[Français]
Je vous souhaite la bienvenue à la 134e réunion du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes.
[Traduction]
J'aimerais rappeler à tous les députés les points suivants: veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
Veuillez lever la main si vous souhaitez prendre la parole. Je surveillerai le temps en conséquence. Je vous ferai signe quand il vous restera 1 minute et quand il vous restera 30 secondes.
Je vous remercie à l'avance de votre coopération.
Conformément à l'article 108 (2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 25 septembre 2024, le Comité poursuit son étude sur la violence et les féminicides fondés sur le sexe à l'égard des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre.
Avant d'accueillir nos témoins, j'aimerais faire une mise en garde. Nous allons discuter d'expériences liées à la violence et aux féminicides, et cela peut déclencher des réactions chez les personnes qui ont vécu des expériences similaires. Si des participants se sentent bouleversés ou ont besoin d'aide, veuillez en informer la greffière à tout moment. Je rappelle à tous les témoins et à tous les députés qu'il s'agit de discussions très difficiles et qu'il est important pour nous tous de faire preuve de la plus grande compassion possible.
Nous accueillons aujourd'hui M. Benjamin Roebuck, ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, du Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels.
Nous accueillons également la sergente Lisa Harris, sous-officière, Division des enquêtes criminelles, du Royal Newfoundland Constabulary.
Nous accueillons aussi par vidéoconférence Erin Griver, coprésidente du Women Abuse Working Group.
Nous allons maintenant commencer par les déclarations préliminaires.
Monsieur Roebuck, vous avez la parole pour un maximum de cinq minutes.
Je vous suis reconnaissant de m'avoir invité et de permettre aux survivantes de partager leurs expériences. Je pense qu'un tel courage exige une réponse de notre part à tous.
Nous sommes sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinabe. Comme nous nous réunissons pendant les 16 jours d'activisme contre la violence fondée sur le sexe, il est important de nous rappeler que cette violence touche de manière disproportionnée les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones, et que cette crise est enracinée dans la violence coloniale et les inégalités systémiques. L'heure est donc à l'action, à la justice et à la réconciliation.
Le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels est un mécanisme de responsabilisation au niveau fédéral qui est déjà en place pour aider les victimes survivantes de violence fondée sur le sexe, ainsi que les familles des femmes et des personnes de diverses identités de genre dont la vie a pris fin en raison de la haine. Nous leur offrons un service direct pour résoudre les plaintes à l'égard des organismes fédéraux liés au système de justice pénale. Nous avons la responsabilité d'aider les décideurs politiques à respecter les obligations du Canada en vertu de la Charte canadienne des droits des victimes, qui est quasi constitutionnelle, et de comprendre les problèmes systémiques qui touchent négativement les victimes survivantes.
J'appuie la proposition du Fonds d'action et d'éducation juridique pour les femmes de créer un poste de commissaire à la violence fondée sur le genre au Canada — et j'ai vu beaucoup d'entre vous à l'activité de lancement — et je demande de meilleures ressources et des mesures législatives pour soutenir notre mandat.
Cette année, nous avons lancé une enquête systémique nationale sur la façon dont les victimes survivantes de violence sexuelle sont traitées dans le système de justice pénale canadien. Nous avons réalisé 80 entrevues avec des victimes survivantes, des consultations avec plus de 200 intervenants, et nous sommes sur le point de terminer 40 tables de consultation virtuelles. Il y a deux semaines, nous avons lancé un sondage en ligne pour les victimes survivantes qui a déjà reçu près de 400 réponses. Nous sommes en train d'acquérir une compréhension globale des lacunes systémiques et des pratiques prometteuses. Ce que nous avons appris jusqu'à présent donne à réfléchir.
Aujourd'hui, je me concentrerai sur trois domaines où le leadership fédéral peut être un moteur de changement.
Premièrement, l'arrêt R. c. Jordan visait à remédier aux délais déraisonnables, mais il a entraîné des conséquences imprévues. Dans certains cas, même si elles disposent de preuves suffisantes, la police ou la Couronne retardent le dépôt d’accusations parce qu'elles veulent que tout soit prêt lorsque le compte à rebours commencera. Cela augmente les risques pour les victimes survivantes et pour la sécurité publique.
De plus, la décision a encouragé l'utilisation de requêtes autorisées devant les tribunaux. Nous avons constaté une augmentation du nombre de requêtes contestant les aides au témoignage et demandant les dossiers de thérapie privés des victimes survivantes. Nous avons entendu parler d'accusations d'agressions sexuelles qui sont traitées comme des voies de fait simples parce que le processus est plus rapide et a plus de chance de mener à une condamnation. Nous avons entendu parler d'accusations graves d'agression sexuelle, notamment contre des femmes et des enfants, qui sont suspendues.
