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Je déclare la séance ouverte.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le mardi 4 février, le Comité reprend aujourd'hui son étude sur la violence entre partenaires intimes et sur la violence domestique au Canada.
Dans le contexte pandémique et à la lumière des recommandations des autorités de la santé publique et de la consigne du Bureau de régie interne du 19 octobre 2021, il est recommandé que tous ceux qui participent à la réunion en personne suivent les règles que j'énoncerai pour veiller à la santé et à la sécurité de tout un chacun.
Quiconque souffre de symptômes devrait participer à la réunion sur Zoom et non pas en personne. Tous doivent maintenir une distance physique de deux mètres avec les autres, qu'ils soient assis ou debout. Tous doivent porter un masque non médical en se déplaçant dans la salle. Il est fortement recommandé que les membres du Comité portent leur masque en tout temps, même lorsqu'assis. Les masques non médicaux sont plus pratiques pour la compréhension que les masques en tissu et sont à votre disposition dans la salle. Tous ceux ici présents doivent maintenir une bonne hygiène des mains en utilisant le gel antiseptique pour les mains à l'entrée de la salle. Les salles de comité sont nettoyées avant et après chaque réunion. Dans cet esprit, chacun est invité à nettoyer les surfaces telles que les bureaux, les chaises et les micros avec les lingettes désinfectantes fournies lorsqu'ils prennent place autour de la table ou lorsqu'ils quittent les lieux.
J'aimerais énoncer quelques règles à suivre pour les participants virtuels.
Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Les services d'interprétation sont offerts pour cette réunion. Au bas de votre écran, vous pouvez choisir l'option plancher, anglais ou français. Si vous n'entendez pas l'interprétation, veuillez m'en aviser immédiatement et nous veillerons à ce que le problème soit réglé avant de poursuivre les délibérations du Comité.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez à la réunion virtuellement, veuillez cliquer sur l'icône du micro pour enlever la sourdine sur votre micro. Pour ce qui est des participants dans la salle, sachez que votre micro sera contrôlé comme d'habitude par l'agent des délibérations et de la vérification.
Je vous rappelle que toutes les interventions doivent se faire par l'entremise de la présidence. Veuillez parler lentement et clairement lorsque vous vous exprimez. Si vous n'êtes pas en train de parler, votre micro devrait être en sourdine.
Avant d'accueillir nos témoins, j'aimerais vous donner un avertissement. Nous allons discuter d'expériences liées à la violence et à des agressions. Cela pourrait s'avérer difficile pour ceux à l'écoute qui auraient vécu des expériences semblables. Si vous vous sentez bouleversé ou si vous avez besoin d'aide, veuillez en informer la greffière.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre premier groupe de témoins pour la réunion d'aujourd'hui.
Pour le premier groupe, nous accueillons un témoin qui désire demeurer anonyme. Elle sera désignée sous le nom de « Témoin 1 ». Je demande aux membres du Comité de bien vouloir la désigner ainsi. Elle a également indiqué faire partie du Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel.
J'aimerais aussi souhaiter la bienvenue à Bonnie Brayton, directrice générale nationale du Réseau d'action des femmes handicapées du Canada. Merci beaucoup de vous joindre à nous, madame Brayton.
Enfin, nous accueillons aussi Melpa Kamateros, directrice générale de Bouclier d'Athéna Services familiaux. J'espère que vous saurez m'aider avec ma prononciation, madame Kamateros.
Chaque témoin disposera de cinq minutes pour ses remarques liminaires. Je vous montrerai ce joli petit carton lorsqu'il vous restera une minute pour vous en informer, puis nous passerons au premier tour de questions avec les députés qui disposeront de six minutes chacun.
J'aimerais entamer la réunion d'aujourd'hui avec Bonnie Brayton.
Allez-y, madame Brayton.
J'aimerais remercier le Comité de m'avoir invitée à comparaître devant vous.
Je me joins à vous aujourd'hui depuis le territoire non cédé des Kanienkehaka à Montréal.
J'aimerais aller vite étant donné le temps limité.
Je rappellerai aux témoins et aux membres du Comité que 24 % des femmes vivent avec un handicap selon Statistique Canada. Bien sûr, ce pourcentage va au‑delà de 30 % chez les femmes noires et autochtones.
Dans le contexte des données importantes que nous devons examiner aujourd'hui, je rappellerai à tous certaines statistiques, à savoir que 39 % des femmes handicapées ont déjà été victimes de violence conjugale et que 46 % d'entre elles ont subi des blessures physiques à cause de la violence. Il existe un certain nombre d'autres statistiques, notamment que les femmes souffrant de troubles cognitifs sont plus susceptibles d'être victimes de violence de la part d'un conjoint de fait.
Il existe une certaine interdépendance entre la situation de handicap, la violence et les sévices, c'est-à-dire que la violence peut causer un handicap, mais qu'un handicap en soi fait aussi augmenter le risque de victimisation. J'aimerais vous faire part d'une des statistiques importantes à cet égard. Chaque année, on estime que jusqu'à 276 000 femmes au Canada subiront un traumatisme cérébral en raison de la violence d'un partenaire intime. Réfléchissez à cela. De plus, 71 % des femmes handicapées ont déclaré avoir contacté ou avoir eu recours à des services de soutien officiels en raison de la violence d'un partenaire intime. Les femmes handicapées font face à plus d'obstacles pour quitter une situation de violence, car les services pour les personnes en situation de handicap et pour les victimes de violence ne sont souvent pas en mesure de répondre à leurs besoins.
La violence sexospécifique demeure un problème majeur pour les femmes et les filles handicapées, tel que le souligne l'étude susmentionnée. L'autre recherche dont nous vous ferons part dans notre mémoire — qui contient toutes les données et les faits importants et que je vous exhorte à lire la semaine prochaine — le confirme. Tel que le souligne l'étude, il s'agit d'un enjeu urgent et on y reflète la nécessité d'aborder collectivement les réalités de la violence sexospécifique dans la vie des femmes et des filles handicapées.
En ce qui concerne ce que j'ai vu, un certain nombre de vos témoins, bien sûr, provient de la communauté des refuges, alors j'aimerais parler directement de cela et dire que bien que nous le comprenions, il existe une distinction importante entre l'accessibilité et l'accès aux refuges en ce qui concerne le type de langage et de réflexions dont nous avons besoin aujourd'hui. Le RAFHC, de même que ses partenaires chez Hébergement femmes Canada et la grande majorité des refuges reconnaissent qu'il existe des lacunes. Celles‑ci s'aggravent encore plus avec la COVID‑19, car les femmes handicapées doivent maintenant se plier à des politiques qui les exposent encore plus aux endroits et aux personnes associés au taux disproportionné de violence dont elles sont victimes. Cela dit, en raison de la pandémie, les refuges sont déjà débordés et manquent de ressources.
Ce que toutes ces informations nous indiquent maintenant pour le plan d'action national et pour les prochaines étapes, c'est que la discrimination systémique, y compris le capacitisme, le sexisme et le racisme, est omniprésente dans nos recherches, nos politiques, nos programmes et nos interventions. Il est fort tentant, par réflexe, de se concentrer sur les ressources actuelles, mais cela n'entraînera pas le changement systémique nécessaire pour mettre fin à la violence sexospécifique dans notre société.
Je vais maintenant vous parler de nos recommandations principales. Je vais d'abord aborder les sujets et j'espère pouvoir tous les couvrir avec le temps qui m'est octroyé.
Il faudrait tout d'abord mettre à jour et réviser la définition du terme « violence entre partenaires intimes » pour la rendre plus inclusive et parler plutôt de « violence interpersonnelle » afin de mieux refléter le fait que pour les femmes handicapées, par exemple, l'agresseur peut aussi être un membre de la famille, un ami, un fournisseur de soins de santé ou encore un préposé.
Ensuite, le soutien par les pairs est un enjeu si important dans le travail du RAFHC qui reflète ce que nous avons tellement besoin d'entendre aujourd'hui. Tel que mentionné, l'enjeu de la violence sexospéficique contre les femmes handicapées établit clairement que ces femmes ont besoin de soutiens uniques, mais des obstacles systémiques et comportementaux continuent d'en empêcher l'accès. Il existe des organisations de services aux femmes et aux personnes handicapées qui ont été formées pour et par les personnes qu'elles aident, et qui reflètent le pouvoir du soutien par les pairs lorsque les oppressions et la résilience partagées sont transformées en solutions. Il faut étudier les résultats des efforts de ces personnes en premier avant de les reproduire, et ce, non pas en vase clos, mais ensemble.
