procéder.
Je pense que nous voulons tous qu'il y ait des mesures réparatrices. Je travaille depuis 11 ans à faire participer les hommes et, souvent, bon nombre d'entre eux ont été blessés dans leur passé ou ont été complices d'actes de violence. Toutefois, ils guérissent, grandissent et changent, et ils veulent travailler avec d'autres hommes pour qu'ils guérissent, grandissent et changent. Nous devons soutenir ces gens dans leur parcours.
Je vois que Mme Scott a ouvert son micro. Je vais lui poser une question en poursuivant sur cette lancée.
Madame Scott, vous dites qu'un des problèmes est qu'on doit souvent attendre qu'il y ait une arrestation avant de pouvoir recourir à d'autres moyens d'intervention.
Est-ce que vous avez des options qui vous permettraient de déclencher le processus en amont d'une arrestation?
Je suis désolée de ne pas pouvoir répondre à votre question en français.
(1620)
[Traduction]
Je suis d'accord. Lorsque nous parlons de justice réparatrice, nous pensons souvent à des mesures quelconques par l'entremise du processus judiciaire. Ce que je veux faire, c'est de réfléchir de façon plus générale à l'idée d'ouvrir le plus de portes et d'avenues possibles.
Nous devons intervenir le plus tôt possible avec ces modèles. Nous devons prendre des mesures réparatrices en amont dès qu'une personne adopte un comportement abusif. Nous savons que seulement 12 % des comportements abusifs sont signalés aux services de police. Nous savons que les gens subissent beaucoup de violence avant qu'ils appellent la police.
À mon avis, il faut faire ce travail le plus tôt possible. Je ne veux pas que les modèles de justice réparatrice soient liés à la fin du processus. Ils doivent être mis en place au début.
Pensez-vous qu'il serait intéressant de créer des programmes dans le cadre desquels les victimes sauraient que leur plainte ne mènerait pas à une arrestation? Parfois, le fait de savoir que son conjoint va être arrêté est un frein qui empêche la victime de porter plainte. Serait-il intéressant de pouvoir faire une plainte précisément dans une optique de justice réparatrice?
Je pense que nous pouvons le faire. Je pense que nous pouvons créer un système et des interventions qui sont flexibles, qui répondent aux besoins des gens et qui créent un réseau de reddition de comptes pour les gens qui ont causé du tort, mais qui garde un œil sur les gens pendant que nous travaillons et répondons aux besoins et assurons la sécurité des survivants.
Ce type de système éliminerait les échappatoires et les lacunes qui finissent par cautionner implicitement les actes de ces gens en les laissant se sentir victimisés ou validés par le système, ou qui finissent par faire porter le fardeau aux membres de la famille, aux victimes, aux voisins et aux communautés pour le risque et les torts qui sont causés.
J'aimerais maintenant poser une question à Mmes Léonard et AuCoin.
Dans vos études statistiques, au-delà de l'aspect de la violence, abordiez-vous la question du comportement coercitif? Dans la partie sur l'autodéclaration, des questions ont-elles été posées sur ce genre de comportement?
Dans l'Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés, nous avons demandé aux répondants s'ils avaient subi de la violence psychologique et si une partie de ces abus étaient des comportements dominants: « Votre partenaire vous blâme‑t‑il pour la violence? Vous sentiez-vous piégé? ». Certains de ces indicateurs clés visent à éliminer ce contrôle coercitif. Nous n'avons jamais demandé aux répondants précisément, « Votre partenaire vous a‑t‑il contrôlé de manière coercitive? », mais nous avons posé une série d'autres questions pour aborder ces comportements.
Nous avons fait plus que cela. Nous avions la violence physique et plusieurs comportements pour les abus physiques, plusieurs comportements pour les agressions sexuelles et plusieurs comportements pour la violence émotionnelle et psychologique. Les comportements ne devaient pas forcément inclure de la violence physique.
Merci aux témoins de leurs excellentes déclarations aujourd'hui.
Ma première question s'adresse à Mme Lana Wells.
Vous avez mentionné quelque chose qui m'a beaucoup intéressée. Vous avez évoqué la suprématie blanche, le colonialisme et le capitalisme. Vous avez mentionné ces trois choses plus précisément et les avez associées avec les taux de violence élevés. Je me demande si vous pouvez nous en dire plus à ce sujet.
Si nous pensons aux systèmes d'oppression et à la façon dont nous nous organisons, nous le faisons en tenant de grands discours. On peut le voir dans les systèmes et les processus. Je peux donner l'exemple du gouvernement fédéral qui est en train de redonner le pouvoir de la protection de l'enfance aux communautés autochtones, ce qui est une façon d'éliminer le colonialisme.
Si l'on réfléchit à ces beaux gestes, mais aussi à l'adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones pour soutenir la mise en oeuvre des droits autochtones, je pense que ce sont là les conversations que le Canada tient, et il est crucial que nous songions à nos positions. Si nous pensons aux universités, à tous nos systèmes et à toutes nos structures, nous avons ces processus et ces politiques qui sont enchâssés et qui font du tort aux personnes marginalisées et continuent de faire du tort aux femmes également.
Si nous voulons améliorer l'équité entre les sexes et éliminer le racisme systémique, je pense que ce sont des conversations que les Canadiens doivent avoir. Je pense que nous devons modifier nos systèmes, nos politiques et nos lois, car ils ne contribuent pas à mettre fin à la violence conjugale ou à la violence envers un partenaire intime.
Pour revenir aux signalements de comportement dominant, on exerce d'énormes pressions pour que ce soit intégré au Code criminel. La définition de contrôle coercitif est importante. Elle nous aide à comprendre...
Je crois que vous avez brièvement mentionné l'incarcération. J'ai mené des travaux avec des prisons lorsque j'enseignais à l'université. L'une des observations que j'ai faites était qu'il est très difficile d'enseigner des comportements sociaux positifs, des comportements non violents dans des établissements antisociaux très violents. Je me demande si vous souscrivez à ce que je viens de dire, en ce qui concerne des approches de justice alternative — même si je conviens que la prévention est un meilleur moyen d'éradiquer la violence.
Oui, je suis tout à fait d'accord. Je pense également que certaines populations font l'objet de trop de surveillance policière au Canada. Nous travaillons étroitement avec le service de police de Calgary, et ce, depuis deux ans, pour essayer de changer la discrimination et les préjugés au sein des services de police, afin qu'ils puissent mieux soutenir la communauté de Calgary.
Il faut moderniser les services de police. Il faut moderniser les lois sur les services de police. Je pense que bien des gens au Canada sont prêts à relever le défi de commencer à démanteler ces systèmes qui causent du tort à des populations données.
Docteure Scott, je suis d'accord avec vous pour dire qu'il est difficile d'offrir de l'aide aux personnes qui ont des comportements abusifs et que cette aide n'est parfois pas disponible. Je me demande si vous pouvez expliquer comment les obstacles pour obtenir cette aide limitent notre capacité à régler cette crise de la violence.