Dans un exemple flagrant, et terrible, une survivante a été agressée sexuellement par son beau-père pendant 8 ans, tandis que sa mère a toléré ce comportement. Les deux parents ont été inculpés. Sa mère a été condamnée à 42 mois de prison. Toutes les accusations portées contre son beau-père, l'agresseur, ont été suspendues, parce que son cas était plus compliqué. Ce n'est pas ce à quoi ressemble la justice.
L'article 278.1 du Code criminel a été adopté pour protéger le droit à la vie privée des victimes survivantes d'agression sexuelle. En 2022, la Cour suprême a confirmé sa constitutionnalité. Elle a également confirmé que les juges doivent tenir compte de l'intérêt de la société à encourager la dénonciation des agressions sexuelles et à ce que les victimes survivantes aient accès à un traitement.
En pratique, cette disposition est devenue un outil pour intimider les victimes survivantes et miner leur crédibilité. Partout au pays, nous avons entendu dire que les assignations à comparaître pour des dossiers de counseling ont augmenté, que cela crée des délais considérés comme acceptables, que les juges hésitent à refuser les demandes dans le cas d'un appel et que les victimes survivantes ne se sentent pas en sécurité pour demander de l'aide en santé mentale au moment où elles en ont le plus besoin. Dans notre sondage, jusqu'à présent, 20 % des victimes survivantes ont déclaré vouloir parler à un conseiller, mais avoir l'impression qu'elles ne pouvaient pas le faire parce que leurs dossiers pouvaient être utilisés en cour. Je crois que 13 % ont dit qu'elles n'avaient pas fait de signalement à la police pour la même raison. C'est la preuve d'un effet dissuasif. Les victimes survivantes ne devraient pas avoir à choisir entre la guérison et la justice.
Les victimes survivantes de violence conjugale et d'agression sexuelle continuent de signaler que leur sécurité n'est pas prise en compte par le système de justice pénale. Lors de notre enquête, une femme nous a dit: « Je ne veux pas être une femme de plus dans un sac mortuaire que les gens regardent en se tordant les mains et en se demandant comment cela a pu arriver. »
Il est temps pour le Canada d'accorder la priorité aux victimes survivantes et à leurs droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne en vertu de l'article 7 de la Charte. Il est temps de renforcer la Charte canadienne des droits des victimes en y incluant des droits exécutoires à l'information, à la participation et à la protection.
Je vous remercie.
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Merci, madame la présidente, mesdames et monsieur les membres du Comité, et distingués invités. Je tiens à vous remercier de me donner l'occasion de m'adresser au Comité sur le sujet crucial et profondément personnel de la violence fondée sur le sexe, et plus particulièrement sur la violence entre partenaires intimes et sur les féminicides.
Je suis la sergente Lisa Harris. Je suis membre du Royal Newfoundland Constabulary, le service de police provincial de Terre-Neuve-et-Labrador. Je travaille au Royal Newfoundland Constabulary depuis près de 20 ans, au cours desquels j'ai eu le privilège de travailler en milieu urbain et rural. J'ai travaillé dans les services de patrouille opérationnelle, en répondant à des appels d'urgence en tant que première intervenante, dans l'unité de lutte contre l'exploitation des enfants sur Internet, dans l'unité de lutte contre la violence faite aux enfants et les agressions sexuelles, et dans l'unité de lutte contre la violence entre partenaires intimes de l'unité des crimes majeurs de la division des enquêtes criminelles. À l'heure actuelle, je supervise toutes ces unités d'enquête en tant que superviseure de la division des enquêtes criminelles. Je gère des enquêtes majeures, notamment sur des homicides.
L'été dernier, mes collègues et moi avons eu l'occasion de parler avec la députée Michelle Ferreri de mes expériences de travail au sein de l'unité de lutte contre la violence entre partenaires intimes. Je tiens à la remercier personnellement de m'avoir donné une tribune pour parler au nom des nombreuses femmes qui ne peuvent pas se défendre, en particulier celles qui ne sont plus parmi nous.
Parmi ces femmes, il y a Cortney Lake, dont je vais vous raconter l'histoire aujourd'hui. Cortney Lake était une mère de 24 ans. En avril 2017, elle a déclaré avoir été agressée par son ancien ami de cœur, Philip Smith.