Les instruments d'espoir sont un autre enjeu important. Un changement systémique n'est possible qu'avec une vision à long terme et en maintenant le cap. La Stratégie nationale sur le logement, le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le genre et le programme national d'éducation préscolaire et de garde d'enfants ne sont que quelques-unes des initiatives fédérales qui pourraient et devraient être coordonnées. Il existe des mécanismes de financement au sein d'EDSC, de FEGC et d'autres ministères qui fonctionnent déjà très bien, ou qui pourraient bien fonctionner, s'il était possible d'examiner les résultats dans les communautés qui ont eu recours à des projets pilotes dans chaque région. Je vous exhorte tous à penser au fait que vous avez devant vous la possibilité de changer les choses en pensant réellement à ces instruments d'espoir et à ce à quoi ils pourraient mener avec une approche à l'échelle gouvernementale. L'approche silencieuse n'a pas fonctionné pour les femmes et les filles handicapées.
Je sais qu'il ne me reste plus beaucoup de temps, mais je mentionnerai aussi les sévices sexuels vécus dans l'enfance. Aujourd'hui même, des statistiques ont été publiées, confirmant que la victimisation sexuelle des enfants a augmenté de 95 % au cours des cinq dernières années.
Instaurons la résilience, le changement et la justice.
Merci.
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Je vous remercie, madame la présidente, mesdames et messieurs membres du Comité, de cette invitation à vous livrer notre témoignage.
Avant de commencer mon intervention, je tiens à souligner que le territoire sur lequel je me trouve est un territoire traditionnel non cédé des Premières Nations et j'exprime ma gratitude et ma reconnaissance à cet égard.
Le regroupement que je représente aujourd'hui rassemble 26 centres d'aide et de lutte destinés aux victimes d'agressions à caractère sexuel. Ces centres sont répartis d'un bout à l'autre de la province québécoise. Notre regroupement a vu le jour en 1979. C'est donc depuis 43 ans que nos centres incarnent une expertise provinciale en intervention, en prévention et en défense des droits des femmes en lien avec la violence sexuelle.
J'aimerais commencer mon intervention en rappelant que 86,3 % des victimes connaissent leurs agresseurs, et que 70 % des agressions sexuelles sont commises dans une résidence privée. Les représentations qui sont souvent véhiculées dans les films et les médias, à savoir que les agressions sexuelles surviennent quand une femme se fait attaquer par un inconnu en marchant toute seule dehors, ne sont pas du tout la norme.
En fait, dans la majorité des cas, les violences sexuelles surviennent dans la cellule familiale, dans des relations amoureuses ou avec d’anciens partenaires intimes. Il est donc essentiel, si l'on veut s'attaquer au problème des violences sexuelles, de prendre en considération la nature sexospécifique de cette violence. On le sait, 94 % des agresseurs sont des hommes; on sait aussi que cette violence survient surtout dans un cadre familial ou dans le cadre de relations intimes.
Afin de vaincre cette violence, il importe, selon nous, d'effectuer de la prévention auprès des jeunes et du personnel, notamment dans les écoles secondaires, et de lutter contre les obstacles à la dénonciation des violences sexuelles.
Notre expertise en matière de prévention nous a démontré qu'une des stratégies les plus efficaces est d'agir auprès des jeunes. Ce que nous proposons depuis 2014, après nous être alliées avec des chercheuses, c'est de présenter une série d'ateliers dans les écoles secondaires, tant aux jeunes qu'à leurs parents et au personnel scolaire.
Nous proposons déjà des ateliers en classe auprès des jeunes pour aborder des thèmes comme l'importance du consentement libre et éclairé; nous proposons de la formation au personnel scolaire, enseignant et non enseignant, qui aborde des mythes et des préjugés comme celui selon lequel le viol est le seul type d'agression sexuelle; nous proposons aussi des capsules vidéo en ligne pour les parents. En effet, tant les parents que le personnel scolaire doivent savoir repérer ce type de situations et surtout intervenir dans les situations où ils soupçonnent une agression à caractère sexuel ou en seraient témoins.
Le deuxième problème contre lequel il faut absolument lutter, selon nos observations et nos constats, ce sont les obstacles à la dénonciation des violences sexuelles. Parlons-en. L'obstacle le plus présent, c'est la peur de la victime, si elle dénonce son agresseur, que cela devienne sa parole contre la sienne; elle a peur que personne ne la croie et que la dénonciation ne change rien. En fait, il importe de diffuser, dans tout le pays, le message clair que les victimes seront crues et qu'elles peuvent avoir confiance en leur gouvernement si elles décident de briser le silence.
L'idée selon laquelle il est très probable et très fréquent qu'une femme accuse à tort son agresseur est un mythe. En fait, nous estimons que les victimes font de fausses accusations dans seulement 2 % des cas. Le risque que cette situation arrive est grandement surestimé et ne devrait pas guider ou régir le passage de chaque victime dans l'appareil judiciaire canadien.
Un autre frein à la dénonciation touche surtout, cette fois-ci, les victimes qui ont un statut d'immigration précaire. Elles ont peur, si elles vont porter plainte, que les policiers vérifient leur statut et les dénoncent même aux services frontaliers, provoquant ainsi leur expulsion du Canada. C'est vrai dans les cas des femmes migrantes, mais c'est aussi vrai dans le cas des femmes qui ont été parrainées par leur conjoint et qui craignent donc d'être expulsées du Canada si elles en venaient à dénoncer les violences qu'elles subissent à la maison.
Nous remarquons, au Québec du moins, une faiblesse dans l’interdiction de la police d’enquêter sur le statut migratoire des victimes qui se présentent pour dénoncer une violence qu'elles subissent. Or toute femme devrait avoir droit à une protection contre les violences sexuelles au Canada, indépendamment de son statut migratoire, de son passé, de son âge ou de son orientation sexuelle.
C'est ce qui conclut mon intervention. Je vous remercie.
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Bon, alors après tous ces soucis, me voici. Je représente une organisation qui existe depuis plus de 30 ans. Nous avons présentement trois points de service au Québec, soit un refuge d'urgence et deux centres externes. Nous avons aussi un service d'approche communautaire qui nous permet de sensibiliser activement les gens à la violence familiale.
Nous sommes également en train de mettre sur pied une ressource de deuxième étape qui deviendra notre quatrième point de service. Nous faisons partie de l'alliance des maisons d'hébergement de deuxième étape du Québec.
Je suis ici aujourd'hui pour vous parler de certaines situations que nous avons observées dans les tranchées. Nous croyons qu'en parlant aujourd'hui de ce que nous avons observé, nous pourrons peut-être aider les victimes de violence, influencer les politiques publiques, encourager l'adoption de lois et, espérons‑le, changer les perceptions de la société sur ce type de violence.
Je ne vais pas trop m'attarder là‑dessus, mais nous connaissons tous les effets de la pandémie mondiale sur les femmes victimes de violence et sur les femmes en général. Ce groupe de la population a été le groupe le plus affecté par la pandémie. Cela dit, certains enjeux, dont l'accès inégal aux services, le manque de place dans les refuges, les lois inefficaces, le manque de programmes de prévention ou de sensibilisation sur la violence conjugale, tout comme la minimisation ou la normalisation de la violence conjugale, existaient avant la pandémie mondiale de la COVID‑19.
La situation est devenue encore plus difficile pour les immigrantes, les femmes provenant des communautés culturelles ethniques — qui font face à des obstacles linguistiques — et celles ayant beaucoup d'enfants. Il est difficile pour ces femmes d'avoir accès aux informations de base, alors ne parlons même pas des services. Leur isolement s'est renforcé.
L'augmentation de la violence sexospécifique à l'échelle mondiale n'est pas seulement attribuable à la pandémie, mais aussi aux facteurs sous-jacents qui existaient déjà et qui n'ont pas été réglés. Nous aimerions donc proposer une approche plus générale pour que l'on puisse s'attaquer à l'enjeu de la violence conjugale.
Que voulons-nous dire? Nous voulons dire que nous désirons une loi pertinente qui comprendra une définition élargie de la violence conjugale et qui soulignera l'illégalité de cette violence. Nous ne voulons pas extrapoler certains articles du Code criminel du Canada qui font référence à la violence physique et sexuelle, car la violence conjugale est un sujet beaucoup plus profond. Ce type de violence crée des traumatismes chez les femmes et les enfants, et c'est pourquoi nous voulons une loi à cet égard.
De plus, nous estimons qu'il faudrait davantage analyser les programmes de prévention. Les statistiques démontrent que des femmes de plus en plus jeunes fréquentent les refuges. Cela signifie que les agresseurs qui commettent cette violence sont eux aussi de plus en plus jeunes, ce qui démontre que les perceptions de la société sur la normalisation de la violence n'ont pas du tout changé.
