Passer au contenu

FEWO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la condition féminine


NUMÉRO 055 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 20 mars 2023

[Enregistrement électronique]

(1100)

[Traduction]

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue à la 55e réunion du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes.
     Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mardi 1er février 2022, le Comité entreprend son étude sur la traite des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre.
    La réunion d'aujourd'hui se déroulera selon une formule hybride, conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 23 juin 2022. Les députés participent en personne dans la salle ou à distance au moyen de l'application Zoom.
    J'aimerais d'abord faire quelques observations à l'intention des témoins et des membres du Comité.
    Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez par vidéoconférence, vous devez cliquer sur l'icône du microphone pour ouvrir votre micro et ne pas oublier de le mettre en sourdine lorsque vous ne parlez pas. Pour l'interprétation sur Zoom, vous avez le choix au bas de votre écran entre le parquet, le français et l'anglais. Les membres présents dans la salle peuvent se servir de l'oreillette et sélectionner le canal désiré. Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence. Si vous voulez prendre la parole, veuillez lever la main. Si vous êtes sur Zoom, servez-vous de la fonction « Lever la main ».
    Comme je le fais souvent à ce comité, avant d'accueillir nos témoins, je dois vous avertir que le sujet de notre étude est très délicat. L'étude que nous entreprenons sera difficile à mener. Nous allons discuter d'expériences liées à la maltraitance qui pourraient provoquer des réactions chez les téléspectateurs, les députés ou le personnel ayant vécu des expériences similaires. Si vous vous sentez bouleversés ou si vous avez besoin d'aide, veuillez en informer la greffière.
    Comme nous l'avons fait lors des études précédentes, si vous devez intervenir à un moment ou à un autre, il suffit de nous le faire savoir et nous pourrons travailler ensemble pour aller de l'avant.
    J'aimerais à présent souhaiter la bienvenue à nos invités du premier groupe de témoins. Nous accueillons Daniel Anson, de l'Agence des services frontaliers du Canada. Il est directeur général, Renseignements et enquêtes. Du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, nous avons Michelle Van De Bogart, directrice générale, Application de la loi. De la Gendarmerie royale du Canada, nous accueillons la surintendante Kimberly Taplin, directrice générale, Services nationaux de police autochtones et de prévention du crime, ainsi que la caporale Jennifer Demers, Section nationale contre la traite de personnes.
    Nous allons accorder à chacun cinq minutes. Si vous me voyez commencer à faire tourner mon stylo, cela voudra dire qu'il ne vous reste environ que 15 secondes pour conclure. Si nous pouvions nous en tenir le plus possible à cinq minutes pour avoir le temps de poser toutes les questions, ce serait excellent.
    Pour commencer nos présentations, je cède la parole à Daniel Anson.
    Monsieur Anson, vous avez cinq minutes.

[Français]

    Je salue tous les membres du Comité.
    Je m'appelle Daniel Anson, directeur général de la Direction du renseignement et des enquêtes, à l'Agence des services frontaliers du Canada.
    Je ne prendrai que quelques minutes pour expliquer au Comité le rôle et les responsabilités de l'Agence des services frontaliers du Canada dans la détection et la lutte contre la traite de personnes à l'échelle internationale.
     Comme le Comité le sait, l'administration et l'exécution de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la LIPR, relèvent de plusieurs ministères et organismes gouvernementaux.
    Bien qu'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada ait la responsabilité première d'élaborer une politique d'admissibilité qui établit les conditions d'entrée et de séjour au Canada et d'administrer la LIPR, l'Agence partage avec la Gendarmerie royale du Canada la responsabilité de l'application de cette loi. Dans l'exercice de son mandat, l'Agence partage de l'information et des renseignements avec d'autres ministères et partenaires de l'exécution de la loi, au besoin.

[Traduction]