M. Smith a été arrêté et accusé de voies de fait en mai. Des conditions lui ont été imposées, dont celle de rester loin de Mme Lake et de sa famille, mais le 5 juin 2017, Mme Lake a signalé que M. Smith avait enfreint ces conditions en communiquant avec elle et en se présentant chez elle. Elle a également mentionné que M. Smith avait partagé des images intimes d'elle sans son consentement.
M. Smith a été arrêté de nouveau et accusé d'avoir distribué des images intimes et d'avoir enfreint ses conditions. Il a été libéré le 7 juin 2017.
Moins de 24 heures plus tard, la mère de Mme Lake, Lisa, a signalé la disparition de sa fille. L'enquête a révélé qu'après sa libération, M. Smith a communiqué avec Mme Lake, qui a accepté de le rencontrer pour échanger des effets personnels. Malheureusement, Mme Lake n'a jamais été revue vivante. Lorsque le Royal Newfoundland Constabulary, le RNC, a enquêté sur la disparition de Mme Lake, considérée comme un homicide, M. Smith a été retrouvé sans vie. Sa mort a été jugée non suspecte par la GRC. Il était le seul suspect dans la disparition de Mme Lake. Cortney Lake a disparu quelques heures après que son agresseur a été libéré. On croit qu'elle a été victime d'un homicide.
La mort de Cortney Lake met en évidence les conséquences tragiques qui peuvent se produire lorsque les personnes accusées de violence entre partenaires intimes sont autorisées à rester en liberté sous caution, et que le non-respect des ordonnances judiciaires entraîne peu de conséquences. Son histoire est l'une des nombreuses histoires qui démontrent l'urgence de resserrer les conditions de mise en liberté sous caution pour les personnes accusées de violence entre partenaires intimes.
Dans les cas de violence entre partenaires intimes, où les déséquilibres de pouvoir et de contrôle causent du tort majoritairement aux victimes de sexe féminin, la plupart des services de police retirent à la victime le choix de porter des accusations contre un délinquant. S'il y a des motifs raisonnables et probables de porter une accusation, la police doit agir, que la victime coopère ou non.
L'utilisation de systèmes de surveillance électronique, comme les bracelets portés à la cheville, pour surveiller les délinquants et assurer le respect des ordonnances des tribunaux faciliterait les enquêtes policières, surtout en ce qui concerne le respect des ordonnances des tribunaux. Elles auraient également un effet dissuasif sur les délinquants. De plus, cela enlèverait un fardeau aux victimes, qui pourraient craindre des représailles ou se sentir coupées du processus judiciaire.
Au Canada, nous avons des lois sur le signalement obligatoire des cas de violence faite aux enfants, qui s'appliquent à tout le monde, y compris aux enseignants, aux médecins et aux politiciens. L'Agence de la santé publique du Canada reconnaît que les enfants qui sont témoins de violence familiale subissent les mêmes conséquences émotionnelles et psychologiques que ceux qui sont directement maltraités. Cependant, le public n'est pas sensibilisé aux répercussions de la violence entre partenaires intimes sur ceux qui en sont témoins. Les lois sur la déclaration obligatoire de la violence entre partenaires intimes et une plus grande sensibilisation du public aux préjudices causés aux enfants qui sont témoins de violence sont des domaines qui, à mon avis, nécessitent une attention urgente.
Le Canada oblige déjà les professionnels de la santé à signaler certaines blessures, comme les blessures par balle et par arme blanche. L'étranglement est une forme extrême de coercition et de contrôle. Son utilisation dans une relation entre partenaires intimes est l'un des indicateurs les plus évidents qui mènent à un féminicide par un partenaire intime. La déclaration obligatoire à la police par les établissements de soins de santé d'un étranglement non mortel permettrait aux forces de l'ordre de prendre des mesures pour assurer la sécurité de la victime et la prévention possible d'un féminicide.
Le contrôle coercitif est une forme grave et omniprésente de violence familiale qui a une incidence sur la sécurité, le bien-être et la santé mentale de la victime. Il s'agit d'un modèle de comportement répété utilisé par un agresseur pour établir et maintenir son pouvoir sur la victime, souvent au moyen de tactiques comme l'intimidation, les menaces, la manipulation et l'isolement. Il est alors extrêmement difficile pour les victimes d'échapper au cycle de la violence.
Les effets du contrôle coercitif peuvent être durables et mener souvent à des traumatismes psychologiques graves, à la dépression, à l'anxiété et, dans certains cas, à des préjudices physiques. Ce type de comportement violent n'est pas seulement un incident isolé de violence, mais un effort continu et calculé pour dominer et blesser la victime. L'ajout du contrôle coercitif au Code criminel est nécessaire pour tenir le délinquant responsable de ses actes et protéger la victime contre d'autres préjudices.