Il vaudrait peut-être mieux donner un exemple en guise de réponse. L'une des mesures constructives qui ont été mises en œuvre durant la pandémie, c'est que la Nouvelle-Écosse a réussi à mettre en place, à l'aide d'ententes de collaboration, ce que l'on appelle la ligne d'assistance aux hommes. C'est une ligne téléphonique générale et vaste destinée aux hommes. Le message véhiculé était: « La vie peut être difficile, mais vous pouvez obtenir de l'aide ». Il fallait composer le 211. C'était offert par l'entremise d'un service général, et beaucoup d'hommes ont téléphoné. Nous avons analysé les raisons pour lesquelles les hommes appelaient. Ils le faisaient pour diverses raisons, mais l'une des principales raisons, c'était la colère et les comportements abusifs dans les relations. Les hommes n'appelaient pas pour dire: « Écoutez, j'ai un comportement abusif », mais disaient plutôt: « Je suis très en colère, j'ai ces problèmes, je suis inquiet de ce qui pourrait arriver dans ma relation, ma partenaire m'a demandé d'appeler ». Ils appelaient pour obtenir de l'aide.
Lorsque nous offrons ces possibilités, les gens vont appeler et demander de l'aide.
Pour poursuivre dans le même ordre d'idées, vous avez parlé de la nécessité d'inclure cette ligne d'assistance dans le plan d'action national. Je suis d'accord avec vous. Nous examinons souvent un aspect d'un problème, mais nous n'étudions pas la cause. Vous avez également examiné la prévention pour ne pas avoir à utiliser des stratégies de justice alternative, afin de régler la situation avant qu'elle devienne problématique. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet très rapidement?
Je veux seulement établir un lien avec le type de modèle que Mme Gazan et moi avons parlé, qui réunit des gens pour mettre en place des mesures réparatrices, et je souligne que nous devons adopter ces mesures en amont. Nous devons le faire au tout début afin que, lorsque les hommes appellent, nous puissions intervenir. Quand des voisins disent qu'il y a une préoccupation, quand des lieux de travail signalent qu'une personne a des comportements inquiétants, nous pouvons mettre en place ce modèle immédiatement.
J'aimerais aborder brièvement une question qui a été posée tout à l'heure par ma collègue, Mme Ferreri, concernant les différences entre les milieux ruraux et urbains. Nous avons les tableaux de données de Statistique Canada, alors je ne cherche pas à obtenir d'autres réponses de la part du ministère à ce sujet, mais est‑ce que les autres témoins qui offrent des services ont des pistes de réponse pour expliquer pourquoi les taux de violence sont différents dans les régions rurales et urbaines?
L'une des raisons, c'est que les gens se sentent surveillés lorsqu'ils sont entourés de voisins, d'amis et de proches, ainsi que de collègues au travail. Dans les régions rurales, il y a moins de gens aux alentours pour surveiller ce qui se passe.
Il y a aussi plus d'obstacles à l'obtention de l'aide. Tout le monde se connaît, ce qui vient compliquer les choses. Quelqu'un m'a donné un exemple plus tôt: si je gare ma voiture devant un refuge, tout le monde saura que je me trouve là‑bas, et cela suscite beaucoup de jugements dans la communauté.
Si vous pouviez transmettre ces statistiques au Comité, ce serait merveilleux.
Je vais changer de registre. Dans les appels à la justice pour les femmes autochtones disparues et assassinées, la recommandation 5.24 consiste à « demand[er] au gouvernement fédéral de modifier les processus de collecte de données et d'évaluation de l'admissibilité afin de recueillir des données fondées sur les distinctions et des données intersectionnelles ». Je me demande ce que Statistique Canada a fait, le cas échéant, pour donner suite à cet appel à la justice.
Nous travaillons en étroite collaboration avec Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada pour déterminer la voie fédérale en réponse à l'enquête nationale. Il y a différents appels à la justice, comme on l'a mentionné, dans le cadre des travaux de ce comité. Nous nous sommes penchés sur l'un d'entre eux en particulier: faire en sorte que l'Association canadienne des chefs de police soit dotée de mécanismes de signalement et de renseignements plus cohérents sur les femmes et les filles autochtones, les personnes 2ELGBTQQIA et les autres personnes disparues. C'était l'un des appels à la justice.
Je vous remercie de votre réponse, mais ma question porte précisément sur l'appel à la justice dont je viens de parler. Est‑ce que Statistique Canada a fait quoi que ce soit pour accroître cette optique intersectionnelle dans la collecte de données? Si vous n'avez pas la réponse sous la main, vous pouvez toujours la faire parvenir au Comité.
Oui, nous vous transmettrons de plus amples renseignements. Comme vous le savez, nous avons un centre spécialisé sur les statistiques autochtones. Nous effectuons des travaux à cet égard.
Je ne sais pas si Mme AuCoin souhaite intervenir à ce sujet.
Je remercie toutes nos invitées d'être ici aujourd'hui.
Bonjour, chers collègues.
J'ai des questions en rafale pour Mme Scott.
Madame Scott, existe-t-il assez d'aide pour les hommes et les garçons violents, au Canada?
Est-ce que les programmes de réhabilitation fonctionnent? Peut-être aurions-nous une réponse si nous avions des statistiques sur le nombre de récidives.
Enfin, un enfant ayant été victime de violence ou ayant été témoin de violence dans son milieu familial risque-t-il davantage de devenir une victime ou un agresseur?
Oui, absolument. Les épreuves vécues dans l'enfance, y compris toutes les formes de violence, la perte d'un parent ou le fait d'avoir un parent qui souffre d'un grave problème de santé mentale ou de toxicomanie ou qui est incarcéré — voilà autant de facteurs qui sont associés à la victimisation des femmes et à la perpétration d'actes de violence par les hommes. C'est le cas pour les deux, mais le plus souvent, les agresseurs sont des hommes et les victimes, des femmes.
En ce qui concerne les récidives, oui, nous avons des données. Nous n'en avons pas autant qu'il nous en faut, selon moi. Nous savons que lorsque l'existence de violence est établie, entre le tiers et les deux tiers des hommes ne se livrent pas à des comportements violents plus tard dans leur vie. Par contre, nous savons qu'environ un homme sur cinq finit par adopter des comportements violents plus tard dans sa vie. Cela se manifeste souvent de façon très rapide et extrême, souvent dans les six premiers mois.
Nous savons que le changement est possible de diverses façons. Oui, certaines personnes finissent par changer, mais ce n'est pas le cas pour tout le monde. Toutefois, il est admis que leur intégration ultérieure dans un système — n'importe lequel — entraîne moins de récidives.
Madame Scott, en terminant, pouvez-vous nous dire rapidement si nous avons suffisamment de services pour les hommes et les garçons violents, au Canada?
Ma première question s'adresse à vous, madame Léonard, mais les autres témoins peuvent également intervenir, si tel est leur souhait. J'aimerais revenir à quelque chose que vous avez dit, et je veux m'assurer d'avoir bien saisi vos propos. Très souvent, pour des raisons évidentes, nous considérons les hommes comme les agresseurs ou les auteurs d'actes de violence, mais dans votre témoignage, vous avez dit que 17 % des hommes avaient subi une agression physique à un moment donné de leur vie.