    Plus spécifiquement, l'ASFC repère les situations de traite des personnes transfrontalière, y compris à des fins de travail forcé; elle contribue à la sécurité des victimes potentielles en les soustrayant au contrôle des trafiquants présumés et en les orientant vers les services gouvernementaux appropriés; elle appuie les enquêtes sur des trafiquants, ainsi que les poursuites à leur endroit.
    L'ASFC et la GRC ont une approche complémentaire en ce qui concerne les infractions en matière d'immigration. Alors que la GRC est responsable d'enquêter sur les infractions liées au crime organisé, à la traite des êtres humains et à la sécurité nationale, l'ASFC est responsable des autres infractions en matière d'immigration, en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, ou LIPR, qui comprend des infractions liées au passage de clandestins, aux documents frauduleux, aux fausses déclarations et à la section Infractions générales de la loi. L'ASFC fera appel à la GRC si elle découvre des indices liés à la traite des êtres humains au cours d'une enquête portant sur d'autres infractions. L'ASFC renvoie toutes les affaires de traite des êtres humains présumées à la GRC à des fins d'enquête, et elle oriente les victimes potentielles à IRCC à des fins de soutien.
    La traite des êtres humains et le passage de clandestins étant souvent confondus, j'ai pensé profiter de l'occasion pour différencier ces deux infractions.
    D'une part, la traite des êtres humains se produit lorsqu'une partie viole les droits d'une autre en la privant de sa liberté de choix à des fins d'exploitation. Elle peut se produire à l'intérieur comme à l'extérieur des frontières d'un pays, et peut impliquer de vastes réseaux de criminalité organisée. La traite des êtres humains implique le recrutement, le transport et l'hébergement de personnes par la force ou d'autres formes de coercition et de tromperie. Par exemple, certaines victimes peuvent être exploitées pour le commerce du sexe, le travail forcé ou l'esclavage domestique.
    Le passage de clandestins, d'autre part, suppose qu'une personne franchit illégalement une frontière internationale. La personne en question choisit d'entrer clandestinement dans un pays et a conclu un accord avec une autre personne ou un autre groupe de personnes, généralement en échange d'une somme d'argent et en s'exposant parfois à des conditions dangereuses. La relation entre la personne et le passeur se termine généralement une fois que la personne qui est entrée illégalement arrive à destination.
    Une personne ayant accepté d'être introduite de manière clandestine au pays peut également devenir victime de la traite des êtres humains aux mains du passeur. L'élément constant, c'est que la relation entre un trafiquant d'êtres humains et sa victime est continue et s'étend au‑delà du passage à la frontière. Les victimes peuvent être maltraitées par les trafiquants et subir de graves conséquences si elles tentent de s'échapper.
    Depuis 2012, l'ASFC collabore avec des partenaires à l'échelle fédérale pour mettre en place le plan d'action — la stratégie, à présent — nationale pour lutter contre la traite de personnes. Dans le cadre de cet engagement, les agents de l'ASFC reçoivent une formation leur permettant de cerner les indicateurs associés aux victimes de la traite des êtres humains, et de leur apporter du soutien en les orientant vers les organismes gouvernementaux appropriés.
    Malgré tous les efforts déployés, l'identification des victimes de la traite des êtres humains à la frontière peut s'avérer difficile. Les victimes potentielles peuvent ne pas savoir ce qui les attend à la suite de leur entrée au pays. Par ailleurs, si elles ne se rendent pas compte qu'elles sont exploitées, elles peuvent être intimidées et refuser de demander ou de recevoir de l'aide.
     L'ASFC prend très au sérieux l'enjeu de la traite internationale des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre. Les cas d'exploitation sexuelle et d'esclavage domestique affectent ces populations de manière disproportionnée. En effet, selon certaines estimations, environ 90 % des victimes de la traite des êtres humains au Canada sont des femmes et des filles. Les trafiquants d'êtres humains engrangent d'importants bénéfices tout en privant les victimes de leur liberté, de leur dignité et de leur potentiel humain.
    L'ASFC est un partenaire actif et engagé dans la lutte contre la traite des êtres humains. Elle détecte et perturbe les opérations de traite et de transport des victimes au Canada. Nous continuons de travailler avec nos partenaires dans l'objectif commun d'empêcher le Canada de servir de pays d'origine, de destination ou de transit pour ces comportements criminels.
    Voilà qui conclut mes remarques préliminaires. Je vous remercie à nouveau de m'avoir donné l'occasion de souligner le rôle et l'impact de notre agence. Je serai heureux de répondre aux questions des membres du Comité.
    Je vous remercie.
(1105)
    Merci beaucoup.
    Je vais céder la parole à Michelle Van De Bogart, directrice générale, Application de la loi au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile.
    Allez‑y, madame Van De Bogart.
    Avant de commencer, je tiens à souligner que nous sommes réunis aujourd'hui sur les terres traditionnelles non cédées du peuple algonquin Anishnaabeg.
    Je vous remercie de m'offrir la possibilité de m'adresser à vous aujourd'hui. Je m'appelle Michelle Van De Bogart et je suis directrice générale de l'Application de la loi à Sécurité publique Canada. Je prononcerai le mot d'ouverture au nom de Sécurité publique Canada et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions au cours de cette table ronde.
    Je vous félicite, vous ainsi que les membres du Comité, pour le débat en cours sur un sujet d'une importance cruciale pour les droits fondamentaux des femmes, des jeunes filles et des personnes de sexe différent au Canada: la traite des personnes.
    Nous savons que la traite des personnes est un crime très sexiste dont les causes profondes sont souvent liées au déséquilibre des pouvoirs, à l'inégalité entre les genres et à la discrimination. Le fait est que les femmes et les jeunes filles sont le plus souvent ciblées à des fins d'exploitation sexuelle en raison d'une combinaison de facteurs sociaux, économiques et culturels.
    Le gouvernement du Canada reconnaît depuis longtemps l'importance d'une stratégie globale, coordonnée et multidimensionnelle pour lutter contre ce crime. Les efforts de lutte contre la traite des personnes sont entrepris par de nombreux ministères et organismes du gouvernement du Canada, notamment la Gendarmerie royale du Canada, l'Agence des services frontaliers du Canada, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Statistique Canada et d'autres organismes dont vous entendrez parler tout au long de cette étude.
    Sécurité publique Canada est le ministère fédéral chargé de diriger la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes depuis son lancement en 2019. La Stratégie nationale réunit les efforts fédéraux dans un cadre stratégique unique. Elle repose sur les piliers internationalement reconnus que sont la prévention, la protection, les poursuites et les partenariats, et comprend également un pilier autonomisation qui vise à renforcer l'aide aux victimes touchées par ce crime.
    Un financement d'environ 75 millions de dollars a été affecté à la Stratégie nationale entre 2018 et 2024. Ce montant comprend un investissement de 14,5 millions de dollars pour la Ligne d'urgence canadienne contre la traite des personnes.
    La Stratégie nationale est maintenant dans sa dernière année — des progrès et des réalisations ont été accomplis, mais il reste encore beaucoup à faire. En tant que stratégie évolutive, nous continuons à l'adapter à l'évolution des circonstances et aux besoins de nos communautés.
    J'aimerais souligner quelques réussites pour chaque pilier de la Stratégie nationale.
    Dans le cadre du pilier de l'autonomisation, le gouvernement du Canada a investi jusqu'à 22,4 millions de dollars dans 63 organisations qui s'efforcent de prévenir la traite des personnes et de soutenir les populations à risque et les survivants. Cette annonce a été faite conjointement avec le ministère des Femmes et de l'Égalité des genres du Canada. Ces projets ont permis et permettront d'améliorer l'accès des victimes et des survivants aux services et au soutien, de sensibiliser les jeunes à risque à la traite des personnes et d'élaborer des idées technologiques novatrices pour lutter contre la traite des personnes.
    Plus récemment, Sécurité publique Canada a conclu un accord de financement avec Victim Services Toronto pour le « Project Recover », un projet de collaboration visant à aider les survivants de la traite des personnes à résoudre les dettes frauduleuses contractées en leur nom par les trafiquants.
    Il est essentiel de sensibiliser les Canadiens à la traite des personnes. Dans le cadre du pilier prévention, Sécurité publique Canada a lancé la campagne de sensibilisation primée intitulée « Ce n'est pas ce qu'on croit » afin d'informer le public, en particulier les jeunes et les parents, sur la traite des personnes. Cette année, l'équipe de marketing de Sécurité publique Canada travaille à la planification et à l'élaboration de matériel de sensibilisation pour les publics autochtones.
    Une initiative importante dans le cadre du pilier protection a été notre soutien constant à la Ligne d'urgence canadienne contre la traite des personnes, un service multilingue gratuit disponible 24 heures sur 24 et sept jours sur sept qui oriente les victimes vers les services locaux d'application de la loi, les refuges et toute une série d'autres aides et services. Dans le cadre de ce pilier, nous travaillons également à l'élaboration de lignes directrices et d'outils de formation pour les fournisseurs de services de première ligne, y compris des lignes directrices spécifiques pour soutenir les survivants autochtones.
    En ce qui concerne le pilier des poursuites, je m'en remettrai à mes collègues pour parler de leurs efforts en matière d'enquêtes et de mouvements transfrontaliers.
    Enfin, le gouvernement du Canada reconnaît que le maintien et l'établissement de partenariats solides à l'intérieur et à l'extérieur du gouvernement du Canada sont essentiels au succès du Canada dans la lutte contre la traite des personnes. Dans le cadre du pilier des partenariats, l'engagement avec les provinces et les territoires a été essentiel pour soutenir notre réponse collective à ce crime, notamment par l'intermédiaire du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la traite des personnes, dirigé par Sécurité publique Canada, et des tables des ministres FPT responsables de la justice et de la sécurité publique. Ces forums demeurent importants pour les partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux, car ils permettent d'optimiser les efforts de chacun dans la lutte contre la traite des personnes.
     J'aimerais conclure en reconnaissant que la traite des personnes à des fins de travail, la traite des femmes et des filles autochtones, des personnes 2SLGBTQIA+ et des migrants, l'utilisation de la technologie dans la traite des personnes, les efforts de collecte de données et la protection des nouveaux arrivants contre la traite des personnes, y compris les ressortissants ukrainiens au Canada, sont quelques-unes des questions clés qui ont suscité davantage d'attention et qui nécessiteront une collaboration accrue au cours des prochaines années.
(1110)
    Dans cette optique, je tiens à remercier le Comité d'avoir entamé ce dialogue important aujourd'hui. Je répondrai volontiers à vos questions.
    Merci beaucoup.
    Pour terminer, j'aimerais céder la parole à la surintendante de la GRC, Kim Taplin.
    Madame Kaplin, la parole est à vous.
    Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du Comité. J'aimerais commencer par rappeler que nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin.
    Comme la présidente l'a dit, je suis la surintendante Kim Taplin, directrice générale des Services nationaux de police autochtones et de prévention du crime. Je suis accompagnée aujourd'hui de ma collègue, la caporale Jennifer Demers, membre de la Section nationale contre la traite de personnes.
    Je vous remercie de nous avoir invitées dans le cadre de votre étude sur la traite des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre. J'aimerais commencer par expliquer le mandat et le travail de la Section nationale contre la traite de personnes de la GRC et vous communiquer quelques faits saillants sur la traite de personnes dans le contexte canadien.
    Partout au Canada, la GRC contribue au déploiement de la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes du gouvernement du Canada. Elle reste déterminée à prendre des mesures en collaboration avec les ministères et organismes fédéraux et provinciaux, les organisations non gouvernementales et les partenaires chargés de l'application de la loi. Ces relations sont essentielles pour que la police et les organisations non gouvernementales puissent identifier et aider les victimes de la traite de personnes.
    La Section nationale contre la traite de personnes, qui facilite de manière centralisée les activités de lutte contre la traite de personnes de la GRC, exécute les fonctions suivantes: sensibiliser et renseigner la population, établir des partenariats et les consolider, soutenir les opérations, faire avancer la politique opérationnelle et produire des rapports internes et externes. La Section nationale contre la traite de personnes ne mène pas d'enquêtes, mais agit plutôt à titre de centre décisionnel chargé de la sensibilisation et de l'éducation sur la traite de personnes.
    Par exemple, récemment, le 9 mars, la GRC a organisé un atelier de formation sur la traite de personnes et l'exploitation sexuelle des hommes et des garçons à l'intention des membres la GRC, des Forces armées canadiennes, d'autres services de police et d'autres ministères. Cet événement avait pour but d'aider les responsables de l'application de la loi à comprendre le modus operandi de la traite de personnes de sexe masculin. Des victimes de diverses identités de genre faisaient partie du sujet abordé lors de l'atelier.
    Tout le monde peut être victime de la traite de personnes. Toutefois, des facteurs comme l'âge, la situation géographique, le contexte socioéconomique et l'appartenance ethnique peuvent contribuer à des difficultés uniques qui mettent certaines populations particulièrement à risque.
    Comme l'a dit mon collègue de l'ASFC, pour qu'il y ait traite de personnes, il ne faut pas nécessairement qu'une frontière soit franchie ou qu'il y ait eu un quelconque déplacement. L'exploitation, selon la définition donnée dans le Code criminel, est l'élément clé de l'infraction. Il y a exploitation lorsqu'une personne oblige une autre personne à fournir un travail ou un service sexuel en lui faisant craindre pour sa sécurité ou celle d'une personne qu'elle connaît.
    On parle de traite nationale de personnes lorsque toutes les étapes du crime se déroulent au Canada; il n'y a pas de déplacements transfrontaliers internationaux. On parle de traite internationale de personnes lorsque la victime, au cours du processus d'entrée ou de sortie du Canada, franchit une frontière internationale.
    Il est difficile d'évaluer l'ampleur de la traite de personnes en raison de la nature clandestine de cette infraction et de la réticence des victimes et des témoins à parler aux autorités chargées de l'application de la loi. Dans certains cas observés au Canada, il est évident que certaines victimes ne savaient pas qu'elles étaient exploitées.
    La GRC mène des initiatives proactives de sensibilisation et des enquêtes sur les infractions possibles liées à la traite de personnes. L'une des sources les plus importantes: les experts ayant une expérience vécue, c'est‑à‑dire les survivants. Nos partenariats nous permettent de leur donner les moyens de nous raconter leur histoire ainsi que d'enseigner aux responsables de l'application de la loi à reconnaître les signes de la traite de personnes.
    Il est important pour les organismes d'application de la loi qui mènent des enquêtes de connaître les stratégies employées par les trafiquants. En 2022, un sergent de la GRC s'est rendu dans un pénitencier de l'Ontario pour s'entretenir avec un détenu incarcéré pour des accusations liées à la traite de personnes. L'objectif de l'entretien était d'obtenir le point de vue d'un trafiquant réhabilité en lui demandant comment il est devenu trafiquant et pourquoi il a commis ces crimes. L'entretien a été enregistré et sera intégré à la formation à l'intention des responsables de l'application de la loi.
(1115)
    La GRC collabore avec des partenaires nationaux et internationaux afin d'assurer une approche coordonnée de la détection des cas de traite de personnes, des enquêtes sur le sujet et de la lutte contre ce crime. La GRC contribue également à la mise en oeuvre d'initiatives de prévention du crime et oriente les victimes vers les services d'aide aux victimes et les ressources communautaires, s'il y a lieu.
    La traite de personnes est un sujet important et un délit grave. La caporale Demers et moi-même sommes heureuses d'être ici pour répondre à vos questions et vous fournir de l'information sur les projets, les initiatives et les produits auxquels notre équipe a travaillé ces dernières années.
    Nous apprécions également le travail que vous faites. Nous vous remercions de continuer à attirer l'attention sur cet enjeu crucial qui a des répercussions sur la vie, la santé et le bien-être des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre.
    Merci beaucoup.
    Je commencerai par présenter mes excuses à la caporale Demers. Je vous ai appelée capitaine. C'est caporale. Nous voulons être sûrs d'utiliser le bon grade.
    Nous allons passer à des séries de questions de six minutes. Chaque groupe aura six minutes pour commencer.
     Je cède la parole à Anna Roberts pour les six premières minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Merci à tous les témoins d'être ici.
    Il s'agit d'une étude importante. J'ai quelques questions à poser, et je ne sais pas trop qui peut y répondre.
    Le Canada reste au niveau 1. Pouvez-vous m'expliquer ce que cela signifie exactement?
    Voulez-vous parler du niveau 1 du Trafficking in Persons Report des États-Unis d'Amérique?
    Oui.
    Chaque année, les États-Unis procèdent à une analyse et à une évaluation des autres pays. Nous sommes heureux d'annoncer que nous continuons à nous classer au niveau 1, ce qui signifie que le travail que nous faisons dans le cadre de la stratégie nationale, le travail que nous accomplissons aux niveaux fédéral, provincial et territorial, contribue activement à la lutte contre la traite de personnes. Cela ne veut pas dire que nous n'avons rien de plus à faire, mais nous sommes très heureuses d'annoncer que nous demeurons au niveau 1.
    On a mentionné tout à l'heure que les agents de la GRC reçoivent de la formation à ce sujet. Cette formation se donne‑t‑elle en ligne?
(1120)
    La Section nationale contre la traite de personnes crée de nouvelles formations ou met à jour la formation existante pour notre personnel chargé de l'application de la loi. Récemment, nous avons effectué une analyse de l'environnement dans lequel nos formations de pointe sont offertes. En 2021, nous avons renouvelé la structure de la formation en ligne.
    En plus de la formation en ligne, il y a également de la formation offerte à tous les agents d'application de la loi au Collège canadien de police. Il s'agit d'un cours de 10 jours. Cette formation est dispensée en personne aux agents de partout au Canada.
    Est‑ce la formation intitulée « Can you see me »? Je crois l'avoir suivie. Est‑ce le programme de formation auquel vous faites allusion?
    Est‑ce le Collège canadien de police qui l'offre?
    Oui.
    Il faudrait que j'en vérifie le titre pour vous le confirmer.
    D'accord.
    J'ai discuté de la situation de la traite des personnes avec un agent de police de ma circonscription et il m'a aidé à comprendre certains articles du Code criminel, qui me rendaient quelque peu perplexe. Les articles 279.01 et 279.011 du Code criminel criminalisent la traite des personnes à des fins sexuelles et la traite des travailleurs. Les peines vont de 4 à 14 ans d'emprisonnement pour la traite d'adultes et de 5 à 14 ans pour la traite d'enfants. Je comprends également que certains criminels qui ont fait l'objet d'une arrestation, demandent à leur avocat de ne pas insister pour qu'ils soient libérés sous caution, parce que la durée de détention avant la date du procès compte automatiquement pour une fois et demie le temps de la peine. Par exemple, s'ils purgent 100 jours avant la date du procès, on retire 150 jours de leur peine, rendant ainsi la peine moins stricte. Certains restent détenus moins de deux ans.
    Pensez-vous que la peine infligée est adaptée à l'infraction?
    Je vous remercie de votre question.
    Le rôle de la GRC est de faire appliquer les lois et non de faire des commentaires sur les poursuites ou les peines.
    Seriez-vous d'accord avec moi, cependant, pour dire que les peines...? J'ai parlé à des personnes travaillant dans la police et ils m'ont dit que le problème était le suivant: ces criminels sont arrêtés, ils sont jugés, ils sont relâchés et ils recommencent après. Je sais de source sûre que le gouvernement fédéral ne tient aucune base de données nationale à jour. Comment faire pour que ces criminels ne récidivent pas?
    Le gouvernement doit‑il changer quelque chose pour que les enfants victimes de la traite ne retombent pas dans ce piège?
     Je vous remercie de la question.
    Je ne suis pas venue ici préparée et il n'est pas approprié que je donne des conseils au Comité en matière de peines imposées ou de poursuites.
    Seriez-vous d'accord pour dire qu'il est important de tenir à jour une base de données afin d'avoir un meilleur contrôle, d'empêcher les criminels de pratiquer la traite et de protéger les victimes? Seriez-vous d'accord avec cela?
    Encore une fois, je ne suis pas ici pour donner des conseils au Comité. Je suis prête à répondre à d'autres questions.
    De ce que je comprends, les lois ne sont pas adaptées au crime et nous continuons d'avoir ce genre de problèmes. J'ai consulté les chiffres et ils sont assez effrayants surtout en ce qui concerne l'augmentation du nombre d'enfants et de jeunes adultes victimes de la traite. Comment mettre fin à cela si nous n'avons pas des peines adaptées au crime? Je pense que nous devons améliorer les lois pour que ces individus restent derrière les barreaux jusqu'à ce qu'ils comprennent véritablement ce qu'ils ont fait.
    J'imagine que c'est une question que je dois plutôt poser au système judiciaire. Je suis désolée, je n'essayais pas de vous mettre dans cette position. C'est juste qu'après avoir fait certains de ces exercices et visionné certaines de ces vidéos, il est évident que nous n'en faisons pas assez.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup.
    Nous donnons maintenant la parole à Mme Jenna Sudds pour six minutes.
    Madame Sudds, vous disposez de six minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je remercie tous les témoins d'être venus aujourd'hui et pour l'incroyable travail que vous accomplissez, jour après jour.
    Ma première question s'adresse à vous, monsieur Anson. Je me demandais si vous pouviez nous dire quel est le plus important défi à relever, selon votre expérience, afin de mettre un terme à la traite transfrontalière des personnes.
(1125)
    Je vous remercie de votre question.
    Certainement, je vais vous parler du plus grand défi, auquel l'agence fait face, à savoir qu'il s'agit d'une activité clandestine qui se déroule aux postes frontaliers. Les preuves ou les indicateurs de traite des personnes sont très rares, voire inexistants, au point d'entrée lors de l'arrivée. Le problème, le plus souvent, est que beaucoup de ces personnes peuvent entrer légalement ou pour toutes sortes d'autres raisons, par exemple, comme travailleurs étrangers temporaires, comme personnes munies d'un permis de résidence temporaire, par les canaux d'immigration habituels ou par le biais d'Expérience internationale Canada. Ce que l'on constate ce sont des entrées légales au Canada, et c'est ensuite qu'interviennent la force, la fraude et la coercition.
    Parallèlement, le problème croissant auquel nous faisons face en matière d'immigration clandestine ne fait qu'amplifier le risque encouru par les personnes entrées clandestinement, en ce sens que cela donne aux trafiquants potentiels des moyens de pression sur ces clandestins et des moyens de les mettre en danger. Par exemple, elles n'ont peut-être pas encore de permis de travail pour ressortissant étranger. Elles n'ont peut-être pas encore récupéré leur vrai passeport. Elles peuvent dépendre de faux papiers. Ce sont là quelques-unes des méthodes qu'utilisent les trafiquants pour continuer d'exercer leur influence, qu'il s'agisse de promesses de regroupement familial ou autre.
    En réalité, notre difficulté est que l'agence ne dispose que d'une marge de manœuvre restreinte pour ce qui est d'interdire l'entrée à un poste frontière, ce qui nous permettrait de séparer immédiatement le trafiquant de ses victimes et de nous assurer que les personnes qui ont déjà été victimisées ou traumatisées soient en mesure d'obtenir les services et le soutien de certains de nos partenaires nationaux ou fédéraux.
    Pour répondre directement à votre question, madame Sudds, le fait est que nous avons des capacités restreintes pour traiter et reconnaître la traite directement, même si nous consacrons beaucoup d'efforts aux rapports de renseignements, à l'identification et à l'énumération des indicateurs, des modes et des tendances de la traite. Nous faisons ensuite de notre mieux pour que cette formation soit déployée à tous les agents des services frontaliers du pays, qu'elle soit mise en commun par les membres du groupe de travail d'experts et systématisée dans le cadre de la formation des ASF lors du cours d'initiation du collège de Rigaud et dans toutes les formations continues pour nous assurer que tous sont en mesure de reconnaître la traite des personnes.
    C'est le défi que nous devons relever. Nous renvoyons toutes les situations, les cas ou les cas soupçonnés de traite des personnes à nos partenaires des forces de l'ordre, que ce soit la police compétente ou nos partenaires de la GRC, mais si je devais résumer la situation à un seul problème, je dirais que c'est vraiment là que nous faisons face au plus grand défi, lors de la protection des points d'entrée et de l'accès au Canada.
    Je vous remercie.
    À propos de partenaires, ma prochaine question s'adresse à la superintendante Kimberly Taplin, ou peut-être à la caporale Jennifer Demers si elle souhaite aussi répondre.
    Si l'on regarde la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes, de ce que j'ai lu au cours de la semaine dernière pour me préparer, il me semble que les faits révèlent l'utilisation croissante de la technologie quand il s'agit de la traite des personnes. Ce qui est particulièrement préoccupant, selon moi, c'est l'exploitation des enfants sur Internet.
    Je me demandais si vous pouviez nous parler du travail que vous accomplissez contre l'exploitation des enfants qui se fait en tirant parti de la technologie.
     Je vous remercie de poser cette question.
    Je ne me suis pas préparée à parler en particulier de l'exploitation des enfants aujourd'hui. Certains domaines de la GRC ont cette expertise, mais je serais heureuse de poser la question et d'envoyer une réponse au comité.
    Merci beaucoup.
    Pouvez-vous nous dire comment on tire de plus en plus parti de la technologie pour la traite des personnes en général? Je ne veux pas vous mettre sur la sellette.
     Je sais que la technologie influence nos vies dans bien des domaines. Encore une fois, c'est l'un des domaines où la technologie est de plus en plus utilisée.
     Je voudrais passer la parole à ma collègue, la caporale Jennifer Demers. Elle peut en parler plus précisément pour ce qui est de la traite des personnes.
(1130)
    Je vous remercie de cette question.
    À l'heure actuelle, je n'utilise pas personnellement de technologie dans notre unité. Encore une fois, je serais tout à fait disposée à vous répondre par écrit afin que vous puissiez avoir toute la réponse dans son ensemble.
    Merci beaucoup. J'apprécie, je ne voulais pas vous mettre dans l'embarras.
    Madame Van De Bogart, vous parliez de l'importance des partenariats, des rencontres fédérales-provinciales-territoriales et du travail effectué dans le cadre de ces partenariats. J'aimerais que vous nous en disiez davantage sur l'importance de cette approche de collaboration en ce qui concerne ce travail. Mais il est possible que nous n'ayons pas assez de temps.
    Vous disposez de 10 à 15 secondes.
    Très rapidement donc, beaucoup de travail a été accompli. La collaboration est importante, pas uniquement avec nos partenaires lors des réunions fédérales-provinciales-territoriales. Nous avons entendu de la part des survivants, lors des consultations de 2018 dans l'ensemble du Canada, que nous devions nous assurer de rencontrer régulièrement nos parties prenantes aussi. J'aimerais beaucoup vous parler de nos webinaires....
    Absolument, vous le ferez la prochaine fois.
    ... où nous travaillons sur tout cela.
    Merci beaucoup.
    Nous allons passer à Mme Andréanne Larouche pour six minutes.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Je remercie les témoins d'être ici pour cette étude si importante sur la traite des personnes.
    Cela fait longtemps que je souhaite aborder cette question au Comité, en tant que membre du Groupe parlementaire multipartite de lutte contre l’esclavage moderne et la traite des personnes. Cette année, le 22 février, nous avons souligné la troisième édition de la Journée nationale de sensibilisation à la traite des personnes.
    Comme l'ont indiqué la plupart des témoins dans leurs remarques préliminaires, nous nous rendons compte de notre manque de connaissances et de formation en la matière et du besoin de sensibiliser les gens à cette question. Les gens pensent que la traite des personnes est une question qui se passe à l'extérieur de nos frontières, mais on constate que la plupart des victimes, finalement, sont canadiennes. Cela se passe à l'intérieur même de nos frontières. Cela démontre le manque flagrant d'éducation et de connaissances de la population à ce sujet.
    Je vais d'abord m'adresser à M. Anson, mais, si quelqu'un d'autre veut ajouter quelque chose, je l'invite à le faire.
    En 2005, le Canada a adopté un projet de loi interdisant la traite des personnes, mais les trafiquants continuent de s'enrichir en exploitant des gens de partout. Entre 2009 et 2018, les services de police d'un bout à l'autre du pays ont signalé 1 708 cas relatifs à la traite des personnes. Toutefois, comme vous l'avez dit, ces données ne représentent toutefois probablement que les cas ayant fait l'objet d'une intervention policière. Les témoignages de personnes qui ont vécu une expérience de traite et de fournisseurs de services sociaux nous laissent plutôt croire que le nombre réel de victimes et de survivants est beaucoup plus élevé.
     Avez-vous des données plus récentes concernant les cas relatifs à la traite des personnes? Vous avez dit qu'il était difficile d'obtenir des chiffres, mais pouvez-vous nous brosser un portrait plus actuel de la situation?
    Je m'adresse à vous d'abord, monsieur Anson, mais j'invite d'autres témoins à intervenir pour que nous ayons un portrait plus actuel de la situation.
    Je remercie la députée de sa question.

