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Bonjour à tous. Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à la 86e réunion du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes.
Je remercie les invités qui sont parmi nous aujourd'hui.
La réunion d'aujourd'hui se déroule selon une formule hybride, conformément au Règlement. Des députés sont présents dans la salle et d'autres participent à distance au moyen de l'application Zoom.
J'aimerais d'abord faire quelques observations à l'intention des membres du Comité.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro, et assurez-vous de le désactiver lorsque vous ne parlez pas. Cette consigne s'adresse à ceux qui participent par vidéoconférence. Pour écouter l'interprétation, les participants sur Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre le parquet, l'anglais ou le français. Les participants dans la salle peuvent utiliser l'oreillette et sélectionner le canal de leur choix.
Bien que cette salle soit équipée d'un système audio très perfectionné, des chocs acoustiques sont toujours possibles. Ces sons peuvent être extrêmement dommageables pour les interprètes et leur causer des blessures graves. Le plus souvent, ils se produisent lorsqu'une oreillette est placée trop près d'un microphone. Nous demandons donc à tous les participants d'être très prudents lorsqu'ils manipulent les oreillettes, en évitant de les placer près de leur micro.
Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence. Les députés présents dans la salle qui souhaitent prendre la parole sont priés de lever la main. Les députés qui participent sur Zoom doivent utiliser la fonction « Lever la main ».
Avant d'accueillir nos témoins, j'aimerais faire une mise en garde. Nous allons discuter d'expériences liées à la violence et à des agressions. Ces sujets peuvent déclencher des réactions chez les personnes ayant vécu des expériences similaires. Si vous vous sentez bouleversés ou si vous avez besoin d'aide, veuillez en informer la greffière ou nous le signaler.
Avant d'entrer dans le vif du sujet et de céder la parole au sénateur Boisvenu, j'aimerais souligner un point. Je regarde l'heure. Nous avons commencé la réunion d'aujourd'hui à 15 h 47. Si je vous en parle, c'est parce que les membres du personnel des députés élus en 2015 sont conviés à une cérémonie de remise de prix qui aura lieu à 18 heures ce soir. Je voudrais poser une question à Mme Sidhu et au groupe sur les heures de début et de fin. Nous avons commencé à 15 h 47, mais à 18 heures ce soir, il y aura une cérémonie de remise de distinctions et de prix pour le personnel. Il se peut que certains membres du personnel ici présents y assistent.
J'aimerais donc connaître la volonté du Comité. Voulez-vous que nous raccourcissions le temps prévu pour les groupes de témoins afin de terminer à 17 h 30, 17 h 45 ou 17 h 40? Qu'en pensez-vous?
Devrions-nous lever la séance à 17 h 30?
Des députés: D'accord.
La présidente: Si nous terminons à 17 h 30, je vais devoir réduire un peu la durée des interventions. Nous tâcherons de faire le nécessaire pour que cela fonctionne. Je vais m'en occuper tout au long de la réunion.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins. Conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 1er novembre 2023, le Comité entreprend l'étude du projet de loi , Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence concernant la mise en liberté provisoire et l'engagement en cas de violence familiale.
Je souhaite la bienvenue à l'honorable Pierre-Hugues Boisvenu, qui fera une déclaration préliminaire pour donner le coup d'envoi à cette importante étude.
Sénateur Boisvenu, je vous remercie beaucoup de votre présence. La parole est à vous pour les cinq prochaines minutes.
Tout d'abord, je suis désolé que mes notes ne soient pas disponibles en anglais. J'aurais préféré vous les faire parvenir, mais j'ai eu très peu de temps pour me préparer, alors elles ne sont qu'en français.
Par contre, si vous avez des questions en anglais, je vais y répondre en anglais.
[Français]
Chers membres du Comité, bonjour. Je vous remercie de cette invitation à comparaître devant vous pour cette importante étape de l'étude du projet de loi , que j'ai présenté pour contrer la violence familiale et conjugale.
Depuis le meurtre de ma fille Julie par un récidiviste en 2002, je suis particulièrement impliqué dans la lutte contre la violence faite aux femmes. C'est donc avec fierté, une sincère émotion et un sentiment d'espoir que je m'adresse à vous aujourd'hui pour souligner l'importance du projet de loi S‑205. C'est un projet de loi sur lequel j'ai au cours des dernières années échangé avec des centaines de femmes aux quatre coins du pays. Elles m'ont ouvertement fait part, douloureusement, mais aussi avec dignité, de leur histoire. Ces femmes ont subi des tentatives de meurtre, des voies de fait graves, des agressions sexuelles et de la violence psychologique, et ce, à répétition, tout au long de leur calvaire. Encore une fois, je remercie toutes ces courageuses, comme je les appelle, pour leur précieuse collaboration.
Pendant mes consultations, la plupart de ces victimes m'ont clairement fait comprendre que le système de justice n'avait pas répondu présent lorsqu'elles avaient décidé de dénoncer leur agresseur. Livrées à elles-mêmes, sans protection, ces femmes qui ont puisé dans leurs réserves de courage pour sortir de leur prison du silence l'ont trop souvent fait au péril de leur vie. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: en 2019, 136 femmes ont été assassinées au Canada, un nombre qui a grimpé à 184 en 2022, marquant une augmentation de 36 % en quatre ans. En 2021, au Québec, 26 femmes ont été tuées, majoritairement dans un contexte de violence conjugale, un triste record depuis 2008. Soixante pour cent d'entre elles ont été assassinées par un partenaire intime.
Statistique Canada révèle une réalité alarmante quant à la violence faite aux femmes: la violence conjugale représente 30 % des crimes au Canada, avec 107 810 victimes. À cette violence entre partenaires intimes, il faut ajouter celle qui touche les enfants de moins de 17 ans. Juste pour l'année 2018, Statistique Canada a dénombré 60 651 victimes enfants. Parmi toutes ces victimes, 80 % n'ont pas signalé la violence à la police et 28 % ont subi des violences graves. Dans les tribunaux criminels, 57 % des affaires concernent des crimes contre un partenaire intime. Dans 60 % des cas d'homicide conjugal, les antécédents criminels étaient déjà connus.
Parmi les femmes assassinées au Québec depuis la pandémie, 90 % avaient déjà signalé leur situation à la police. Ce constat souligne le danger auquel les victimes s'exposent en dénonçant leur agresseur, surtout lorsque celui-ci est libéré provisoirement. Quand une victime décide de dénoncer son agresseur, elle se met automatiquement en situation de vulnérabilité face à son conjoint. Si le conjoint n'est pas incarcéré et qu'il bénéficie d'une remise en liberté provisoire, le risque de violence pouvant entraîner la mort augmente sérieusement.
Le cœur de mon projet de loi consiste donc à agir en amont pour sauver le plus de vies possible, étant donné que les conditions de remise en liberté d'un individu ne font pas l'objet d'un suivi et ne sont pas accompagnées d'un mécanisme de surveillance. C'est la raison pour laquelle l'instauration d'un mécanisme de surveillance adapté à la technologie de 2023 est plus que requise pour apporter une meilleure sécurité aux femmes au pays.
Pour rédiger ce projet de loi, je me suis aussi appuyé sur l'expertise et les conseils de neuf provinces canadiennes où les taux de violence sont très élevés. J'ai donc étroitement collaboré avec la plupart des ministres de la Justice et de la Sécurité publique de ces provinces, afin d'adapter mon projet de loi à leurs réalités. Aucun autre projet de loi d'initiative parlementaire n'aura fait l'objet d'une consultation aussi élargie.
Les ministres de ces provinces appuient ce projet de loi, car l'approche que je propose permettrait de fournir des outils efficaces pour lutter contre ce fléau, notamment sur le plan de la surveillance électronique. Je me suis aussi inspiré de pays qui ont adopté l'utilisation du bracelet électronique, telles l'Espagne et la France, tout comme le Québec, récemment, ici, au Canada.
Le projet de loi propose de modifier l'article 515 du Code criminel afin d'y inscrire explicitement que la victime doit être consultée sur sa sécurité et ses besoins en matière de protection. L'objectif de cette mesure est de guider le procureur de la Couronne en s'assurant qu'il consulte la victime avant de demander au juge des conditions de remise en liberté à imposer à l'accusé. Le projet de loi propose d'ajouter au même article du Code criminel une condition que le juge peut imposer s'il décide de libérer l'accusé en attente de son procès, c'est-à-dire le port du bracelet électronique.
Le projet de loi crée également une obligation incombant au juge de s'assurer que la victime est informée de son droit de demander un exemplaire des conditions de libération provisoire imposées à l'accusé. Cette recommandation a d'ailleurs été faite par l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels.
