:
Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à la 132e réunion du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes.
Je souhaite tout d'abord rappeler quelques points à tous les députés. Avant de prendre la parole, attendez que je vous nomme, et veuillez poser vos questions par l'intermédiaire de la présidence.
Nous vous remercions tous à l'avance pour votre coopération.
Conformément à l’article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 25 septembre 2024, le Comité reprend son étude sur la violence et les féminicides fondés sur le sexe à l'égard des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre.
Avant de vous présenter les témoins, je dois vous avertir que le sujet de notre étude est très délicat. Nous allons discuter de féminicides et d'expériences vécues liées à la violence. Cela peut constituer un déclencheur pour des personnes qui ont vécu des expériences similaires. Nous invitons tous les participants, les députés et les membres du personnel qui se sentiraient bouleversés, de bien vouloir en aviser la greffière.
Comme il s'agit d'un sujet particulièrement difficile, il nous incombe à tous d'être aussi compatissants que possible.
Nous avons le plaisir d'accueillir, à titre personnel, Mme Esther Uhlman.
[Français]
De l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues, nous accueillons l'honorable Pierre‑Hugues Boisvenu, administrateur et ancien sénateur.
[Traduction]
Nous avons également le plaisir d'accueillir Mme Valérie Auger-Voyer, coordonnatrice des efforts de revendication, Association canadienne contre la violence.
Nous allons à présent commencer par les déclarations préliminaires.
Madame Uhlman, à vous la parole pour les cinq prochaines minutes, je vous prie.
Bonjour à tous, je m'appelle Esther Uhlman. Je vous remercie de m'avoir invitée et d'avoir pris le temps d'écouter mon récit familial.
Je suis ici pour parler de ma tante et homonyme, Esther Jones, qui pour moi a toujours été tante Esthie.
Tante Esthie était la neuvième d'une famille de 15 enfants. Grandir au sein d'une famille nombreuse a fait de tante Esthie une personne pleine d'entrain et d'attention. Enfant, je me souviens de l'avoir suivie partout, essayant de ressembler à ma tante, avec qui je partageais mon nom. Elle avait toujours des sacs de bonbons à portée de main pour offrir des friandises à ses élèves et à ses nombreux neveux et nièces. Elle était passionnée par la famille, la foi, les droits des animaux et la musique. Elle a obtenu son diplôme de premier cycle en musique et espérait poursuivre sa maîtrise, mais cette opportunité lui a été volée.
Le 31 août, tous les espoirs, les rêves et l'avenir potentiel de tante Esthie lui ont été volés. Ma tante a été victime d'un homicide brutal.
Le dernier jour de tante Esthie a été consacré à vivre simplement sa vie. Elle espérait continuer à faire ce qu'elle aimait : donner des leçons de piano. Elle s'efforçait de garder les choses aussi normales que possible, tout en faisant face à la perte de sa mère, décédée quelques semaines auparavant. Tante Esthie est entrée dans son studio de piano dans l'après-midi. C'est là qu'elle a été vue pour la dernière fois. La police a confirmé qu'elle avait été tuée dans la nuit du 31 août. Sa dépouille n'a pas été retrouvée. Le voyage terrestre de tante Esthie s'est achevé la nuit du 31 août, mais le voyage de ma famille ne faisait que commencer.
Le 2 septembre, toute ma famille s'est réunie, réalisant que personne n'avait parlé à tante Esthie depuis samedi. Tante Mary a signalé la disparition de la tante Esthie. Le 4 septembre, le véhicule de tante Esthie a été localisé près du lieu où elle se trouvait pour la dernière fois. La section des crimes graves de la GRC a repris l'enquête et, le 11 septembre, a procédé à l'arrestation de Dale Allen Toole dans le comté d'Annapolis. M. Toole a ensuite été accusé de meurtre au premier degré en rapport avec la disparition de tante Esthie.
Les émotions déchirantes que ma famille et moi-même avons ressenties au cours des semaines qui ont suivi la disparition de tante Esthie sont inexplicables. Il y avait un sentiment d'urgence, de stress et de culpabilité, mais aussi une préparation inconsciente au pire des scénarios. Dès le début, beaucoup d'entre nous ont eu l'intuition que cela ne se terminerait pas bien, mais nous nous sentions coupables de ne pas avoir gardé espoir. Inconsciemment, je n'ai pas pu garder espoir parce que je devais me préparer à ce qui était devenu la réalité de ma famille. Notre proche a été victime d'un homicide, et nous vivrons avec cela pour toujours.
Lorsque ma famille a appris que ma tante Esthie avait été assassinée, j'ai promis à mes parents de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour éviter que cela n'arrive à une autre famille innocente. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour protéger les femmes innocentes comme ma tante.
Le meurtrier présumé de ma tante n'en était pas à sa première infraction grave. Il y a tout juste deux ans, l'accusé a été condamné, pour un autre crime violent non provoqué contre une autre femme. Cette fois, la victime était sa propre petite sœur. Il a été reconnu coupable de strangulation et de voies de fait causant des lésions corporelles. Or, le coupable n'a jamais été incarcéré; il a pu bénéficier d'une condamnation avec sursis, assortie d'un couvre-feu et d'une courte période de probation.
Je n'ai jamais vu de preuve que cette peine inadéquate ait permis de réformer ou de réhabiliter M. Toole. Au contraire, le contrevenant a été libéré et est maintenant accusé d'avoir tué ma tante.
Le meurtrier présumé de tante Esthie a été libéré grâce à une loi sur la criminalité qui a donné la priorité aux besoins de M. Toole par rapport à ceux de sa victime. Des mesures législatives comme le projet de loi ont eu pour effet d'abolir les peines minimales obligatoires pour certains crimes violents. En l'absence de peines minimales obligatoires, M. Toole n'a pas été condamné à une peine d'emprisonnement et n'a pas fait l'objet d'une surveillance appropriée.
À cause de notre système judiciaire défectueux, ma tante est morte. Les actes ont des conséquences. Les parrains du projet de loi avaient peut-être les meilleures intentions, mais cela n'a pas protégé les innocents. Ma tante Esthie est morte à cause de ce type de lois favorisant les délinquants au profit des victimes.
Je suis ici pour exiger des changements pour les victimes passées et futures. Je n'ai pas besoin de votre sympathie. Ne me dites pas que vous êtes désolé pour ma perte si vous n'êtes pas prêt à prioriser la protection des victimes à l'avenir.
Je vous remercie d'avoir pris le temps d'écouter mon récit familial. J'espère que mon témoignage saura vous aider à mettre en place des politiques visant à protéger les femmes innocentes contre le type de violence indicible dont ma famille a été victime.
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Je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui.
L'Association des familles de personnes assassinées ou disparues a été créée en 2004. Elle compte aujourd'hui 750 familles dont un proche a été assassiné ou a disparu dans une affaire criminelle. L'Association a été créée par quatre pères de famille dont les filles ont été assassinées, pour que la violence faite aux femmes soit une affaire d'hommes.
Aujourd'hui, je suis la voix de milliers de femmes négligées dans notre système de justice. Je suis aussi la voix de milliers de policiers et d'agents correctionnels qui ne se reconnaissent plus dans notre système de sécurité publique devenu laxiste et où seuls les criminels sont au cœur des décisions, au détriment des personnes qui travaillent fort pour contrer la violence.
Vous savez combien la sécurité de toutes les Canadiennes est au cœur de ma mission de vie depuis plus de 22 ans, soit depuis l'assassinat de ma fille Julie par un récidiviste qui sortait de prison. Pendant toutes ces années, j'ai eu comme priorité de sensibiliser les élus, partout au Canada, à ce fléau qu'est la violence faite aux femmes et, trop souvent, à leurs enfants. Mon expérience de 14 ans passés au Sénat m'a convaincu que cette démarche de sensibilisation est la seule voie pour opérer des changements législatifs qui assureront une meilleure sécurité pour les femmes dans nos communautés.
Comme je l'ai mentionné dans mon discours de départ du Sénat, en février dernier, des pas ont été faits dans ce sens. Mentionnons, entre autres, l'adoption de la Charte canadienne des droits des victimes, laquelle reconnaît des droits fondamentaux aux victimes, notamment le droit à la protection. Malgré cela, entre 2018 et 2022, le nombre de femmes assassinées au Canada a connu une augmentation de 60 %, passant de 118 en 2019 à 184 en 2022. C'est autant de femmes assassinées qu'en France, dont la population est pourtant le double de celle du Canada.
Comment expliquer que les femmes doivent, en 2024, déployer autant d'énergie pour être entendues, comprises et protégées? Comment expliquer que mon projet de loi, le projet de loi , qui vise à imposer le bracelet électronique aux hommes violents remis en liberté et à les obliger à suivre une thérapie pour réduire la récidive de gestes violents, ait été charcuté ici, à la Chambre des communes? Pourtant, ce projet de loi était le minimum que des milliers de femmes demandaient au Parlement du Canada depuis des années. Il a été appuyé sans réserve par tous les ministres de la Justice des provinces canadiennes, par les groupes des Premières Nations, par la Fédération des maisons d'hébergement pour femmes et par des thérapeutes.
Je ne m'explique pas pourquoi, en 2024, alors qu'il existe des outils modernes et efficaces pour assurer la sécurité des femmes, il est encore si difficile de convaincre les législateurs du pays d'agir en ce sens. À titre d'exemple, je travaille depuis quelques années avec une entreprise et une centaine de femmes au Québec afin d'assurer leur sécurité, parce qu'elles ont reçu des menaces de mort et des menaces d'agression. Ce système fonctionne: les femmes se sentent en sécurité et certaines d'entre elles ont pu sonner l'alarme pour éviter d'être agressées. Les dépenses liées à ce système de sécurité leur sont même remboursées par le gouvernement du Québec. Ce qui est incohérent, c'est qu'on ne veut pas officiellement le reconnaître, ce qui amplifierait sans doute son utilisation et assurerait la sécurité de beaucoup plus de femmes.