Ma question comporte deux volets. Tout d'abord, au cours de leur vie, combien d'entre eux en ont été victimes, disons, pendant leur enfance ou dans une relation conjugale? Par ailleurs, étant donné que la plupart de ces cas sont déclarés par la victime elle-même ou signalés à la police, est‑il possible que la sous-déclaration soit également attribuable aux normes sociales et à la stigmatisation? La perception des hommes et de la virilité, entre autres, explique peut-être pourquoi beaucoup d'hommes ne signalent pas leur vécu à la police ou dans le cadre des enquêtes que vous effectuez.
Madame la présidente, c'est une excellente question.
Dix-sept pour cent des hommes interrogés ont dit avoir subi, au cours de leur vie, une certaine forme de violence de la part d'un partenaire intime, et ce, dès l'âge de 15 ans. Vous avez raison. De nombreuses victimes de violence entre partenaires intimes ne portent pas plainte auprès de la police pour plusieurs raisons: honte, peur de ne pas être pris au sérieux, craintes liées aux conséquences financières d'une rupture ou inquiétudes quant au sort des enfants impliqués. Nous savons en outre que les hommes hésitent à s'adresser à la police pour une multitude de raisons.
Chaque année, nous publions de nombreuses données provenant des statistiques déclarées par la police, qui indiquent le nombre d'hommes et de femmes victimes de violence entre partenaires intimes, et nous pouvons examiner les données de la police et déterminer s'il s'agit d'une relation entre personnes de même sexe ou de sexe opposé.
Nous insistons pour surveiller l'incidence de la violence entre partenaires intimes sur les deux sexes, car tant les hommes que les femmes sont susceptibles d'en être victimes, bien que les femmes soient davantage exposées à des formes de violence plus graves et, malheureusement, à la violence causant la mort.
Pour poursuivre dans la même veine, de toute évidence, d'autres groupes pourraient être moins enclins à se déclarer victimes ou à faire un signalement à la police, surtout si ces gens — et j'ai remarqué que beaucoup de témoins ont parlé de normes — font partie d'un groupe où certains comportements sont peut-être normalisés, notamment la violence, si bien qu'ils ne se considéreraient même pas comme des victimes de violence ou de mauvais traitements. Je songe en particulier à l'exploitation financière et économique, en fonction des groupes d'âge. Certaines femmes âgées, entre autres, pourraient penser qu'il est normal qu'un homme contrôle leurs finances, et elles n'y verraient pas un signe d'exploitation.
Pourriez-vous nous parler un peu des limites de l'autodéclaration en matière de données et nous dire comment nous pouvons faire en sorte que les gens — dont les adolescents, comme on l'a mentionné — comprennent les différentes formes de violence et les indices à surveiller s'il leur arrive quelque chose afin qu'ils soient en mesure de reconnaître et de signaler de telles situations?
Lorsque nous essayons de mesurer l'exploitation financière, nous posons une série de questions comportementales, au lieu de simplement demander si le répondant pense être victime d'exploitation financière, ce qui signifie que la personne doit se considérer comme telle. En fait, nous utilisons des mots comme « contrôle votre revenu » ou « limite votre accès à votre revenu », et lorsque nous examinons ces comportements pris ensemble, nous les qualifions d'exploitation financière.
Nous faisons de même pour les comportements d'agression physique et sexuelle. Nous avions énuméré 28 formes différentes de violence, et si quelqu'un cochait « oui », nous le classions comme victime. À vrai dire, si nous avions simplement demandé aux répondants s'ils pensaient être victimes de violence psychologique, ils auraient probablement répondu non. Encore une fois, il y a beaucoup de normes culturelles, comme vous l'avez dit, et si une personne estime que c'est normal... Dans le cas des enfants victimes de mauvais traitements, s'ils ont grandi dans un milieu où cela était accepté, alors...
Je dirais que, oui, il y a assurément des limites dans les données autodéclarées. À mon avis, il est important, dans tous les cas, d'analyser les données autodéclarées de pair avec des renseignements provenant des communautés, des renseignements de nature qualitative et des renseignements tirés des rapports de police. Cela permet de dégager des tendances et des conclusions très nettes.
J'aimerais, moi aussi, revenir sur les limites de l'autodéclaration. Une limite qui me vient en tête, c'est la crainte de se faire prendre alors qu'on se trouve sur un site de captation de données.
J'aimerais tout d'abord savoir s'il y a des moyens pour favoriser l'autodéclaration. Par exemple, si l'on est en train de remplir un sondage sur un site de Statistique Canada, serait-il possible que la page du site n'apparaisse pas dans l'historique de recherche? Serait-il possible qu'après qu'on a eu besoin de fermer rapidement la page, une autre s'ouvre automatiquement, par exemple une page montrant les prévisions météorologiques? Je sais que cela se fait pour plusieurs sites de dénonciation. C'est ma première question.
J'aimerais aussi savoir s'il y a un moyen de faire un suivi confidentiel, pour que la personne qui remplit un sondage puisse ensuite aller chercher les ressources nécessaires, dans des cas d'agressions de toutes sortes.
Lorsque nous avons élaboré les enquêtes sur la victimisation, nous avons tenu compte des répondants avec beaucoup d'attention et de vigilance. À cet égard, nous avons utilisé deux stratégies. Pour avoir accès aux questions à partir d'un ordinateur, la personne devait suivre un lien vers une page de Statistique Canada. Dans un premier temps, nous avons ajouté un bouton d'aide. De cette façon, si jamais la personne craignait pour sa sécurité — par exemple, si son partenaire se trouvait dans la même pièce —, elle pouvait cliquer sur ce bouton, qui l'amenait alors directement à une autre page d'accueil de Statistique Canada sur l'achat de vaches. Je ne me souviens plus au juste de quoi il s'agissait. Dans un deuxième temps, nous avons également ajouté, à la toute fin, une liste de services aux victimes et de centres d'appels, au cas où quelqu'un aurait besoin d'aide.
Pour les entrevues téléphoniques, nous avons formé les intervieweurs pour qu'ils puissent détecter tout changement de comportement chez les répondants. Si ces derniers se montraient du coup réticents à se confier, l'intervieweur pouvait alors leur demander: « Est‑ce le bon ou le mauvais moment pour parler? » De plus, l'intervieweur pouvait les aiguiller vers différents services d'aide aux victimes. Nous avons donc fait très attention.
Il n'y avait pas d'enquête secondaire en guise de suivi pour poser des questions supplémentaires. Tout avait été rendu anonyme. Ainsi, une fois que vous aviez répondu à l'enquête, nous n'avions aucun moyen de vous recontacter, car votre nom et votre prénom auraient été supprimés du fichier de données.
Ma question s'adresse à Mme Wells. Une partie des recommandations issues du projet Shift portaient sur la nécessité de « financer et soutenir le leadership des communautés [autochtones] dans l'élaboration et la mise en œuvre d'initiatives axées sur la guérison traditionnelle et les approches holistiques ».