Enfin, nous voulons des services intégrés assurant une plus grande continuité pour les victimes, les enfants exposés à la violence et les agresseurs.
Nous souhaitons également un meilleur accès aux services d'hébergement tout au long des démarches de la victime. Il existe une chronologie en termes d'hébergement pour les victimes de violence. Les choses ne se concluent pas avec l'appel initial au 911. D'abord, il y a l'entrée au refuge. Il existe un gros problème à ce niveau. Je me souviens avoir témoigné devant ce comité il y a quelques années. À l'époque, nous avions parlé de l'enjeu de l'hébergement de deuxième étape. Il s'agit d'un enjeu majeur. Des milliers de femmes et enfants quittent les refuges d'urgence au Québec. Or, nous disposons de 500 places en hébergement de deuxième étape. Si nous comparons la situation actuelle avec la situation d'avant, nous voyons qu'il nous aura fallu 12 ans pour notre ressource de deuxième étape qui est en train d'être mise sur pied.
Il nous faut améliorer l'accès aux maisons d'hébergement d'urgence et de deuxième étape, mais aussi aux logements sociaux par la suite. Une de nos clientes est venue nous voir il y a deux semaines et elle était très heureuse. Elle était heureuse parce qu'elle avait enfin obtenu son logement social après quatre ans d'attente avec trois enfants à sa charge. Il est évident qu'il existe des lacunes.
Nous aimerions aussi proposer l'octroi d'un statut spécial aux femmes victimes de violence conjugale. Que voulons-nous dire par statut spécial? La dépendance financière est un enjeu majeur dans les cas de violence conjugale. Nous sommes censés guider les femmes vers l'autonomie et la non-dépendance. Il s'agit d'un enjeu majeur. L'idée de donner une allocation et un statut de femme vulnérable à ces femmes victimes de violence conjugale... Ai‑je besoin de dire à quel point cela serait nécessaire pour les immigrantes qui ne peuvent pas parler la langue du pays, qui n'ont pas de réseau social et qui n'ont pas non plus de moyens de subvenir à leurs besoins?
Nous proposons d'accorder cette allocation financière aux femmes victimes de violence conjugale. Cela pourrait les aider à surmonter les pires moments de leur traumatisme violent et à devenir un jour autonomes. Ce type d'aide financière devrait être offerte à toute victime de violence conjugale, que ce soit des femmes célibataires ou des mères monoparentales qui ont des enfants à charge.
Pour conclure, j'aimerais que les membres du Comité me croient — je vous prie de me croire, parce que nous travaillons avec les victimes — lorsque je dis que les possibilités qu'une victime retourne vers son conjoint violent ou qu'elle se retrouve dans la rue sont élevées si elle n'a aucun recours, pas beaucoup d'argent et pas d'endroit pour se réfugier.
Je remercie les membres du Comité de m'avoir écoutée. Merci beaucoup.
[Français]
Je tiens à préciser que je peux répondre aux questions en français.
Si je n'ai parlé qu'en anglais, c'est que j'étais nerveuse et que mon temps de parole était limité.
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Je vous remercie pour votre question.
Je tiens à vous en parler plus en détail, parce que c'est un sujet très important. Comme je l'ai dit, j'ai constaté que bon nombre des témoins que vous entendrez offrent des services directs. Je pense notamment au réseau des refuges. Bien que le problème d'accessibilité aux refuges soit évident, ce n'est pas le problème que nous devrions aborder maintenant.
Le plan d'action national s'échelonne sur 10 ans et nous permet d'examiner la situation d'un point de vue plus structurel, et c'est là que nous devons commencer. Je tiens à vous rappeler que les refuges et les maisons de transition, comme celles décrites par mes collègues — ma bonne collègue du Québec et le Bouclier d'Athéna, et d'autres organisations incroyables à travers le pays — ont été mis en place dans les communautés par les femmes, avec ce qu'elles ont pu trouver — un vieil immeuble, une vieille structure, tout ce qu'elles pouvaient trouver —, pour tenter de répondre à des besoins qui n'étaient pas comblés ailleurs. C'est grâce à ces femmes que nous avons aujourd'hui un réseau de refuges. C'est grâce à elles que nous avons des refuges de deuxième étape. Tout cela, nous le devons aux femmes dans les communautés.
Selon DAWN Canada, ce n'est pas sur cela que nous devons nous centrer, mais bien sur le fait que les solutions offertes aux femmes des collectivités diversifiées — y compris les femmes handicapées, les femmes noires, les femmes autochtones et les femmes des communautés marginalisées de toutes sortes— ne fonctionnent pas. Ce n'est pas à cause des refuges. Nous devons repartir à zéro et miser sur l'espoir, penser à long terme et revoir la façon dont nous offrons ces services.
L'accessibilité est... J'ai parlé du soutien des pairs tout à l'heure. Il faut entreprendre une démarche par étapes pour que ces solutions aient une incidence sur les femmes et les filles handicapées, parce qu'il ne suffit pas de construire des rampes d'accès. C'est ce qu'on disait il y a 25 ans.
Au Québec, nous avons récemment produit un rapport. Je faisais partie des 21 experts qui l'ont rédigé. L'objectif du rapport, intitulé Rebâtir la confiance, était de regagner la confiance des victimes d'agression sexuelle et des victimes de violence conjugale.
Nous avons étudié les solutions proposées. L'une d'entre elles était la loi de Clare, qui permet d'informer une femme des antécédents de son partenaire, de son conjoint ou de son copain en matière de violence. Elle s'inspire d'une loi du Royaume-Uni qui porte le nom de Clare, une femme qui a été tuée pour cette raison exactement: elle ne connaissait pas le passé violent de son partenaire.
Nous croyons que c'est une bonne chose. Cette loi a été adoptée dans plusieurs provinces au Canada. En plus des bracelets émetteurs, il s'agit d'une mesure d'habilitation possible pour les victimes de violence conjugale. Je n'y vois aucun problème, et je ne crois pas que personne n’y voit un problème non plus. Toutefois, il faudrait qu'une telle loi soit associée à d'autres lois et services également.
Je tiens moi aussi à remercier les témoins de nous transmettre leurs connaissances sur ces enjeux.
J'aimerais commencer avec Mme Brayton. Vous avez dit une chose très importante en ce qui a trait aux personnes handicapées et à la violence entre partenaires intimes. Vous avez parlé de traumatismes cérébraux, mais vous avez aussi évoqué un cycle.
On pense à des personnes qui sont nées avec un handicap ou qui étaient déjà handicapées au moment d'entreprendre une relation, mais on a également appris que la violence en soi pouvait mener à un handicap, surtout la violence qui entraîne des traumatismes cérébraux, des traumatismes crâniens et d'autres blessures. Comment pouvons-nous briser ce cycle?
Aussi, comme les traumatismes cérébraux sont souvent très mal compris, mal diagnostiqués et stigmatisés, comment peut‑on les éviter, et éviter de créer ce cycle?
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Je vous remercie beaucoup pour cette question, madame Vandenbeld, parce que ce volet est très important pour le travail du Comité. Il ressort des recherches émergentes, mais c'est un enjeu que DAWN Canada soulève depuis des décennies. Certaines femmes deviennent handicapées à cause de la violence qu'elles ont subie.
J'aimerais souligner une chose, puisque nous abordons ce sujet: les taux d'incapacité chez les femmes autochtones et les femmes noires sont plus élevés, ce qui donne à penser qu'il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles les femmes deviennent handicapées à cause de la violence, et plusieurs liens à faire.
En ce qui a trait aux traumatismes cérébraux de façon particulière, ils représentent la tempête cachée dont il faut parler, parce que selon les nouvelles données que j'ai mentionnées plus tôt, plus d'un quart de million de femmes ont subi des traumatismes cérébraux... et il faut comprendre que les études au Canada montrent que plus de 50 % des femmes qui séjournent dans un refuge ou une maison de transition ont subi un traumatisme cérébral.
Ces traumatismes ne sont pas détectés; ils ne sont pas diagnostiqués. Qu'arrive‑t‑il à ces femmes? Je pourrais vous donner des statistiques sur le nombre de femmes sans-abri qui avaient subi un traumatisme cérébral avant de se retrouver dans la rue ou du nombre de femmes emprisonnées qui avaient subi un tel traumatisme avant de se retrouver en prison. Il faut faire ces liens lorsqu'on pense aux solutions à long terme, à l'élaboration des politiques et à l'amélioration des services de soutien pour les femmes victimes de traumatismes cérébraux et de lésions cérébrales acquises en raison de la violence, parce que les deux sont bien réels. Les lésions cérébrales acquises émanent de la violence à long terme et pas nécessairement d'un coup à la tête; elles peuvent être attribuables à d'autres formes d'abus répétés.
Ces éléments doivent être pris en compte dans l'élaboration du plan d'action national. Les refuges et les services de première ligne doivent comprendre l'ampleur de ce problème. La communauté des personnes handicapées et les titulaires de droits doivent comprendre l'importance du problème, parce que la violence fondée sur le sexe donne lieu à un large éventail de traumatismes cérébraux.
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Je vous remercie de faire la lumière sur cet enjeu, et je crois qu'il sera une composante importante du travail du Comité.
J'ai une deuxième question, et je sais que Mme Brayton et Mme Kamateros en ont parlé, mais si la témoin 1 voulait ajouter quelque chose, je l'invite à le faire. Elle porte sur l'accessibilité des refuges et les logements.
Dans ma circonscription, nous avons un refuge, appelé Nelson House. L'une d'entre vous a parlé... Au départ, c'était une vieille maison où les chambres étaient situées sous le toit, et étaient complètement inaccessibles. Nous avons réussi à obtenir du financement et à créer un refuge modulaire moderne et pleinement accessible, mais je sais que ce n'est pas le cas pour la plupart des autres refuges. Bien sûr, lorsque les logements locatifs sont abordables, surtout pour les gens qui bénéficient du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées... Je crois qu'il y a des lacunes à cet égard.
Est‑ce que l'une d'entre vous aimerait faire un commentaire à ce sujet, et sur les solutions possibles?
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Merci, madame la présidente.
Bonjour à tous.
Je remercie infiniment les témoins de leur présence.
Bien sûr, il y a des choses que nous connaissons, mais la réalité sur le terrain et les exemples que vous mettez en perspective sont très précieux pour la suite des travaux.
Je vais m'adresser à la témoin 1.
Sans dire que je connais à fond le travail au Québec des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, les CALACS, je connais une bonne partie de vos initiatives, que je salue, d'ailleurs. Vous jouez un rôle incontournable dans les solutions à mettre en avant.
Je voudrais vous parler particulièrement des jeunes filles. Nous savons tout le travail de prévention qui se fait dans notre réseau scolaire. Toutefois, on nous dit qu'il y a une augmentation de ces formes de violence chez les jeunes. Est-ce exact?
Du côté des jeunes filles, croyez-vous que c'est un recul de penser comme cela? Sont-elles aussi sensibles à la génération qui les suit et aux problèmes soulevés par le féminisme? Tiennent-elles certains progrès pour acquis? Devez-vous redoubler d'efforts en matière de prévention?
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Je vous remercie de votre question.
En matière de prévention, le refus de certains directeurs d'école d'offrir en classe nos programmes de prévention, ce qui arrive souvent, est l'un de nos plus grands obstacles. Nous sommes déjà confrontés à des obstacles structurels pour faire de la prévention dans le milieu scolaire.
Ensuite, un autre grand obstacle concerne les mythes et les incompréhensions de ce qui peut être de la violence. Nous le voyons sur le plan de la violence conjugale où, souvent, on ne tient pas compte de l'aspect psychologique de la violence, tout le détournement cognitif qui peut survenir. On ne le perçoit pas comme une forme de violence.
Pour ce qui est de la violence sexuelle chez les jeunes filles, c'est exactement la même chose. Souvent, les jeunes filles ne perçoivent pas le proxénétisme comme de l'exploitation sexuelle. Elles ne réalisent pas ce que cela représente. Même les amies de leur entourage vont parfois percevoir le proxénétisme comme un travail sans vraiment comprendre tout ce que cela implique. Il est donc d'autant plus important de sensibiliser le personnel scolaire et tous les gens de leur entourage, afin qu'ils soient outillés pour repérer cette forme de violence, pour comprendre ce phénomène et, surtout, pour établir avec les jeunes filles une relation de confiance où elles sentent qu'elles peuvent se confier à un adulte sans se sentir jugées.
C'est un aspect vraiment important, et c'est ce qui manque actuellement.
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Si je vous comprends bien, lorsqu'on mène des campagnes de sensibilisation auprès des jeunes, il faut une approche un peu particulière plutôt qu'une approche traditionnelle — le mot n'est peut-être pas exact — pour leur parler de prévention.
Vous avez parlé des différentes formes de violence. Nous savons que les contrôles coercitifs sont souvent précurseurs de violence physique, et même de féminicides. Au Québec, nous en avons malheureusement dénombré plusieurs. Vous n'êtes pas sans savoir qu'au Québec, un tribunal spécialisé sera mis en place pour s'occuper de ces questions, notamment au moyen des bracelets antirapprochement.
À votre avis, devrait-il y avoir une cohérence juridique avec les lois fédérales? Nous avons parlé de la loi de Clare tout à l'heure, mais trouvez-vous important d'éviter que chacun fasse les choses de son côté et d'élargir l'accès, de judiciariser davantage le processus?
Je suis heureuse de participer à la réunion du Comité, auquel j'ai siégé pendant de nombreuses années.
Je suis aussi très heureuse de voir des leaders incroyables comme nos témoins. Madame Brayton, c'est un plaisir de vous voir. Cela faisait longtemps. Même par Zoom, c'est agréable.
Je tiens à remercier tous les témoins de comparaître devant le Comité aujourd'hui.
Je sais que vous avez toutes réfléchi aux obstacles auxquels font face les femmes, notamment l'insécurité économique. Je remplace aujourd'hui ma collègue, , qui est une grande défenseure du revenu viable garanti, et qui a présenté une mesure législative à la Chambre à deux reprises. Pourriez-vous nous parler de l'importance du revenu viable garanti pour aider les femmes, notamment les nombreuses femmes qui ont été durement touchées pendant la crise, et qui sont encore plus vulnérables lorsqu'elles n'ont pas de revenu ou de sécurité financière?
J'aimerais entendre tous les témoins. Madame Brayton, vous pourriez commencer. Nous pourrions ensuite entendre la témoin 1 et Mme Kamateros.
Bien sûr, il est important de lier les politiques économiques aux politiques sociales. C'est la seule façon de vraiment pouvoir aborder ces questions. Il est certain que la question d'une prestation nationale d'invalidité ou d'un revenu national garanti a été soulevée et est devenue urgente pendant la pandémie.
Il était très évident — et bien sûr, la plupart des membres de ce comité parlementaire le savent — qu'il n'y a pas de prestation nationale d'invalidité à l'heure actuelle et que, en fait, les femmes et les filles handicapées étaient et continuent d'être les plus pauvres. Ce sont les femmes et les filles handicapées qui ont les plus faibles revenus dans ce pays. Les mères seules handicapées et les femmes âgées handicapées sont les personnes les plus pauvres de notre pays. Encore une fois, ce sont ces mêmes personnes qui connaissent les taux les plus élevés de violence de tout genre, notamment de violence fondée sur le sexe. Depuis plus de 10 ans, la majorité des plaintes relatives aux droits de la personne dans ce pays sont liées à l'invalidité. Il n'y a absolument aucune autre option que de se mettre au travail à ce stade.
Madame Ashton, je suis ravie que vous ayez soulevé la question des ressources financières. Les autres témoins nous ont déjà dit à quel point il est important pour les femmes qui fuient la violence de bénéficier d'une sécurité de revenu de base. Souvent, les femmes handicapées ne peuvent pas fuir, et c'est en partie parce qu'elles n'ont pas les moyens de le faire; elles dépendent de l'autre personne ou l'autre personne contrôle leurs finances. C'est un élément très important à intégrer dans le plan d'action national et dans tout ce que nous allons faire à l'avenir.
Bien sûr, je veux laisser du temps aux autres témoins. Je vous remercie.
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Je vais me permettre d'ajouter des précisions en lien avec les commentaires de Mme Brayton.
Les violences, qu'elles soient sexuelles ou conjugales, entraînent souvent de graves séquelles psychologiques chez les femmes. Dans certains cas, elles ont besoin d'un moment de répit pour comprendre véritablement ce qu'elles viennent de vivre. L'État ne doit donc pas minimiser les répercussions de la violence sur la vie professionnelle de ces femmes, car, dans beaucoup de cas, elles se retrouvent dans des situations où elles sont incapables de travailler, du moins pendant un certain temps.
Au Québec, nous avons le régime d'indemnisation appelé l'Indemnisation des victimes d'actes criminels, ou IVAC, et la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Certaines lacunes subsistent encore au Québec, mais aussi dans tout le pays. Il faudrait augmenter ces indemnités pour s'assurer de couvrir toutes les formes de violences dont sont victimes les femmes, car la violence laisse souvent des séquelles psychologiques. II faudrait donc lutter contre les formes de violence, même celles qui ne laissent pas de traces physiques, comme des ecchymoses. Il faut lutter contre toutes les violences typiques qui nous viennent à l'esprit, et pas seulement les formes de violence traditionnelle. Toutes les formes de violence sont à proscrire.