[Traduction]

    Je suppose que je dirais d'entrée de jeu que je comprends certainement ce point de vue et, encore une fois, la grande importance des statistiques.
    Malheureusement, l'ASFC n'a pas nécessairement le même mandat national pour ce qui est de faire un suivi des dossiers de traite des personnes ou des cas soupçonnés, de s'y attaquer et d'intenter des poursuites.
    Nous participons avec notre service de police compétent, nos partenaires des services nationaux de police, pour assurer une sensibilisation continue. La détermination des indicateurs, des tendances et des mises en garde est mise en commun pour renseigner le service de police compétent dans ses processus d'enquêtes nationales et pour mieux sensibiliser les partenaires fédéraux de tous les ministères. Par conséquent, nous reconnaissons sans aucun doute que la sensibilisation est essentielle, sans compter notre capacité à soutenir nos partenaires des services de police nationaux. Ce n'est pas nécessairement une chose que nous établissons ou dont nous faisons un suivi.
    Une fois de plus, la seule chose que j'ajouterais pour répondre à votre question serait vraiment que, compte tenu de l'éventail de moyens utilisés pour arriver au Canada, les gens peuvent parfois hésiter à signaler des cas de traite de personnes. Il est encore une fois important de reconnaître qu'un grand nombre de ces personnes sont vulnérables à la coercition, à la fraude et à des situations potentielles de servitude. De plus, elles fuient peut-être la persécution, des catastrophes naturelles, des dictatures ou de la discrimination fondée sur le sexe, l'orientation sexuelle, la religion, la race, la couleur et ainsi de suite, ce qui signifie qu'elles ont peut-être tendance à avoir peur de signaler certains incidents aux autorités compte tenu du fait qu'elles arrivent de pays où on n'a pas le même lien de confiance envers les forces de l'ordre ou les partenaires des services de sécurité nationaux.
    Pour ce qui est des chiffres et de la capacité de s'attaquer au problème à l'échelle nationale, je vous dirigerais sans aucun doute vers nos partenaires des services de police nationaux.

[Français]

     Je vous remercie de cette question, madame.
(1135)

[Traduction]

    Si je peux me permettre un ajout, je crois comprendre que vous allez entendre les gens de Statistique Canada. Nous collaborons étroitement avec eux pour obtenir cette information, et ils pourront vous en dire plus long sur les chiffres liés à la traite des personnes. Nous savons que c'est un crime qui n'est pas assez souvent signalé, mais en me fiant aux données de 2022, je peux vous donner aujourd'hui quelques chiffres généraux. Nous savons que les femmes et les filles représentent 96 % des victimes. La plupart d'entre elles, c'est‑à‑dire une proportion de 91 %, connaissaient leurs passeurs, et le tiers des victimes ont subi la traite à cause d'un partenaire intime.
    Je sais que nos collègues de Statistique Canada pourront vous aider beaucoup plus à ce sujet.

[Français]

    Madame Van De Bogart, ma prochaine question s'adresse à vous.
    En 2019, le gouvernement fédéral a mis en œuvre, dans le cadre d'une stratégie nationale, une série de nouvelles mesures pour contrer le problème. Pouvez-vous nous dire ce que la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes a permis de changer?
    Vous m'avez donné comme exemple votre collaboration avec Statistique Canada, mais, dans le contexte de cette stratégie nationale, avez-vous établi d'autres partenariats qui pourraient être utiles aux travaux de notre comité?

[Traduction]

    Merci pour la question.
    Je pourrais peut-être souligner deux ou trois choses. J'ai mentionné dans ma déclaration liminaire que le gouvernement du Canada a financé 63 projets. La Sécurité publique a financé 20 de ces projets. Les fonds sont remis à des organisations communautaires d'un bout à l'autre du pays pour travailler avec les victimes et les survivantes. Parmi ces projets, il y en a 12 qui portent sur l'autonomisation, et les autres sont des projets de prévention. Quinze de ces projets soutiennent les peuples autochtones, deux sont dirigés par des Autochtones et beaucoup d'autres permettent également de tendre la main à des personnes de diverses identités de genre.
    Un travail important est fait. Ces projets se poursuivent depuis trois ou quatre ans et, comme je l'ai mentionné, nous commençons notre dernière année d'évaluation. Ce que nous allons faire, c'est écouter les gens à propos des deux réalisations et des leçons apprises. C'est un des domaines dans lesquels nous changeons les choses selon moi.
    Merci beaucoup.
    Nous allons donner la parole à Leah Gazan.
    Madame Gazan, vous avez six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Ma première question est pour la surintendante Taplin. Nous savons qu'il y a des problèmes persistants de discrimination systémique et de violence sexuelle au sein de la GRC. Je veux attirer l'attention sur un article publié par CBC en mai 2021, en réponse au rapport de l'Alliance canadienne féministe pour l'action internationale. Selon le rapport, il existe des preuves d'une tendance à la discrimination, au harcèlement et aux agressions contre les femmes par des agents de la GRC.
    Plus loin, Pamela Palmater dit que si les agentes de la GRC ne sont pas à l'abri des agressions sexuelles commises par des agents, personne ne devrait être surpris d'apprendre que les femmes et les filles autochtones marginalisées ne sont également pas en sécurité.
    Je veux aussi attirer l'attention sur un article publié par CBC en 2015 à propos de l'agent Kevin Theriault, dans le Nord du Manitoba, qui a conduit à la maison une femme intoxiquée qui s'était retrouvée en prison, avec la permission d'un agent superviseur, pour avoir des relations avec elle. Je n'ai pas la citation exacte, mais l'agent superviseur aurait dit, en des termes moins polis: « Tu l'as arrêtée; tu peux maintenant en faire ce que tu veux. » C'est dans un reportage de CBC.
    Ce qui me préoccupe, c'est que la GRC continue d'enquêter sur ses propres allégations d'inconduite. Je me demande ce qu'elle fait pour s'attaquer à ce genre de racisme systémique grotesque et à la violence sexuelle qu'on observe encore, plus particulièrement contre les femmes et les filles autochtones.
    Merci de poser la question.
    La GRC compte parmi environ 150 services de police d'un bout à l'autre du Canada. La Section nationale contre la traite de personnes effectue une analyse de l'environnement national pour cerner les tendances, les lacunes, les besoins et les pratiques exemplaires concernant les enquêtes en la matière et contribuera à accroître la sensibilisation.
    La première étape de l'analyse était un examen des dossiers des cas de traite des personnes. La deuxième étape...
(1140)
    Je suis désolée. Mon temps est limité. Je ne parlais pas de ce que la GRC fait pour s'attaquer à la traite des personnes à des fins sexuelles. Ma question portait plutôt sur ce qu'elle fait pour limiter et gérer ses propres cas de traite à des fins sexuelles. Je reviens au Nord du Manitoba et à la femme qu'on a sortie de prison à des fins sexuelles.
    C'est ma question. Merci.
    Merci de l'avoir précisée.
    Je ne me suis pas préparée pour parler des mesures prises par la GRC en ce qui concerne les allégations internes et la façon dont, comme vous l'avez dit, nous nous conduisons peut-être les uns envers les autres.
    Je vais m'arrêter ici par esprit d'équité envers vous. Pourriez-vous faire un suivi à l'aide d'un mémoire? C'était un cas confirmé de traite à des fins sexuelles. Ce n'était pas une allégation; c'était un cas confirmé.
    Nous savons que dans plus de la moitié des cas de traite à des fins sexuelles, aucun suspect n'est identifié. C'est ce qui est indiqué dans un rapport de Statistique Canada daté du 1er mars 2021. Nous savons aussi que dans les deux tiers des cas, les procédures criminelles sont interrompues à la suite d'une suspension, d'un retrait, d'un rejet ou d'un acquittement.
    Que fait la GRC pour compiler des preuves adéquates dans le but d'éviter que ces dossiers passent entre les mailles du filet?
    La GRC s'efforce d'enquêter sur tous les cas de traite des personnes signalés ou découverts. Nous utilisons les outils à notre disposition. Nous avons récemment mis à jour notre politique relative à la traite des personnes, ce qui comprend des directives pour les enquêtes ainsi que des renvois aux services aux victimes.
    Comme je l'ai mentionné, nous mettons également à jour nos produits de sensibilisation et notre formation en la matière. Nous travaillons aussi avec des survivants pour renforcer nos politiques et nos procédures d'enquête.
    Merci beaucoup.
    Combien de temps me reste‑t‑il, madame la présidente?
    Vous avez 24 secondes.
    Ce n'est pas beaucoup. Je pourrais peut-être commencer et ensuite poursuivre avec vous, monsieur Anson.
    On a dit qu'un grand nombre de prostituées migrantes ne se manifestent pas par crainte d'être expulsées, surtout dans des situations où elles subissent de la violence.
    Je vais m'arrêter ici pour l'instant. Je vais vous poser des questions là‑dessus au deuxième tour.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous passons à notre prochain tour. Nous allons accorder deux fois cinq minutes et deux fois deux minutes et demie, en commençant par Mme Viens.
    Madame Viens, vous avez cinq minutes.

[Français]

     Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je vous serais reconnaissante de nous donner des réponses assez brèves, parce que nous n'avons pas beaucoup de temps.
    Monsieur Anson, vous parlez dans vos notes d'allocution du Plan d'action national de lutte contre la traite des personnes.
    Quant à vous, madame Van De Bogart, vous parlez de la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes.
    Le plan d'action date de 2012 et la stratégie, de 2019.
    Chacun des organismes possède-t-il son propre plan d'action?
    Travaillez-vous isolément, chacun de votre côté?
    Quelle est l'origine de ces plans et stratégies? Comment fonctionnent-ils quand vient le temps d'être efficient et opérationnel?

[Traduction]

    La Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes dont nous parlons aujourd'hui a été lancée en 2019, mais une stratégie antérieure avait été lancée en 2012. Le gouvernement du Canada travaille en collaboration depuis ce temps pour continuer de renforcer cette stratégie.
    Il s'agit donc simplement de poursuivre ce qui a été fait depuis le début de ces travaux, en 2012.
(1145)

[Français]

     Merci beaucoup.
    M. et Mme Tout‑le‑Monde qui nous écoutent aujourd'hui ont peut-être une vague idée de ce qu'est le trafic de personnes.
    Si je vous demandais de nous montrer à quoi ressemble un cas type de trafic de personnes, que nous répondriez-vous afin que les gens comprennent de quoi nous parlons aujourd'hui? Quel est le cas type?

[Traduction]

    Si je devais répondre à la question, je dirais que c'est très difficile, car il y a une série de différents types d'exploitation qui, malheureusement, sont utilisés par les trafiquants de personnes.
    J'ai tenté d'en apprendre le plus possible sur le sujet et je poursuivrai mes efforts, mais il existe toute une série de notions différentes que les gens associent, à tort, à ce que j'appellerais les « chaînes de l'esclavage moderne ». Il peut s'agir de tout, du travail forcé à l'exploitation sexuelle. Il s'agit de tout ce qui est fait pour forcer une personne à exercer, contre son gré, une activité qui est très probablement, dans de nombreux cas — et certainement lorsqu'il s'agit de la traite des êtres humains —, à des fins horribles.
    Qu'il s'agisse de travail forcé, qui peut se manifester dans le secteur de la construction ou dans le secteur agricole par l'exploitation des personnes qui arrivent au Canada pour échapper à la persécution, qu'il s'agisse des personnes exploitées à des fins sexuelles… Là encore, ma collègue, Mme Van De Bogart, a expliqué qu'environ 96 % des personnes sont exploitées à des fins sexuelles et que, sur l'ensemble des personnes victimes de la traite des personnes, 71 % le sont à des fins d'exploitation sexuelle.
    À quoi la situation ressemble‑t‑elle aujourd'hui? La traite des personnes est présente dans tous les milieux et dans toutes les classes de la société. Elle est présente dans un grand nombre de secteurs d'activités. Je pense que les efforts de sensibilisation à cet égard représentent l'une des meilleures méthodes que nous puissions mettre en œuvre pour lutter contre ce fléau.
    Pour répondre aussi à la question sur le travail en cloisonnement, nous travaillons efficacement ensemble au sein de la police et des organismes de réglementation et d'application de la loi. Par ailleurs, à l'échelon international, dans le cadre du pilier des partenariats, nous travaillons avec des partenaires internationaux pour sensibiliser les gens, certainement dans les pays sources à partir desquels des personnes sont potentiellement envoyées au Canada dans le cadre de la traite des personnes.
    La situation actuelle est donc un amalgame de nombreux éléments, et nous devons continuer à adapter les approches utilisées. Nos rapports sur le renseignement continuent de fournir des indicateurs sur la situation actuelle, afin que nous puissions mieux repérer les activités liées à la traite des personnes et prendre les mesures appropriées.