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Le deuxième volet du projet de loi porte sur les ordonnances d'engagement de ne pas troubler l'ordre public prévues à l'article 810 du Code criminel, qui représentent environ 80 % des dossiers de violence conjugale. Retenez ce chiffre: 80 % des dossiers de violence conjugale se terminent par une ordonnance en vertu de l'article 810, c'est-à-dire sans procès ni accusation. Cet article assure un régime général de justice préventive, sans qu'aucune infraction ne soit commise, mais crée une source de responsabilité criminelle.
En novembre 2020, un rapport sur l'article 810 a été présenté par l'Université de Montréal et par l'Université du Québec à Montréal, en partenariat avec le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Ce rapport nous indique que cet article est de plus en plus utilisé dans les cas de violence conjugale, malgré le peu de retouches à la version de 1892. De plus, ce rapport fait un constat assez inquiétant: le recours à l'article 810 serait maintenant le compromis le plus utilisé pour éviter un procès, bien que les agresseurs soumis à une ordonnance en vertu de cet article n'en respectent pas les conditions dans 50 % des cas.
Le projet de loi modifie l'article 810 du Code criminel en ajoutant à l'actuelle ordonnance de nature générale une ordonnance spécifiquement liée à la violence conjugale. La surveillance électronique permet de dresser un périmètre de sécurité entre la victime et l'agresseur potentiel. Dans ce cas, l'intervention policière peut donc être faite plus rapidement. On peut aussi protéger les enfants, et la femme elle-même peut se protéger. L'Espagne, d'ailleurs, a commencé son action politique de lutte contre la violence conjugale en 1997. En 2009, elle a adopté le bracelet électronique. Depuis ce temps, près de 950 femmes ont été protégées grâce à ce bracelet et aucun meurtre de femmes portant ce bracelet n'a été commis.
Selon cette nouvelle ordonnance, si une personne a été reconnue coupable d'une infraction similaire dans le passé, la durée de l'ordonnance sera de trois ans plutôt que de deux ans. Si la personne refuse de se plier aux conditions de l'ordonnance, elle sera passible d'un emprisonnement de deux ans plutôt que d'un an, comme c'est le cas actuellement.
La nouvelle ordonnance proposée laisserait le choix au juge d'imposer une thérapie en toxicomanie ou en violence familiale, ce qui est nouveau dans le Code criminel. Chaque cas est différent et nous devons donner aux juges la discrétion nécessaire de décider si le prévenu devrait faire l'objet d'une thérapie afin de l'aider à soigner son problème de violence et ainsi mettre fin aux portes tournantes dans nos palais de justice.
En conclusion, j'aimerais émettre deux commentaires. Le premier vient du juge Laskin et est tiré de l'arrêt Budreo:
Le système de justice criminelle a deux grands objectifs: punir les auteurs d'actes répréhensibles et empêcher les préjudices futurs. Une loi visant la prévention du crime constitue un exercice tout aussi valable du pouvoir fédéral de légiférer en matière criminelle que confère le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 qu'une loi visant à punir le crime.
Mon dernier commentaire porte sur le fait que, dans quelques semaines, ce sera l'anniversaire malheureux de l'événement du 6 décembre, le plus meurtrier pour les femmes au Canada. Je n'espère qu'une chose: qu'on leur offre ce projet de loi en témoignage d'appui pour le 6 décembre.
Je vous remercie. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
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Je vous remercie de la question. C'est très important.
Pour rédiger le projet de loi, nous avons fait des consultations dans les provinces, comme je le disais tantôt. Nous avons consulté les corps policiers, les communautés autochtones, d'anciens juges, les fédérations de femmes violentées, les thérapeutes et les victimes. Le sujet est plutôt préoccupant dans les régions éloignées. C'est le commentaire que les communautés autochtones nous ont fait.
Cependant, nous sommes devant le paradoxe de l'oeuf et la poule: certains disent qu'il faut attendre que tout le Canada soit couvert par la surveillance GPS des bracelets électroniques, alors que d'autres disent qu'il faut lancer le projet dès maintenant puisque la technologie satellitaire nous permettra une couverture assez complète du Canada dans un horizon très proche.
Actuellement, il y a effectivement des zones mortes, des zones non couvertes, mais je pense qu'il faut commencer l'expérience, comme le Québec le fait, et nous ajouterons ces zones au fur et à mesure de leur couverture. Il faut donc que nous adoptions ce projet de loi. Au fil des années, il y aura une plus grande couverture qui protégera encore plus de victimes.
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Merci, madame la présidente.
[Français]
Je vous remercie, monsieur le sénateur.
Tout d'abord, je suis désolée de tout ce que vous avez vécu personnellement, et je vous remercie d'avoir proposé ce projet de loi.
Vous avez parlé des différentes communautés et personnes que vous avez consultées. Ces consultations ne se sont pas limitées aux corps policiers et aux administrations des différents territoires. Vous avez aussi entendu et reçu des messages des membres des familles des victimes. Voudriez-vous communiquer au Comité aujourd'hui certains de ces messages pour que nous puissions les prendre en considération?
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Je vous remercie de la question.
Je pense que c'est l'élément le plus important de ce projet de loi. Je me suis entretenu avec plus d'une centaine de femmes au cours des trois dernières années. Tantôt, vous allez entendre deux témoins, des victimes, qui ont travaillé étroitement avec moi à ce projet de loi. Les mots qui revenaient le plus souvent à la bouche des victimes étaient: « protégez-nous », « ne faites pas des campagnes publicitaires gouvernementales nous demandant de dénoncer notre agresseur parce que, lorsque nous le faisons, c'est au péril de nos vies ». Si vous voulez que les femmes dénoncent leur agresseur et que les victimes sortent de leur prison du silence, protégez-les.
Le projet de loi est complémentaire au projet de loi , qui a déjà été adopté. Ce que le Québec a fait, c'est une démarche complémentaire. La majorité des provinces ont imité le Québec en adoptant une loi pour imposer le bracelet électronique, ou vont le faire dans les années à venir. Nous sommes donc actuellement en démarche, presque partout au Canada, pour protéger les femmes. Ce que notre projet de loi vise, c'est que nous ayons le courage de protéger les victimes qui ont le courage de dénoncer leur agresseur.
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Je tiens à féliciter la députée qui a parrainé le projet de loi , déjà adopté. Toutefois, ce dernier a une portée relativement étroite dans le Code criminel.
Je vous donne un exemple: le paragraphe (4.2) de l'article 515 du Code criminel, en vigueur depuis l'adoption du projet de loi C‑233, cible des infractions précises, mais qui n'incluent pas l'intimidation, l'introduction par infraction et la présence illégale dans une maison d'habitation, entre autres. Pourtant, la plupart des plaintes que les femmes font concernant leur ex-conjoint visent leur intrusion et leur présence illégale dans la maison. C'est souvent dans ces situations que le meurtre a lieu, mais le projet de loi C‑233 ne régit pas ces infractions.
Le projet de loi inclut ces éléments. Le sénateur Pierre Dalphond — que plusieurs d'entre vous connaissent, je pense — a travaillé étroitement avec moi à ce projet de loi. Il y a introduit un article qui viendra, s'il est adopté, élargir la portée du projet de loi C‑233, sans dénier toute son importance.
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Je vous remercie de poser cette question.
Nous avons consulté les entreprises technologiques qui utilisent actuellement le bracelet électronique au Canada dans d'autres circonstances que la violence conjugale. Pensons au terrorisme et à d'autres types de crime, par exemple. Au Canada, environ 400 hommes portent déjà le bracelet pour d'autres crimes que la violence conjugale. Au Québec, c'est plus de 200 hommes. Récemment, le cas de l'un de ces hommes a fait les manchettes. L'individu aurait réussi à retirer son bracelet sans qu'une alerte ne soit déclenchée et le cas fait présentement l'objet d'une enquête.
Aucune technologie n'est parfaite, mais celle du bracelet l'est à 99,9 %.
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Merci, monsieur Boisvenu.
Je sais que vous comparaissez ici dans un contexte particulier. En effet, vous menez le combat d'une vie et vous approchez de votre 75e anniversaire de naissance, âge auquel vous devrez prendre votre retraite.
Pour ma part, quand j'ai terminé mon cégep en 2002, je suis revenue dans les Cantons de l'Est. En tant que femme du Québec, j'ai alors été frappée par le fait que j'avais la vie devant moi.
En ce moment, on essaie qu'il n'y en ait pas « une de plus ». Je pense que c'est un peu ce que vous avez en tête. Comme vous avez parlé du 6 décembre, je vais d'abord faire une mise en contexte.
J'ai lu une nouvelle inquiétante selon laquelle on observe une hausse des cas de misogynie dans les écoles, au point que certains valorisent Marc Lépine sur les réseaux sociaux. Les professeurs ne savent plus comment gérer cette hausse. Avant d'aller plus loin sur le projet de loi , comment voyez-vous la question de l'éducation et des réseaux sociaux et le rôle qu'ils jouent dans la violence envers les femmes?