Un certain nombre de groupes d'hommes dirigés par la communauté ont vu le jour à Winnipeg — plus précisément, dans ma circonscription, ce dont je suis fière. Ces groupes visent à guérir les hommes au moyen de pratiques enracinées dans la culture et axées sur la décolonisation afin de faire renaître le sens des responsabilités traditionnelles chez les hommes autochtones. Ces groupes ont obtenu des résultats positifs, mais je me demande si vous pourriez nous donner des exemples ou nous parler de la nécessité d'instaurer ou d'appuyer ce genre d'initiatives.
Absolument. Nous travaillons avec des aînés autochtones ici, ainsi qu'avec des universitaires autochtones pour diriger des cercles de soutien. Ils doivent être dirigés et appuyés par les Autochtones.
J'espère que l'on fournira plus de fonds et de soutien aux communautés autochtones, ainsi qu'aux communautés immigrantes et racialisées, parce qu'une grande partie du soutien apporté aux hommes par les hommes se fait dans la communauté et par les pairs, et nous savons que c'est un modèle d'entraide efficace. J'espère que l'on continuera à investir dans ce domaine.
Ma dernière question s'adresse à l'une ou l'autre des représentantes de Statistique Canada. Je n'arrive pas à prononcer leurs noms, à ma grande honte. Je suis vraiment désolée.
Vous avez dit que certains groupes — les Autochtones, les personnes de diverses identités sexuelles ou de genre et les personnes handicapées — sont plus susceptibles de subir de la violence. Pourriez-vous expliquer très rapidement les deux principaux facteurs qui rendent certains groupes plus vulnérables?
C'est une excellente question. Lorsque nous avons effectué une analyse de régression, l'un des principaux indicateurs de la victimisation à l'âge adulte était le fait d'avoir subi de mauvais traitements dans l'enfance, et ce, en tenant compte des facteurs économiques, de l'ethnicité, de l'âge et du revenu. Il ne s'agissait pas seulement de la violence entre partenaires intimes, mais de la victimisation liée à la violence en général. Je peux vous transmettre quelques rapports à ce sujet.
Au nom du Comité, je tiens à remercier les témoins d'aujourd'hui. Je sais que nous avons demandé à beaucoup d'entre vous des renseignements précis, alors si vous pouviez envoyer cette documentation à notre greffière, nous vous en saurions gré. Merci beaucoup du temps que vous nous avez accordé aujourd'hui.
Nous allons suspendre la séance pendant quelques secondes, le temps d'accueillir notre prochain groupe de témoins.
Nos invitées peuvent maintenant quitter la séance. Merci encore. Passez une bonne journée.
Au nom du Comité de la condition féminine, j'aimerais souhaiter la bienvenue aux représentantes du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Je vous remercie d'être des nôtres aujourd'hui.
Nous recevons Chantal Arseneault, qui est la présidente, ainsi que Louise Riendeau, la coresponsable des dossiers politiques.
Bonjour, mesdames et monsieur. Je vous remercie de l'invitation à comparaître aujourd'hui.
L'équipe du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale a lu avec beaucoup d'intérêt le rapport intitulé « La pandémie de l'ombre: Mettre fin aux comportements coercitifs et contrôlants dans les relations intimes ». Nous avons étudié les effets de la criminalisation du contrôle coercitif dans différents pays. Nous croyons que le Canada doit poursuivre dans cette voie et étudier le projet de loi C‑202.
La Loi sur le divorce a introduit la notion de violence coercitive et cumulative. Il est maintenant important que cette réalité soit connue et reconnue dans tous les domaines du droit.
En plus de permettre à de nombreuses femmes de dénoncer des gestes de contrôle et de reconnaître les répercussions de ces gestes sur elles, le fait de créer une infraction en lien avec le contrôle coercitif permettrait aux femmes d'avoir droit aux indemnisations pour victimes d'actes criminels. On reconnaîtrait ainsi l'atteinte à ces droits fondamentaux des femmes que sont la dignité et la liberté, et l'on tiendrait l'agresseur responsable de ses actes.
Plusieurs États ou pays, dont l'Angleterre, l'Irlande, l'Écosse, six États américains et l'Australie, ont adopté ou sont en voie d'adopter des lois pour criminaliser le contrôle coercitif. L'approche écossaise nous semble la plus pertinente et intéressante. On y reconnaît l'incidence et les conséquences des comportements contrôlants sur ceux qui les subissent, y compris les enfants. On met l'accent sur la conduite de l'auteur sans avoir à prouver le préjudice causé à la victime.
L'expérience des différents pays qui ont criminalisé le contrôle coercitif montre qu'on doit l'accompagner d'une formation destinée à tous les professionnels, y inclus les juges, afin qu'ils soient capables de reconnaître ces conduites, qu'ils soient sensibilisés aux stéréotypes liés au genre et qu'ils puissent recueillir les éléments de preuve. La formation doit avoir une optique intersectionnelle et inclure les réalités des populations autochtones ou de groupes marginalisés, pour éviter que ces communautés soient désavantagées par cette criminalisation. La formation doit s'accompagner d'indicateurs de réussite et d'évaluations.
L'accompagnement des victimes et l'accès à des ressources sont essentiels, tout comme l'éducation du public et de nos jeunes.
En ce qui concerne l'accompagnement des victimes au Québec, il existe une centaine de maisons d'aide et d'hébergement. Les 44 maisons membres de notre association soutiennent exclusivement des femmes qui fuient la violence d'un partenaire intime. Elles offrent des services à celles qui ont besoin d'hébergement avec leurs enfants, mais aussi à celles qui souhaitent être vues en consultation externe. Elles accompagnent les femmes dans leurs démarches juridiques et leur recherche de logement, entre autres. Des intervenants de ces maisons se rendent aussi dans les écoles et dans la communauté pour sensibiliser la population à la violence et favoriser la prévention.
Au Québec, nous constatons un manque de places dans les maisons d'hébergement. Dans les régions comme Montréal, l'Outaouais et Lanaudière, il est parfois impossible de trouver une place pour les victimes. Il faudrait non seulement des ressources pour les immobilisations, mais aussi un budget de fonctionnement.
Depuis le début de la pandémie, nous constatons une grande augmentation des demandes téléphoniques et des demandes de consultation externe. Cependant, nous constatons aussi une offre restreinte de services en raison de la pénurie de main-d'œuvre. Qui plus est, les conditions de travail que peuvent offrir nos maisons ne sont pas très attrayantes. Une augmentation des transferts aux provinces pourrait aider celles-ci à mieux financer les ressources, ainsi qu'une révision des programmes offerts par la Société canadienne d'hypothèques et de logement.
Les enjeux économiques empêchent aussi les femmes de fuir leur conjoint violent. Elles doivent avoir accès à un logement abordable, à du logement social et sécuritaire, à un revenu décent et à un programme d'intégration à l'emploi, pour réorganiser leur vie.