[Français]

    Merci.
    Il est question d'une campagne d'information qui a été lancée ou qui le sera et dans laquelle vous interpelez la population. Les députés autour de cette table reçoivent à leur bureau de circonscription des gens qui entrent au pays, comme des travailleurs étrangers.
    Comment la population, mes collègues et moi pouvons-nous déceler des signes qui pourraient nous alerter? À quoi pourrions-nous penser par exemple? Y a-t-il des situations qui pourraient nous alerter et nous donner l'impression qu'il se passe quelque chose de louche chez telle ou telle personne?

[Traduction]

    Je pourrais fournir quelques notions liées aux travailleurs étrangers et au rôle que joue l'Agence des services frontaliers du Canada dans les inspections de validation pour les travailleurs étrangers potentiels.
    Les gens travaillent-ils pendant des heures prolongées? Les sites de travail sont-ils clôturés? Les gens ne sont-ils pas autorisés à parler à la population? Travaillent-ils pendant la fin de semaine? Y a‑t‑il des enfants qui ne vont pas à l'école? Il existe une série d'indicateurs différents. De nombreux renseignements sont accessibles au public.
    Pour terminer, si vous me le permettez, j'aimerais préciser qu'il existe une ligne téléphonique d'urgence contre la traite des personnes. Le numéro est 1‑833‑900‑1010 et si vous avez des questions, vous pouvez certainement appeler à ce numéro pour obtenir de plus amples renseignements. Vous aurez accès à une expertise pour vous soutenir et potentiellement vous fournir ce dont vous avez besoin, et on vous indiquera à quel service de police vous pouvez signaler votre cas.
    Je vous remercie beaucoup. Ce sont des renseignements très importants pour le compte rendu.
    La parole est maintenant à Mme Emmanuella Lambropoulos. Elle a cinq minutes.
    Vous avez la parole, madame Lambropoulos.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    J'aimerais remercier tous nos témoins d'être venus nous fournir des renseignements sur la traite des personnes et sur les mesures prises par notre gouvernement pour lutter contre cette situation.
    Monsieur Anson, vous avez dit plus tôt que lorsque les gens arrivent à la frontière, rien n'indique qu'ils ont été victimes de la traite des personnes. Nous ne le découvrons que plus tard, et nous avons peu de temps pour intervenir et aider la victime et veiller à ce qu'elle soit prise en charge.
    Que faisons-nous lorsque ces personnes se présentent dans les bureaux des services frontaliers pour des entretiens ou d'autres raisons? Je ne sais pas à quelle fréquence cela se produit, mais lorsqu'une personne se présente et qu'elle est victime de la traite, ou lorsqu'il apparaît clairement qu'elle est une victime, des mesures précises sont-elles prévues à la frontière pour encourager cette personne à divulguer la situation dans laquelle elle se trouve? Je sais qu'il est souvent difficile pour ces personnes de s'exprimer, car elles sont souvent en danger.
    Pouvons-nous prendre d'autres mesures à la frontière pour aider davantage ces personnes à s'exprimer ou à demander de l'aide si elles sont dans une situation dans laquelle elles ne souhaitent pas nécessairement se retrouver?
(1150)
    C'est certainement une question très difficile et complexe, car pour informer les personnes qui font potentiellement l'objet de la traite des personnes et qui, je suppose, à ce stade, sont susceptibles d'être amenées clandestinement au Canada… Il est très difficile de les informer sur leur situation.
    Pour répondre à votre question, ainsi qu'à la question précédente, je dirais qu'il est très important d'informer les gens au pays sur cette situation pour veiller à ce qu'ils soient en mesure de repérer les indicateurs après l'arrivée de ces personnes au Canada. Je ne peux pas parler des mesures qui pourraient être prises à la frontière, mais je dirais que nous comptons grandement sur nos agents des services frontaliers pour appliquer un très large éventail de plus de 100 mesures législatives, de la Loi sur les douanes à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Cependant, ces agents sont passionnément déterminés à s'assurer que la traite des personnes est interdite à la frontière.
    Pour vous rassurer, je vous dirai que, dans les cas soupçonnés de traite des personnes à la frontière, la première chose que fera un agent des services frontaliers sera de séparer la victime potentielle de la personne qui fait la traite. À partir de là, l'agent suivra une série de procédures établies qui mèneront probablement à la détention et potentiellement à une demande d'enquête auprès du service de police concerné ou de la GRC. C'est à ce moment‑là que la personne qui a été traumatisée et qui est susceptible d'être victime de la traite des personnes aura accès à toute une série de services et de soutiens de nos partenaires fédéraux, qui sont habituellement offerts par l'entremise d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.
    L'autre chose que j'aimerais ajouter, c'est que très souvent — et c'est une chose que nous entendons assez fréquemment —, ces personnes ont peur de se manifester, car elles risquent l'expulsion. Chaque cas est différent, mais divers services de soutien sont accessibles aux personnes qui déclarent être une victime potentielle de la traite des personnes. Par exemple, il y a des logements d'urgence, du financement d'urgence et des services de soutien, ainsi que divers types de séjours au Canada, qu'il s'agisse d'un permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables ou d'un permis de séjour temporaire pour les victimes de la traite des personnes. Un mécanisme de soutien a été mis en œuvre et il peut être appliqué immédiatement à la frontière. Les agents des services frontaliers reçoivent la formation nécessaire afin d'avoir cela à l'esprit et d'être en mesure de prononcer une interdiction s'ils soupçonnent qu'une personne est victime de la traite des personnes à la frontière, c'est‑a‑dire à un point d'entrée au Canada.
    Je vous remercie beaucoup d'avoir posé cette question.
    Si ces personnes sont découvertes plus tard, risquent-elles d'être expulsées ou sont-elles protégées? Vous avez dit que les trafiquants eux-mêmes présentent un risque et un danger pour ces personnes. Des mesures de protection sont-elles en place? Travaillez-vous avec vos partenaires pour vous assurer que les victimes pourront se déplacer en toute sécurité, par exemple?
    Je vous remercie de votre question. Encore une fois, je vous suis reconnaissant d'avoir orienté cette série de questions vers des réponses plus détaillées, car je pense qu'il est très important de sensibiliser les gens aux soutiens et aux services qui sont offerts.
    Je ne peux pas parler au nom d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, si ce n'est pour mentionner l'existence d'une série de mécanismes qui sont déjà en place pour protéger les personnes qui peuvent avoir été traumatisées contre une nouvelle victimisation. Lors de l'évaluation des cas, IRCC a la possibilité de suspendre des renvois. Des examens des risques avant renvois sont menés avant qu'une personne soit expulsée ou inscrite sur une liste de renvoi. Ces personnes ont aussi la possibilité de présenter une demande d'asile ou de présenter une demande de sursis à la mesure de renvoi pour des motifs d'ordre humanitaire.
    Ces mesures sont donc en place. Elles relèvent certainement de la compétence de nos partenaires des services de police fédéraux et nous les aidons, tout comme le font les services de police responsables et la GRC, en leur fournissant les renseignements nécessaires à la prise d'une décision dans chaque cas individuel.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup.
    La parole est maintenant à Mme Larouche pour une période de deux minutes et demie.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Je remercie encore les témoins d'être avec nous aujourd'hui.
    Le Plan d'action national de lutte contre la traite des personnes a été lancé en 2012 et la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes l'a été en 2019. Pourtant, les chiffres continuent de démontrer que le nombre des victimes de traite des personnes augmente.
    Vous avez même dit que la traite touchait particulièrement les femmes. Selon vos derniers chiffres, les femmes et les filles représentent 96 % des cas. C'est vraiment frappant.
    Or ce qui est pire encore, c'est qu'on se doute que ce n'est que la pointe de l'iceberg. C'est une question très sensible, mais il semble que les femmes et les filles victimes de cette traite trouvent difficile de la dénoncer. Elles éprouvent probablement aussi un certain manque de confiance quant à la façon dont elles pourraient être aidées si elles font de la dénonciation. Elles l'ont d'ailleurs déjà dit. La dénonciation entraîne aussi de la peur.
    Qu'est-ce qui ne fonctionne pas pour que les victimes ne fassent pas confiance au système et aux différentes institutions qui s'occupent de la traite des personnes?
    Visiblement, il existe un problème de manque de confiance.
    Monsieur Anson, sincèrement, depuis le lancement de la dernière Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes, en 2019, comment votre travail a-t-il évolué par rapport à la détection des cas de traite des personnes?
    Vous sentez-vous mieux outillé, en 2023, pour prévenir et détecter ces cas?
(1155)
    Je vous remercie aussi de cette question.

[Traduction]

    Je ne pourrais pas nécessairement vous indiquer ce qui ne fonctionne pas, mais je peux assurément vous parler de ce qui fonctionne.
    Je vous dirais qu'à la faveur d'un soutien plus senti résultant d'une plus grande conscientisation, l'ASFC a fait le nécessaire pour assurer une sensibilisation accrue à l'interne en tablant sur une formation en constante évolution pour nos agents des services frontaliers. Nous veillons ainsi à ce que nos points d'entrée ne deviennent pas des dispositifs facilitant la traite de personnes, et surtout de femmes, de filles et de personnes de diverses identités de genre, qui seront ensuite exploitées au Canada.
    Il y a un autre élément qui fonctionne bien dans le cadre de notre programme de renseignements. On nous a fixé au départ un objectif qui était, si je ne m'abuse, de 11 rapports par année pour sensibiliser les gens à cette problématique, fournir des indicateurs en la matière et servir des mises en garde. Depuis 2019, nous en avons produit 145 à un rythme qui atteint actuellement quelque 35 rapports par année. Il s'agit de rapports de renseignement très détaillés connaissant toutes sortes d'informations sur les différents types d'activités dont il faut suivre l'évolution en mettant en lumière les nouvelles formes d'exploitation de nos processus d'immigration. Comment ces gens‑là traversent-ils nos frontières? Quels sont les indices ou les signaux d'alarme à détecter dans un véhicule pour déterminer qu'une personne pourrait être victime de traite? Quels sont les comportements, les indices visuels et les itinéraires particuliers que nos agents pourraient repérer?
    Merci, monsieur Anson.
    C'est maintenant au tour de Mme Gazan qui dispose elle aussi de deux minutes et demie.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je vais continuer avec M. Anson.
    Nous savons que la meilleure façon de protéger les femmes est d'avoir recours à des approches de réduction des méfaits. Il ne fait aucun doute que la traite de personnes à des fins sexuelles est une grande source de préoccupation. Dans un article publié par CBC News le 11 mai 2015, Jean McDonald, qui travaillait alors — et je ne sais pas si c'est encore le cas — pour Maggie's, le projet d'intervention auprès des travailleuses du sexe de Toronto, a déclaré que les victimes identifiées lors des enquêtes sur la traite de personnes devraient se voir offrir sur‑le‑champ la résidence permanente et l'immunité contre toute expulsion.
    Pour faire suite à la question de ma collègue concernant les nombreuses victimes de la traite de personnes qui hésitent à dénoncer les coupables de crainte d'être expulsées du pays, ne croyez-vous pas que l'on pourrait notamment protéger ces femmes en leur offrant la résidence permanente dans les cas de traite à des fins sexuelles, de telle sorte qu'elles puissent communiquer sans crainte aux autorités tous les renseignements pertinents?
    Je ne suis pas en mesure de vous parler de la marche à suivre en matière d'immigration et des éléments à considérer dans l'évaluation de chaque cas. Ce serait assurément du ressort d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, et plus précisément sans doute de l'unité responsable de la gestion des cas au sein de ce ministère. Je suis donc incapable de vous répondre à ce sujet, si ce n'est pour vous rappeler qu'il y a des mécanismes en place et des options qui s'offrent aux personnes déjà victimisées ou traumatisées. Je peux vous dire que l'on tient compte de la situation des victimes de la violence fondée sur le sexe, une considération vraiment importante selon moi. Ce n'est toutefois pas nécessairement mon domaine de spécialité.
    Je comprends.
    Pouvez-vous toutefois nous dire, à la lumière de votre expérience, si la crainte d'être expulsé est, oui ou non, un des éléments qui font que les femmes victimes de la traite à des fins sexuelles hésitent à dénoncer les coupables? Il me reste très peu de temps, je pense que vous pouvez seulement répondre par un oui ou par un non.
    Je comprends. Merci pour la question.
    Je dirais qu'il y a toujours, d'une manière générale, une certaine réticence à dénoncer, et ce, pour toute une gamme de raisons différentes étant donné la multiplicité des situations qui se présentent. Il y a notamment les gens qui arrivent au pays par des voies clandestines et qui n'ont pas nécessairement un statut légitime au Canada. Si vous n'avez pas un passeport en bonne et due forme ou un permis pour travailler à titre de ressortissant étranger… C'est un autre exemple d'une situation où une personne serait assurément réticente à signaler de mauvais traitements.
    Pour ce qui est de la crainte d'une expulsion, je ne suis pas nécessairement en mesure de vous en dire plus long, mais cela semble effectivement aller de soi.
(1200)
    Merci énormément.
    Nous allons maintenant passer à Mme Ferreri.
    Vous avez cinq minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Un grand merci aux témoins qui sont des nôtres aujourd'hui pour discuter de ce sujet très important.
    Je représente la circonscription de Peterborough—Kawartha qui s'étend le long de l'autoroute 401. Je serais curieuse de savoir ce que vous pensez. Je pose la question à tout le monde.
    Monsieur Anson, ce n'est pas nécessairement votre domaine, mais peut-être que Mme Demers… ?
    Le corridor de l'autoroute 401 semble extrêmement propice à la traite de personnes. Que pourrions-nous faire selon vous pour enrayer de telles activités?
    Merci pour la question.
    Nous travaillons en partenariat avec des organisations comme VIA Rail — dont les trains circulent le long de la 401 — et d'autres corps policiers afin que tous soient sensibilisés quant aux signes à observer, aux cibles à identifier et à la façon de gérer ce genre de situations.
    Hormis ces communications entre les organisations, il n'existe donc pas de programme consacré expressément à cette problématique. Est‑ce que des mesures ciblées ont été prises afin de mobiliser les forces pour s'y attaquer?
    Nous travaillons tous ensemble en partenariat. Nous mettons l'information en commun. C'est une priorité pour tous les partenaires avec lesquels je travaille. Nous savons que c'est un domaine qui n'est pas sans risques. Nous rendons accessibles à tous nos outils de sensibilisation et de formation. Nous sommes en constante communication les uns avec les autres.
    Merci.
    Madame Van De Bogart, j'estime qu'il serait notamment essentiel de pouvoir compter sur les données nécessaires pour régler le problème ou dénouer la crise. J'ai moi-même pu observer le tout dans ma collectivité. Une jeune itinérante a été victime de la traite de personnes sans que les médias daignent s'intéresser à son cas et sans que qui que ce soit la cherche vraiment. Sa mère s'est battue bec et ongles. On a pu la retrouver grâce aux médias sociaux, mais je ne sais même pas si elle aurait elle-même dénoncé le coupable.
    Comment trouver toutes ces données qui nous manquent? Comme l'indiquait ma collègue, Mme Gazan, les chiffres témoignent on ne peut mieux de l'ampleur du problème. Quelle est la solution?
    Merci pour la question.
    Vous avez raison. Comme nous ne le savons que trop bien, c'est un crime qui n'est pas suffisamment signalé. Nous collaborons de près avec Statistique Canada pour compiler des données afin d'orienter le mieux possible notre stratégie.
    Je vais revenir à la question de la sensibilisation. Nous avons souligné à quel point il est crucial que les Canadiens comprennent bien en quoi consiste la traite des personnes, quels sont les indices d'une telle activité et comment signaler les situations semblables. Dans le cadre de ses efforts de prévention, notre ministère a mené de nombreuses campagnes de sensibilisation. Nous avons parlé précédemment de la forme que peut prendre la traite des personnes. En 2021, nous avons lancé notre campagne « Ce n'est pas ce qu'on croit », parce que de nombreux Canadiens ne comprennent pas que bien des victimes de la traite le sont aux mains d'un conjoint, d'un partenaire intime ou d'un proche.
    J'estime que la collecte de données est absolument primordiale. Nous devons poursuivre nos efforts en ce sens, mais la sensibilisation est également cruciale. Il faut sensibiliser le grand public, mais aussi les différents acteurs dans le secteur des services et les endroits où sévit la traite de personnes. Nous préparons actuellement des directives dans quatre domaines principaux afin d'aider les travailleurs de première ligne du secteur des services à mieux comprendre les indices de la traite de personnes et la manière dont ils doivent s'y prendre pour signaler ce genre de situations.
    Je pense que c'est une façon d'y arriver. Nous pouvons faire le nécessaire pour nous assurer que les gens comprennent bien. Chacun peut faire un signalement, et ces signalements représentent autant de données à notre disposition.
    Merci. C'est très éclairant. Même mes propres enfants... Mon garçon qui est en huitième année est rentré un jour à la maison après avoir participé à rien de moins qu'un atelier sur la traite de personnes. C'est ainsi que nous pouvons évoluer à bien des égards. Nos enfants rentrent de l'école et nous en apprennent. Je peux vous confirmer que les choses changent. On ne m'a jamais parlé de ce problème lorsque j'étais à l'école. Il est réjouissant de constater une telle évolution.
    Mme Taplin, une fois qu'une victime est prise en charge et qu'elle fait sa déclaration ou présente sa version des faits, pouvez-vous me dire quelles mesures sont prises pour lui fournir les ressources dont elle a besoin pour s'affranchir de son mode de vie actuel? Nous savons que quelqu'un exerce un contrôle coercitif sur la victime. Il est alors très difficile pour celle‑ci de retrouver un mode de vie sain en pouvant faire à nouveau confiance aux gens.
(1205)
    Je vais devoir intervenir, car nous approchons de la fin du temps à notre disposition avec ce groupe de témoins. Alors, si vous voulez bien faire un survol rapide et peut-être nous communiquer par écrit de plus amples détails sur toutes ces mesures qu'il nous est possible de prendre.
    Je vous accorde seulement une quinzaine de secondes pour répondre, après quoi nous passerons à M. Serré.
    Je vous dirai donc simplement que la GRC offre des services aux victimes en collaboration avec les ressources locales et nationales. Nous aiguillons toutes les victimes vers les services dont elles ont besoin au sein de leur collectivité afin d'obtenir les résultats souhaités. Je serai ravie de vous en dire plus long par écrit.
    Excellent.
    Merci beaucoup. Nous vous en sommes très reconnaissants.
    Monsieur Serré, vous avez droit aux cinq dernières minutes.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Je remercie également les témoins de leurs témoignages.
    Ma première question s'adresse à Mme Van De Bogart, du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile.
    Madame Van De Bogart, vous avez parlé de la Ligne d'urgence canadienne contre la traite des personnes. Le Comité vient de terminer son étude sur la santé mentale. Lors de cette étude, on nous a dit qu'il y avait beaucoup de lacunes sur le plan des services offerts par les municipalités et par les communautés aux femmes et aux filles victimes de trafic d'êtres humains. Vous avez dit que les victimes ont accès à la ligne d'urgence 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, et qu'elles sont dirigées vers le bon service.
    Quelle information pouvez-vous transmettre au Comité concernant les lacunes et les défis auxquels est confronté le personnel? Ce dernier doit parfois recommander des services qui n'existent pas ou qui diffèrent selon qu'il s'agit d'une petite ou d'une grande municipalité.
    Je vous remercie de votre question.