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Je vous remercie de la question.
Vous m'amenez à parler de ma deuxième carrière, qui consiste à donner des conférences dans les écoles primaires et secondaires. Il existe en effet un problème de relation entre les filles et les garçons, surtout lorsqu'ils en sont à leur première expérience affective. Je ne parle pas ici d'expérience amoureuse. Souvent, cette relation passe par l'intimidation et le pouvoir, et ce, à un jeune âge.
Je me souviens d'une expérience vécue dans des classes de 8e et 9e années d'une école du nord de Montréal. Une jeune fille était écrasée dans un coin. J'utilise ce mot parce que la jeune fille semblait écrasée et intimidée par le groupe. Lorsqu'elle est entrée dans l'autobus, elle a dit à son professeur, qui était là, qu'on n'allait plus jamais l'intimider.
Il faut apprendre aux femmes à prendre le pouvoir sur leur vie, certes, mais il faut aussi apprendre aux hommes à respecter les femmes, parce que la violence faite aux femmes, c'est d'abord une affaire d'hommes. Il faut arrêter de croire que seules les femmes vont gérer la violence conjugale. Les hommes sont la cause de la violence conjugale et les femmes en sont la conséquence. C'est pour cela que le projet de loi mise sur la thérapie.
Tant et aussi longtemps qu'on ne misera pas sur la thérapie obligatoire pour les problèmes de violence conjugale — comme le fait l'Ontario depuis quelques années avec grand succès, comme le font les communautés autochtones de l'Ouest avec grand succès, et comme on le fait pour les jeunes qui se présentent devant la cour à 18 ou 19 ans pour des problèmes d'alcool au volant —, le nombre de femmes assassinées sera le même dans cinq ans. Il faut absolument travailler sur les deux plans dès le jeune bas âge, plutôt qu'attendre que les hommes soient devenus adultes.
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Sénateur, vous avez mentionné certaines organisations qui ont des réserves concernant ce projet de loi. Je sais par exemple que le Fonds d'action et d'éducation juridique pour les femmes et l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry ont soulevé des préoccupations concernant la surveillance électronique. On a notamment fait valoir que cette surveillance procure aux victimes un faux sentiment de sécurité par rapport aux risques de récidive.
Dans le cadre de notre étude sur la violence conjugale et familiale au Canada, notre comité a pu apprendre que la situation est particulièrement problématique dans les régions rurales et isolées. Je sais que vous avez parlé de la connectivité à l'Internet qui est limitée, et que vous avez déjà réagi à ce sujet. Je suis par contre particulièrement préoccupée du fait que l'incidence de la violence est plus élevée pour les femmes autochtones, lesquelles sont nombreuses à vivre dans des communautés rurales et isolées. Dans ce contexte, comment selon vous le gouvernement fédéral pourrait‑il faire en sorte que les victimes de violence conjugale soient mieux protégées et appuyées?
Il est souvent question d'approches graduelles. Vous en avez vous-même parlé, et c'est tout à fait logique. Il faut bien commencer quelque part. Malheureusement, cette façon de faire les choses n'est d'aucun secours pour un très grand nombre de femmes, surtout dans les régions rurales et isolées où elles n'ont pas accès par exemple à des refuges ou à des moyens technologiques pouvant les protéger contre leurs assaillants. Je ne sais pas si vous pourriez nous dire ce que vous en pensez.
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Merci beaucoup pour votre question.
Nous avons eu de très bons échanges avec les communautés autochtones, particulièrement celles de l'Ouest canadien. Oui, c'est une préoccupation. Elles vivent, dans bien des cas, des situations socioéconomiques très malheureuses, autant chez les jeunes que chez les personnes plus âgées. Il y a un problème d'isolement. Il y a aussi un problème de retour des agresseurs dans la communauté, qui est souvent une petite communauté et où il y a une proximité entre la victime et l'agresseur. On l'a vu l'an dernier, dans le Nord du Québec, quand deux femmes autochtones ont été assassinées dans la même semaine par des hommes qui avaient déjà été remis en liberté à trois ou quatre reprises.
Donc, la problématique est très particulière et le projet de loi ne vient pas la régler. Cependant, dans les prochaines années, il va falloir travailler très étroitement avec les communautés autochtones pour voir comment le bracelet électronique peut décourager les agresseurs.
La compagnie nous disait que le seul fait de porter un bracelet électronique réduit les tentatives de récidive de 50 %. Le fait de se sentir surveillé inhibe l'impulsion d'un agresseur d'aller vers sa victime. Il va falloir évaluer les possibilités d'utiliser le bracelet dans ces communautés, soutenir ces dernières, et trouver des solutions à des problèmes beaucoup plus grands que la violence conjugale.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Merci énormément, sénateur, pour votre travail dans ce dossier.
Je pense qu'il est vraiment important que les gens comprennent bien le contexte et les raisons qui vous ont incité à passer à l'action en proposant ce projet de loi. Vous avez parlé de Julie, votre fille qui a été assassinée. J'estime qu'il est primordial que nous la nommions.
Voici d'ailleurs ce que vous avez dit à son sujet:
Changer le système, ça prend beaucoup d’énergie. Mais je n’avais pas le droit de manquer la mission que Julie m’avait donnée.
Entrer au Sénat, ça m’a donné l’opportunité de participer à un changement.
Un jour, je vais retourner vers Julie, ça va être elle, mon juge. Et je suis convaincu qu’elle va me dire qu’on a fait de belles choses ensemble, tous les deux.
C'est extrêmement émouvant. Nous comprenons très bien les motivations à l'origine de ce projet de loi et le résultat recherché. Notre comité est capable de grandes choses. J'ai entendu ma collègue, Mme Gazan, dire que des critiques affirmaient que cela donnerait un faux sentiment de sécurité.
Pour les gens qui nous regardent, il est question ici d'un bracelet que doivent porter les personnes coupables de violence familiale qui risquent de récidiver. À l'heure actuelle, la sécurité des victimes n'est assurée d'aucune manière. Aucune mesure n'a été mise en place à cette fin.
Il y a une chose qui m'a frappée, sénateur. Vous avez indiqué que le projet de loi va modifier l'article 515 de telle sorte que l'on soit tenu de consulter la victime. C'est un changement important quand on considère la façon dont les droits des victimes sont traités dans ce pays. Les victimes ont en effet l'impression que les criminels passent avant elles. Comment allez-vous vous assurer que ce projet de loi permet effectivement de faire en sorte que les victimes soient consultées et qu'elles sachent où se trouve leur assaillant?
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Un grand merci, sénateur, pour vous être engagé de façon aussi remarquable dans la lutte contre la violence fondée sur le genre en vous inspirant des expériences que vous avez vécues.
Mes questions sont assez semblables à celles posées par mes collègues.
Nous avons discuté du recours au bracelet électronique et de quelques-unes des difficultés qui se rattachent à ce mode de surveillance. À titre d'exemple, je sais que les chefs de police de l'Ontario s'emploient actuellement à déterminer si c'est vraiment une façon efficace d'assurer la surveillance des contrevenants. Nous savons tous qu'il y a eu certaines infractions à cet égard. Comme Mme Gazan l'a mentionné, certains ont réussi à se défaire de ce bracelet.
Si l'on s'en remet uniquement, ou dans une trop large mesure, à ce mécanisme de surveillance dont on a pu constater les faiblesses, ne craignez-vous pas que l'on en vienne à anéantir le sentiment de sécurité ressenti par les victimes?
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Merci de votre question très importante.
Le bracelet électronique n'est pas le seul moyen de protéger les femmes. C'en est un parmi d'autres. La thérapie, chez les hommes, est un moyen de protéger les femmes. On observe que les hommes agressifs n'agresseront pas qu'une seule conjointe, mais deux, trois ou quatre. C'est une série de victimes. Alors, nous voulons ajouter un moyen qui donnera les résultats escomptés dans peut-être 25 %, 30 % ou 40 % des cas, mais ce n'est pas une panacée qui éliminera toute la violence faite aux femmes.
Parlons du travail des policiers. Actuellement, on ne croit pas les femmes qui dénoncent leur agresseur. Oui, on va les croire la première fois, parce qu'elles porteront des marques, par exemple. Cependant, lorsque l'agresseur intimide sa victime à répétition sur les réseaux sociaux ou par l'entremise d'amis, à un moment donné, les policiers ne croient plus la victime. Quand elle dit que son agresseur était sur son balcon, c'est sa parole contre celle de l'autre. Le bracelet électronique est un moyen infaillible de confirmer que l'agresseur était à telle adresse à telle heure. Ainsi, lorsqu'il y aura un engagement de ne pas troubler l'ordre public aux termes de l'article 810 du Code criminel, peut-être que 80 % ou 90 % des agresseurs vont respecter les conditions imposées, au lieu des 50 % qui le font actuellement, puisqu'on aura un moyen technique de savoir où l'individu se trouvait à l'heure où la victime a dit qu'il était près de sa porte.