Le statut d'immigration peut aussi empêcher les femmes de fuir la violence de leur partenaire, par exemple lorsque la victime est dépendante de son conjoint, ou encore dans les situations de parrainage ou de demande conjointe. Il faudrait assurer aux femmes un statut autonome et un accès à des cours de langue.
La prévention de la violence conjugale passe nécessairement par l'éducation des enfants, et ce, dès leur plus jeune âge. Il faut leur apprendre les relations égalitaires, le consentement, la sexualité saine, et ainsi de suite. Les maisons manquent souvent de ressources pour dépêcher des intervenantes dans les écoles afin qu'elles travaillent plus régulièrement et plus intensivement auprès des élèves.
En terminant, je veux souligner qu'en l'absence de violence physique, tous ne reconnaissent pas la présence de la violence conjugale, que ce soit les victimes, les auteurs de cette violence ou leurs proches. Il est donc important que des campagnes de sensibilisation montrant les différents aspects du contrôle coercitif soient diffusées sur une base régulière et avec une intensité certaine.
Mesdames Arseneault et Riendeau, je vous remercie d'être ici aujourd'hui.
Madame Arseneault, vous avez soulevé beaucoup d'éléments. Cela dit, j'aimerais commencer par le commencement: si on veut de l'action, il faut des sous. Vous avez mentionné le besoin d'avoir un budget de fonctionnement. On a aussi mentionné les différences de services entre les milieux urbain et rural.
Votre regroupement compte 44 maisons pour femmes victimes de violence conjugale situées un peu partout au Québec. Parlez-nous des services que vous offrez et du financement dont vous dites avoir besoin. Manquez-vous d'argent actuellement?
Oui, nous manquons d'argent actuellement. Notre regroupement comprend 44 maisons d'hébergement réparties sur tout le territoire du Québec. Les réalités urbaines et rurales sont effectivement très différentes.
Nous avons besoin d'un financement consolidé. Les services d'hébergement sont très importants, mais les besoins pour ce qui est des consultations externes et des services téléphoniques d'écoute ont augmenté de façon fulgurante pendant la pandémie. Nous avons besoin de consolider nos équipes pour assurer un doublage lors des quarts de travail et répondre à ces appels.
Il y a aussi tout le volet de la sensibilisation, de la prévention et de la formation. Nos partenaires ont besoin de formation en matière de violence conjugale et d'informations sur la façon d'évaluer le niveau de risque. Nos intervenantes sont vraiment des expertes dans ce domaine.
Ce sont donc là les champs d'expertise où nous avons besoin de financement supplémentaire.
À l'heure actuelle, je présume que vous recevez de l'argent du gouvernement du Québec pour offrir du soutien aux maisons d'hébergement. En recevez-vous aussi du gouvernement fédéral?
Nous n'en recevons pas. L'essentiel des subventions récurrentes provient du gouvernement du Québec.
Pour l'ensemble des maisons d'hébergement, c'est-à-dire celles membres de notre regroupement et les autres maisons d'hébergement pour femmes, nous estimons qu'il faudrait à peu près 143 millions de dollars. Or, ce n'est pas le montant qui est versé actuellement. Il manque près de 30 millions de dollars.
C'est donc pour cette raison que nous disons qu'il serait important d'accroître les transferts fédéraux pour aider la province à répondre aux besoins.
L'argent que nous recevons du fédéral couvre les coûts liés à la pandémie, mais nous ne recevons pas de sommes régulières...
Vous dites que vous manquez de moyens pour faire de l'éducation dans les écoles.
Tout à l'heure, des experts nous ont parlé du fait qu'un enfant qui a été témoin de violence conjugale est manifestement plus à risque, plus tard, de devenir une victime à son tour ou d'être violent.
Vous accueillez des femmes et des enfants dans vos maisons d'hébergement. Quand vous recevez de jeunes enfants, quel genre d'intervention pouvez-vous faire auprès d'eux?
Nous intervenons de façon tout à fait adaptée à la réalité de chaque enfant. Il faut comprendre que les enfants que nous accueillons dans les maisons d'hébergement viennent de subir un choc, après avoir été témoins de crises. Nous leur donnons un espace pour leur permettre de redevenir des enfants. Nous essayons de traduire en mots d'enfants ce qu'ils ont vécu pour le valider. En travaillant de cette façon, nous leur permettons de nommer les choses, de différencier ce qui est bien de ce qui ne l'est pas, et nous les aidons à faire des choix éclairés plus tard.
Nous le constatons chez nos adolescents: ils reconnaissent bien les stratégies de contrôle, quand on se donne la peine de leur donner de l'information. Nous pensons que cela peut vraiment changer la donne.
Nous agissons aussi sur le plan des stéréotypes sociaux auprès des enfants dans les maisons d'hébergement.
En fait, notre spectre d'intervention est assez large.
Oui, absolument. Nous avons fait un sondage au début de la pandémie pour demander aux femmes si elles avaient demandé de l'aide, et beaucoup de femmes nous ont dit qu'elles n'avaient pas demandé d'aide parce qu'elles avaient peur de ne pas trouver un logement. Effectivement, l'accès à un revenu décent et l'accès à un logement sont des conditions essentielles. Il y a des femmes qui, découragées du prix trop élevé des logements, vont décider de retourner avec leur conjoint. Alors, ce sont des éléments très importants.
On a beaucoup pensé à la justice et au soutien psychosocial, mais toute la question des droits économiques et sociaux n'a pas été suffisamment travaillée pour aider les victimes à sortir de la violence conjugale.
En Australie, quand une femme quitte une maison d'hébergement après avoir fui la violence, on peut lui donner jusqu'à 5 000 $ pour se réinstaller.
Toutes mes excuses. Vous êtes effectivement la deuxième à intervenir. Je suis vraiment désolée.
Je suis exactement comme Mme Vien. Je devrais lui demander de me prêter ses lunettes.
Vous êtes inscrite au deuxième tour, madame Lambropoulos. Je m'en remets à vous et à votre collègue, Mme Sudds, pour décider dans quel ordre vous allez intervenir.
Je remercie donc grandement les témoins qui sont parmi nous aujourd'hui afin de nous aider dans notre étude.
Nous sommes en train de voir ce qui devrait être inclus dans le prochain budget et de trouver des recommandations dans le cadre de notre étude.
J'aimerais savoir si vous êtes au courant des sommes d'argent qui étaient déjà prévues dans le budget précédent, soit celui de 2021‑2022. Comme vous l'avez dit, la plupart des sommes que vous avez reçues vous ont été versées sous forme d'aide en raison de la pandémie. Cela dit, connaissez-vous les programmes qui existent déjà pour les maisons d'hébergement? Le cas échéant, croyez-vous que cet argent pourrait être investi à de meilleurs endroits, s'il n'a pas encore été utilisé?
Nous essayons de trouver de meilleures façons d'utiliser l'argent, alors pourriez-vous nous recommander des programmes où cet argent serait mieux investi?
Effectivement, ce dont nous avons le plus entendu parler, ce sont les fonds spéciaux pour la pandémie, mais il y a certainement aussi des fonds au ministère des Femmes et de l'Égalité des genres.