[Traduction]

    Je sais que vous allez pouvoir en discuter tout à l'heure avec les responsables de la ligne d'urgence. Je suis persuadée qu'ils pourront vous fournir tous les détails pertinents à ce sujet. Je peux déjà vous dire que les services sont offerts dans plus de 200 langues. La ligne d'urgence n'est pas seulement pour les victimes, mais aussi pour les gens qui peuvent avoir des questions après avoir vu quelqu'un qui pouvait sembler, à leurs yeux, être victime de la traite de personnes. Je ne doute pas que vous allez leur poser une foule de questions pour aller au fond des choses.
    En plus de l'aide apportée grâce à la ligne d'urgence, je peux vous dire que parmi les 63 projets que nous avons financés, il y en a 20 qui sont réalisés par des organismes communautaires de différentes régions, une approche visant expressément à tenir compte du fait qu'un modèle unique ne fonctionne pas lorsqu'il s'agit de sécurité publique. Nous savons qu'il est nécessaire d'appuyer ces intervenants locaux qui connaissent bien leur collectivité, sont au courant des choses qui s'y passent et savent quels services sont requis.
    Je voudrais ajouter que lors des consultations que nous avons tenues au départ en vue d'élaborer la stratégie en 2018, plus de 200 intervenants nous ont permis de dégager trois principes clés. Pour que notre stratégie soit efficace à tous les égards, elle doit être respectueuse des valeurs culturelles, tenir compte des traumatismes et être axée sur les survivants. Ces trois grands principes ont servi de base à notre stratégie et sont, comme je l'ai indiqué, au cœur des engagements que nous y prenons. Il est important d'offrir le soutien nécessaire pour insuffler la confiance voulue aux victimes afin qu'elles dénoncent les coupables, et aux survivantes afin qu'elles demandent de l'aide. Nous ne voulons surtout pas leur faire revivre leur traumatisme. Nous ne voulons pas les victimiser de nouveau. Je pense que c'est un autre aspect primordial.
    Je veux juste dire une dernière chose. Nous procédons en ce moment à l'évaluation officielle de la stratégie en cours parce qu'elle en est à sa dernière année. Nous pourrons ainsi cerner les lacunes et les difficultés, souligner les bons coups réalisés et refaçonner la stratégie en prévision de l'avenir.

[Français]

    Je vous remercie, madame.
    Ma prochaine question s'adresse à M. Anson, mais Mme Van De Bogart pourra aussi y répondre, si le temps le permet.
    Monsieur Anson, tantôt, vous avez parlé du fait que vous n'avez pas nécessairement le contrôle des réfugiés aux frontières. On nous a également dit que le nombre de personnes victimes de trafic d'êtres humains augmente.
    Récemment, nous avons appris, par l'intermédiaire des médias, qu'un plus grand nombre de réfugiés en provenance du Panama, de la Colombie et d'Haïti vont arriver aux États‑Unis et au Canada au cours des prochains mois. Il est donc possible que le nombre de victimes de trafic d'êtres humains augmente.
    Quelles démarches avez-vous entreprises?
    Quelles recommandations avez-vous à faire au Comité?
(1210)
     Je vous remercie de votre question.

[Traduction]

    Je tiens à apporter une précision: nous représentons une partie importante du processus. Nous n'avons pas perdu le contrôle de l'accueil des réfugiés au Canada. Ce n'est pas nécessairement un enjeu, mais c'est un sujet dont je ne parle pas aujourd'hui.
    Pour répondre à votre question, oui, des réfugiés de nouveaux pays d'origine arrivent au Canada. Les mouvements migratoires évoluent constamment, que la migration soit régulière ou irrégulière; qu'elle soit faite par des voies officielles ou non officielles, comme le passage de clandestins ou, dans certaines circonstances, la traite des personnes.
    C'est au moyen des rapports de renseignement que l'Agence adapte et modifie constamment son approche à l'égard de pays d'origine donnés. Les mouvements migratoires sont nombreux et ils évoluent d'un jour à l'autre et d'un mois à l'autre, souvent en fonction des événements et des situations géopolitiques à l'étranger, ainsi que des modifications que nos pays partenaires apportent à leurs lois. C'est certainement le cas en ce qui concerne l'Amérique du Nord, l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud.
    Nos rapports de renseignement nous permettent de continuer à évaluer quel pourcentage et quelle proportion des migrants sont des victimes ou des usagers des réseaux de passage de clandestins, quels types de groupes du crime organisé soutiennent ces réseaux, et aussi quels pays semblent produire le plus fréquemment des victimes de la traite des personnes. Voilà comment l'Agence s'attaque à la menace et évolue continuellement pour y faire face.
    Excellent, merci beaucoup.
    Nous avons dépassé légèrement le temps prévu pour ce groupe de témoins, mais nous avons reçu beaucoup de renseignements essentiels pour jeter les bases de notre étude.
    Je tiens à remercier chacun et chacune d'entre vous pour votre présence et pour les renseignements que vous nous avez fournis. Je sais qu'il y a eu quelques demandes de suivi; nous ferons donc des suivis auprès de vous pour ces questions.
    Nous allons suspendre la séance pendant une minute environ pour passer immédiatement au prochain groupe de témoins. Je vais demander de faire la transition, et nous commencerons sans tarder.
(1210)