Je vais vous donner un autre exemple récent qui démontre qu'on protège mal les femmes au Canada. Il y a 10 jours, à Candiac, une femme de 27 ans, une chercheuse émérite en ingénierie, a été assassinée par son conjoint. Celui-ci avait des antécédents de violence, il était en attente de procès et il était de retour devant la cour parce qu'il avait fait des menaces de mort à sa conjointe. Il a été libéré par la cour et, une heure plus tard, il a assassiné sa femme. Pourtant, l'an dernier, vous avez adopté le projet de loi , qui autorise la justice à imposer le port du bracelet électronique en pareil cas, ce qui aurait sauvé la vie de cette femme. Pourquoi la cour est-elle demeurée aussi passive?
Malgré ces changements législatifs importants, je constate que ceux-ci sont difficiles à mettre en place. Quand il est question de la sécurité des femmes victimes, nous continuons à agir aujourd'hui comme nous le faisions il y a 20 ans, en croyant qu'une simple dénonciation à la police est suffisante pour mettre les femmes en sécurité. La réalité est tout autre, et les agresseurs le savent. Quand on renvoie jusqu'à 40 % des agresseurs dans leur salon pour y purger leur peine, savez-vous quelle est la conséquence la plus grave? C'est le désengagement des policiers.
Ce désengagement est la pire menace pour la sécurité des femmes, parce que le projet de loi a banalisé la violence faite aux femmes. Quel gain pour elles, n'est-ce pas?
Il faut donc que ce Parlement ou le prochain soit plus sévère si la société veut agir contre la violence faite aux femmes, entre autres, en modifiant le projet de loi , qui est en contradiction totale avec les efforts fournis par la plupart des provinces du Canada pour prévenir toute forme de violence faite aux femmes. Il faut durcir le Code criminel en ce qui concerne les féminicides. Aujourd'hui, dans pareille situation, l'assassin peut être libéré après quatre ou cinq ans de détention. J'ai d'ailleurs déposé au Sénat le projet de loi , qui va en ce sens, et j'espère qu'il sera étudié bientôt.
Comme vous le constatez, ce ne sont pas que nos lois qui protégeront les femmes, c'est notre système de justice qui doit les faire appliquer.
Je vous remercie et suis prêt à répondre à vos questions.
Je m'appelle Valérie Auger-Voyer, et je suis la coordonnatrice des efforts de revendication au sein de l'Association canadienne contre la violence. Nous sommes un organisme national qui travaille en collaboration avec nos membres sur le terrain afin d'offrir une voix pancanadienne unifiée sur la question des violences sexuelles. Nos membres sont des réseaux provinciaux et territoriaux de centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle, ainsi que plusieurs autres organismes de lutte contre la violence fondée sur le sexe.
Je suis ici pour vous parler du rôle important que joue la violence sexuelle dans les féminicides, et des meilleurs moyens de s'y attaquer.
Les débats sur les féminicides portent traditionnellement sur la violence entre partenaires intimes, mais la violence sexuelle et le féminicide sont profondément liés, qu'il s'agisse de féminicides commis par des partenaires intimes ou non. En fait, la violence sexuelle est reconnue comme un indicateur et un facteur de risque de féminicide.
Les femmes qui subissent des violences sexuelles dans le cadre d'une relation avec un partenaire intime font état d'un nombre nettement plus élevé de facteurs de risque de féminicide, ainsi que de menaces de mort. Dans les cas où les auteurs ne sont pas des partenaires intimes et où il s'agit de violences sexuelles, les jeunes femmes et les travailleuses du sexe sont particulièrement vulnérables.
Les lacunes dans la collecte de données limitent notre capacité à saisir pleinement le rôle de la violence sexuelle et du féminicide. L'Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation a souligné la nécessité de disposer de davantage de données sur la prévalence et les caractéristiques de la violence sexuelle dans les cas de féminicides.
Nous savons que la violence fondée sur le genre et les féminicides découlent des mêmes inégalités structurelles qui rendent certains groupes disproportionnellement vulnérables à la violence sexuelle. Nous pensons notamment aux femmes et aux filles autochtones assassinées ou portées disparues, aux travailleuses du sexe, aux jeunes femmes, aux membres de la communauté 2ELGBTQIA+, ainsi qu'aux femmes handicapées, qui sont toutes confrontées à des risques de violence plus élevés.
Par conséquent, toute discussion politique, toute collecte de données et toute solution doivent commencer par une définition large et inclusive du féminicide, qui rende compte non seulement de l'acte mortel, mais aussi de la dynamique du pouvoir en jeu, ainsi que des disparités et des conditions sous-jacentes qui le favorisent. Une définition doit également être inclusive et refléter les personnes les plus à risque, y compris les personnes de sexe différent.
En ce qui concerne les réponses aux violences sexuelles, nous savons que les réponses carcérales ne fonctionnent pas pour la plupart des survivants. Le fait que seulement 6 % des agressions sexuelles soient signalées à la police signifie que la plupart des victimes ne se tournent pas vers le système de justice pénale, et celles qui le font se sentent souvent revictimisées. Par ailleurs, les personnes appartenant à des groupes marginalisés tendent à être surreprésentées au sein du système judiciaire, ce qui renforce les inégalités et contribue à l'émergence des violences à caractère sexuel. Il s'agit donc d'un énorme cercle vicieux.
En revanche, nous reprenons à notre compte les appels lancés par la Commission des pertes massives afin que l'accent soit mis sur des réponses communautaires axées sur le bien-être des survivantes et la prévention de la violence. Il s'agit notamment de renforcer l'infrastructure sociale pour s'attaquer aux causes profondes de la violence et d'investir dans les organismes communautaires de première ligne qui fournissent des services essentiels aux survivantes.
Malgré les efforts déployés par le gouvernement fédéral au cours des dernières années dans le cadre du plan d'action national, d'importantes lacunes subsistent dans les services. Nous avons constaté que le financement du plan d'action national n'est pas suffisant pour stabiliser le secteur, et qu'il n'atteint pas les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle de manière cohérente ou adéquate dans l'ensemble du pays.
Pour réaliser des progrès significatifs dans la lutte contre la violence et les féminicides, il faudra déployer des efforts à grande échelle, et ce, dans l'ensemble des provinces et des territoires. Nous demandons donc instamment au gouvernement fédéral de s'appuyer sur l'expertise de notre secteur, et de nommer un commissaire indépendant et impartial chargé de la lutte contre la violence fondée sur le sexe.
J'ai donc quatre recommandations à soumettre au Comité.
Notre première recommandation consiste à mettre en place un mécanisme complet de collecte de données sur les féminicides qui identifie spécifiquement la violence sexuelle en tant que facteur de risque clé et qui saisit également les conditions sociétales qui conduisent aux violences sexuelles et aux féminicides.
Ensuite, il faut mettre en œuvre de toute urgence les 231 appels à l'action pour que justice soit rendue aux femmes et aux filles autochtones disparues et assassinées. Nous devons également investir dans des initiatives qui soutiennent les communautés marginalisées de manière structurelle, telles que les communautés autochtones et noires, les personnes racisées et transgenres, et les femmes handicapées.
Notre troisième recommandation, qui s'inscrit dans le cadre du plan d'action national du gouvernement fédéral, est d'assurer le financement des organismes communautaires d'aide aux victimes, telles que les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle.
Enfin, nous recommandons la nomination d'un commissaire indépendant et impartial chargé de la lutte contre la violence fondée sur le sexe.
Je vous remercie, et j’ai bien hâte de répondre à vos questions.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Merci beaucoup à nos témoins d'être présents aujourd'hui.
Ce sont des conversations très difficiles, car il s'agit bien de la vie de femmes.
Madame Uhlman, je tiens à vous dire que votre tante serait très fière de vous. Quel témoignage! Vous avez dit tout ce qu'il fallait dire, et c'était très émouvant. Je vous remercie.
Sénateur Boisvenu, je dois dire qu'il est bien spécial de vous voir assis à côté de Mme Uhlman. Vous avez perdu votre fille Julie et vous avez lutté tout au long de votre carrière pour rétablir la justice afin que les tueurs ne soient pas libres... Il y a un an jour pour jour, vous aviez comparu devant le Comité permanent de la condition féminine pour présenter le projet de loi .
Sénateur, le Parlement et la population canadienne vous doivent la création de la Charte canadienne des droits des victimes. En 2015, vous avez réussi à obtenir le soutien unanime des deux Chambres à l'égard de ce projet de loi, qui vise à rétablir les droits des victimes, de sorte que les victimes aient davantage de droits que les criminels.
Ce projet de loi aurait dû être révisé dès 2020 par les libéraux, mais cela n'a jamais été fait. Je suis curieuse de savoir pourquoi vous pensez que cela n'a jamais été fait, et si vous pensez que le système judiciaire a manqué à ses obligations envers toutes les femmes qui ont été tuées depuis 2020.
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Il y a la Charte canadienne des droits et libertés, qui a été adoptée en 1982. Il y a aussi la Charte canadienne des droits des victimes. Une charte, c'est un véhicule avec quatre roues et un moteur. Il appartient aux législateurs de mettre de l'essence dans le moteur pour qu'il se mette en marche.
Par exemple, les gens qui sentaient que leurs droits n'étaient pas respectés se sont adressés à une cour, et la cour a rendu des décisions en interprétant la Charte canadienne des droits et libertés. L'arrêt Jordan, qui limite les délais concernant les procès pour que ces derniers soient justes et équitables, découle de la Charte canadienne des droits et libertés.
La Charte canadienne des droits des victimes a été adoptée en 2015. Le gouvernement libéral, qui a pris le pouvoir en 2015, avait la responsabilité de faire évoluer cette charte à partir des plaintes que les victimes adressaient, entre autres à l'ombudsman, de ne pas avoir été informées, de ne pas avoir participé aux audiences de la commission d'examen ou de ne pas avoir été protégées. Cependant, personne, au gouvernement, y compris le ministre de la Justice qui avait pourtant la responsabilité de faire évoluer la Charte, ne s'est préoccupé de l'améliorer. Il a fallu que je dépose des projets de loi au Sénat pour donner de la substance à la Charte.