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Vous avez tout à fait raison.
C'est le rôle du juge de faire preuve d'une très grande sensibilité dans les cas de violence conjugale, de violence faite aux enfants et d'agressions sexuelles. L'intimidateur, lorsqu'il est en présence de la victime dans un tribunal, continue à l'intimider. L'agresseur établit une relation de pouvoir par laquelle il exerce son emprise sur sa victime, et cela se poursuit même dans les palais de justice. C'est là que le rôle du juge devient important. Il doit établir une relation avec la victime et lui accorder la plus grande discrétion possible si elle souhaite parler des conditions qu'elle veut inclure dans un engagement de ne pas troubler l'ordre public, parce que c'est elle qui connaît le mieux son agresseur.
Il faut donc écouter la victime pour savoir ce qu'elle veut comme conditions, afin qu'elle soit et qu'elle se sente en sécurité. À cet égard, il est très important que le juge se montre très sensible aux besoins de la victime. C'est aussi pour cela que le projet de loi aborde la formation des juges. Vous vous souviendrez du projet de loi , qui visait à former les juges en matière d'agressions sexuelles. J'avais proposé un amendement pour inclure la violence conjugale, mais cela n'avait pas été accepté. Maintenant, le projet de loi reconnaît qu'il faut former les juges à cet égard.
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Encore une fois, merci beaucoup d'être revenu devant ce comité aujourd'hui, monsieur le sénateur.
À entendre tout cela, je demeure très inquiète pour ma petite fille de 21 mois. Je me demande dans quel environnement elle va grandir et quelle sera sa relation avec les hommes.
Revenons au projet de loi . Si je comprends bien, même une personne qui a été absoute d'une ancienne accusation de violence conjugale devra prouver elle-même, si elle est accusée à nouveau d'un crime, qu'elle ne mérite pas la détention provisoire. C'est une sorte de renversement du fardeau de la preuve. Est-ce que cela peut créer une forme de déséquilibre entre la défense et la Couronne, puisque cela revient à enlever la présomption d'innocence avant que le verdict de culpabilité ne soit tombé?
Il faudra peut-être vérifier si le risque de passage à l'acte criminel est plus important que le principe de présomption d'innocence, et si cela doit être appliqué à tous les accusés. Comment voyez-vous cela?
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Merci, sénateur. Je sais que Julie nous regarde depuis là‑haut et vous est reconnaissante pour tout votre travail. Je tiens moi-même à vous remercier en tant que femme.
Vous avez fait allusion à l'Ontario, et je viens tout juste de recevoir des statistiques en provenance du refuge Yellow Brick House. Dans les 44 semaines précédant septembre de cette année, 46 femmes ont été tuées dans des situations de violence fondée sur le genre. C'est plus d'une femme par semaine. Je sais que la surveillance électronique est l'un des mécanismes pouvant être utilisés pour protéger les femmes. Il y a aussi l'engagement de ne pas troubler l'ordre public qui, selon moi, ne produit pas les résultats escomptés, mais c'est simplement mon opinion.
Je crains également que les peines d'incarcération imposées à ceux qui commettent de tels crimes ne soient pas suffisantes au vu de cette recrudescence de la violence à l'encontre des femmes. Ne convenez-vous pas avec moi que, pour mieux protéger les femmes et mettre un frein aux féminicides, il devrait aller de soi que l'on impose des périodes d'incarcération plus longues?
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J'ai toujours cru que la justice doit être faite sur deux plans: la réhabilitation et l'incarcération. Ce ne sont pas des valeurs qui se contredisent. L'incarcération, c'est une période où l’on dit à un agresseur: tu vas arrêter, tu vas réfléchir à tes comportements et tu vas travailler à les contrôler. En matière de violence conjugale, ce sont 80 % des hommes qui n'auront jamais de procès. N'oubliez pas, ce sont des hommes qu'on retourne chez eux sur la foi d'un simple engagement à ne pas troubler l'ordre public, aux termes de l'article 810 du Code criminel.
Or, lorsqu'on les retourne chez eux, il faut qu'ils aillent chercher de l'aide. Si notre système de justice ne repose pas sur l'obligation d'aller chercher de l'aide, on va se retrouver avec ce qu'on avait dans les années 1950 et 1960 en lien avec l'alcool au volant, alors que 800 personnes mouraient sur les routes au Québec. Maintenant, il n'y en a plus qu'à peu près 120 à 125, parce qu'on oblige désormais les hommes à aller chercher de l'aide s'ils ont un problème d'alcoolisme. Le système de justice s'est renforcé. On a envoyé des messages très clairs par rapport à l'alcool au volant, pour dire que c'est criminel.
Actuellement, en matière de violence conjugale, je ne pense pas qu'on envoie le message que la violence, c'est criminel. Je ne le pense pas. On envoie plutôt le message qu'on tolère la violence familiale.
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Merci, madame la présidente.
Merci beaucoup, sénateur, pour vos efforts incessants et votre détermination à faire adopter ce projet de loi.
J'ai quelques chiffres sous les yeux. L'agression physique est la forme la plus courante de violence entre partenaires intimes. Les femmes comptent pour juste un peu plus de la moitié (53 %) des victimes d'actes violents, mais elles sont largement majoritaires (79 %) parmi les victimes de la violence entre partenaires intimes.
Ma question porte sur le projet de loi. Au paragraphe 810.03(7) proposé à l'article 2 du projet de loi, on retrouve la liste des « Conditions de l'engagement » que doivent respecter les contrevenants. On précise notamment qu'ils doivent s'abstenir d'utiliser les médias sociaux. En outre, l'alinéa 810.03(7)g) indique qu'ils doivent s'abstenir de consommer des substances intoxicantes.
Comment est‑il possible d'assurer l'application d'une telle disposition dans la pratique?
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C'est par une ordonnance de la cour. Il faut que la thérapie comporte des conditions, comme cela se fait pour la consommation de drogues ou d'alcool quand on est remis en liberté. Les gens remis en liberté peuvent être appelés, dans un délai de 48 heures, à passer un test d'urine pour savoir s'ils en ont consommé. Il va falloir que le système ait un certain contrôle concernant cela.
Je disais tantôt que 50 % des hommes ne respectent pas les conditions, il va donc falloir s'assurer qu'elles sont respectées. Si ce n'est pas le cas, il va falloir que le système de justice soit clair sur les conséquences. À quoi sert d'imposer des conditions strictes s'il n'y a pas de conséquences lorsqu'on ne les respecte pas?
C'est pourtant la situation actuelle. Les juges font un bon travail. Ils imposent des conditions strictes. Une fois que l'accusé sort du palais de justice, plus personne ne s'en occupe. La seule personne qui le fait, c'est la victime, parce qu'elle va continuer d'être intimidée et harcelée. Seule la victime va s'occuper de l'agresseur.
Si nous voulons prendre au sérieux la violence faite aux femmes et les conditions de remise en liberté, il va falloir que le système ait un mécanisme de suivi. Actuellement, il n'y en a pas.
Au nom du Comité, je tiens à vous remercier, sénateur Boisvenu, d'avoir été des nôtres aujourd'hui et d'avoir présenté le projet de loi . Comme toutes les considérations liées à la violence à l'encontre des femmes nous tiennent particulièrement à cœur, nous vous sommes d'autant plus reconnaissantes de votre initiative.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants, le temps que nos prochains témoins s'installent.
Nous devrions reprendre d'ici une minute ou deux.
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Je veux souhaiter la bienvenue à Mmes Diane Tremblay et Martine Jeanson. Nous accueillons également par vidéoconférence M. Philippe Viater, que plusieurs d'entre nous reconnaîtront peut-être en raison de la loi de Keira.
Nous nous réjouissons vraiment que vous puissiez être en ligne avec nous aujourd'hui, monsieur Viater. Je suis ravie que cela puisse fonctionner.
Je remercie tous nos témoins d'être des nôtres pour discuter du projet de loi . N'hésitez surtout pas si vous avez des questions concernant votre microphone ou les services d'interprétation auxquels vous avez accès en sélectionnant le parquet, l'anglais ou le français, avec le contrôle du volume.
Je veux maintenant souhaiter officiellement la bienvenue à Mme Diane Tremblay, une artiste. Nous vous accueillons également Mme Martine Jeanson, présidente, fondatrice et intervenante de La Maison des Guerrières. Par vidéoconférence, nous recevons M. Philippe Viater, avocat, qui témoigne à titre personnel.
Chacun de vous aura droit à cinq minutes pour nous présenter ses observations préliminaires. Je vous prierais de bien vouloir conclure lorsque je commencerai à vous faire des signes de la main, car il ne vous restera alors qu'une quinzaine de secondes.