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La violence conjugale suscite beaucoup de peur chez les femmes, beaucoup de peur et beaucoup de honte. Seulement 30 % des cas de violence sont signalés. C'est un fait établi par Statistique Canada. Nous nous demandons simplement où sont les 70 % qui manquent. Pourquoi ne se sont-elles pas manifestées? Pourquoi n'ont-elles pas essayé d'obtenir de l'aide?
C'est à cause de tous les tabous qui entourent encore la question de la violence conjugale; parce qu'on banalise et minimise la situation pour les femmes. Nous croyons fermement — et je l'ai dit dans mon exposé — qu'une femme victime de violence conjugale devrait avoir un statut spécial de vulnérabilité lui permettant d'obtenir une allocation, une indemnité financière, qui l'aiderait à progresser vers l'autonomie et à briser le cycle.
Les femmes sont parfois des mères seules. Parfois, elles sont des femmes seules. Lorsqu'elles forment un tout avec leurs enfants, elles ont aussi la responsabilité envers leurs enfants de briser le cycle. Tout cela est très, très difficile à faire si vous n'avez pas les fonds nécessaires.
C'est ce que je souhaitais dire.
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Tout d'abord, en présence d'obstacles linguistiques, la voie d'accès à toute information, à tout choix d'action, à toute option est automatiquement bloquée. C'est automatique. Elle ne peut pas aller au CLSC. Elle ne peut pas aller au poste de police pour faire un signalement. Elle ne peut pas appeler une ligne d'aide. Elle ne peut pas accéder à un refuge, alors comment la femme peut-elle avoir accès à l'information et aux services de base? Il y a là une énorme inégalité. Cela éclipse l'inégalité dont nous parlons, la violence fondée sur le sexe.
Les femmes immigrantes qui n'ont pas de statut ont beaucoup de mal à obtenir de l'aide sociale. Elles ont du mal à subvenir à leurs besoins. Le droit de l'immigration prime sur les lois relatives à la violence conjugale, et c'est la raison pour laquelle nous parlons de la nécessité d'une loi fondamentale et d'une vision plus globale de la manière dont nous pouvons traiter la violence conjugale.
En un mot, c'est ça, et très souvent, il n'y a pas tellement de soutien au sein de la communauté ou de la famille. C'est pourquoi notre organisation s'occupe des victimes, mais aussi des communautés, car il est très important que les victimes prennent position et retournent dans leur communauté, et que celle‑ci les soutienne.
C'est le problème des femmes immigrantes. Il y a une situation d'inégalité flagrante, et elles ont le sentiment d'être, au Canada, des étrangères dans un pays étranger.
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Nous reprenons la séance du Comité.
Bienvenue à toutes nos témoins.
Nous poursuivons notre étude sur la violence entre partenaires intimes et la violence domestique.
Je vous présente notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons Sherilyn Bell, psychologue, qui se joint à nous à titre personnel; de l'Institut canadien de recherches sur les femmes, nous avons Jane Stinson, associée de recherche; et de la Fondation canadienne des femmes, nous accueillons Karen Campbell, directrice des initiatives et politiques communautaires.
Pour commencer la réunion d'aujourd'hui, nous allons accorder à chacune d'entre vous cinq minutes pour présenter vos déclarations liminaires, puis nous passerons aux questions de nos députés.
Je cède la parole à Mme Bell.
Madame Bell, vous disposez de cinq minutes.
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Bonjour à vous, madame la présidente, et aux membres du Comité.
Je m'appelle Sherilyn Bell et je témoigne aujourd'hui en ma qualité de conseillère en orientation d'une école secondaire à la retraite. J'ai accumulé 30 années d'expérience dans les secteurs privé et public, et je suis actuellement psychologue en pratique privée à Montréal. Mes observations d'aujourd'hui sont fondées sur mon expérience professionnelle auprès d'adolescents âgés de 12 à 17 ans.
Aujourd'hui, je vais vous parler des aspects plus subtils, mais non moins dommageables, de la violence dans les relations entre adolescents, qui implique le contrôle, la manipulation, la coercition et l'intimidation, et qui peut se produire aussi bien en personne qu'en ligne.
D'après mon expérience, si la plupart des adolescents, y compris les jeunes de 12 à 14 ans, sont facilement capables de reconnaître ce qui constitue une relation intime physiquement ou sexuellement abusive, il reste des défis à relever pour faire en sorte que de nombreux adolescents, et surtout les plus jeunes, puissent facilement reconnaître les caractéristiques d'une relation intime malsaine qui implique la manipulation, le contrôle et l'intimidation, surtout lorsqu'ils se trouvent eux-mêmes dans une telle relation. Il n'est pas rare que certains jeunes adolescents interprètent à tort la manipulation et le contrôle comme de l'attention et de l'amour, ce qui peut les amener à ne pas reconnaître une relation dysfonctionnelle.
En ce qui concerne la violence en ligne dans les relations entre adolescents, les progrès rapides des dernières décennies en matière de technologie ont permis à certains adolescents d'accéder facilement à Internet pour insulter, dénigrer, manipuler et contraindre leur partenaire en public, de manière explicite et cinglante. En outre, nombre de ces adolescents cherchent à masquer leur identité en créant des comptes sous différents noms ou en accédant aux comptes de médias sociaux d'autres adolescents et en les utilisant. En raison de la perception d'anonymat que procure l'utilisation d'un faux compte, le langage employé, et les commentaires et images publiés sont souvent beaucoup plus durs qu'ils ne le seraient si tout se passait en personne. Pour les victimes, une telle attaque en ligne peut avoir des effets dévastateurs. Les victimes expriment généralement des sentiments de gêne, d'humiliation et de honte qui se traduisent souvent par une importante dégradation de leurs capacités personnelles, sociales et scolaires.
Les parents vont parfois constater directement les relations contrôlantes et manipulatrices des adolescents en personne et pourront alors aborder la situation avec leur enfant, voire intervenir, mais il est important de noter que les parents ignorent souvent totalement si leur adolescent est l'auteur ou la victime de violence en ligne. Par peur des conséquences possibles, les adolescents tentent souvent de cacher cette information aux personnes en situation d'autorité, et la situation n'est souvent portée à l'attention d'un adulte que lorsque la victime ou ses amis estiment qu'elle a besoin d'aide ou de protection.
Selon un article publié en ligne le 19 octobre 2021 et signé par Deinera Exner-Cortens, professeure adjointe à l'Université de Calgary, et Wendy Craig, professeure à l'Université Queen's, un adolescent canadien sur trois âgé de 11 à 18 ans a été victime de violence dans le contexte de fréquentations amoureuses, en 2021. Cette statistique indique qu'il y a encore beaucoup de travail à faire pour résoudre le problème de la violence dans les fréquentations chez les adolescents. Dans ce même article, les autrices nous rappellent que la violence dans les fréquentations chez les adolescents est à la fois un problème de santé publique canadien et un enjeu lié aux droits de l'enfant.
Il existe au Canada des ressources qui offrent des renseignements sur cette question, comme le Centre canadien de protection de l'enfance. En fait, ce centre propose un excellent livret en ligne intitulé « Autoexploitation juvénile — C'est pas correct : Guide pour les familles », qui fournit de l'information détaillée sur cette question à l'intention des parents et des adolescents, ainsi que des suggestions pour prévenir les incidents ou gérer un incident après coup. Je serais curieuse de savoir dans quelle mesure les parents et les adolescents connaissent cette ressource.
À la lumière de mes observations d'aujourd'hui, voici mes recommandations au Comité. Premièrement, le gouvernement canadien devrait faciliter davantage de ressources subventionnées pour informer et soutenir les adolescents sur les relations saines et malsaines entre partenaires intimes. Deuxièmement, le gouvernement canadien devrait financer davantage les organisations existantes qui s'occupent des problèmes de contrôle, de manipulation et de coercition dans les relations entre jeunes adolescents et partenaires intimes. Troisièmement, il faudrait intensifier les campagnes de sensibilisation à ce sujet à l'intention des parents et des adolescents. Enfin, il faudrait élaborer d'autres programmes d'information, de sensibilisation et de prévention à l'intention des préadolescents et de leurs parents, afin que les enfants et les parents soient mieux renseignés sur la violence entre partenaires intimes avant que les enfants ne deviennent des adolescents.
Bonjour. Merci de me donner l'occasion de comparaître devant vous. Je suis associée de recherche à l'Institut canadien de recherches sur les femmes.
J'aimerais commencer par rendre hommage au peuple algonquin, qui est le gardien traditionnel du magnifique territoire non cédé sur lequel je vis.
L'an dernier, j'ai travaillé avec des femmes de plus de 40 organisations à l'élaboration du plan d'action national sur la violence faite aux femmes et la violence fondée sur le sexe. Je pense que Lise Martin, directrice générale d'Hébergement femmes Canada, vous en a parlé plus tôt cette semaine.
Aujourd'hui, mes observations s'inspirent de la recherche que nous avons réalisée pour ce plan d'action national, et ils sont guidés par une perspective féministe intersectionnelle qui met l'accent sur les personnes les plus marginalisées et les plus démunies.
Je veux me concentrer sur l'importance d'un système national public de transport en commun comme moyen de prévenir la violence familiale au Canada, d'y répondre et de l'atténuer. Les systèmes de transport en commun contribuent à prévenir la violence familiale en permettant aux femmes d'accéder aux emplois et aux revenus qu'ils procurent. Ils donnent aux femmes et aux personnes aux diverses identités de genre un moyen d'échapper à la violence familiale infligée par un partenaire intime. Enfin, ils contribuent à atténuer l'expérience de la violence familiale en donnant accès à des services de soutien qui se trouvent peut-être dans une autre collectivité.
La recommandation 20E du rapport final sur le plan d'action national demande aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ainsi qu'aux administrations municipales de créer, à l'échelle du Canada, un système de transport en commun permettant de prévenir et d'atténuer la violence fondée sur le sexe.
Je tiens à remercier ce comité pour son rapport de 2019 sur le réseau canadien de refuges et de maisons de transition, dans lequel vous avez recommandé que le gouvernement prenne des mesures pour financer le transport des femmes fuyant la violence qui n'ont pas accès à un refuge dans leur collectivité. C'était important et il faut maintenant que vous recommandiez d'autres mesures en matière de transport.
La situation s'est considérablement aggravée depuis cette recommandation de 2019. La COVID a contribué à faire grimper les taux de violence familiale, comme vous l'avez déjà entendu. De plus, l'accès aux systèmes de transport s'est détérioré, surtout pour les personnes qui vivent dans les collectivités rurales, éloignées et nordiques.
Par exemple, les victimes de violence familiale ont souffert de la décision de la Saskatchewan de supprimer le service d'autobus de sa société d'État, la STC, qui assurait un transport vital entre les collectivités de la province. Selon une étude, 37 % des survivantes de violence fondée sur le sexe en Saskatchewan ont indiqué que l'absence de transport était un obstacle à l'accès aux services et au soutien, depuis la suppression du STC. C'était un bon modèle, et il devrait être reproduit ailleurs.
En plus de cela, Greyhound a mis fin à son service d'autobus privé — dans certaines régions du pays auparavant, puis dans d'autres régions en 2021. Cela a considérablement aggravé une situation déjà pénible partout au pays, en particulier pour les peuples autochtones des collectivités éloignées.
Comme vous le savez, les distances qui séparent les collectivités du nord du Canada sont immenses. Les femmes sont souvent obligées de faire de l'auto-stop ou de recourir aux taxis, au covoiturage, à Uber ou à des véhicules privés pour sortir de la ville ou se déplacer entre les villes. Toutes ces options présentent des risques de violence fondée sur le genre.
Le rapport de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a mis en lumière la façon dont l'absence de systèmes de transport sûrs et abordables contribue à la violence et aux meurtres dont sont victimes les femmes autochtones. Le rapport recommande également à tous les gouvernements de veiller à la mise en place de plans et de fonds suffisants pour des systèmes de transport sûrs et abordables.
Les femmes ont besoin de systèmes de transport au sein de leur collectivité, entre les collectivités et entre les provinces. Il n'en existe pas à l'heure actuelle. Le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership, investir dans l'infrastructure de transport et inciter les autres ordres de gouvernement à faire de même. J'espère vraiment que ce comité réclamera plus d'action de la part du gouvernement.
Je vous ai présenté trois recommandations à examiner.
La première recommandation est l'objectif à long terme du plan d'action national, sur 10 ans, qui consiste à établir un système de transport pancanadien sûr, accessible et abordable.
La deuxième recommandation concerne une mesure à prendre à court terme pour y arriver. Il s'agit d'établir un groupe de travail fédéral chargé de s'attaquer au facteur du transport et du transport en commun dans la violence fondée sur le sexe et de définir l'orientation d'un système qui s'impose.
La troisième recommandation est d'encourager le financement des groupes de femmes qui envisagent le transport comme moyen de lutter contre la violence fondée sur le sexe, afin de donner l'impulsion voulue à la base, de contribuer à l'identification du problème et à la recherche de solutions, et de consolider le travail de ce comité et de FEGC dans la lutte contre ce problème.
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Je vous remercie. Bonjour. Je suis Karen Campbell, de la Fondation canadienne des femmes, et je me joins à vous aujourd'hui depuis London, en Ontario, sur les territoires traditionnels des peuples Attawandaron, Anishinabe et Haudenosaunee.
La Fondation canadienne des femmes est la seule fondation publique nationale pour les femmes et les filles au Canada, et l'une des 10 plus grandes fondations pour les femmes dans le monde. En partenariat avec le ministère des Femmes et de l'Égalité des genres, nous avons versé au secteur des femmes 45 millions de dollars en fonds d'urgence liés à la pandémie en septembre 2021, et nous sommes en train d'acheminer les montants affectés par la suite.
Je vous remercie de m'avoir invitée à m'exprimer sur cette question urgente.
En 2018, Statistique Canada révélait que tous les six jours, une femme était tuée par son partenaire intime. Grâce à l'excellent travail de l'Observatoire canadien du féminicide, nous savons que le féminicide est en hausse, avec 160 féminicides en 2020, soit une moyenne d'une femme ou d'une fille tuée tous les 2,3 jours. Nous savons également que 92 femmes et filles ont été tuées au cours des 6 premiers mois de 2021, soit 14 meurtres de plus qu'au cours de la même période en 2020, ce qui représente une augmentation de près de 20 %.
Cette tendance n'est pas surprenante pour ceux qui travaillent avec les survivantes. Chaque fois que les collectivités sont soumises à un stress, qu'il s'agisse de catastrophes climatiques, de ralentissements économiques ou de crises de santé publique, les taux de violence fondée sur le sexe augmentent. Dans notre contexte, cette augmentation est reconnue à l'échelle mondiale et on parle d'une « pandémie de l'ombre », ou d'une « pandémie fantôme ».
L'absence d'attention portée à l'augmentation prévisible de la violence fondée sur le sexe dans les plans d'urgence a eu des conséquences désastreuses, en particulier pour les femmes et les personnes issues de la diversité de genre qui sont encore plus marginalisées par leur race, leur origine, leur sexualité, leur handicap, leur statut d'immigrante ou leur situation géographique. La pandémie jette un éclairage sur les causes profondes et systémiques de toutes les formes de violence fondée sur le sexe, y compris la violence entre partenaires intimes, ou VPI.
La VPI est plus qu'un problème privé ou familial. Elle est le produit de l'inégalité des sexes, de la colonisation, du racisme systémique, du capacitisme et de l'oppression permanente des communautés marginalisées au Canada. Les femmes autochtones connaissent les taux les plus élevés de VPI et sont tuées presque sept fois plus souvent que les femmes non autochtones. Les femmes handicapées sont trois fois plus susceptibles d'être victimes de violence que celles qui ne vivent pas avec un handicap. Les statistiques sur ces populations, entre autres, figurent dans notre mémoire complet.
Il manque énormément de données sur la VPI telle qu'elle est vécue par les femmes noires et racialisées et les personnes issues de la diversité de genre, ainsi que sur la façon dont la VPI affecte les femmes qui se retrouvent dans plusieurs groupes, comme les femmes noires transgenres ou les femmes racialisées handicapées, ce qui rend très difficile la compréhension des degrés de violence dans les différentes populations. Cependant, les chiffres dont nous disposons révèlent que la violence entre partenaires intimes et la violence fondée sur le sexe sont profondément liées à la violence systémique à laquelle les femmes et les personnes issues de la diversité de genre sont confrontées au quotidien.
Pour améliorer la protection des personnes qui vivent dans des foyers à risque, nous devons reconnaître la nature sexuée des répercussions sur la santé mentale de la pandémie et des restrictions qui y sont associées. Nous devons mieux comprendre comment la perte d'emploi, l'insécurité alimentaire, la peur de contracter le virus et l'isolement social ont contribué à l'augmentation de la violence fondée sur le sexe.