Je vais vous donner un exemple. Un moment donné, les parents d'une fille qui s'était fait assassiner m'ont appelé, car ils venaient d'apprendre que l'assassin de leur fille, pourtant emprisonné, avait accès à Facebook et qu'il y affichait des photos de leur fille. La famille s'est adressée à Facebook. Cela a pris six mois, un article dans les journaux et une intervention de mon bureau pour que Facebook ferme la page du criminel. J'ai alors déposé un projet de loi pour définir dans la Charte le mot « protection ». Ce mot ne veut pas seulement dire protéger la vie. C'est aussi protéger l'identité de la victime et protéger sa vie personnelle.
Améliorer les définitions de la Charte aurait dû être fait depuis 2015. Une autre façon d'améliorer la Charte serait d'y inclure un processus pour étudier les plaintes. Il n'y a pas de processus d'étude des plaintes dans la Charte canadienne des droits des victimes, alors qu'il y en a un dans la Charte canadienne des droits et libertés.
[Traduction]
Vous avez très bien expliqué la situation. La Charte canadienne des droits des victimes existe, mais elle n'a pas force exécutoire à ce stade.
Monsieur Boisvenu, votre présence parmi nous aujourd'hui est quelque peu ironique. Au même moment, la Commission nationale des libérations conditionnelles a refusé la comparution de Mme Debbie Mahaffy et de Mme Donna French, les mères de Leslie et de Kristen, les deux victimes de Paul Bernardo.
Vous et moi avons déjà discuté de l'impact de cette décision sur votre cas personnel.
Pourriez-vous expliquer pourquoi ces mères ne sont pas autorisées à témoigner et à dire ce qu'elles pensent de l'homme qui a assassiné et violé leurs enfants?
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Vous donnez un très bel exemple.
Selon la réglementation liée aux audiences de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, un criminel a le droit de déplacer l'audience comme il le veut, et les victimes ou les familles des victimes doivent se plier à la décision du criminel et le suivre.
Je donne l'exemple de Clifford Olson, un criminel très connu de la Colombie-Britannique. Il avait été invité à environ une trentaine d'audiences de la Commission, mais il ne s'y est jamais présenté. Par contre, les victimes ou les familles des victimes se préparaient à aller à la Commission. À la dernière minute, Olson décidait de ne pas se présenter. On ne l'a jamais sanctionné.
Dans le cas de Paul Bernardo, les familles ont dit qu'elles étaient dans l'impossibilité d'être présentes à la date fixée pour l'audience. Elles ont demandé qu'on déplace l'audience à une date propice à leur participation, mais la Commission a refusé.
C'est la même chose dans le cas du meurtrier de ma fille. Le détenu a demandé une audience au mois de février prochain pour recouvrer sa liberté après 23 ans de détention. La Commission m'a appelé pour me dire que l'audience aurait lieu au mois de février. J'ai dit que je serais à l'extérieur du pays, et j'ai demandé s'ils pouvaient déplacer l'audience en mars. La Commission a répondu non et que je devais m'organiser, si j'étais en France, pour avoir Internet et suivre l'audience par vidéoconférence.
C'est en cela que les droits des victimes et des criminels ne sont pas égaux. Pourtant, la Charte canadienne des droits des victimes parle du droit de participation. La participation, ça veut dire que si le criminel est présent, physiquement à l'audience, la victime ou le proche de la victime devrait l'être aussi.
Le ministre dit à la Chambre que la Commission des libérations conditionnelles est indépendante. Je ne suis pas d'accord. La Loi relève du Parlement et le ministre a l'obligation de la faire appliquer aux organisations sous son autorité.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens d'abord à remercier tous les témoins de leur présence.
Je crois comprendre que je suis maintenant censée vous appeler « M. Boisvenu », et non plus « sénateur Boisvenu ». Quoi qu'il en soit, je tiens à vous remercier chaleureusement pour les services que vous avez rendus à notre pays, et pour tout le travail que vous avez accompli à titre de sénateur.
D'entrée de jeu, je vais apporter une clarification.
Je ne suis certainement pas ici pour défendre les décisions de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui est supposée être indépendante de gouvernement. Toutefois, je note que la Commission reconsidère à présent la possibilité de faire comparaître les familles en personne, ce qui, à mon avis, est une bonne décision.
C'est tout ce que j'ai à dire pour le moment.
Madame Auger-Voyer, j'ai quelques questions à vous poser.
Vous avez mentionné la nécessité de veiller à ce que toutes les définitions soient inclusives. Je me souviens avoir écouté un podcast de Julie Lalonde pendant la pandémie. Elle y expliquait que les femmes âgées sont toujours exclues des programmes. À l'époque, il existait une pandémie silencieuse de violence sexiste à l'encontre des femmes âgées. Elles sont souvent plus à risque en raison de leur précarité financière et de leur dépendance à l'égard de leur conjoint.
Je me demande si vous avez des commentaires à ce sujet. Pourriez-vous nous faire part de recherches sur les victimes âgées? Il semble qu'elles soient exclues de la plupart des travaux que nous menons sur la violence fondée sur le sexe.
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Merci pour votre question.
Je pense que vous avez tout à fait raison. Les femmes âgées sont souvent exclues des conversations sur la violence sexiste.
En fait, il y a moins de services dans ce domaine. Les services sont généralement disponibles pour les femmes de plus de 16 ans, mais on observe un manque de ressources axées sur les besoins des femmes âgées.
Vous avez également évoqué les problèmes financiers auxquels font face de nombreuses victimes de violence sexuelle. J'ajoute que nous devons aussi tenir compte de l'isolement social et des handicaps. Par ailleurs, il peut y avoir des abus de la part du personnel soignant, en particulier des abus sexuels au sein des établissements de soins de longue durée. Malheureusement, ce sont des enjeux dont nous ne parlons pas assez, en raison notamment d'un manque de données.
Par exemple, nous sommes déjà conscients du manque de données sur les féminicides sexuels. Nous savons que les jeunes femmes sont surreprésentées parmi les victimes de ce type de crimes, mais nous ne disposons que de très peu de renseignements concernant les femmes plus âgées, qui ont donc tendance à être invisibilisées.
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Oui, il faut tenir les juges à jour, c'est certain. Il est très important que les juges soient mieux informés sur la violence fondée sur le sexe et la violence sexuelle en particulier.
Je dirais que nous devons aller plus en amont, dans la mesure du possible. Il faut commencer par les étudiants en droit. Ils devraient suivre des cours sur la violence fondée sur le sexe, la violence familiale et la violence sexuelle pour vraiment comprendre cette dynamique.
D'après ce que nous constatons dans les tribunaux — les tribunaux de la famille, par exemple —, les affaires mettant en cause de la violence familiale sont qualifiées de « situations hautement conflictuelles », comme si le rapport de force n'existait pas. Nous voyons constamment des juges rendre des décisions qui montrent qu'ils ne comprennent pas cette dynamique ou les enjeux liés à la violence sexuelle. Nous entendons des discours qui jettent le blâme sur les victimes, les stigmatisent et les victimisent à nouveau.
Oui, une formation pour les juges, les avocats, les policiers et tous les acteurs du système judiciaire serait vraiment utile.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Monsieur Boisvenu, madame Uhlman et madame Auger-Voyer, je vous remercie d'être ici aujourd'hui pour témoigner en hommage à toutes celles qu'on a perdues.
Monsieur Boisvenu, lorsque vous avez répondu à la question de Mme Ferreri, vous avez abordé l'arrêt Jordan. Je saisis l'occasion pour dire qu'on a déposé un projet de loi, qu'on voudrait voir débattre à la Chambre des communes, afin qu'il n'y ait plus de cas où, en raison de l'arrêt Jordan, des criminels sont relâchés sans procès et pourraient faire de nouvelles victimes.
Dans le cadre de cette étude, des témoins ont parlé de l'importance de ce projet de loi qui touche l'arrêt Jordan. Que pensez-vous d'un projet de loi qui empêcherait que des criminels coupables de crimes de violence envers les femmes ne puissent plus être relâchés simplement à cause d'un délai judiciaire trop long aux termes de l'arrêt Jordan? C'est une raison inacceptable.
Vous avez tout à fait raison. Selon moi, l'erreur a été commise au départ par la Cour suprême, qui aurait dû établir des balises pour encadrer les crimes les plus graves, notamment les agressions sexuelles et les meurtres. Au Québec, trois personnes ont été retournées chez elles après avoir tué des gens, dont deux femmes et un homme, sans jamais avoir eu de procès.
Il est tout à fait inadmissible pour la société canadienne de retourner des meurtriers chez eux sans aucune punition. Ce qui est insidieux là-dedans, c'est que ces personnes ne font pas partie des statistiques sur les crimes. En effet, pour faire partie de ces statistiques, il faut qu'il y ait eu accusation et reconnaissance de culpabilité. Or, au Canada, environ 60 000 dossiers criminels ont été rejetés à cause de l'arrêt Jordan. C'est énorme. Il faut que le Parlement revienne sur cette question, parce que, pour les victimes d'actes criminels, il n'y a rien de pire que de voir le criminel revenir dans le voisinage, sans que ce dernier ait subi de conséquences.
Je le disais tantôt, il y a eu 60 % plus de féminicides entre 2019 et 2022. De ces meurtres, 60 % ont eu lieu dans un contexte de violence conjugale, et presque les trois quarts des agresseurs avaient des antécédents criminels. De toute évidence, si on ne durcit pas le ton, si on ne règle pas le problème créé par l'arrêt Jordan en vertu duquel on retourne des agresseurs chez eux, c'est une façon de banaliser les agressions faites aux femmes.
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Ce n'est pas une question facile. Il est très difficile pour les policiers d'intervenir dans des cas de violence conjugale, surtout lorsque des enfants sont au cœur des disputes ou des agressions.
Les deux missions principales des policiers consistent à intervenir dans des cas de violence conjugale et de problèmes de santé mentale. Certains policiers me disent que cela représente 80 % de leurs tâches. Ce sont les dossiers les plus difficiles, parce qu'on intervient auprès d'un couple qui s'agresse et où l'agresseur, dans 90 % des cas, c'est l'homme.
Selon moi, le travail des policiers est admirable.
Ce que je dirais au policier que vous allez rencontrer, c'est de s'assurer que son travail ne nuit pas à sa santé mentale. Je suis convaincu que, lorsqu'il retourne chez lui le soir, il a passé tout son quart de travail auprès de gens qui s'agressent. Encouragez-le à aller chercher de l'aide s'il en a besoin et à avoir une bonne santé mentale, parce que reprendre chaque matin le même travail dans le même contexte, ce n'est pas facile.