Je vais d'abord donner la parole à Mme Tremblay.
Nous vous écoutons.
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Kwe. Bonjour, tout le monde.
Je m'appelle Diane Tremblay et je suis une ex-victime de violence conjugale et familiale. J'aime mieux employer le mot « survivante », parce que c'est vraiment le cas.
Si je suis ici aujourd'hui, c'est pour apporter tout mon soutien au projet de loi proposé par le sénateur Boisvenu et agir de façon représentative et solidaire envers les victimes, majoritairement des femmes, aux prises avec la violence conjugale et familiale. Plus particulièrement, j'aimerais manifester mon soutien aux femmes autochtones, qui sont surreprésentées. L'ampleur de la violence commise à l'égard des Autochtones s'observe également par le nombre élevé de filles et de femmes autochtones assassinées ou portées disparues au Canada.
Nous, les victimes, méritons d'obtenir de la part du système de justice une sécurité pour nous et nos enfants. Nous sommes en 2023. Combien faudra-t-il encore de victimes de violence conjugale, d'assassinats de femmes et d'enfants pour que vous acceptiez d'apporter des changements majeurs aux lois existantes?
J'ai moi-même été une victime de violence conjugale. Durant cette période difficile de ma vie, dont je porte encore les marques, j'ai vécu des agressions sexuelles, deux tentatives de meurtre de la part de mon agresseur et de la violence sous toutes formes.
Dans mon cas personnel, si le port du bracelet électronique avait été imposé à mon agresseur à l'étape de l'engagement prévu à l'article 810 du Code criminel, comme le propose le projet de loi du sénateur Boisvenu, nous aurions été, mes enfants et moi, davantage en sécurité et je n'aurais pas subi ces tentatives de meurtre. Croyez-moi, on ne sort pas indemne d'une tentative de meurtre: on en subit les séquelles toute sa vie.
Avec la surveillance électronique, j'aurais facilement pu prouver le non-respect de ses conditions par mon agresseur, et les policiers auraient pu intervenir plus rapidement pour arrêter ce drame, que mes enfants, mes parents et mes amis et moi avons vécu. Le port du bracelet électronique permettrait de dresser un périmètre de sécurité entre la victime et son agresseur et aurait l'avantage de prouver le non-respect des conditions imposées.
Je me permets d'ajouter un élément qui ne figure pas dans mon mémoire. Malgré les nombreuses fois où j'ai dénoncé mon agresseur, il s'en est toujours tiré indemne, contrairement à moi. Alors, je vous en prie, pensez sérieusement à imposer le port du bracelet électronique. Selon moi, c'est un incontournable. Nous avons besoin d'être entendues et respectées dans nos droits et nos besoins vitaux.
En plus d'imposer le port du bracelet électronique, le projet de loi propose des alternatives aux hommes violents, telles que l'obligation de suivre une thérapie en violence conjugale et en toxicomanie. Dans certains cas, il est possible de récupérer certains hommes violents et de les faire changer. Les thérapies permettraient de s'attaquer à la cause du problème.
Or, présentement, on offre six heures de thérapie aux hommes violents qui sont en prison. Pour ma part, j'ai vécu presque cinq ans de thérapie. Je trouve donc que, six heures de thérapie, c'est inacceptable. On n'appelle pas cela de la thérapie. Personne ne peut prendre conscience de sa propre violence ni des agressions qu'elle commet en six heures de thérapie. Pour moi, cela équivaut à une tape sur les doigts.
De plus, selon moi, et cela s'applique à ce que j'ai vécu, le droit prévu dans le projet de loi pour la victime d'être consultée par le juge de paix au sujet de ses besoins en matière de sécurité et de protection me semble plus que nécessaire pour combler le besoin de sécurité immédiat que la victime demande. En effet, ce qui empêche les femmes de sortir du cycle de la violence conjugale, c'est ce sentiment que le système de justice ne les protégera pas, ce qui est vrai. Les gouvernements promettent souvent du financement aux centres d'hébergement pour femmes, mais ce n'est pas la solution pour lutter contre la violence conjugale.
On doit s'attaquer aux causes de la violence. Pour cela, il faut des mesures comme celles proposées dans le projet de loi. Ce dernier prévoit également la création d'une ordonnance de protection spécifique à la violence conjugale et familiale.
En mon nom...
Je me présente: Martine Jeanson, ex-victime de violence conjugale, fondatrice de la Maison des Guerrières et intervenante en violence conjugale et familiale.
Aujourd'hui, je ne vous raconte pas seulement mon histoire, mais aussi celle de Cindy Gosselin, battue à coups de marteau sur la tête, celle de Marianne, étranglée et violée par son conjoint, celle de Josianne Boucher, battue et traumatisée crânienne, celle de Jessica, à qui on a défoncé le vagin avec un bâton de baseball, ou celle de Louise, dont l'ex-conjoint n'a pas respecté ses conditions à plus de 28 reprises. Cette dernière a déménagé huit fois, mais elle vit encore sous la menace.
En 1992, j'ai été victime de violence conjugale. J'étais enceinte de cinq mois et je refusais de me faire avorter. J'ai subi un viol collectif et j'ai été laissée pour morte. J'avais tenté, à plusieurs reprises, de quitter mon conjoint. J'ai appelé la police de nombreuses fois. Cependant, mon conjoint me retrouvait tout le temps, peu importe où j'allais. À ce jour, cet homme a fait sept victimes, à part moi.
Les maisons pour les femmes victimes de violence conjugale existent, mais pendant combien d'années allons-nous encore devoir cacher les femmes, au lieu de travailler directement sur la source du problème? Je suis contente que les maisons pour femmes victimes de violence existent, car c'est là qu'on vient en aide aux femmes violentées, mais cela demeure une solution temporaire, car les femmes y demeurent un ou deux mois. À leur sortie, l'homme violent est malheureusement toujours là, et il revient vers son ex-conjointe avec encore plus de violence. Nous, les femmes, devons vivre traquées, harcelées, épiées et poursuivies par ces hommes, où que nous allions. Tout cela est semblable ou équivalent à du terrorisme. Tous les matins, nous nous levons en nous demandant si c'est aujourd'hui que nous allons nous faire assassiner.
Pourquoi continuons-nous de construire des maisons pour cacher les victimes de violence conjugale? Il serait plus sage de penser à bâtir des centres de thérapie interne et intensive pour hommes violents, afin que ces hommes soient entourés d'experts qui peuvent les aider à corriger, voire à régler leur problème de violence. Personnellement, j'aide aussi des hommes violents qui ont vécu dans ces maisons, et le taux de réussite est très élevé. L'homme perd complètement le contrôle de lui-même lorsqu'il n'a plus accès à sa victime. La source du problème est la violence de cet homme, et c'est là que le système devrait agir.
Les bracelets électroniques sont un des outils les plus importants à mettre en avant pour nous protéger et nous permettre d'être averties de la venue de l'homme, de notre agresseur, près de notre domicile. Ces bracelets nous permettent de nous cacher avant l'arrivée de notre agresseur, et ils permettent aux policiers d'être prévenus. Cela nous permettrait aussi de diminuer le nombre de féminicides, qui augmente chaque année. Les juges auraient aussi une preuve claire que les hommes violents ne respectent pas les conditions qui leur sont imposées.
Si mon ancien conjoint avait porté un bracelet électronique, j'aurais été protégée de sa tentative de meurtre, et toutes ses autres victimes auraient pu être informées. En effet, elles auraient pu être avisées que leur ancien conjoint rôdait près de leur domicile, ce qui aurait probablement permis d'éviter qu'une femme perde la vie. Effectivement, si elle avait été avisée du danger, elle aurait pu se protéger convenablement.
Actuellement, il est impossible de bien nous protéger d'un ancien conjoint violent, car nous ne sommes pas prévenues de l'arrivée de celui-ci. Le groupe de 100 femmes avec qui nous avons travaillé sur le projet est exclusivement composé de victimes de violence conjugale, dont au moins la moitié ont subi une tentative de meurtre. Nous sommes tous d'accord pour dire que la seule chose qui pourrait nous protéger est le bracelet électronique, car rien ne nous protège présentement.
Au cours des 20 dernières années, j'ai travaillé avec des centaines de femmes qui avaient besoin d'aide. Il n'y a aucun moyen de les cacher. L'homme peut les traquer à leur travail ou dans leur famille. Il peut suivre les enfants jusqu'à l'école ou chez leurs amis. L'homme n'arrêtera jamais de les traquer, de les suivre, de les harceler et de les violenter. Tant que le port du bracelet électronique ne sera pas imposé, la femme et ses enfants ne seront jamais protégés. Les bracelets électroniques ne sont peut-être pas parfaits, mais c'est tout ce que nous avons pour l'instant. Nous n'avons rien pour nous protéger. C'est la raison pour laquelle nous vous demandons, au nom de toutes les femmes, d'adopter le projet de loi.