Si j'avais des recommandations à faire concernant des investissements, je dirais qu'il faut investir massivement dans l'éducation du public et des jeunes, pour véritablement changer les mentalités afin qu'un jour, on sorte des relations violentes et non égalitaires. Il s'agit aussi d'éduquer la population pour que les victimes, les agresseurs et leurs proches reconnaissent ce qu'est la violence. Quand il n'y a pas de violence physique, parfois on ne réalise pas qu'il y a de la violence conjugale. Pourtant, il y a des femmes qui ont été tuées par leur conjoint alors qu'il n'y avait pas eu de demande d'aide relativement à de la violence.
Je pense que la prévention est la clé, si l'on veut arriver à sortir de la situation dans laquelle on est.
Je voudrais aborder un autre problème, auquel je crois que vous avez fait allusion précédemment. Il y a beaucoup de femmes qui cherchent de l'aide, qui se sortent de la situation de violence, mais qui retournent vivre avec leur partenaire une fois que cette première aide prend fin, parce qu'elles ne savent pas où aller ou ont des difficultés financières.
Croyez-vous qu'il serait aussi important que le gouvernement investisse dans le logement destiné précisément aux femmes qui fuient les situations de violence?
Dans nos maisons d'hébergement, il y a des femmes qui ont décidé de se séparer, qui ont entrepris une démarche judiciaire et qui seraient prêtes à quitter la maison d'hébergement, mais qui sont obligées d'y rester, car elles sont en attente d'un logement social. En effet, ce genre de logement se fait trop rare.
Il faut absolument investir sur le plan du logement pour offrir des possibilités aux femmes, pour qu'elles aient accès à des logements abordables et sécuritaires.
Dans votre réponse précédente, vous avez parlé de l'éducation des jeunes, et c'est extrêmement important. Je suis une ancienne enseignante, alors je sais très bien à quel point on a de l'influence sur les enfants lorsqu'on pratique ce métier.
Généralement, l'éducation est de compétence provinciale. Comment le gouvernement fédéral peut-il aider le système scolaire dans ses efforts en vue de prévenir ce genre de situations à l'avenir?
En fait, il y a tous les programmes dans le milieu scolaire, mais il faut également soutenir les ressources externes qui peuvent aller faire des interventions dans les écoles. On le sait, les professeurs ne sont pas toujours à l'aise de transmettre ce genre de contenu. Il vaut mieux soutenir les intervenantes des maisons d'hébergement et des centres contre le viol pour qu'elles puissent aller présenter ce contenu dans les écoles.
Il peut aussi y avoir des programmes ciblés qui utilisent les réseaux sociaux et qui vont nous permettre d'entrer en contact avec les jeunes autrement que dans le milieu scolaire.
Il peut donc y avoir une partie des fonds qui va dans les transferts, ce qui permettrait de mieux financer les intervenantes qui doivent faire ce travail, et il peut aussi y avoir des projets pour des interventions directes.
Connaissez-vous bien la population qui séjourne dans les 44 maisons de votre réseau?
Trouvez-vous qu'il y a plus de difficultés pour les femmes immigrantes? C'est sûr que la langue et la culture peuvent être des obstacles, en général, lorsqu'il s'agit de recevoir des services, de briser les barrières psychologiques et d'aller chercher de l'aide. Pouvez-vous nous en parler?
Je sais que c'est une grande question et que vous n'avez que 30 secondes pour y répondre. Néanmoins, quelles recommandations feriez-vous afin d'aider ce groupe de femmes?
La difficulté première pour ces femmes réside dans leur statut. Souvent, ces femmes arrivent ici avec un statut de conjointe ou d'immigrante parrainée, et c'est vraiment un frein.
Il faut aussi qu'elles aient un revenu. Les femmes qui arrivent ici et dont le statut n'est pas réglé n'ont pas de revenus. On parlait précédemment des moyens financiers pour échapper à la violence conjugale. Or, les femmes immigrantes partent d'encore plus loin. Ce sont des enjeux importants.
Cela dit, nos maisons membres accueillent toutes les femmes en situation de violence conjugale, sans égard à leur statut.
Merci beaucoup aux témoins d'être présentes. C'est vraiment intéressant de les entendre.
D'entrée de jeu, vous avez parlé du projet de loi C‑202, relativement aux comportements coercitifs. Nous aurons à discuter de cette question à la Chambre.
Qu'est-ce qui se passerait si on se limitait à la seule adoption de ce projet de loi? En effet, on peut avoir cette espèce de pensée magique et croire que le seul fait de criminaliser la chose la fera disparaître et réglera le problème. Or, il faut plus que cela.
Que faut-il faire autour de cela? Vous avez mentionné la question de l'hébergement ainsi que la formation des professionnelles qui seront appelées à recevoir les plaintes. Y a-t-il d'autres choses auxquelles on devra penser, quand il s'agira de modifier la proposition législative, pour qu'elle ait véritablement un effet, au bout du compte?
Il faut certainement que tous les professionnels, y inclus les juges, suivent une formation. Je sais qu'il y a actuellement un projet de loi sur la formation des juges en matière de violence conjugale. C'est essentiel.
La violence conjugale et les comportements coercitifs se passent en privé. Les gens ont parfois de la difficulté à les déceler. Parfois, on associe cela à des stéréotypes de genre. Tantôt, on parlait de la situation où un homme contrôle les finances: est-ce vraiment un homme contrôlant ou est-ce normal?
Les professionnels n'arrivent pas toujours à bien comprendre ces situations et ils n'arrivent pas à recueillir la preuve à soumettre à un tribunal. Il faut les former pour qu'ils puissent détecter et comprendre les situations de violence et pour qu'ils soient capables de procéder.
Il faut également éduquer le public, car les proches sont souvent les premiers à pouvoir aider les victimes et les orienter vers les ressources. Il faut les aider, eux aussi, à reconnaître ces comportements.
Il est certain que la criminalisation de ces comportements ne réglera pas tout. Il faut s'assurer que les gens qui auront à intervenir seront capables de le faire.
Vous avez abordé la question du financement. J'aimerais que vous nous précisiez ce que cela apporterait aux maisons pour femmes d'avoir un financement récurrent et une plus grande prévisibilité.
Les maisons fonctionnent 24 heures par jour, 365 jours par année. Nous ne pouvons pas décider de fermer une maison durant une journée ou durant une semaine, autrement la vie de femmes et d'enfants serait en danger. Des équipes doivent être sur place pour soutenir les femmes. Nous avons besoin du savoir-faire des intervenantes, qui doivent aiguiller les femmes en ce qui concerne les ressources judiciaires, le logement et l'immigration.
Nous avons besoin de sommes d'argent qui nous permettent d'avoir des équipes stables, d'attirer du personnel compétent et de le garder, et d'avoir suffisamment de personnel pour offrir tous les services dont les femmes et les enfants ont besoin. C'est pour cela que nous avons besoin de financement stable, récurrent et suffisant.
Dans votre présentation, vous nous avez parlé rapidement de ce qui s'était passé en Écosse, à la suite de l'adoption de certains projets de loi.