Les organisations de services aux jeunes signalent que les jeunes passent plus de temps en ligne, où le risque de violence facilitée par la technologie est préoccupant. Elles sont témoins de l'augmentation des comportements suicidaires et de la consommation d'alcool et de drogues, ainsi que des difficultés rencontrées par les jeunes pour nouer des relations saines fondées sur la culture du consentement dans ce contexte.
Pour éliminer les obstacles qui empêchent les personnes de quitter un milieu dangereux, nous devons nous concentrer sur les personnes qui subissent le plus les effets économiques et sociaux de la pandémie: les femmes, personnes trans et non binaires qui sont marginalisées par leur race, leur statut d'immigrante, leur âge, leurs capacités et leur statut socio-économique. Pour échapper à la violence, les femmes ont besoin d'un revenu adéquat et équitable, d'un accès au logement, de services de garde d'enfants abordables et de services de transport sûrs et fiables.
Le sous-financement chronique du secteur qui s'occupe de la violence fondée sur le sexe a mis les survivantes en danger. Ces services, sous-financés et sollicités à l'excès, ont vu la demande augmenter et le personnel s'épuiser. La pandémie nous montre que le secteur n'a pas de capacité de pointe pour faire face aux conséquences de la crise et que des lacunes importantes persistent dans les services destinés aux plus marginalisés. Les fournisseurs de services signalent que les clients se présentent à leurs portes avec des besoins plus complexes, révélant des formes extrêmes de violence physique et sexuelle. La complexité des cas, combinée aux obstacles à l'accès en personne, constitue une charge supplémentaire pour une main-d'œuvre principalement féminine qui est débordée.
Pour prévenir la violence entre partenaires intimes, nous devons travailler sur le terrain. En plus de répondre aux besoins du secteur de la lutte contre la violence fondée sur le sexe, il faut soutenir les groupes de proximité qui font un travail important pour instaurer une culture du consentement et remettre en question les normes de genre. Une grande partie de ce travail se fait auprès des jeunes, des personnes racialisées, des aînés, et même des hommes et des garçons. Beaucoup de ces groupes ne sont pas admissibles à des dons de bienfaisance en vertu des lignes directrices de l'ARC. Réformer les règles régissant le secteur caritatif de manière à garantir le financement de ces groupes est une étape importante pour mettre fin à toutes les formes de violence fondée sur le sexe.
Il est important que les politiques publiques ciblent les causes profondes. À cause de l'importance démesurée qui est accordée aux solutions relevant de la justice pénale, on ne fait qu'effleurer la surface et on finit par criminaliser les personnes qui ont le plus besoin d'être soulagées des injustices systémiques auxquelles elles font déjà face. L'ACS+ doit être intégrée dans tous les instruments politiques, et ceux-ci doivent être ancrés dans le vécu des femmes, des personnes trans et non binaires les plus marginalisées.
Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé.
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Merci beaucoup. J'espère que tout le monde peut m'entendre.
J'aimerais profiter de l'occasion pour remercier également le premier groupe de témoins. Elles étaient toutes si passionnées et si formidables. Tout le monde fait un excellent travail.
Beaucoup de mes questions vont s'adresser au premier témoin que nous avons entendu, Mme Bell.
J'ai adoré ce que vous avez dit. À vrai dire, j'aimerais pouvoir passer six heures avec vous. C'est un travail vraiment important que vous faites, notamment en ce qui a trait à votre expérience dans le cadre du travail que vous faites auprès des adolescents. Je ne pourrais pas être plus en accord avec tous vos appels à l'action. En tant que mère, c'est un sujet qui m'intéresse énormément, moi aussi. J'ai vécu une grande partie de ce dont vous avez parlé.
J'aimerais parler de ce que vous recommanderiez. Vous avez parlé de l'éducation des adolescents. Nous en avons beaucoup discuté au sein de ce comité. Si votre référence d'une relation malsaine est elle-même malsaine, vous ne saurez pas faire la différence. Ils ne connaissent pas cette différence. Lorsqu'ils commencent enfin à la voir, quelles méthodes pouvons-nous utiliser pour éduquer les préadolescents et les adolescents tout en leur inspirant confiance? Nous savons qu'ils n'écouteront pas un professeur qui se tient debout à l'avant de la classe. C'est un pair... Que recommandez-vous pour soutenir l'éducation de ces enfants?
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Merci, madame la présidente.
J'aimerais remercier tous les témoins des excellents témoignages qu'elles ont livrés aujourd'hui, et d'être là pour répondre à nos questions.
Mes questions vont être un peu éparpillées. J'ai réfléchi aux causes profondes de ce type de violence, et je veux vraiment aller au fond des choses afin de cerner les différentes dynamiques qui sont en jeu ici.
Quelqu'un peut‑il répondre à cette question: les communautés culturelles — et je ne parle pas des femmes autochtones en soi, mais des communautés culturelles ou des communautés d'immigrants — subissent-elles des niveaux de violence plus élevés que les communautés blanches ou les communautés qui ne sont pas nécessairement issues de l'immigration? Je ne sais pas si quelqu'un a des statistiques à ce sujet.
Non? D'accord.
La raison pour laquelle je m'aventure de ce côté, c'est que certaines de nos intervenantes de tout à l'heure — et Mme Bell maintenant — ont mentionné que de plus en plus de jeunes femmes s'engagent dans des relations où elles risquent d'être la cible de violences. Dans la tranche d'âge des 12 à 14 ans, une fille sur trois est dans une relation où elle risque de subir des violences. D'ailleurs, dans un témoignage précédent, Melpa Kamateros a dit qu'en ce moment, ce sont les jeunes filles qui cherchent de l'aide dans les refuges.
Étant moi-même issue d'une communauté culturelle, je sais que les fréquentations à l'adolescence sont mal vues, donc pas forcément autorisées. D'après mon expérience comme enseignante, j'ai l'impression que beaucoup de jeunes que je connaissais et qui étaient issus de milieux culturels n'étaient pas nécessairement ceux qui avaient des fréquentations.
Madame Bell, d'après votre expérience, quelle serait la raison... Si des personnes de plus en plus jeunes sont touchées par ce genre de problème, et si nous essayons de nous attaquer à la racine de cela et d'empêcher que ce type de violence se poursuive en aval, quelles sont, selon vous, les choses que les gens peuvent faire?
Tout d'abord, quels sont les signes à surveiller? Vous en avez mentionné trois. Par ailleurs, quels types de programmes le gouvernement fédéral peut‑il mettre en place à cet égard? Nous ne nous occupons évidemment pas beaucoup d'éducation, mais quels types de programmes pouvons-nous mettre en place pour financer des initiatives susceptibles d'aider à éliminer ces signes, disons, dès le début?
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Ce sont de bonnes questions. Laissez-moi y réfléchir.
J'ai mentionné dans mon exposé le Guide pour les familles du Centre canadien de protection de l'enfance, et je l'ai lu. Ce document d'environ 35 pages est vraiment excellent. Comme je l'ai déjà dit, j'ai fait quelques recherches pour vous parler aujourd'hui, et au cours de toutes mes années de pratique, je n'ai jamais su que cette ressource existait. Si je ne l'avais pas cherchée...
C'est pourquoi, dans l'une des recommandations, j'ai mentionné qu'il existe de très bons outils, mais qu'il faudrait s'efforcer de mieux les faire connaître. C'est une chose à laquelle il faut réfléchir. En ce qui a trait à ce que le gouvernement fédéral peut faire, vous disposez de certains outils « canadiens », et vous pouvez peut-être réfléchir à des moyens d'en informer mieux les gens.
Qu'avez-vous demandé d'autre?
Je suis désolée. J'essayais de trouver le bouton de mise en sourdine pour répondre à votre question sur les populations et les statistiques.
Je peux chercher des statistiques pour vous, mais nous savons que les femmes immigrantes courent un plus grand risque de subir de la violence conjugale, et ce, pour une foule de raisons. Mme Kamateros a parlé de ces raisons lors de la comparution du premier groupe d'experts: la dépendance économique à l'égard du conjoint ou des proches, les barrières linguistiques, l'ignorance de l'existence de ressources communautaires, et les règles du système d'immigration et de protection des réfugiés concernant les unions conjugales. Ces facteurs peuvent faire en sorte que les gens ont peur de se manifester. De plus, lorsqu'il s'agit de la deuxième génération, comme vous l'avez indiqué, les jeunes ont de la difficulté à parler de ces choses‑là avec leurs parents.
En ce qui concerne le point soulevé par Mme Bell au sujet des ressources disponibles, et pour répondre à votre question sur ce que le gouvernement fédéral pourrait faire, l'Agence de la santé publique du Canada s'est associée par le passé à la Fondation canadienne des femmes dans le cadre de programmes axés sur les relations saines chez les adolescentes, et a travaillé à édifier le domaine des relations saines chez les adolescentes comme mécanisme de prévention de la violence.