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Merci de m'avoir invité à comparaître.
Je veux aussi remercier le sénateur Boisvenu d'avoir présenté ce projet de loi.
Pour ceux et celles qui ne me connaîtraient pas, je suis avocat et je pratique depuis une quinzaine d'années principalement le droit familial, avec quelques incursions du côté du droit pénal.
Mon expérience s'enrichit d'une situation plutôt particulière, comme on vient de le souligner, du fait que je suis le beau-père de Keira Kagan, la victime d'une affaire de meurtre suivi d'un suicide qui a mené à l'adoption de la loi de Keira dans le cadre du projet de loi qui permet notamment l'installation d'un dispositif de surveillance à la cheville.
C'est avec beaucoup d'optimisme que j'ai pris connaissance de la teneur de ce projet de loi dont vous êtes saisis. De par ma situation unique de survivant de la violence familiale étant donné ce qui est arrivé à ma belle-fille et d'avocat qui travaille auprès d'un grand nombre de victimes de cette forme de violence, je peux entendre toutes sortes de récits en provenance de toutes les régions du Canada — littéralement de toutes les provinces et de tous les territoires. À la lumière de tout ce bagage, je peux vous dire qu'il est très important que ce projet de loi soit adopté et mis en œuvre.
Disons d'abord et avant tout que bien des victimes hésitent à dénoncer leur agresseur. Elles craignent qu'on ne les croie pas et, pire encore, si jamais elles ne sont pas crues et qu'aucune accusation n'est portée, que leur situation s'aggrave lorsque leur partenaire intime découvrira qu'elles ont porté plainte à la police. Elles courent alors un risque important.
Nous pouvons en outre constater que dans les cas où la police accepte de déposer des accusations ou découvre des motifs raisonnables de le faire, il n'est pas rare que les victimes aient l'impression d'être réduites au silence. Elles sentent que le processus leur échappe complètement et que des actions sont entreprises sans qu'elles aient leur mot à dire.
Parmi les premières dispositions ayant retenu mon attention, il y a celle prévoyant que l'on demande à la victime de s'exprimer sur les mesures de sécurité dont elle a besoin. C'est une démarche très simple qui devrait être engagée systématiquement par l'agent de police qui prend la déposition de la victime. Le policier pourrait facilement terminer en s'enquérant des besoins de la victime du point de vue de la sécurité. Les services d'aide aux victimes et aux témoins pourraient s'en charger. C'est tout ce qu'il y a de plus facile, et c'est vraiment important.
Je peux vous donner très rapidement l'exemple d'une cause où j'ai eu un rôle à jouer. De graves accusations ont été portées contre l'époux, et nous avons bien sûr pu obtenir une ordonnance d'interdiction de communiquer. L'épouse n'a pas été consultée dans cette affaire qui se distinguait du fait que les deux conjoints étaient des gens très religieux qui se rendaient au temple plusieurs fois par semaine. La police l'ignorait et la Couronne également, parce que personne n'a permis à l'épouse de s'exprimer. Le mari s'est donc rendu au temple beaucoup plus souvent qu'à l'habitude dans l'espoir de continuer à revoir sa femme. Quand celle‑ci a signalé le tout à la police, son époux pouvait très bien nier ses allégations en disant qu'il fréquentait simplement son église, et ce, même s'il le faisait à des moments et à une fréquence qui n'étaient pas dans son habitude.
La situation est devenue problématique parce qu'on ne pouvait pas vraiment faire appliquer l'ordonnance. Avec ce qui est proposé, on pourrait tout au moins envisager les différentes options.
De la même façon, le simple fait d'informer les gens des conditions à remplir pour obtenir une ordonnance — comme le prévoit ce projet de loi — revêt une importance capitale, parce que la plupart des victimes ne sont même pas au fait de cette possibilité. Si elles ne sont pas représentées par un avocat, elles n'ont parfois même pas accès à cette information.
En terminant, je voudrais parler de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, un mécanisme vraiment important et fort bien articulé, à mon avis, dans ce projet de loi.
Précisons d'abord et avant tout qu'un engagement de ne pas troubler l'ordre public est un processus distinct d'une procédure pénale. Dans le cas d'une procédure pénale, un individu doit être trouvé coupable au‑delà de tout doute raisonnable pour qu'il y ait condamnation. Dans le cadre d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités — éventualité plus probable que le contraire — et une dénonciation peut être faite simplement sur la base de motifs raisonnables de craindre pour sa sécurité, ce qui est une distinction très importante. Il n'est même pas nécessaire qu'une infraction criminelle ait été commise. Si une victime sait intuitivement que les choses pourraient mal tourner, elle peut faire une telle dénonciation
Par ailleurs, les procureurs sont de plus en plus souvent amenés à conclure des ententes avec les avocats des deux parties. Il pourrait s'agir d'une conséquence involontaire des délais déraisonnables dus à la Charte, et du fardeau de la preuve élevé sur le plan pénal. À l'heure actuelle, les procureurs disposent de très peu de marge de manoeuvre par rapport aux types d'ententes qu'ils peuvent conclure dans le cadre d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Le projet de loi défendu par le sénateur Boisvenu prévoit accorder aux procureurs toute la latitude nécessaire pour parvenir à une meilleure résolution visant à protéger la victime.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Je vais partager mes six minutes avec Mme Roberts. Madame la présidente, si vous pouviez m'indiquer quand les trois premières minutes sont écoulées, ce serait l'idéal.
Merci beaucoup, mesdames. Les témoignages que vous avez livrés sont puissants et évocateurs, et c'est pour le mieux. Merci pour votre précieuse contribution.
Je crois que ce qui me frappe le plus, c'est à quel point de nombreuses femmes sont invisibilisées. Cela m'a vraiment marqué, et m'a amené à me questionner sur notre société. Par ailleurs, j'ai beaucoup apprécié votre manière de remettre les choses en contexte. Tant de victimes doivent se résigner à se cacher, alors que leur agresseur, lui, est remis en liberté. C'est accablant.
J'ai déjà abordé ce sujet de manière indirecte, mais je tiens à le rappeler explicitement: les hommes sont parfois eux aussi victimes de violence conjugale. Je suis consciente que nous sommes membres du comité de la condition féminine, mais j'ai reçu de nombreux témoignages d'hommes victimes de violence conjugale, et j'estime avoir le devoir de dire publiquement que ce phénomène est bien réel.
De plus en plus de gens parlent de la violence conjugale comme d'une épidémie. Dans ce contexte, je pense que ce projet de loi arrive à point nommé et constitue un pas dans la bonne direction.
Monsieur Viater, c'est un plaisir de vous revoir. Je tiens à vous remercier pour tout le travail que vous avez accompli, et d'être venu ici. Nous allons pouvoir profiter de votre expertise juridique, mais aussi de vos expériences personnelles. Je pense souvent à vous, ainsi qu'à Jennifer et Keira.
Pourriez-vous d'abord nous expliquer très rapidement l'importance de ce projet de loi pour les victimes?
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J'ai une courte question à poser.
Mesdames, je vous remercie de votre témoignage. C'est assez poignant de vous écouter, sincèrement. Ce que vous nous racontez est même difficile à entendre, alors je n'ose même pas imaginer ce que c'est de le vivre.
Vous dites que, si les bracelets avaient existé quand vous avez vécu de la violence conjugale, les choses auraient probablement été différentes pour vous. Pour que nous comprenions bien, j'aimerais savoir qui sera averti lorsque le périmètre de sécurité sera franchi. Est-ce que ce seront les victimes qui auront un avertisseur?
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C'est de cette façon que ça va fonctionner. Le bracelet va déclencher l'alarme dès que la personne est à moins d'un kilomètre, par exemple, de la victime. La victime sera donc avisée, mais pas juste elle: les policiers le seront aussi. Ils sauront en entendant l'alarme que l'individu a franchi la limite permise. Donc, un policier va le traquer.
En même temps, cela nous donne une preuve pour la cour. Quand je vais à la cour avec une victime, nous n'avons jamais de preuve. La victime dit que l'individu était là, mais il n'y a pas de preuve, puisque la victime n'a pas le temps de sortir son cellulaire parce qu'elle doit s'enfuir. Le bracelet va donc nous donner des preuves pour la cour. Les policiers viendront témoigner pour dire que la victime a été suivie à son travail, par exemple. Donc, cela nous donnera une preuve pour incriminer l'agresseur et nous sauver la vie.
Personnellement, j'aurais aimé pouvoir aller me cacher. Si le rayon de détection est réglé à un kilomètre, quand l'alarme sonne, la victime a le temps d'aller chez un voisin pour demander de l'aide.
Avant de poser mes questions, je tenais simplement à saluer votre courage. J'imagine qu'il doit être particulièrement difficile de vous replonger dans les expériences effroyables que vous avez vécues. La plupart des gens ne seraient pas prêts à prendre le risque de s'exprimer sur la place publique et d'être traumatisés à nouveau. Le fait que votre démarche a pour objectif d'aider d'autres victimes en dit long sur votre force de caractère, et je tiens à vous féliciter sincèrement.
Ce qui m'amène à la question suivante.
Madame Tremblay, vous avez dit quelque chose qui m'a amenée à réfléchir, car l'une de mes questions...
Monsieur Viater, je vous remercie de comparaître à nouveau devant le Comité. Je vais vous laisser aborder le volet juridique du dossier, mais je souhaite m'adresser à Mme Tremblay et à Mme Jeanson pour me familiariser avec leurs expériences personnelles.
Les dispositions actuelles du Code criminel comprennent plusieurs mesures de protection pour les victimes, notamment la loi de Keira. Je siégeais d'ailleurs au Comité lorsque des amendements ont été adoptés pour renforcer la loi de Keira. Néanmoins, votre expérience montre que tout cela n'a manifestement pas suffi; le système actuel contient encore certaines lacunes.
Vous avez mentionné un point important, madame Tremblay. Le bracelet permet non seulement d'assurer la sécurité de la victime, mais pourrait également servir à démontrer en cour qu'un contrevenant a enfreint ses conditions de libérations, ce qui est très difficile à prouver. J'aimerais que vous me résumiez toutes les deux la manière dont ce projet de loi pourrait corriger les lacunes du Code criminel.
Je vais ensuite demander à M. Viater de préciser la façon dont ce projet de loi vient compléter la loi de Keira, et même le projet de loi , à l'étude au Sénat à l'heure actuelle.
Madame Tremblay, je vais commencer avec vous.
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Il y a beaucoup de lacunes présentement. Nous ne sommes pas protégées et le sénateur Boisvenu l'a répété à plusieurs reprises. Nous le répétons, et Mme Jeanson le répète aussi. Nous ne sommes pas les seules femmes qui vivent cette situation. Nous avons besoin d'être protégées. Nous sommes confrontées à un agresseur et c'est une question de vie ou de mort. Nous en sommes là.
Le projet de loi viendra donner aux femmes un outil leur permettant de se mettre en sécurité, comme le disait Mme Jeanson, avant que l'agresseur arrive à la maison.
Je me souviens d'une fois, entre autres, où cela faisait trois semaines que je pensais avoir la paix, puis mon agresseur est venu défoncer ma porte. J'ai sauté par-dessus la rambarde, je me suis sauvée dans la rue et j'ai grimpé sur une clôture. Il m'a rattrapée, m'a couchée par terre et m'a mis un couteau sur la gorge. J'ai crié de toutes mes forces « au feu! », car on m'avait dit que, quand on crie « au secours! », personne ne vient. J'ai donc crié « au feu! » et mon voisin est venu à mon secours avec d'autres voisins, et ils l'ont entouré. Tenez-vous bien: dans la voiture de police, il m'a appelé, les policiers ayant oublié de lui enlever son téléphone cellulaire. On était le 26 mars 2007. Il m'a appelé alors qu'il y avait un policier dans la maison avec moi, pour me dire de retirer mes plaintes. Je ne vous dirai pas de quel nom il m'a traitée. Il m'a dit que je verrais ce qui m'arriverait si je ne le faisais pas. La policière qui était là a entrepris les démarches par la suite. C'est juste pour vous dire qu'il était dans la voiture de police quand il m'a appelé et qu'il a défié les consignes.
Je ne peux pas vous dire à quel point le bracelet électronique sera vraiment très important une fois le projet de loi adopté. Quand nous demandons que le projet de loi ne soit pas modifié, nous avons nos raisons. Nous sommes devant vous à vous dire ce qui se passe. S'il y en a qui le savent, c'est bien nous. Nous voulons nous protéger, nous voulons protéger nos enfants.
Mon agresseur s'est attaqué à mes parents. Je n'ai pas vu mes parents pendant trois ans. Je n'ai pas vu mes fils pendant trois ans. J'avais pris mes enfants et je les avais laissés chez leur père. C'est pour vous dire que cette période a été très difficile et que, si je suis en vie, c'est grâce à mes voisins. C'est parce que j'ai sauté par-dessus la rambarde et que j'ai eu eu la chance de me sauver. Il m'a suivie, m'a rattrapée et m'a couchée par terre. J'avais un couteau sur la gorge et je me suis débattue de toutes mes forces.
Je peux vous dire que je suis très heureuse d'être avec vous aujourd'hui, avec Mme Jeanson et le sénateur Boisvenu, pour témoigner de tout cela.
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Je voudrais parler moi aussi des thérapies. Comme je vous l'ai dit tantôt, je travaille avec des hommes violents qu'on réussit à aider. Les gens doivent connaître la différence entre un pervers narcissique et un homme violent. Un homme violent a souvent vécu la violence; il n'a aucun outil et il ne sait pas comment gérer cette violence. Alors, nous travaillons avec eux et nous leur donnons des outils. Ces hommes-là en pleurent, car ils n'auraient pas fait ce mal s'ils avaient eu des ressources. Oui, il est possible de changer ces hommes.
En même temps que nous effectuons des thérapies, nous produisons des rapports pour la cour. Nous sommes en mesure de dire au juge qu'une telle personne est un homme qui ne changera jamais, que c'est un pervers narcissique dangereux. L'homme violent est un cas différent.
Je vous dis que les thérapies peuvent changer et enrayer beaucoup de comportements. Les deux ne vont pas l'un sans l'autre. On doit aider les hommes et arrêter d'investir autant dans les thérapies pour femmes. Les hommes sont le problème, pas nous, les femmes. Si on va à la source du problème et qu'on s'attarde à l'éducation dans les écoles, comme quelqu'un l'a dit, la violence conjugale peut diminuer. Présentement, elle va en augmentant parce qu'il n'y a pas de ressources pour les hommes. Les thérapies et les bracelets peuvent les faire réfléchir et sont les seuls outils qui nous donnent la possibilité de faire diminuer la violence et d'augmenter la sécurité des femmes.
Mon intervention porte principalement sur la nouvelle section 810, également connue sous le nom de « dispositions relatives à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public ». Le sénateur Boisvenu a fait preuve d'une grande ingéniosité en mettant sur pied une sorte de système 810 à deux niveaux. Un système 810 était déjà en place, mais de manière quelque peu limitée. Par exemple, les peines ne pouvaient pas dépasser 12 mois, et le système en général n'était vraiment pas adapté aux crimes liés à violence conjugale.
Le projet de loi du sénateur Boisvenu propose la mise en place d'un système distinct. Un cas de violence conjugale sera d'abord porté devant un juge de la cour provinciale, que ce soit un juge de cour criminelle ou un juge de paix. Par ailleurs, la durée des dispositions relatives à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public sera allongée de deux ans, voire de trois ans en cas d'antécédents. Dans l'ancienne version, cette disposition n'était pas applicable aux cas n'impliquant pas de violence conjugale. Le projet de loi du sénateur Boisvenu prévoit également d'augmenter à deux ans la peine encourue en cas d'infraction, alors que la version précédente ne prévoyait qu'un an au maximum.
Bref, il s'agit d'un système à deux niveaux particulièrement efficace, et adapté aux cas de violence conjugale, qui comme nous l'avons déjà dit, doivent être pris au sérieux et constituent une véritable épidémie. En outre, ce système va de pair avec la loi de Keira, tant à l'échelle fédérale que provinciale. Les juges qui recevront ce type de formation seront beaucoup mieux outillés pour décider du genre de conditions à imposer aux délinquants. Ces conditions incluent notamment la possibilité de suivre un programme de sensibilisation à la violence conjugale, ainsi que le port d'un bracelet électronique à la cheville.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie M. Boisvenu d'être venu témoigner plus tôt.
Je vous remercie également d'être venu, monsieur Viater, puisque vous aussi avez vécu le deuil d'un enfant.
Mesdames Tremblay et Jeanson, merci beaucoup. J'hésite toujours à dire « bravo » pour votre force ou votre courage, car je ne sais pas ce que vous souhaitez vraiment qu'on retienne de votre passage. Vos témoignages sur vos propres expériences ont été poignants, et nous sommes là pour vous entendre et tenter de faire de notre mieux, en tant que parlementaires, pour faire évoluer les pensées. Il est particulier d'entendre à quel point nous sommes dans une ère de violence et de montée des extrêmes, aussi, et comment cela se reflète par un recul des droits des femmes, incluant dans les cas de violence coercitive. C'est l'impression que j'ai.