Pouvez-vous nous donner un aperçu de ce qui s'est fait à l'international et des répercussions que cela a eues? Avez-vous des données qui indiquent, par exemple, une augmentation des dénonciations ou une augmentation des incarcérations?
Les précurseurs en cette matière sont l'Angleterre et, plus récemment, l'Écosse.
En Angleterre, entre l'exercice se terminant en 2019 et celui se terminant en 2020, on a observé une hausse de 49 % du nombre d'infractions liées aux comportements coercitifs. Des améliorations ont été apportées à la loi durant cette période. On a enregistré presque 25 000 infractions liées à des comportements coercitifs, en Angleterre.
En Écosse, la loi est toute récente, elle date de 2019. Malgré cela, en 2019‑2020, presque 63 000 incidents de violence conjugale ont été enregistrés. Il s'agit d'une augmentation de 4 %. Ce n'est pas une augmentation majeure, mais la loi était nouvelle. On observe donc que cela a un effet important.
On n'a pas pour l'instant observé d'effet sur la question des féminicides, mais rappelons-nous que la pandémie a causé une augmentation des féminicides partout dans le monde, chez nous comme ailleurs. Je pense qu'il faudra plus de temps pour observer des différences à cet égard.
Tout compte fait, en Angleterre, il y a vraiment eu un bond, à un certain moment. Cela a commencé doucement, et ensuite il y a eu une augmentation importante des dénonciations.
Je voudrais vous poser une question à laquelle vous ne pourrez sans doute pas répondre en une minute. Cependant, un autre tour de parole s'en vient.
Il serait important que la question ne soit pas traitée de façon différente par le Québec, qui a décidé, par exemple, de mettre en place un tribunal spécialisé en matière de violence conjugale, et par le fédéral. Pouvez-vous faire des commentaires là-dessus?
Nous étions très contentes des changements apportés à la Loi sur le divorce, qui inclut dorénavant les comportements contrôlants et coercitifs.
Maintenant, nous travaillons fort [difficultés techniques] pour qu'on reprenne la même définition, pour guider les tribunaux dans les jugements qu'ils rendront.
On a créé ce tribunal spécialisé, et tous les intervenants concernés par ces questions recevront de la formation, qu'il s'agisse de policiers, de procureurs ou d'intervenants psychosociaux. Nous avons donc bon espoir qu'on saura mieux tenir compte de toutes les dimensions du vécu de ces femmes.
La violence conjugale ne se limite pas à un seul événement criminel. Souvent, elle s'inscrit sur de nombreuses années, au cours desquelles plusieurs gestes sont posés et plusieurs tactiques sont employées. Souvent, ces tactiques et ces gestes ne sont pas criminels en soi et semblent anodins, mais ils créent de la peur chez les femmes et les privent de leur liberté.
Il faut être en mesure de tenir compte de tous ces éléments. Tout cela a un impact dans notre système judiciaire.
Merci beaucoup aux témoins d'être venus aujourd'hui.
Nous savons qu'il y a un lien direct entre l'accès à un logement abordable et accessible et un loyer adapté au revenu, ce qui permet aux personnes victimes de violence de partir ou les empêche de le faire. Nous savons aussi qu'il y a un lien direct entre la capacité de partir et le revenu. Vous avez parlé un peu du revenu.
Sous la présente législature, j'ai présenté un projet de loi qui vise l'élaboration d'un cadre à l'appui d'un revenu de base vital garanti non conditionnel à l'exercice d'un travail ou d'un emploi — je pense en particulier aux femmes, qui sont souvent responsables des soins non rémunérés, par exemple — et qui ne serait pas assujetti à une exigence de citoyenneté. Par exemple, les réfugiés, les travailleurs étrangers temporaires et les résidents permanents seraient également admissibles à ce revenu.
La mise en place d'un revenu de base garanti aiderait-elle les femmes à s'extirper de situations de violence?
Cela aiderait certainement les femmes. Si elles savaient qu'elles auraient des moyens pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants, les femmes quitteraient beaucoup plus facilement leur conjoint violent.
Dans le même ordre d'idées, il arrive souvent que les personnes qui ont un statut d'immigration précaire, par exemple, ne soient pas admissibles aux programmes. Cela a‑t‑il une incidence sur la capacité des femmes ou des personnes d'autres genres à quitter une relation? Le fait d'être disqualifié de certains programmes de soutien social limite‑t‑il leur capacité à le faire?
Oui, tout à fait. L'un des défis les plus difficiles auxquels se heurtent les femmes issues de l'immigration, c'est qu'elles ne connaissent ni le pays ni la langue et qu'elles ne sont pas tout à fait encore intégrées. Leur conjoint exerce un contrôle coercitif sur elles et leur dit plein de choses, par exemple qu'elles n'auront pas de revenus. C'est vraiment une montagne à gravir pour elles. Si on pouvait leur garantir qu'elles auraient les moyens financiers pour se sortir de cette violence avec leurs enfants et pour trouver un logement abordable, c'est sûr que ce serait un facteur déterminant dans la reprise de leur autonomie. C'est indéniable.
J'ai posé cette question parce que je sais que même lorsqu'il s'agit de l'Allocation canadienne pour enfants, il y a des personnes qui ne peuvent pas être admissibles en raison de leur statut d'immigration, ce qui est inquiétant si l'on considère que la pauvreté est un facteur qui force les personnes à rester dans des situations de violence.
Cela étant dit, nous savons que les organismes qui soutiennent les femmes victimes de violence sexiste et de violence de la part de leur partenaire intime ont envisagé la possibilité d'offrir des services et des programmes dans une optique intersectionnelle afin de surmonter les différents obstacles auxquels sont confrontées les femmes ou les personnes d'autres genres. Pourquoi l'utilisation d'une optique intersectionnelle est-elle si importante pour aborder ce problème pour toutes les femmes et les personnes d'autres genres?
Nous savons qu'il faut tenir compte de l'ensemble des oppressions que subissent les femmes si nous voulons les aider à prendre des mesures pour se protéger. Il est aussi essentiel de tenir compte des répercussions particulières que certaines décisions ou certains programmes peuvent avoir sur elles. Tantôt, nous avons dit que si nous nous dirigeons vers la criminalisation du contrôle coercitif, comme nous le souhaitons, il faudra tenir compte des réalités des femmes autochtones, qui peuvent être surreprésentées parmi les femmes incarcérées et accusées elles-mêmes d'avoir utilisé la violence, alors que, dans bien des cas, elles n'ont fait que se défendre. Il faut en tenir compte et avoir une perspective intersectionnelle.
Puis‑je poser une question à ce sujet, en partant du point de vue de la criminalisation? L'une des questions que j'ai posées au dernier groupe d'expertes portait sur la criminalisation des comportements. Nous savons que les comportements antisociaux et les manifestations de violence abondent en milieu carcéral. Comment le fait de placer les gens dans des situations violentes et, franchement, antisociales peut‑il aider à résoudre leurs problèmes de violence?