(1210)
    Reprenons. Je souhaite la bienvenue aux témoins. Je souligne que les tests de son ont été faits avec tous les témoins et qu'ils ont été réussis.
    Mme Julia Drydyk, directrice générale du Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes, se joint à nous en ligne. Nous recevons également Mme Kyla Clark, coordonnatrice de programme pour Création d'opportunités et de ressources pour arrêter le trafic humain, qui se joint à nous en personne.
    Merci beaucoup d'être des nôtres. Vous disposerez toutes les deux de cinq minutes pour présenter votre déclaration préliminaire. Nous commencerons par Mme Drydyk.
    Madame Drydyk, vous avez la parole pour cinq minutes.
(1215)
    Merci beaucoup aux membres du Comité de me recevoir aujourd'hui.
    Je m'appelle Julia Drydyk. Je suis la directrice générale du Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes. Le Centre est un organisme de bienfaisance national qui se consacre à mettre fin à toutes les formes de traite des personnes au Canada. Nous travaillons en vue de provoquer des changements systémiques en collaborant avec divers intervenants pour faire progresser les pratiques exemplaires, mettre en commun les résultats de la recherche et éliminer les efforts déployés en double à l'échelle du Canada.
    En mai 2019, le Centre a lancé la Ligne d'urgence canadienne contre la traite des personnes, un service confidentiel et multilingue qui fonctionne 24 heures sur 24, sept jours sur sept, pour mettre les victimes et les survivants en communication avec les services sociaux et les forces de l'ordre, s'ils le souhaitent.
    Aujourd'hui, je tiens à vous faire part de trois vérités que j'ai apprises dans le cadre de mon expérience au Centre.
    La première est que personne n'est vraiment conscient de l'ampleur du phénomène de la traite des personnes au Canada. Les quelques ensembles de données que nous possédons sont extrêmement limités quant à l'information qu'ils sont en mesure de saisir. Cela signifie que le nombre de personnes marginalisées apparaissant dans nos ensembles de données ne représente que la pointe de l'iceberg. Cela dit, l'information que nous possédons est préoccupante.
    Un taux stupéfiant de 90 % des survivants qui communiquent avec notre ligne d'urgence sont des femmes. Pour certains Canadiens, cette conclusion peut sembler aller de soi; cependant, elle fournit une preuve supplémentaire que la traite des personnes, en particulier la traite à des fins sexuelles, doit être vue et prise en main comme une forme de violence fondée sur le genre. Nous savons également qu'environ 2 % des victimes et survivants qui communiquent avec la ligne d'urgence s'identifient comme des hommes transgenres, des femmes transgenres ou des personnes de genres divers. Cela signifie que ces groupes sont surreprésentés dans nos données dans une proportion de 8 à 1 par rapport à la population.
    Les gouvernements doivent en faire plus pour tenter de comprendre l'incidence de la traite des personnes sur les groupes à risque élevé, notamment comment cet acte est commis, et comment les groupes concernés le comprennent et en discutent. Nous devons également mieux adapter les mesures de soutien afin de répondre aux besoins culturels uniques de ces groupes.
    La deuxième vérité est que la traite des personnes est un symptôme de facteurs socioéconomiques beaucoup plus profonds. N'importe qui peut devenir une victime de la traite, mais les personnes les plus vulnérables sur le plan économique sont celles qui courent les plus grands risques.
    En 2017, les Nations unies ont révélé que des institutions canadiennes avaient empêché, par le passé, des Canadiens noirs de jouir d'un accès équitable à des possibilités économiques. Cette situation a mené à des taux de pauvreté plus élevés, à de mauvais résultats scolaires, à des incarcérations et à des disparités sur le plan de la santé chez les Canadiens noirs. Nous savons que c'est également le cas pour d'autres groupes historiquement marginalisés, comme les femmes et les filles autochtones, la communauté 2SLGBTQIA+ et les travailleurs migrants. Les gouvernements doivent adopter une approche holistique dans leur travail pour s'attaquer aux inégalités économiques qui rendent possibles l'exploitation et la traite des personnes au Canada.
     La troisième vérité est que nous devons bien réfléchir au moment où nous faisons intervenir les organismes d'application de la loi et à la façon dont nous le faisons. Bon nombre de survivants craignent la police pour des raisons que nous pouvons comprendre. Dans la plupart des cas, les survivants qui ont recours à la ligne d'urgence sont à la recherche de conseils, d'une place dans un refuge ou d'autres services. S'adresser aux organismes d'application de la loi ne fait tout simplement pas partie des priorités de la majorité des survivants qui communiquent avec nous pour se sortir d'un contexte de traite des personnes.
    Heureusement, certains services de police tiennent compte de cette réalité. En Ontario, les services de police qui ont reçu une formation spécialisée attendent dans les coulisses et ils laissent les fournisseurs de services prendre l'initiative. Cela permet aux fournisseurs de services de stabiliser la situation en répondant aux besoins immédiats des survivants et en établissant un lien de confiance. Par la suite, les policiers, qui ont reçu une formation sur les soins tenant compte des traumatismes, entrent en scène pour entreprendre leur enquête. Il faut qu'un plus grand nombre de services de police examinent et adoptent ce modèle partout au Canada.
    J'aimerais vous faire part d'une dernière observation sur les limites de notre système de justice criminelle.
    Au Canada, on compte trop sur la preuve testimoniale pour entamer des poursuites dans des affaires de traite des personnes. Les victimes hésitent souvent à révéler des détails des mauvais traitements qu'elles ont subis parce qu'elles ont peur, qu'elles ont honte ou qu'elles ont de la difficulté à se souvenir de certaines expériences traumatisantes. Nous savons que le processus judiciaire en soi peut s'avérer très traumatisant. Cela dissuade certains survivants de demander justice.
    Dans un tel contexte, il n'est peut-être pas surprenant d'apprendre que l'approche actuelle se traduit rarement par des condamnations. D'après un rapport produit en 2019 par Statistique Canada, moins d'une accusation pour traite des personnes sur dix mène à un verdict de culpabilité. Le faible taux de poursuites engagées au Canada est inquiétant. Il montre que la traite des personnes continue d'être un crime payant qui comporte peu de risques.
    Si nous voulons obtenir justice pour les victimes, et atténuer par le fait même les préjudices, nous devons nous éloigner des pratiques courantes et nous tourner plutôt vers des approches qui misent davantage sur d'autres types d'éléments de preuve.
    En terminant, je tiens à remercier encore une fois le Comité de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
    Excellent, merci beaucoup.
    La prochaine intervenante est Mme Kyla Clark.
    Madame Clark, vous avez la parole pour cinq minutes.
(1220)
    Je vous remercie de m'avoir invitée ici aujourd'hui pour faire part de mes réflexions sur la façon de lutter contre la traite des personnes, surtout la traite des jeunes au Canada.
    Création d'opportunités et de ressources pour arrêter le trafic humain, ou CORATH, travaille avec des jeunes et de jeunes adultes âgés de 12 à 24 ans, à Ottawa et dans les environs, qui sont victimes ou à risque de traite de personnes, le plus souvent à des fins d’exploitation sexuelle.
    C’est en travaillant au Centre Roberts Smart et à CORATH depuis près de deux ans que j'ai pu constater de façon directe à quel point les jeunes sont vulnérables à la traite et que j'ai observé un changement considérable dans l'âge de nos clients. Depuis la création de CORATH, nous avons constaté que l'âge moyen est passé de 16 ans à 12 et 13 ans. Le changement peut être lié, en partie, à l'évolution des habitudes de navigation en ligne des jeunes depuis le début de la pandémie.
    Les médias sociaux représentent un outil puissant pour nos jeunes et offrent un accès instantané à des personnes qu'ils n’auraient peut-être jamais rencontrées autrement. Dans un cas, un jeune s'est lié d’amitié avec quelqu’un par le biais d'Instagram et s'est livré à des actes sexuels, littéralement, en l'espace d'une heure. Il suffit de quelques minutes pour se faire des amis en ligne, supposer qu'ils sont fiables et les rencontrer en temps réel.
    En cette ère numérique, les téléphones intelligents offrent un accès continu à des médias hypersexualisés et à de la pornographie. C’est facile d'accès, c'est gratuit et c'est intense.
    Gail Dines a souligné que l'âge moyen du premier visionnage de pornographie, intentionnel ou accidentel, est estimé par certains chercheurs à 12 ans, et des preuves anecdotiques suggèrent que cet âge pourrait être de seulement 8 ans. Ce type d'exposition en ligne nuit au développement sain de nos enfants et de nos jeunes, et a contribué à ce que les conseils scolaires jouent un rôle presque de première ligne après avoir constaté la nécessité d'une intervention audacieuse contre la menace du trafic sexuel des enfants d'âge scolaire.
    Nous avons également constaté des changements importants dans la façon dont les jeunes sont exploités, ce qui montre sans équivoque qu'une combinaison d’approches est nécessaire pour protéger nos jeunes.
    Le point de départ est l'éducation et la sensibilisation. Il faut que les jeunes, leurs familles et la population connaissent les risques de la traite de personnes, comprennent les tactiques utilisées par les trafiquants pour attirer les jeunes, et veillent à ce que les jeunes disposent des outils dont ils ont besoin pour se protéger.
    De nombreux jeunes que nous voyons à CORATH ont tiré profit des apprentissages pour reconnaître les relations malsaines, les stratégies pour établir des limites claires, la sécurité en ligne et la sécurité des transports. De nombreux jeunes utilisent les transports en commun pour se déplacer sans la surveillance d'un adulte. Il s'agit d’un lieu de recrutement privilégié. La traite de personne est également souvent effectuée à l'aide des transports en commun.
    Dans un autre cas, deux jeunes de 12 ans qui s’ennuyaient pendant la pandémie ont commencé à prendre les autobus locaux et le train. En quelques semaines, les deux jeunes ont rencontré des jeunes plus âgés, ont commencé à consommer des substances psychoactives, ont changé leur maquillage et arboraient de nouveaux cadeaux.
    Pour éviter que de telles situations se produisent, nous avons besoin de personnel des transports en commun formé pour déterminer et prévenir les cas de traite des personnes. Le personnel doit savoir à quoi peut ressembler l'exploitation sexuelle, reconnaître les cas de manipulation psychologique et comprendre comment intervenir. Comme pour les transports en commun, une formation devrait également être offerte aux employés des hôtels et aux autres personnes du secteur des services susceptibles d'être confrontées à la traite de personnes.
    Vous avez peut-être entendu l'affirmation selon laquelle la traite de personnes peut toucher n'importe qui, quel que soit son statut socioéconomique. C'est vrai, et nous avons vu des cas avec des jeunes de tous les milieux. Cependant, nous ne pouvons pas passer sous silence que certains groupes démographiques de jeunes sont plus à risque que d'autres. De nombreux jeunes qui risquent d'être victimes de la traite sont issus de populations vulnérables, comme les personnes en situation de pauvreté, en situation d'itinérance, victimes de rejet familial lié à l'identité de genre ou victimes de discrimination culturelle ou de traumatismes. Nous qualifions ces identités d'invisibles.
    Il est essentiel que nous mettions en place des systèmes permettant un accès rapide au soutien et aux ressources, notamment à un logement sûr, à des services de santé mentale, à l'éducation et à la formation professionnelle. Une approche unique pour tendre la main à ces communautés et les aider ne fonctionnera pas.
    Il vous reste environ 30 secondes. Je sais qu'il vous reste une page entière, mais il reste 30 secondes.
    CORATH est le fruit d'une collaboration entre le Centre Roberts Smart, la Société d'aide à l'enfance, la Société Elizabeth Fry et les Services d'appui à la jeunesse Youturn. Cette collaboration doit se poursuivre afin de lutter contre la traite des personnes.
    Nous devons adopter une approche tenant compte des traumatismes en prenant soin d'intégrer l'expérience vécue et les voix des survivants dans les politiques, les programmes et les services de police. Nous pouvons prévenir la traite, soutenir les victimes et construire une société plus sûre et plus juste pour tous.
    Merci.
(1225)
    Merci énormément à vous deux.
    Nous allons entamer notre première série de questions. Chaque membre disposera de six minutes. Nous allons commencer par Mme Vien.
    Vous avez la parole pendant six minutes.

[Français]

     Je vous remercie, madame la présidente.
    Je salue nos deux témoins.
    Ma première question s'adresse Mme Julia Drydyk.
    Dans votre mémoire, vous dites que « les gouvernements doivent en faire plus pour tenter de comprendre l'incidence de la traite de personnes sur les communautés à risque élevé, notamment comment cet acte est commis, traité et compris ».
    Qu'est-ce que vous entendez exactement par « doit en faire plus », madame Drydyk? Que devons-nous comprendre de cette recommandation, de ce souhait que vous émettez?

[Traduction]

    La traite des personnes se vit très différemment d'une communauté à l'autre au Canada. Selon le lieu de résidence et le milieu d'où on vient, la terminologie diffère, tout comme le visage que prend le phénomène. Il faut établir des partenariats et financer les organisations de première ligne pour que nous soyons véritablement au fait des réalités sur le terrain.
    Malheureusement, l'expression « traite de personnes » est taboue pour bien des jeunes au Canada. Il est extrêmement rare que quelqu'un en vienne à s'identifier comme un survivant ou une victime de la traite de personnes. Certaines victimes choisissent même de ne jamais s'identifier ainsi.
    Nous devons employer des stratégies d'aide ciblées, bien réfléchies et fondées sur des données probantes nous permettant de rédiger du matériel de prévention, mais aussi d'appuyer les victimes et de réagir aux réalités sur le terrain.

[Français]

    Ce matin, les gens nous ont dit à quel point la toile était grande, tentaculaire et tissée serrée. Ils ont de la difficulté à y voir clair, même les corps de police.
    Est-ce aussi la lecture que vous faites? Comment nous, comme parlementaires et comme Comité, allons-nous arriver à faire mieux?

[Traduction]

    Bon nombre de personnes que nous aidons craignent véritablement les contacts avec les forces de l'ordre et y voient des difficultés. Si on s'intéresse aux personnes touchées par la traite de personnes et aux appels faits à la Ligne d'urgence canadienne contre la traite des personnes, on constate que les victimes et les survivants forment le groupe le plus important. Les amis et les membres de la famille arrivent au deuxième rang.
    À mon avis, l'une des raisons expliquant une telle augmentation de la traite des personnes est que nous réalisons des progrès sur le plan de la prise de conscience et de la sensibilisation. Au fur et à mesure qu'un plus grand nombre de personnes sont en mesure de détecter ce qui se passe sous leurs yeux, elles demandent de l'aide. C'est une excellente nouvelle.
    Je crois qu'il nous faut vraiment une intervention communautaire. De nombreux survivants et victimes de traite de personnes voient leurs craintes des policiers renforcées. On leur dit qu'ils sont dans l'illégalité et qu'ils s'écartent du droit chemin. La honte et la stigmatisation sont féroces. À bien des égards, cette réalité représente bien leurs expériences. Nous devons collaborer avec les écoles, les groupes communautaires et les parents pour déchirer cette toile, parce que de nombreux obstacles pour signaler les problèmes à la police sont bien réels. De plus, les victimes et les survivants sont souvent forcés à se livrer à des activités criminelles au profit de leur trafiquant.
    Nous devons créer des espaces sécuritaires offrant la protection aux personnes touchées et mettant leurs droits de la personne au tout premier plan des interventions.

[Français]

    D'où provient cette peur de parler aux corps policiers? Dans la vie, un corps policier est censé nous aider et être un accompagnateur. Je pense que c'est sa mission.
    Qu'est-ce qui fait que cela ne fonctionne pas avec ces victimes? Si elles ne vous connaissent pas, si elles ne connaissent pas votre existence ni celle de la ligne d'urgence, qu'est-ce qui va arriver si elles ne peuvent pas aller voir la police? Qu'est-ce qui précède cette peur d'aller voir la police?

[Traduction]

    Dans leur arsenal pour amener de force les victimes dans l'industrie commerciale du sexe, les trafiquants essaient souvent de les isoler de leurs réseaux, de leurs amis et de leurs familles. On leur ment. Les trafiquants leur disent qu'elles seront dans le pétrin ou qu'elles se feront arrêter.
    Je dois souligner à grands traits la stigmatisation et la honte qu'on inflige aux victimes et aux survivants pendant leur traite, puisqu'ils sont actifs dans l'industrie commerciale du sexe. Le sexisme et l'hypersexualisation des femmes représentent d'autres facteurs qui les font hésiter à s'adresser aux forces policières: on leur dit qu'elles doivent avoir honte de cette hypersexualisation.
    À vrai dire, les forces de l'ordre sont loin d'être la priorité pour les survivants qui appellent la ligne d'urgence: ils veulent habituellement trouver du logement d'urgence et un gestionnaire de cas. C'est là que le navigateur de services entre en jeu: il aide les survivants à combler leurs besoins de base ainsi qu'à accéder aux services et à des thérapies de soutien. Habituellement, ce n'est qu'après plusieurs appels — ou même des années plus tard — qu'une personne se sent prête à parler aux forces de l'ordre.
    Nous constatons les meilleurs résultats lorsque la personne est en mesure d'accéder aux mesures d'appui communautaires pour s'extirper de sa situation et commencer à rebâtir sa vie. C'est ce que nous disent les survivants au quotidien. La stigmatisation et la honte qu'on leur fait vivre leur font ressentir de l'isolement et les empêchent d'obtenir de l'aide.
(1230)

[Français]

     Je comprends.
    Si j'ai bien compris ce que l'on a mentionné plus tôt, une formation améliorée sera donnée aux membres de la GRC. Lorsqu'il est question de la violence faite aux femmes, il faut adopter une approche particulière.
    Madame la présidente, je pense que mon temps de parole est presque écoulé. Ai-je raison?

[Traduction]

    Votre temps est presque écoulé. Il vous reste environ 10 secondes.

[Français]

    D'accord, je vais m'arrêter ici.

[Traduction]