Pour être claire, je crois que des conditions de mise en liberté sous caution plus strictes, la mise en œuvre du signalement obligatoire de la violence entre partenaires intimes et de l'étranglement, et la criminalisation du contrôle coercitif sont essentielles pour améliorer la protection des victimes et tenir les agresseurs responsables de leurs actes. Ces mesures reconnaissent la nature insidieuse et souvent invisible de la violence entre partenaires intimes, y compris la violence psychologique et l'escalade dangereuse de la violence physique. Ensemble, ces mesures créeraient un cadre juridique plus solide qui accorderait la priorité à la sécurité des victimes, favoriserait une intervention précoce et garantirait que les auteurs de violence entre partenaires intimes soient traduits en justice, ce qui aiderait à briser le cycle de la violence et à prévenir d'autres préjudices.
Je vous remercie.
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Merci et bonjour. Je tiens à vous remercier de votre temps et de votre invitation à témoigner aujourd'hui.
Je m'appelle Erin Griver et je travaille dans le domaine de la violence fondée sur le sexe, de la violence entre partenaires intimes et de la violence faite aux femmes depuis 30 ans. Je suis la directrice de la Inasmuch House, le premier refuge pour femmes à ouvrir ses portes au Canada. Nous sommes un refuge de 40 lits pour les femmes et les enfants. Je suis également coprésidente du Woman Abuse Working Group à Hamilton, également appelé le WAWG.
Le WAWG est un comité de coordination de la lutte contre la violence faite aux femmes qui est composé d'organismes et de spécialistes du domaine bien déterminés à soutenir les survivantes de la violence fondée sur le sexe, de la violence entre partenaires intimes et de la violence sexuelle dans la ville de Hamilton.
Le WAWG est la seule table multisectorielle qui se concentre sur la violence fondée sur le sexe et la violence entre partenaires intimes à Hamilton, et il possède l'expérience et l'expertise nécessaires pour stimuler le changement. Cette table existe depuis 30 ans.
Le féminicide désigne le meurtre intentionnel d'une femme, d'une fille ou d'une personne d'une autre identité de genre par un homme. Les auteurs les plus courants de féminicides sont des hommes qui sont soit le partenaire intime actuel ou ancien d'une femme, soit un membre de la famille, soit une personne qu'elle connaît.
On parle de la violence fondée sur le sexe comme d'une pandémie fantôme. Peu de gens se rendent compte de l'ampleur du problème, car ce sont des histoires qui retiennent rarement l'attention, si ce n'est au niveau local. Les femmes, les filles, les personnes de diverses identités de genre et les femmes handicapées, autochtones, noires et 2ELGBTQ+ sont plus à risque de subir des niveaux disproportionnés de violence fondée sur le sexe.
Chaque vie perdue à cause d'un féminicide laisse un vide dans nos communautés. Nous honorons la mémoire de ces vies et nous nous engageons à apporter des changements pour prévenir de futurs féminicides. Nommer le problème comme étant la violence des hommes fait partie des changements que nous devons apporter comme société. Nous ne pouvons pas changer ce que nous sommes incapables de nommer. Derrière chaque féminicide se cache un très grand nombre de survivantes qui ne sont pas en sécurité dans leur foyer, leur lieu de travail et leur collectivité. Nous pouvons en faire plus pour leur tendre la main et les soutenir. Nous pouvons conscientiser leurs partenaires intimes, les membres de leur famille, leurs amis, leurs collègues et leurs connaissances afin de mettre fin à la violence.
Il n'y a pas, ni en Ontario ni au Canada, d'engagement lié à la prévention. Depuis 20 ans, les examens des décès par homicide conjugal donnent lieu à des recommandations qui peuvent nous faire progresser vers la prévention. Il est temps d'examiner nos progrès et d'investir dans les données probantes pour obtenir de meilleurs rendements sociaux.
Pour ce faire, nous pouvons nous appuyer sur des réussites. Il y a dans chaque collectivité des spécialistes et des défenseurs des droits qui sont prêts à aider. La plupart des féminicides sont évitables. Des signes avant-coureurs clairs et des indicateurs de risque croissant sont présents dans 99 % des cas. Nous pouvons prendre des mesures pour réduire les risques avant qu'ils ne s'aggravent. Le Comité d'étude sur les décès dus à la violence familiale de l'Ontario peut nous fournir des preuves solides et des recommandations pour nous guider. Nous vous demandons de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour protéger tous les citoyens contre la violence fondée sur le sexe. Votre influence et...
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À l'heure actuelle, il n'y a aucun engagement en matière de prévention en Ontario ni dans le reste du Canada d'ailleurs. Depuis 20 ans, l'examen des cas d'homicides en milieu familial nous permet de formuler différentes recommandations en matière de prévention. Il est temps d'évaluer les progrès accomplis et d'investir dans la recherche pour obtenir de meilleurs résultats. Nous pouvons également compter sur l'aide de différents professionnels et intervenants au sein de chaque collectivité.
La plupart des féminicides pourraient être évités. Pour preuve, on observe des signes avant-coureurs clairs et des indicateurs de risque croissant dans 99 % des cas. Nous pouvons prendre des mesures pour réduire les risques avant qu'ils ne s'aggravent. Le Comité d’examen des décès dus à la violence familiale de l’Ontario fournit des preuves solides, ainsi que des recommandations.
Nous vous demandons de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour protéger tous les citoyens contre la violence fondée sur le sexe. Votre influence et votre leadership peuvent nous aider à préparer une réponse communautaire efficace. Nous avons besoin de votre engagement à prioriser la mise en place de mesures de prévention.
Jusqu'à présent, en 2024, l'on a constaté 59 cas confirmés de féminicides en Ontario. Nous avons besoin que vous reconnaissiez l'urgence de nous aider à progresser vers la prévention et, en même temps, à augmenter le financement pour stabiliser les services offerts aux survivantes et à leurs familles. Des fonds de plus de 100 millions de dollars ont été investis pour essayer de réduire l'engorgement des tribunaux depuis 2021, mais même une somme aussi colossale ne semble pas avoir fait la moindre différence.
Nous continuons d'aborder la question du mauvais bout de la lorgnette. En effet, il n'y aura jamais assez d'argent dans le monde pour réduire l'arriéré alors que notre seule réponse à la violence est après coup. L'équation est simple: le fait d'intervenir plus tôt permet de réduire les risques et de prévenir l'escalade de la violence, permettant par le fait même de désengorger le système judiciaire.
Pour changer la situation actuelle, il faut des investissements stratégiques et à long terme dans la prévention qui englobent le logement abordable et la pauvreté. Pour cela, nous avons besoin de nous doter d'une vision et d'un leadership collectif à tous les niveaux du système.
Le rapport final de 2019 concernant l'enquête nationale indépendante sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées présente une vision et un cadre qui nous guide vers des politiques de transformation. La violence fondée sur le sexe et la violence contre les femmes prennent racine dans l'inégalité entre les sexes, l'abus de pouvoir, et les stéréotypes néfastes. Le rapport fait référence à des actes préjudiciables dirigés contre une personne en fonction de son sexe. La violence fondée sur le sexe touche de façon disproportionnée les femmes et les filles, et en particulier les femmes marginalisées et autochtones, ainsi que les personnes bispirituelles, transgenres et non binaires.
Il est important de regarder la réalité en face les graves problèmes auxquels font face nos communautés. Au Canada, 44 % des femmes ont déclaré avoir été victimes de violence entre partenaires intimes au cours de leur vie. C'est ce que dit Statistique Canada en 2021. Chaque nuit, au Canada, 3 491 femmes et 2 724 enfants dorment dans des refuges afin d'échapper à la violence familiale. Tous les six jours environ, une femme au Canada est tuée par son partenaire intime. Les femmes et les filles autochtones sont douze fois plus susceptibles d'être assassinées ou portées disparues que toute autre femme au Canada, et seize fois plus susceptibles que les femmes blanches.
La violence faite aux femmes s'infiltre dans toutes les couches de la société: nos écoles, nos milieux de travail, nos communautés, et ainsi de suite. La Ville de Hamilton a été la 34e municipalité en Ontario à déclarer que la violence entre partenaires intimes et la violence fondée sur le sexe étaient une épidémie. Aujourd'hui, plus de 95 municipalités et comtés ont déclaré que la violence fondée sur le sexe et la violence entre partenaires intimes constituent un véritable fléau en Ontario. Hamilton a fait preuve d'un engagement profond à l'égard de ce travail, non seulement en faisant cette déclaration, mais aussi en acceptant d'élaborer des recommandations avec le Woman Abuse Working Group, ou WAWG, qui permettront de lutter davantage contre la violence fondée sur le sexe et la violence entre partenaires intimes.
Comme en témoigne le « Portrait 2023 » du WAWG , qui présente les statistiques recueillies par plus de 20 organismes membres, la violence fondée sur le sexe et la violence entre partenaires intimes représentent des enjeux majeurs auxquels il faut s'attaquer d'urgence. Pour l'année 2023 seulement, l'on a recensé 5 993 appels à des services d'écoute mis en place par les refuges, 1 735 appels à la ligne de soutien en cas de crise gérée par les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle, ainsi que 1 130 appels de femmes et d'enfants qui ont accédé à un refuge. Fait plus troublant, plus de 5 644 demandes d'accès à un refuge pour femmes victimes de violence ont été refusées en raison d'une pénurie de lits. On parle d'une liste d'attente de six mois pour recevoir des services de consultation offerts par les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle, ou pour accéder à d'autres types de services et de programmes de soutien.
Ces statistiques ne représentent que les personnes qui ont effectué les démarches pour accéder à différents services. Comme nous le savons, le signalement de la violence entre partenaires intimes et de la violence sexuelle est largement sous-déclaré pour des raisons qui comprennent la crainte à l'endroit des forces policières, l'intervention du système judiciaire, le manque de confiance dans le système de justice pénale, et la honte qui va de pair avec la stigmatisation. On ne peut qu'imaginer le nombre de personnes qui sont victimes de violence et qui ont désespérément besoin de soutien.
Les femmes racisées, les réfugiées, les immigrantes, les travailleuses du sexe, ainsi que les membres de la communauté 2ELGBTQI+ sont affectés de manière disproportionnée. Les femmes vivant en milieu rural à Hamilton sont également touchées. Même si 43 % de la Ville de Hamilton est considérée comme une zone rurale, une grande partie des ressources ne sont accessibles que dans les zones urbaines, ce qui crée de nombreux obstacles pour les femmes victimes de violence afin qu'elles aient accès à des soutiens clés, ce qui améliorerait leur sécurité.
La violence fondée sur le sexe et la violence entre partenaires intimes recoupent de nombreuses autres expériences, ce qui oblige la Ville de Hamilton à fournir un soutien supplémentaire aux groupes en quête d'équité, y compris les femmes en situation d'itinérance, qui vivent dans des campements et qui ont besoin de soutien supplémentaire, notamment sur le plan de la santé mentale. Les connaissances et l'expérience qui sont représentées dans le secteur sont essentielles, à l'avenir, pour faire face aux risques réels, pour déterminer les priorités en matière de prévention et pour trouver des solutions concrètes qui ne laissent personne de côté. Nous devons travailler en étroite collaboration avec les organismes qui se consacrent depuis longtemps aux femmes et aux personnes de diverses identités de genre qui ont été victimes de violence.
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Monsieur Roebuck, je vous mets un peu au défi sur ce point, car je pense que la question devient partisane lorsque la politique ne protège pas les victimes. Je pense que les petits calculs partisans et le dogmatisme idéologique empêchent les victimes de faire respecter leurs droits.
Le libellé du projet de loi , qui figure maintenant dans le Code criminel à l'article 493.1, stipule ce qui suit: « Dans toute décision prise au titre de la présente partie, l’agent de la paix, le juge de paix ou le juge cherchent en premier lieu à mettre en liberté le prévenu à la première occasion raisonnable et aux conditions les moins sévères possible dans les circonstances. ». Une partie du projet de loi figure désormais dans le Code criminel, ce qui signifie que les juges seront tenus d'imposer le moins grand nombre de conditions possible, ainsi que des conditions les moins coûteuses qui soient.
Monsieur Roebuck, j'aimerais revenir sur l'une de vos déclarations, et je cite:
Cependant, la violence associée au trafic de drogue et aux armes à feu cause un préjudice important à la population canadienne. De nombreuses victimes d’actes criminels se sont prononcées en faveur de peines minimales obligatoires parce qu’elles entraînent des conséquences importantes. De plus, comme il n’est pas rare que victimes et délinquants se connaissent et vivent dans les mêmes communautés, le soutien en faveur de peines plus longues est une question de sécurité personnelle.
Le projet de loi , tel qu'il est conçu actuellement, empêche les victimes d'obtenir la justice qu'elles souhaitent, parce que, selon le récit de Mme Harris, les criminels sont libérés trop tôt. Monsieur Roebuck, pensez-vous que l'article 493.1 doit être modifié?
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Je disais que nous sommes en plein cœur des Journées d'action contre la violence faite aux femmes, qui ont commencé le 25 novembre et qui culmineront le 6 décembre prochain, au Québec.
Nous sommes vraiment dans un moment de réflexion. Lundi, au début de ces journées, toutes sortes de pistes de solution ont été lancées pour faire face à cette épidémie de féminicides. On peut parler d'épidémie, comme l'ont d'ailleurs reconnu plusieurs villes.
Je vais commencer par vous, monsieur Roebuck. Vous avez parlé de quelque chose qui me tient particulièrement à cœur en ce moment, soit l'arrêt Jordan. Le 30 mai dernier, mon collègue , député de Longueil—St‑Hubert, a déposé un projet de loi pour faire en sorte que les auteurs de crimes envers les femmes ne puissent pas échapper à la justice à cause de l'arrêt Jordan ou de retards de procédures.
Avez-vous eu l'occasion d'examiner ce projet de loi, ou en avez-vous entendu parler? Sinon, voulez-vous revenir sur l'importance et les liens entre l'arrêt Jordan et le fait que trop de criminels s'en sortent à cause des retards pour différentes raisons. On y reviendra.
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J'ai entendu parler de cela, mais je n'ai pas examiné la question de façon approfondie.
À titre de policière, je peux voir que l'arrêt Jordan a visiblement eu des conséquences importantes dans tous les domaines d'enquête. Je me souviens de l'époque où je travaillais dans le Groupe de la lutte contre l'exploitation des enfants dans Internet, ou GLEEI, et que j'enquêtais sur certains des crimes les plus graves commis à l'encontre des personnes les plus vulnérables de la société, et je me souviens aussi des retards qu'entraînait le dépôt d'une accusation par crainte des implications liées à l'arrêt Jordan. C'était une notion assez nouvelle à l'époque.
Du point de vue des services de police, une enquête sur un homicide a récemment été suspendue, à Terre-Neuve, en raison de retards liés à l'arrêt Jordan. Aujourd'hui, nous avons obtenu un verdict de culpabilité pour un entraîneur de patinage qui a commis des crimes sexuels contre de jeunes patineurs. On craignait des retards liés à l'arrêt Jordan dans cette affaire.
Il s'agit certainement d'une préoccupation majeure pour les services de police.
Le deuxième point que je veux aborder concerne la violence au sein du système judiciaire.
Nous nous tournons souvent vers le système judiciaire pour résoudre les problèmes liés à la violence. Cependant — et surtout lorsqu'il s'agit des peuples autochtones —, le système judiciaire perpétue la violence. J'aimerais rapidement vous lire un extrait d'un texte sur Kinew James, qui était incarcérée. Une partie de ce qui suit provient de sa famille.
Voici le texte:
La famille de Kinew James espère que l'enquête sur sa mort tiendra compte de tout ce qui a trait au traitement qui lui a été réservé pendant les quelque 15 années qu'elle a passées dans les établissements correctionnels du Canada.
Kinew James est décédée d'une attaque cardiaque apparente en 2013 alors qu'elle était détenue au Centre psychiatrique régional de Saskatoon.
Une enquête sur sa mort a débuté lundi…
Ensuite, il est question des évènements antérieurs. Je vais vous lire cette partie.
La voici:
Avant ce jour de janvier, elle souffrait de plusieurs troubles de santé, notamment d'obésité, de diabète de type 2 et d'hypercholestérolémie.
Son frère, Cecil James, a déclaré qu'il ne s'agissait pas de problèmes de santé préexistants lorsqu'elle a été condamnée pour homicide involontaire près de 15 ans plus tôt.
Cecil a également déclaré que les traitements subis par sa sœur en prison — plus précisément le temps qu'elle a passé en isolement, loin des autres détenues — doivent être pris en compte.
En 2013, la famille de Kinew a déclaré qu'elle s'était plainte de douleurs à la poitrine dans les jours précédant son décès. Des détenues des cellules voisines ont également affirmé que le personnel n'avait pas tenu compte de ses appels.
Une enquête sur sa mort a déjà révélé qu'un membre du personnel infirmier avait mis trop de temps à déclencher un code bleu après l'avoir trouvée inerte dans sa cellule.
Kinew approchait de la fin d'une peine de 15 ans pour homicide involontaire lorsqu'elle a été transférée à Saskatoon. Âgée de 35 ans, elle avait été transférée de l'Établissement pour femmes de Grand Valley, en Ontario, après avoir révélé que des gardiens faisaient entrer clandestinement des marchandises en échange de faveurs sexuelles.
Il s'agit ici de violence sexuelle. J'ai abordé le sujet parce que je suis préoccupée par la représentation erronée des prisons comme étant des endroits « luxueux », alors que nous savons qu'il y a beaucoup de violence sexuelle en milieu carcéral. Cela me préoccupe d'autant plus que l'incarcération de nombreuses femmes est une conséquence indirecte de la violence qu'elles subissent de la part de leur partenaire intime. Elles font certains choix pour éviter la violence et finissent par être incarcérées.
Je sais que la Société Elizabeth Fry a publié un rapport. À l'heure actuelle, au Manitoba, 85 % des personnes incarcérées sont des Autochtones. Des femmes qui ont subi la violence fondée sur le sexe toute leur vie sont maintenant incarcérées dans des lieux où les systèmes en place perpétuent la violence fondée sur le sexe.
Que fait‑on à ce sujet? J'ai l'impression que nous n'en parlons pas.
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Nous pensons qu'il existe une corrélation directe entre les logements sécuritaires et abordables et la prévention des féminicides.
Comme vous le savez probablement, tous nos systèmes de refuges sont débordés. Notre refuge a 40 places, mais tous les jours, nous avons de 45 à 50 personnes dans le refuge et ailleurs à Hamilton. Ces dernières années, seulement à Inasmuch, nous avons refusé plus de 5 000 demandes de femmes qui avaient besoin d'une place, et il ne s'agit que d'un seul refuge. Vous pouvez donc multiplier ce chiffre par le nombre de refuges à l'échelle du pays.
Lorsque j'ai commencé à travailler dans ce domaine, il y a 30 ans, les femmes qui entraient dans un refuge avaient six semaines pour trouver un logement sécuritaire et abordable. Souvent, elles y arrivaient. Aujourd'hui, nous constatons que les femmes restent de huit mois à un an dans un refuge parce qu'elles n'ont pas accès à un logement sûr et abordable. Cela crée un arriéré, car des femmes qui ont besoin d'être hébergées pour des raisons de sécurité ne sont pas en mesure d'avoir une place, car nous avons des femmes qui, auparavant, auraient déjà fait la transition vers un logement sûr et abordable, mais qui doivent maintenant rester plus longtemps dans les refuges.
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C'est une des recommandations que j'aimerais voir dans le rapport issu de cette étude: une augmentation du financement de votre bureau.
Je vous ai rencontré pour la première fois afin de parler de l’article 278.1. Je sais que vous êtes en faveur d’un changement, tout comme moi. Nous avons beaucoup parlé de l'arrêt Jordan. Ma collègue a lu une disposition du projet de loi . Ce sont tous des arrêts de la Cour suprême.
Vous avez dit que vous n’étiez pas en faveur de la clause dérogatoire. En ce qui concerne l'arrêt Jordan, le gouvernement a essayé de le faire annuler et la Cour suprême l'a en quelque sorte débouté.
Si nous n’utilisons pas la clause dérogatoire, êtes-vous en train de dire que le gouvernement devrait retourner devant la Cour suprême en mettant l’accent sur l’article 7?
Je me demande simplement comment vous pensez que nous pouvons composer avec les arrêts de la Cour suprême qui rendent les choses difficiles, voire plus que difficiles: des femmes perdent la vie, notamment à cause de l'arrêt Jordan.
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Merci, madame la présidente.
Encore une fois, je vous remercie beaucoup, monsieur Roebuck et madame Harris, de vos témoignages d'aujourd'hui.
C'est mon dernier tour de questions, et je vais m'adresser à Mme Griver.
Dans vos remarques préliminaires, vous avez parlé des refuges qui viennent en aide aux femmes victimes de violence. Vous connaissez bien cela.
Lundi, c'était le début des Journées d'action contre la violence faite aux femmes, et j'écoutais un reportage qui soulignait l'importance cruciale de l'accès au logement pour sortir une victime du cycle de violence, que ce soit de façon préventive ou réactive. Si une femme n'a pas la possibilité de trouver un logement social et abordable avant de mettre fin à une relation, elle ne pourra pas reprendre le contrôle de sa situation. Il lui faut un logement. C'est crucial. Les frais de logement représentent d'ailleurs la plus grande partie d'un budget.
Le manque de logements nuit aussi au système puisque des femmes hébergées dans un refuge d'urgence sont prêtes à passer à une maison de deuxième étape, mais elles doivent rester au refuge, parce qu'il n'y a pas de place. Cela fait que les refuges d'urgence ne peuvent pas offrir ces places à d'autres femmes qui auraient besoin d'y être logées. En ce moment, on parle de beaucoup de choses, mais il ne faut pas oublier qu'il faut investir non seulement dans les refuges, mais aussi dans le logement social et communautaire en général.
Qu'avez-vous à dire à ce sujet?