Si nous préconisons l'utilisation du système de justice dans les cas de violence, c'est parce que nous pensons qu'il faut envoyer un message clair à la société. Bon nombre des conjoints des femmes hébergées dans nos maisons se sentent totalement en droit d'utiliser la violence. Il faut signaler clairement aux contrevenants que notre société ne tolère pas ces comportements. Il faut chercher des solutions pour sensibiliser ces personnes et les amener à faire des changements comportementaux. Nous pensons que le message doit être sans équivoque.
Nous allons maintenant passer à notre prochaine série de questions. La seule chose, c'est que nous sommes très pressés par le temps, et qu'il faut nous garder environ deux minutes pour parler des travaux du Comité. Comme il est 17 h 21, nous avons huit minutes pour tout faire. Je vais donc demander à chaque parti de se limiter à une question. Bien sûr, si c'est une longue question, vous pouvez demander de la documentation, car je sais qu'il y a beaucoup de choses que nous tenons à savoir.
Je vais céder la parole à Mme Goodridge.
Madame Goodridge, vous avez une question.
Si nous le pouvons, entendons-nous pour dire que nous avons huit minutes pour venir à bout de tout ce que nous souhaitons faire. Merci.
Pour que le contrôle coercitif soit considéré comme un acte criminel, doit-il être accompagné d'une forme de violence physique? Par exemple, le simple fait de retirer à sa conjointe sa carte de crédit peut-il être considéré comme un comportement coercitif?
La nature du contrôle coercitif consiste en l'accumulation de différentes stratégies. Je ne pense pas qu'on parle de contrôle coercitif quand il s'agit d'un seul geste de contrôle. Ce n'est pas cela, la nature de la violence conjugale.
Nous observons que les conjoints vont utiliser toutes sortes de stratégies, qui peuvent être de nature économique ou consister à menacer ou à isoler les victimes. Il s'agit de regarder l'ensemble de ces comportements.
À l'heure actuelle, souvent, ces comportements en soi ne constituent pas des actes criminels, et c'est pour cette raison que les femmes qui voudraient porter plainte n'arrivent pas à obtenir l'assistance dont elles auraient besoin.
Dans le cadre de notre étude, nous examinons les obstacles auxquels sont confrontées les femmes qui cherchent à fuir leurs agresseurs. Aujourd'hui, nous avons ciblé et parlé un peu de la violence financière, sociale et coercitive, ainsi que des facteurs liés à l'immigration.
Selon vous, qu'est‑ce qui nous échappe? Quels sont les autres problèmes dont nous n'avons pas parlé aujourd'hui. Quels sont ces autres facteurs dont nous devrions parler et auxquels nous devrions nous attaquer dans le cadre de ce travail?
Quand on parle d'accès à des revenus, il est question aussi de l'accès à des emplois qui offrent une rémunération équitable. Il est donc question d'équité salariale. Il faut également encourager les femmes à diversifier les métiers qu'elles vont exercer afin d'avoir un salaire suffisant et des sources de valorisation.
On peut aussi regarder comment les milieux de travail peuvent aider les femmes à sortir d'un milieu de violence. Le Congrès du travail du Canada a réalisé beaucoup de travail sur le sujet. Au Québec, nous avons une campagne intitulée Milieux de travail alliés contre la violence conjugale, qui invite les employeurs à informer les victimes, à les soutenir, à les accommoder si elles ont besoin de demander de l'aide et de prendre congé, par exemple.
Tout cela fait partie des conditions qui pourraient être facilitantes et qui pourraient lever des obstacles pour les victimes qui tentent de fuir un partenaire violent.
J'aime beaucoup ce que j'entends aujourd'hui. C'est très éclairant.
J'aimerais demander aux témoins si, pour conclure, elles ont quelque chose à ajouter à propos de la prévisibilité, par exemple. J'aimerais qu'elles nous parlent du fait que la prévisibilité peut aider les femmes à se sentir en sécurité et les inciter à quitter un milieu violent.
Cela peut faire tout un changement dans la vie de ces femmes: cela peut leur permettre d'être en sécurité une fois pour toutes. Voilà ce que de tels changements peuvent apporter.
La sécurité, c'est sur plusieurs plans. Nous avons parlé de sécurité financière ainsi que de la sécurité d'échapper à un contrôle coercitif. Or, il y a aussi la sécurité liée au fait de savoir que le message social est lancé haut et fort, qu'il est légitime de s'affirmer et de quitter une relation violente et qu'on recevra le soutien de l'ensemble des acteurs du milieu.
La prévisibilité, en donnant aux femmes de l'assurance pour elles et pour leurs enfants, peut certainement sauver plusieurs vies.
Dans le prolongement de ma dernière série de questions, vous avez indiqué que certaines personnes pensent avoir le droit légitime de recourir à la violence et qu'il nous faut envoyer un message plus catégorique pour signifier que nous ne tolérons pas la violence.
En ce qui concerne l'incarcération des personnes qui ont recours à la violence, je me demande quel est le taux de récidive. Combien de personnes commettent des actes de violence, vont en prison, sortent et récidivent? Est‑ce que nous remédions vraiment à ces comportements en ayant recours au système pénal?
Je n'ai pas de statistiques à ce sujet, mais je dirais que les peines imposées pour violence conjugale relèvent en majorité des juridictions provinciales. Il ne s'agit donc pas de longues incarcérations. Souvent, il est plutôt question de probation ou de remise en liberté conditionnelle.
Pour l'instant, je ne pense pas que ces hommes soient incarcérés en majorité. Il faut donc continuer à chercher des façons de les amener à modifier leurs comportements.
J'aimerais vraiment remercier Mme Arsenault et Mme Riendeau de s'être jointes à nous aujourd'hui. C'était merveilleux de vous avoir dans ce groupe d'expertes.
Je vous demanderais de quitter la réunion, si vous le voulez bien. Il nous reste environ deux minutes pour parler des travaux du Comité. Merci encore une fois de la part de nous tous.
Merci beaucoup à tous. Je sais que c'est vraiment difficile lorsque nous sommes pressés par le temps.
Une personne souhaitant présenter un mémoire a été portée à l'attention de notre greffière. Le seul problème, c'est que cette personne n'est pas en mesure de présenter un mémoire par écrit. Avec toute sa bonne volonté, notre greffière a offert de recevoir le contenu du mémoire par téléphone et de mettre le tout par écrit — transcrit en français et en anglais — afin que nous puissions en avoir une copie.
Je demande l'approbation du Comité.
Des députées: D'accord.
La présidente: Madame la greffière, nous vous autorisons à recevoir ce mémoire.
Merci beaucoup à tout le monde. Je sais que cela a été un peu fou et un peu difficile. Comme vous le savez, notre plage horaire est de 15 h 30 à 17 h 30, et comme il y a d'autres réunions en cours, des votes et tout le reste, nous nous mettrons au travail aussitôt que tout sera terminé. Je sais que nous attendons d'excellents témoins.
Au nom des personnes présentes dans la salle, je vous remercie tous chaleureusement d'être d'excellents membres du Comité.
Nous vous reverrons vendredi. La séance est levée.