Ma question pourrait s'adresser aux trois témoins, autant à M. Viater qu'à vous deux, mesdames.
Parfois, les mots sont importants. Les cas de violence comportent plusieurs aspects inquiétants; il y a la perte de confiance dans le système, par exemple, quand on se demande comment on sera entendues ou écoutées. Il y a toujours la fameuse question de la parole de l'un contre celle de l'autre, surtout dans les cas d'agression et de violence entre partenaires intimes.
Nous avons bien entendu le message concernant le bracelet électronique. Cependant, j'aimerais qu'on élargisse la réflexion au sujet de la violence familiale. Est-ce qu'il serait mieux de combiner les termes « violence coercitive et contrôlante et violence familiale » pour faire en sorte qu'un maximum de victimes puissent agir et dénoncer sans devoir toujours attendre d'avoir une trace sur le visage?
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Les femmes ne dénoncent pas. Je vous le dis, je suis avec elles sur le terrain, je travaille avec elles dans les maisons, je ne suis pas dans un centre. Tout le monde sait que les agresseurs sont arrêtés, puis relâchés: on le voit partout à la télévision, on l'entend partout à la radio. Alors, les femmes ont peur de dénoncer leur agresseur et ne veulent pas le faire parce qu'une fois relâché, il va automatiquement revenir à la maison. Je le vois dans mes dossiers. J'ai notamment l'exemple d'un homme qui a tenté de noyer sa femme dans le bain, il a vraiment tenté de la noyer. Il a été arrêté, puis relâché tout de suite, et il est retourné tout droit vers sa victime.
Voilà pourquoi les femmes ne veulent pas dénoncer les agresseurs. Par contre, si elles savent qu'elles sont entendues, si on commence à voir l'utilisation de bracelets électroniques et qu'on commence à voir des jugements favorables aux femmes, ces dernières se diront que, si elles portent plainte, on mettra un bracelet à leur agresseur et il ne reviendra pas les attaquer par la suite.
Si on se sent protégées, on va dénoncer notre agresseur. Je dis « on » parce qu'on représente ces femmes-là. Or, maintenant, on ne peut pas dénoncer les agresseurs. Même moi, encore aujourd'hui, je ne dénoncerais pas plus qu'avant mon agresseur parce que j'aurais peur. Je vois de mes yeux les policiers arrêter ces hommes puis, deux minutes plus tard, les relâcher. Si les agresseurs ont un bracelet électronique, on va être protégées.
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Je vais me permettre d'ajouter quelque chose. Présentement, ce sont les femmes qui sont emprisonnées. J'ai passé trois mois à la Maison Unies-vers-femmes. Je n'avais pas accès à mes enfants. On ne les a pas laissés entrer parce que c'était des garçons. C'est absolument vrai. Je n'avais pas accès à ma vie, mais lui avait accès à la sienne, comme s'il n'avait rien fait.
Comme le disaient le sénateur Boisvenu et Mme Jeanson, quel message envoie-t-on? On dit à l'homme qu'il peut battre une femme, l'assassiner, lui faire peur, l'intimider, l'agresser tant qu'il le veut; elle est en dedans, elle. Et lui, il est toujours libre, en train de vivre sa vie et d'agresser d'autres femmes. Il faut que tout cela s'arrête, à un moment donné.
Le Code criminel n'a pas été changé depuis très longtemps. J'ai lu que, en 1982, il n'y avait même aucune loi pour protéger les femmes. On est en 2023. Quand je parle des femmes, je parle des femmes et des enfants, ainsi que des femmes autochtones. Il est important de dresser aussi un bilan pour elles. Il faut les protéger. Elles vivent en milieu rural. Il est aussi temps qu'on s'attaque à ça. On aurait dû le faire depuis longtemps.
J'aimerais aujourd'hui que vous nous entendiez, que vous respectiez nos besoins. Nous avons le droit de vivre et le droit à notre liberté, et il en est de même pour nos enfants, nos parents et nos amis.
Les récits personnels peuvent être particulièrement évocateurs, mais je suis consciente qu'il est difficile de les partager. Je tiens à saluer le courage de tous nos témoins d'aujourd'hui de nous avoir fait part de ce qu'elles ont vécu.
Je souhaite aborder plusieurs points. Je sais que Mme Jeanson a beaucoup parlé de la nécessité de mettre en place des thérapies pour les hommes, et j'aimerais y revenir.
En fait, je vais commencer par revenir sur un autre sujet.
En ce qui concerne le maintien de l'ordre, nous devons aborder la question du système d'alerte robe rouge... Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que les forces de police ont tendance à minimiser les actes de violence que leur rapportent les femmes?
Je laisse à Mme Tremblay ou à Mme Jeanson le soin de répondre à cette question.
Je me souviens, entre autres, de la première fois que j'ai dénoncé une agression. On m'a demandé s'il m'avait frappée. J'ai dit qu'il m'avait frappée ici, puis là, et qu'il m'avait violée. Que voulait-on de plus? Que fait-on des blessures intérieures? Oui, j'ai été frappée physiquement, mais ça ne commence pas toujours comme ça. Ça va en escalade, et il faut tenir compte de ça. Quand je me suis rendue au poste de police pour leur dire ce qui m'arrivait, on m'a fait remarquer que je ne portais pas de marques de blessures. Voyons donc, c'était quoi, cette réponse? On en a des blessures, des blessures intérieures.
Je me suis souvent présentée au poste de police pour faire des rapports et pour porter plainte, car mon conjoint ne respectait jamais ses conditions. Je me souviens que, une fois, une policière m'a demandé ce qu'il m'avait fait. J'étais sur les nerfs parce que ça venait d'arriver. Je lui ai dit qu'il m'avait prise d'une telle façon, en répétant le geste sur elle. Elle m'a dit de ne pas la toucher. Je voulais juste lui montrer ce que je venais de vivre et comment je l'avais vécu. Je n'allais pas la brusquer. J'ai posé ce geste de façon automatique, mais je me suis fait rabrouer par la policière.
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Toutes les fois que nous dénonçons, on nous demande quelles sont les preuves que nous avons. Nous n'avons pas de preuves, même si nous appelons dix fois pour dénoncer ce qu'on nous a fait.
La seule chose que nous voulons avoir, c'est le bracelet. Nous savons que nous ne serons pas toujours entendues. Nous savons que rien ne sera parfait. Cependant, j'aime mieux avoir quelque chose d'imparfait plutôt que de n'avoir aucune protection, comme c'est le cas présentement. Nous n'avons rien du tout.
Plus vous allez ajouter des éléments dans le système, plus on va nous considérer et plus on va comprendre que c'est très sérieux. Plus nous aurons de preuves, plus nous serons crues et entendues.
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Mon temps est presque écoulé.
Je pense que vous avez raison en ce qui concerne les hommes violents. À l'heure actuelle, une grande partie de la solution consiste à tout simplement mettre les hommes violents en prison. On constate qu'à leur sortie de prison, la plupart sont devenus encore plus agressifs et violents, car ils n'ont suivi aucune thérapie. Comme vous, je suis d'avis qu'il faut s'attaquer aux causes profondes du problème.
Pensez-vous que les systèmes judiciaire et carcéral sont trop axés sur la répression, au détriment de la réhabilitation, qui passe notamment par les thérapies pour hommes violents? Vous avez mentionné un lieu de traitement où les participants sont accompagnés pour surmonter leurs traumatismes.
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Incroyable. Je suis estomaquée par ce que je viens d'entendre.
Nous allons devoir conclure la séance, bien que nous aurions sans doute pu écouter nos témoins pendant de longues heures encore.
Je tiens à remercier chaleureusement nos trois témoins pour leur contribution exceptionnelle.
Sénateur Boisvenu, merci d'avoir présenté ce projet de loi. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir invité des témoins dont l'expérience personnelle s'est avérée fort pertinente.
Avant de nous quitter, j'aimerais régler rapidement deux dossiers. D'abord, je dois faire approuver un budget de 17 750 $ en lien directement avec le projet de loi . Est‑ce que tout le monde est d'accord?
Des députés: D'accord.
La présidente: Parfait, la question du budget est réglée. Nous allons pouvoir planifier de nouvelles réunions du Comité. Par ailleurs, si vous souhaitez apporter un amendement au projet de loi , je vous demande de me faire parvenir la documentation d'ici mercredi prochain, le 29 novembre, à midi. Voilà la marche à suivre. Cela vous convient‑il?
Des députés: D'accord.
La présidente: L'ordre du jour étant épuisé, j'aimerais conclure la séance en remerciant de nouveau nos trois témoins: Mme Tremblay, Mme Jeanson, et M. Viater. N'hésitez surtout pas à nous faire parvenir des renseignements supplémentaires, nous serions ravis de les consulter. Je vous remercie de votre attention.
La séance est levée.