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Je vous remercie, et merci aussi à tous les témoins d'être des nôtres aujourd'hui. Je suis heureuse de vous revoir, sénateur.
Merci, madame Uhlman, de nous avoir raconté l'histoire de votre famille, et merci à vous, madame Auger-Voyer, du travail que vous faites. Ce n'est pas une tâche facile.
Avant de poser mes questions, je tiens à souligner que nous sommes tous ici parce que nous voulons que justice soit faite. Parfois, nous avons des divergences d'opinions sur la façon d'y arriver, mais je pense que l'objectif est le même: obtenir justice. Je veux honorer la différence, mais nous avons aussi un but commun dans tout cela.
J'aimerais commencer par vous, madame Auger-Voyer.
Votre témoignage était un peu différent. Vous avez notamment dit que les interventions carcérales ne fonctionnent pas. À la lumière de notre étude sur l'alerte robe rouge, surtout en ce qui concerne les femmes autochtones, je sais que beaucoup de femmes ne s'adressent pas à la police parce qu'elles font depuis toujours l'objet d'une surveillance policière qui est soit excessive, soit insuffisante. Elles ont également vécu des expériences de racisme systémique au sein du système de justice en général, et c'est ce à quoi le projet de loi tentait de remédier. Je ne suis certainement pas une experte en la matière, alors je ne veux pas vraiment parler du projet de loi C‑5, mais je sais que telle était l'intention.
J'aimerais que vous nous parliez un peu des interventions carcérales et de la raison pour laquelle vous êtes de cet avis.
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Là où je veux en venir, c'est ceci: lorsque la police ou les tribunaux finissent par intervenir, il est habituellement trop tard.
Je vais vous donner un exemple. Ma circonscription est l'épicentre de la crise des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées. C'est de là que je viens. J'habite à deux pâtés de maisons du site d'enfouissement où nous menons actuellement des fouilles pour retrouver les corps des victimes d'un tueur en série. Les deux femmes vivaient dans un refuge, ce qui signifie qu'elles n'avaient pas de logement. Elles n'avaient pas de revenu de subsistance.
La prévention, un revenu de base garanti et un logement... À Winnipeg, nous n'avons jamais dépensé autant pour la police. Nous y consacrons un énorme budget. Or, cela ne change rien à la violence fondée sur le sexe, qui a atteint des proportions de crise dans la collectivité que je représente.
Vous avez raison de dire que la plupart des femmes se méfient du système de justice. Elles s'adressent à des organismes communautaires.
J'aimerais vous poser quelques questions.
Pourquoi est‑il essentiel de financer adéquatement les organismes communautaires de première ligne si nous voulons vraiment sauver des vies?
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Nous avons vraiment besoin d'une approche à plusieurs volets, et il y a trois mesures qui seraient un bon début.
Premièrement, il faut financer les services pour les survivantes afin qu'elles aient un endroit où aller lorsqu'elles ont besoin de soutien et afin qu'elles puissent bénéficier d'un plan de sécurité.
Deuxièmement, il faut changer le discours sur les normes sexospécifiques et la culture du viol, en commençant dans les écoles par une éducation sexuelle complète qui englobe des notions comme le consentement, les relations saines et tout le reste.
Troisièmement, il faut s'attaquer aux disparités économiques grâce à des mesures comme le revenu de base. Ce sont ces disparités qui créent un terreau fertile à la violence. Il faut donc regarder du côté du logement, du revenu, de la santé mentale, etc.
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Merci, madame la présidente, et merci à tous les témoins.
C'est une situation très difficile à laquelle nous faisons face en tant que pays, car nous laissons tomber non seulement les victimes, mais aussi les familles, à défaut de prendre ce problème au sérieux.
J'aimerais revenir à ce qui a été dit plus tôt, à savoir que c'est à la Commission des libérations conditionnelles de prendre la décision d'autoriser ou non les familles French et Mahaffy à témoigner. Ce n'est pas exact, car en vertu de l'article 6.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le peut intervenir pour permettre aux victimes de s'exprimer lors de l'audience de libération conditionnelle. Je tiens à ce que ce soit clair. C'est possible par l'entremise du ministre.
Je dis cela parce que je voudrais vous poser une question, madame Uhlman, au sujet de votre tante. Elle serait très fière de vous. Je suis sûre qu'elle vous regarde de là‑haut et vous remercie, car il faut mettre fin à cette situation. Nous devons sévir contre les criminels. Ce n'est pas ce qui se passe en ce moment.
Si nous nous débarrassions du projet de loi , sachant que l'approche de capture et de remise en liberté ne fonctionne pas — au contraire, elle met les femmes en danger —, pensez-vous que ce serait un bon début pour protéger les femmes?
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Je suis d'accord avec vous. Si quelqu'un commet un crime, il doit purger sa peine, surtout dans le contexte actuel. Nous étudions cette situation depuis déjà plusieurs mois. Nous devons modifier la loi.
Sénateur, j'aimerais revenir sur des chiffres qui viennent d'être publiés ou qui datent peut-être d'il y a quelque temps.
De 2015 à 2019, les services de police au Canada ont déclaré 115 859 agressions sexuelles. De ce nombre, 98 % ont été classées au niveau 1. De plus, 9 victimes sur 10, soit 89 %, étaient des femmes et des filles.
Comment pouvons-nous continuer à protéger les femmes et les filles de notre monde, de notre pays, si nous ne pouvons pas faire en sorte que la peine soit proportionnelle à la gravité du crime?
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D'abord, il n'y a pas qu'un moyen de protéger les femmes, il y en a une multitude, dont le bracelet électronique et la thérapie pour les hommes. Cela fait 20 ans que les cours obligent les hommes ayant des problèmes de consommation d'alcool ou de drogue à suivre une thérapie, surtout les jeunes qui en sont à leur premier crime, et ça fonctionne. Il faut agir de la même façon avec les hommes violents, c'est-à-dire les envoyer en thérapie.
Le problème est que, depuis 20 ans, on travaille sur les conséquences de la violence faite aux femmes. On cache ces dernières et on laisse les hommes en liberté. Or, il faut inverser les choses et remettre les femmes en liberté. Quand on cache la femme et qu'on ne punit pas l'homme sévèrement, c'est la femme qui est emprisonnée dans sa peur, chez elle. Il faut donc obligatoirement envoyer l'homme en thérapie et donner des outils à la femme pour se protéger. Pour chaque homme qu'on remet en liberté dans l'attente de son procès, il y a une femme qui est emprisonnée dans la peur. On a maintenant des outils modernes, comme les cellulaires et les bracelets électroniques. Il suffit que les juges s'en servent.
Dans le cas dont je vous ai parlé, celui de Candiac, l'homme a tué sa femme une heure après avoir été remis en liberté. Pourtant, vous avez adopté le projet de loi , d'ailleurs déposé par une députée libérale, qui permet d'imposer le port du bracelet électronique à un homme remis en liberté dans l'attente de son procès en vertu de l'article 515 du Code criminel. On informe mal nos juges. J'essaie de comprendre pourquoi nos juges ne sont pas au courant de l'existence de ces outils et pourquoi on remet en liberté, sans contrôle, des hommes qui promettent de tuer leur femme. Il faut exercer un contrôle sur ces hommes, et il existe des outils pour le faire.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie tous nos témoins d'être des nôtres aujourd'hui.
Je tiens à dire officiellement que je suis moi aussi très préoccupée par le fait que tant d'affaires judiciaires ne sont pas entendues parce que les tribunaux n'en sont pas saisis à temps. J'ai couvert des procès criminels en tant que journaliste pendant plus de 20 ans. J'ai rédigé des articles sur le palais de justice à Halton et sur les mauvaises conditions qui y règnent. Les avocats ne veulent pas s'y rendre. L'édifice est plein de moisissures. Les juges ne veulent pas y tenir des audiences. La province était censée le reconstruire, mais elle a décidé de ne pas le faire. Ces problèmes perdurent, et j'aimerais qu'il y ait plus d'investissements dans ce système.
J'ai également trouvé très intéressant ce que vous avez dit, madame Auger-Voyer — je ne sais pas si je prononce bien votre nom. Je vais voir combien de points je pourrai aborder.
Tout d'abord, vous dites que la collecte de données est l'un de vos principaux objectifs et l'une de vos principales recommandations. Je sais que vous avez reçu du financement de la part du ministère que je représente, Femmes et Égalité des genres, précisément pour recueillir des données. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce projet et sur ce que vous espérez en tirer?
Par ailleurs, lorsque vous avez dit que seulement 6 % des survivantes signalent leur agression sexuelle, je me suis demandé comment nous pouvons recueillir ces données alors que si peu de femmes se manifestent pour dire qu'elles ont été victimes.
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Oui, c'est un bon point, mais je pense que Statistique Canada utilise également l'autodéclaration, et pas seulement les rapports de police, car il est certain que les données de la police sont très faussées.
En ce qui concerne les données sur les féminicides, à l'heure actuelle, l'Enquête sur les homicides de Statistique Canada ne recueille pas de données à ce sujet; elle ne tient compte que de certaines variables relatives au sexe et aux facteurs de risque de féminicides, et c'est une énorme lacune. Lorsque Statistique Canada recueille des données sur ces choses, il peut déterminer si une agression sexuelle a eu lieu au moment du féminicide, mais il ne saisit pas les antécédents de violence sexuelle, par exemple ni les facteurs socioculturels ou systémiques sous-jacents — seuls les facteurs individuels sont pris en compte. Nous voulons vraiment plus de données.
À l'heure actuelle, les données recueillies par l'Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation sont essentiellement recueillies par des comités d'examen des décès qui sont essentiellement composés de bénévoles ou de gens du secteur qui font ce travail en parallèle. Ils utilisent toute l'information dont ils disposent, et cela comprend parfois des reportages médiatiques. Je pense que nous pouvons tous convenir que ces mesures seront incomplètes.