    D'accord.
    Nous allons passer à Anita Vandenbeld.
    Madame Vandenbeld, vous disposez de six minutes.
    Je remercie grandement nos deux témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
    J'ai quelques questions sur la prise de conscience et la sensibilisation.
    Avant de les poser, j'aimerais revenir sur un commentaire que vous avez fait, madame Drydyk, sur le logement.
    Un des groupes dans ma circonscription avec qui j'ai échangé est le Conseil canadien de la permanence pour les enfants et les jeunes. Dans le cadre de ses activités, il s'occupe des enfants pendant la période de danger, soit quand les enfants quittent le système de protection de la jeunesse. Lorsque les enfants issus de ce système ont 18 ans, ils se retrouvent sans famille, démunis de ressources et, subitement, à la rue. C'est le moment décisif. Bien entendu, ils sont nombreux à être autochtones et racisés. C'est à ce moment qu'ils se retrouvent dépourvus de tout et qu'un grand nombre d'entre eux sont victimes de traite de personnes. Dans ma circonscription, les intervenants cherchent à créer du logement, qui pourrait être du logement à vocation spéciale pour ces personnes et qui tiendrait compte des traumatismes; les portes seraient verrouillées, par exemple, et d'autres mesures du genre seraient prises.
    Je commence par Mme Drydyk, mais je vois que Mme Clark hoche aussi la tête. Puis‑je vous entendre toutes les deux à ce sujet?
    Je vais commencer.
    Le logement est de loin le service le plus demandé lors des appels à la ligne d'urgence. Ce logement prend souvent la forme de logement d'urgence lorsque les jeunes essaient de quitter le réseau, mais c'est le logement précaire et le manque de logement abordable qui placent nos jeunes dans cette situation vulnérable. Il me répugne de le dire à voix haute, mais les trafiquants cherchent des personnes dont les besoins de base ne sont pas comblés afin de les attirer et de les manipuler pour la traite de personnes à des fins sexuelles.
    Bien que beaucoup de matériel de sensibilisation donne l'exemple des sacs à main et des vêtements dispendieux pour attirer et manipuler psychologiquement les victimes, c'est habituellement aussi la promesse d'un endroit sûr où dormir et d'un amour inconditionnel qui les leurre. Les besoins en abris tenant compte des traumatismes sont manifestes partout au pays, mais nous devons aussi étudier la situation du logement abordable.
    Je tiens à dire que les refuges d'urgence sont en décrépitude partout au pays, dans les petites et les grandes communautés. Nous recevons même des appels au beau milieu de la nuit de survivants qui tentent de s'échapper de leurs bourreaux dans des villes aussi grandes qu'Ottawa et Montréal, où aucun lit n'est disponible dans les refuges. Aucun lit n'est libre, même dans les refuges qui ne conviennent pas nécessairement à la situation des survivants, étant donné leurs traumatismes et leurs besoins. Nous constatons les effets concrets de l'effondrement du réseau de logements, qui aggrave la traite de personnes dans notre pays.
    Merci beaucoup.
    Allez‑y, madame Clark.
    J'ajouterais que la toxicomanie est l'un des obstacles auxquels nous faisons face. Dans bien des cas, les logements disponibles ne sont offerts qu'aux personnes en voie de rétablissement qui ne consomment pas.
    Qu'en est‑il des enfants qui sortent du système de protection de l'enfance une fois majeurs?
    Vous soulevez un point intéressant. Il y a quelques organisations à Ottawa qui offrent un logement aux femmes ayant été victimes de traite de personnes.
    En ce qui concerne les enfants qui sortent du système une fois majeurs, nous avons constaté, en travaillant de concert avec le système de protection de l'enfance, qu'il était prêt à s'occuper des jeunes jusqu'à l'âge de 21 ans. Cela nous a permis d'avoir plus de temps pour développer les compétences dont ils ont besoin pour réussir dans la vie.
(1235)
    Merci beaucoup.
    Mon autre question porte sur la sensibilisation. Vous avez toutes deux parlé d'éducation et de sensibilisation. Vous avez parlé du système de transport en commun, chose à laquelle je n'aurais pas pensé. De toute évidence, la population n'est généralement pas au fait du sérieux de l'affaire; elle ne sait pas non plus où les enfants sont ciblés.
    Il nous faut assurément rejoindre les gens où ils sont. J'ai entre autres vu des affiches dans les toilettes pour femmes de boîtes de nuit, à l'insu des hommes. Voilà le genre de choses qui me vient en tête. Pourriez-vous m'en dire plus sur la façon de rejoindre les personnes qui ont besoin d'être informées et aussi sur la manière dont on peut rejoindre ceux qui ne savent pas qu'ils ont besoin d'être informés, alors que c'est le cas, tels que les membres de la famille?
    Vous pouvez répondre en premier, madame Clark.
    Nous disposons également d'une ligne d'écoute disponible 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Nous recevons beaucoup d'appels de parents inquiets qui tentent de comprendre une situation en cours.
    Pardonnez-moi, je viens de perdre le fil de ma pensée.
    Je crois que cela revient aux interventions sur le terrain. Il faut rejoindre les jeunes là où ils se rassemblent. Le centre Rideau est très populaire ici, tout comme le centre Gloucester. Il est même possible de travailler de concert avec les agents de sécurité des centres d'achat pour qu'ils puissent reconnaître les signes de manipulation psychologique, entre autres.
    Allez‑y, madame Drydyk.
    Je crois qu'il nous faut avoir de multiples méthodes pour entamer une discussion dans les communautés et à la maison. Il est impératif d'aller à la rencontre des jeunes là où ils se trouvent. Certes, il est très difficile d'avoir des discussions sur le sexe et ce type d'activité sexuelle avec nos jeunes, mais il faut commencer à converser autour d'une table. Un simple message ne suffit pas.
    Malheureusement, on essaie encore de résoudre certains des problèmes liés à une éducation passée très médiocre. Il y a encore l'image de la personne qui semble menottée à un radiateur avec le visage d'un homme en arrière-plan. Des survivants m'ont dit être restés plus longtemps en situation de traite, parce qu'ils pensaient que la traite de personnes devait impliquer un enlèvement ou une séquestration.
    Nous devons vraiment avoir des discussions franches dans nos écoles, dans les centres communautaires et dans les médias; il faut parler du spectre de relations malsaines, de la violence entre partenaires intimes et de la violence sexospécifique, afin que les jeunes aient les outils pour reconnaître de telles situations et puissent s'en sortir plus tôt que tard.
    Nous avons mené une campagne exhaustive l'an dernier...
    Excellent, merci. Je me dois de vous interrompre, parce que d'autres députés souhaitent poser des questions.
    Nous allons maintenant passer à Luc Thériault.
    Vous disposez de six minutes, monsieur Thériault.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Je remercie les deux témoins. C'était fort intéressant.
    Tout à l'heure, nous avons reçu des gens de l'Agence des services frontaliers, du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile et de la Gendarmerie royale du Canada. J'ai été un peu consterné de voir que, si on devait s'appuyer strictement sur ces mesures, on n'arriverait pas à grand-chose dans la lutte contre la traite des personnes.
    Je comprends que le caractère clandestin de cette pratique et le fait que les victimes se font duper par un prétendu bon samaritain, qui n'a que des intentions malveillantes, contribuent à leur isolement. Il est presque impossible, comme les témoins nous le disaient, de détecter le passage de ces gens à la frontière.
    Vous travaillez de près avec les victimes. Je comprends que les mesures que nous prenons en amont sont nécessaires, comme les efforts de sensibilisation, et qu'en aval, il faut prendre soin des victimes. Toutefois, j'aimerais savoir ce qui ressort de leur discours et de leur perception des interventions policières, afin que nous sachions ce que la Gendarmerie royale du Canada, les services policiers et l'Agence des services frontaliers devraient faire de plus ou de moins.
    Y a-t-il une réponse à cela qui aurait émergé des conversations que vous avez eues avec les victimes ou de votre travail auprès d'elles? Sinon, ce n'est pas grave. J'aurai d'autres questions pour vous. Peut-être que Mme Clark, qui est dans la salle, peut répondre la première.
     Est-ce une question qui vous interpelle?
(1240)

[Traduction]

    Oui, je peux vous répondre.
    En général, nous constatons que les jeunes ont déjà eu de nombreux contacts avec la police jusqu'à ce moment‑là... avant l'exploitation. C'est en quelque sorte là que se produit le décalage. Il découle de leurs expériences antérieures.
    Je crois qu'une meilleure collaboration entre les prestataires de services et les forces de l'ordre éviterait de traumatiser à nouveau la victime en l'obligeant à raconter son histoire six ou sept fois, que ce soit à un agent de police ou à des employés d'un hôpital, par exemple. Je sais qu'à Ottawa, les policiers rencontrent les victimes en civil. Ils ne les obligent pas à se rendre au poste de police. Ils peuvent les rencontrer dans la communauté et essayer de combler le fossé de cette manière.
    Merci.
    La grande majorité des personnes qui sont victimes de la traite et pour lesquelles l'ASFC est impliquée sont des travailleurs migrants qui entrent au Canada grâce à des permis de travailleurs étrangers temporaires et qui sont en grande partie victimes de la traite de la main-d'œuvre dans nos secteurs agricole et manufacturier. Nous avons récemment mené une étude auprès de 77 travailleurs migrants en Ontario, et leur principale requête — ou l'une des plus importantes — était d'obtenir des informations sur leurs droits avant leur arrivée au Canada, à l'arrivée et après.
    Malheureusement, l'exploitation ne devient généralement évidente qu'après leur arrivée au pays; ils se rendent alors compte qu'ils se sont fait avoir et que la situation est tout autre que celle qu'ils pensaient vivre en venant travailler dans nos exploitations agricoles et dans notre secteur manufacturier.
    Il s'agit en fait de veiller à ce qu'ils disposent d'informations sur leurs droits, et ce dans leur langue maternelle et à un niveau d'alphabétisation approprié, mais aussi qu'ils demeurent informés, parce qu'il y a souvent tout un spectre de situations. Cela ne commence pas par de la traite de main-d'œuvre ou de la traite sexuelle. Généralement, les travailleurs commencent par être exploités d'autres façons; leurs conditions de travail peuvent être mauvaises et on peut refuser de les payer, par exemple. Tout cela, combiné à la coercition et à la peur, est compris dans la définition de la traite de personnes du Code criminel canadien.
    Nous avons un réel besoin de continuité en matière de soutiens et de services, mais aussi de campagnes de sensibilisation proactives ciblant ces personnes pour changer la donne.

[Français]

     On sait que la pandémie a aggravé un bon nombre de facteurs qui sont à l'origine de ce phénomène, dont l'isolement, j'imagine.
    Quel impact la pandémie-t-elle eu sur votre organisme? Avez-vous connu une hausse des cas, un manque de moyens? Ressentez-vous toujours certains effets de la pandémie? Pouvez-vous nous décrire la situation actuelle en la reliant à la pandémie?
    Mme Drydyk ou Mme Clark peuvent répondre. Je m'adresse toujours aux deux témoins.

[Traduction]