Nous avons un projet en cours pour essayer de rassembler ces meilleures pratiques, tout en tenant compte des communautés marginalisées pour nous assurer que tout le monde est représenté dans ces programmes. Il existe un bon corpus de ressources et ce serait bien de voir ce genre de choses continuer.
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Merci, madame la présidente.
Mesdames, je vous remercie de vos témoignages. Ils sont troublants, d'autant plus que nous sommes présentement en 2022.
Depuis de longues années, on mène des luttes féministes afin d'enrayer ce phénomène. À mon avis, il faut prendre acte qu'il y a encore des problèmes criants à régler.
J'aimerais parler des manifestations de contrôle coercitif.
Madame Bell, vous avez parlé des jeunes. Au Québec, il y a actuellement une importante campagne de publicité qui met en lumière des comportements contrôlants qu'un homme dominant exerce sur sa femme au moyen de la violence psychologique, de la violence verbale et de gestes qui frisent la violence physique, mais qui ne vont pas jusque là. Cette campagne vise à démontrer que le problème existe. Les femmes ont souvent de la difficulté à dénoncer la situation de violence, car elles n'ont pas d'ecchymoses ou de marques sur le visage.
On dit qu'il faut s'attaquer aux causes profondes du problème, et les manifestations de contrôle coercitif en font partie.
Comment pouvons-nous exercer un contrôle plus serré, afin que ce genre de situations n'aboutissent pas à de la violence physique, à de la violence sexuelle ou à des féminicides?
De telles voies pourraient être empruntées dans le cas des jeunes. Ils ont peut-être vu leurs parents avoir de tels comportements, et ils les reproduisent ou les banalisent.
Mesdames, ma question s'adresse à vous trois. Comment les provinces et le Canada pourraient-ils agir de façon cohérente?
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Je peux peut-être commencer.
Je sais que l'éducation relève des provinces. Je suis heureuse de savoir qu'il existe quelque chose en français sur le contrôle coercitif et la manipulation. Je m'interroge sur la nature de ce programme. Je me demande également s'il y en a un du côté anglais.
Je pense que c'est fantastique. Je pense que la prévention consiste à éduquer les élèves de la fin du primaire — et les parents — sur ces aspects plus subtils avant qu'ils n'aient des appareils électroniques entre les mains et qu'ils se retrouvent sur ces médias sociaux. Il s'agit vraiment de sensibiliser les jeunes et de leur faire prendre conscience de ce qui existe, de ce qui est approprié et de ce qui commence à glisser vers une utilisation inappropriée. Il s'agit vraiment de faire en sorte que les élèves aient une idée plus claire de ce qu'est une utilisation appropriée et de ce qui ne l'est pas.
En ce qui concerne les relations et ce qui est sain et malsain, je pense que vous avez mis le doigt sur le problème quand vous avez dit qu'il leur arrive d'être conditionnés par ce qui se passe chez eux. Souvent, ce qu'ils voient à la maison peut leur sembler normal et peut être reproduit dans leurs propres relations lorsqu'ils commencent à en avoir.
Un élément déterminant est d'inciter les enfants à se poser des questions sur ce qui est approprié, même si cela peut être quelque chose qui est différent de ce qu'ils vivent.
Merci énormément à toutes pour vos témoignages percutants.
Il me fait grand plaisir d'être ici en remplacement de ma collègue pour la séance d'aujourd'hui: le Comité ne m'est pas inconnu étant donné le travail que j'ai pu réaliser il y a quelques années en condition féminine, et je suis ravie de voir des visages que je reconnais, comme le vôtre, madame Stinson, et d'autres plus tôt aujourd'hui. Merci beaucoup d'être parmi nous.
Madame Stinson, j'aimerais m'adresser à vous. Vous avez mis l'accent sur des constats clés entourant l'accès au transport et à l'emploi. J'aimerais souligner à quel point c'est critique. Je représente une circonscription du Nord; je vis dans une circonscription du Nord. Dans l'Ouest canadien, nous avons été les premiers à perdre les services de Greyhound. Bien qu'il y ait eu des initiatives, rien n'a réussi à remplacer ce que nous avons perdu, et c'est un gros problème. La Route des pleurs est probablement le cas de figure le plus éloquent qui montre la vulnérabilité des femmes autochtones et du Nord lorsqu'elles n'ont pas accès à du transport sécuritaire. Je vous suis vraiment reconnaissante d'avoir abordé ce point. Il est clair que cette réalité n'est pas aussi bien comprise par les résidents de centres urbains. J'apprécie que vous ayez mentionné ces deux enjeux.
Je veux aussi relever un autre thème central que bon nombre d'entre vous avez abordé: la nécessité d'avoir accès au logement. Notre pays traverse une crise du logement. Le problème est particulièrement grave pour les Premières Nations et les collectivités du Nord, mais le problème est vraiment généralisé dans tout le pays, tant du côté de l'offre que du côté de l'accès. L'accès à un logement sûr est de moins en moins atteignable pour bon nombre de Canadiennes, même pour de nombreuses qui travaillent, étant donné la réalité, comme vous l'avez remarqué madame Stinson, du travail précaire, etc.
Madame Stinson, pouvez-vous nous dire à quel point il est urgent que le gouvernement fédéral s'attarde au logement et investisse en habitation, tous types de logements confondus. J'aimerais beaucoup connaître votre perspective.
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Il me fait plaisir d'intervenir à ce sujet.
Un éventail de programmes, offerts dans les écoles et les centres communautaires de partout au pays, portent sur l'émancipation des filles et s'intéressent particulièrement à leurs situations dans leurs propres contextes culturels. Nous finançons bon nombre de ces programmes. Nous finançons aussi des programmes partout au pays sur les relations saines à l'adolescence: ils visent à appuyer les jeunes à définir et comprendre ce qu'est une relation saine, avec quelqu'un qu'on fréquente ou avec qui on a des rapports sexuels, mais aussi avec les pairs, son parent ou son enseignant. Il est important de mettre l'accent sur ces compétences et de les inculquer à nos jeunes.
De façon générale, je dirais que nous devons avoir un secteur de la justice robuste et dynamique pour les femmes et les genres afin que ces programmes puissent être offerts. Présentement, ce secteur est vraiment fragile et aux prises avec des difficultés à cause de la pandémie, alors nous devons vraiment lui accorder notre attention afin de consolider les ressources pour ces groupes.
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Oui. Je pourrais commencer.
L'ICREF a récemment publié un feuillet d'information sur le lien entre l'extrême droite, les mouvements de haine et leur maltraitance des femmes — une sorte d'approche anti-féministe. Je crois que c'est extrêmement important.
Nous observons de plus en plus ces connexions. J'habite Ottawa et je vois clairement à quel point ce nouveau mouvement de haine de droite est épouvantable. Ce sont des bourreaux qui s'en prennent à tous, surtout aux femmes et aux personnes de couleur. On a rapporté, entre autres, des incidents décrivant comment des femmes et des personnes de couleur ont été traitées en pleine rue.
Je crois que l'enjeu est extrêmement important. C'est peut-être un nouvel angle pour ce comité qui pourrait explorer cette connexion. Je vais laisser les autres s'exprimer.
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La réunion est presque terminée. La discussion a été absolument inouïe. J'aimerais sincèrement vous remercier toutes les trois d'avoir participé à la réunion et de nous avoir fourni tous ces renseignements. Si vous avez d'autres renseignements à partager avec le Comité, je vous rappelle que vous pouvez nous soumettre un mémoire sur le sujet. Je suis persuadée que vous avez toutes quelque chose à ajouter.
Je rappelle à tous les membres du Comité que la sixième réunion aura lieu le mardi 15 février, encore une fois de 15 h 30 à 17 h 30 à l'édifice Wellington. Nous discuterons avec Lana Wells, qui est professeure agrégée à l'Université de Calgary; et Katreena Scott, qui est professeure et directrice du Centre de recherche et d'éducation sur la violence faite aux femmes et aux enfants. Nous aurons aussi parmi nous des représentants de Statistique Canada et des Services de soutien aux femmes battues. Je suis certaine que notre greffière va nous envoyer plus d'information au cours des prochains jours.
J'aimerais remercier tout le monde d'avoir participé à la réunion d'aujourd'hui. Je remercie vivement encore une fois les témoins pour la discussion passionnante. Vous avez été sensationnelles.
Nous nous reverrons mardi.
Ai‑je le consentement de tous pour lever la séance?
Je vois que oui. Merveilleux. Bonne fin de semaine à tous, et portez-vous bien.