Ils n'ont pas accès aux rapports d'autopsie, à titre d'exemple. Nous voulons des données pour savoir s'il y a eu de la violence sexuelle pendant, avant ou après le meurtre, par exemple, et pour déterminer le type de violence qui était en cause, ainsi que des données désagrégées sur différents segments de la population et la relation entre la violence sexuelle et le groupe démographique — par exemple, les femmes âgées, comme nous l'avons dit plus tôt.
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Bien sûr, c'est un des moyens de prévenir la violence sexuelle.
C'est essentiel parce que, tout d'abord, les enfants ont besoin d'apprendre le consentement. Dès leur plus jeune âge, ils peuvent apprendre à discerner s'ils veulent qu'on leur fasse un câlin ou qu'on les prenne en photo. Cela doit être enseigné dès la première année et jusqu'au secondaire, où l'on pourra commencer à parler du racisme structurel, de la misogynie, de la manière de naviguer dans le monde technologique, de leur présence en ligne, des images intimes, de la pornographie et de toutes ces choses. Ils doivent apprendre ce qu'est le consentement, les relations saines, la violence dans les fréquentations, etc.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Madame Uhlman et madame Auger‑Voyer, je m'adresserai à vous dans un prochain tour de parole, parce que j'aimerais d'abord revenir sur ce qu'a dit M. Boisvenu.
Monsieur Boisvenu, vous avez évoqué une question dont je voulais parler aujourd'hui, celle du bracelet électronique.
J'essaie de trouver une solution. Au Québec, le bracelet électronique était l'une des recommandations du rapport « Rebâtir la confiance ». Un projet pilote a cours en ce moment à différents endroits au Québec pour voir ce qui fonctionne bien. C'est ça, un projet pilote: on analyse et on détermine ce qui fonctionne bien, ce qui fonctionne moins bien et ce qui doit être amélioré. J'ai eu quelques échanges avec le ministère de la Sécurité publique, à Québec et, selon les premiers constats, personne ne semble vouloir revenir en arrière.
Le projet de loi , qui permet aux juges d'imposer le port du bracelet électronique, a été adopté. Vous avez dit que, malgré cela, ce changement législatif semblait difficile à mettre en place. Vous avez dit que vous ne compreniez pas ce qui s'était passé dans le cas du féminicide de Candiac, et que les juges n'étaient peut-être pas suffisamment au courant de l'existence des outils de surveillance à distance. On parle donc d'éducation.
Maintenant que cette question a été abordée au fédéral et que ce projet de loi a été adopté, qu'est-ce qui nous manque? Le Québec a son projet pilote pour les crimes commis au Québec. Cet outil de surveillance à distance ne réglera pas tout, on en conviendra, mais qu'est-ce qu'on pourrait faire de plus pour améliorer sa mise en œuvre?
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Il est vrai que l'expérience québécoise est très concluante. Il y a 350 hommes qui portent ou qui ont porté un bracelet antirapprochement, et il n'y a eu aucun homicide. Seulement trois hommes ont coupé leur bracelet. Dans un de ces cas, la victime n'a pas été avisée par le corps policier. Dans les deux autres cas, la victime a été avisée et les policiers ont arrêté l'homme immédiatement. En Espagne, près de 800 femmes ont porté un bracelet dans les dernières années, et il n'y a eu aucun homicide. C'est donc un outil efficace.
Lorsqu'une loi est adoptée au Canada, il appartient au d'en informer les conseils de la magistrature. Lorsqu'un projet de loi reçoit la sanction royale, il entre en vigueur soit par décret, soit de façon automatique. Ensuite, ça descend dans la machine, et le gouvernement fédéral a le rôle d'informer. À mon avis, le problème est là. On a adopté un projet de loi, mais c'est comme si on l'avait mis sur une tablette en pensant qu'il allait se gérer tout seul. Or, il n'en est rien. Ça prend une stratégie d'information de la magistrature. Il y a des conseils de la magistrature dans toutes les provinces. Il faut que l'information s'y rende. À cet égard, le premier responsable est le ministre fédéral de la Justice. Ensuite, c'est à chacun des ministres provinciaux qui ont le mandat d'administrer la justice.
C'est comme s'il n'y avait pas de stratégie globale, au Canada, pour que l'information se rende jusqu'au juge à son tribunal. Les juges se rencontrent régulièrement pour parler des changements législatifs. Toutefois, quand surviennent des changements concernant des outils aussi importants que le bracelet électronique, on devrait avoir une stratégie particulière, parce que des vies sont en jeu.
J'espère que ça répond à votre question.
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Vous avez parlé, tantôt, du projet de loi . On sait que ce projet de loi a été adopté sous prétexte qu'il y avait une surpopulation dans les pénitenciers fédéraux et que certains groupes, les Autochtones principalement, y étaient surreprésentés. C'est vrai, surtout dans l'Ouest canadien. En effet, entre 17 et 20 % des détenus dans les pénitenciers sont autochtones, alors que les Autochtones ne représentent que 7 % de la population en général.
En 1999, la Cour suprême, dans l'arrêt Gladue, a dit aux juges de trouver des alternatives à l'incarcération. En 2004 et en 2012, la Cour suprême est revenue sur cette question en disant aux juges qu'elle leur avait ordonné de trouver des solutions de rechange à l'incarcération, mais qu'ils n'avaient pas fait leur travail.
Donc, le projet de loi C‑5, qui a reçu la sanction royale en 2022, n'aura pas pour effet de réduire la population autochtone dans les pénitenciers. La preuve en est qu'au Québec, 40 % des gens condamnés pour agression sexuelle ont été retournés chez eux, et que seuls 3 % étaient autochtones, alors que 37 % étaient issus de la communauté blanche.
Donc, le Code criminel a déjà des dispositions pour restreindre le plus possible l'incarcération des Autochtones.
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Je ne suis pas en désaccord avec vous, sénateur. En fait, l'un des problèmes que je voyais au sujet du projet de loi , c'était que je ne croyais pas qu'il s'attaquait de façon adéquate au racisme systémique au sein du système de justice. Vous avez tout à fait raison d'affirmer qu'il a été fortement critiqué à cet égard.
Je ne suis pas en désaccord avec vous. Nous sommes sur la même longueur d'onde. Je ne faisais que mentionner l'intention du projet de loi, même si, personnellement, je ne pense pas qu'il ait été particulièrement efficace.
Vous avez parlé des populations surreprésentées. Vous avez parlé des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, des travailleuses du sexe, des membres de la communauté 2SLGBTQ+ et des personnes handicapées.
Nous avons réalisé une étude complète sur le travail du sexe. Je soutiens que lorsque vous rendez le travail illégal, vous augmentez la menace qui pèse sur les travailleuses du sexe, parce que ces dernières se retrouvent dans une situation où elles ne peuvent plus s'adresser à quelque autorité que ce soit pour obtenir de l'aide étant donné que ce qu'elles font est illégal.
Je sais qu'on demande que le travail du sexe soit décriminalisé et non légalisé. Êtes-vous d'accord avec le fait que la décriminalisation du travail du sexe améliorerait la sécurité des travailleuses du sexe, elles qui doivent faire face à des taux élevés de violence et, souvent, à des féminicides?
Dans votre présentation, vous avez dit que la violence faite aux femmes devrait être une affaire d'hommes. Le 6 décembre approche. À l'École polytechnique de Montréal, des femmes ont été assassinées parce qu'elles étaient des femmes.
Actuellement, un mouvement masculiniste tient des propos assez toxiques concernant les femmes. On l'a entendu à l'émission Tout le monde en parle il y a deux semaines. Des millions d'hommes suivent des influenceurs qui ont des positions et des attitudes qui donnent froid dans le dos au sujet des femmes. Par exemple, on dit que les femmes doivent être soumises, qu'elles n'ont pas de leadership. On sent une escalade dans ce discours qui veut cantonner les femmes dans un environnement dans lequel elles ne veulent plus être, de toute évidence.
Nous sommes dans une société libre où tout le monde a le droit de s'exprimer, je suis d'accord sur ça. Cependant, quand vous entendez ce genre de propos, qui sont pour le moins assez dérangeants, de la part d'hommes à qui on donne un micro, comment réagissez-vous? Quand des hommes véhiculent de tels propos dans des balados, des émissions de radio ou des émissions de télévision à heure de grande écoute, qu'est-ce que ça vous dit?
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Le Service correctionnel libère un individu aux deux tiers de sa peine, qui est encore dangereux, mais on n'en informe pas la victime. La Commission des libérations conditionnelles reçoit en audience un détenu, mais on n'invite pas la famille. La Charte s'applique dans ces deux cas.
La Charte est « supraconstitutionnelle », ce qui signifie qu'elle est au-dessus de toutes les lois. Les organismes et les ministres doivent obligatoirement se plier à cette charte, puisque c'est une loi.
C'est la raison pour laquelle j'ai déposé au Sénat trois projets de loi pour l'enrichir. Je donnais l'exemple, tantôt, des photos publiées par un individu. J'ai déposé un projet de loi pour modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. J'ai aussi déposé un projet de loi pour permettre aux victimes de poser des questions aux criminels qui demandent une libération, car, actuellement, seul l'avocat peut le faire. Les familles ne sont pas représentées, alors que le criminel est représenté par un avocat devant la Commission. J'ai donc déposé un projet de loi pour mettre les victimes et les criminels sur le même pied lorsqu'il y a un processus d'audience. Ce n'est pas le cas, actuellement.
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Il est certain que l'intervention précoce est essentielle. Nous aimerions que les parents, les enfants témoins de violence et les enfants victimes de violence puissent obtenir du soutien, et que les jeunes qui sortent des services de protection de l'enfance soient mieux encadrés. Il s'agit souvent d'un bassin de recrutement très alléchant pour les trafiquants de personnes, tout comme les foyers de groupe. Il nous faut donc plus de soutien dans ces secteurs.
Comme je l'ai dit, il est très important que les écoles fournissent une éducation sexuelle complète, et cette dernière ne devrait pas être facultative. J'aimerais que le gouvernement fédéral prenne l'initiative d'établir des normes communes pour l'ensemble du pays. Je sais que c'est une question provinciale, mais nous avons vu le gouvernement fédéral prendre l'initiative sur d'autres sujets. Je pense donc qu'il serait possible à tout le moins d'avoir des normes pour la prestation d'une éducation sexuelle complète dans les écoles.
Nous avons besoin de services gratuits en matière de santé mentale, d'aide à la guérison et d'aide aux toxicomanes pour les hommes et pour tout le monde. Je crois en fait qu'il faudrait financer les organisations de femmes qui existent, mais qui peinent à survivre. Ces organisations souffrent d'un sous-financement chronique. Elles font un bon travail de prévention. Elles travaillent dans les écoles et, souvent, ce travail n'est même pas financé. Cela ne fait pas partie de leur financement de base.
Il faudrait peut-être aussi s'attaquer à la culture en ligne, à ce qu'on appelle l'androsphère. Certaines d'entre vous en ont déjà parlé, mais il convient de souligner que toute cette misogynie qu'on peut voir en ligne est aussi une composante importante de la situation actuelle.
Je pourrais continuer, mais...
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En 2014, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a mené une étude exhaustive sur les délais dans les tribunaux. Ce rapport est appelé le rapport Runciman, puisque l'honorable Bob Runciman était le président de ce comité à l'époque. Dans ce rapport, on a émis 67 recommandations relatives aux tribunaux, mais je ne sais même pas si 10 d'entre elles ont été mises en place.
Il y a plusieurs défis dans les tribunaux canadiens, mais le principal est cette culture du report des audiences. Dans certains dossiers de violence conjugale, l'audience a été reportée 10, 15 ou 20 fois. Il est même arrivé qu'une audience soit reportée 37 fois — cela s'est produit à St‑Jérôme, dans le cas d'un dossier d'agression sexuelle. Il y a donc, dans les tribunaux canadiens, une culture généralisée du report d'audiences ainsi qu'un manque de discipline, et c'est ce que le rapport mentionnait, à l'époque. Il y a aussi une pénurie de main-d'œuvre au Québec, qu'il s'agisse des greffiers ou des techniciens juridiques, par exemple. Cela dit, je pense que le principal défi des tribunaux canadiens, c'est la culture du report des audiences. À un moment donné, il va falloir que les juges disent que c'est assez, par exemple dans les cas où un procès pour agression sexuelle a été reporté 15 ou 20 fois.
Selon ce que j'entends de la part des femmes qui ont été victimes de violence conjugale, il y a un usage abusif de la procédure judiciaire. D'ailleurs, le ministre québécois de la Justice a clairement dit que des agresseurs utilisaient les procédures judiciaires pour retarder la tenue du procès, parce que 50 % des victimes d'agression sexuelle vont laisser tomber leur plainte en cours de route. À mon avis, il faut que le ministre de la Justice du Canada, en collaboration avec ses collègues provinciaux, traite ce dossier en priorité, afin de changer les habitudes qui se sont installées depuis 10 ou 15 ans. Le fait de reporter continuellement un procès ne dérange pas tout le monde, mais bien les victimes, et ces dernières abandonnent les procédures.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Encore une fois, merci pour tout cela.
Il est essentiel que nous allions au cœur de la question de la mise en œuvre du changement. L'une des choses que le sénateur Boisvenu — je vais continuer de vous appeler « sénateur » — a dites m'a vraiment marquée.
Nous avons constaté qu'il y a eu une augmentation de la criminalité au Canada — de plus de 100 % —, et vous m'avez dit que pour chaque criminel, pour chaque incident criminel, il y a une augmentation du nombre de victimes. Cela m'a vraiment marquée, car cette augmentation de la criminalité se traduit par une augmentation du nombre de victimes.
Vous avez comparu devant ce comité il y a un an jour pour jour. Nous étudiions l'un des projets de loi les plus forts que vous ayez rédigés, le projet de loi . C'est l'une des nombreuses choses que vous avez faites en l'honneur de votre fille Julie, qui a été assassinée. C'était un projet de loi formidable qui visait à protéger les victimes et à assurer la sécurité des femmes et des victimes. Il a été adopté, et c'est une bonne chose, mais il a été extrêmement décevant de constater que les libéraux et les néo-démocrates ont supprimé de nombreux éléments qui lui donnaient une bonne partie de son mordant.
Les modifications apportées à l'article 515 du Code criminel — les dispositions concernant la consultation du partenaire intime sur les questions de sécurité et le port de bracelets électroniques — ont été supprimées. En ce qui concerne l'ordonnance d'engagement prévue à l'article 810.03, la durée d'application de l'ordonnance a été réduite à un an, alors qu'elle était initialement de deux ans. La prolongation de l'ordonnance a pour sa part été fixée à un maximum de deux ans alors qu'elle était initialement de trois ans. Aux termes de l'article 810, la peine d'emprisonnement pour le refus de contracter un engagement a été réduite à un an alors qu'elle avait initialement été fixée à deux ans.
Comme vous pouvez le constater, toutes ces peines ont été réduites et non augmentées. Parmi les autres modifications apportées à l'article 810, l'obligation de s'abstenir d'utiliser les réseaux sociaux a également été supprimée.
Dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que nous devions nous montrer plus sévères à l'égard des criminels, mais ces éléments ont été supprimés du projet de loi . Pouvez-vous expliquer les effets que ces coupes ont eus sur votre projet de loi et ce que nous pouvons faire pour remédier à cela et aider à faire en sorte que la sécurité des victimes soit rétablie?
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Merci beaucoup de la question.
D’abord, il y a une raison pour laquelle la durée d'application des ordonnances prévues aux articles 515 et 810 du Code criminel avait été prolongée à deux ans. C'est parce que, souvent, surtout dans le cas des ordonnances délivrées en vertu de l'article 515, les procès prennent un an et demi, deux ans ou trois ans. Si l'ordonnance n'est appliquée que pendant un an, l'agresseur reviendra vers sa victime pour la harceler et la pousser à abandonner sa plainte. C'est pourquoi on avait fixé des délais plus longs, pour s'assurer que la victime était protégée au moins jusqu'au procès.
Pourquoi avait-on prévu une peine plus longue en cas de non-respect d'un engagement pris en vertu de l'article 810? C'est parce que l'Université de Montréal a fait une étude, au Québec, sur le respect des engagements pris en vertu de l'article 810, et elle a constaté que 50 % des hommes ne respectaient pas les conditions imposées par la cour. S'il n'y a plus de conséquences pour les hommes qui s'approchent de leur victime alors qu'ils sont visés par une ordonnance qui leur interdit de le faire, les agresseurs le savent. Il était important pour nous que ce projet de loi prévoie un minimum de conséquences pour les individus qui ne respectent pas les conditions imposées par la cour.
Ensuite, vous avez également enlevé la partie du projet de loi qui interdisait aux criminels d'utiliser les réseaux sociaux, leur principal outil pour harceler les victimes, s'agissant surtout de Facebook. Vous avez ciblé la mauvaise chose en enlevant cela du projet de loi, alors que ça permettait aux victimes de se sentir en confiance, parce qu'on leur donnait des outils.
Vous avez aussi supprimé la partie du projet de loi qui exigeait que l'on consulte les victimes lorsqu'il y a une ordonnance en vertu de l'article 515, pour savoir ce qu'elles veulent comme moyens de protection. Je n'ai pas compris le raisonnement derrière votre décision d'enlever des choses qui sont souvent la conséquence du harcèlement et de l'intimidation des victimes.
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Merci, madame la présidente.
Je suis heureuse d'avoir un peu plus de temps pour interroger ces témoins.
Avant de commencer à poser des questions, j'aimerais me faire l'écho de ma collègue, Mme Hepfner, concernant l'arrêt Jordan. Je partage ses préoccupations. Cela me rend carrément malade de savoir qu'en Ontario, de 2016 à 2023, 580 affaires ont été suspendues, et que 145 d'entre elles étaient des affaires d'agression sexuelle.
Le Canada a une constitution, et les provinces sont responsables de l'administration de la justice. Il s'agissait d'une décision de la Cour suprême que nous avons contestée une deuxième fois, mais les tribunaux nous ont ni plus ni moins envoyés promener. C'est pour cette raison que nous avons essayé de travailler avec les provinces et les territoires.
Cependant, pour moi, à Halton, c'est une question personnelle, car en 2017, on annonçait l'aménagement d'un nouveau palais de justice. La construction devait commencer en 2019 et se terminer en 2023. Nous aurions eu ce nouveau palais de justice depuis un an déjà. Il aurait été doté de nouvelles technologies pour rendre le fonctionnement du tribunal plus efficace. Au lieu de cela, nous nous retrouvons avec un palais de justice où les jurés sont interrogés dans la cafétéria et où les juges refusent de s'asseoir à cause de la moisissure et de l'amiante.
Alors que la province de l'Ontario a investi 29 millions de dollars dans les tribunaux, il est absolument navrant d'apprendre que le président des procureurs de la Couronne de l'Ontario ait déclaré que les investissements consentis par la province sont loin d'être à la hauteur des besoins. Je partage les préoccupations exprimées par les témoins à ce sujet.
Je pense que nous les partageons tous, mais la question que je vous pose, madame Voyer, a à voir avec le fait que notre capacité est limitée. Nous ne pouvons pas dire aux provinces ce qu'elles doivent faire, mais êtes-vous d'accord avec moi pour dire que les provinces et les territoires doivent investir dans les tribunaux afin d'assurer leur fonctionnement efficace?
Oui, je crois que les survivantes qui veulent obtenir une protection de la part du tribunal et qui veulent faire une déclaration à la police devraient avoir accès à des processus en temps opportun, à des processus centrés sur les survivantes et qui tiennent compte des traumatismes vécus par ces dernières. Les survivantes devraient aussi avoir droit à des conseils juridiques gratuits pour les aider pour s'y retrouver.
Cependant, comme je l'ai dit, je pense également que lorsqu'il est question de la violence fondée sur le sexe, nous devons prendre du recul afin d'avoir une vision plus globale et éviter de nous focaliser uniquement sur les tribunaux. Donc, c'est oui et non.
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Merci, madame la présidente.
Dans cinq jours, le 25 novembre, on va lancer au Québec la campagne des 12 jours d'action contre les violences faites aux femmes, qui culminera le 6 décembre par la journée de commémoration de la tuerie de Polytechnique. Je tiens à souligner aussi le travail de l'AFÉAS, un groupe de femmes féministes au Québec, qui lancera l'Opération Tendre la main lors de ces journées d'action.
Madame Auger‑Voyer, vous avez abordé la question de la publication en ligne. Je ne sais plus comment tendre la main dans le contexte actuel avec ces mouvements masculinistes, ce retour en arrière, cette misogynie qui est en hausse partout. Tout se passe beaucoup en ligne.
Je vais faire un lien avec le 6 décembre. Comment se fait-il que des groupes d'influenceurs, notamment ceux de la communauté des « incels », encensent Marc Lépine et en font un dieu encore aujourd'hui, en 2024? Je ne sais plus quoi faire avec ça. Sincèrement, je ne veux brimer la liberté d'expression de personne, mais je pense que, à un moment donné, il va falloir qu'on regarde jusqu'où on peut aller en ligne et ce qui peut devenir quelque chose qu'on ne tolère pas sur le plan criminel. Mentionnons par exemple certains propos que l'on retrouve dans certaines sphères sur le Web clandestin. À un moment donné, il va falloir qu'on regarde ça. Sans vouloir brimer la liberté d'expression, car ce n'est pas le but visé, il faut qu'une loi se penche sur le contenu haineux en ligne, notamment pour éviter qu'il ne vienne contribuer à cette masculinité toxique et à cette misogynie.
Qu'en pensez-vous? On en parle de plus en plus, au fédéral, de cette idée de se pencher sur de tels propos haineux en ligne pour savoir ce qu'on en fait.
Je vous ai posé une question à propos de la décriminalisation du travail du sexe. Pourriez-vous me faire parvenir votre réponse par écrit?
Je souhaitais que vous parliez un peu de la possibilité d'avoir un commissaire indépendant chargé de superviser les progrès réalisés en matière de lutte contre la violence fondée sur le sexe. L'appel à la justice 1.7 de l'enquête nationale demande que ce poste soit créé. Le gouvernement fédéral a commandé une étude à ce sujet pour déterminer la façon de mettre en œuvre cette fonction, mais il n'a pas encore donné suite à cette étude, ce qui est profondément troublant. Pour ce qui est de donner suite aux recommandations de l'enquête nationale, nous savons que cela n'a pratiquement pas eu lieu.
Nous disposons certainement de solutions pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe, mais nous n'avons simplement pas la volonté politique de les utiliser. Nous nous concentrons sur les choses après coup, lorsqu'il est trop tard. Je sais qu'un très grand nombre de femmes de ma communauté ont été assassinées. Parfois, c'est comme si cela se produisait régulièrement. Nous sommes constamment en deuil. C'est une crise, mais il est trop tard pour intervenir.
Ce n'est pas que je ne soutienne pas les formes de justice, mais j'ai simplement le sentiment que nous devons nous concentrer sur la prévention. Vous avez beaucoup parlé de la prévention. Pourquoi est‑il important d'assurer une surveillance pour garantir que les programmes mis en place sauveront des vies?
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Je vous remercie de votre question qui est excellente.
Je vous rappelle que les organisations de femmes autochtones nous signalent que seulement deux des 231 appels à la justice ont été complètement mis en œuvre, ce qui est extrêmement problématique.
Oui, nous voulons qu'il y ait une obligation de rendre des comptes. Nous sommes heureux qu'il y ait un plan d'action national, mais nous avons besoin qu'une surveillance soit exercée et que des comptes soient rendus avec la participation de notre secteur. Sinon, les gouvernements provinciaux sont libres de faire ce qu'ils veulent avec l'argent, sans être nécessairement guidés par des experts en la matière.
Le Fonds d'action et d'éducation juridique pour les femmes, ou FAEJ, a récemment présenté un rapport intitulé « Ce qu'il faut faire: mettre en place un mécanisme de responsabilisation en matière de violence fondée sur le genre au Canada ». Je vous exhorte à le consulter. Je sais que de nombreux membres du Comité étaient présents lors du lancement du rapport. Ce rapport s'appuie également sur la recommandation de la Commission des pertes massives qui préconise la nomination d'un commissaire chargé de lutter contre la violence fondée sur le sexe.
Je peux vous expliquer quel serait l'objectif de ce rôle. Il consisterait à harmoniser les efforts entre les provinces et les territoires, à suivre leurs progrès, à surveiller et à évaluer les résultats, à vérifier le respect de nos obligations internationales en matière de droits de la personne, et à collecter des données et des études. Le commissaire exercerait également des fonctions de consultation, par exemple en assurant la liaison avec les défenseurs de groupes marginalisés. Ce travail renforcerait la transparence ainsi que la sensibilisation du public et la prévention.
Le commissaire serait vraiment un élément clé du tableau parce qu'en ce moment, le plan d'action national dépend aussi des cycles électoraux, et nous avons besoin d'un outil plus fiable que celui‑là. Nous avons besoin de quelque chose de plus durable en matière de responsabilisation.
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Je suppose que la réadaptation ne fonctionne pas, manifestement.
Ce que je ne comprends pas... Je vais revenir sur l'arrêt Jordan. Je pense qu'il faut changer cet arrêt.
Je ne sais plus lequel de mes collègues a évoqué plus tôt Cait Alexander, qui est venue témoigner devant notre comité. Elle a été laissée pour morte. À cause de l'arrêt Jordan, son ex‑petit ami — si on peut l'appeler ainsi — s'en est sorti. Ce n'était pas la première fois. Elle ne peut rien faire à ce sujet, et elle ne peut rien dire parce que l'affaire n'a jamais été portée devant un tribunal. Cet homme est libre d'errer dans les rues et de maltraiter d'autres femmes.
Je vais vous poser à tous les deux la question suivante: êtes-vous d'accord pour dire que nous devons revoir l'arrêt Jordan et le remanier pour protéger les femmes?
Je vous demanderai à tous les deux si vous estimez que cela doit être fait.
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Je pense à la réciprocité entre les provinces, par exemple. Si vous êtes une femme, que vous vivez en Ontario, que vous venez au Québec et que vous vous y faites agresser, vous ne serez aidée ni par l'Ontario ni par le Québec, parce qu'il y a des barrières entre les provinces concernant l'aide aux victimes, qui est de compétence provinciale. Par contre, si un criminel commet un crime en Ontario, il peut être incarcéré au Québec, car les mêmes programmes fédéraux s'appliquent partout au Canada.
Un jour, il faudrait avoir des normes minimales pour l'aide aux victimes. Il n'est pas normal que Terre-Neuve, entre autres, n'ait aucun programme d'aide aux victimes, tandis que le Québec et l'Ontario ont de bons programmes. Le problème, c'est que si vous êtes en voyage dans une province et que vous êtes victime d'un crime, vous ne serez aidé ni par cette province ni par la vôtre, parce que le crime doit avoir été commis dans votre province de résidence.
Depuis des années, j'exhorte le ministre fédéral de la Justice à avoir des discussions avec ses partenaires provinciaux pour conclure des ententes de réciprocité avec les provinces. Par exemple, si le Québec est prêt à aider les Québécoises qui ont été victimes en Ontario, il faudrait que l'Ontario fasse la même chose. À mon avis, c'est un gros problème que les victimes d'un acte criminel ne soient pas aidées, peu importe la province où elles sont victimes d'un crime.
Il y a tellement de choses à faire. Il faudrait que je revienne en politique.
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Merci, madame la présidente.
Je dis un gros merci à nos témoins aujourd'hui. Ils nous ont encore donné beaucoup d'informations.
C'est difficile pour les victimes. Nous avons entendu clairement que des changements sont nécessaires. De toute évidence, les provinces, le gouvernement fédéral et les municipalités ont un rôle important à jouer à cet égard.
Monsieur Boisvenu, je vous remercie de vos années de service.
Vous avez parlé de la thérapie pour les hommes. On peut dire que c'est une farce actuellement, car c'est quelques jours ici et là avec un groupe d'hommes. Vous avez parlé de votre expérience au Québec. Avez-vous des exemples à nous donner sur ce que peut faire le gouvernement fédéral? Nous avons ici des partis politiques, nous parlons de normes nationales, mais les discussions avec les provinces sont toujours difficiles. Les témoins nous disent qu'on devrait avoir des normes nationales, mais il faut quand même tenir compte des compétences provinciales.
Quelles sont vos recommandations pour nous permettre d'aborder ce problème de la thérapie pratiquement inexistante pour les hommes?
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Madame Auger-Voyer, nous avons entendu un grand nombre de témoins. Lorsque nous examinons les gouvernements fédéral et provinciaux, nous voyons le premier ministre de l'Ontario, M. Ford, affirmer que c'est un problème fédéral. Les victimes sont fatiguées d'entendre parler des aspects fédéraux et provinciaux parce qu'ils sont compliqués. Les lois ne sont pas nécessairement appliquées de la même manière dans toutes les provinces, et il y a un manque de ressources.
Vous avez mentionné certaines recommandations, mais à la lumière de ce que vous avez entendu aujourd'hui, avez-vous d'autres recommandations particulières à formuler, que ce soit à l'intention du gouvernement fédéral ou des gouvernements provinciaux? À l'heure actuelle, lorsque nous examinons le manque de tribunaux, de personnel et de formation, nous constatons qu'il s'agit vraiment d'un problème systémique de A à Z. Les victimes ne reçoivent aucun soutien, et aucun avocat ne leur est assigné.
Pendant le temps qu'il nous reste, avez-vous d'autres recommandations — peut-être trois — à faire aux gouvernements fédéral et provinciaux? Ils se rencontrent et discutent, mais les choses ne bougent pas nécessairement assez vite.
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Premièrement, il faut mettre en place des processus qui sont centrés sur les survivants et qui tiennent compte des traumatismes, en prenant en considération les besoins des victimes en matière de sécurité. De plus, il faut adapter les processus à leurs besoins, en particulier dans le cas des personnes les plus marginalisées.
Ensuite, il faut offrir aux victimes des conseils juridiques et une représentation gratuite. Il existe des projets pilotes dans ce domaine pour les agressions sexuelles, et ces projets devraient être élargis.
Il faut investir ensuite dans d'autres formes de responsabilisation — et je précise encore une fois que les survivants recherchent la responsabilisation —, telles que les initiatives de justice transformatrice et réparatrice.
Il faut investir davantage dans la réadaptation. Comme nous en avons discuté, la réadaptation est à l'heure actuelle un véritable ensemble de programmes disparates. Par exemple, en Ontario, les programmes d’intervention auprès des partenaires violents, ou PIPV, comprenaient autrefois 24 séances. Ils en comprennent maintenant 12 ou 16. Je crois qu'il y en avait 16 et que, maintenant, il n'y en a plus que 12. Pendant la pandémie, j'ai dirigé l'un de ces programmes, et il ne comprenait que six séances, ce qui est tout à fait insuffisant.
Il faut remédier aux retards dans les procédures judiciaires dont nous avons tous parlé, et financer des services de première ligne qui fournissent un soutien aux survivants et un accompagnement tout au long de leur processus. Il faut être présent, que les victimes souhaitent porter plainte ou non.
Enfin, il faudrait peut-être mettre en œuvre l'alerte robe rouge. Il s'agit là d'une mesure très importante que le gouvernement fédéral peut s'employer à mettre en oeuvre.
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Je vous remercie de vos réponses.
Je vous remercie, monsieur Serré.
À ce stade, nous allons passer à la quatrième série de questions. Habituellement, je dispose de 25 minutes pour cette série de questions, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Je vais donc réduire sa durée. Nous aurons une série de questions de 13 minutes, qui comportera deux interventions de quatre minutes et deux interventions de deux minutes et demie.
Nous allons aller de l'avant en vue d'amorcer notre quatrième série de questions. Comme nous avons commencé à 16 h 31, nous avons une minute de grâce.
Madame Viens, vous avez la parole pendant quatre minutes.
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Cette conversation a été très utile. Je tiens à vous remercier tous de vos idées.
Je voudrais revenir sur une idée dont nous avons déjà parlé au sein de notre comité. Ma collègue, la députée Damoff, l'a évoquée. Je crois que c'est l'une de vos recommandations, madame Auger-Voyer, à savoir la désignation d'un avocat pour les victimes. J'aimerais étudier un peu plus à fond cette idée.
Comment envisagez-vous que cela fonctionnerait? J'aime cette idée parce que, d'après ce que j'ai entendu en cour, elle était évoquée constamment. Les victimes n'ont pas l'impression d'être entendues. Les procureurs ne sont pas là pour elles. Les services d'aide aux victimes comptent des gens formidables qui travaillent dans les tribunaux pour guider les victimes pendant toutes les étapes de la procédure, mais ces personnes ne les défendent pas devant le juge. J'aimerais que ce rôle existe aussi dans les tribunaux de la famille — que la victime bénéficie d'un avocat qui connaît bien la violence fondée sur le sexe, le contrôle coercitif et d'autres infractions de ce genre.
Je ne sais pas si vous connaissez la réponse à la question suivante: faudrait‑il apporter une modification au Code criminel pour le faire? Comment envisagez-vous la mise en œuvre de cette mesure?
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Je suis tellement contente que vous m'ayez posé cette question.
En fait, notre organisation a travaillé à l'élaboration d'une feuille de route visant à soutenir la main-d'œuvre spécialisée dans la lutte contre la violence fondée sur le sexe. Cette feuille de route s'appuie sur les travailleurs de première ligne ainsi que sur toutes les recherches effectuées au Canada sur ce sujet. Nous avons établi certaines priorités, et l'une de nos recommandations est que le gouvernement fédéral crée une stratégie nationale de la main-d'œuvre pour les travailleurs qui luttent contre la violence fondée sur le sexe, car ils font face à de nombreux problèmes systémiques communs.
Il ne s'agit pas seulement des traumatismes qu'ils vivent et dont ils entendent parler tous les jours, mais aussi des obstacles auxquels ils se heurtent dans tous les systèmes avec lesquels ils travaillent et qui sont très frustrants au quotidien — et ce n'est pas le seul problème: il s'agit d'un travail compassionnel qui est effectué principalement par des femmes et surtout par des femmes de couleur, des femmes autochtones et des femmes noires. Tout comme dans l'économie des soins, ces emplois sont grandement sous-estimés et sous-payés, et leurs titulaires ne bénéficient pas d'avantages sociaux ni de régime de retraite. Il s'agit vraiment d'un problème systémique, qui doit être réglé par une stratégie nationale du travail.
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Merci, madame la présidente. Je manque manifestement de temps dans ce dernier tour.
Madame Uhlman, je vous demanderais de répondre à ma question en 30 secondes, parce que j'ai une autre question à poser après. Vous avez parlé dans vos remarques préliminaires du projet de loi . J'ai eu des discussions avec mon collègue porte-parole en matière de justice, et celui-ci a tout fait pour scinder ce projet de loi. Cependant, il n'a pas eu l'écoute du gouvernement, notamment pour retirer du projet de loi les crimes envers les femmes.
En quoi aurait-il pu être important de collaborer, au moins pour en retirer les crimes contre les femmes? Est-ce que le maintien des peines minimales pour des crimes envers les femmes aurait pu aider votre tante? Quand on dit que le gouvernement ne nous a pas écoutés, c'est qu'il n'a pas voulu scinder le projet de loi.
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Monsieur Boisvenu, j'ai d'abord un commentaire à faire et, ensuite, une question à poser.
Dans le cadre de votre projet de loi , il était question de réduire la période d'engagement de bonne conduite de deux ans à 12 mois. On en a vu les effets. Pendant cette période, les criminels peuvent être très vindicatifs. C'est là que ça peut devenir dangereux, parce que l'animosité envers l'ex-conjointe peut persister. Alors, effectivement, on ne comprend pas pourquoi ce délai a été réduit de cette manière dans le projet de loi S‑205.
Vous avez également mentionné que l'un des grands problèmes du système de justice était la culture du report. Est-ce qu'on ne devrait pas commencer par donner l'exemple au fédéral? Comment se fait-il qu'il y ait autant de postes vacants de juges? Quand on parle de pénurie de main-d'œuvre et de l'importance de donner des outils au système de justice, mais que le gouvernement tarde à pourvoir ces postes de juge, quel message cela envoie-t-il relativement à cette culture du report dans le système de justice?
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Actuellement, je pense qu'il y a au-delà de 80 postes vacants de juges à la Cour supérieure.
Je voudrais répondre à la question qui avait été posée tout à l'heure. Le Québec offre du soutien juridique aux victimes d'agressions sexuelles et de violences conjugales, mais il s'agit seulement de conseils. Il faudrait que notre système de justice ait trois composantes: la défense, la Couronne et la victime accompagnée de son avocat, comme en France.
Il faudrait que les deux parties aient les mêmes droits. Par exemple, il faudrait qu'une victime puisse elle aussi en appeler d'une décision et mettre en doute sa validité. Le système français est très équilibré sur ce point. Là-bas, la victime est représentée, en plus de la Couronne et de la défense du criminel. Dans le système de justice canadien, la victime n'est pas représentée, elle n'est que témoin.
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Ma dernière question s'adresse en fait à vous, monsieur le sénateur.
J'ai été très intéressée par ce que vous avez dit à propos des peines de courte durée, et du fait que dans le cas de ces peines, nous devons envisager la réhabilitation. Je pense, par exemple, à la justice réparatrice.
Si je mentionne ce point, c'est en partie parce que j'ai été formée pour enseigner à des personnes incarcérées. J'ai donné des cours universitaires à l'extérieur et à l'intérieur de l'établissement Grand Valley, qui a d'ailleurs récemment fait la une des journaux. Cette formation m'a permis de constater qu'il est impossible d'enseigner un comportement prosocial dans un environnement antisocial.
Notre objectif est, bien entendu, d'éradiquer la violence. Le but est de mettre fin à la violence fondée sur le sexe. Pourriez-vous nous dire pourquoi les programmes de réhabilitation pourraient constituer une meilleure solution pour les peines de courte durée.
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Dans les cas de violence conjugale, il faut s'attaquer aux récidivistes, soit aux agresseurs qui en sont à leur troisième ou quatrième victime. Il faut s'en prendre à eux.
En ce qui concerne la violence conjugale, dès qu'un jeune de 22 ou 23 ans se présente devant un juge, celui-ci doit immédiatement lui imposer de suivre une thérapie. Même si c'est la première fois que cet agresseur se présente en cour, il faut toujours l'obliger à suivre une thérapie plutôt que d'attendre qu'il fasse d'autres victimes. Autrefois, on agissait de la même façon pour l'alcool au volant: le gars se présentait devant le juge trois, quatre, cinq fois, mais on attendait qu'il tue quelqu'un, complètement saoul. Dans les cas de violence conjugale, il faut agir tout de suite, à la première occasion, parce que les comportements violents existent habituellement depuis longtemps.
Au Québec, le nombre moyen de séjours en prison que fait un criminel est de huit. Si on n'intervient pas rapidement, soit dès leur première comparution en cour, ces criminels viennent embourber nos palais de justice.
[Traduction]
Parfait.
Je vais réessayer.
Merci beaucoup à tous. Voilà qui conclut officiellement nos témoignages.
Je tiens à remercier chaleureusement tous les témoins pour les témoignages délicats qu'ils nous ont livrés.
Si vous voulez bien patienter une minute, j'aimerais également rappeler aux témoins que si on leur a posé des questions auxquelles ils n'ont pas eu le temps de répondre, ils pourront soumettre une réponse écrite à la greffière.
Enfin, avant de lever cette séance, j'aimerais faire une petite mise au point.
Nous sommes aujourd'hui le mercredi 20 novembre. Le lundi 25, nous tiendrons notre sixième réunion sur la violence et les féminicides. Nous n'avons pas assez de temps pour tous nos témoins. Êtes-vous d'accord pour faire comparaître certains d'entre eux pendant la réunion au 27? Mercredi, la moitié de la réunion sera consacrée au groupe de parlementaires ukrainiens. Pour ce qui est de la seconde moitié de la réunion, êtes-vous d'accord pour qu'au lieu de nous concentrer sur les instructions aux rédacteurs, nous entendions les témoins supplémentaires qui sont prêts à...? Nous aurons alors tenu six réunions et demie pour cette étude.
Sommes-nous d'accord?
Des députés: Oui.