    Je peux affirmer avec certitude que la traite de personnes n'a pas diminué pendant la pandémie. Nous avons constaté une augmentation significative du nombre d'appels et de cas identifiés au cours des dernières années, mais il se peut que cela soit dû en partie à nos efforts de sensibilisation ciblés. À la suite de la Journée nationale de sensibilisation à la traite des personnes l'an dernier, nous avons recensé une augmentation de 50 % des appels à la ligne d'écoute, mais nous ignorons si cela est dû à la COVID, à la situation en général ou à une meilleure sensibilisation de la population.
    Je vous dirais que le plus grand impact s'est ressenti chez nos partenaires prestataires de services de première ligne. Lorsque la pandémie a frappé, plus de 80 % des services ont fermé complètement ou ont dû modifier radicalement leur mode de fonctionnement. Les paliers de gouvernement se sont mobilisés de façon remarquable pour financer des services supplémentaires, mais ces derniers sont en train de se tarir.
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer à Leah Gazan.
    Vous disposez de six minutes, madame Gazan.
    Merci beaucoup.
    Ma première question s'adresse à Mme Drydyk.
    Comment votre organisation définit-elle la traite à des fins sexuelles et le travail du sexe? Est‑ce la même chose, oui ou non?
    En termes très simples, la traite de personnes, c'est le fait d'exploiter quelqu'un d'autre pour son bénéfice personnel. Tout travail du sexe consensuel n'est donc pas nécessairement de la traite de personnes. Il s'agit en fait de deux choses complètement différentes.
    On parle de traite de personnes lorsqu'un individu menace, contraint et oblige quelqu'un à entrer dans l'industrie du sexe pour son bénéfice personnel. On considère aussi comme de la traite de personnes les cas où des personnes ne se sentent pas capables d'en sortir, encore une fois à cause de la peur qu'elles ressentent et des menaces qu'elles subissent.
(1245)
     Merci beaucoup. J'aimerais faire suite très rapidement à ce qui vient d'être dit.
    Si j'ai posé cette question, c'est parce que le Butterfly Asian and Migrant Sex Workers Support Network a indiqué, dans un article de mars 2019, que les travailleurs racisés et migrants — et je cite — « sont souvent surveillés, harcelés, arrêtés, détenus et expulsés, même lorsque rien ne prouve leur participation à la traite des personnes ».
    Ils sont moins susceptibles de porter plainte en cas de danger à cause de la façon dont ils sont criminalisés pour ce qu'ils font, et cela ne fait qu'amplifier le risque auquel ils s'exposent. Je ne suis pas surprise que l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées soutienne la légalisation du travail du sexe pour réduire les risques et protéger les femmes, les filles et les personnes bispirituelles.
    Cette question s'adresse à vous deux. Nous savons qu'une recherche a été menée sur l'intersectionnalité entre la traite des personnes, le racisme, le colonialisme, le sexisme et l'exploitation au Canada. L'article s'intitule « Trafficking at the Intersections: Racism, Colonialism, Sexism, and Exploitation in Canada ». L'auteur conclut que:
[...] le discours sur la traite des personnes est [...] souvent déconnecté d'une critique de l'oppression raciale et coloniale. Les politiques publiques accordent la priorité à l'application de la loi, à l'aide aux victimes et à la vigilance individuelle, sans trop approfondir les questions de changement structurel, de guérison communautaire et personnelle et de justice sociale. Pour être efficace, la lutte contre la traite des personnes doit également viser à atténuer les oppressions structurelles sous-jacentes et les séquelles du passé [...]
    Kyla Clark, je sais que vous avez évoqué la question du logement. Vous avez parlé des enfants qui quittent le système de protection de la jeunesse. Je sais que, selon l'enquête nationale, les enfants qui sont pris en charge et ceux qui ne le sont plus en raison de leur âge sont exposés au risque d'être portés disparus ou assassinés.
    Par exemple, vous avez parlé, madame Drydyk, de la question du logement. J'ai présenté un projet de loi pour un revenu de base garanti. Je pense que cela changerait la donne, notamment pour les enfants qui ne sont plus pris en charge en raison de leur âge, afin de donner aux personnes — qu'elles travaillent dans l'industrie du sexe ou même qu'elles essaient de quitter le milieu — de vraies ressources et de vrais choix, et même des moyens de ne pas se faire exploiter dans des relations ou des situations empreintes de violence. Comme vous l'avez dit, les victimes ne cherchent pas à obtenir des « sacs à main », mais bien un logement, de la nourriture et un abri. C'est cette promesse qui les leurre dans ce milieu.
    Je me demande si vous pouvez nous dire ce que vous en pensez.
     Je vais commencer par vous, Kyla Clark, puis je donnerai la parole à Mme Drydyk.
    Je pense que vous avez soulevé un point très important en ce qui concerne l'accès à un salaire décent. Un autre obstacle, c'est que les victimes et les survivants n'ont souvent aucune pièce d'identité. C'est un obstacle au logement, à l'ouverture d'un compte bancaire et à d'autres choses de ce genre.
    On parle beaucoup de... La plupart des lois ont été élaborées en fonction de l'idée d'une victime idéale: elle est blanche, elle est hétérosexuelle et elle fait partie de la communauté hétéronormative. À mon avis, il est très important que nous parlions des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, des personnes de diverses identités de genre et des jeunes qui s'identifient comme membres de la communauté 2SLGBTQ+.
    Merci beaucoup.
    Allez‑y, madame Drydyk.
    Je suis tout à fait d'accord pour dire que nous avons besoin d'un changement social complet pour mettre fin à la traite des personnes, ce qui est ma mission et celle de mon organisation. Une grande partie de ce phénomène tient au fait que des individus s'attaquent à des personnes vulnérables à cause de diverses formes d'oppression et de discrimination systémiques.
     Bien qu'il y ait beaucoup d'efforts pour décortiquer et désapprendre une grande partie de ce que nos institutions nous ont imposé au fil des ans, des gens subissent encore au quotidien les séquelles du racisme, du colonialisme et du sexisme dans nos systèmes de maintien de l'ordre. C'est aussi la raison pour laquelle, à notre avis, vous ne pouvez pas régler ce problème à coup d'arrestations. Il s'agit d'inégalités sociales profondément ancrées qui découlent, en grande partie, de l'inégalité des revenus, de la pauvreté...
(1250)
    J'aimerais vous poser une question à ce sujet. J'ai fait savoir très clairement que, selon moi, nous devons indemniser les communautés et mettre ces ressources à leur disposition, au lieu de perpétuer l'oppression policière et les violations des droits de la personne. Êtes-vous d'accord?
    Nous avons observé certains des meilleurs résultats là où une telle approche a été adoptée. Par exemple, dans la région de Durham, entre autres, les services aux victimes constituent le principal outil de sensibilisation et de communication pour entrer en contact avec les personnes susceptibles d'être victimes d'exploitation sexuelle, et les policiers sont relégués au second plan. Bref, je suis d'accord.
    Je vous remercie. C'est parfait.
    Il nous reste un dernier tour. Pour ce qui est de la répartition du temps, il y aura deux interventions de cinq minutes, suivies de deux interventions de deux minutes et demie, après quoi nous lèverons la séance.
    Commençons par vous, madame Ferreri, pour cinq minutes. Je sais que vous partagez votre temps de parole avec Mme Roberts.
    Oui. Je partage mon temps de parole, alors je vais être aussi brève que possible.
    Merci à toutes les deux d'être des nôtres. Vos témoignages sont excellents. Je crois que vous avez peut-être travaillé avec des gens de ma circonscription, Peterborough—Kawartha, et je vous suis très reconnaissante de l'information que vous nous avez fournie.
     Je suis vraiment curieuse de savoir si vous avez déjà consulté d'anciens trafiquants ou des trafiquants réadaptés qui pourraient aider à mieux comprendre le profil d'un trafiquant et à aborder la question sous un autre angle pour venir en aide aux victimes. Par ailleurs, du point de vue de l'éducation, comment pouvons-nous apprendre à nos jeunes garçons, ou à nos jeunes en général, à ne pas agir de la sorte?
    Je crois que je vais commencer par vous, madame Drydyk.
    Timea Nagy joue un rôle de premier plan dans ce dossier, mais je vais vous faire part de ce qu'elle a remarqué. Tout comme les gens peuvent devenir victimes de la traite en se faisant leurrer et manipuler, nous constatons qu'il en va de même pour les trafiquants. Là encore, il s'agit vraiment d'examiner les facteurs sous-jacents qui expliquent comment des Canadiens en viennent à commettre des actes aussi horribles. La misogynie et le patriarcat y sont pour beaucoup, mais c'est aussi le résultat des taux élevés de pauvreté et de l'inégalité croissante des revenus. De telles conditions forcent les gens à s'en prendre les uns aux autres, au lieu de s'entraider.
     Je pense qu'il faut vraiment une approche holistique pour s'attaquer aux causes profondes du problème et comprendre comment un individu peut traiter ainsi son prochain.
    Allez‑y, madame Roberts.
    Merci, madame la présidente.
    J'aimerais parler d'une affaire datant du 18 janvier 2018 — je sais qu'il s'agit d'une décision judiciaire — dans laquelle la condamnation d'un agresseur a été annulée le 18 mai 2022. Au lieu de purger les 17 ans et demi auxquels il avait été condamné, il a pu réduire sa peine à 6 ans. Il sortira donc dans moins de six mois.
    Vous avez dit tout à l'heure qu'il faut créer des espaces sécuritaires grâce aux écoles et aux groupes communautaires. Vous avez également mentionné que les victimes craignent la police. Vous avez ajouté que les gens ont peur de dénoncer les coupables. Je pense que nos lois ne fonctionnent pas. À mon sens, la peine n'est pas à la hauteur du crime. Elle n'est pas proportionnelle au crime. J'ai parlé à des agents de police, et ils sont frustrés. Dans le cas particulier que je viens d'évoquer et où le verdict de culpabilité a été annulé, la jeune femme, que l'on a désignée par les initiales « PL » et qui ne sera pas nommée, avait peur de se manifester. Elle savait que son agresseur allait être libéré sous caution. Il l'avait menacée, elle et sa famille. Comment pouvons-nous empêcher cela?
    Madame Drydyk, voulez-vous répondre à cette question?
    Oui. Ce sont là des préoccupations tout à fait réelles et rationnelles qu'ont les victimes et les survivants. Il est tout à fait logique de ne pas recourir au système de justice pénale quand on voit ce qui se passe. Les trafiquants finissent par être libérés et recommencent à menacer d'éventuelles victimes: c'est le phénomène des portes tournantes. Nous constatons également que les procédures judiciaires prennent deux à trois fois plus de temps que toutes les autres procédures judiciaires au Canada, d'autant plus que les taux de condamnation sont très faibles.
    Je pense que nous devons également nous pencher sur les préjugés latents au sein du système judiciaire. Trop souvent, lorsque les victimes sont soumises à un contre-interrogatoire, elles sont traitées comme si elles l'avaient cherché. Elles se font humilier. On leur dit qu'elles ont pris des décisions et que c'était leur petit ami. C'est un peu comme ce que nous observons dans des procès pour d'autres formes de viol et de violence sexuelle, où les victimes n'obtiennent pas de résultats dans leur intérêt ni dans l'intérêt de la justice.
    Je pense qu'il faut changer la donne et mieux former les juges.
    Êtes-vous d'accord pour dire que le système de mise en liberté sous caution ne joue pas en faveur des victimes? D'après ce que j'ai entendu dans mes entretiens, les policiers sont tout aussi frustrés. Ils mettent ces types derrière les barreaux, mais ceux‑ci finissent par être relâchés et ils recommencent à menacer les victimes, qui ont peur. Elles ont peur de les dénoncer. Elles ont peur parce qu'elles craignent pour leur vie et celle de leur famille.
    Nous devons corriger le système de mise en liberté sous caution avant de pouvoir régler ce problème. Êtes-vous d'accord?
(1255)
    Je suis d'accord. Par ailleurs, beaucoup de victimes et de survivants choisissent de s'enfuir pour se sortir de la situation. Ils se rendent dans des refuges et songent d'abord à leur sécurité avant de prendre le risque de recourir au système de justice pénale. Il n'y a pas suffisamment de mesures de sécurité et de protection. Je dirais que notre système de justice pénale ne répond pas aux besoins des survivants de la violence sexuelle et de la traite des personnes au Canada.
     Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à Sonia Sidhu, qui est en ligne.
    Vous disposez de cinq minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Je vous remercie toutes les deux de vos excellents témoignages. Ma première question s'adresse à Mme Drydyk.
     Des recherches menées en Ontario révèlent que 90 % des victimes sont des femmes et que 42 % d'entre elles ont été touchées par la traite des personnes pour la première fois avant l'âge de 18 ans. Quels sont les principaux facteurs qui contribuent à accroître le risque de devenir victime de la traite des personnes, en particulier chez les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre au Canada?
    Par ailleurs, nous avons parlé des travailleurs migrants. Toute personne ayant un visa d'études est également touchée.
    C'est tout à fait exact. Nous constatons que les étudiants étrangers sont vulnérables à l'exploitation.
    La liste des facteurs de risque est presque sans fin. En somme, le tout découle de la non-satisfaction des besoins fondamentaux et de l'isolement social. À cela s'ajoutent les problèmes de racisme, de colonialisme et de sexisme.
     On ne peut donc pas se limiter à une analyse unidimensionnelle. Les personnes les plus vulnérables ou les plus exposées au risque de la traite des personnes sont celles qui ont peut-être des problèmes familiaux. Elles ne savent pas où elles dormiront la nuit. Elles n'ont pas toujours de quoi manger. Elles mènent une vie instable.
    Encore une fois, il faut doter le pays d'un filet de sécurité solide pour que chaque enfant soit entouré d'un adulte de confiance à qui il pourra se confier. Ce n'est pas tout le monde qui naît dans une famille où les parents jouent un tel rôle. Nous devons nous assurer que nos systèmes scolaires et nos réseaux communautaires sont bien outillés et bien encadrés afin qu'aucun enfant ne soit laissé pour compte.
    J'ai une question complémentaire à poser.
    Votre ligne d'urgence se veut un service confidentiel et multilingue, qui est accessible 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Comment pouvons-nous travailler ensemble pour intégrer la prévention dans le quotidien des écoles, des institutions et des autres groupes de personnes que vous venez de mentionner?
    Si nous voulons mettre fin à la traite des personnes, il faudra certes miser sur la prévention.
     Je dis souvent aux gens que s'ils ont l'impression que quelque chose cloche, alors c'est sans doute le cas. L'avantage d'un service d'assistance téléphonique entièrement confidentiel et indépendant des forces de l'ordre et du gouvernement, c'est que nous sommes en mesure de tenir compte des circonstances particulières de chaque personne avec qui nous parlons.
    Parfois, les gens ont peur parce qu'ils craignent que ce soit comme le service 911, alors que c'est tout le contraire. Nous pouvons leur fournir des renseignements, leur permettre de parler en toute confiance, selon une approche tenant compte des traumatismes, et leur proposer des pistes de solution en fonction de la situation.
    Je le répète, le service est offert 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et dans plus de 200 langues au Canada.
    Comment votre centre s'y prend‑il pour sensibiliser la population? Que pouvons-nous faire d'autre pour en accroître l'efficacité afin de mettre fin à la traite des personnes au Canada?
    Nous faisons ce que nous pouvons, à titre d'organisme de bienfaisance, pour mener des campagnes de sensibilisation à l'échelle nationale.
    Ce dont nous avons vraiment besoin, dans une perspective pancanadienne, c'est d'une uniformité entre les provinces. Par exemple, le gouvernement de l'Ontario a investi plus que toute autre province — peut-être même par habitant — dans des initiatives de lutte contre la traite des personnes. Il a également donné aux conseils scolaires le mandat d'offrir une éducation en matière de lutte contre la traite des personnes dans les écoles. Ce ne sont pas toutes les provinces qui déploient de tels efforts.
    Nous savons qu'il existe des couloirs de la traite des personnes, couloirs qui passent par l'Ontario et qui s'étendent à l'ensemble du pays. Au fond, si une province ne dispose pas d'une stratégie de lutte contre la traite des personnes, il y aura des gens qui glisseront entre les mailles du filet. Je le répète, les trafiquants iront là où ils seront moins susceptibles d'être repérés et là où ils auront plus de facilité à leurrer, à manipuler et à exploiter nos jeunes.
    Je vous remercie.
     Madame Clark, voulez-vous ajouter quelque chose?
    J'ajouterais que beaucoup de jeunes ont du mal à s'identifier comme victimes de traite ou d'exploitation. Cela peut prendre des mois avant qu'ils s'en rendent compte. C'est un obstacle qui les empêche d'obtenir l'aide dont ils ont besoin.
    En ce qui concerne la prévention, je pense qu'il est important d'enseigner aux enfants, à l'école, en quoi consiste une relation saine et ce à quoi cela ressemble, en plus de les sensibiliser à la sécurité sur Internet. Ils seront ainsi bien outillés pour faire face à ce genre de situations plus tard.
(1300)
    Il vous reste 30 secondes.
    En ce qui a trait à la dernière observation, les groupes confessionnels peuvent‑ils les aider dans cette mission ou leur fournir des ressources supplémentaires?
    Absolument. Les survivants me disent souvent que s'il y avait eu un adulte de confiance qui pouvait les guider, leur manifester de l'amour et leur montrer d'autres options, cela aurait changé le cours des choses.
    Je pense qu'il faut fournir aux groupes confessionnels l'information nécessaire sur les réalités de la traite des personnes.
    Je vous remercie. Nous devons passer au prochain intervenant pour éviter de trop dépasser le temps alloué.
     Je cède la parole à M. Thériault pour les deux prochaines minutes et demie.

[Français]

     Merci.
    Madame Drydyk, à la fin de votre présentation, tantôt, vous avez parlé des limites du système de justice. Mme Clark a parlé des approches des policiers, notamment du témoignage que l'on fait répéter. Vous dites à la toute fin qu'une accusation sur dix mène à une déclaration de culpabilité. Or vous préconisez d'autres types d'éléments de preuve que ceux associés aux témoignages.
    De quels autres éléments de preuve s'agit-il?

[Traduction]

    Le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada s'est efforcé de suivre la trace d'une partie des produits et gains financiers provenant de la criminalité. En général, ils sont également liés à d'autres formes d'activités illégales. C'est là qu'interviennent d'autres formes de blanchiment d'argent. Il peut aussi y avoir un lien avec les armes à feu et les drogues.
    Nous travaillons actuellement avec d'autres organismes pour étudier la possibilité de recourir à l'intelligence artificielle et à d'autres sources de données. Toutefois, le Canada ne dispose pas d'un système réglementaire qui garantit le caractère éthique d'une telle démarche, tout en protégeant les libertés civiles de tous les Canadiens, ce qui complique beaucoup les choses.
    Si nous pouvions trouver un moyen de travailler en collaboration afin d'obtenir des éléments de preuve qui ne reposent pas uniquement sur les témoignages des victimes, cela pourrait contribuer grandement à accroître les taux du système de justice.

[Français]

     En ce qui concerne l'intelligence artificielle, concrètement, quels pourraient être ces éléments dont vous parlez?

[Traduction]

    C'est très difficile parce qu'il n'est pas facile de trouver un moyen d'y parvenir sans confondre la traite des personnes avec le travail du sexe consensuel. Nous décelons parfois des tendances dans les annonces en ligne de services sexuels d'escortes, notamment l'utilisation d'un même numéro de téléphone et d'autres indicateurs potentiels liés à la traite des personnes. Encore une fois, il y a le risque d'empiétement sur les libertés civiles et la sécurité des gens, ainsi que le risque d'amalgame entre la traite des personnes et le travail du sexe, ce qui rend la tâche très difficile, mais c'est une question qui mérite d'être examinée.

[Français]

    Vous voulez donc qu'on s'attaque au problème en se basant sur le fait qu'un outil très puissant, c'est-à-dire l'intelligence artificielle, est utilisé pour recruter des gens. C'est intéressant.

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Thériault.
    Notre dernière intervenante sera Leah Gazan, qui dispose de deux minutes et demie.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Pour donner suite à ce que vous avez dit, madame Drydyk, les stratégies visant à assurer la sécurité des gens sont souvent décidées par des personnes qui n'ont pas d'expérience ou qui ne sont pas actuellement touchées par les systèmes. Je suis une fervente partisane de l'investissement dans les communautés et les organisations de première ligne qui font vraiment entendre la voix des personnes concernées.
    Voilà qui met en évidence mon parti pris. Ce sont les personnes concernées ou touchées qui devraient établir les priorités et décider de la meilleure façon d'assurer une protection.
    Avez-vous des idées à ce sujet? J'aimerais également poser la question à Kyla Clark.
    La participation et l'inclusion de personnes ayant une expérience vécue non seulement dans la prise de décisions, mais aussi dans la conception de programmes représentent tout simplement une pratique exemplaire fondée sur des données probantes. Comment quelqu'un qui n'a pas d'expérience en la matière pourrait‑il proposer une solution d'un seul coup? Ce n'est pas ainsi que le monde fonctionne.
    Je suis tout à fait d'accord pour dire que nous devons veiller à ce que les survivants fassent partie de chaque étape de la solution au problème de la traite des personnes, et ce, en les faisant participer de façon plus concrète à la recherche de solutions, au lieu de miser uniquement sur leur expérience vécue et leur histoire. D'ailleurs, nous commençons à voir de nombreuses pratiques exemplaires à cet égard partout au pays.
(1305)
    J'ajouterais que des conversations comme celle‑ci sont vraiment importantes, car elles nous permettent de faire entendre la voix des survivants et d'intégrer leur expérience vécue pour que notre travail tienne vraiment compte des traumatismes. C'est ainsi que nous pourrons agir en amont pour sauver ces personnes.
    Je tiens à remercier Mmes Clark et Drydyk. Merci beaucoup d'avoir participé à la réunion d'aujourd'hui.
    Avant que tout le monde quitte la salle, je voudrais mentionner que vous avez reçu la semaine dernière un avis aux médias concernant l'étude sur la traite des personnes. J'aimerais obtenir l'approbation du Comité pour que nous puissions le publier. Je ne me rappelle plus si nous avions donné une approbation générale ou non, mais je me demande si quelqu'un peut proposer une motion en vue de l'approuver.
     Michelle Ferreri en fait la proposition.
    (La motion est adoptée.)
    La présidente: Excellent.
    La séance d'aujourd'hui sera levée dans un instant, mais permettez-moi de remercier encore une fois les témoins.
     Nous nous retrouverons jeudi, à 15 h 30.
    M. Serré a présenté la motion d'ajournement.
     La séance d'aujourd'hui est levée. C'est parfait. Je vous remercie.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU